Liberté et Equité: Nouvelles des libertés en Tunisie
Slim Bagga: URGENT – A L’Intention des associations de défense des droits de l’homme
NouvelObs: L’OPDDH dénonce une vague de répression en Tunisie AP: Tunisie: les autorités réfutent les « allégations » de l’Observatoire de protection des défenseurs des droits de l’Homme Rue89: Tunisie: Ben Ali se remet en selle malgré une révolte et trois morts France Soir: Tunisie – Ben Ali brigue la »présidence à vie » Le Pays: Indéboulonnable Ben Ali ! Mustapha Benjaafar: L’Union pour la méditerranée – Projet « historique » ou quadrature du cercle ? Taoufik Bachrouch: Démocratie et Identité(s)
Taoufik Chebbi: Tunisia has made great strides toward liberty
Nouvelles des libertés en Tunisie
A L’Intention des associations de défense des droits de l’homme
DROITS DE L’HOMME
L’OPDDH dénonce une vague de répression en Tunisie
Tunisie: les autorités réfutent les « allégations » de l’Observatoire de protection des défenseurs des droits de l’Homme
AP | 01.08.2008 | 20:51 Les autorités tunisiennes ont qualifié vendredi d' »allégations erronées » les informations rapportées par l’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’Homme (OPDDH) faisant état d’une « vague de répression » et d' »interpellations sans mandat en violation des procédures légales ». « Aucune vague de répression, ni ancienne ni nouvelle, n’a eu lieu ni ne peut avoir lieu en Tunisie où les libertés publiques et les droits de l’homme sont garantis par la Constitution et sont scrupuleusement respectés au quotidien », fait valoir un communiqué officiel transmis à l’Associated Press. S’agissant de la « détention arbitraire de six Tunisiens depuis fin juillet » qu’évoque l’OPDDH, la même source gouvernementale précise que les personnes interpellées l’ont été pour « entrave à la liberté de circulation, occupation illégale et anarchique de la voie publique, atteinte aux bonnes moeurs et outrage à fonctionnaires dans l’exercice de leurs fonctions ». « Il s’agit de délits de droit commun que sanctionnent les lois pénales en Tunisie comme ailleurs », ajoute le communiqué, selon lequel « les personnes interpellées ont d’ailleurs reconnu les faits qui leur sont reprochés et l’affaire suit son cours devant la justice ». Selon l’OPDDH, les personnes interpellées sont Zakia Dhifaoui, membre de l’Association de lutte contre la torture en Tunisie (ALTT), de la Ligue tunisienne des droits de l’Homme (LTDH) et du Forum démocratique, arrêtée le 27 juillet à Redeyef, dans le bassin minier de Gafsa (sud-ouest), théâtre au printemps d’un important mouvement de protestation sociale, après une marche de solidarité avec tous les détenus arrêtés. L’OPDDH fait aussi état de l’arrestation le 25 juillet à Bizerte (60 km au nord-ouest de Tunis) de Othman Jmili et Faouzi Sadkaoui, membres de l’Association internationale de soutien aux prisonniers politiques (AISPP), Khaled Boujemaa, membre du Parti démocrate progressiste (PDP), et Ali Neffati, ancien prisonnier politique, déférés le 29 devant le Tribunal cantonal de Bizerte et accusés d' »attroupement sur la voie publique » et « atteinte aux bonnes moeurs ». Enfin, poursuit le communiqué de l’OPDDH, le 28 juillet, Mohamed Ben Saïd, membre de la section de la LTDH de Bizerte, après avoir été contrôlé à la sortie de l’autoroute Bizerte-Tunis, a été arrêté et écroué à la prison civile de Mournaguia de Tunis pour « refus d’obtempérer » aux ordres de la police de la circulation. Selon l’OPDDH, ces personnes sont soupçonnées d’avoir participé à un rassemblement le 25 juillet à Bizerte à l’occasion de la fête de la République, où des slogans en faveur des libertés publiques, contre la vie chère et contre la présidence à vie avaient été scandés. L’OPDDH est un programme créé par la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH) en partenariat avec l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT). AP
Tunisie: Ben Ali se remet en selle malgré une révolte et trois morts
Mercredi, Zine Ben Ali annonçait qu’il serait candidat à sa propre succession à l’élection présidentielle qui se tiendra en Tunisie l’an prochain. Elu, l’héritier de Bourguiba rempilerait ainsi pour un cinquième mandat de cinq ans. Lors de sa visite, fin avril, Nicolas Sarkozy avait officiellement estimé que « l’espace des libertés progresse » dans le pays que Ben Ali dirige depuis 1987.
A l’époque, les habitants de la région de Gafsa, à 400 kilomètres au sud-ouest de Tunis, postaient pourtant ces images sur Dailymotion.(Voir la vidéo)
Trois mois plus tard, militants des droits de l’homme et opposants politiques n’ont pas décoléré contre le président français, accusé d’avoir « fait l’autruche ». Pendant ce temps, les affrontements entre population et forces de l’ordre ont dégénéré dans le bassin minier de Gafsa. Au point que le régime lui-même a fini par infléchir sa position, par crainte de la contagion.
Invité par le PS aux rencontres des jeunes socialistes européens, Sahbi Smara était de passage à Paris cet été. Président des Jeunes socialistes démocrates en Tunisie, le militant de 28 ans a raconté à Rue89 combien la situation s’est dégradée dans la région de Gafsa, depuis le passage de Nicolas Sarkozy.
Dans la région minière, un tiers de la population est au chômage. Parmi eux, de très nombreux jeunes, qu’on appelle sur place les « diplômés chômeurs ». Sahbi Smara est l’un des fondateurs de leur mouvement à l’échelle nationale et dénombre « entre 150 et 200 000 diplômés chômeurs en Tunisie ».
Diplômés chômeurs insurgés et contagion dans la population
Ce sont eux qui s’opposent au pouvoir, depuis début janvier. Sur place, le journaliste Wicem Souissi chroniquait déjà pour Rue89 leur bras de fer, mi-avril. A l’époque, la région frontalière de l’Algérie connaissait grèves de la faim et manifestations: la Compagnie des phosphates de Gafsa (CPG), seul gros employeur local, était accusée d’avoir truqué le recrutement pour les rares postes à pourvoir dans la région.
Cette contestation a dégénéré, révèle Sahbi Smara:
« Alors que la Tunisie compte 150 à 200 000 diplômés-chômeurs, le régime a réprimé violemment la révolte et tué des jeunes dans cette région. Un premier est mort le 6 mai, électrocuté alors que plusieurs grévistes occupaient une centrale électrique. Délibérément, le pouvoir local a rallumé l’électricité, le tuant sur le coup. »
Un mois après le départ de Nicolas Sarkozy, le soutien de la population aux diplômés chômeurs avait carrément viré à la fronde générale, les femmes de la région menaçant de quitter la zone encerclée par la police pour fuir en Algérie dans un climat hautement tendu.
Le journaliste Omar Mestiri, pilier de la défense des droits de l’homme en Tunisie, parle même de « soutien historique » de la population à un mouvement réprimé par les forces de l’ordre:
http://rue89.com/2008/07/31/tunisie-ben-ali-se-remet-en-selle-malgre-une-revolte-et-trois-morts
Mais, alors que les femmes du bassin minier renonçaient à fuir vers l’Algérie début mai, la situation s’est encore dégradée le 7 juin. Sahbi Smara poursuit son récit:
« La police a tiré à balles réelles sur une manifestation, tuant un jeune de 23 ans, et blessant encore 23 personnes. Le régime répond par la force pour camoufler la crise économique mais la misère et la corruption sont énormes sur place. J’ai récemment appris qu’un troisième jeune avait été tué depuis. »
Répression et accusations de coup d’Etat
Depuis, la police locale a arrêté plusieurs leaders du mouvement, poursuivis notamment pour tentative de coup d’Etat ou « déstabilisation de l’ordre républicain ». Leur procès a démarré le 22 juin, sauf pour ceux qui sont en fuite. Sahbi Smara n’a pas réussi pénétrer dans l’enceinte du tribunal pendant le procès:
« Impossible, j’ai été bloqué, comme d’ailleurs les familles des prisonniers, qui ont été empêchées d’assister à l’audience, pourtant publique en théorie. J’en ai alors profité pour rencontrer les familles, qui n’avaient aucune nouvelle des jeunes arrêtés depuis plusieurs semaines. »
Omar Mestiri, lui, a réussi à se glisser à l’audience, où il a pu assister à un procès qu’il estime « historique ». Evénement rarissime, la Cour a en effet désavoué l’enquête policière et prononcé des peines « plutôt clémentes pour la Tunisie répressive d’aujourd’hui », explique Omar Mestiri à Rue89:
http://rue89.com/2008/07/31/tunisie-ben-ali-se-remet-en-selle-malgre-une-revolte-et-trois-morts
Depuis la mi-juillet, le pouvoir commence cependant à infléchir sa position. Pour la première fois, le chef d’état tunisien a évoqué publiquement les troubles dans cette région d’où sont partis la plupart des grands mouvements de contestation dans le pays depuis l’indépendance.
Pour calmer le jeu, Ben Ali a promis un ensemble de mesures censées développer économiquement cette région plombée par la crise économique et sociale. Le président tunisien a reconnu, chose exceptionnelle, la corruption qui avait entouré la dernière campagne de recrutement par la Compagnie des phosphates. Double discours? Sur le terrain, les militants des droits de l’homme rappellent que la répression policière n’en reste pas moins intensive.
(Source: Le site d’information et de débat « Rue89 » (France) Le 31 juillet 2008) Lien: http://rue89.com/2008/07/31/tunisie-ben-ali-se-remet-en-selle-malgre-une-revolte-et-trois-morts
Tunisie – Ben Ali brigue la »présidence à vie »
Indéboulonnable Ben Ali !
L’Union pour la méditerranée :
Projet « historique » ou quadrature du cercle ?
Mustapha Benjaafar
Ca y est. La persévérance du président Sarkozy a finalement payé. Au terme de plusieurs mois de tractations et de rencontres au plus haut niveau et en dépit des réticences des uns et des réserves des autres, aussi bien du côté européen que du côté arabe,les dirigeants de 43 pays ont officiellement lancé dimanche à Paris l’Union pour la Méditerranée (UPM) et adopté une déclaration d’une dizaine de pages marquant l’acte de naissance de l’UPM, à l’issue d’une séance plénière de quatre heures dans le cadre prestigieux du Grand Palais « Nous en avions rêvé, l’Union pour la Méditerranée est maintenant une réalité », s’est félicité M. Sarkozy. De « nouvelles pages (…) qui pourront nous mener vers plus de paix ».lui a fait écho le président égyptien Hosni Moubarak, qui coprésidait la rencontre. Pour la première fois: le président syrien Bachar al-Assad et le Premier ministre israélien Ehud Olmert se sont retrouvés assis à une même table. Malgré la polémique qu’a soulevée sa présence au défilé plein de symboles du 14 juillet, le président syrien fait un retour spectaculaire sur la scène politique internationale. Il s’impose comme un acteur incontournable dans tout processus de paix dans la région. Dans le même temps il normalise ses relations rompues depuis l’assassinat de Hariri avec son voisin libanais et fait preuve de grandes dispositions à trouver un accord de paix avec Israël dans « six mois à deux ans maximum si les deux parties sont sérieuses »
Côté israélien, même optimisme à propos de la question palestinienne. M. Olmert a estimé qu’Israéliens et Palestiniens n’ont « jamais été aussi proches d’un accord » de paix. Faut il pour autant rêver pour une solution proche d’un conflit ». qui reste, pour une grande part, la cause de l’échec du processus de Barcelone ? Contre l’excès d’optimisme certains signes rappellent qu’un long et difficile chemin reste à parcourir. Les déclarations intempestives du chef de la Jamahiria Moâmmar ElGuedafi et son refus d’assister au sommet. L’absence de photographie réunissant tous les participants, comme c’est l’usage pour ce genre de sommet. Autre exemple, la déclaration finale du sommet, en raison de difficultés de dernière minute, ne fait aucune référence à l’état palestinien. Et, comme pour éluder les questions épineuses, les initiateurs de l’UPM se sont concentrés sur de grands projets concrets comme la dépollution de la Méditerranée et l’énergie solaire. Mais là aussi, la question du financement, pourtant déterminante, reste entourée d’un flou inquiétant ; comme celle du secrétariat général qui devrait revenir à une ville de la rive sud, Elle sera, en raison de vives rivalités, remise à plus tard. , probablement à novembre prochain.
Se voulant à la fois optimiste et rassurant, le président Sarkozy, grand artisan de ce sommet,a fait appel à la raison et au coeur »Il faut que chacun fasse un effort sur lui-même comme les Européens l’ont fait pour mettre un terme à l’engrenage fatal de la guerre et de la violence (…) Ce que nous avons su faire, il n’y a aucune raison que les peuples de la Méditerranée ne le réussissent pas »,. A l’encontre des réticences européennes, il a ajouté ». « Il ne s’agit pas d’effacer Barcelone, il s’agit, à partir de l’acquis de Barcelone, de faire plus ».
Démocratie et Identité(s)
Incarnation d’une certaine idée de la Tunisie, le Bourguibisme n’a plus aujourd’hui d’existence réelle, en apparence du moins, en tant que projet de patriotisme civique tourné vers l’identité tunisienne. Cela ne pose-t-il problème ? Plus personne ne l’évoque ni ne l’invoque ; on ne s’y réfère plus, contrairement au Kémalisme, son précurseur, en son pays et jusqu’à aujourd’hui ; ce qui en dit long sur les fidélités indéfectibles, vociférés à tue tête, et les infidélités nécessaires, commises en catimini. Ah Fides Punica ! Les créatures de l’ancien président font comme s’il n’avait pas existé et qu’ils n’avaient pas été à son service : leur effacement les dessert, quand ils donnent l’impression de ne pas assumer après avoir été comblés d’honneurs. Est-ce une composante de la tunisianité ?
Même le parti hégémonique, dont le Rassemblement est un avatar, n’a pas cru devoir en perpétuer la mémoire, et en rallumant le feu sacré, l’entretenir. Qui aurait cru que cette grande figure de la décolonisation officielle, mais discutable dans ses modalités, ne serait pas exaltée, ne serait-ce qu’en souvenir et en commémoration, si peu de temps après sa disparition ? Il y va de l’identité tinisienne. On l’a porté aux nues, puis on l’a laissé choir de si haut. Le fondateur de la République s’est érigé en une figure protectrice et tutélaire de son peuple face aux ingérences étrangères. Il a cru restaurer l’identité de son peuple au nom d’une souveraineté spoliée. On a tué le père, dont on a par ailleurs tant souhaité le départ, sans qu’une Antigone ifrikienne en prît la défense. Pourtant les femmes lui doivent leur libération légale et leur émancipation sociale. Le Bourguibisme a le tord de ne pas se prêter, de par la nature de son message (Etat Providence, unité nationale, francophilie, laïcité), à sa mise au service de la mondialisation (démocratie et droits de l’homme, vérité des prix, ouverture des marchés, supra nationalité, renoncement aux conquêtes sociales); il peut en apparaître, de par sa déposition, comme la victime expiatoire. Il ne peut plus servir les ambitions de l’ordre mondial dans sa phase émergente, comme il a pu servir l’ordre mondial post-colonial. Lorsque Bourguiba, pointant de sa canne le seuil de son ambassade à Paris, déclarait à Mitterrand, ici commence la Tunisie, c’est tout un symbole quand même.
Où en est alors le nationalisme tunisien, et à tout le moins la fibre patriotique de ses anciens militants qui ne manquèrent pas au passage de tirer les dividendes de leur amour si intéressé de la patrie ? Ils se sont terrés, en se découvrant une vocation nécrologique avant terme, celle de la remémoration en vrac des épopées individuelles sur la qualité desquelles il est permis de s’interroger. Quelle représentation positive de nous-mêmes avions-nous alors produit ? Une rhétorique officielle de la « tunisianité » postule une exception tunisienne élevée au rang d’une construction mythique où se mêlent une arabité associée au bilinguisme qui divise, une islamité assortie de laïcité qui exaspère, un nationalisme s’accommodant d’ingérence étrangère qui sème le doute et une modernité dont les résultats laissent dubitatif parce que de surface. Y a t-il de quoi être fier ?
C’est un fait que la Tunisie a toujours été largement ouverte aux vents du large depuis la Préhistoire moustérienne jusqu’à la Mondialisation. L’identité tunisienne s’est constituée par sédimentations successives de facture exogène. L’« endogénéité » (autrefois indigénat) créatrice pose alors un problème de portée et de limites. Des termes largement galvaudés comme entité nationale, identité culturelle, exception et spécificité méritent d’être précisés pour faire la part des forces de résistance qu’ils recèlent de la propension atavique à l’abandon qu’ils induisent. Déjà feu mon père se posait la même question dans les années trente du siècle dernier.
Une histoire commune certes, plus que trimillénaire assurément, mais avec tellement de ruptures et d’oblitérations. Un espace culturel commun qui, chapeauté par l’Eglise de Carthage puis par la Zitouna, mais avec des variations régionales et locales frappantes, se constitua patiemment dans la diversité, avant d’être rayé d’un trait de plume, subitement, abusivement, du fait des Arabes jadis, puis des Sadikiens naguère croyant pouvoir changer le monde par la seule vertu du jacobinisme. Une machine fiscale, aussi vieille que le pays, sans doute la plus signifiante du point de vue de la constitution de la mouvance territoriale tunisienne, et de l’identité de ses occupants, mais au prix de quelle exploitation de l’homme par l’homme, et de combien de campagnes militaires et de sang coulé. Depuis les Puniques jusqu’aux Français les gouvernants ne furent pas en adéquation directe avec leurs gouvernés. Le sont-ils davantage aujourd’hui sans le maillage dont ils ont tissé la trame ? La logique de pouvoir fait que les choses n’ont pas changé quant au fond. On n’avait pas nécessairement besoin d’une relation fusionnelle avec la société pour imposer sa loi et perdurer. Une trique dissuasive est suffisante. Le blocage du processus démocratique en administre encore aujourd’hui la preuve. Or toute identité a besoin d’un minimum de liberté. Je viens récemment d’être sanctionné pour en avoir usé en conscience, au risque de déplaire.
L’ouverture à l’autre passe par une conscience claire de soi. Celle-ci ne fut jamais normalisée autrement que par la force en dernière instance. D’où le débat larvé, comme passé de mode, autour de l’authenticité (stigmatisée comme fermeture chauvine) et de l’ouverture (stigmatisée comme abandon coupable), par les temps qui courent, sur un fond de démocratie bancale. Notre conscience de nous-mêmes tend à revêtir l’aspect d’un miroir brisé. Tirée à hue et à dia, notre conception de l’identité constitue un diviseur commun. N’oublions pas que l’identité tunisienne repose sur les liens très puissants du sentiment religieux et de l’arabité, le tout travaillé, si ce n’est remis en cause, sur le tard, par un universalisme relatif à la raison, à la science et à la technique, et à l’interférence de la langue française. Le « franarabe » est à l’ordre du jour, pour longtemps encore, incarnation de notre identité de substitution en gestation (nous attendons notre Etiemble qui partit en guerre contre le franglais). Cette identité, en habit d’Arlequin, est la conséquence des nouveaux défis inhérents aux nouvelles valeurs montantes, celles de world culture. A force de vouloir s’acharner à barbouiller l’Islam et l’Arabe, on finit par s’interroger : que sommes-nous au juste ? Une nouvelle mouture de la citoyenneté, encore embryonnaire, est en gestation, celle qu’illustrent les nouveaux médias et autres Tic. Elle appelle pour la mener à bien une articulation inédite et réfléchie entre l’universel et le spécifique, entre la diversité et l’uniformisation, face à l’occidentalisation accélérée du monde. Y sommes-nous en train d’y réfléchir, si ce n’est à la manière de la vieille qui, emportée par une rivière en crue, a juste l’inconscience d’une présence d’esprit en fin d’usage pour opiner, en guise de testament un tantinet optimiste, que l’année est fortement pluvieuse.
Ce pré carré qui nous accueille émergea tour à tour par son opposition à l’autre (les hommes venus de la mer) et son assimilation variable à autrui (le moustérien, la phénicité, la romanité, la byzantinité, l’arabité, la chrétienté, l’islamité et la francité notamment, sans parler d’un soupçon d’italianité et d’ottomanité). Son existence oscilla ente les velléités de dépendance à l’endroit de l’étranger (source d’emprunts, parfois excessifs) et sa propension à se soustraire à sa domination (surtout politique). Dans ce rapport à l’autre se constitua l’entité collective, assortie à de fortes disparités locales, mais en perpétuel redéploiement. Un noyau dur se révéla irréductible, en son genre, face aux manœuvres eucharistiques par exemple dirigées jadis à son encontre : c’est le complexe arabo-musulman, un socle à nul autre pareil. Ce noyau se trouve être dans en état de ramollissement avancé face aux tentatives d’évangélisation dont, récemment, l’ambassadeur des USA vient d’admettre publiquement à Tunis le bien fondé, en ma présence et à mon grand dam, en invoquant l’ordre naturel de la liberté de conscience. Une forme insidieuse de « désislamisation » gagne du terrain, ouvrant la voie à l’évangélisation, à la faveur de la précarité rampante et à une laïcité mal comprise. L’identité tunisienne en est venue à se positionner une fois de plus à la croisée des chemins entre la partie qui est un amour de soi et la nation qui est la haine des autres. Au train où vont les choses, nous serons bientôt les autres de qui et de quoi ? Y sommes-nous en train de réfléchir ? Cela suppose un repositionnement de notre culture à la lumière des nouvelles techniques émergentes. En avons-nous fait notre bilan d’étape ? L’état de notre recherche en est le symptôme. Nous avançons comme un bateau ivre, faute d’un minimum de liberté et de démocratie pour actualiser notre identité, dans le cadre d’une démarche souverainiste forte.
L’identité ne se limite pas à une question d’appartenance. Ce n’est pas un cadre naturel définitivement ancré dans le passé. C’est une réalisation en devenir, tributaire de l’agir du Tunisien, une historicité collective articulée à une inventivité en mouvement bien de chez nous. Celle-ci Diogène la cherche toujours, faute d’un minimum de liberté et de démocratie. Les auteurs de la Déclaration de Tunis du 17 juin 2003 parlent « de l’identité du peuple » comme s’il elle est un legs et un acquis, alors qu’il eût fallu se soucier de la refondation de cette identité pour s’inscrire dans le sens de l’Histoire. Ce qui revient à poser autrement le problème de l’identité, et soulever la question des identités en présence et en compétitions. L’essentiel reste à faire. C’est sur les mutations à l’œuvre que traverse le concept que nous devons nous focaliser. Mais sans libertés démocratiques…
Taoufik BACHROUCH
Tunisia has made great strides toward liberty