13 juin 2000

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En Tunisie, le mouvement de résistance pacifique s’amplifie

 

Mis à jour le lundi 12 juin 2000

DEUX PRISONNIERS d’opinion en faveur desquels la société civile tunisienne s’était fortement mobilisée ces dernières semaines viennent de retrouver la liberté. Samedi 10 juin, Abdelmoumem Belanès, qui en était à son 35e jour de grève de la faim, et Fahem Boukkadous, sont sortis de la prison civile de Tunis. Ces deux détenus politiques emblématiques, accusés d’appartenir au Parti communiste ouvrier de Tunisie (PCOT, interdit) ont bénéficié d’une grâce présidentielle. Belanès était dans un état qualifié d’ « extrêmement critique » par son entourage. Quant à Boukkadous, souffrant d’asthme aigu, il avait déjà dû se résoudre à interrompre son mouvement.

Ce geste du palais de Carthage est intervenu trois jours après qu’une « journée de solidarité » avec les prisonniers d’opinion eut été décrétée par plusieurs comités d’action et organismes tunisiens de défense des libertés, notamment la Ligue tunisienne des droits de l’homme (LTDH). Ce 7 juin aura parfaitement illustré la vague de militantisme pacifique qui gagne la Tunisie. Quelque 170 personnes ont observé ce jour-là une grève de la faim symbolique, de Tunis à Kairouan, en passant par Sousse ou Bizerte. Au même moment, des sympathisants, comme Ahmed Ben Bella en Suisse, et d’autres au Maroc, en Mauritanie, en France, ou encore aux Etats-Unis, menaient une action identique. « Je suis de retour en Tunisie après trois mois d’absence et ce qui me frappe, c’est de voir à quel point l’ambiance est devenue militante, souligne Sadri Khiari, membre du Conseil national pour les libertés (CNLT). C’est un phénomène marquant et nouveau ».!

GESTES DU POUVOIR

Si elle ose de plus en plus redresser la tête, la population tunisienne semble rester très méfiante devant les gestes du pouvoir, lesquels ne concernent pas les prisonniers d’opinion islamistes. Quatre détenus accusés d’appartenir au mouvement interdit Ennadha poursuivent depuis plusieurs semaines une grève de la faim pour protester contre leurs conditions de détention. La presse tunisienne n’en a toujours pas fait mention. « On ne peut pas parler de décrispation ni d’ouverture, les concessions sont conjoncturelles et résultent de pressions extérieures sur le palais de Carthage. J’aimerais me tromper, mais je ne crois pas à une évolution interne du régime, il n’est pas armé pour cela, et il reste une dictature qui ne tolère aucune forme d’expression », estime Salah Hamzaoui, sociologue, enseignant à l’université de Tunis et président du comité de soutien à Hamma Hammami (porte-parole du parti communiste PCOT, vivant dans la clandestinité depuis deux ans et !époux de l’avocate Radhia Nasraoui.)

En dépit des efforts de Pierre Tartakowsky, le secrétaire général d’Attac (Association pour une taxation des transactions financières pour l’aide aux citoyens), venu à Tunis la semaine dernière, accompagné du professeur Léon Schwartzenberg, l’association Raid (Attac Tunisie) n’est toujours pas légalisée et le procès de son président, Fathi Chamki, et de deux sympathisants de cette ONG, est fixé au 27 juin. Alternant durcissement et gestes d’ouverture, les autorités tunisiennes desserrent par à-coups l’étau sur certaines grandes figures de la société civile. Le porte-parole du Conseil national des libertés, Moncef Marzouki, ainsi que Mohamed Mouada, ancien chef du Mouvement des démocrates socialistes, sont de nouveau autorisés à voyager. A la fin du mois de mai, Moncef Marzouki avait récupéré son passeport après cinq ans de confiscation mais s’était vu, à la dernière minute, empêcher de prendre l’avion pour Paris.

D’autres défenseurs des droits de l’homme, ou leurs proches, viennent eux aussi de retrouver leur document de voyage. C’est le cas de Salah Hamzaoui, après trois ans de privation, ainsi que des trois enfants de Radhia Nasraoui, empêchés de sortir du territoire tunisien à cause des activités politiques de leur père. L’avocate déclare s’en réjouir mais ne pas oublier pour autant les nombreux citoyens tunisiens « ordinaires » auxquels ce droit est toujours refusé. « je connais des cas dramatiques, comme celui de Rachida Ben Salem, qui a fait de la prison pour avoir tenté de rejoindre son mari réfugié en Hollande, ou encore celui de Saïda Charbati, elle aussi ayant tenté de fuir pour retrouver son époux et ses enfants à l’étranger, souligne-t-elle. L’une et l’autre sont sorties de prison mais, comme tant d’autres, attendent désespérément leurs passeports. Leurs cas étant moins médiatisés, les autorités ne sont pas pressées d’accéder à leurs demandes.&nb!sp;»

Fl. B.

Le Monde daté du mardi 13 juin 2000
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TROIS QUESTIONS À LÉON SCHWARTZENBERG

 

Mis à jour le lundi 12 juin 2000

1  Vous êtes membre du Groupe de travail sur la Tunisie, collectif de personnalités françaises qui soutient la société civile de ce pays. A ce titre, vous venez de passer plusieurs jours à Tunis. Comment avez-vous trouvé la situation ?

Le gouvernement tunisien donne quelques gages, mais la situation n’est pas bonne pour autant. Beaucoup sont toujours dans des situations terribles. C’est le cas, par exemple, de Mahmoud Dogui, un grand physicien qu’on a mis dans l’incapacité de travailler. Le pire, c’est le geste de défi et de désespoir d’Ali Ben Salem Sghraier. Jeudi dernier, cet ancien instituteur s’est planté au milieu de la place du marché de Douze, avec sa femme et les deux plus jeunes de leurs sept enfants, et une pancarte sur laquelle il avait écrit : « Je n’ai pas le droit de travailler, j’ai faim. Qui veut acheter mes enfants ? » Parce qu’il est accusé d’être islamiste et qu’il a fait de la prison pour cette raison, il se retrouve dans une situation désespérée.

 

2 Pendant votre séjour dans la capitale tunisienne, avez-vous été libre de vos mouvements ?

Absolument. En revanche, j’ai été surveillé en permanence. Mais c’était peu de chose en comparaison de ce que supportent les Tunisiens. Une enseignante d’université comme Khédija Cherif est surveillée jusque dans ses classes. Ce qui me frappe, c’est le courage avec lequel les gens affrontent tout cela. Les femmes sont fantastiques et leur attitude à tous réduit à néant les affirmations selon lesquelles la Tunisie n’est pas mûre pour la démocratie.

 

3 Est-ce qu’il y a un « effet Ben Brik » ?

Sans aucun doute. En trois mois, le nombre de Tunisiens qui sont sortis de l’ombre a beaucoup augmenté. Pour défendre les libertés, certains sont prêts à retourner en prison. Je pense à la jeune Imen Derouiche, et à Nourredine Ben Ticha, torturés en prison et libérés l’année dernière. Une brèche a été ouverte au sein de la société civile. Et l’opposition laïque est révoltée par ce qu’on fait subir aux islamistes. Ces derniers ont servi de prétexte pour museler les libertés dans le pays.

  Propos recueillis par Florence Beaugé

Le Monde daté du mardi 13 juin 2000

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(MAGHREB CONFIDENTIEL n°467 – 08/06/00)
                TUNISIE : WASHINGTON VEUT DEPOLLUER

   Les Etats-Unis encouragent vivement les chefs d’entreprises
américains à investir dans les biens et
services tunisiens liés à l’environnement. Les secteurs du traitement
des eaux usées et des déchets, du
  contrôle de la pollution atmosphérique et de la prévention de la
pollution maritime sont particulièrement
dynamiques (voir ci-contre). En moyenne, le gouvernement tunisien
consacre chaque année 100 millions
DR (85 millions $) à la réalisation de projets dans l’industrie de
l’environnement. Et pour l’année 2000, le
budget du ministère de l’Environnement est estimé à 70 millions DR
(plus de 59 millions $) en hausse par
rapport à 1999 (58,5 millions DR). Les entrepreneurs intéressés devront
toutefois solliciter des aides d’Etat
– de l’US Envi!ronmental Protection Agency ou des US Export Promotion
Agencies – s’ils veulent rivaliser avec leurs concurrents européens et leur
panoplie de subventions, d’accords
d’assistance technique gratuite et autres formules financières avantageuses.

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L'Humanité quotidien

13 Juin 2000 – SOCIETE

Chérif M’Hamdi : quatre mois de délai

pour le sans-papiers tunisien

Le tribunal de Toulouse remet en cause son expulsion. Il a été relâché. Mais il doit comparaître de nouveau le 13 octobre 2000. Le temps que la Cour européenne se prononce sur son cas. Analyse.

De notre correspondant

particulier.

Ovationné par quelque deux cents personnes, Chérif M’Hamdi, sourire jusqu’aux oreilles, lève le poing. Il est libre. Le tribunal correctionnel de Toulouse, qui siège en comparution immédiate, a reconnu le sans-papiers tunisien, militant des droits de l’homme, coupable de refus d’embarquer en avion vers la Tunisie (l’Humanité du 9 juin), mais – fait extrêmement rare -, il a ajourné la peine de trois mois de prison ferme et d’interdiction du territoire qu’il aurait dû appliquer, en attendant que la Cour européenne des droits de l’homme statue sur son cas. Juridiquement, c’est une première. Chérif, était en effet, sous le coup d’un arrêté préfectoral d’expulsion, validé par le tribunal administratif : son refus de se plier à une décision judiciaire constituait un délit. Que le juge lui ait accordé, malgré cela, trois mois de délai, en refusant de le mettre en prison constitue une sérieuse mise en cause du processus en cours. Il n’est pas ordinaire d’ailleurs qu’invités à tranc!her dans un débat juridico-politique des juges s’en remettent à une décision de la Cour européenne. Certes, comme le rappelle l’avocat du militant communiste tunisien, Me Ludovic Rivière, les juges auraient pu le relaxer. Ils en avaient les moyens. Ils n’ont pas eu cette audace, mais leur choix préserve l’avenir et donne à ce sans-papiers poursuivi pour ses opinions dans son pays, un espoir de rester en France. Il devra comparaître le 13 octobre prochain. D’ici là, cependant, sa présence sur le territoire national reste problématique et, en cas de contrôle d’identité, par exemple, il n’est pas à l’abri d’un nouvel arrêté de reconduite à la frontière. Son sort reste donc entre les mains de tous ceux qui l’ont soutenu jusqu’ici et refusent que ce militant puisse être livré à l’arbitraire d’un régime autoritaire.

Eric Dourel

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L'Humanité quotidien

13 Juin 2000 – SOCIETE

Une audience qui préserve l’avenir

Vendredi 9 juin. Dès 13 h 30, la salle du tribunal correctionnel de Toulouse dégouline de monde. L’ambiance est moite, la tension palpable. Militants, élus, artistes se pressent pour assister à l’audience. Le président interroge directement Chérif. Et met en exergue des éléments qui lui paraissent flous : le danger encouru en cas de retour en Tunisie, la demande de statut de réfugié politique, le fait qu’il soit retourné plusieurs fois voir sa famille… Le procureur général rentre en scène. Après quelques formules du style :  » Je comprends le désarroi de cet homme « , il demande clairement une reconduite à la frontière. Pas obligatoirement vers la Tunisie précise-t-il, manière d’admettre que l’accusé pourrait courir un danger. Mais il n’en tire pas la conclusion que la France devrait le protéger. Pour lui, le tribunal ne saurait  » se substituer à l’OFPRA, qui ne lui a pas accordé l’asile politique « .

La défense saisit la perche : Me Rivière rappelle que le TGI n’est pas habilité à se prononcer sur le renvoi éventuel de son client vers un autre pays, ce qui relève de la préfecture de la Haute-Garonne. L’avocat souligne aussi que le TGI peut reconnaître qu’il y a préjudice pour Chérif en cas de retour au pays et qu’il réunit donc les conditions d’un réfugié. Me Chambaret rappelle pour sa part que la Cour européenne des droits de l’homme a été saisie en urgence. Il met en avant le fait que le vice-président de la Fédération tunisienne des droits de l’homme (un des dix réfugiés politiques au monde à être adopté par l’ONU) connaît, soutient, et garantit que Chérif M’Hamdi est en danger en cas de retour sur les terres de Ben Ali. Il réclame la relaxe. Me Etelin interroge à son tour : » Peut-on exclure le risque que Chérif soit en danger, alors que les autorités tunisiennes l’attendent au coin du bois ?  » Le président sourit.  » Que va-t-on penser du tribunal correctionnel de To!ulouse si la Cour européenne enjoint le gouvernement français de ne pas l’expulser ?  » Il plaide à son tour la relaxe et suggère, en dernier ressort, un ajournement de la peine. La faille est ouverte et le tribunal s’en saisit. Chérif a quatre mois devant lui.

E.D.


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