Dr Hamouda Ben Slama : Ce que je dis à Rached Ghannouchi
Militant, depuis son jeune âge, en faveur des libertés et de la démocratie, Dr Hamouda Ben Slama (65 ans) était au premier rang parmi les fondateurs du Conseil national des libertés publiques (1976), puis le journal Erraï, aux côtés de feu Hassib Ben Ammar, de la Ligue tunisienne des droits de l’Homme (7 mai 1977) et du MDS (juin 1978), sous la conduite d’Ahmed Mestiri (qu’il quittera en 1982). Secrétaire général de l’Union arabe des médecins, il élargira son rayon d’action aux pays arabes.
Ayant établi, dès la fin des années 70, des relations de confiance avec les fondateurs du Mouvement de la tendance islamique (Ennahdha), le Premier ministre, Mohamed Mzali, lui demandera à de nombreuses occasions de relayer les messages. Arrivé au pouvoir, Ben Ali l’investira de la même mission, en le nommant ministre de la Jeunesse et des Sports. Le jour où il décidera de rompre avec Ennahdha et de s’engager dans son éradication, il congédiera son ministre.
Près de vingt ans après, Dr Ben Slama est légitimement de retour sur la scène politique. On l’a vu récemment parmi les invités de marque lors de la célébration du 30ème anniversaire de la création d’Ennahdha. Il vient de co-signer avec Cheikh Abdelfettah Mourou, Slaheddine Jourchi, Mustapha Filali, Radwane Masmoudi et d’autres «personnalités indépendantes», un appel significatif au respect de l’échéance du 23 octobre, à la limitation de la non-éligibilité et à la neutralité des médias.Quelles relations entretient-il aujourd’hui avec les islamistes et plus particulièrement Ennahdha? Et comment voit-il l’avenir du pays ? Interview.
Quid des islamistes ; et pourquoi Ennahdha ?!…
Je pourrais paraphraser votre question et vous renvoyer la «provocation» en vous disant : et pourquoi pas Ennahdha?!
Je m’en vais préciser mon propos à ce sujet.
Ma relation avec les islamistes remonte au début des années 70; rapports informels, personnels et amicaux où l’Islam, en pleines prémices de sa renaissance (sahwa islamia), fut bien sûr l’objet déterminant de nos rencontres entre jeunes diplômés (avec Hmida Ennaifer, Abdelfattah Mourou, Rached Ghannouchi et bien d’autres noms…), et il n’était pas encore question d’islamisme ni de politique, encore moins de parti politique islamiste.
Depuis, nos routes respectives et distinctes se sont croisées en plusieurs occasions, mes relations personnelles avec les principaux dirigeants de la mouvance islamique maintenues et entretenues ; on peut dire que je suis un témoin bienveillant de l’évolution de ce mouvement avec lequel j’ai bien entendu des affinités, notamment notre attachement commun à la personnalité arabo-musulmane de la Tunisie, mais qui n’ont jamais gommé les divergences et les différences, d’une part, et n’ont jamais évolué vers une forme d’appartenance organisationnelle, d’autre part…
A présent, cette mouvance, résolument engagée en politique depuis au moins une trentaine d’années, d’abord le Mouvement de la tendance islamique puis Ennahdha, représente en toute légitimité (celle forgée par les procès politiques, les prisons, l’exil, etc.) une famille politique et de pensée implantée dans toutes les régions du pays, et forte d’une large base populaire et d’une élite dirigeante aguerrie …
C’est un parti politique comme les autres, qui assure vouloir s’intégrer dans le processus démocratique et qui serait demain une des composantes de la majorité gouvernante qui s’ébauche.
Est-ce qu’il rassure les sceptiques et ceux qui accusent ses dirigeants actuels de double discours ? Je sais qu’une partie non négligeable de l’opinion qui compte n’est pas rassurée par les islamistes. Chacun est libre d’évaluer les choses à ce niveau tel qu’il en appréhende les risques et les dangers ; mais personnellement je ne vois nullement de raison de continuer à diaboliser (donc à exclure) les islamistes du jeu politique.
J’appelle au contraire à positiver l’islam et l’islamisme, à rassurer les islamistes quant à leur existence en tant que composante importante et partie intégrante du paysage politique démocratique en formation.
Cette approche, qui n’interdit pas de critiquer ce parti quant à ses choix, ses orientations et sa politique comme on le ferait pour n’importe quel autre parti politique, ne peut être que bénéfique pour le pays et salvatrice en cette période agitée, car elle renforcerait notre unité nationale, userait de la concorde en lieu et place de la discorde, et mettrait en place les bases et les conditions d’une véritable réconciliation nationale…
Le moment n’est il pas opportun de rompre avec cette méfiance et cette défiance maladives à l’égard de l’Islam et des islamistes dans ce pays (bien qu’il ne s’agisse pas tout à fait de la même chose !) ?! Depuis des décennies, le pouvoir en place et une partie de l’élite considèrent à tort l’Islam comme une force rétrograde et obscurantiste qui entrave la modernisation du pays ; on n’a jamais tenté sérieusement d’intégrer et de faire participer les islamistes à l’encadrement politique ; trop d’ostracisme à leur égard! Il est temps d’en finir avec cette attitude conflictuelle, négativiste et dangereuse…
Et ce serait la meilleure manière d’être vigilants et critiques à leur égard et de s’opposer à toute tentation totalitaire ou de monopolisation de la vie politique au nom de l’islam ou d’une quelconque idéologie, et qui émanerait de quelque parti que ce soit (islamiste ou autre) …
Comme ce serait aussi la meilleure manière de responsabiliser les islamistes et les mettre à contribution pour toute atteinte au processus démocratique qui serait du fait des éléments et groupes radicaux et extrémistes qui se réclament de l’islam…
Pour en revenir à Ennahdha, la véritable préoccupation à l’égard de ce parti politique ne devrait pas à mon avis rester focalisée sur la question de l’islam et sa place dans la vie du pays, ses rapports avec l’Etat, la laïcité, etc. autant de questions importantes à débattre ; mais pas maintenant, pas nécessairement dans le seul cadre des partis politiques et du seul débat politique et pas uniquement entre et avec les islamistes…
Ce qui m’intéresse surtout et qui devrait interpeller tout un chacun, c’est de savoir si un parti politique tel qu’Ennahdha est en mesure de se révéler un grand parti politique moderne qui prendrait à bras-le-corps et résoudrait (pas tout seul je l’espère) les grands dossiers et les réels problèmes du développement et des grands défis auxquels est confronté notre pays ; bref ce parti (ainsi que les autres d’ailleurs et qui postulent au même statut de partis au pouvoir) est-il prêt pour gouverner, pour constituer la future majorité politique ; en a-t-il les moyens, je dirais l’ambition ?!
Comme on se réfère souvent à l’exemple et à la réussite des islamistes turcs lorsqu’on évoque les expériences d’islamisme politique, il y a lieu de rappeler que ceux-là n’ont pas réussi uniquement parce qu’ils sont islamistes ; mais surtout parce qu’ils ont pu et su apporter les bonnes réponses aux problèmes économiques et de développement de leur pays au point d’avoir permis à la Turquie de bénéficier d’une actuelle et réelle prospérité jamais égalée depuis longtemps et d’une position politique, régionale et internationale forte qui fait la fierté des Turcs, toutes tendances confondues, islamistes et laïcs !
Je rencontre parfois mon ami Rached Ghannouchi, dont j’apprécie le sens de la responsabilité, et je me souviens que lors de notre dernière rencontre il y a quelques jours, j’ai abordé avec lui cette question en lui disant qu’il s’agit maintenant pour Ennahdha de se comporter en parti politique «madani» qui doit se préparer dès maintenant à l’exercice démocratique et constructif du pouvoir, c’est ce que le pays attend de ce parti, ainsi que des autres partis qui ont vocation à gouverner si les urnes les amènent démocratiquement aux postes de responsabilité…
C’est la formation de la future majorité, démocratiquement et dans le dialogue, la négociation et la concertation, qui doit interpeller tout ce monde-là, y compris les islamistes ; vous n’êtes plus l’opposition ; j’ai l’impression que vous n’y croyez pas encore ; comme si l’ambition de gouverner n’est pas encore au rendez-vous !
Demain, la Tunisie, quel avenir ?
L’avenir de notre pays, c’est maintenant, sans plus tarder…
Bien entendu, tous les grands dossiers se posent en même temps, se bousculent et ébranlent déjà une classe politique qui n’en revient pas encore du grand chambardement post-révolution…
C’est dire qu’il faudrait aborder et assumer tout en même temps car la pression populaire et des contraintes majeures liées aux agendas politiques et aux échéances électorales, d’une part, et celles en rapport avec les grands équilibres économiques et financiers, d’autre part, n’autorisent aucune pause…
Cet avenir est tributaire d’un grand effort à fournir pour rattraper notre retard en matière de développement politique :
• Rééquilibrage institutionnel entre les 3 principaux pouvoirs; 50 ans de régime présidentialiste autoritaire risquent de faire balancer les préférences et en réaction non réfléchie vers un parlementarisme débridé source d’instabilité et d’inefficacité; il s’agit de trouver la juste mesure afin de mieux maîtriser la complémentarité entre ces deux pouvoirs sans vider l’un ou l’autre de ses prérogatives au profit excessif de l’autre !
• Responsabiliser les partis et les formations politiques victimes du non-renouvellement et du non-rajeunissement de la classe politique durant les vingt dernières années; le pluripartisme dans notre pays pourrait à terme s’équilibrer essentiellement et schématiquement entre trois grandes familles politiques et de pensée : la famille des islamistes et des identitaires, celle de la gauche, des laïcs et des modernistes, et enfin les nouveaux représentants de l’ancienne majorité à dominante destourienne… à condition bien sûr que ces familles opèrent en toute humilité un long travail de positionnement et de maturation, et qui doit nécessairement mener vers le respect et l’objectif de démocratie et de liberté.
• Le pluralisme n’est pas uniquement pluripartisme ; il doit aussi aménager un espace novateur et critique pour les indépendants, les syndicats et les représentants des forces du travail et de production, les organisations professionnelles, les structures du tissu associatif, etc. En l’absence de libertés et de démocratie, ces organismes ont souvent été amenés à suppléer l’absence des partis… Il est temps maintenant que chacun retrouve ses propres prérogatives sans empiéter sur celles des autres !
Sur le plan économique et social, notre pays pourrait et devrait renouer avec l’initiative, l’ouverture et l’ambition: employabilité, compétitivité, attractivité, exportation, notamment de services, mise à contribution de l’énorme potentiel et de la réelle disponibilité des Tunisiens à l’étranger et des amis de notre pays qui vient de changer de statut au regard du monde libre ; nous pouvons à présent mieux afficher et faire valoir notre tunisianité, synonyme d’une belle révolution !…
Contrairement à la crainte de voir la situation actuelle défavoriser l’investissement, il faut parier qu’à terme, le politique va faire redémarrer l’économique ( à condition que la conjoncture actuelle ne dure pas trop !).
La dimension régionale et internationale que notre pays est en mesure d’acquérir permettrait de mieux aborder les grands dossiers vitaux : l’emploi, la sécurité alimentaire, l’eau, l’énergie, l’environnement, etc. Notre intégration régionale dans notre espace naturel (d’abord le Maghreb et le monde arabe, puis l’Europe et la Méditerranée…) ne devrait pas rester synonyme d’inefficience…
Cette vision de l’avenir découle peut-être un peu plus du rêve que du possible et du réel, mais notre révolution nous autorise à avoir de l’ambition pour notre pays…
Et dans tous les cas de figure, je m’en tiens personnellement à ce que j’ai écrit il y a 40 ans : «rien ne vaut qu’on lui sacrifie la liberté».
(Source: Leaders.com.tn le 17 aout 2011)
Lien: http://www.leaders.com.tn/article/dr-hamouda-ben-slama-ce-que-je-dis-a-rached-ghannouchi?id=6056
Elections de la Constituante
Quand ? Comment ? Combien ça coûte ?
Kamel Jendoubi se montre réticent pour avancer le nombre des ‘’Mounachidines’’ (les personnes ayant sollicité Ben Ali à briguer un autre mandat) qui n’ont pas le droit de présenter leurs candidatures aux élections de la Constituante.
Jusque-là 6 millions de dinars ont été dépensés.
Les élections de la Constituante requièrent un budget estimé à 40 millions de dinars tunisiens.
L’opération des inscriptions exceptionnelles prendra fin le 12 octobre prochain.
Les listes électorales seront affichées du 20 au 26 août. Ceux qui ont des réserves par rapport à certains noms doivent se manifester pendant cette période.
3861 citoyens âgés de plus de 91 ans se sont inscrits sur les listes électorales et 5035 citoyens appartenant à la tranche d’âge d’entre 81 et 90 ans.
Le compte à rebours a déjà commencé pour ce qui est du rendez-vous tant attendu par les Tunisiens, avec des élections de la Constituante qu’on veut libres et transparentes. Kamel Jendoubi le président de l’Instance Supérieure Indépendante des Elections (ISIE) ayant tenu une conférence de presse hier matin a montré « sa satisfaction » quant aux chiffres enregistrés dans l’opération des inscriptions. Les électeurs inscrits d’une manière volontaire, représentent selon lui, 55 % du corps électoral, soient 3, 888 727 millions sur un total de 7 millions d’électeurs potentiels. Ce chiffre enregistré le 14 août à la clôture de l’opération d’inscription sur les listes électorales aurait affiché une augmentation de 41% par rapport au nombre des personnes inscrites pendant la première échéance du 2 août dernier où l’on comptait 2, 275 999 d’inscrits. Kamel Jendoubi rappelle qu’il était question pour l’Instance supérieure de constituer des listes électorales correctes et un tant soit peu exhaustives pour servir l’avenir des opérations électorales dans notre pays. Le président de l’ISIE considère ce travail fait comme étant un exploit au regard des conditions dans lesquelles les opérations d’inscription ont été effectuées, à savoir le manque de stabilité dans notre pays, la confiance qui fait horriblement défaut entre le citoyen et les institutions et compte tenu du fait que nous sommes des novices en matière d’élections non truquées.
Bon gré mal gré, les préparatifs vont bon train jusque-là et il y a lieu de remarquer que le cheminement demeure tortueux et semé d’embûches. Kamel Jendoubi décline cet aspect qui concerne notamment la campagne de dénigrement touchant à la crédibilité de l’Instance voire même les personnes qui y travaillent. Sans oublier les difficultés enregistrées quant à l’aménagement des Instances régionales.
Les inscriptions exceptionnelles
Selon notre interlocuteur l’opération des inscriptions exceptionnelles ayant commencé à partir du 15 août et qui sera clôturée le 12 octobre prochain concerne les citoyens ayant frisé les 18 ans juste après la clôture de l’opération des inscriptions, les militaires et les agents de l’ordre ne répondant plus à cette fonction à partir de la date du 15 août, tout citoyen ayant recouvré ses droits et enfin les Tunisiens résidents à l’étranger qui seront en Tunisie pendant les élections de la Constituante.
Cela n’empêchera pas les citoyens appartenant à la moitié du corps électoral potentiel ne l’ayant pas fait dans les délais impartis de s’inscrire jusqu’à l’échéance du 12 octobre. Mais ces derniers n’ont pas le droit d’opter pour la circonscription de leur choix. Pour avoir de plus amples informations le président de l’ISIE rappelle qu’un centre d’appel (18 14) est mis à la disposition des citoyens pour répondre à leurs questionnements.
Kamel Jendoubi a annoncé également, qu’entre le 20 et le 26 août les listes électorales seront affichées et les personnes qui ont des réserves par rapport à certains noms doivent se manifester. Idem pour les délégations diplomatiques tunisiennes à l’étranger.
Combien ça coûte ?
Et puis qu’en est-il de la question du ‘’Flous’’ et des monnaies sonnantes et trébuchantes allouées à ces élections? Combien ont coûté jusque-là les opérations des inscriptions ? On apprend que l’Instance supérieure a dépensé quasiment la somme de 6 millions de dinars alors qu’elle en a reçu jusque-là 10 millions. 30 % de cet argent du contribuable a été versé pour le compte des Instances régionales au nombre de 27. Selon les estimations des spécialistes de cette Instance, les élections de la Constituante coûteraient la bagatelle de 40 millions de dinars, si les choses seront faites selon les indicateurs mondiaux. On l’espère et c’est au sens de la parole de Jendoubi qui dit « La démocratie, ça coûte de l’argent. C’est seulement la dictature qui ne vaut que dalle. »
Mona BEN GAMRA
Les inscriptions par les chiffres
A retenir, dans la foulée, que le meilleur chiffre des inscrits a été enregistré à la circonscription de Sfax (2) qui représente 71% du total des inscrits. Tunis (1) passe au second rang avec 67%. Le chiffre le plus faible a été enregistré à Kairouan avec seulement 43% du total des inscrits. Si l’on prend l’indicateur de l’âge des citoyens inscrits, on remarquera que le nombre des personnes âgées entre 18 et 20 est le plus faible puisqu’il représente 4 % du total des inscrits. La tranche d’âge entre 21 et 30 ans caracole 22% alors que les tranches d’âge d’entre 31 et 40 ans et celles entre 41 et 50 ans se sont inscrites à raison de 21 % du total des inscrits. Il est à noter que 3861 des citoyens âgés de plus de 91 se sont inscrites et 5035 des personnes appartenant à la tranche d’âge d’entre 81 et 90 ans. C’est dire le crédit accordé par un très grand nombre de nos concitoyens, ayant vécu du temps du protectorat français à nos jours, à ce rendez-vous historique que vit notre pays. Si l’on considère l’indicateur du sexe des citoyens, on remarquerait que les femmes représentent 45 % du total des inscrits soit 1, 756 980 inscrits.
-Des observateurs et non pas des contrôleurs pour les élections
Changement de nomenclature ou glissement de sens ? On apprend que l’Instance supérieure indépendante pour les élections a adopté le terme ‘’d’observateurs’’ pour ce qui est des étrangers qui souhaitent participer aux élections mais ce sera en leur qualité de simples observateurs. Pour les observateurs locaux toujours d’après ce membre de l’instance supérieure, la tâche est différente et cela sera décliné prochainement dans d’autres rencontres de presse où ce sujet sera traité avec beaucoup plus de détails. On aura de plus amples informations, espérons-le, pour ce qui est de la répartition des observateurs et les critères du choix de ces derniers. D’ici-là on sait que le contrôle des votes dans sa phase locale sera « formel » et que ‘’L’association des femmes électrices’’ s’est portée volontaire pour assumer ce rôle et qu’une autre femme à titre personnel a présenté sa demande en ce sens.
M.B.G.
(Source: “Le Temps” (Quotidien – Tunisie) le 17 aout 2011)
Tunisiens à l’étranger
La révolution sur l’autre rive
l est clair que la révolution du 14 janvier a réveillé tous les démons et en particulier ceux que la dictature a étouffés dans l’œuf comme cette forte disposition des Tunisiens, jusque-là cachée, à participer à la vie publique et à contribuer à la construction de l’avenir de leur pays. Après le 14 janvier, les Tunisiens ont pris conscience pour la première fois de leur citoyenneté et chacun a tenté de l’exercer, de l’exprimer, à sa manière, parfois dans la violence, il faut l’avouer, voire dans le non-respect des règles citoyennes. Mais les révolutions sont ainsi faites, que même les débordements ont leur légitimité.
L’onde de conscience qui s’est propagée à l’échelle du pays a été si forte qu’elle a traversé la Méditerranée pour atteindre les compatriotes vivant en terre d’accueil à travers toute l’Europe. Et ceux qui, hier, vivaient dans la peur, le silence, le désintérêt et l’isolement par rapport à l’actualité nationale et surtout aux événements politiques, revendiquent aujourd’hui avec force leur droit et leur détermination à prendre leur destin en main et à ne plus vivre en marge de la société tunisienne, même en terre d’émigration.
C’est dans l’action associative qu’ils ont décidé d’agir et de se faire entendre. Depuis le 14 janvier 2011, pas moins de 250 associations tunisiennes ont vu le jour à l’étranger, dont une centaine en France. Et pour la première fois, des personnalités indépendantes, socialement bien installées, sont sorties de leur mutisme et se sont engagées concrètement sur le terrain pour contribuer à la construction de la Tunisie post-révolution.
Un collectif pour une dynamique citoyenne
Pour donner du poids à leurs actions et élargir le champ de leurs interventions, les adhérents de 21 associations de France, quelques centaines de Tunisiens et de Franco-tunisiens, ont décidé de se rassembler en un collectif qu’ils ont baptisé Dynamique citoyenne des Tunisiens à l’etranger (Dcte). Un front qui a l’intention de se donner les moyens pour, d’une part, aider la communauté tunisienne de France à sortir de l’impasse, trouver des réponses aux problèmes récurrents des sans-papiers, de l’émigration clandestine et de la précarité et, d’autre part, contribuer au développement économique, social et politique de la Tunisie. Pour cela, «le collectif s’est tracé une stratégie à trois axes», comme l’indique M. Hédi Saïdi, historien, enseignant, chercheur et militant associatif, vivant en France depuis une trentaine d’années.
Le premier axe porte sur la réhabilitation de la citoyenneté des Tunisiens résidant à l’étranger «longtemps marginalisés et exclus», selon l’historien, président de l’association «Jisr», créée à Lille en 1993. Première action déjà engagée, la sensibilisation de la communauté tunisienne à l’importance de l’élection de l’Assemblée nationale constituante et à la nécessité de s’inscrire sur les listes électorales. La nouvelle loi électorale a réservé 19 sièges pour les Tunisiens résidant à l’étranger dont 8 pour la France où la concentration des Tunisiens est la plus forte : 660.000 à Paris seulement sans compter les sans-papiers. Pour cela, «Les bénévoles tunisiens ont assuré des permanences au sein des consulats afin de renforcer leurs capacités humaines et veiller au bon déroulement de l’opération d’inscription. Pour le Dcte, dont une délégation comptant M. Hédi Saïdi a rencontré récemment M. Mohamed Ennacer, ministre des Affaires sociales, l’heure est à la construction donc aux propositions concrètes. Ainsi, il a été proposé au ministre que soit créé un haut conseil des Tunisiens à l’étranger. Une proposition qui sera examinée en conseil des ministres, aurait promis M. Mohamed Ennacer.
Remédier aux erreurs du passé
Le deuxième axe de la stratégie s’intéresse, quant à lui, à la culture et à la mémoire longtemps occultée et trahie, estime l’historien, auteur de plusieurs publications portant sur ces deux thèmes et dont l’objectif principal consiste à revivifier l’Histoire de la Tunisie et surtout à la replacer dans son contexte, notamment celui lié à l’époque coloniale. Il s’agit selon lui d’encourager la production culturelle et de multiplier les expositions publiques pour mieux faire connaître la Tunisie et «la faire aimer». Dans ce volet, le collectif s’est également assigné la mission d’œuvrer pour la création d’instituts culturels tunisiens dans les principales villes européennes et remédier ainsi à un manquement inacceptable : «La Tunisie est le seul pays qui n’a pas de représentations culturelles à l’étranger», assure-t-il.
Le troisième axe est lui aussi porteur de promesses et de nouveautés et s’intéresse pour sa part au chapitre de la solidarité économique. Celle-ci se traduit essentiellement par le renforcement des transferts de devises par les Tunisiens résidant à l’étranger vers la Tunisie, notamment par le biais des investissements. A ce titre, M. Hédi Saïdi explique qu’afin d’optimiser ces apports financiers, il est nécessaire de les articuler avec les véritables besoins du pays en terme de développement. Pour cela, le collectif a proposé au ministre des Affaires sociales d’étudier l’opportunité de créer une agence pour le développement économique qui serait financée par des investisseurs tunisiens résidant à l’étranger. Il y en aurait pas mal, semble-t-il.
Mais que compte faire le collectif pour les Tunisiens qui vivent dans la précarité et/ou la clandestinité? «Pour les émigrés clandestins, nous avons sensibilisé les politiques, les mairies, les militants des droits de l’Homme, pour une éventuelle régularisation de leur situation, c’est tout ce que nous pouvons faire. Par ailleurs, nous prêtons main-forte aux compatriotes qui sont dans le besoin autant que possible, selon les moyens dont nous disposons», assure M. Hédi Saïdi, personnage notoire dans son pays d’accueil, la France, puisqu’il s’apprête à vivre prochainement un événement exceptionnel : la cérémonie solennelle au cours de laquelle lui sera remise la légion d’honneur.
Auteur : Amel ZAÏBI
(Source: “La Presse” (Quotidien – Tunisie) le 17 aout 2011)
Tunisie : une transition à l’image d’une révolution de carte postale
Par Hala Kodmani | Journaliste | 17/08/2011 | 10H06
(De Tunis) L’agitation post-révolutionnaire qui énerve et inquiète les Tunisiens au quotidien parait bien bénigne. Les signes positifs de la métamorphose du pays en cet été de transition démocratique sont pourtant visibles et si enviables en comparaison avec les douloureuses péripéties des autres révolutions arabes en cours.
Quand on leur fait remarquer combien ils ont de chance par rapport aux Libyens, aux Syriens et même aux Egyptiens, les pionniers du printemps arabe cessent de se plaindre. « Oh que c’est dur pour eux les pauvres ! », se reprennent-ils avec émotion et compassion pour ce qu’endurent ceux qui ont voulu suivre leur exemple.
Ils auraient préféré bien sûr voir Ben Ali et sa bande comparaitre devant les juges commeMoubarak et ses fils, au lieu qu’il soit condamné par contumace. Ils enragent de ne pas le tenir d’autant qu’ils continuent de découvrir l’étendue des dégâts causés par son régime, son système, sa mafia.
« Je ne peux oublier les images des piles de billets de 500 euros dans les coffres du palais de Carthage ! raconte Nabil, photographe à Zarzis. Je rentrais ce jour là avec une rage de dents terrible et j’étais passé à la pharmacie pour acheter une plaquette de Doliprane.
J’ai été tellement sonné par le spectacle à la télé, que quand ma femme m’a demandé pourquoi j’avais un médicament à la main, je lui ai dit que j’avais une douleur mais qu’elle venait de passer ! Je m’étais mis à calculer combien de familles en difficulté auraient pu vivre avec toutes ces sommes volées. »
Des touristes en majorité Tunisiens, c’est révolutionnaire
Le marasme économique est en effet la première source de mécontentement et d’angoisse dans la Tunisie post-révolutionnaire où le taux de chômage continue de grimper et les mouvements sociaux se multiplier. La chute de la fréquentation touristique est ravageuse sur les côtes même si les émigrés, revenus d’Europe pour les vacances ont su profiter des tarifs préférentiels pour aller à l’hôtel.
La quasi absence des Allemands et des Italiens à Tabarka n’a pas empêché de servir des bouteilles de bière par dizaines dans les cafés le long du port, à la veille du Ramadan. Que les touristes soient en majorité des Tunisiens, est révolutionnaire en soi ! D’autant que ces vacanciers se préoccupent des affaires du pays. Les discussions politiques animées sur les terrasses rappellent combien la parole a été libérée en l’absence de surveillance.
« Ça va aller ! » assurent et se rassurent les Tunisiens
« Ce qu’on a perdu sur le plan économique est largement compensé par les gains démocratiques », rappelle Fadhel Moussa, doyen de la faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis. Ce vieux militant pour la démocratie qui pratique au quotidien les difficultés de la transition, mesure la grande responsabilité des Tunisiens de relever le défi mais reste confiant.
La « dégage attitude » continue de se manifester chez beaucoup de gens mais la majorité comprend que la chute du régime Ben Ali marquait le début et non l’aboutissement de la révolution.
Quand on leur fait remarquer que l’agitation qu’ils vivent est normale compte tenu du bouleversement, beaucoup de Tunisiens assurent et se rassurent : « Oui, ça va aller ! »
(Source: “Rue89” le 17 aout 2011) Lien: http://www.rue89.com/neo-arabia/2011/08/17/tunisie-une-transition-a-l-image-d-une-revolution-de-carte-postale-218062