25 mars 2006

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TUNISNEWS
6 ème année, N° 2133 du 25.03.2006

 archives : www.tunisnews.net


 La famille de Mahjoub Zayani arrête sa grève de la faim  AMRAD: La libération d’Omar Chlendi, détenu en Tunisie  Fathi Jerbi: Les vraies fausses réserves de change  Réalités: L’indépendance est mal partie…  Réalités: Dali Jazi : La Tunisie et la modernité, de Bourguiba à Ben Ali

 

Au nom de Dieu le tout puissant le très miséricordieux   Bizerte, le 24 mars 2006-03-25

La famille de Mahjoub Zayani arrête sa grève de la faim

 

A la suite de la visite de membres de l’Association internationale de défense des prisonniers politiques et d’un membre de la section de Bizerte de la LTDH, jeudi 23 mars 2006, venus s’enquérir de l’état des grévistes de la faim (le père et la mère de Mahjoub Zayani, écroué à la prison du 9 avril depuis avril 2005 par la chambre d’instruction), la famille a affirmé que : – L’interruption de la visite dès les premières minutes au parloir avec leur fils avait entraîné une dépression nerveuse chez la mère du prisonnier, souffrant par ailleurs de maladies chroniques, notamment cardiaques. – Les revendications de son fils qui avaient poussé ce dernier à faire grève, étaient des conditions décentes d’emprisonnement, d’autant qu’il souffre d’allergie et que les conditions à la prison du 9 avril ont fait empirer son état depuis l’année passée. –         Sa famille n’a trouvé d’autre moyen, pour soutenir les revendications de son fils et exprimer son refus des comportements indignes qu’elle a eu à supporter lors de la dernière visite, que la grève de la faim pour faire parvenir leur voix et celle de leur fils aux organisations et associations de droits de l’homme et humanitaires, et ce, en dépit des complications de santé que pourrait entraîner une telle décision sur des parents âgés de plus de soixante ans. –          Au terme d’une discussion avec les parents pour les dissuader de poursuivre la grève, après l’intervention du Docteur Sami Souaïli, membre de la section de la Ligue de Bizerte, qui a expliqué à la mère les dangers qu’elle encourait en interrompant sont traitement, puis d’un appel téléphonique de M. Lassaad Jouhri, membre de l’AISPP, ainsi que de M. Ali Ben Salem, Président de la section de Bizerte de la LTDH, les parents ont décidé d’arrêter leur grève, en espérant que les toutes les associations concernées par les droits de l’homme et les prisonniers interviennent pour leur fils.   (Source : forum Taht Essour de Nawaat du 25 mars 2006)   (Traduction ni revue ni corrigée par les auteurs de la version en arabe, LT)


Association de Radio Amateurs pour la Recherche, l’Education et le Développement AMRAD

 

www.amrad.pt

 

 

La libération d’Omar Chlendi, détenu en Tunisie

 

http://www.zarzis.org 

 du comité de soutien créé par Térésa Quintas (Portugaise émigrée en France et mère d’Omar Chlendi)

 

Le Comité de soutien aux prisonniers de Zarzis (Tunisie) a été créé à Paris à l’initiative de Térésa Chopin, la mère du jeune Omar Quintas. La députée européenne Hélène Flautre a accepté de présider cet organisme.

Le Comité a pour objectif de promouvoir des actions en faveur de la libération totale des sept jeunes prisonniers politiques condamnés à 19 ans d’emprisonnement par le gouvernement en Tunisie, notamment le Portugais Omar Quintas.

 

Au terme de plusieurs années d’actions sociales et politiques, les sept jeunes ont vu leurs peines réduites à 13 ans d’emprisonnement, simplement pour avoir utilisé Internet-ils auraient pu être de simples radio-amateurs.

 

Parmi eux, le jeune Omar Quintas est toujours en Tunisie, faute de passeport portugais qui lui permette de quitter ce pays.

 

L’appel de sa mère, Térésa Quintas, et de ses grands-parents portugais, est pour obtenir l’aide du gouvernement portugais, afin qu’il lui délivre un passeport national qui permette la libération totale de ce jeune fils d’une émigrée portugaise en France.

 

Le contact de Térésa Quintas Chopin, la mère d’Omar Quintas Chlendi, un des sept jeunes internautes torturés et détenus politiques par la gouvernement de la Tunisie, est :

E-mail : teresa@zarzis.org

 

 

24.03.06

 

(traduction ni revue ni corrigée par les auteurs de la version en portugais, LT)

 


 

A NE PAS MANQUER SUR « France 5 »

 

LE SAMEDI 25 MARS 2006 à 23h17 

REDIFFUSION LE DIMANCHE 26 MARS 2006 à 16h00

 

UN PRINTEMPS 56 L’INDEPENDANCE DE LA TUNISIE (Durée : 0h59)

 

 

 

Série documentaire en 2 épisodes de 52′ écrite et réalisée par Frédéric Mitterrand et produite par Electron libre productions, en association avec France 5.

 

2006. Le Maroc et la Tunisie célèbrent en 2006, à quelques jours d’intervalle, le cinquantenaire de leur indépendance. Une occasion unique de s’intéresser à l’histoire contemporaine de ces deux pays et de revenir sur les principaux événements qui ont mené à la victoire du nationalisme.

 

S’inscrivant dans le contexte du ‘ travail de mémoire ‘, les deux documentaires de Frédéric Mitterrand plongent le téléspectateur dans un passé commun et permettent de mieux comprendre les liens complexes qui unissent la France à ses ex-colonies.

 

L’indépendance de la Tunisie. Attribuée en 1878 au congrès de Berlin comme un ‘ lot de compensation ‘ à une France encore traumatisée par la perte de l’Alsace-Lorraine, la Tunisie n’a jamais eu l’importance stratégique de sa voisine algérienne.

 

Ce n’est donc que trois ans plus tard que la France se décide à prendre possession de ce petit territoire que Gambetta définit comme ‘ l’annexe nécessaire ‘ de l’Algérie. Mais l’emprise française sur la Tunisie va être rapidement contestée, car la revendication nationaliste se fait sentir dès 1907, avec le mouvement des Jeunes Tunisiens.

 

Dans les années 30, la lutte pour l’émancipation sera incarnée par un homme dont la destinée se confondra avec celle de son pays : Habib Bourguiba.

 

Après la Seconde Guerre mondiale, émeutes populaires, attentats nationalistes et anti-nationalistes se succèdent, jusqu’à ce que la fin du conflit indochinois et l’insurrection algérienne viennent favoriser l’accession de la Tunisie à l’indépendance.

 

 

Le mardi Mardi 28 mars 2006 à 15h46

Rediffusion le jeudi 30 mars 2006 à 15h46

 

 

TUNISIE, HISTOIRE DE FEMMES (Durée : 0h51)

 

Documentaire de 52′ écrit par Nicolas Daniel et Feriel Ben Mahmoud, réalisé par Feriel Ben Mahmoud, et produit par Alif Productions, avec la participation de France 5 du CNC, et avec le soutien du Fonds Francophone Audiovisuelle du sud,et du Fonds d’action et de soutien pour l’intégration et la lutte contre les discriminations. Production : Mohamed Charbagi et Catherine Bernadet. Production exécutive : Habib Bel Hédi. Narration : Nicolas Daniel.

 

2005. Cinquante ans après l’indépendance et la promulgation du Code du statut personnel, ce documentaire livre un état des lieux de la condition des femmes en Tunisie.

 

Même si leur statut a évolué et que leur destin leur appartient de plus en plus, il reste encore une ”zone grise” où cohabitent à la fois des droits acquis, et un contexte très marqué par la religion et le poids des traditions arabo-musulmanes.

 

Si la question de la virginité et du concubinage ne se pose pas de la même manière pour une jeune fille issue d’un milieu urbain, bourgeois et occidentalisé que pour une jeune fille originaire d’un milieu rural, ce sont les structures sociales et les mentalités, plus particulièrement celle des hommes, qui doivent évoluer pour que les droits des femmes tunisiennes soient respectés et qu’il n’y ait pas régression à l’heure de l’après 11 Septembre où la question de l’identité musulmane s’est globalisée.

 

 

Le Lundi 3 avril 2006 à 19h59

 

BOURGHIBA, LE COMBATTANT SUPREME  (Durée : 0h52)

 

Documentaire de 52′ réalisé par Patrick Cabouat et Guy Darbois, et coproduit par La Cinquième/Arts Maillot Productions, avec le concours du CNC. Production déléguée : Patrick Cabouat et Renaud Samakh. Narration : Gérard Dessalles.

 

1999. Habib Bourguiba est l’homme de la Tunisie moderne. Le pays acquiert son indépendance en 1956 et devient l’année suivante une République dont il est élu président en 1959.

 

Ce pays arabe et musulman va connaître une succession de réformes qui vont moderniser la société, et fait unique, les droits civiques des femmes sont inscrits dans la constitution.

 

A l’inverse, le pays adopte un régime de parti unique et la présidence à vie, une évidence pour Bourguiba.

 

Cet avocat de formation va devoir lutter contre les influences étrangères notamment celles de la France, mais aussi contre ses grands voisins que sont l’Algérie et la Libye.

 

Au niveau interne, la crise économique des années 80 ébranle l’omnipotence de Bourguiba. Celui-ci mène son dernier combat contre la montée de l’intégrisme religieux.

 

En 1987, quand il est destitué pour des raisons médicales, Ben Ali, son premier ministre, prend en main les destinées de la Tunisie.

 

(Source : www.france5.fr )


Les vraies fausses réserves de change

Par Fathi Jerbi Selon les rapports de la Banque centrale de Tunisie, « Les réserves en devises se sont élevées au 23 février 2006 à 5.665 MDT, soit l’équivalent de 118 jours d’importation contre 4.638 MDT et 105 jours une année auparavant. Les réserves en devises ont clôturé l’année 2005 à 5.872 MDT, soit l’équivalent de 124 jours d’importation. Au 23 janvier 2006, elles se sont situées à 5.766 MDT ou 121 jours ». Ce que vous devriez savoir C’est que tous les rapports du FMI sur la Tunisie pointent fréquemment le gonflement des réserves extérieures par le recours au crédit international et à l’endettement. Sans cesse, et en vain les administrateurs du FMI préviennent contre le recours continu aux emprunts extérieurs uniquement dans le but de gonfler les réserves extérieures et suggèrent que l’adéquation de réserves internationales doit être jugée par rapport à l’endettement à court terme plutôt que seulement par rapport aux importations. Logique; car la mise en réserve de monnaies étrangères ne peut provenir que des excédents de la balance des opérations courantes ou balance des paiements courants (current account), et non de l’endettement extérieur. Logique; car la constitution des réserves en monnaie étrangères, pour un pays endetté, doit obligatoirement servir à honorer ses engagements (ses dettes) financiers et commerciaux à court terme. (acid test ou quick ratio). Logique enfin; que l’évolution des réserves de change est loin d’être régulière et en hausse continue (comme cela est présenté dans tous les rapports de la Banque centrale de Tunisie). Elle est fortement corrélée à l’évolution du solde de la balance des paiements courants et au volume de remboursement des dettes extérieures à court terme (ou arrivant à maturité). De cette logique les responsables de la politique économique et financière du régime tunisien n’en ont cure. Ayant pris l’habitude- sans être inquiétés par une Cour des comptes ou par une Chambre des députés- à une gestion malsaine et non transparente des affaires, au rafistolage des comptes internes de la nation, ils ne se privent pas de faire de même avec les comptes externes de la nation. Dès lors qu’ils ne sont pas en mesure : • de résorber les déficits chroniques de la balance des paiements courants du fait de la lenteur et la faiblesse de la croissance de l’économie; • de réduire, voire décélérer la croissance de l’endettement extérieur du fait de la faiblesse de l’épargne et des investissements intérieurs et extérieurs …; • de contrôler la dépréciation du dinar du fait de l’impact conjoint d’un surendettement extérieur et d’une forte inflation. • de remédier à la situation de précarité et de fragilité structurelle de l’économie. De la perte constante de la compétitivité internationale de l’économie. De la volatilité des taux de croissance : la brutale récession en 2002, avec une contraction ou plutôt un écroulement du PIB réel de +63 % (passant de 4,7 % en 2001 à 1,7 % en 2002 selon les chiffres officiels). Les responsables de la politique économique et financière du régime tunisien ne peuvent, en l’occurrence, financer les dites réserves de change que par le recours aux crédits débloqués et libérés par les créanciers (court terme). Les responsables de la politique économique et financière du régime tunisien ne peuvent, en l’occurrence, que s’appuyer sur les rares disponibilités de réserves de change pour permettre la défense du taux de change en cas de chocs exogènes et conserver une certaine marge de manœuvre sur leur petit pré carré de politique intérieure. Quant aux engagements commerciaux, c’est à dire les importations de l’année , comme c’est d’usage, sont généralement financés par des dettes à court terme, financières ou non financières. Question légitime Pourquoi les bailleurs de fonds sont ils si indulgents envers les responsables de la politique économique et financière du régime tunisien qui s’entêtent encore à présenter formellement le ratio « réserves de change/importations » au lieu, comme c’est l’usage, de présenter le ratio « réserves de change/dettes à court terme» qui est de loin plus significatif et économiquement plus visible ? Réponse simple C’est qu’en incitant les responsables de la politique économique et financière du régime tunisien à accepter formellement des obligations découlant de l’article VIII des Statuts du FMI qui consisterait à abandonner le régime de parité glissante (“crawling peg”) au profit d’un régime de taux de change flottant, les experts du FMI savent pertinemment qu’à court et long terme la dépréciation du dinar tunisien serait inévitable. Que le taux de change ne serait plus en mesure d’absorber les chocs exogènes asymétriques provenant de tout ou partie des zones monétaires, notamment la zone Euro. Que compte tenu des insuffisances de mobilité du travail et dans une moindre mesure du capital, tout choc asymétrique ne pourra se traduire, dans le cas de la Tunisie, que par un déséquilibre de la balance des paiements et se transmettre à l’économie interne par un nécessaire ajustement à la baisse de la demande interne et donc de la croissance et de l’emploi . C’est qu’en incitant les responsables de la politique économique et financière du régime tunisien à libéraliser les échanges, éliminer les distorsions à la libre circulation des biens et services et réduire la protection extérieure, les experts du FMI savent pertinemment que l’impact sur la compétitivité de l’économie tunisienne serait négatif . Que l’économie tunisienne n’étant pas largement autosuffisante, toute ouverture fera progresser les importations (la demande de devises), accélérer la déstructuration de l’appareil productif et pénaliser ainsi les exportations. Que le pays ne peut réagir qu’en dévaluant régulièrement le dinar (l’arme du faible). Que le pays n’a d’autres possibilités que de s’appuyer sur la disponibilité de réserves de change pour permettre la défense du taux de change au lieu de recourir au remboursement anticipé d’une partie de sa dette extérieure que recommandent hypocritement les experts des institutions financières internationales. Sachant cela et bien d’autres artifices dont les responsables de la politique économique et financière du régime tunisien sont passés maîtres , les experts des institutions financières internationales, en tant que coresponsables et équipages naviguant à vue de la même barque économique ne peuvent pas exiger plus de sérieux et de rigueur dans la présentation des indicateurs économiques et monétaires. L’important pour ces experts est que les responsables de la politique économique et financière tunisiens doivent leur faire confiance. Ils doivent appliquer sans réticences et sans réserves leurs recommandations et leurs conseils notamment ceux relatifs au code de conduite fixé par le consensus de Washington : austérité budgétaire, privatisations massives, ouverture de l’économie aux investisseurs étrangers, instauration du régime du taux de change flottant et ouverture du compte capital. Comme les experts de ces institutions financières internationales sont des bureaucrates, des fonctionnaires qui confondent les fins et les moyens et qui ont appris à fermer les yeux, à se taire et surtout à faire taire leurs consciences. Ce qui n’est pas, après tout, si terrible, surtout si l’on songe aux bénéfices appréciables qui en découlent. Comme entre grands bureaucrates qui excellent à tourner à leurs avantages leurs moindres défauts, leurs pires échecs, leurs plus ridicules recommandations, on se comprend bien, le fait d’accepter les conseils n’engage en rien. L’important pour les bureaucrates tunisiens est qu’il faut renflouer les caisses vides, continuer à libérer les fonds. Quant aux bureaucrates experts du FMI ou autres Banque Mondiale, l’important est surtout pérenniser l’assistance et la mise sous tutelle de l’économie tunisienne. Et comme disait l’ex-président de la Banque Mondiale et Prix Nobel d’économie en 2001, Joseph Stiglitz : « qui a vu la situation économique d’un pays s’améliorer après le passage du FMI ? Et c’est bien là que le bât blesse : quand les politiciens ont ruiné un pays, le FMI est supposé prêter de l’argent pour stabiliser les finances, permettre de réorganiser le secteur financier, de revoir le fonctionnement de l’Etat. Mais qu’arrive-t-il en réalité?… les institutions politiques corrompues restent en place, et le pays n’est pas plus libre qu’avant, donc pas en mesure de sortir de la crise, d’assainir les finances. De toute façon, pourquoi assainir le système, si à chaque crise le FMI renfloue les caisses ? Le FMI précipite donc l’inévitable crise causée par l’incurie des dirigeants, et les gens sont encore plus dans la misère. Les gagnants ? Les banques, les fonctionnaires du FMI, les ministres divers…».

 

(Source : Le site de  « Kalima »  mis en lingne le 19 mars 2006)


 

L’indépendance est mal partie…

Boubaker AZAIEZ

 

 C’est bizarre pour un peuple qui en a tant rêvé et qui s’est dépensé parfois sans compter pour, croyait-il, l’arracher.

 

Les scouts s’étaient même inventé des montagnes pour en faire s’élever la voix des hommes libres les exhortant à l’arracher, dûssent-ils y laisser la vie. Mais c’était ignorer la réalité du monde de l’après deuxième guerre mondiale, cette catastrophe qui n’a point été soufflée par le ciel aux hommes ; elle leur fut dictée par les diables d’entre eux qui persistent à demeurer terriblement nocifs et surtout dangereux.

 

Les Tunisiens en ont beaucoup souffert, surtout au XIXème siècle, période pendant laquelle ils eurent à souffrir les folies de princes à qui le principal, l’intérêt général, échappait. Certains d’entre eux allèrent jusqu’à le monnayer pour garder un pouvoir qui ne pouvait que pressurer le peuple. Bref, conséquemment à ces deux guerres mondiales dévastatrices, le pouvoir mondial passa entre les mains des Américains qui, du fait de la richesse de leur territoire, parvinrent à dominer le monde. A nouveaux maîtres, nouvelle méthode…

 

Le colonialisme gestionnaire laissa la pièce au commercial qui, lui, bien qu’apparemment libéral, n’était pas moins contraignant et surtout dominateur…

 

Cette conception nouvelle de la gestion du monde hâta l’émergence, çà et là, d’indépendances nouvelles. En ce qui concerne la nôtre, nous n’attendîmes pas la catastrophe mondiale de 1939-1945 pour la revendiquer. Dès 1904, des Tunisiens manifestèrent leur désir, voire leur volonté, de gérer eux-mêmes leurs propres affaires.

 

Mieux encore, ils le soulignèrent plus d’une fois de leur sang. Leur long combat débouchera en 1955 sur l’autonomie interne de la Tunisie, rehaussée par le retour triomphal du “leader” (1). Ce jour-là nous nous sentîmes non seulement libres, mais aussi maîtres chez nous. C’était formidable… Aussi, nous nous mîmes très vite au travail responsable.

 

C’est-à-dire celui de la construction, une tâche bien loin d’être aisée… Nous nous acquittâmes pour la plupart assez dignement de notre nouvelle mission, mais c’était sans compter avec des ambitions, somme toute humaines, mais que les travailleurs amants de l’effort serein et fécond ignoraient…. On en était là lorsque deux mois à peine après le retour triomphal du Combattant Suprême, Salah B. Youssef, le grand leader et le secrétaire général du Néo-Destour retourne à son tour au bercail et, sans tarder, il condamne clairement et rudement l’autonomie interne, la qualifiant de “pas en arrière”.

 

Le différend Bourguiba Ben Youssef se transforma très vite en combats sanglants et surtout en règlements de compte qui “causèrent, affirma-t-on, plus de morts que n’en causa la lutte pour la libération nationale” (2).

 

Déçus, des Tunisiens en devinrent bien amers, et ce malgré le sang- froid et le calme qui continuaient à régner dans les rangs de l’UGTT et des organisations scoutes.

 

En janvier 1956, Ben Youssef, conseillé par des chefs “destouriens”, quitta sans aucune difficulté la Tunisie.

 

Le 2 mars 1955, le Maroc accéda à l’Indépendance. Celle de la Tunisie ne pouvait plus attendre : Français et Tunisiens s’entendirent pour la proclamer le 20 mars 1956.

 

Contrairement à toute logique, la nouvelle ne provoqua ni débordement ni grand rassemblement, ni ne souleva d’enthousiasme excessif. Les artères principales de Tunis n’étaient pas à mon avis ce jour-là plus animées que d’habitude, et la joie débordante était quasiment absente, du moins sur les nombreux visages que je m’étais employé à croiser… Pourquoi ? Etait-ce à cause du différend sanglant entre “Bourguibistes” et “Youssefistes”. Etait-ce parce que le 1er Juin le Peuple de Tunis avait épuisé toutes ses réserves de joie ?

 

Une chose est certaine, cette “économie” d’enthousiasme, de la part d’un peuple qui voit se réaliser un rêve qu’il n’a cessé de caresser depuis soixante ans, amène droit à conclure que l’Indépendance est une chose et la maintenir indépendante en est une autre… tant cela exige, surtout de la part des responsables, de désintéressement et de bon sens. Les Ghandi, les Churchil, les De Gaulle, bien que partis, sont toujours là pour servir de modèle et faire oublier tous les reptiles. “Vaste programme !” se serait écrié le Grand Charles… !

 

Empressés, ces invertébrés avaient l’échine souple, d’ailleurs nous en avons vu la preuve au VIème Congrès de l’UGTT (21 septembre 1956 au Palmarium de Tunis), un congrès sur lequel les travailleurs fondèrent tant d’espoirs, mais qui se termina malheureusement en queue de poisson, tant les appétits télécommandés y étaient grands, ouvrant la voie pendant presque vingt ans à des illégalités et des irrégularités irritantes. Dommage !

 

 

(1) C’était ainsi qu’on appelait Bourguiba.

 

(2) Affirmation de feu Tahar Amira.

 

(Source : « Réalités » N° 1055 du 23 mars 2006)


 

Dali Jazi :

La Tunisie et la modernité, de Bourguiba à Ben Ali

 

Il n’est pas aisé de faire dans une interview le bilan de cinquante ans d’indépendance. Mais le président du Conseil Economique et Social, Monsieur Dali Jazi, a plus d’une corde à son arc.

 

Homme politique de premier plan —dans l’opposition et au gouvernement—, juriste et politologue de profession, Dali Jazi fait ressortir la quintessence des grandes réformes et les faiblesses aussi, de la Tunisie de ces cinquante dernières années. Le fil rouge étant toujours la modernité tant rêvée et ensuite servie par les militants et les dirigeants de la Tunisie indépendante.

 

Jeune adolescent, quels souvenirs gardez-vous de la marche de la Tunisie vers l’Indépendance?

 

A l’indépendance du pays, j’étais un jeune adolescent. Etant né dans un milieu familial culturellement ouvert d’esprit et sensible au patriotisme, j’ai beaucoup de souvenirs de cette époque qui avait représenté énormément pour moi, ma famille et tous les Tunisiens, qui attendaient de l’Indépendance un climat politique nouveau, mais surtout un développement du pays qui allait permettre la réalisation de toutes ces espérances accumulées par des années de combat.

 

L’un de mes souvenirs politiques les plus marquants a été la mort de Moncef Bey. J’ai le souvenir très précis de mon père dans un grand état d’excitation. Il était venu à Tunis pour assister à ses funérailles et à son retour à Nabeul il n’a cessé de nous parler de ces funérailles extraordinaires et du Bey martyr et populaire qu’a été Moncef Bey. Il y a bien sûr aussi le retour de Bourguiba, tout à fait exceptionnel. L’acte fondateur de l’Indépendance a été certes signé le 20 mars 1956 mais la manifestation populaire de l’Indépendance tunisienne a été, sans conteste, le retour de Bourguiba le 1er juin 1955.

 

De ce point de vue-là, je considère, cinquante ans après, que ceux qui ont mené la Tunisie dans la lutte nationale, dans la conclusion de l’Indépendance et la reconstruction de l’Etat tunisien, n’ont pas déçu. Le mouvement destourien a été une école de pensée, de formation du sentiment patriotique et un cadre d’enracinement de la jeunesse tunisienne dans son histoire et son patrimoine.

 

Notre pays est situé au point de resserrement de la Méditerranée entre l’Afrique et l’Europe, entre l’Est et l’Ouest. Cette position géographique nous a donné une histoire de trois mille ans particulièrement brillante. Notre pays a fait une grande partie de l’histoire de la Méditerranée.

 

C’est pour cela que nous avons toujours eu un grand rayonnement en Afrique et dans le Monde arabe.

 

Plus généralement, comment analysez-vous aujourd’hui les conditions historiques et politiques qui ont permis l’avènement de l’Indépendance?

 

La Tunisie a obtenu son Indépendance le 20 mars 1956. Permettez-moi de vous dire que ce n’était pas le fruit du hasard. Déjà en 1881, quand la France a envahi la Tunisie, il s’est développé une résistance armée à Gabès, à Sfax, dans les zones tribales à la frontière algérienne. Il y a eu une résistance politique et intellectuelle à l’occupation française dès 1891, notamment par le combat d’un grand intellectuel et d’un père du nationalisme tunisien comme le fut Ali Bach Hamba.

 

En Tunisie, en fin de compte, rien n’a jamais été extrême. Il y a eu une résistance armée, un combat politique, mais tout s’est fait dans la modération ou d’une façon épisodique. Tout cela constitue les sources de l’Indépendance de la Tunisie. Le contexte international avait, aussi, beaucoup aidé à cela. Après la deuxième guerre mondiale, la Charte des Nations Unies, créées en 1945, et la Déclaration universelle des Droits de l’Homme en 1948 avaient posé des principes nouveaux.

 

Le Président des Etats-Unis, Wilson, avait fait des promesses au monde qui avaient fait naître l’espoir dans tous les pays soumis à la domination étrangère. Le principe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes a été un nouveau ressort qui a permis à la lutte de libération nationale de reprendre un nouveau souffle. La France, elle-même, avait contribué de façon indirecte à l’Indépendance de la Tunisie. La France de la Quatrième République était une France malade. Les gouvernements duraient ce que durent les roses, l’espace d’un matin.

 

Quels impacts sur la Tunisie?

 

Le développement de cette instabilité dans la vie politique française ne pouvait pas ne pas avoir d’effets sur les pays soumis à son protectorat. La France a aussi subi de grands revers militaires en Indochine, notamment avec la défaite de Dien Bien Phu, ce qui a amené un homme particulièrement génial dans l’histoire de la vie politique française, Pierre Mendès France, après avoir conclu à Genève la paix avec l’Indochine, à venir rapidement à Tunis prononcer un discours devant Lamine Bey le 31 juillet 1954, pour proclamer le droit de la Tunisie à l’autonomie. A ce moment-là l’histoire s’était accélérée : l’autonomie interne, le 3 juin 1955, et l’Indépendance de la Tunisie, le 20 mars 1956. Hélas ces années-là ont été marquées par un conflit interne à la Tunisie et plus précisément encore au Néo-Destour. Il y avait ceux qui considéraient l’autonomie interne comme un pas en arrière et ceux qui considéraient que c’était un pas en avant vers l’Indépendance totale. Il y a eu, en fin de compte, le grand déchirement entre Bourguiba et Ben Youssef dans une lutte, sans merci, pour la prise du pouvoir. Ce conflit a laissé de grandes traces qui n’ont été définitivement effacées, à mon sens, qu’après le 7 novembre 1987, quand le Président Ben Ali a réhabilité Ben Youssef et les Yousséfistes et l’a décoré, à titre posthume, du Grand Cordon de l’Ordre de l’Indépendance et fait rapatrier sa dépouille pour l’enterrer dans le carré des martyrs. Il a permis à d’autres militants en exil de finir leurs jours en Tunisie…

 

Enfin, comment ne pas évoquer avec respect la mémoire de Tahar Ben Ammar, Premier ministre, Mongi Slim et Si Laziz Jellouli, ministres d’Etat. Ce furent les acteurs de la dernière heure et de très grands patriotes. L’Indépendance de la Tunisie, c’est aussi le courage de Moncef Bey, roi-martyr de la cause nationale. C’est également l’inlassable dévouement patriotique de son Premier ministre, Si M’hamed Chenik. Car, il ne faut pas l’oublier, le moncéfisme a été une composante du nationalisme qui a évité la marginalisation du Néo-destour au temps de la répression. L’Indépendance, c’est enfin les mémoires de Pierre Mendès France et d’Alain Savary qui ont eu une brillante vision post-coloniale et une grande amitié pour la Tunisie. Pour ces deux-là, le Néo-Destour et Bourguiba ont toujours eu un profond respect.

 

Que retiendra l’histoire, selon vous, de ce demi-siècle d’Indépendance?

 

Cinquante ans après, on peut analyser les choses autrement, au-delà des souvenirs personnels.

 

Je voudrais, en tant que politologue et juriste, faire un peu abstraction de mes engagements personnels pour essayer d’analyser ces cinquante ans.

 

Que voulez-vous dire par engagement personnel?

 

Je suis entré au parti Néo-Destour en 1963. Je l’ai quitté en 1971 à la suite du Congrès de Monastir. Quelques années après, en 1978, j’ai fait partie du groupe fondateur du Mouvement des Démocrates Socialistes. Nous avions jugé que le régime de Bourguiba était en train de dévier de tout ce qui avait constitué les principes du Néo-Destour et des principes du mouvement culturel et politique qu’a été le Destour. La situation politique du pays s’est gravement dégradée. Après le 7 novembre 1987, j’ai fait partie de ceux qui ont considéré que le Président Ben Ali, dans sa Déclaration du 7 Novembre, a réhabilité toutes les revendications qui étaient les miennes et tous les principes auxquels j’étais attaché. On était à la veille d’une ère nouvelle qui allait apporter des réponses à nos angoisses des dix-sept dernières années, de 1970 à 1987. J’ai trouvé qu’il était tout à fait naturel de me joindre au Président Ben Ali, puis au RCD, pour faire partie de cette évolution. Cela est mon engagement personnel. Mais, par delà cela, je suis politologue et juriste de profession. J’ai été pendant dix-neuf ans professeur agrégé de droit public. J’ai le plaisir de voir que beaucoup de nos ministres, ambassadeurs et hauts cadres ont été, par le fruit du hasard, mes anciens étudiants. Alors je me dois d’avoir un peu de recul pour analyser ces cinquante dernières années.

 

Que doit-on retenir de ces trente première années ?

 

Les trente premières années de l’Indépendance ont été caractérisées par trois facteurs positifs essentiels dont nous vivons encore aujourd’hui les bienfaits.

 

En 1958, le Président Bourguiba avait décidé, avec une pléiade de hauts cadres, du ministère de l’Education nationale, tous d’anciens Sadikiens (ce qui souligne encore le rôle du Collège Sadiki dans l’histoire de la Tunisie depuis sa création en 1875) de créer un système éducatif généralisé, à la fois ouvert aux garçons et aux filles dès l’âge de six ans.

 

De 1958 à nos jours, cela a incontestablement ouvert des portes extraordinaires devant la soif des jeunes Tunisiens et de leurs familles d’accéder à l’éducation.

 

Cet effort de scolarisation a permis de réaliser la profonde aspiration des Tunisiens à l’éducation et de doter le pays des cadres dont il avait besoin. Ainsi, la Tunisie peut se prévaloir, aujourd’hui d’avoir 99,99% de ses enfants scolarisés, de façon quasi- égale pour les enfants des deux sexes.

 

Le deuxième facteur a été ce que l’on appelle communément la libération de la femme par l’adoption d’un Code du Statut Personnel réellement révolutionnaire et la mise en place d’une politique de planification familiale audacieuse.

 

En fin de compte, le 13 août 1956, moins de cinq mois après la conclusion de l’Indépendance de la Tunisie, Bourguiba était beaucoup plus pressé de réformer la société que de réformer le système politique. Une monarchie qui avait 250 ans et 19 monarques, mais en fait un seul Bey populaire : Moncef Bey . Vouloir la bousculer et lui substituer une république était en fait une chose aisée. Il lui a semblé, à juste titre, qu’il était plus urgent de s’attaquer à la réforme de la société qu’à celle du système politique.

 

Ainsi, une des premières mesures prises par l’Etat national renaissant a concerné la condition de la femme. Le nouveau Code du Statut Personnel, ainsi que les textes juridiques qui l’ont complété, ont instauré, pour l’essentiel, l’abrogation de la polygamie, le mariage civil obligatoire, la suppression de la répudiation au profit du divorce par voie judiciaire . Il a introduit des modifications concernant la garde des enfants et la pension alimentaire. Il a ainsi, équilibré le rôle des époux dans la conduite des affaires de la famille. Il a fallu un grand courage politique pour le faire . La preuve : la Tunisie demeure encore, hélas, le seul pays arabe et musulman à avoir un code de cette qualité, qui avait révolutionné à ce moment-là la société et la famille, mais qui aujourd’hui paraît comme une chose tout à faire naturelle dans notre quotidien.

 

Ce code nouveau a permis à la famille de s’épanouir, notamment par l’adoption d’autres mesures telle qu’une politique de planification familiale et la limitation des indemnités familiales à un nombre d’enfants déterminé pour inciter les familles à s’en tenir à un cadre familial relativement restreint. Si Bourguiba avait attendu plus longtemps, il n’aurait pas pu le faire. S’il avait voulu faire un référendum, il l’aurait perdu.

 

Un autre dirigeant du Néo-Destour aurait-il pu faire ce qu’a fait Bourguiba ?

 

Pour le Code du Statut Personnel, je ne le crois pas. Il fallait avoir ce courage politique et cette vision exceptionnels. De plus, le CSP a une histoire qui n’est connue que de quelques initiés. A l’indépendance, Bourguiba est devenu premier ministre en avril 1956. Il avait dans son gouvernement un certain nombre de jeunes, notamment M. Ahmed Mestiri au ministère de la Justice.

 

Ahmed Mestiri est venu un jour lui parler d’un projet de Code de la famille qui avait été élaboré jadis par le Mufti Abdelaziz Jaïet avec Othman Kaak. Le Cheikh Jaïet n’a pas pu voir aboutir son projet. Quand M. Mestiri a été nommé ministre de la Justice, son oncle, M. Moncef Mestiri, qui appartenait au Vieux Destour, et qui n’était pas en très bons termes avec son neveu parce qu’il faisait partie des jeunes loups du Néo-Destour, était allé quand même le féliciter et lui a remis ce code, élaboré par Cheikh Jaïet, qui n’était, en fin de compte, qu’une compilation des jurisconsultes malékites et hanafites sur le statut de la famille. Il avait demandé à son neveu, si l’occasion lui était donnée, d’essayer de reprendre ce projet de code. Quand Ahmed Mestiri en a parlé à Bourguiba, celui-ci a sauté sur l’occasion et lui a dit : “Mais on va faire un code de la famille”. Si Bourguiba a repris à son compte l’idée d’un code de la famille tel que l’imaginait jadis Cheikh Jaïet, il en a bouleversé tout le contenu et c’est là qu’il s’est mis à définir les axes nouveaux qui ont été ceux du CSP par la suite.

 

Les rédacteurs du CSP, pendant les jours et les nuits qui ont précédé le 13 août 1956, étaient MM. Ahmed Mestiri et deux magistrats de son cabinet, Hamadi Ben Slama et Mahmoud Annabi.

 

Sur certains points, et sans divulguer la nature de leur projet, quand ils voulaient vérifier la compatibilité entre le futur code et les dogmes de l’Islam, ils demandaient l’avis du Cheikh Fadhel Ben Achour. Ce qui fait que le CSP, à la minute où nous en parlons, est tout à fait conforme aux règles de l’Islam.

 

Seulement l’Islam est tellement divers et varié dans les dogmes , les rites et les interprétations des uléma qu’en fin de compte on peut y trouver tout ce qui vous convient, à la condition de savoir ce que vous voulez. Et quand vous savez ce que vous voulez, vous y trouvez la disposition et la justification pour dire que c’est parfaitement conforme à l’Islam. C’est ce qui a été fait pour le CSP. Et il n’y avait que Bourguiba pour avoir le courage politique de le faire.

 

Et à part la généralisation de l’enseignement et la libéralisation de la femme?

 

Le troisième facteur, c’est l’enracinement dans la conscience des Tunisiens des valeurs de progrès et de modernité. J’attache beaucoup d’importance à cet aspect des choses, parce que la vie des peuples ne consiste pas seulement à naître et mourir, à recevoir une instruction et travailler. C’est aussi acquérir une formation intellectuelle et spirituelle qui guide leur vie, qui guide leurs pas. En fait ces valeurs de progrès et de modernité, au cours des trente premières années de l’Indépendance, ont constitué l’essentiel du discours politique dominant, véhiculé par une élite au pouvoir issue du prestigieux Collège Sadiki— fondé par Kheireddine à la fin du XIXème siècle— mais élite formée également dans des universités françaises. Ces valeurs ont été au centre d’une éducation sociale qui a donné au pays une élite particulièrement éclairée. Et les choix faits pendant les trente premières années en matière d’éducation, de santé, de culture ont été des choix fondamentaux pour la Tunisie.

 

Que pensez-vous de la politique religieuse de Bourguiba? Est-il allé trop loin ou pas assez?

 

Bourguiba a osé. Il a osé combattre, surtout, tous les archaïsmes. Attention, Bourguiba n’a pas combattu l’Islam, mais les archaïsmes qui étaient liés à l’Islam, ou l’utilisation qui a été faite de l’Islam dans la société. Il a combattu le maraboutisme, l’obscurantisme et la violence au nom de l’islam. C’est vrai, Bourguiba a incité les gens, pendant le mois de Ramadan, à ne pas jeûner pour ne pas entraver l’action de développement. Il est peut-être allé un peu loin, mais il n’a jamais forcé personne à manger. L’essentiel était que ceux qui jeûnaient aient la force, par ailleurs, de produire suffisamment pour que l’action de développement continue. Bourguiba n’a jamais démoli une mosquée. Au contraire il ne s’en est jamais autant construit que lorsqu’il était Président de la République. Bourguiba a combattu tous les mythes qui étaient des déviations par rapport au corpus réel de la religion. Laissons ce qu’a fait Bourguiba et parlons d’aujourd’hui.

 

Mais il n’ y a pas eu que des acquis positifs lors du règne de Bourguiba…

 

Malheureusement toutes ces réformes fondamentales, de grande portée pour l’avenir du pays, qui ont été d’une perspicacité rare, ne doivent pas occulter l’envers de la médaille.

 

Culte de la personnalité, pouvoir personnel, parti unique, présidence à vie, procès politiques, intolérance, guerre de succession ont mené le système politique, le grand âge aidant, vers le naufrage. De Gaulle a dit un jour : “La vieillesse est un naufrage”.

 

Le 7 novembre 1987, le Président Ben Ali, en bon destourien, c’est-à-dire en bon lecteur de la Constitution, a appliqué la disposition qui faisait du Premier ministre le successeur du Président de la République en constatant la vacance du pouvoir.

 

Quel est l’apport du Président Ben Ali à ce grand mouvement de réformes entamé dès 1956 ?

 

La première leçon qu’a donnée le Président Ben Ali est une leçon de maturité politique jusque-là inconnue ou refoulée. Cette maturité s’est révélée à l’occasion d’une première succession à la Présidence de la République que tout incitait à craindre. Et c’est dans le respect de la légalité constitutionnelle et avec une rare civilité que le passage à la nouvelle République s’est effectué. Cet épisode récent de notre vie nationale est incontestablement la marque d’un pays qui a de grands acquis de civilisation.

 

En outre, la Déclaration du 7 Novembre a répondu aux attentes d’une société en quête de changement : Démocratie, pluralisme, Droits de l’Homme, liberté, élections…sont devenus des maîtres mots du nouveau discours politique, de nouveaux choix de société politique.

 

Depuis le 7 novembre 1987, ayant été moi-même de très près associé à l’action du Président de la République, je pourrais dire quelles ont été les réformes chocs entreprises par le Président Ben Ali qui resteront dans son œuvre comme n’étant pas moins importantes que celles faites par Bourguiba. En s’additionnant aux trente premières années de Bourguiba, elles font, en fin de compte, les cinquante ans de l’indépendance de la Tunisie.

 

Je voudrais retenir à l’avantage du Président Ben Ali une idée majeure, c’est celle d’avoir eu le courage de tenir en échec le fondamentalisme religieux et l’action terroriste qui en est souvent l’_expression.

 

Si Bourguiba a eu le courage de promulguer le CSP pour affirmer une modernité et s’opposer à tous les archaïsmes passés de la société, Ben Ali a eu un courage non moins important en s’opposant au fondamentalisme religieux. Il a voulu de cette façon préserver l’essence de l’Islam de toute altération ou utilisation partisane, mais il a voulu aussi sauvegarder la sécurité des personnes et des biens sans laquelle rien ne peut être construit : développement économique et justice sociale pour réaliser la croissance tout en résorbant la pauvreté, la marginalité et l’exclusion ; accès au savoir et à une éducation privilégiant la modération, l’ouverture, la tolérance et l’esprit de juste milieu. Le Président Ben Ali a voulu que le Pouvoir relève du droit et des principes démocratiques et républicains et qu’il ne soit pas dicté a partir des mosquées, comme on était en train de le voir, à ce moment là, un peu partout dans le monde : les mollahs qui gouvernaient en Iran, les Taliban en Afghanistan, les médersas au Pakistan, les jusqu’auboutistes d’Al Azhar et d’ailleurs. Que Ben Ali intervienne pour stopper cette dérive, cela était un acte salutaire.

 

En quoi réside exactement le danger du fondamentalisme islamique?

 

Il y a des lectures de l’Islam qui conduisent à la négation même de cette religion. Quand on voit ce qui s’est passé en Algérie pendant dix ans où près de deux cent mille personnes ont été tuées au nom de l’Islam! Ce sont des gens qui, dans une ignorance totale, ont utilisé l’Islam pour commettre le pire banditisme. Le fanatisme que l’on voit s’exprimer en Afghanistan, au Pakistan et dans d’autres pays encore, est-ce qu’il est une application des préceptes religieux? Ce ne sont que de l’intolérance et des conflits d’intérêts liés au pouvoir et à son exercice. Je crois qu’en Tunisie nous sommes d’accord pour considérer que chaque fois que l’on veut utiliser la religion à des fins politiques pour accéder au pouvoir ou pour le conserver, c’est toujours pour conduire au pire obscurantisme et aux pires violences. L’Islam est une croyance, une spiritualité, une civilisation qu’il ne faut pas laisser instrumentaliser par quelques illuminés, ou pis encore beaucoup d’ignorants, pour devenir une arme de combat politique ou une arme tout court pour tuer et massacrer. C’est là la supercherie des multiples mouvances ou chapelles fondamentalistes.

 

Quelles sont les autres grandes réformes du Président Ben Ali?

 

J’ajouterais un dernier point à l’actif du Président Ben Ali et non des moindres. C’est d’avoir conclu un accord de libre-échange et de partenariat avec l’Union Européenne.

 

En apparence, cet accord est surtout de portée économique et douanière. Mais pour ceux qui savent c’était un grand choix de civilisation qui a été fait par le Président Ben Ali. Il a décidé d’amarrer la Tunisie au monde développé et démocratique. C’est un choix capital pour la Tunisie. La mondialisation économique allait nous imposer des partenaires.

 

Nous avons choisi de nous allier aux démocrates et non aux dictateurs pour que la Tunisie, dans sa progression, aille vers la société démocratique. Nous n’allions pas nous allier à nos frères arabes ou musulmans, à l’autre bout du monde. Qu’avons-nous de commun avec eux par rapport à ce que la civilisation méditerranéenne a pu créer entre nous et l’Europe? La Tunisie, de par sa position géographique, devait être alliée à l’Europe. C’est ce que le Président Ben Ali a eu le courage et la perspicacité de faire.

 

Quel regard portez-vous sur ces dix-huit dernières années ?

 

L’œuvre de Ben Ali est considérable. Développement économique, action sociale, infrastructure, environnement, éducation…Tous les domaines ont figuré au chapitre des grandes réformes. Par ailleurs, le pays jouit d’une stabilité et d’une sécurité rares. C’est aussi rassurant pour le citoyen que pour l’investisseur, pour la femme que pour la jeunesse.

 

L’œuvre de réforme politique de Ben Ali est également fondamentale à court et à moyen termes. Les réformes successives de la Constitution (1988, 1997,1998 et 2002), par une sorte d’impressionnisme juridique, ont tenu toutes les promesses de la Déclaration du 7 novembre 1987.

 

C’est ainsi que la Constitution a :

 

– garanti les droits fondamentaux de la personne humaine, comme jamais auparavant.

 

– constitutionnalisé le pluralisme des partis politiques,

 

– consacré les principes relatifs au statut personnel,

 

– exclu toute forme de discrimination ou de violence,

 

– organisé la suprématie de la Constitution et la hiérarchie des lois,

 

– amélioré la représentation nationale en instituant le bicaméralisme.

 

Ceci étant, rappelons que le Code électoral réserve, d’office, 20% des sièges de la Chambre des Députés, des Conseils régionaux et des Conseils municipaux aux partis minoritaires.

 

Toutes les dispositions constitutionnelles relèvent, aujourd’hui, d’une philosophie politique démocratique. La mise en œuvre de ces principes nécessite du temps. Le temps d’apprendre à être tolérant pour être démocrate. Le temps de comprendre la pleine dimension de la citoyenneté. Avec la Constitution d’aujourd’hui, c’est la voie de l’avenir qui est tracée. Le mérite de Ben Ali est de l’avoir fait.

 

Certains vous diront que les acquis constitutionnels ne sont importants que s’ils sont consolidés dans le vécu des gens.

 

S’il ne l’avait pas fait, on aurait hurlé à la dictature. Il l’a fait, mais tout le monde n’est pas spontanément démocrate et les gens ont besoin de comprendre et d’apprendre, qu’on soit dans le Pouvoir ou dans l’Opposition, pour arriver au plein épanouissement de la société démocratique.

 

J’entends dire à droite et à gauche “oui, mais…, la démocratie c’est aussi l’alternance”. Je dis chiche! Encore faut-il, pour que l’alternance soit démocratique, qu’il y ait des gens suffisamment représentatifs, nombreux et démocrates pour accéder au pouvoir et faire jouer l’alternance. Cette alternance viendra peut-être un jour, mais si elle n’arrive pas c’est que les adversaires du RCD n’y seront pas parvenus démocratiquement et si elle arrive c’est peut-être que le RCD n’aurait pas su épouser son siècle et évoluer suffisamment pour répondre aux attentes de nos concitoyens.

 

Qu’est-ce qui fait la force du Mouvement national depuis Ali Bach Hamba au débat du siècle passé, le Mouvement des Jeunes Tunisiens, le Destour en 1920, le Néo-Destour en 1934 et le RCD en 1988. C’est que le mouvement Destour est d’abord une culture avant d’être une structure qui encadre les masses populaires. Si la culture se renouvelle, il n’y a pas de raison pour que le RCD et la culture destourienne ne continuent pas à présider au développement de la démocratie dans ce pays.

 

Ne pensez-vous pas que la structure est surdimensionnée par rapport au pays?

 

Cela veut dire quoi? Il faudrait que le RCD se fasse hara-kiri pour plaire à des partis qui n’ont pas d’adhérents? Il parait qu’il y a en Tunisie quelques militants dans une formation non reconnue et qui se considèrent comme persécutés dans le pays… Qui sont-ils? Ce sont les derniers orphelins d’Enver Hodja. Alors que les Albanais fêtent depuis vingt ans leur libération d’Enver Hodja, nous avons encore en Tunisie des gens qui n’avaient pas vingt ans à ce moment-là et qui sont nostalgiques d’Enver Hodja! C’est à en rire. Je préfère ne pas le croire.

 

Vous avez des gens qui veulent ramener la Tunisie à ce qu’était la société des cinquante premières années de l’Islam. Est-il encore possible d‘imaginer un saut en arrière de plus de quatorze siècles? Si quelqu’un veut être, un jour, utile à son pays ou à sa propre vie, qu’il épouse d’abord son siècle!

 

Mais tout le monde n’est pas d’accord avec l’évaluation que vous faites ?

 

Je respecte ceux qui ne sont pas d’accord, à la condition qu’ils respectent la loi du pays et qu’ils expriment ce désaccord avec un minimum de respect envers les personnes. La démocratie ne se décide pas d’un trait de plume. Il faut des générations qui se transmettent successivement les acquis de la démocratie pour qu’on arrive à son plein épanouissement

 

Je suis très attaché à l’idée de modernité. Elle implique aussi que les nouvelles générations continuent et corrigent ce que nous avons fait.

 

L’idée de modernité n’est pas un rejet du passé ou un alignement systématique sur une civilisation donnée. La modernité, c’est adapter les valeurs communes à toute l’humanité et en faire un instrument de progrès, un moyen de bâtir un avenir meilleur à la fois pour l’Homme en tant que tel et pour la société dans laquelle il aspire à vivre.

 

La modernité est toujours en devenir. Je pense qu’elle progressera avec les nouvelles générations.

 

J’espère, à la fin de cet entretien, une seule chose : que l’ignorance recule au maximum. Le contraire de l’ignorance n’est pas seulement l’alphabétisation, c’est aussi une intelligence des choses, de la compréhension au sein de la famille, de la vie sociale, du monde professionnel.

 

L’ignorance est à la base de l’intolérance et celle-ci mène inéluctablement à la violence. Il faut combattre le terrorisme, la violence d’où qu’elle vienne et quelles qu’en soient les causes et les formes. Vous comprendrez pourquoi je tiens toujours à rester l’enseignant du début de ma carrière pour contribuer à faire reculer l’ignorance. n

 

 

Qui est Dali Jazi ?

 

Le Président du Conseil Economique et Social, Monsieur Dali Jazi, est né le 7 Décembre 1942 à Nabeul.

 

Il est Docteur d’Etat en Droit Public et Professeur agrégé de Droit Public et de Sciences Politiques à la Faculté des Sciences Juridiques, Politiques et Sociales de Tunis.

 

Membre du Néo-Destour et de l’Union Générale des Etudiants de Tunisie (UGET) en 1962, Monsieur Dali Jazi quitte le Parti au pouvoir, devenu entre temps le Parti Socialiste Destourien (PSD), en 1971.

 

Il a participé à la création du Mouvement des Démocrates Socialistes (MDS) au sein duquel il a assumé les fonctions de Secrétaire Général Adjoint chargé des relations extérieures (1978-1988).

 

Après le Changement du 7 novembre 1987, M. Jazi s’inscrit résolument dans l’action du Président Ben Ali.

 

Il a occupé plusieurs postes de responsabilité, notamment Ministre de l’Enseignement Supérieur (novembre 1994-novembre 1999) avant d’être nommé Ministre Délégué auprès du Premier Ministre, chargé des Droits de l’Homme, de la Communication et des Relations avec la Chambre des Députés. (novembre 1999-avril 2000).

 

Il a été aussi Ministre de la Défense Nationale (janvier 2001-novembre 2004).

 

En août 2005, Monsieur Dali Jazi a été nommé Président du Conseil Economique et Social avec rang de Ministre, poste qu’il occupe jusqu’à ce jour.

 

Zyed Krichen

 

(Source : « Réalités » N° 1055 du 23 mars 2006)


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