TUNISNEWS
8 ème année, N°5 2761 du 15.12.2007
Reporters sans frontières: le journaliste Slim Boukhdir entame, depuis sa prison, une nouvelle grève de la faim Reporters Without Borders: Journalist Slim Boukhdir starts a new hunger strike in prison La Fédération syndicale unitaire apporte son soutien aux enseignants tunisiens, grévistes de la faim Le Monde: Trois enseignants en grève de la faim à Tunis depuis près d’un mois AP: Tunisie: quatre jeunes condamnés pour des délits « terroristes » Mustapha Benjaafar: Débats sans objet Ahmed Ounaïes : Annapolis et les fondamentaux Politis: Un cas de dictateur « limite »
Reporters sans frontières Information 14 décembre 2007 Tunisie
le journaliste Slim Boukhdir entame, depuis sa prison, une nouvelle grève de la faim
Reporters sans frontières dénonce les pressions exercées par l’administration tunisienne à l’encontre du journaliste indépendant Slim Boukhdir. Condamné à un an de prison ferme, le journaliste a entamé, le 13 décembre 2007, une nouvelle grève de la faim. « Une fois de plus, l’État tunisien montre son intolérance vis-à-vis des citoyens qui ont le malheur de critiquer sa nature autoritaire. L’affaire Boukhdir prend la forme d’un règlement de comptes entre le pouvoir et la presse libre. La rapidité du procès et les conditions de détention du journaliste sont des preuves de l’acharnement du régime à faire taire tous ses opposants. Nous appelons la presse internationale à se mobiliser en faveur de Slim Boukhdir », a déclaré l’organisation. Incarcéré à la prison de Sfax (231 km au sud de Tunis), Slim Boukhdir a entamé une grève de la faim pour protester contre ses conditions carcérales. Selon sa femme, qui a pu lui rendre visite, l’administration pénitentiaire, en le détenant dans une cellule sans lumière avec deux prisonniers de droit commun, le surveille indirectement afin de l’empêcher de reprendre ses lectures. Contacté par Reporters sans frontières, l’avocat du journaliste, Mohammed Abbou, a expliqué que l’autorité judiciaire, au mépris de la loi, lui a interdit de rendre visite à son client. L’appel du jugement n’a pas permis la libération du journaliste. Le mandat de dépôt dont il a fait l’objet rend possible la prolongation de sa détention. Reporters sans frontières rappelle que la Tunisie occupe la 145e place sur les 169 pays notés dans son classement mondial de la liberté de la presse établi en 2007.
Reporters Without Borders Information 14 december 2007
Tunisia Journalist Slim Boukhdir starts a new hunger strike in prison
Reporters Without Borders today condemned pressure exerted on jailed independent journalist Slim Boukhdir, who yesterday began a new hunger strike. Boukhdir, who is serving a one-year prison sentence at Sfax, 231 kms south of Tunis, has gone on hunger strike again to protest against his prison conditions. His wife, who has managed to visit him, said that the prison administration is holding him an unlit cell with common-law prisoners, so as to indirectly monitor him and stop him resuming his reading. His lawyer, Muhamed Abbu, said that the judicial authorities had refused him the right to visit his client, in defiance of the law. The journalist has not been released while waiting for his appeal and that the committal order applied against him makes it possible for his period in detention to be extended. “Once again, the Tunisian state is showing its intolerance towards citizens who have the misfortune to criticise its authoritarian nature. The Boukhdir case bears the hallmarks of a score-settling between the government and the free press,” the worldwide press freedom organisation said. The speed of the trial and the journalist’s prison conditions are all evidence of hounding by the regime to silence its opponents. We call on the international press to campaign for Slim Boukhdir », it concluded. Tunisia is ranked in 145th place out of 169 countries in Reporters Without Borders’ 2007 world press freedom index
La Fédération syndicale unitaire COMMUNIQUE DE PRESSE FSU
La Fédération syndicale unitaire :La FSU apporte son soutien aux enseignants tunisiens, grévistes de la faim
jeudi 13 décembre 2007 par Webmestre FSU La FSU exprime sa solidarité avec les trois enseignants de Tunisie qui sont victimes d’un licenciement abusif par le Ministère de l’éducation tunisien, en raison de leur engagement syndical et de leur participation aux mobilisations d’avril dernier. Les professeurs Ali Jallouli, Mohamed Moumni et Moez Zoghlami ont entamé une grève de la faim au siège du syndicat général de l’enseignement secondaire à Tunis depuis le mardi 20 novembre 2007 pour dénoncer les sanctions dont ils sont victimes. C’est le droit syndical qui est bafoué. La FSU appelle au respect de ce droit garanti par la constitution et tous les traités et conventions internationales, ratifiés par la Tunisie. Communiqué FSU Paris le 13 décembre 2007
Trois enseignants en grève de la faim à Tunis depuis près d’un mois
Trois professeurs observent, à Tunis, dans les locaux du syndicat général de l’enseignement secondaire, une grève de la faim commencée le 20 novembre, pour protester contre leur licenciement « arbitraire et abusif » par le ministère tunisien de l’éducation. Deux d’entre eux, Ali Jallouli, professeur de philosophie à Kebili, et Moez Zoghlami, professeur d’anglais à Tozeur, deux localités du sud de la Tunisie, ont dû être transférés d’urgence dans un hôpital de Tunis, jeudi 13 décembre, tant leur état de santé s’était détérioré. Après avoir été transfusés pendant 24 heures, ils sont sortis, vendredi, de l’unité de soins où ils avaient été traités, pour rejoindre, contre l’avis des médecins, leur collègue, Mohammed Moumni, professeur de philosophie dans un lycée de l’Ariana, (banlieue de Tunis), qui mène avec eux ce mouvement de protestation. Les trois enseignants ont été renvoyés de leurs postes en septembre « pour des raisons politiques », disent-ils. Le ministère conteste cette affirmation. Il fait valoir qu’ils avaient été recrutés dans le cadre de contrats à durée déterminée et qu’ils n’ont tout simplement pas été reconduits, « comme beaucoup d’autres ». « Faux argument ! Il n’y a pas de contractuels dans la fonction publique. Si ces trois enseignants ont été licenciés, c’est en raison de leur engagement syndical », rétorque Fraj Shabbah, secrétaire général adjoint du syndicat de l’enseignement secondaire. Pour sa part, le docteur Sami Souilhi, coordinateur du comité médical qui suit ces grévistes, estime que les trois hommes sont « à la limite » de graves conséquences, aussi bien rénales que cardiaques. Florence Beaugé (Source: Le journal « Le Monde » (Quotidien France) le 16 decembre 2007)
Tunisie: quatre jeunes condamnés pour des délits « terroristes »
AP | 14.12.2007 | 20:16 Quatre Tunisiens, qui tentaient d’aller combattre dans les rangs de l’insurrection en Irak, ont été condamnés à des peines allant de six à 14 ans de prison ferme par le tribunal de première instance de Tunis, a-t-on appris vendredi auprès de leur avocat, Me Samir Ben Amor. Les accusés, jugés jeudi en vertu de la loi anti-terroriste adoptée par le parlement tunisien en décembre 2003, étaient inculpés de plusieurs délits dont « l’appartenance à une organisation terroriste ». Ils avaient été arrêtés en Syrie en 2005, puis remis aux autorités tunisiennes. L’un d’eux, Hosni Jelassi, aurait servi de passeur au niveau de la frontière syro-irakienne. Il a écopé de 14 ans de prison tout comme Zied Trabelsi, un étudiant. Un autre étudiant, Hamza Naouali, a été condamné à six ans d’emprisonnement et le quatrième accusé, Oussama Chebbi, à huit ans. Lors de leur interrogatoire, ils ont nié les accusations retenues contre eux, tandis que leurs avocats ont plaidé « la nullité des procédures » en invoquant « des vices de forme ». Quant au fond de l’affaire, ils ont relevé que le dossier « ne contenait aucune preuve à charge ». Me Ben Amor a soutenu par ailleurs devant le tribunal que « le fait de vouloir combattre l’occupation (en Irak) ne constituait pas un délit terroriste », en s’appuyant sur « le droit international et les conventions de la Ligue arabe et de l’organisation de la conférence islamique (OCI) signées par la Tunisie qui distinguent entre les actes terroristes et le droit de combattre l’occupation », selon lui. AP
Dans les pays démocratiques, le débat sur le budget est un moment privilégié pour faire le bilan de l’action du gouvernement, relever les défaillances et proposer des solutions. Pour cela, il faut tout autre chose que des ministres préssés de se débarrasser d’une « corvée » et des députés soucieux surtout de préserver leurs chances pour un nouveau mandat et, par conséquent, peu portés à soulever les questions qui fâchent Voilà ce qui explique la rapidité fulgurante et l’évidente légéreté avec laquelle la chambre des députés a bâclé la discussion et, bientôt, l’adoption du budget 2008 . L’événement est pourtant particulièrement important vu la situation particulièrement délicate que traverse le pays. En effet, alors que le pays se prépare à rentrer de plein pied dans la la zone de libre échange, il se trouve confronté à des défis majeurs qui imposent la participation de tous pour trouver des solutions adéquates et mettre en œuvre un plan de développement véritable qui rompe avec la routine, l’optimisme excessif et l’instrumentalisation des chiffres aux fins d’une propagande ivre d’autosatisfaction. La lecture de la loi des finances et du budget économique, met en évidence l’énorme décalage entre une réalité difficile, que les chiffres officiels essaient d’occulter, et des prévisions particulièrement optimistes. La croissance est tributaire de l’investissement ; comment peut-elle se réaliser alors que l’investissement est freiné : l’investissement public souffre du poids de l’endettement et du recours excessif à l’emprunt ; l’investissement privé national stagne, quand il ne régresse pas, en dépit des multiples mesures d’encouragement, reflétant la profondeur de la crise de confiance qui secoue le monde des affaires, en raison de l’absence de transparence dans la gestion et du manque de neutralité dans l’exercice de l’administration et des institutions qui sont en rapport avec les hommes d’affaires ( banques, douanes, fisc..) A cela s’ajoutent les appréhensions objectives liées à la libéralisation accélérée du marché intérieur et au développement de la corruption dont personne, au gouvernement et parmi « nos représentants »,ne dit mot . Certes, l’investissement direct étranger progresse. Cette progression est en rapport avec le rythme accéléré des ^privatisations qui s’opèrent en dehors de tout débat public. Elle ne bénéficie pas toujours aux secteurs productifs. Parmi les effets du ralentissement de l’investissement, qu’il soit public ou ^privé, le plus grave se situe dans la création d’emplois, malgré la diversification des programmes et la multiplicité des intervenants. La création de 80000 emplois, théoriquementn l’équivalent de la demande nouvelle, cache mal la précarité de ces emplois, en grande partie subventionnés et n’offre qu’une solution dérisoire aux diplômés qui affluent sur le marché du travail au rythme annuel de prés de 60000.Sur un autre plan, la dégradation des relations entre partenaires sociaux et le développement anarchique des sociétés de sous-traitance de la main d’œuvre, contribue aussi à rendre malsain le climat social. En fait, la crise touche en premier lieu les citoyens. Chômage, précarité de l’emploi, dégradation du pouvoir d’achat, participation accrue des ménages à des dépenses antérieurement couvertes par l’Etat. Dérive de notre système éducatif avec des risques incalculables pour les générations futures. Agriculture en panne de réformes.Cette situation est dûe à une politique qui ignore les besoins essentiels du citoyen, une navigation à vue qui n’assure pas le développement durable dans le sens global du terme. Il s’agit de revoir notre modèle de développement et de préciser le rôle de l’Etat qui s’est délesté de sa fonction régulatrice. Il s’agit aussi de réviser la relation Etat-Société avec les effets escomptés sur l’évolution de la vie politique, la stabilisation des relations salariales, l’amélioration du climat des affaires, et, finalement le regain de la confiance perdue. le succés de tout plan de développement reste tributaire de l’Etat de droit et de la mise en place des mécanismes de la démocratie. Sur ce chapitre, le discours officiel est à des années lumière de la dure réalité marquée par l’engorgement des prisons par une masse de jeunes condamnés dans des conditions iniques selon la loi antiterroriste outrageusement liberticide. Comment parler de consolidation du processus démocratique, de pluralisme et de respect des droits de l’homme lorsque des militants ou, pire, des responsables de partis légalisés se trouvent contraints à recourir à la grève de la faim pour revendiquer les droits les plus élémentaires ? Aucun projet de développement ne réussira tant que persistera le verrouillage de la vie politique, l’autosatisfaction démesurée et le secret imposé sur les données nécessaires à la compréhension de la situation. La démocratie, la transparence et le dire vrai conditionnent le retour de la confiance, élément indispensable à la reprise de la dynamique économique, à la mobilisation de toutes les énergies, sans exception, au service du pays. Mustapha Benjaafar (Source: Le numéro 39 de Mouwatinoun organe du FDTL du 8 decembre 2007)
Annapolis et les fondamentaux
Ahmed Ounaïes – 1er décembre 2007 La Conférence d’Annapolis constitue un nouveau jalon de la grande guerre israélo-arabe, mais aussi de la nouvelle guerre déclenchée par les Etats Unis au cœur de la région. Annapolis s’inscrit dans un contexte où l’occupation israélienne est aggravée par l’occupation de l’Irak sous l’autorité d’une coalition occidentale à dominante américaine, et par la menace d’un troisième front contre l’Iran. Ce contexte aurait dicté une conférence internationale de la paix associant toutes les parties et impliquant directement les membres permanents du Conseil de Sécurité. Il y a un an, le rapport Baker – Hamilton posait sérieusement le problème de la paix dans la région en affirmant : ‘’toutes les questions clefs du Moyen Orient – le conflit israélo arabe, l’Irak, l’Iran, le besoin de réformes politiques et économiques, ainsi que l’extrémisme et le terrorisme – sont inextricablement liées.’’ En définitive, l’Administration Bush a réduit ses ambitions à la seule recherche d’un règlement israélo palestinien. Elle a conçu et organisé la conférence d’Annapolis dans le but déclaré d’inaugurer une négociation bilatérale israélo palestinienne, à l’exclusion des autres contentieux et tout en s’efforçant de lui assurer la plus large couverture arabe et multilatérale. Les pays arabes ont certes répondu à l’invitation alors qu’il n’y avait nul besoin d’une représentation de 17 délégations. Leur plan de paix étant clair, ferme et global, les pays arabes pouvaient se faire représenter par le seul Secrétaire Général de la Ligue Arabe. L’insistance des Etats Unis pour une participation arabe très large n’est guère justifiée quant au fond, sinon pour en tirer un bénéfice de pure forme, pour compenser la faiblesse du concept même de la conférence ou pour faire endosser indirectement aux pays arabes des engagements qui transgressent leur plan. La délégation palestinienne, rappelons-le, est partie prenante de ce même plan. Quelle est alors la signification d’Annapolis ? Quelle chance offre-t-elle pour la paix, la paix partielle israélo palestinienne aussi bien que la paix régionale et définitive ? Il est clair qu’un règlement limité à la Palestine, pour essentiel qu’il soit, ne saurait à lui seul valoir le règlement général, celui dont nous attendons la paix régionale, la fin de la guerre américaine contre le monde arabe et le début de réponse au problème du terrorisme international. Du moins, s’il faut s’en tenir à Annapolis, trois conclusions s’imposent. D’abord, la portée réduite de la conférence reflète la faiblesse de l’Administration Bush et sa hâte de marquer un point quelconque, aussi symbolique soit-il, avant la fin du mandat. L’Administration n’est plus en mesure de relever le défi qui lui était lancé le 6 décembre 2006 par les deux partis politiques américains unis qui exigeaient, dans un contexte d’échec général de la politique américaine sur tous les fronts et de l’enlisement des forces armées américaines en Irak et en Afghanistan, un redressement diplomatique global qui serve enfin l’intérêt supérieur des Etats Unis et la cause fondamentale de la paix. Un véritable redressement aurait requis un changement de stratégie, c’est-à-dire une autre vision de la paix, une autre approche des acteurs et une utilisation judicieuse du potentiel américain, qui n’est pas brisé mais qui est paralysé parce qu’il est tellement mal utilisé. L’Administration Bush est aujourd’hui impuissante à concevoir une architecture globale de paix et à conduire jusqu’à son terme une telle entreprise. Annapolis, avec sa charge d’espoir symbolique et son équivoque politique est tout juste à sa mesure. D’autre part, admettons la nécessité d’Annapolis. Qu’y a-t-il de génial à inviter Israéliens et Palestiniens à négocier un règlement global du conflit ? En quoi le patronage des Etats Unis serait-il un fait nouveau ? La conférence s’imposait de tout temps et en toute logique sous l’égide des Etats Unis. En revanche, trois faits nouveaux distinguent Annapolis des précédents de Madrid en 1991 et de Camp David en 2000. Les directions israélienne et palestinienne sont très affaiblies dans leurs camps respectifs. Or, l’acteur affaibli peut être incité à effectuer le saut, à prendre des risques et à admettre des compromis dans l’espoir de tirer quelque bénéfice de la brèche à réaliser ; mais il faut craindre qu’il ne soit tenté de spéculer sur la faiblesse de l’adversaire pour l’acculer à des concessions, sans accomplir de son côté le moindre pas en avant. Que risque-t-il ? En contrepartie de l’échec des négociations, il enregistrerait un avantage relatif, un recul de l’adversaire. Israël, précisément, est coutumier de cette méthode parce qu’il estime que le temps joue à son avantage. Le deuxième fait nouveau est la déclaration de Condoleezza Rice diffusée le 23 novembre par le Département d’Etat : « Le conflit entre les Israéliens et les Palestiniens, dit-elle, doit être résolu en fonction de ses propres termes plutôt que dans un contexte régional plus large. » Que vise-t-elle au juste ? La Secrétaire d’Etat renvoie peut-être aux faits accomplis sur le terrain, à l’équilibre des forces militaires, au rejet systématique par Israël des Conventions internationales, des jugements de la Cour Internationale de Justice, des Résolutions du Conseil de Sécurité… ? Estime-t-elle devoir ignorer les paramètres fondamentaux ? Troisième fait nouveau, la notion d’Israël Etat juif: soulevée à deux reprises devant Condoleezza Rice par la ministre israélienne des affaires étrangères, rejetée aussitôt par Mahmoud Abbas, cette notion est reprise formellement à Annapolis par le Président Bush dans son discours d’ouverture de la conférence : les Etats Unis, dit-il, « honoreront leurs engagements envers la sécurité d’Israël en tant qu’Etat juif et en tant que patrie du peuple juif.» Ce coup d’éclat est d’une portée considérable sur les plans politique et philosophique. Ce n’est pas le lieu d’en discuter la substance et les dangers mais il est clair que le Président Bush cautionne ainsi dans le Moyen Orient une nouvelle donne que la direction palestinienne a déjà expressément rejetée et que les pays de la région ne manqueront pas de relever dans leur propre politique à l’égard d’Israël et à l’égard des Etats Unis. Nous craignons que la Conférence d’Annapolis ne soit ni vide ni innocente : c’est tout juste une autre manière, pour l’Administration Bush, de poursuivre sa guerre contre le monde arabe par d’autres moyens. Non contents de mettre le droit de veto et l’arsenal offensif américains à la disposition d’Israël comme jamais, le Président et la Secrétaire d’Etat font éclater les fondamentaux de la cause palestinienne et endossent un concept qui mine l’ordre politique et philosophique du Moyen Orient. Enfin, il est essentiel, en toute hypothèse, de préserver le crédit de Mahmoud Abbas. Il constitue le pivot de l’opération et son institution clef. On peut comprendre la stratégie qui consiste à affaiblir l’ennemi afin de l’amener à composition, mais il y a une limite à ce calcul. Dans le contexte palestinien actuel, l’alternative à FATH existe et se prévaut d’une légitimité démocratique incontestable dans la masse palestinienne. Il faut réaliser que HAMAS n’est pas destructible par la liquidation de ses chefs ou par le siège de Gaza. De ce fait, l’engagement de Mahmoud Abbas dans l’opération Annapolis n’est pas sans risque. Tout préparé qu’il soit pour les décisions amères, il ne pourra pas lâcher les fondamentaux et, s’il en sort les mains vides, il n’y survivra pas. Son échec signifierait le chaos que la diplomatie américaine a déjà expérimenté dans le champ irakien. En attendant décembre 2008, il est indispensable de conforter d’ores et déjà son crédit par des ‘’mesures de confiance’’ significatives : libérer les prisonniers, redresser les hôpitaux et les services de santé, payer les retards de tous les agents de l’Autorité Palestinienne, établir une trêve de six mois. Trois mesures en particulier pèseront sur l’opinion palestinienne : ouvrir librement les passages pour le pèlerinage à la Mecque qui coïncide avec la mi-décembre, libérer les femmes, surtout les mères, dans les prisons israéliennes et ouvrir un dialogue sans préalable entre toutes les familles politiques palestiniennes. Sur ce dernier point, un rôle essentiel incombe à la grande famille arabe. Pour le reste, le test est américain plus qu’israélien. L’ambassadeur Ahmed Ounaïes (Source: Le numéro 39 de Mouwatinoun organe du FDTL du 8 decembre 2007)
Un cas de dictateur « limite »
PAR Denis Sieffert jeudi 13 décembre 2007 Ce Mouammar Kadhafi a décidément un lourd handicap : comme feu Jaruzelski ou Pinochet, il a une tête de dictateur. Avec son regard hautain d’illuminé qui semble toiser le monde, il fait immanquablement penser à ces tyrans tropicaux des années 1930 décrits par Alejo Carpentier dans le Recours de la méthode. Et lorsque, en plus, il revêt son costume d’apparat blanc et chausse ses lunettes noires, alors il provoque volontiers la raillerie de ceux qui se tiennent à bonne distance de son pouvoir, mais glace d’effroi tous les autres. Ceux qu’il met en prison ou soumet à la torture pour un mot de trop. Comparé à Kadhafi, un potentat chinois, recordman du monde de la peine de mort, mais cravaté et jovial, ne suscite pas d’emblée le même réflexe répulsif. Et un président russe, bourreau des Tchétchènes mais très sérieux, trop sérieux, n’engendre qu’une crainte mêlée de respect. Il faut ajouter à cela cette remarque importante : le dictateur libyen n’était pas, jusqu’ici, du côté du manche. Il a longtemps défié les Occidentaux, Américains et Européens. Il a attaqué leurs intérêts. Et parfois de la façon la plus cruelle et la plus injuste qui soit, en s’en prenant à des civils lors des attentats contre des avions de compagnies américaine ou française. Or pourquoi ne pas le reconnaître ? il y a dans les bons usages diplomatiques dictateur et dictateur. Le Tunisien Ben Ali, qui n’est pas un grand démocrate, ou le Congolais Sassou Nguesso, qui n’est pas un tendre non plus, pour ne citer qu’eux, fréquentent nos palais de la République sans déclencher l’ombre d’une polémique. Au Liban, il y a des personnages qui figurent aujourd’hui honorablement dans le camp occidental « anti-syrien », comme l’on dit et qui ont prêté la main jadis aux pires massacres des camps palestiniens. La difficulté avec Kadhafi, au-delà de ses apparences ubuesques à la Machado, c’est qu’il est tout juste en train de passer du côté du manche. C’est un dictateur « limite ».Il n’est pas assez déraisonnable pour finir comme Saddam Hussein. Mais pas assez sage pour avancer vers une apparence de démocratie. Ses interlocuteurs occidentaux ont donc à s’accommoder de cette contradiction. Et, apparemment, ils s’en accommodent. Cet homme est en train de devenir un dictateur fréquentable. Selon les critères officiels, qu’est-ce qu’un dictateur fréquentable ? Ce n’est pas moins un dictateur, ni davantage un démocrate. C’est un personnage qui a accepté de passer sous les fourches caudines des grandes puissances, qui ne les menace plus, et tourne sa haine exclusivement contre son peuple. Autant dire que le débat est moins simple qu’il y paraît. Nous avons tous compris que l’interminable séjour parisien de Kadhafi, entamé lundi, était la rançon payée pour la libération des infirmières bulgares et du médecin palestinien, emprisonnés huit années durant pour un crime épouvantable qu’ils n’avaient évidemment pas commis. Ces deux événements la libération des victimes et la récompense du bourreau sont les deux faces d’un même acte politique. Sans doute faut-il les approuver en bloc, ou les condamner en bloc. Le vrai cynisme réside dans les prolongements militaro-financiers de ce drôle de troc. Nos confrères de la Tribune parlaient lundi de dix milliards d’euros de contrats. Des Airbus, mais surtout un réacteur nucléaire, des avions de combat et du matériel militaire en tout genre. Quel contraste avec l’Iranien Ahmadinejad ! Rien de commun pourtant entre la dictature libyenne et la démocratie théocratique de Téhéran (où les élections entre les candidats autorisés sont libres). Si le président iranien est plus près de recevoir nos bombes que d’être lui-même reçu à l’Élysée, c’est qu’il n’est pas du tout du côté du manche. Si l’on refuse de reconnaître le résultat d’une élection totalement démocratique en Palestine, c’est pour la même raison. Si, le même jour où certains faisaient mine de s’émouvoir de la présence de Kadhafi, Nicolas Sarkozy pouvait recevoir sans l’ombre d’un problème Benyamin Netanyahou, l’un des plus va-t-en-guerre des hommes politiques israéliens, et le plus fidèle représentant des colons, c’est encore pour la même raison. Autrement dit, il faut le reconnaître clairement, le sort des peuples nous importe peu. Ce qui compte, c’est le parti pris de chacun de ces personnages dans ce choc des civilisations qui n’existe pas encore mais qui guide quand même notre imaginaire.Ce qui compte, c’est le côté du manche. Le Pakistanais Pervez Musharraf peut bien faire autant de coups d’États qu’il veut, et sophistiquer une arme nucléaire qu’il possède déjà. Son choix pro-américain l’expose à rien d’autre qu’à des remontrances. C’est pourquoi, même si nous condamnons l’accueil fait à Kadhafi, nous ne sommes guère convaincus par certaines indignations sélectives. Ceux qui, à gauche comme à droite, font mine de croire que les droits de l’homme constituent un critère ne sont pas moins cyniques que l’objet de leur feinte colère. (Source: Le journal » Politis » (Hebdomadaire -France) Numéro 980 Du 13 au 19 décembre)