12 janvier 2009

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TUNISNEWS

8 Úme année, N° 3156 du 12.01.2009

 archives : www.tunisnews.net  


Albadil Express: Le soulĂšvement des habitants du bassin minier : un premier bilan Le Monde Diplomatique: Tunisie : jugements iniques Ă  Gafsa AFP: Djerba: pas d’atteinte Ă  la prĂ©somption d’innocence de la part de Sarkozy (cour d’assises) Mezri Haddad: Gaza : la trahison des clercs Sami Ben Abdallah: Mezri Haddad sur LCI mardi 13 janvier 2009 Ă  17h Bernard-Henri LĂ©vy: LibĂ©rer les Palestiniens du Hamas Alain Gresh: LibĂ©rer les Palestiniens des mensonges de Bernard-Henri LĂ©vy AFP: Turquie/affaire “Ergenekon”: dĂ©couverte d’une nouvelle cache d’armes


Liste actualisĂ©e des signataires de l’initiative du Droit de Retour : http://www.manfiyoun.net/fr/listfr.html Celles et Ceux qui veulent signer cet appel sont invitĂ©s Ă  envoyer leur: Nom, Pays de rĂ©sidence et AnnĂ©e de sortie de la Tunisie sur le mĂ©l de l’initiative : manfiyoun@gmail.com

Le soulĂšvement des habitants du bassin minier : un premier bilan

 
Demain, 13 janvier 2009, se tiendra Ă  Gafsa le procĂšs en appel des leaders et animateurs du mouvement du bassin minier. Le 11 dĂ©cembre 2008, la chambre criminelle du tribunal de premiĂšre instance de Gafsa a prononcĂ© de lourdes peines Ă  l’encontre de Adnane Hajji et ses camarades. 33 des 38 accusĂ©s ont Ă©tĂ© condamnĂ©s Ă  des peines allant jusqu’à 10 ans et un mois de prison pour 7 d’entre eux. Lors de cette mascarade judiciaire, le tribunal a rendu son verdict sans interroger les accusĂ©s et sans permettre Ă  la dĂ©fense de plaider. A la veille du procĂšs en appel et Ă  l’occasion du premier anniversaire du soulĂšvement du bassin minier (5 janvier 2008), nous publions une traduction de l’arabe d’un texte paru en plein mouvement dans le numĂ©ro de mai 2008 de notre revue “Le communiste”. Ce texte Ă©tablit un bilan du mouvement, il a Ă©tĂ© rĂ©digĂ© par notre camarade Ammar Amroussia, de la rĂ©gion de Gafsa, qui a suivi de prĂšs le mouvement du bassin minier.
 
par Ammar Amroussia Traduction de l’arabe Une grande vague de protestations populaires secoue, depuis le 5 janvier 2008, la rĂ©gion de Gafsa (sud-ouest de la Tunisie) et plus particuliĂšrement les villes du bassin minier. La contestation a commencĂ© suite Ă  l’annonce des rĂ©sultats d’un concours de recrutement organisĂ© par la Compagnie des phosphates de Gafsa (CPG dans la suite du texte), principal employeur de la rĂ©gion. Ces rĂ©sultats ont Ă©tĂ© jugĂ©s, par la population, « dĂ©cevants », en effet le nombre de candidats admis Ă©tait rĂ©duit et ne rĂ©pondait pas Ă  ses attentes. En plus, les critĂšres adoptĂ©s dans le choix de ces candidats n’étaient pas objectifs ; favoritisme, loyautĂ© au pouvoir et « bakchich » ont prĂ©valu face Ă  la compĂ©tence. La contestation a Ă©clatĂ© d’abord Ă  Redeyef, elle a gagnĂ© ensuite les autres villes miniĂšres, en particulier M’dhilla et MoularĂšs. Ainsi, l’ensemble de la rĂ©gion de Gafsa a Ă©tĂ© secouĂ© par un soulĂšvement social sans prĂ©cĂ©dent, considĂ©rĂ© par les observateurs comme le plus important en Tunisie durant les deux dĂ©cennies de pouvoir de Ben Ali, voire depuis la « rĂ©volte du pain » de 1984. Il est donc Ă©vident qu’un tel Ă©vĂ©nement doit ĂȘtre analysĂ© pour en tirer quelques leçons, mĂȘme si le mouvement est encore en cours. Un premier bilan pourrait contribuer Ă  ce qu’il tienne plus longtemps face Ă  la dictature et Ă  arracher des acquis qui serviraient de stimulant pour tout le mouvement populaire. Ainsi nous allons suivre Ă  travers cet article l’évolution des Ă©vĂ©nements en cherchant les causes et en analysant les mots d’ordre et les formes de lutte inventĂ©es par les masses populaires dans leur confrontation avec l’appareil rĂ©pressif du rĂ©gime de Ben Ali.
1. Les causes profondes du soulĂšvement :
Les rĂ©sultats du concours de recrutement Ă  la CPG publiĂ©s le 5 janvier 2008 n’ont en fait constituĂ© que la goutte qui a fait dĂ©border le vase. La rĂ©action des habitants n’aurait pas pu ĂȘtre aussi forte et profonde si la rĂ©gion ne vivait pas depuis longtemps dans une misĂšre profonde. Tout y prĂ©disait une grande explosion, les signes annonciateurs se sont multipliĂ©s. En septembre 2007 nous avions dĂ©jĂ  Ă©crit, suite Ă  la rĂ©pression du rassemblement organisĂ© par « le comitĂ© rĂ©gional des diplĂŽmĂ©s enchĂŽmagĂ©s » et au cours duquel la militante Afef Ben Naceur a Ă©tĂ© sauvagement agressĂ©e par la police politique : « attendez-vous prochainement Ă  une grande surprise ». Depuis l’époque coloniale, et jusqu’à nos jours, la production de phosphate reste le pilier central de l’activitĂ© Ă©conomique dans la rĂ©gion de Gafsa, ce qui rendait la vie de villes entiĂšres (Redeyef, Metlaoui, MoularĂšs et M’dhilla) entiĂšrement dĂ©pendante de ce minerai qui assurait aux habitants une certaine sĂ©curitĂ©. Les choses ont continuĂ© ainsi jusqu’au terme de l’époque coloniale (1956) et mĂȘme jusqu’aux annĂ©es 70 du siĂšcle dernier. Mais « la vache Ă  traire », c’est-Ă -dire la CPG, a commencĂ© Ă  avoir des difficultĂ©s dues surtout Ă  une mauvaise gestion. En 1986, elle a Ă©tĂ© incluse dans le programme de restructuration des entreprises publiques imposĂ© par le FMI et la BM dans le cadre du « Programme d’ajustement structurel » (PAS). Cette restructuration n’a tenu compte que des taux de profits Ă  rĂ©aliser ou Ă  prĂ©server. Elle a donc Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©e aux dĂ©pens de la force de travail. Ainsi le nombre des ouvriers de la CPG a baissĂ© de 14000 dans les annĂ©es 80 Ă  environ 5300 en 2007 (en 2006 ce chiffre Ă©tait de 5853 employĂ©s dont 492 cadres). La sociĂ©tĂ© a eu recours Ă  la mĂ©canisation pour comprimer la main d’Ɠuvre, elle a Ă©galement augmentĂ© le nombre d’heures supplĂ©mentaires pour Ă©viter de nouveaux recrutements. Le coĂ»t de ces heures s’est Ă©levĂ© durant ces derniĂšres annĂ©es Ă  environ 5 millions de dinars (1$ = 1,200dT). Quant Ă  l’Etat, qui n’a cessĂ© de se dĂ©charger de son rĂŽle social et de se transformer en un simple « gendarme » soumettant les travailleurs Ă  une exploitation fĂ©roce au profit d’une nouvelle poignĂ©e de mafieux et de corrompus locaux et Ă©trangers, il n’a rien prĂ©vu pour subvenir aux besoins des habitants de la rĂ©gion dont le tissu Ă©conomique est restĂ© inchangĂ©. Les investissements ont continuĂ© Ă  s’orienter particuliĂšrement vers les rĂ©gions cĂŽtiĂšres aussi bien pour des raisons Ă©conomiques (la recherche de profits) que pour des raisons politiques (prĂ©servation d’une clientĂšle politique), ce qui a accentuĂ© le rĂ©gionalisme, caractĂ©ristique essentielle du rĂ©gime « destourien » depuis son avĂšnement en 1956. Ainsi les villes du bassin minier, comptant une population de dizaines de milliers d’habitants, ont sombrĂ© dans l’oubli et se sont trouvĂ©es marginalisĂ©es et confrontĂ©es Ă  une situation difficile. Leur richesse en phosphate continue Ă  ĂȘtre pillĂ©e. Avec l’installation des « laveries », la CPG a mis la main sur une grande partie des ressources en eau potable dans la rĂ©gion. Et le plus grave est que l’eau polluĂ©e utilisĂ©e pour le lavage a affectĂ© les nappes phrĂ©atiques saines si bien que les habitants de Redeyef, par exemple, se sont trouvĂ©s obligĂ©s d’acheter de l’eau potable en provenance d’autres rĂ©gions (1 dinar les 20 litres). Cette situation a entrainĂ© l’aggravation du chĂŽmage dont le taux est devenu alarmant, surtout chez les diplĂŽmĂ©s de l’enseignement supĂ©rieur. Le taux de chĂŽmage dans la rĂ©gion s’élĂšve au double et parfois au triple du taux national officiellement Ă©valuĂ© Ă  14 ou 15% de la population active. Par ailleurs, les services publics, tels que l’éducation, la santĂ©, l’habitat et le transport se sont dĂ©gradĂ©s suite Ă  leur privatisation et Ă  l’augmentation de leurs coĂ»ts. Les masses populaires ne peuvent plus assumer les frais de scolaritĂ© de leurs enfants, notamment ceux qui doivent s’inscrire Ă  l’universitĂ©, les frais des soins et des mĂ©dicaments, les frais de transport ou d’habitat. De surcroĂźt, les prix des matiĂšres de base n’ont cessĂ© de flamber de par le monde. L’augmentation a touchĂ© les produits de premiĂšre nĂ©cessitĂ© tels que les produits alimentaires, les vĂȘtements et les carburants. Vu le bas niveau des salaires qui ne suivent pas le rythme de l’inflation galopante ainsi que la faiblesse des revenus des petits propriĂ©taires, commerçants et artisans, ainsi que l’absence de tout revenu pour les chĂŽmeurs dont le nombre ne cesse d’augmenter, la rĂ©gion de Gafsa s’est transformĂ©e en un espace immense de pauvretĂ©, de prĂ©caritĂ© et de marginalisation sociale. Bien entendu, Ă  cette dĂ©tĂ©rioration des conditions sociales de la majoritĂ© des habitants de la rĂ©gion, correspond l’accroissement de la richesse de certaines couches, en l’occurrence les hauts cadres de la CPG, des responsables rĂ©gionaux, des affairistes proches du pouvoir, etc. Il faut signaler que les recettes des exportations de la CPG, et par consĂ©quent de l’Etat, en produits phosphatiques ont connu une croissance importante suite Ă  l’augmentation de leur prix sur le marchĂ© mondial. Les recettes sont passĂ©es de 858 millions de dinars (715 millions de dollars) en 2005 Ă  1261 millions de dinars en 2007 et elles atteindront probablement 2,2 Ă  2,4 milliards de dinars en 2008. Parmi ceux qui ont profitĂ© de la situation, on peut citer le secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral de l’Union rĂ©gionale de l’UGTT (Union GĂ©nĂ©rale Tunisienne du Travail, l’unique centrale syndicale en Tunisie), Amara Abbassi, qui est aussi membre du ComitĂ© central du parti au pouvoir et membre du Parlement. A part le « bakchich » qu’il reçoit, en contrepartie de son rĂŽle de « sapeur-pompier » des luttes des travailleurs, il a montĂ© une sociĂ©tĂ© de sous-traitance de main d’Ɠuvre qui lui a permis d’amasser une fortune aux dĂ©pens des pauvres intĂ©rimaires qu’il exploite d’une maniĂšre inouĂŻe bien qu’il soit dirigeant d’un syndicat qui dĂ©clare s’opposer aux formes d’emploi prĂ©caires ! Abbassi jouit aussi bien du soutien des autoritĂ©s rĂ©gionales que de celui de la « bureaucratie » Ă  la tĂȘte de l’UGTT formĂ©e en majoritĂ© d’élĂ©ments corrompus. Il est bien clair aussi que les habitants de Gafsa, tout comme l’ensemble des Tunisiens, qui suivent les chaines de tĂ©lĂ©vision satellitaires ou qui ont des enfants instruits et intĂ©ressĂ©s par « la chose publique », sont, Ă  des degrĂ©s diffĂ©rents, informĂ©s de l’aggravation du phĂ©nomĂšne de la corruption dans le pays. Une poignĂ©e de familles (celles de Ben Ali, de ses gendres, de ses proches et de ses amis
) accumulent des fortunes colossales. Elles ont mis la main sur les principaux secteurs de l’économie, profitant de la campagne de privatisation. Les banques sont Ă  leur service leur pourvoyant d’importants et multiples crĂ©dits sans garanties. C’est ainsi que les « crĂ©ances douteuses » reprĂ©sentent prĂšs du tiers des crĂ©dits octroyĂ©s ! Certains membres de ces familles se sont spĂ©cialisĂ©s dans les « interventions » auprĂšs de l’Administration pour le compte de ceux qui sont prĂȘts Ă  leur verser des pots-de-vin importants. Nul ne leur Ă©chappe, mĂȘme les concours d’embauche dans la fonction publique dont les rĂ©sultats sont connus d’avance et oĂč il faut payer pour espĂ©rer rĂ©ussir ! Les citoyens peuvent ainsi constater la gravitĂ© de la situation qui condamne les pauvres Ă  voir leurs conditions se dĂ©grader de plus en plus tandis qu’une minoritĂ© liĂ©e au « trĂŽne » s’enrichit sans cesse. Tous ces facteurs rĂ©unis ont créé un Ă©tat de malaise gĂ©nĂ©ralisĂ© dans tout le pays et qui prend dans les rĂ©gions les plus dĂ©favorisĂ©es, dont celle du bassin minier de Gafsa, une dimension de colĂšre latente qui n’attend que l’occasion de surgir. En effet, bien avant la publication des rĂ©sultats du concours de la CPG, la rĂ©gion de Gafsa a connu plusieurs mouvements menĂ©s soit par des diplĂŽmĂ©s enchĂŽmagĂ©s qui se sont organisĂ©s, Ă  l’instar de ceux de plusieurs rĂ©gions de la Tunisie, en « ComitĂ© rĂ©gional des diplĂŽmĂ©s enchĂŽmagĂ©s », soit par des paysans, travailleurs licenciĂ©s ou autres habitants des quartiers populaires, pour exprimer leur indignation face Ă  l’oppression et Ă  l’injustice qu’ils endurent. Puis, sont arrivĂ©s les rĂ©sultats du concours qui ont constituĂ© « la goutte qui a fait dĂ©border le vase ». Ainsi ont Ă©tĂ© dĂ©clenchĂ©s les Ă©meutes, les manifestations et les « sit-in » des habitants du bassin minier.
2. Un mouvement populaire :
Ce mouvement a eu, dĂšs son dĂ©but, un caractĂšre populaire large, ce qui l’a transformĂ© en un soulĂšvement populaire proprement dit et ce malgrĂ© son aspect rĂ©gional plus ou moins circonscrit. Toutes les catĂ©gories populaires ont adhĂ©rĂ© Ă  ce mouvement : ouvriers, chĂŽmeurs, fonctionnaires, commerçants, artisans, Ă©lĂšves, etc. Ceux qui y participent appartiennent Ă  diffĂ©rentes gĂ©nĂ©rations, il y a des enfants, des jeunes, des adultes, des personnes ĂągĂ©es. Les femmes, mĂȘme celles au foyer, ont pris part Ă  la protestation et ont souvent jouĂ© un rĂŽle d’avant-garde. Les divisions tribales, restĂ©es prĂ©sentes dans la rĂ©gion et continuellement instrumentalisĂ©es par le pouvoir, ont disparu dans ce mouvement pour cĂ©der la place Ă  l’appartenance sociale, de classe. Les habitants ont compris qu’ils vivent dans la mĂȘme situation de misĂšre, qu’ils partagent le mĂȘme sort : le chĂŽmage, la marginalisation, la pauvretĂ©, la dĂ©gradation du pouvoir d’achat et, en gĂ©nĂ©ral, la dĂ©tĂ©rioration de leurs conditions de vie. Ce sentiment s’est confirmĂ© au fil des jours Ă  travers les discussions, les affrontements avec les forces de la police, l’entraide et la solidaritĂ©, etc. Il est difficile aujourd’hui de faire marche arriĂšre, surtout dans la ville de Redeyef, d’autant plus que le mouvement continue Ă  ĂȘtre encadrĂ© et est susceptible d’évoluer. CaractĂ©risĂ© par sa continuitĂ©, ce soulĂšvement vient de dĂ©passer son quatriĂšme mois. Il se poursuit encore, notamment Ă  Redeyef qui en reprĂ©sente l’axe mĂȘme, grĂące Ă  la prĂ©sence d’un noyau dirigeant, de responsables syndicaux et de militants politiques de gauche. Notre pays n’a guĂšre connu depuis l’« indĂ©pendance » (1956) un mouvement social qui se soit prolongĂ© dans le temps de cette maniĂšre. Outre la prĂ©sence de militants aguerris Ă  sa tĂȘte, les facteurs objectifs ont eu un rĂŽle important dans la longĂ©vitĂ© de ce mouvement. Ces facteurs, dĂ©jĂ  Ă©voquĂ©s, ont fait que les habitants n’ont rien Ă  perdre, sinon leur misĂšre et leurs chaines. Toutes les portes de l’espoir leur sont fermĂ©es et ils ont ainsi perdu toute confiance dans le rĂ©gime en place. Parmi les facteurs qui ont favorisĂ© la continuitĂ© du mouvement, la rĂ©action du pouvoir. Celui-ci n’a pu apporter de solution aux problĂšmes auxquels est confrontĂ©e la rĂ©gion, ni rĂ©ussi Ă  satisfaire les revendications directes des populations et Ă  tenir ses promesses, mĂȘme celles annoncĂ©es avec pompe sous forme de « mesures prĂ©sidentielles » en faveur de certaines catĂ©gories sociales Ă  MoularĂšs en particulier. Ce qui a encore attisĂ© la colĂšre des contestataires. Pis encore, le pouvoir a eu recours, dĂšs le dĂ©but du mouvement, Ă  la rĂ©pression : au dĂ©but du mois d’avril, puis au dĂ©but du mois de mai, la rĂ©pression a pris un caractĂšre encore plus violent et plus large Ă  Redeyef et MoularĂšs notamment, mais cette rĂ©pression n’a pas rĂ©ussi Ă  Ă©teindre ni Ă  Ă©touffer le mouvement, au contraire, elle l’a radicalisĂ©. Le pouvoir s’est ainsi retrouvĂ© dans l’obligation de libĂ©rer les dirigeants et activistes arrĂȘtĂ©s quelques jours auparavant. Ces derniers ont Ă©tĂ© accueillis par des dizaines de milliers de gens, en leaders populaires et en hĂ©ros. Il est certain que le pouvoir, surpris par l’ampleur du mouvement, a Ă©tĂ© Ă©branlĂ© par son unitĂ©, sa combativitĂ© et l’esprit de solidaritĂ© qui anime ceux qui y participent. C’est pourquoi il a jouĂ© au dĂ©but sur le facteur du temps en pensant qu’il pouvait attĂ©nuer le mouvement et le contraindre Ă  l’effritement, car il craignait de faire des concessions qui stimuleraient la revendication et l’étendraient Ă  d’autres rĂ©gions du pays. Il craignait Ă©galement que la rĂ©pression ne confĂšre au mouvement une dimension aussi bien nationale qu’internationale, de telle sorte qu’elle mette Ă  nu la propagande dĂ©magogique du rĂ©gime axĂ©e sur le soit disant « miracle Ă©conomique tunisien » et « les rĂ©alisations grandioses rĂ©alisĂ©es sous la direction clairvoyante du prĂ©sident Ben Ali ». En effet, ce qui se passe au bassin minier est un dĂ©menti cinglant de toute cette propagande. S’il y a « miracle », c’est bien pour les riches, locaux et Ă©trangers, qui ont vu leurs fortunes s’accroitre d’une maniĂšre vertigineuse, et non pour le peuple qui subit une oppression Ă©conomique et sociale des plus dures. D’autre part, un peu plus d’une annĂ©e seulement sĂ©pare le rĂ©gime de Ben Ali des « Ă©lections » de 2009 ; dĂ©jĂ  une campagne a Ă©tĂ© amorcĂ©e pour « solliciter » Ben Ali Ă  se porter candidat pour un cinquiĂšme mandat, synonyme de prĂ©sidence Ă  vie, afin qu’il poursuive « ses rĂ©alisations » et mette en Ɠuvre la suite de son programme « pour garantir Ă  la Tunisie un avenir radieux ». Bien entendu, l’explosion de la situation dans les villes du bassin minier complique la tĂąche du pouvoir, c’est pourquoi il s’est Ă©vertuĂ© Ă  isoler le mouvement en profitant de la faiblesse de l’opposition politique et de la complicitĂ© de la bureaucratie syndicale. Cette derniĂšre est allĂ©e jusqu’à sanctionner certains syndicalistes (suspension de Adnane Hajji de toute activitĂ© syndicale au sein de l’UGTT pendant 5 ans). Mais tout cela n’a pas empĂȘchĂ© le mouvement de poursuivre son chemin, de faire Ă©chouer toute tentative pour l’isoler et d’acquĂ©rir de la sympathie Ă  travers des moyens d’information indĂ©pendants, tels que la chaine de tĂ©lĂ©vision satellitaire « Al-Hiwar Attounoussi » (Dialogue tunisien) qui Ă©met depuis l’étranger, le journal Ă©lectronique « Al-Badil » (l’Alternative) animĂ© par le parti communiste des ouvriers de Tunisie (PCOT dans la suite du texte), les journaux de l’opposition lĂ©gale (Al-Mawkif, Mouatinoun, Attarik Al-Jadid
) et la presse clandestine, notamment « Sawt EchĂąab » (La voix du peuple) organe central du PCOT, et aussi Ă  travers les actions de solidaritĂ© organisĂ©es Ă  l’intĂ©rieur du pays par le « comitĂ© national de soutien aux habitants du Bassin minier » et Ă  l’extĂ©rieur par les partis et associations dĂ©mocratiques aussi bien tunisiens qu’étrangers.
3. Des formes de lutte variées et audacieuses :
La rĂ©pression Ă©tait toujours de mise pour interdire les manifestations de rue, les rĂ©unions dans les locaux des partis et associations reconnus et dans les universitĂ©s. Cette stratĂ©gie sĂ©curitaire s’est avĂ©rĂ©e « efficace » pour le pouvoir puisqu’elle a rĂ©duit la contestation Ă  une sphĂšre limitĂ©e en l’empĂȘchant de se dĂ©velopper et de s’élargir. Les actions de contestation sont parues, dans cette atmosphĂšre, comme des actions isolĂ©es dans un « ocĂ©an de paix sociale », imposĂ©e en rĂ©alitĂ© par la terreur policiĂšre, et que le rĂ©gime de Ben Ali s’est mis Ă  vanter aussi bien Ă  l’intĂ©rieur qu’à l’extĂ©rieur du pays comme Ă©tant une preuve de la « rĂ©ussite de ses choix » et de « l’union du peuple autour de lui ». Cependant, ce qui se passe au bassin minier de la rĂ©gion de Gafsa est de toute autre nature. Les forces de l’ordre ont Ă©tĂ© incapables de rĂ©aliser ce qu’elles accomplissaient aisĂ©ment par le passĂ©, en rĂ©primant une contestation isolĂ©e et rĂ©duite Ă  des minoritĂ©s, ne serait-ce que parce que le mouvement est rĂ©ellement populaire et que tous ceux et celles qui y ont participĂ© sont dĂ©terminĂ©s Ă  rĂ©sister et Ă  continuer leur lutte jusqu’au bout car ils n’ont plus rien Ă  perdre, Ă  part leurs chaines. C’est pourquoi les forces de l’ordre qui sont intervenues violemment au dĂ©but du mois d’avril 2008 puis au dĂ©but du mois de mai ont vite perdu du terrain face Ă  la dĂ©termination des habitants. Ce que les autoritĂ©s pouvaient interdire habituellement aux partis et associations mĂȘme lĂ©gaux, aussi bien dans leurs siĂšges que dans les espaces publics, les contestataires l’ont fait au bassin minier Ă  leur guise et sans aucune autorisation de la police. Ainsi, les marches traversaient les rues jour et nuit, les rĂ©unions ont lieu dans les espaces publics et les tracts et les bulletins politiques sont distribuĂ©s en plein jour sous les regards de la police qui se contente de surveiller sans intervenir. Les habitants ont créé un rapport de force, sur le terrain, en leur faveur qui leur a permis de jouir de leurs droits de rĂ©union, de manifestation, d’expression, etc. Les forces de l’ordre n’ont qu’une seule solution pour arrĂȘter le mouvement, c’est la prise pure et simple des villes du bassin minier et le dĂ©cret de l’état de siĂšge et du couvre feu pour empĂȘcher toute activitĂ© (c’est ce qui se produira en effet, plus tard au dĂ©but du mois de juin – note du traducteur).
4. Un soulÚvement spontané mais

Il est certain que ce soulĂšvement a Ă©tĂ© marquĂ© par sa spontanĂ©itĂ©. Ce caractĂšre s’est clairement rĂ©vĂ©lĂ© au dĂ©part du mouvement et l’a accompagnĂ© au cours des premiĂšres semaines. On entend par spontanĂ©itĂ© l’absence de direction politique qui organise le mouvement, le dote d’une plateforme de revendications, le dirige sur le terrain et lui fait Ă©viter les dĂ©bordements et les provocations des agents du pouvoir. Mais cette carence a Ă©tĂ© dĂ©passĂ©e au fil des jours, principalement dans la ville de Redeyef, alors qu’elle marque encore, Ă  des degrĂ©s divers, le mouvement dans les autres villes. A Redeyef, la prise de conscience s’est traduite par l’élaboration d’une liste de revendications et d’un plan d’action qui tient compte de l’état des rapports de force et surtout de l’état d’esprit des masses de telle sorte qu’elles soient elles-mĂȘmes convaincues de ce qu’elles font et de ce qu’elles ont Ă  faire encore. L’existence d’un noyau de militants syndicalistes et politiques de gauche a jouĂ© et joue encore un rĂŽle dĂ©terminant dans la prise de conscience du mouvement et dans son organisation. En rĂ©alitĂ©, la ville de Redeyef a fait dĂšs le dĂ©but exception dans le bassin minier. Les difficultĂ©s apparues au dĂ©but du mouvement ont Ă©tĂ© trĂšs vite aplanies, ce qui a permis de dĂ©passer les chefs de tribus et les responsables locaux et rĂ©gionaux qui sont Ă  l’origine de ces difficultĂ©s visant Ă  diviser le mouvement, semer le doute en son sein et discrĂ©diter ses dirigeants. « Le comitĂ© de nĂ©gociation », dont les membres ont Ă©tĂ© dĂ©signĂ©s par des assemblĂ©es syndicales, ainsi que sa ceinture large composĂ©e de syndicalistes de tous les secteurs et de militants politiques dĂ©mocrates et progressistes, ont montrĂ© beaucoup de maturitĂ© et de sagesse dans l’encadrement et l’orientation du mouvement. Ce que l’on a mĂȘme nommĂ© « la deuxiĂšme trĂȘve » (la suspension des marches, des manifestations et des grĂšves pendant 15 jours pour crĂ©er, Ă  la demande des autoritĂ©s, un climat propice aux nĂ©gociations) a tellement renforcĂ© le mouvement en lui permettant de reprendre son souffle et de se rĂ©organiser, que personne ne doute de la capacitĂ© de ses dirigeants Ă  gĂ©rer les situations difficiles, dĂ©jouer les manƓuvres du pouvoir et Ă©viter l’avortement du mouvement. Il a confirmĂ© la conviction que ces dirigeants reprĂ©sentent les vĂ©ritables chefs et les vrais porte-parole des habitants. Sur un autre plan, il importe de remarquer l’évolution de la conscience des masses et des Ă©lĂ©ments actifs parmi elles. La lutte Ă©duque ceux qui y participent et dĂ©veloppe leur conscience beaucoup plus rapidement que les discours. En effet, les masses populaires qui ont adhĂ©rĂ© au mouvement se sont trouvĂ©es directement impliquĂ©es dans « les affaires publiques ». Elles dĂ©battent leurs problĂšmes et leurs prĂ©occupations, elles dĂ©battent Ă©galement la situation gĂ©nĂ©rale dans le pays, s’échangent les informations et lancent des critiques acerbes au rĂ©gime de Ben Ali
 elles dĂ©couvrent par la pratique le caractĂšre despotique et dictatorial de ce rĂ©gime et le fait qu’il soit au service des riches et qu’il n’ait rien Ă  voir avec leurs intĂ©rĂȘts et leurs aspirations. Elles dĂ©couvrent aussi leur propre force et par consĂ©quent leur capacitĂ© Ă  rĂ©sister et Ă  s’imposer. Les symboles du pouvoir dans la rĂ©gion, tels que le maire, la police, la garde nationale, les structures du parti au pouvoir (comitĂ© de coordination, cellules territoriales et professionnelles
), se sont effondrĂ©s face Ă  leur volontĂ©. En un mot, discuter politique Ă  Redeyef n’est plus ni « interdit » ni « dangereux » ni limitĂ© Ă  une poignĂ©e de « tĂȘtes brulĂ©es » ! C’est plutĂŽt devenu une pratique ordinaire, un droit que tout le monde exerce sans peur et sans attendre l’autorisation de quiconque. En fait, tout le monde critique le maire et le gouverneur et Ben Ali mĂȘme, en Ă©voquant surtout l’enrichissement extrĂȘme de ses gendres ainsi que des membres de sa famille et de ses proches en gĂ©nĂ©ral. Plus prĂšs de Redeyef, Ă  MoularĂšs prĂ©cisĂ©ment, une tente installĂ©e par les diplĂŽmĂ©s-enchĂŽmagĂ©s a abritĂ© un groupe de jeunes. Leur expĂ©rience au cours de leurs Ă©tudes Ă  l’universitĂ© d’une part et l’ouverture sur leur entourage politique et syndical d’autre part, les ont aidĂ©s Ă  Ă©laborer rapidement leurs revendications spĂ©cifiques qu’ils ont su intĂ©grer dans une perspective politique plus large. Cette expĂ©rience les a prĂ©parĂ©s progressivement Ă  se transformer en un noyau important dans le mouvement, exerçant surtout une influence considĂ©rable auprĂšs des intellectuels. NĂ©anmoins, ce noyau n’a pu se transformer en une direction du mouvement tout entier. En effet, il n’a pu bĂ©nĂ©ficier du mĂȘme soutien syndical et politique que le mouvement Ă  Redeyef. MalgrĂ© tous ces Ă©lĂ©ments positifs, il faut reconnaitre que ce soulĂšvement populaire est restĂ© marquĂ© par sa spontanĂ©itĂ© et par l’absence d’une vision politique globale qui l’oriente. Le pouvoir a essayĂ© Ă  plusieurs reprises d’exploiter cette faille pour faire Ă©clater le mouvement de l’intĂ©rieur. TantĂŽt, il a rĂ©pandu des rumeurs selon lesquelles le « prĂ©sident Ben Ali » allait intervenir pour « rĂ©soudre tous les problĂšmes et satisfaire toutes les revendications » ; Il fallait donc cesser le mouvement pour montrer « sa bonne foi ». TantĂŽt, il a propagĂ© des mensonges aux dĂ©pens des dirigeants du mouvement dans telle ou telle autre ville pour empĂȘcher le dĂ©veloppement d’une solidaritĂ© entre les diffĂ©rents centres du mouvement et les isoler les uns des autres. Certes plusieurs facteurs, d’ordre plus gĂ©nĂ©ral, ont contribuĂ© et contribuent encore Ă  empĂȘcher le mouvement de s’unir au niveau rĂ©gional et de s’étendre Ă  tout le pays et mobiliser toutes les classes et couches populaires. Pourtant, les revendications des habitants du bassin minier les intĂ©ressent toutes, Ă©tant donnĂ© qu’elles subissent les mĂȘmes injustices.
5. Faiblesse de l’opposition politique :
L’un des premiers facteurs de faiblesse de l’opposition politique rĂ©side dans les sĂ©quelles qu’elle traĂźne encore des « annĂ©es de plomb ». Mais au lieu de profiter de ce soulĂšvement pour Ă©largir sa base sociale, en faisant siennes les revendications des masses populaires, la majoritĂ© de cette opposition n’a pas manifestĂ© l’intĂ©rĂȘt qu’il faut pour un mouvement aussi important. Plus le mouvement progresse, plus se creuse l’écart la sĂ©parant des masses populaires. MĂȘme l’élan mĂ©diatique qui a accompagnĂ© le mouvement Ă  ses dĂ©buts a rĂ©gressĂ© plus tard. Les chefs politiques, surtout ceux des partis lĂ©gaux, qui peuvent accĂ©der plus facilement Ă  la rĂ©gion ne se sont pas souvent dĂ©placĂ©s sur place pour essayer de mobiliser les gens aux cĂŽtĂ©s du mouvement. MĂȘme leurs visites n’ont pas Ă©tĂ© suivies d’activitĂ©s mĂ©diatiques et politiques qui auraient pu contribuer Ă  la levĂ©e du siĂšge, imposĂ© aux populations contestataires, et donner Ă  leur mouvement la dimension nationale dont elles avaient besoin. On ne peut expliquer cette situation par le simple fait que « l’opposition est encore affaiblie » car, comme on l’a dĂ©jĂ  dit, les partis intĂ©ressĂ©s auraient pu exploiter ce mouvement pour surmonter leurs faiblesses, mais des obstacles d’ordres idĂ©ologique et politique se sont Ă©levĂ©s pour les empĂȘcher d’atteindre ce but. En effet, ces partis ne disposent pas de solutions rĂ©elles Ă  proposer aux populations de la rĂ©gion et au peuple tunisien en gĂ©nĂ©ral. Et mĂȘme s’ils s’opposent au despotisme et sont pour une libĂ©ralisation politique, ils sont souvent des adeptes de l’économie capitaliste libĂ©rale avec tout ce qu’elle implique comme privatisation et dĂ©sengagement de l’Etat. Ils acceptent Ă©galement la prĂ©sence ou plutĂŽt la domination du capital Ă©tranger dans le pays sous prĂ©texte d’encourager les investissements extĂ©rieurs, car ils les considĂšrent comme un facteur de dĂ©veloppement et non de freinage, de pillage et de destruction de l’économie tunisienne et de renforcement de sa dĂ©pendance. Par consĂ©quent, un soulĂšvement comme celui du bassin minier contredit le discours de tous ces partis libĂ©raux sur les prĂ©tendus avantages de l’économie de marchĂ©. Ils se sont ainsi trouvĂ©s dans l’embarras, incapables de faire une critique profonde des choix Ă©conomiques et sociaux du rĂ©gime de Ben Ali. Dans le meilleur des cas, ils se bornent Ă  une critique partielle des effets et non des causes de ces effets. Certaines forces qui prĂ©tendent ĂȘtre de gauche, « progressistes », continuent Ă  observer le mouvement de loin, soit parce qu’elles n’ont rien Ă  lui offrir en se limitant Ă  « l’expression de leur solidaritĂ© » comme si les Ă©vĂšnements se dĂ©roulaient dans « un pays voisin » et non dans le nĂŽtre, soit par esprit sectaire, considĂ©rant qu’un soutien actif au mouvement profiterait Ă  tel ou tel parti (le PCOT par exemple), soit purement et simplement parce qu’elles s’opposent au soulĂšvement de crainte d’altĂ©rer leurs relations avec le pouvoir et la bureaucratie syndicale et aussi parce que la « rĂ©volte du bassin minier » dĂ©ment clairement leur phrasĂ©ologie autour du « recul du mouvement populaire» utilisĂ©e pour justifier leur dĂ©faitisme. Quant aux islamistes, ils sont absents, ils n’arrivent pas Ă  se remettre de la dure rĂ©pression qu’ils ont subie durant ces deux derniĂšres dĂ©cennies, ils se sont limitĂ©s Ă  publier, seuls ou avec d’autres forces politiques dans le cadre du « collectif du 18 octobre pour les droits et les libertĂ©s », des communiquĂ©s de solidaritĂ© avec les habitants du bassin minier. L’aile « salafiste » (ou « jihadiste ») de ce courant, qui fait face elle aussi Ă  une campagne de rĂ©pression au nom de la « participation aux efforts internationaux pour la lutte contre le terrorisme », ne s’est pas sentie concernĂ©e par ce genre de mouvement social dont l’esprit, les revendications et les mots d’ordre sont loin d’ĂȘtre religieux. Enfin, quant aux vĂ©ritables forces dĂ©mocratiques et progressistes, y compris notre parti, le Parti communiste des ouvriers de Tunisie, elles ont pris conscience de l’extrĂȘme importance du mouvement du bassin minier. Elles lui ont apportĂ© et lui apportent encore un soutien concret, soit directement, avec la participation de leurs militants, soit indirectement, en informant et mobilisant les travailleurs et les jeunes desautres rĂ©gions afin de dĂ©noncer la rĂ©pression sauvage qui s’abat sur les masses populaires du bassin minier et appuyer leurs revendications lĂ©gitimes. NĂ©anmoins, ces forces ont butĂ©, il faut le reconnaitre, sur les limites de leur implantation dans la rĂ©gion, bien qu’elles occupent une position meilleure que celle des forces libĂ©rales, rĂ©formistes ou islamistes. Et mĂȘme si cette position leur a permis d’avoir, selon les villes, une influence sur le mouvement, elles n’ont pas pu ou plutĂŽt, elles n’ont pas eu les forces nĂ©cessaires pour unifier le mouvement dans les diffĂ©rentes villes du bassin minier ou des autres rĂ©gions. Cependant, avec le travail qu’elles font et le crĂ©dit qu’elles ont gagnĂ© auprĂšs des masses populaires, elles sont capables d’accumuler de nouvelles forces et de vaincre leurs points faibles.
6. La trahison de la bureaucratie syndicale :
C’est peut-ĂȘtre la premiĂšre fois que la fureur populaire se dirige ainsi contre l’Union GĂ©nĂ©rale Tunisienne du Travail (UGTT) et prĂ©cisĂ©ment vers l’Union RĂ©gionale et les syndicats miniers. En effet, l’indignation des gens (traduite par des marches, des communiquĂ©s et des discussions) n’a pas Ă©tĂ© seulement exprimĂ©e Ă  l’égard du rĂ©gime, mais elle a touchĂ© les symboles de la corruption syndicale. Ces symboles, outre leur acceptation du rĂ©sultat du concours, organisĂ© par la CPG, leur implication dans l’esprit des hordes, des relations personnelles et de la corruption, et leur exploitation directe des ouvriers au moyen de sociĂ©tĂ©s de sous-traitance, ont une responsabilitĂ© dans la dĂ©gradation de la situation dans la rĂ©gion. L’UGTT et les syndicats miniers n’ont pas seulement gardĂ© le silence, au contraire, ils ont refusĂ©, lors du dernier conseil rĂ©gional, de prĂ©senter tout simplement les contestations des habitants de la rĂ©gion. Bien plus, ils ont publiĂ© plus tard un communiquĂ© (en 12 points, datĂ© du moi de mai 2008) dans lequel ils se sont attachĂ©s aux rĂ©sultats du concours en recommandant d’embaucher le plus tĂŽt possible « les admis », dĂ©fiant ainsi d’une maniĂšre claire les revendications des contestataires. L’autoritĂ© syndicale rĂ©gionale, avec Ă  sa tĂȘte Amara Abassi, a suscitĂ© l’irritation des populations et fait l’objet de leur indignation. Quant aux autres syndicats, ils ont fait preuve d’indiffĂ©rence et c’est peut-ĂȘtre la rĂ©gion de Redeyef qui a une nouvelle fois fait l’exception la plus remarquable puisque les syndicalistes locaux, et le secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral de l’union locale en tĂȘte, ont soutenu les contestataires et contribuĂ© activement Ă  leur action. Quant Ă  la centrale syndicale, elle a comme d’habitude ignorĂ© ce qui s’était passĂ© dans la rĂ©gion. Elle a, en effet, feint d’envoyer “une commission d’enquĂȘte” composĂ©e de deux membres du bureau exĂ©cutif et du secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral du Syndicat gĂ©nĂ©ral de l’enseignement de base, originaire de la rĂ©gion. Et, comme prĂ©vu, cette commission n’a eu aucun effet sur la rĂ©alitĂ© syndicale dans la rĂ©gion. En fait, Abassi a continuĂ© Ă  bafouer les intĂ©rĂȘts des ouvriers et Ă  manƓuvrer contre les contestataires. Mais, si on s’attendait Ă  ce que la bureaucratie syndicale ait un comportement honteux et hostile envers les ouvriers et les dĂ©shĂ©ritĂ©s du bassin minier, tout le problĂšme est dans la passivitĂ©, sinon l’indiffĂ©rence des secteurs syndicaux traditionnellement rĂ©putĂ©s par leur combativitĂ©. Beaucoup d’observateurs se sont demandĂ©s oĂč Ă©taient passĂ©s les secteurs de l’enseignement de base, de l’enseignement secondaire, de la santĂ©, etc. alors que les leaders de ce remarquable mouvement contestataire appartiennent Ă  ces secteurs et ont Ă©tĂ© victimes d’incarcĂ©rations et de tortures. OĂč est passĂ© Ă  son tour le secteur des postes? En effet, les syndicats gĂ©nĂ©raux n’avaient pas publiĂ© de communiquĂ©s, ni organisĂ© des actions de soutien. Ceux qui ont soutenu le mouvement Ă©taient des syndicats de base, des syndicats locaux ou rĂ©gionaux plutĂŽt que des syndicats gĂ©nĂ©raux qui avaient gardĂ© le silence par crainte du SecrĂ©taire gĂ©nĂ©ral de l’UGTT et de ses courtisans ou par complicitĂ© avec eux.
7. L’indiffĂ©rence des intellectuels
On ne peut aussi que remarquer la passivitĂ© de l’ensemble des intellectuels. Exception faite de quelques-uns qui ont Ă©tĂ© touchĂ©s par l’évĂ©nement et qui l’ont abordĂ© dans des articles, la majoritĂ© n’a pas Ă©tĂ© « Ă©branlĂ©e » ni inspirĂ©e par l’ampleur de l’évĂ©nement. Ce qui prouve la profondeur de la crise que traversent les intellectuels et les crĂ©ateurs en Tunisie. Ils ont Ă©tĂ© habitĂ©s par un sentiment de dĂ©sespoir et d’impuissance perdant confiance dans le peuple au point de ne plus hĂ©siter Ă  lui tourner le dos le taxant de “lĂąchetĂ©” et “ingratitude” et Ă  se jeter dans les bras du pouvoir ou se consacrer pleinement Ă  leurs affaires personnelles. Quand le peuple a bougĂ© et qu’il s’est rĂ©vĂ©lĂ© vivace, dynamique et entreprenant, ces intellectuels ne se sont pas remis de leur lĂ©thargie et quatre mois de rĂ©sistance et d’affrontements sanglants n’ont pas pu agir sur leurs pensĂ©es et leurs esprits. En effet, ils n’ont mĂȘme pas signĂ© la moindre pĂ©tition pour dĂ©noncer l’oppression et soutenir les masses populaires de Redeyef, MoularĂšs et M’dhilla, villes rongĂ©es par le chĂŽmage, la marginalisation, la pauvretĂ© et la faim. Ils ont peut-ĂȘtre besoin d’un sĂ©isme qui les Ă©branle pour les tirer de leur sommeil et de leur torpeur. Il importe de faire une autre remarque. Le soulĂšvement des villes du bassin minier a portĂ© au devant de la scĂšne les femmes populaires au moment ou le rĂŽle des femmes intellectuelles issues des milieux bourgeois et petit-bourgeois connait un recul sur l’arĂšne de la lutte politique, syndicale et des droits. Au-delĂ  des instances traditionnelles connues, les femmes ont participĂ© et elles continueront Ă  participer avec efficacitĂ© aux sit-in dans les tentes, si bien que la « tente des 11 femmes » Ă  MoularĂšs est devenue des plus rĂ©putĂ©es. Ces femmes se sont hĂątĂ©es de l’installer dĂšs les premiers jours devant le siĂšge social de la CPG Ă  MoularĂšs. Ces veuves ont pu rĂ©sister plus d’un mois malgrĂ© toutes les contraintes, y compris les pressions de leurs familles. Dans cette bataille, Khira LaĂąmari s’est nettement distinguĂ©e en ne quittant pas le siĂšge de la cellule destourienne du parti au pouvoir pendant plus d’un mois. Elle a insistĂ© pour y rester malgrĂ© ses malaises chroniques et sa grossesse (9Ăšme mois). Elle n’a quittĂ© les lieux que vers l’hĂŽpital oĂč elle a accouchĂ© d’une petite fille qu’elle a appelĂ© “Intissar” (Victoire). En parallĂšle, les femmes frĂ©quentent dĂ©sormais, par dizaines puis par centaines, le siĂšge de l’union locale de l’UGTT de Redeyef, pour assister par exemple aux meetings et organiser des marches de contestation. Parmi elles, il y a celles qui sont dĂ©voilĂ©es, celles qui portent le foulard traditionnel (bakhnoug) et celles qui sont voilĂ©es. Elles ont quittĂ© le foyer et la cuisine pour exprimer leur souffrance ainsi que celle de leurs enfants. Ce mouvement aurait dĂ» Ă©veiller l’attention des femmes intellectuelles, les progressistes en particulier, pour Ă©largir la base du mouvement fĂ©minin face Ă  la dictature et aux courants fondamentalistes et passĂ©istes. Mais, Ă  l’exception d’une seule rĂ©union organisĂ©e par l’Association Tunisienne des Femmes DĂ©mocrates trois mois aprĂšs le dĂ©clenchement des Ă©vĂ©nements, les intellectuelles qui se disent « fĂ©ministes » sont restĂ©es inactives ; elles ont mĂȘme manifestĂ© une indiffĂ©rence totale vis-Ă -vis de ce mouvement qui attaque en profondeur leur Ă©goĂŻsme petit bourgeois, leur vanitĂ©, leur indolence et leur tendance au bavardage autour de la propagation du port du voile sans agir concrĂštement pour affronter les problĂšmes rĂ©els des femmes et leur apporter l’encadrement et le soutien nĂ©cessaires.
8. Sympathie populaire, mais

Bien que le mouvement ait maintenant atteint son quatriĂšme mois, il ne s’est pas Ă©tendu pour revĂȘtir un caractĂšre national et englober les diffĂ©rentes classes et couches populaires victimes de la politique Ă©conomique et sociale rĂ©actionnaire du rĂ©gime de Ben Ali et de son entourage. Exception faite de certaines protestations locales limitĂ©es dans le temps et la frĂ©quence, le mouvement n’a pas rĂ©ussi Ă  mobiliser les autres rĂ©gions ; il n’a mĂȘme pas mobilisĂ© la rĂ©gion de Gafsa dans sa totalitĂ©. En effet, ceux qui se sont soulevĂ©s dans la rĂ©gion de Gafsa sont les chĂŽmeurs Ă  Zanouche, les paysans pauvres mĂȘlĂ©s aux ouvriers retraitĂ©s et aux dĂ©munis en gĂ©nĂ©ral pour revendiquer de creuser des puits permettant de surmonter les grandes difficultĂ©s mĂ©tĂ©orologiques (Redeyef et M’dhilla), de rĂ©gulariser la propriĂ©tĂ© fonciĂšre des terres agricoles (Redeyef) et de mettre en Ɠuvre des pistes rurales et leur asphaltage (M’dhilla). Il est sĂ»r que certains facteurs ont contraint le mouvement Ă  rester local, mais on ne peut pas les limiter aux facteurs subjectifs, c’est-Ă -dire Ă  la faiblesse des forces politiques de l’opposition ou Ă  la trahison de la bureaucratie syndicale ; il faut Ă©galement prendre en compte les facteurs objectifs. Le dĂ©clenchement du soulĂšvement du bassin minier est liĂ© Ă  des causes locales, c’est-Ă -dire les rĂ©sultats du concours de recrutement organisĂ© par la CPG et non Ă  des causes gĂ©nĂ©rales touchant tout le pays, telle que la hausse du prix du pain lors de la “rĂ©volte du pain” en 1984 qui a pris une dimension nationale malgrĂ© l’absence d’encadrement politique et la complicitĂ© de la bureaucratie syndicale avec le gouvernement de l’époque. S’agissant de la rĂ©volte du pain de 1984, il faut remarquer que la jeunesse estudiantine a jouĂ© un rĂŽle important dans la rĂ©volte du pain. En fait, sa manifestation dans les rues le 3 janvier 1984 Ă  Tunis a eu un effet dĂ©terminant pour mobiliser les jeunes des quartiers pauvres et les entraĂźner dans le mouvement. DĂšs que l’information concernant les manifestations et les affrontements dans la capitale s’est propagĂ©e, les gens sont sortis manifester Ă  travers toutes les rĂ©gions et villes du pays, ce qui a obligĂ© Bourguiba Ă  revenir sur la dĂ©cision concernant la hausse des prix. Cependant, bien qu’elle soit prĂ©sente dans la majoritĂ© des villes, par comparaison avec le milieu des annĂ©es 1980, la jeunesse estudiantine a perdu aujourd’hui le rĂŽle qu’elle jouait pour plusieurs raisons qu’on ne peut Ă©voquer ici. Les actions de solidaritĂ© Ă©taient donc limitĂ©es. Il est Ă©vident que, faute de support, qu’il soit syndical (1978) ou estudiantin (1984) ou politique, il est difficile que le soulĂšvement du bassin minier dĂ©passe son cadre local. Finalement, l’esprit gĂ©nĂ©ral des masses populaires diffĂšre aujourd’hui de celui du passĂ©. En effet, malgrĂ© la dĂ©gradation de leurs conditions sociales et en dĂ©pit de leurs plaintes et colĂšre, elles sont dĂ©mobilisĂ©es. Ceci est la consĂ©quence de deux dĂ©cennies de rĂ©pression, de peur, de frustration et de dĂ©gradation des liens de solidaritĂ©, d’autant plus que les grĂšves de soutien ont Ă©tĂ© lĂ©galement interdites depuis 1996 avec l’accord de la centrale syndicale. C’est aussi Ă  cause de l’effritement des grands centres de travailleurs Ă  la suite de la privatisation du secteur public avec ses corollaires, la compression du nombre d’ouvriers et de salariĂ©s et la prĂ©caritĂ© de l’emploi. Sans oublier le dĂ©veloppement d’un esprit individualiste et opportuniste, dans ce climat de “libĂ©ralisation” sauvage. Mais une telle situation est susceptible d’ĂȘtre renversĂ©e de fond en comble avec l’aggravation des problĂšmes sociaux et surtout l’absence de perspectives.
9. Les perspectives du mouvement
Le soulĂšvement des habitants du bassin minier ne s’est pas interrompu. A chaque fois que l’autoritĂ© a cru qu’il s’était calmĂ©, les protestations ont repris de plus belle, avec plus d’audace et de dĂ©termination. Il est fort probable que ce mouvement dure encore longtemps puisque le pouvoir n’a manifestĂ© jusqu’à maintenant aucune disposition pour satisfaire les revendications des habitants, du moins les plus urgentes. D’autre part, ces derniers n’ont fait apparaĂźtre aucun signe de repli. En fait, de jour en jour, ils deviennent plus unis et plus forts et font varier les formes de lutte (marches, sit-in, grĂšves
). Mais, on s’attend aussi Ă  ce que le mouvement/soulĂšvement reste local, car les facteurs qui ont fait obstacle Ă  sa propagation, au moins, Ă  toute la rĂ©gion de Gafsa, ne sont pas faciles Ă  surmonter en une pĂ©riode de temps aussi limitĂ©e. Mais personne ne peut prĂ©dire l’avenir. Si le mouvement atteignait la ville de Gafsa, nous ne croyons pas que cela n’aurait aucun effet sur les autres rĂ©gions du pays. Cela donnerait plutĂŽt au mouvement d’importantes dimensions politiques. Des Ă©vĂ©nements ou des explosions peuvent Ă©galement se produire dans telle ou telle rĂ©gion d’autant plus que les conditions sociales sont susceptibles de se dĂ©grader Ă  cause de la hausse continuelle des prix, l’accentuation du chĂŽmage, la gravitĂ© des Ă©carts sur les plans social et rĂ©gional et l’accentuation de la corruption. De cette façon, le mouvement des habitants du bassin minier pourrait connaĂźtre de nouvelles dimensions. NĂ©anmoins, nous ne pourrons pas dĂ©sormais fonder nos jugements sur des hypothĂšses, nous devons plutĂŽt prendre la rĂ©alitĂ© en considĂ©ration, agir en fonction de cette rĂ©alitĂ© et rechercher des moyens susceptibles de permettre au mouvement d’atteindre les objectifs escomptĂ©s sous un tel rapport de force. De ce point de vue, nous croyons qu’il est urgent d’unifier les composantes du mouvement dans les trois villes du bassin minier et pourquoi pas former une direction commune dans les trois villes en attendant que la ville de MĂ©tlaoui se joigne au mouvement. D’autre part, la chose la plus importante pour assurer au mouvement la continuitĂ© et prĂ©server sa pĂ©rennitĂ©, voire l’élargir, est de chercher Ă  organiser les habitants dans des cadres appropriĂ©s et selon les possibilitĂ©s soit selon les centres de travail et d’études, ou selon les quartiers. Le rĂŽle de ces cadres consistera Ă  dĂ©signer ou Ă  Ă©lire les dirigeants au niveau local, Ă  discuter des problĂšmes posĂ©s, Ă  prendre position vis-Ă -vis des problĂšmes rencontrĂ©s, Ă  mettre au point des plans d’action et Ă  aider les citoyens et citoyennes, qui n’ont plus confiance en l’autoritĂ©, Ă  gĂ©rer leurs affaires. Cet itinĂ©raire dĂ©mocratique est aisĂ©ment applicable et c’est l’un des facteurs susceptibles de promouvoir le mouvement sur les plans politiques et organisationnels. Finalement, nous croyons qu’il est indispensable d’accorder aujourd’hui plus d’intĂ©rĂȘt au mouvement de solidaritĂ© dans les diffĂ©rentes rĂ©gions du pays. C’est selon ce critĂšre qu’on peut rĂ©viser la structure du ComitĂ© national de solidaritĂ© pour qu’il soit vraiment national et qu’il englobe toutes les forces qui peuvent adhĂ©rer Ă  la campagne de solidaritĂ©, telles que les partis, les associations, les comitĂ©s syndicaux et les personnalitĂ©s. En effet, ce comitĂ© a vu le jour dans un cadre relativement restreint et selon une vision limitĂ©e qui est actuellement dĂ©passĂ©e.
Une répression sauvage [1]
Le soulĂšvement du bassin minier a durĂ© plus que cinq mois. Le 6 juin 2008, le rĂ©gime de Ben Ali l’a sauvagement rĂ©primĂ©. Des milliers d’agents des forces de l’ordre ont Ă©tĂ© lancĂ©s contre la ville de Redeyf, bastion de la rĂ©sistance. Ils ont ouvert le feu sur la foule causant un mort et 26 blessĂ©s dont un qui a succombĂ© quelques semaines aprĂšs Ă  ses blessures. Ils ont ensuite investi les quartiers populaires qu’ils ont pris maison par maison. La police fasciste de Ben Ali a dĂ©foncĂ© les portes des maisons terrorisant, agressant et humiliant les habitants et a pillĂ© leurs biens. Les commerces n’ont pas Ă©tĂ© Ă©pargnĂ©s, ils ont Ă©tĂ© Ă  leur tour saccagĂ©s et pillĂ©s. Les jeunes, moteur du soulĂšvement, ont Ă©tĂ© pris pour cible principale, ils ont Ă©tĂ© agressĂ©s et arrĂȘtĂ©s par dizaines. Des centaines d’entre eux ont quittĂ© leurs maisons pour se rĂ©fugier dans les montagnes proches de la ville. Dans la nuit du 6 au 7 juin, l’armĂ©e a investi la ville et occupĂ© ses principales rues et places dĂ©crĂ©tant le couvre-feu et imposant aux habitants de ne pas quitter leurs demeures. Elle a bloquĂ© l’entrĂ©e sud de la ville ainsi que tous les accĂšs aux montagnes oĂč se sont rĂ©fugiĂ© des centaines d’activistes et de jeunes pour empĂȘcher leurs familles de leur fournir de la nourriture et de l’eau potable. Les dirigeants du soulĂšvement, dont notamment Adnane Hajji, Bachir Abidi, TaĂŻeb Ben Othmane et Adel Jayar, ainsi que des centaines d’activistes ont Ă©tĂ© arrĂȘtĂ©s, sauvagement torturĂ©s et incarcĂ©rĂ©s. AprĂšs Redeyef, les forces de l’ordre ont attaquĂ© la ville de Metlaoui et y ont perpĂ©trĂ© les mĂȘmes crimes contre les habitants. Des dizaines d’activistes et de jeunes ont Ă©tĂ© arrĂȘtĂ©s, torturĂ©s et transfĂ©rĂ©s devants le tribunal de Gafsa qui leur a infligĂ© de lourdes peines de prison ferme allant jusqu’à 6 ans. Les dizaines de simulacres de procĂšs qu’ont subi les activistes et les jeunes des villes du bassin minier oĂč les droits de la dĂ©fense ont Ă©tĂ© systĂ©matiquement bafouĂ©s, les peines prononcĂ©es Ă  leur encontre basĂ©es sur des dossiers vides ou des “aveux” arrachĂ©s sous la torture et la connivence des juges avec la police politique dĂ©montre clairement que la “justice” est totalement infĂ©odĂ©e au rĂ©gime de Ben Ali et qu’elle joue un rĂŽle principal dans la criminalisation des luttes sociales. Le 4 dĂ©cembre 2008 est la date de l’ouverture du procĂšs “des 38” activistes et dirigeants du soulĂšvement de Redeyef. [1] Addendum du traducteur.
 
(Source:“Albadil Express”  La liste de diffusion du PCOT LE 12 Janvier 2009)

Tunisie : jugements iniques à Gafsa

Mardi 13 janvier, Ă  400 kilomĂštres au sud-ouest de Tunis, commence le procĂšs en appel des leaders du mouvement social majeur qui s’est dĂ©roulĂ© en Tunisie au premier semestre 2008 dans le bassin minier de Gafsa  (1). Sur le banc des accusĂ©s figure une trentaine d’inculpĂ©s, notamment les syndicalistes enseignants Adnane Hajji, Taieb Ben Othman et Bachir Labidi (actuellement hospitalisĂ© suite Ă  son incarcĂ©ration et enchaĂźnĂ© Ă  son lit). Tous sont poursuivis pour des chefs d’inculpation de constitution d’une entente criminelle et de participation Ă  une rĂ©bellion


Le procĂšs en premiĂšre instance s’était tenu Ă  Gafsa les 4 et 11 dĂ©cembre dans un non-respect dĂ©routant des rĂšgles Ă©lĂ©mentaires du droit. Le jugement bĂąclĂ© a Ă©tĂ© rendu en quelques minutes vers 23 heures sous forts cordons policiers Ă  l’intĂ©rieur mĂȘme du tribunal : des peines allant jusqu’à dix ans de prison.Les dirigeants de la plupart des organisations et partis dĂ©mocratiques tunisiens, ainsi que des reprĂ©sentants de la communautĂ© internationale et des syndicalistes venus spĂ©cialement du Maghreb et d’Europe, y avaient assistĂ© dans une salle par ailleurs noire de monde
 Les inculpĂ©s avaient entonnĂ© l’hymne national avant d’ĂȘtre molestĂ©s et ramenĂ©s dans leurs cellules. Ils sont dĂ©fendus par plus d’une centaine d’avocats venus de diverses villes de Tunisie, toutes gĂ©nĂ©rations confondues.

D’autres Ă©chauffourĂ©es entre les policiers et le public ont eu lieu Ă©galement lors du procĂšs en premiĂšre instance. Lors de ce mĂȘme procĂšs, Mohieddine Cherbib, prĂ©sident de l’association française FĂ©dĂ©ration des Tunisiens pour une citoyennetĂ© des deux rives (FTCR), a Ă©tĂ© condamnĂ© Ă  deux ans de prison pour solidaritĂ© et diffusion de l’information concernant le bassin minier, tout comme Fahem Boukaddous, correspondant de la chaĂźne tunisienne Al-Hiwar Ă©mettant d’Italie, et condamnĂ©, lui aussi par dĂ©faut et pour les mĂȘmes motifs, Ă  six ans de prison. Les procĂšs prĂ©cĂ©dents concernant les quelques deux cents personnes arrĂȘtĂ©es du mouvement du bassin minier ont dĂ©bouchĂ© le plus souvent sur des peines sĂ©vĂšres. Toutes les entrĂ©es et sorties du bassin minier de Gafsa restent Ă©troitement contrĂŽlĂ©es par la police, ainsi que les populations des principales villes hier au cƓur du mouvement.

Outre les organisations des droits humains et les syndicats Ă©trangers, notamment maghrĂ©bins et europĂ©ens, les groupes parlementaires europĂ©ens de la Gauche unie europĂ©enne et des Verts suivent de prĂšs le dossier judiciaire de Gafsa, ainsi que le barreau de Paris, un comitĂ© nantais et une coordination française de partis de gauche, d’associations et syndicats. Depuis dĂ©cembre, de multiples rassemblements organisĂ©s par les organisations territoriales de l’Union gĂ©nĂ©rale tunisienne du travail (UGTT) rĂ©clament la relaxe des prisonniers du bassin minier.

Les avocats persisteront ce mardi Ă  dĂ©noncer les vices de forme, ainsi que la torture subie depuis les arrestations, rĂ©clamant des examens mĂ©dicaux. Ils exigent en outre l’accĂšs aux procĂšs-verbaux relatant les nĂ©gociations qui ont eu lieu (avant d’avorter) entre les dĂ©lĂ©guĂ©s du mouvement et diverses autoritĂ©s rĂ©gionales au moment des faits…

Karine Gantin

(1) Lire « RĂ©volte du “peuple des mines” en Tunisie », Le Monde diplomatique, juillet 2008.

(Source: le site du “Monde Diplomatique”, le 12 janvier 2009)

Lien:http://www.monde-diplomatique.fr/carnet/2009-01-12-Tunisie-jugements


Djerba: pas d’atteinte Ă  la prĂ©somption d’innocence de la part de Sarkozy (cour d’assises)

AFP  12.01.09 | 15h09  La cour d’assises spĂ©ciale de Paris, qui juge trois hommes pour complicitĂ© dans l’attentat contre une synagogue de Djerba en 2002, a estimĂ© lundi que Nicolas Sarkozy n’avait pas portĂ© atteinte Ă  la prĂ©somption d’innocence d’un des inculpĂ©s en le qualifiant, lors de son arrestation, de “haut responsable d’Al QaĂŻda”. L’avocat de l’Allemand converti Ă  l’islam, Christian Ganczarski, avait Ă  l’ouverture du procĂšs le 5 janvier dĂ©posĂ© une requĂȘte en “irrecevabilitĂ© des poursuites” contre son client. Il avait plaidĂ© que Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’IntĂ©rieur, avait commentĂ© Ă  la tribune de l’AssemblĂ©e l’interpellation de M. Ganczarski, en juin 2003 Ă  l’aĂ©roport de Roissy, en annonçant “l’arrestation d’un haut responsable d’Al QaĂŻda, en contact avec Oussama ben Laden”. “Sa prĂ©somption d’innocence, garantie par la Constitution, ayant Ă©tĂ© violĂ©e, il n’y a pas pour vous la possibilitĂ© de garantir un procĂšs Ă©quitable Ă  mon client”, avait dĂ©clarĂ© Me SĂ©bastien Bono Ă  la cour, composĂ©e de six magistrats professionnels en plus du prĂ©sident Yves Jacob. A l’ouverture des dĂ©bats lundi aprĂšs-midi, le prĂ©sident Jacob a dĂ©clarĂ© que la Cour avait estimĂ© que les propos de M. Sarkozy “ne constituent pas une atteinte Ă  la prĂ©somption d’innocence de nature Ă  entĂącher d’irrĂ©gularitĂ© les poursuites entamĂ©es Ă  l’encontre de M. Ganczarski”. “La cour rejette donc cette requĂȘte comme mal fondĂ©e et dit qu’il sera passĂ© outre au dĂ©bat”, a ajoutĂ© le prĂ©sident. La cour a Ă©galement rejetĂ© une demande de report du procĂšs, dĂ©posĂ©e par les avocats de deux des trois accusĂ©s, qui demandaient que le troisiĂšme inculpĂ©, le Pakistanais Khalid Cheikh Mohammed (KSM), actuellement dĂ©tenu Ă  Guantanamo, soit citĂ© Ă  titre de tĂ©moin. “Khalid Cheikh Mohammed ne peut ĂȘtre entendu en qualitĂ© de tĂ©moin car des co-accusĂ©s soumis Ă  un mĂȘme dĂ©bat ne peuvent tĂ©moigner les uns contre les autres”, a estimĂ© la cour dans ses conclusions. Christian Ganczarski, Khalid Cheikh Mohammed et Walid Nawar (frĂšre du jeune Tunisien qui s’est fait exploser dans l’attentat) sont accusĂ©s d’avoir, Ă  des degrĂ©s divers, incitĂ© et aidĂ© le kamikaze Ă  commettre son acte qui a fait 21 morts dont 14 Allemands, 5 Tunisiens et 2 Français. Ils doivent rĂ©pondre, dans un procĂšs qui doit durer jusqu’au 6 fĂ©vrier, de “complicitĂ© et tentatives d’assassinat en relation avec une entreprise terroriste” et risquent la prison Ă  vie.

 
 

Gaza : la trahison des clercs,

 
par Mezri Haddad  
Bien plus que le spectacle tragique des enfants dĂ©chiquetĂ©s et des familles dĂ©cimĂ©es, c’est le mutisme, en France, des archanges de la libertĂ© et des droits de l’homme qui est incomprĂ©hensible et insupportable.

 

On les a vus se mobiliser pour les TchĂ©tchĂšnes ou pour les Bosniaques – ce qui est bien louable -, mais pourquoi se taisent-ils sur le massacre quotidien de populations civiles palestiniennes ? Pourquoi ne dĂ©noncent-ils pas, avec la mĂȘme ardeur humaniste et la mĂȘme prise de conscience, les actes criminels de l’armĂ©e israĂ©lienne Ă  Gaza ?

 

 

Les centaines morts, pour la plupart des civils, et les milliers de blessĂ©s sont-ils des ĂȘtres infĂ©rieurs ou n’appartiennent-ils pas Ă  cette humanitĂ© si chĂšre aux universalistes, pour que la campagne de punition collective dont ils sont victimes aujourd’hui soit traitĂ©e avec autant d’indiffĂ©rence ? Et, plus graves que l’omerta, les propos scandaleux de certains pharisiens qui Ă©tablissent une responsabilitĂ© symĂ©trique des coupables et des victimes, de ceux qui tuent et de ceux qui dĂ©cĂšdent par centaines.

Celui qui pose ces questions n’est pas un prosĂ©lyte des causes intĂ©gristes, ni un zĂ©lote de l’activisme terroriste, ni un ignoble consommateur du poison antisĂ©mite.

Contre ces trois nĂ©croses mortelles qui rongent certains de mes coreligionnaires et qui sont si contraires Ă  l’islam, je me suis battu en prenant des risques. Chaque fois que les circonstances l’ont exigĂ©, je n’ai pas hĂ©sitĂ© Ă  blĂąmer les miens, au nom de ce que je prenais pour des valeurs universelles, au nom d’une coexistence pacifique entre IsraĂ©liens et Palestiniens, au nom d’une fraternisation entre juifs et musulmans. J’ai dĂ©noncĂ© l’imposture dĂ©mocratique qui a hissĂ© le Hamas Ă  la tĂȘte de Gaza. Je craignais pour le dĂ©jĂ  agonisant processus de paix, je redoutais le choc des civilisations, j’apprĂ©hendais le totalitarisme thĂ©ocratique que devaient subir les habitants de Gaza en les isolant du reste du monde.

Le Hamas n’a pas eu le temps de transformer Gaza en enfer. IsraĂ«l et l’Egypte, avec la complicitĂ© active des Etats-Unis, ont prĂ©cipitĂ© ce funeste destin. Durant deux longues annĂ©es, comme les Irakiens avant la chute de Saddam Hussein, 1,5 million de Palestiniens ont Ă©tĂ© mis en quarantaine. Gaza est devenue une “prison Ă  ciel ouvert”, reconnaissait StĂ©phane Hessel.

Aucune chance n’a Ă©tĂ© donnĂ©e aux dirigeants du Hamas de nĂ©gocier avec l'”ennemi” qui les avait jadis et naguĂšre soutenus contre le Fatah, Ă  l’instar de l’administration amĂ©ricaine dans son appui Ă  Ben Laden contre l’URSS ! A l’Ă©poque, les stratĂšges d’IsraĂ«l et les “terroristes” du Hamas s’entendaient si bien pour isoler Yasser Arafat, l’humilier et le dĂ©pouiller de tous les attributs du pouvoir ! Les attentats-suicides du Hamas avaient payĂ©. IsraĂ«l a ainsi renforcĂ© la lĂ©gitimitĂ© martyrologique du Hamas en brisant la lĂ©gitimitĂ© historique d’Arafat, double fiasco qui a conduit Ă  l’apothĂ©ose Ă©lectorale de l’organisation islamiste. Et IsraĂ«l a continuĂ© avec l’hĂ©ritier sans hĂ©ritage qu’est devenu Mahmoud Abbas.

L’unique compromis qu’IsraĂ«l, sous l’insistance de l’Egypte, a fini par concĂ©der, c’est la signature d’une trĂȘve de six mois avec le Hamas, en contrepartie d’une levĂ©e bien contrĂŽlĂ©e du blocus. MĂȘme Ă  dose homĂ©opathique, l’Ă©tau de ce blocus n’a jamais Ă©tĂ© desserrĂ©. Beaucoup moins pour allĂ©ger le calvaire des Gazaouis que pour entretenir leur image de protecteurs de la veuve et de l’orphelin et de rĂ©sistants inflexibles Ă  “l’entitĂ© sioniste”, les maximalistes du Hamas ont fini par commettre l’irrĂ©parable : la rupture de la trĂȘve le 18 dĂ©cembre.

Est-ce une raison suffisante pour IsraĂ«l de se lancer dans cette impitoyable guerre punitive Ă  l’encontre de toute une population prise en otage par ses propres dirigeants ? On sait ce que vaut la vie d’un homme ou d’un enfant dans l’idĂ©ologie sacrificielle du Hamas. Mais comment les dirigeants israĂ©liens peuvent-ils considĂ©rer la vie de ces enfants avec le mĂȘme dĂ©dain ?

Selon Montesquieu, “le droit des gens est naturellement fondĂ© sur ce principe que les diverses nations doivent se faire, dans la paix, le plus de bien, et, dans la guerre, le moins de mal qu’il est possible”. En temps de paix, IsraĂ«l a imposĂ© Ă  la population de Gaza un blocus cruel et inhumain ; en temps de guerre, la puissante armĂ©e de ce pays n’hĂ©site pas Ă  tuer cinquante civils pour atteindre un combattant du Hamas. Autrement dit, Ă©liminer les combattants du Hamas pour ce qu’ils font, et tuer les habitants de Gaza pour ce qu’ils sont. Est-ce cela, l’Ă©quitĂ© et la moralitĂ© ?

N’en dĂ©plaise Ă  AndrĂ© Glucksmann, il y a bien eu disproportion entre l’erreur commise et le chĂątiment infligĂ©. Aligner une armada militaire des plus sophistiquĂ©es et massacrer en douze jours plus de sept cents Palestiniens parce que le Hamas a lancĂ© quelques roquettes bricolĂ©es qui ont fait quatre blessĂ©s et quelques dĂ©gĂąts matĂ©riels, cela s’appelle bien disproportion et dĂ©mesure. L’hybris (dĂ©mesure) est fille de NĂ©mĂ©sis (vengeance), et “la dĂ©mesure, en mĂ»rissant, produit le fruit de l’erreur et la moisson qui en lĂšve n’est faite que de larmes”, Ă©crivait Eschyle.

Rien ne peut justifier un tel dĂ©chaĂźnement qui ne laisse derriĂšre lui que ruines, dĂ©solation, haine et candidats aux suicides. Ni les raisons bassement Ă©lectoralistes en IsraĂ«l ni les manoeuvres vaguement tactiques pour tester la discontinuitĂ© Ă©ventuelle ou la continuitĂ© probable de la future administration amĂ©ricaine dans sa gestion du conflit israĂ©lo-palestinien. Quant Ă  la lĂ©gende du petit David contre le mĂ©chant Goliath, elle est dĂ©suĂšte et anachronique. Car mĂȘme si plusieurs innocents civils ont Ă©tĂ© atteints par les abominable attentats-suicides, il y a bien longtemps que la sĂ©curitĂ© d’IsraĂ«l n’est plus menacĂ©e. Et pour cause, en termes de puissance militaire et de dissuasion nuclĂ©aire, IsraĂ«l peut rayer de la carte qui il veut et quand il veut.

Ce n’est pas aimer IsraĂ«l que de lui “souffleter l’imprudent patriotisme”, comme disait Zola. Aimer IsraĂ«l, c’est, Ă  l’instar d’Hannah Arendt hier, de Tzvetan Todorov, de Gideon Levy et de tant d’intellectuels israĂ©liens aujourd’hui, lui “dire la vĂ©ritĂ©, mĂȘme si ça coĂ»te. Surtout si ça coĂ»te”, comme disait Hubert Beuve-MĂ©ry, fondateur et directeur du Monde.

Aimer cet Etat nĂ© aprĂšs l’innommable Holocauste, c’est le mettre en garde de l’ivresse de la puissance et de l’impunitĂ©. “IsraĂ«l a toujours gagnĂ© les guerres et perdu les paix”, disait l’illustre Raymond Aron. Il ne s’est pas trompĂ© : avec celui qui lui a assurĂ© tant de guerres, Itzhak Rabin, IsraĂ«l a failli gagner la paix. On l’a assassinĂ© et avec sa disparition, l’espoir d’une paix durable s’est Ă©vaporĂ©. Mais tĂŽt ou tard, lorsque les armes vont se taire et que cessera de couler le sang des Palestiniens, avec ou contre la volontĂ© de Dieu, le destin du peuple hĂ©breu croisera Ă  nouveau la volontĂ© d’un prophĂšte.

Mezri Haddad est écrivain et philosophe tunisien.  
(Source: “Le Monde” (Quotidien – France) le 13 janvier 2009)  
 

 

Mezri Haddad sur LCI mardi 13 janvier 2009 Ă  17h

 
Par Sami Ben Abdallah
 
Au sujet du carnage Ă  Gaza, et aprĂšs la tribune qu’il vient de signer dans Le Monde, sur le silence des intellectuels français, le penseur  tunisien Mezri Haddad participera Ă  un dĂ©bat sur la chaĂźne de tĂ©lĂ©vision LCI qui se dĂ©roulera de 17h Ă  18h (M.Mezri Haddad m’a confirmĂ© son intervention sur LCI le mardi Ă  17h). Seront prĂ©sents notamment Elias Sembar, ambassadeur de l’AutoritĂ© palestinienne auprĂšs de l’UNESCO ainsi que le prĂ©sident du CRIF.  Il est Ă  rappeler que lors d’une rĂ©cente manifestation Ă  Paris pour soutenir l’armĂ©e israĂ©lienne, Guysen International News  a Ă©crit ce qui suit :   « Richard Prasquier, prĂ©sident du CRIF (Conseil reprĂ©sentatif des institutions juives de France) a rappelĂ© le sort du jeune otage franco-israĂ©lien Guilad Shalit dont on est sans nouvelle. Il a niĂ© la prĂ©tendue crise humanitaire dont souffriraient les Palestiniens : une centaine de camions apportent quotidiennement d’IsraĂ«l une aide humanitaire dans la bande de Gaza. RĂ©futant le parallĂ©lisme entre l’Etat d’IsraĂ«l et le mouvement islamiste Hamas, il a insistĂ© : « IsraĂ«l ne combat pas les Palestiniens, mais un groupe terroriste, le Hamas, qui les prend en otages ».
 
Il a soulignĂ© le danger pour le monde que reprĂ©sente le mouvement islamiste Hamas soutenu par l’Iran. Il a citĂ© des articles de la charte du Hamas appelant Ă  ”libĂ©rer toutes les terres ayant Ă©tĂ© conquises par l’islam : l’Espagne, le Sud de la France, l’Italie, les Balkans, l’Inde”. IsraĂ«l se bat pour ces dĂ©mocraties occidentales dont elle partage les valeurs. ». et d’ajouter : « les propos de Richard Prasquier, applaudi par cette foule disciplinĂ©e et calme ».(fin)
 

Le bloc-notes de Bernard-Henri LĂ©vy – LibĂ©rer les Palestiniens du Hamas

Bernard-Henri Lévy

N’étant pas un expert militaire, je m’abstiendrai de juger si les bombardements israĂ©liens sur Gaza auraient pu ĂȘtre mieux ciblĂ©s, moins intenses.

N’ayant, depuis des dĂ©cennies, jamais pu me rĂ©soudre Ă  distinguer entre bons et mauvais morts ou, comme disait Camus, entre « victimes suspectes » et « bourreaux privilĂ©giĂ©s », je suis Ă©videmment bouleversĂ©, moi aussi, par les images d’enfants palestiniens tuĂ©s.

Cela Ă©tant dit, et compte tenu du vent de folie qui semble, une fois de plus, comme toujours quand il s’agit d’IsraĂ«l, s’emparer de certains mĂ©dias, je voudrais rappeler quelques faits.

1. Aucun gouvernement au monde, aucun autre pays que cet IsraĂ«l vilipendĂ©, traĂźnĂ© dans la boue, diabolisĂ©, ne tolĂ©rerait de voir des milliers d’obus tomber, pendant des annĂ©es, sur ses villes : le plus remarquable dans l’affaire, le vrai sujet d’étonnement, ce n’est pas la « brutalitĂ© » d’IsraĂ«l-c’est, Ă  la lettre, sa longue retenue.

2. Le fait que les Qassam du Hamas et, maintenant, ses missiles Grad aient fait si peu de morts ne prouve pas qu’ils soient artisanaux, inoffensifs, etc., mais que les IsraĂ©liens se protĂšgent, qu’ils vivent terrĂ©s dans les caves de leurs immeubles, aux abris : une existence de cauchemar, en sursis, au son des sirĂšnes et des explosions-je suis allĂ© Ă  SdĂ©rot, je sais .

3. Le fait que les obus israĂ©liens fassent, Ă  l’inverse, tant de victimes ne signifie pas, comme le braillaient les manifestants de ce week-end, qu’IsraĂ«l se livre Ă  un « massacre » dĂ©libĂ©rĂ©, mais que les dirigeants de Gaza ont choisi l’attitude inverse et exposent leurs populations : vieille tactique du « bouclier humain » qui fait que le Hamas, comme le Hezbollah il y a deux ans, installe ses centres de commandement, ses stocks d’armes, ses bunkers, dans les sous-sols d’immeubles, d’hĂŽpitaux, d’écoles, de mosquĂ©es-efficace mais rĂ©pugnant.

4. Entre l’attitude des uns et celle des autres il y a, quoi qu’il en soit, une diffĂ©rence capitale et que n’ont pas le droit d’ignorer ceux qui veulent se faire une idĂ©e juste, et de la tragĂ©die, et des moyens d’y mettre fin : les Palestiniens tirent sur des villes, autrement dit sur des civils (ce qui, en droit international, s’appelle un « crime de guerre ») ; les IsraĂ©liens ciblent des objectifs militaires et font, sans les viser, de terribles dĂ©gĂąts civils (ce qui, dans la langue de la guerre, porte un nom-« dommage collatĂ©ral »-qui, mĂȘme s’il est hideux, renvoie Ă  une vraie dissymĂ©trie stratĂ©gique et morale).

5. Puisqu’il faut mettre les points sur les i, on rappellera encore un fait dont la presse française s’est Ă©trangement peu fait l’écho et dont je ne connais pourtant aucun prĂ©cĂ©dent, dans aucune autre guerre, de la part d’aucune autre armĂ©e : les unitĂ©s de Tsahal ont, pendant l’offensive aĂ©rienne, systĂ©matiquement tĂ©lĂ©phonĂ© (la presse anglo-saxonne parle de 100 000 appels) aux Gazaouis vivant aux abords d’une cible militaire pour les inviter Ă  Ă©vacuer les lieux ; que cela ne change rien au dĂ©sespoir des familles, aux vies brisĂ©es, au carnage, c’est Ă©vident ; mais que les choses se passent ainsi n’est pas, pour autant, un dĂ©tail totalement privĂ© de sens.

6. Et quant au fameux blocus intĂ©gral, enfin, imposĂ© Ă  un peuple affamĂ©, manquant de tout et prĂ©cipitĂ© dans une crise humanitaire sans prĂ©cĂ©dent (sic), ce n’est, lĂ  non plus, factuellement pas exact : les convois humanitaires n’ont jamais cessĂ© de passer, jusqu’au dĂ©but de l’offensive terrestre, au point de passage Kerem Shalom ; pour la seule journĂ©e du 2 janvier, ce sont 90 camions de vivres et de mĂ©dicaments qui ont pu, selon le New York Times , entrer dans le territoire ; et je n’évoque que pour mĂ©moire (car cela va sans dire-encore que, Ă  lire et Ă©couter certains, cela aille peut-ĂȘtre mieux en le disant…) le fait que les hĂŽpitaux israĂ©liens continuent, Ă  l’heure oĂč j’écris, de recevoir et de soigner, tous les jours, des blessĂ©s palestiniens.

TrĂšs vite, espĂ©rons-le, les combats cesseront. Et trĂšs vite, espĂ©rons-le aussi, les commentateurs reprendront leurs esprits. Ils dĂ©couvriront, ce jour-lĂ , qu’IsraĂ«l a commis bien des erreurs au fil des annĂ©es (occasions manquĂ©es, long dĂ©ni de la revendication nationale palestinienne, unilatĂ©ralisme), mais que les pires ennemis des Palestiniens sont ces dirigeants extrĂ©mistes qui n’ont jamais voulu de la paix, jamais voulu d’un Etat et n’ont jamais conçu d’autre Ă©tat pour leur peuple que celui d’instrument et d’otage (sinistre image de Khaled Mechaal qui, le samedi 27 dĂ©cembre, alors que se prĂ©cisait l’imminence de la riposte israĂ©lienne tant dĂ©sirĂ©e, ne savait qu’exhorter sa « nation » Ă  « offrir le sang d’autres martyrs »-et ce depuis son confortable exil, sa planque, de Damas…).

Aujourd’hui, de deux choses l’une. Ou bien les FrĂšres musulmans de Gaza rĂ©tablissent la trĂȘve qu’ils ont rompue et, dans la foulĂ©e, dĂ©clarent caduque une charte fondĂ©e sur le pur refus de l’« entitĂ© sioniste » : ils rejoindront ce vaste parti du compromis qui ne cesse, Dieu soit louĂ©, de progresser dans la rĂ©gion-et la paix se fera. Ou bien ils s’obstinent Ă  ne voir dans la souffrance des leurs qu’un bon carburant pour leurs passions recuites, leur haine folle, nihiliste, sans mots-et c’est non seulement IsraĂ«l, mais les Palestiniens, qu’il faudra libĂ©rer de la sombre emprise du Hamas.

(Source: “Lepoint.fr” le 8 janvier 2009)


Libérer les Palestiniens des mensonges de Bernard-Henri Lévy

par Alain Gresh

Il manquait encore sa voix dans le dĂ©bat. Il vient enfin de s’exprimer dans un texte exemplaire paru dans Le Point, « LibĂ©rer les Palestiniens du Hamas ». Exemplaire ? oui, car, commecelui d’AndrĂ© Glucksmann, il rĂ©sume tous les mensonges, toute la mauvaise foi de ceux qui pensent que, au-delĂ  de telle ou telle erreur, la politique d’IsraĂ«l doit ĂȘtre dĂ©fendue contre ses ennemis, contre les barbares qui menacent de le submerger. Ce bloc-note mĂ©rite donc une analyse de texte dĂ©taillĂ©e (je mets en gras les citations de BHL).

« N’étant pas un expert militaire, je m’abstiendrai de juger si les bombardements israĂ©liens sur Gaza auraient pu ĂȘtre mieux ciblĂ©s, moins intenses. »

Etrange argument. Il n’est pas nĂ©cessaire d’ĂȘtre un spĂ©cialiste militaire pour savoir si des actions violent ou nonle droit international : un philosophe pourrait faire l’affaire… Car les dĂ©clarations confirmant ce violsont multiples.

« N’ayant, depuis des dĂ©cennies, jamais pu me rĂ©soudre Ă  distinguer entre bons et mauvais morts ou, comme disait Camus, entre “victimes suspectes” et “bourreaux privilĂ©giĂ©s”, je suis Ă©videmment bouleversĂ©, moi aussi, par les images d’enfants palestiniens tuĂ©s. »

« Cela Ă©tant dit, et compte tenu du vent de folie qui semble, une fois de plus, comme toujours quand il s’agit d’IsraĂ«l, s’emparer de certains mĂ©dias, je voudrais rappeler quelques faits. »

Bien sĂ»r, personne, ne peut accepter la mort d’un enfant, oĂč qu’il soit, mais admirez le « cela Ă©tant dit »… qui laisse supposer que cette mort s’explique par le contexte.

« 1. Aucun gouvernement au monde, aucun autre pays que cet IsraĂ«l vilipendĂ©, traĂźnĂ© dans la boue, diabolisĂ©, ne tolĂ©rerait de voir des milliers d’obus tomber, pendant des annĂ©es, sur ses villes : le plus remarquable dans l’affaire, le vrai sujet d’étonnement, ce n’est pas la “brutalitĂ©â€ d’IsraĂ«l — c’est, Ă  la lettre, sa longue retenue. »

Il suffit de comparer le nombre de morts palestiniens et israĂ©liens (avant les combats actuels) pour mesurer la « longue retenue ». En rĂ©alitĂ©, les bombardements sur Gaza n’ont jamais cessĂ©, sinon pendant le cessez-le-feu signĂ© le 19 juin 2008. Et que dire de la « longue retenue » des Palestiniens qui vivent sous occupation depuis 40 ans… Car, il faut le rappeler, l’origine de la rĂ©sistance ce n’est ni le Fatah, ni l’OLP ni le Hamas, mais l’occupation, qui suscite toujours la rĂ©sistance.

« 2. Le fait que les Qassam du Hamas et, maintenant, ses missiles Grad aient fait si peu de morts ne prouve pas qu’ils soient artisanaux, inoffensifs, etc., mais que les IsraĂ©liens se protĂšgent, qu’ils vivent terrĂ©s dans les caves de leurs immeubles, aux abris : une existence de cauchemar, en sursis, au son des sirĂšnes et des explosions — je suis allĂ© Ă  SdĂ©rot, je sais. »

Bernard-Henri LĂ©vy est allĂ© Ă  SdĂ©rot (alors qu’en GĂ©orgie, il a pu Ă©crire des affabulations sur des lieux oĂč il ne s’était jamais rendu), on n’en doute pas. Mais est-il jamais allĂ© Ă  Gaza ? A-t-il vu dans quelles conditions vivent les Palestiniens, depuis des dizaines d’annĂ©es ? InterviewĂ©e par la tĂ©lĂ©vision, une habitante de Gaza, Ă  qui l’on demandait si elle rendait le Hamas responsable de ce qu’elle subissait, rĂ©pondait en substance : il y avait des bombardements avant l’arrivĂ©e du Hamas et il y en aura aprĂšs ; tout cela n’est que prĂ©texte.

« 3. Le fait que les obus israĂ©liens fassent, Ă  l’inverse, tant de victimes ne signifie pas, comme le braillaient les manifestants de ce week-end, qu’IsraĂ«l se livre Ă  un “massacre” dĂ©libĂ©rĂ©, mais que les dirigeants de Gaza ont choisi l’attitude inverse et exposent leurs populations : vieille tactique du “bouclier humain” qui fait que le Hamas, comme le Hezbollah il y a deux ans, installe ses centres de commandement, ses stocks d’armes, ses bunkers, dans les sous-sols d’immeubles, d’hĂŽpitaux, d’écoles, de mosquĂ©es-efficace mais rĂ©pugnant. »

Ce qui est rĂ©pugnant, c’est la disproportion des forces. Comme le dit le philosophe (un vrai, celui-lĂ ) Michael Walzer, que j’aidĂ©jĂ  citĂ©, « le tir au pigeon n’est pas un combat entre combattants. Lorsque le monde se trouve irrĂ©mĂ©diablement divisĂ© entre ceux qui lancent les bombes et ceux qui les reçoivent, la situation devient moralement problĂ©matique ».

Quant au fait que les combattants du Hamas se terrent dans les Ă©coles ou les mosquĂ©es, il s’agit souvent de pure propagande, comme le prouve l’exemple de l’école de l’Unrwa bombardĂ©e par l’armĂ©e israĂ©lienne. Chaque fois que des observateurs neutres ont pu se rendre sur place, ils ont constatĂ© que les allĂ©gations israĂ©liennes Ă©taient mensongĂšres. On comprend que le gouvernement israĂ©lien refuse l’entrĂ©e du territoire aux journalistes Ă©trangers.

D’autre part, rappelons que Gaza est un tout petit territoire, avec la plus forte densitĂ© de population au monde. OĂč sont censĂ©s s’installer les combattants ? Doivent-ils aller au-devant des troupes israĂ©liennes pour servir de cible ? Qui pourrait reprocher aux insurgĂ©s parisiens de 1848 ou de 1870 d’avoir construit des barricades dans les rues de la capitale ? Et je rajoute, comme le fait dans un magnifique texte datĂ© du 10 janvier, le militant pacifiste israĂ©lien Uri Avnery,« How many divisions? »

« Il y a soixante-dix ans, durant la seconde guerre mondiale, un crime haineux a Ă©tĂ© commis dans la ville de Leningrad. Durant plus d’un millier de jours, un gang d’extrĂ©mistes appelĂ© “l’armĂ©e rouge” a tenu en otage des millions d’habitants de la ville, et provoquĂ© des reprĂ©sailles de la Wehrmacht allemand en se cachant au milieu de la population. Les Allemands n’avaient pas d’autre choix que de bombarder la population et d’imposer un blocus total provoquant la mort de centaines de milliers de personnes. »

« 4. Entre l’attitude des uns et celle des autres il y a, quoi qu’il en soit, une diffĂ©rence capitale et que n’ont pas le droit d’ignorer ceux qui veulent se faire une idĂ©e juste, et de la tragĂ©die, et des moyens d’y mettre fin : les Palestiniens tirent sur des villes, autrement dit sur des civils (ce qui, en droit international, s’appelle un “crime de guerre”) ; les IsraĂ©liens ciblent des objectifs militaires et font, sans les viser, de terribles dĂ©gĂąts civils (ce qui, dans la langue de la guerre, porte un nom — “dommage collatĂ©ral” — qui, mĂȘme s’il est hideux, renvoie Ă  une vraie dissymĂ©trie stratĂ©gique et morale). »

DissymĂ©trie stratĂ©gique ? Incontestablement. Un dirigeant du FLN algĂ©rien Larbi Ben M’hidi, arrĂȘtĂ© durant la bataille d’Alger en 1957 (puis assassinĂ©), et Ă  qui des journalistes français reprochaient d’avoir posĂ© des bombes dans des cafĂ©s, rĂ©pondait : « Donnez-moi vos MystĂšre, je vous donnerai mes bombes ». Si placer des bombes dans un cafĂ© est condamnable, que faut-il dire des bombes larguĂ©es d’un avion sur des populations civiles ?

DissymĂ©trie morale ? Les punitions collectives infligĂ©es depuis des annĂ©es Ă  Gaza sont, selon Richard Falk, envoyĂ© des Nations unies dans les territoires palestiniens, « un crime contre l’humanité ». Que dire alors de ce qui se passe depuis…

Parlant de ses nĂ©gociations avec le gouvernement sud-africain et de ses demandes d’arrĂȘter la violence, Nelson Mandela Ă©crit : « Je rĂ©pondais que l’Etat Ă©tait responsable de la violence et que c’est toujours l’oppresseur, non l’opprimĂ©, qui dĂ©termine la forme de la lutte. Si l’oppresseur utilise la violence, l’opprimĂ© n’aura pas d’autre choix que de rĂ©pondre par la violence. Dans notre cas, ce n’était qu’une forme de lĂ©gitime dĂ©fense. » (Nelson Mandela, Un long chemin vers la libertĂ©, Livre de Poche, p. 647)

« 5. Puisqu’il faut mettre les points sur les i, on rappellera encore un fait dont la presse française s’est Ă©trangement peu fait l’écho et dont je ne connais pourtant aucun prĂ©cĂ©dent, dans aucune autre guerre, de la part d’aucune autre armĂ©e : les unitĂ©s de Tsahal ont, pendant l’offensive aĂ©rienne, systĂ©matiquement tĂ©lĂ©phonĂ© (la presse anglo-saxonne parle de 100 000 appels) aux Gazaouis vivant aux abords d’une cible militaire pour les inviter Ă  Ă©vacuer les lieux ; que cela ne change rien au dĂ©sespoir des familles, aux vies brisĂ©es, au carnage, c’est Ă©vident ; mais que les choses se passent ainsi n’est pas, pour autant, un dĂ©tail totalement privĂ© de sens. »

Ce que notre « philosophe » oublie, c’est qu’IsraĂ«l, qui appelle les gens Ă  quitter leur maison, ne les laisse pas vraiment aller ailleurs. Le Haut-commissaire pour les rĂ©fugiĂ©s remarquait que c’était le seul conflit du monde oĂč on interdisait aux populations civiles de quitter leur territoire. Et ceux qui se rĂ©fugient dans des lieux soi-disant sĂ»rs sont victimes des bombardements, comme les 40 civils tuĂ©s dans une Ă©cole de l’Unrwa. On peut noter que, selonChris Gunness, le porte-parole de l’Unrwa, l’armĂ©e israĂ©lienne a reconnu qu’aucun tir n’était venu de cette Ă©cole.

Un indice, parmi tant d’autres, du comportement de l’armĂ©e israĂ©lienne est donnĂ©par le CICR, qui fait, en gĂ©nĂ©ral, preuve d’une grande rĂ©serve.

« Dans l’aprĂšs-midi du 7 janvier, quatre ambulances du Croissant-Rouge palestinien et le ComitĂ© international de la Croix-Rouge (CICR) ont rĂ©ussi Ă  obtenir pour la premiĂšre fois l’accĂšs Ă  plusieurs maisons touchĂ©es par les bombardements israĂ©liens dans le quartier de Zeitoun, Ă  Gaza. »

« Le CICR avait demandĂ© depuis le 3 janvier que les ambulances puissent accĂ©der Ă  ce quartier en toute sĂ©curitĂ©, mais il n’a obtenu l’autorisation des Forces de dĂ©fense israĂ©liennes que l’aprĂšs-midi du 7 janvier.Dans une des maisons, l’équipe du CICR et du Croissant-Rouge palestinien a dĂ©couvert quatre petits enfants Ă  cĂŽtĂ© de leurs mĂšres respectives, mortes. Ils Ă©taient trop faibles pour se lever tout seuls. Un homme a Ă©galement Ă©tĂ© trouvĂ© en vie, trop faible pour se mettre debout. Au total, au moins 12 corps gisaient sur des matelas. »

« Dans une autre maison, l’équipe de secours du CICR et du Croissant-Rouge palestinien a dĂ©couvert 15 survivants de l’attaque, dont plusieurs blessĂ©s. Dans une troisiĂšme maison, l’équipe a trouvĂ© trois autres corps. Des soldats israĂ©liens occupant un poste militaire Ă  80 mĂštres de cette maison ont ordonnĂ© Ă  l’équipe de secours de quitter la zone, ce qu’elle a refusĂ© de faire. Plusieurs autres postes des Forces de dĂ©fense israĂ©liennes se trouvaient Ă  proximitĂ©, ainsi que deux tanks. »

« “Cet incident est choquant, a dĂ©clarĂ© Pierre Wettach, chef de la dĂ©lĂ©gation du CICR pour IsraĂ«l et les territoires palestiniens occupĂ©s. Les militaires israĂ©liens devaient ĂȘtre au courant de la situation, mais ils n’ont pas portĂ© secours aux blessĂ©s. Ils n’ont pas non plus fait en sorte que le CICR ou le Croissant-Rouge palestinien puissent leur venir en aide.” »

(…)

« Le CICR a Ă©tĂ© informĂ© que davantage de blessĂ©s avaient trouvĂ© refuge dans d’autres maisons dĂ©truites du quartier. Il demande Ă  l’armĂ©e israĂ©lienne de lui permettre immĂ©diatement, ainsi qu’aux ambulances du Croissant-Rouge palestinien, d’accĂ©der en toute sĂ©curitĂ© Ă  ces maisons et de chercher d’autres blessĂ©s. Les autoritĂ©s israĂ©liennes n’ont toujours pas confirmĂ© au CICR qu’elles lui autoriseraient l’accĂšs. »

« Le CICR estime que dans le cas prĂ©sent, l’armĂ©e israĂ©lienne n’a pas respectĂ© son obligation de prendre en charge les blessĂ©s et de les Ă©vacuer, comme le prescrit le droit international humanitaire. Il juge inacceptable le retard avec lequel l’accĂšs a Ă©tĂ© donnĂ© aux services de secours. »

On pourra aussi regarder le tĂ©moignage bouleversant d’unmĂ©decin norvĂ©gien, Mads Gilbert, pris sous les bombes. Lire aussi le dĂ©cryptage en français : « C’est une guerre totale contre la population civile palestinienne ».

« 6. Et quant au fameux blocus intĂ©gral, enfin, imposĂ© Ă  un peuple affamĂ©, manquant de tout et prĂ©cipitĂ© dans une crise humanitaire sans prĂ©cĂ©dent (sic), ce n’est, lĂ  non plus, factuellement pas exact : les convois humanitaires n’ont jamais cessĂ© de passer, jusqu’au dĂ©but de l’offensive terrestre, au point de passage Kerem Shalom ; pour la seule journĂ©e du 2 janvier, ce sont 90 camions de vivres et de mĂ©dicaments qui ont pu, selon le New York Times, entrer dans le territoire ; et je n’évoque que pour mĂ©moire (car cela va sans dire-encore que, Ă  lire et Ă©couter certains, cela aille peut-ĂȘtre mieux en le disant…) le fait que les hĂŽpitaux israĂ©liens continuent, Ă  l’heure oĂč j’écris, de recevoir et de soigner, tous les jours, des blessĂ©s palestiniens. »

Ce qui est difficile, quand on est philosophe, c’est de se renseigner et de descendre du ciel abstrait des idĂ©es pour s’intĂ©resser au concret. Le nombre de camions qu’il indique est absolument dĂ©risoire quand on connaĂźt les besoins de Gaza. Normalement, il transite 500 camions par jour pour nourrir la population ; le blocus israĂ©lien ayant commencĂ© dĂšs le 5 novembre (aprĂšs qu’IsraĂ«l eut rompu la trĂȘve en intervenant directement Ă  Gaza), il n’est passĂ© que 23 camions au cours du mois de novembre. Et ce blocus s’est intensifiĂ© avant les combats : la population Ă©tait affamĂ©e et les hĂŽpitaux sous-Ă©quipĂ©s. Que quelques dizaines de camions aient pu passer aprĂšs, grĂące Ă  quelques dĂ©clarations fortes des Nations unies, ne change pas la situation.

« TrĂšs vite, espĂ©rons-le, les combats cesseront. Et trĂšs vite, espĂ©rons-le aussi, les commentateurs reprendront leurs esprits. Ils dĂ©couvriront, ce jour-lĂ , qu’IsraĂ«l a commis bien des erreurs au fil des annĂ©es (occasions manquĂ©es, long dĂ©ni de la revendication nationale palestinienne, unilatĂ©ralisme), mais que les pires ennemis des Palestiniens sont ces dirigeants extrĂ©mistes qui n’ont jamais voulu de la paix, jamais voulu d’un Etat et n’ont jamais conçu d’autre Ă©tat pour leur peuple que celui d’instrument et d’otage (sinistre image de Khaled Mechaal qui, le samedi 27 dĂ©cembre, alors que se prĂ©cisait l’imminence de la riposte israĂ©lienne tant dĂ©sirĂ©e, ne savait qu’exhorter sa “nation” Ă  “offrir le sang d’autres martyrs” — et ce depuis son confortable exil, sa planque, de Damas…). »

Rappelons, encore une fois, que c’est l’armĂ©e israĂ©lienne qui, dans la nuit du 4 au 5 novembre, a violĂ© le cessez-le-feu par une incursion qui a provoquĂ© la mort de quatre Palestiniens. Et que, d’autre part, IsraĂ«l n’a jamais respectĂ© une des clauses de l’accord qui Ă©tait l’ouverture des points de passage entre IsraĂ«l et Gaza, contribuant ainsi Ă  affamer la population.

Mais, surtout, qu’est-ce qui empĂȘche la signature de la paix ? Rappelons que, pendant plusieurs annĂ©es, les dirigeants israĂ©liens ont affirmĂ© que le seul obstacle Ă  un accord Ă©tait Yasser Arafat. AprĂšs sa mort, Mahmoud Abbas (Abou Mazen) a Ă©tĂ© Ă©lu. Il a Ă©tĂ© saluĂ© en IsraĂ«l, aux Etats-Unis et en Europe comme un dirigeant modĂ©rĂ©. Cela fait quatre ans qu’il est prĂ©sident, cela fait quatre ans qu’il nĂ©gocie au nom de l’AutoritĂ© palestinienne avec le gouvernement israĂ©lien. Le Hamas n’était pas partie prenante de ces nĂ©gociations, et pourtant elles ont Ă©chouĂ©, parce qu’IsraĂ«l refuse l’application des rĂ©solutions des Nations unies, le retrait des territoires occupĂ©s en 1967. Tous les Etats arabes ont acceptĂ© l’initiative de paix du roi Abdallah proposant l’échange de la paix contre les territoires, et IsraĂ«l a encore refusĂ©…

« Aujourd’hui, de deux choses l’une. Ou bien les FrĂšres musulmans de Gaza rĂ©tablissent la trĂȘve qu’ils ont rompue et, dans la foulĂ©e, dĂ©clarent caduque une charte fondĂ©e sur le pur refus de l’“entitĂ© sioniste” : ils rejoindront ce vaste parti du compromis qui ne cesse, Dieu soit louĂ©, de progresser dans la rĂ©gion-et la paix se fera. Ou bien ils s’obstinent Ă  ne voir dans la souffrance des leurs qu’un bon carburant pour leurs passions recuites, leur haine folle, nihiliste, sans mots-et c’est non seulement IsraĂ«l, mais les Palestiniens, qu’il faudra libĂ©rer de la sombre emprise du Hamas. »

Comment faut-il les libĂ©rer ? Rappelons que la majoritĂ© des Palestiniens a votĂ© pour le Hamas dans des Ă©lections libres suscitĂ©es par les Etats-Unis et l’Union europĂ©enne. Ils ont votĂ© pour protester contre l’incurie de l’OLP et contre l’échec du processus d’Oslo que le Fatah avait prĂŽnĂ©. Au nom de « nos valeurs », nous avons refusĂ© le verdict des urnes… Le peuple vote mal, changeons-le. Ou plutĂŽt, imposons-lui une bonne dictature ou une bonne occupation qui le civilisera. C’était le raisonnement des SoviĂ©tiques quand ils sont intervenus en Afghanistan en dĂ©cembre 1979, et que Georges Marchais Ă©voquait « le droit de cuissage ». Faut-il s’étonner que Philippe Val, dans son Ă©ditorial de Charlie Hebdo, « Gaza : la colombe, le faucon et le vrai con », Ă©voque cette invasion : « Les SoviĂ©tiques eux-mĂȘmes, en 1979, avaient senti le danger (l’islamisme), et, Ă  tort ou Ă  raison (sic), avaient envahi l’Afghanistan. » Voici revenu le temps du colonialisme : nous allons civiliser tous ces indigĂšnes qui acceptent le droit de cuissage, la polygamie, le voile, etc., et les libĂ©rer de la sombre emprise des intĂ©gristes.

(Source: http://blog.mondediplo.net/ le 10 janvier 2009)


Turquie/affaire “Ergenekon”: dĂ©couverte d’une nouvelle cache d’armes

 
AFP, le 12 janvier 2009 Ă  20h53 ISTANBUL – Des policiers turcs enquĂȘtant sur le groupe putschiste prĂ©sumĂ© “Ergenekon” ont dĂ©couvert lundi dans la pĂ©riphĂ©rie d’Ankara une nouvelle cache d’armes, trois jours aprĂšs l’exhumation d’un premier arsenal, ont rapportĂ© les mĂ©dias. Les agents, parmi lesquels figuraient une Ă©quipe d’artificiers, ont trouvĂ© enterrĂ©es dans le jardin d’une maison abandonnĂ©e du village de Zir, au nord-ouest d’Ankara, 30 grenades, neuf bombes fumigĂšnes, dix fusĂ©es Ă©clairantes et quelque 800 cartouches, a affirmĂ© l’agence de presse Anatolie. La chaĂźne de tĂ©lĂ©vision CNN-TĂŒrk a diffusĂ© des images de l’arsenal, disposĂ© sur le sol par les policiers, sur lesquelles ont pouvait reconnaĂźtre des grenades et des boites de munitions. La police a lancĂ© des recherches dans ce jardin sur la base d’un croquis dĂ©couvert dans la maison du lieutenant-colonel Mustafa Dönmez, arrĂȘtĂ© mercredi dans le cadre d’un vaste coup de filet au sein du rĂ©seau “Ergenekon” et placĂ© en dĂ©tention provisoire, selon CNN-TĂŒrk. Les policiers ont arrĂȘtĂ© mercredi 33 personnes soupçonnĂ©es d’appartenir au rĂ©seau “Ergenekon”, accusĂ© d’avoir voulu dĂ©stabiliser le pays par des actions violentes pour prĂ©parer le terrain Ă  un coup d’Etat militaire qui renverserait le gouvernement issu de la mouvance islamiste, au pouvoir depuis 2002. Dix-sept des suspects, dont quatre officiers en exercice, ont Ă©tĂ© inculpĂ©s d’appartenance Ă  une organisation terroriste et placĂ©s en dĂ©tention provisoire par un tribunal d’Istanbul, qui a relĂąchĂ© les seize autres gardĂ©s-Ă -vue, dont trois gĂ©nĂ©raux Ă  la retraite. L’un des ex-gĂ©nĂ©raux, Erdal Sener, ancien conseiller juridique de l’Ă©tat-major, s’est toutefois vu interdire de quitter le territoire. La police avait dĂ©jĂ  dĂ©couvert vendredi prĂšs d’Ankara, sur la base d’un croquis appartenant Ă  un autre prĂ©venu, une cache d’armes contenant deux lance-roquettes, 29 pistolets, 25 grenades, deux mitrailleurs et des munitions, selon Anatolie. En octobre, a dĂ©butĂ© prĂšs d’Istanbul le procĂšs de 86 personnes, parmi lesquelles des officiers Ă  la retraite, des journalistes, des hommes politiques, des membres de la pĂšgre, accusĂ©es d’appartenir au rĂ©seau. Une trentaine d’autres prĂ©venus, dont l’ancien chef de la gendarmerie Sener Eruygur, ont Ă©tĂ© arrĂȘtĂ©s par la suite mais n’ont pas encore Ă©tĂ© inclus dans l’acte d’accusation. La Cour de cassation a ordonnĂ© en dĂ©cembre le rattachement au procĂšs “Ergenekon” d’un attentat visant le Conseil d’Etat, au cours duquel un juge avait Ă©tĂ© tuĂ© et quatre autres blessĂ©s en fĂ©vrier 2007. L’enquĂȘte a Ă©tĂ© vivement critiquĂ©e par l’opposition et par diffĂ©rentes personnalitĂ©s de la sociĂ©tĂ© civile affirmant qu’elle Ă©tait devenue un instrument du gouvernement pour faire taire l’opposition, une accusation rejetĂ©e par le gouvernement, qui a appelĂ© au respect de l’indĂ©pendance de la justice.

 

 

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