Appel pour le boycott des élections d’octobre 2009 Réunion des verts africains à Bohican (Bénin) du 25 au 29 Juin 2009 NouvelObs »Délit de solidarité » et droits de l’homme Le Temps: Crise de la Ligue Tunisienne pour la Défense des Droits de l’Homme – Scénarii pour une sortie de crise Les Amis d’Attariq: La «pédagogie» de M. Morjane à propos des rafles : tardive et peu convaincante Leaders: Sami Fehri sur le point de finaliser le dossier de la nouvelle chaîne TV Réalités: Yadh Ben Achour parle de la victoire du Sunnisme, de l’islamisme et de l’Islam d’Occident AFP: Sommet de l’UA : Kaddafi fait pression sur les leaders africains AFP: Burqa/ Sarkozy : Al-Quaïda menace de » se venger » de la France Reuters: Rafsandjani, médiateur ou victime de la crise iranienne ?
Appel pour le boycott des élections d’octobre 2009
30 juin 09
Le Collectif pour le boycott des élections d’octobre 2009 en Tunisie appelle les Tunisien(ne)s à ne pas participer au simulacre d’élection, qui devrait voir le président indétrônable Ben Ali élu pour un cinquième mandat.
Le 25 octobre 2009, les citoyens tunisiens seront appelés aux urnes pour élire leur président de la République et les représentants de la Chambre des députés. La réforme pseudo constitutionnelle du 26 mai 2002 ayant supprimé la limite de nombre de mandats successifs pour le président sortant, elle lui octroie le droit de briguer un cinquième mandat et lui permet, concrètement,de se tailler une présidence à vie.
Arrivé au pouvoir par un coup d’Etat « médical » le 7 novembre 1987, Ben Ali fut, durant deux mandats, l’unique candidat à sa propre succession. En 1989 il fut « élu » avec 99,27% des voix et en 1994 il obtint 99,91% des voix. Les élections pseudo pluralistes inaugurées en 1999 maintiennent le statu quo. La participation de deux candidats de « l’opposition » ne l’empêche pas de remporter les présidentielles avec 99.45%.En 2004, malgré la présence de trois candidats, Ben Ali est « réélu » avec 94.49% des voix. Rien ne permet de croire que l’échéance électorale d’octobre 2009 sera différente. Bien contraire, tout indique qu’elle aura lieu dans des conditions encore plus graves que les précédentes.
Les adversaires de Ben Ali sont choisis par Ben Ali
Les mécanismes et les lois électoraux ajustés par le pouvoir, et surtout l’absence totale de toute forme de liberté, privent les Tunisiens du droit de choisir librement leurs gouvernants.Sur le plan juridique, les sept des neuf membres du Conseil constitutionnel, à qui incombe, notamment, la tâche de valider les candidatures à l’élection présidentielle, sont nommés par Ben Ali. Ainsi, les candidats officiels sont imposés par le Président lui-même. A chaque élection, il fait voter des lois exceptionnelles pour mettre au point des « élections » sur mesure et choisir par là ses adversaires.
Les lois électorales restreignent les candidatures à la présidentielle comme aux législatives,aux adversaires choisis et validés par Ben Ali et excluent du vote la majorité de la population tunisienne. Le code électoral est même façonné pour permettre de certifier la triche et d’accepter que le président-Etat-Parti chapeaute les différentes étapes des élections à sa guise. Aucune forme de contrôle indépendant n’est possible. Sur le plan politique, le régime ne cesse d’affirmer son totalitarisme en dominant la vie sociale, économique, politique et culturelle du pays. Les organisations syndicales et politiques, les institutions et les acteurs de la société civile n’ont jamais été aussi persécutés et assiégés. Ils subissent quotidiennement la répression, les violations de leurs droits à s’organiser, à s’exprimer et à manifester librement.
L’intimidation, le harcèlement, la prison, la violence, la torture et même l’assassinat sont les seules réponses que les autorités fournissent à la population et à la société civile. Rappelons les récentes actualités :les militants du bassin minier de Gafsa qui croupissent depuis de longs mois en prison dans des conditions inhumaines, les milliers de jeunes accusés de terrorisme, victimes de torture, de traitement inhumain et de procès inéquitables, l’interdiction du congrès de l’UGET, l’emprisonnement et l’expulsion de ses militants des universités, le passage à tabac des opposants, le putsh qui se trame contre le SNJT et qui en dit long sur l’état de la presse et de la liberté d’expression, l’interdit qui frappe les activités de la LTDH, la persécution que subissent les militants et les représentants de l’Association des magistrats et de l’Association tunisienne des femmes démocrates, etc.
Médias et justice dans les mains du Président
Allergique à toute forme de pensée et de critique, le pouvoir ne tolère que les louanges. Le matraquage médiatique orchestré par le régime domine tous les espaces.Radios, presses, télévisions et autres médias, accaparés par le parti unique ne peuvent que glorifier le Président et sa politique. L’état de délabrement total du système judiciaire fait de lui un outil d’asservissement entre les mains de l’exécutif. Dépourvue de toute indépendance, la justice, dont ses propres fonctionnaires sont parfois ses victimes, est aux ordres du pouvoir. Le ministère de la Justice parait comme annexé au ministère de l’Intérieur et il n’a d’autre mission que de garantir la survie du régime.
Dans ce contexte politique, les conditions les plus élémentaires ne sont pas réunies pour garantir un déroulement libre et démocratique des élections de 2009.
Sur le plan socio-économique, le régime fait régner l’injustice, les inégalités, la corruption et remet en cause les acquis et les droits des femmes. Par ces élections, le pouvoir de Ben Ali cherche à s’habiller d’une légitimité démocratique qu’il n’a jamais possédée. D’autre part, il veut garder les mains libres pour continuer une politique économique libérale, en défaveur des couches populaires, dictée par l’intérêt des plus riches familles au pouvoir et l’intérêt des capitaux européens et internationaux ; une politique qui asservit davantage la Tunisie au capitalisme à travers ses institutions, la Banque mondiale, le Fonds monétaire international et l’Union européenne. Et pourtant les luttes politiques et sociales, spontanées ou organisées, contre les choix socio-économiques du pouvoir n’ont jamais cessé. Manifestations, occupations, grèves des travailleurs, grèves de la faim et soulèvements populaires font d’ores et déjà partie du quotidien social. Les femmes, les travailleurs, les jeunes et les chômeurs du bassin minier qui ont osé braver l’interdit en sont le meilleur exemple.
Boycottons cette mascarade d’élection
Nous sommes convaincus du droit incontestable de l’opposition tunisienne à pouvoir se présenter à des élections réellement libres et démocratiques. Nous sommes convaincus aussi que le peuple tunisien a le droit de voter librement sans crainte et sans entrave. Cependant, la participation aux élections, dans les conditions actuelles, fera seulement écho à une comédie dans laquelle les jeux sont faits d’avance. Elle ne sera politiquement bénéfique qu’à la dictature, pas à l’opposition, ni au peuple tunisien. D’autant plus qu’au fond de sa conscience, le citoyen tunisien est parfaitement convaincu que, vu l’état actuel des choses, les urnes de Ben Ali ne pourront apporter aucun changement au quotidien de leur vie.
Tunisien(ne)s, rejoignez le Collectif
C’est ce constat qui donne toute sa raison d’être à notre action qui, en résonance avec la voix de la majorité des Tunisiens, appelle au boycott des élections d’octobre 2009.
Face à cet état des lieux, il nous incombe, signataires de cet appel, de nous constituer en Collectif démocratique, laïque et pluraliste, ouvert à toutes les Tunisiennes et tous les Tunisiens qui s’identifient à sa plateforme politique, pour :
Refuser cette mascarade électorale, dénoncer son caractère fantoche et rejeter la présidence à vie.
Rassembler les Tunisiennes et les Tunisiens pour réclamer des élections libres et démocratiques rompant avec le totalitarisme et la dictature.
Organiser des manifestations de protestation visant à dénoncer cette supercherie électorale.
Nous invitons toutes les militantes et tous les militants, intellectuels, épris de justice et de liberté, toutes les Tunisiennes et les Tunisiens qui aspirent à la démocratie sociale et politique à rejoindre notre initiative.
Paris, le 28 juin 2009
(Source: « Charchaouka Tunisienne » un blog parfumé au jasmin hébergé par bakchich)
Lien:http://www.bakchich.info/Appel-pour-le-boycott-des,08175.html
Réunion des verts africains à Bohican (Bénin) du 25 au 29 Juin 2009
« Délit de solidarité » et droits de l’homme
NOUVELOBS.COM | 30.06.2009 | 16:33
Sihem Bensedrine, chargée de mission à la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH) et à l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT), était, lundi 29 juin, l’invitée des forums du Nouvel Observateur. Elle est co-auteure du rapport : « Délit de solidarité » ( *). Cette journaliste tunisienne a fondé le Conseil National pour les Libertés en Tunisie (CNLT) en 1998.
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Eric Besson, ministre de l’immigration, nie l’existence d’un « délit de solidarité ». Pourtant « c’est un terme qui revient de façon récurrente dans les interviews que nous avons faites; ce mot exprime un sentiment clair de citoyens français, engagés dans des actions d’aide aux immigrés. Les pouvoirs publics sont en train de sanctionner leurs gestes de solidarité et de les dissuader d’une posture de citoyenneté vigilante de leur part » explique la journaliste militante des droits humains. « Le rapport est bourré d’exemples concrets ». La France, pays des droits de l’homme, risque fort d’être un jour montrée du doigt. Le problème se situe bien au delà des positions d’Eric Besson. « C’est un gouvernement entier qui est responsable de cette politique du « tout sécuritaire » (…) avec ses conséquences désastreuses sur la liberté des citoyens français ».
Quant aux sans-papiers, ils sont particulièrement mal traités. « J’ai vu à Calais des jeunes diplômés venus de Gaza, du Darfour, et d’autres zones de conflits (qu’on leur a imposés) et qui croyaient dans le message humaniste de l’Europe, vivre dans des conditions d’indignité intolérables au Nord de la France au vu et au su des autorités publiques. ». Enfin, l’indignation à géométrie variable des pays occidentaux choque Sihem Bensedrine. « « L’Europe ne s’émeut pas de façon égale des violations démocratique selon le lieu où elles se produisent. (…) C’est ce qui fait douter de larges franges des populations du Sud de la sincérité du message démocratique de l’Occident. » Ainsi la France fait preuve d’une grande mansuétude envers la Tunisie, malgré les violations des droits de l’homme qui s’aggravent, explique la journaliste, elle-même régulièrement victime d’actions policières et juridiques.
Claire Fleury
( *) le rapport est consultable sur :
http://www.fidh.org/L-Obstination-du-temoignage-rapport-2009-defenseurs-droits-humains
Crise de la Ligue Tunisienne pour la Défense des Droits de l’Homme Scénarii pour une sortie de crise
La «pédagogie» de M. Morjane à propos des rafles : tardive et peu convaincante
Sami Fehri sur le point de finaliser le dossier de la nouvelle chaîne TV
Yadh Ben Achour parle de la victoire du Sunnisme, de l’islamisme et de l’Islam d’Occident
29-06-2009
Entretien conduit par Zyed Krichen
“Aux Fondements de l’Orthodoxie Sunnite” est le nouvel ouvrage de Yadh Ben Achour. Ce grand spécialiste du droit international et de l’histoire des idées politiques s’est penché depuis une vingtaine sur l’étude de la pensée religieuse, notamment dans ses dimensions politiques et juridiques. Dans son dernier livre, Yadh Ben Achour s’attelle à une tâche titanesque : décrire et analyser le processus historique qui a amené une certaine vision de l’Islam des origines à se transformer en une orthodoxie dominante qui a fini par verrouiller le champ des possibles, inauguré par l’avènement de la Révélation.
“Aux Fondements de l’Orthodoxie sunnite” ne se contente pas de cette investigation historique, il analyse longuement le système sunnite dans ses dimensions théologiques, politiques et sociales et tente une explication synthétique des raisons qui ont fait que le Sunnisme traverse les siècles et peut-être même les millénaires.
Le livre de Yadh Ben Achour n’est pas seulement un essai sur l’histoire des idées politiques et théologiques, il se veut aussi une réflexion sur les problèmes de notre temps, de la difficulté, voire de l’impossibilité de réformer le Sunnisme, et des nouveaux possibles qui s’ouvrent de nouveau à l’Islam, surtout en dehors de ses contrées historiques.
“Aux Fondements de l’Orthodoxie Sunnite” est un livre fondamental pour comprendre les enjeux idéologiques et politiques d’aujourd’hui en terre d’Islam, et cela en les plaçant dans la perspective éclairante de l’histoire des idées.
Yadh Ben Achour apporte une contribution de taille aux débats qui souvent déchirent les élites musulmanes.
En avant-goût, nous vous proposons cette interview avec l’auteur, où il revient en détail sur l’essentiel de ces questions.
• Aux Fondements de l’Orthodoxie Sunnite par Yadh Ben Achour. PUF 2008 et Cérès éditions pour le Maghreb-Tunis-Avril 2009.
Toutes les religions ont produit leur orthodoxie. Quelle est la spécificité de l’émergence de l’orthodoxie sunnite en terre d’Islam ?
Dans l’histoire des religions il y a un moment inaugural : une Révélation, une Sagesse, un Texte, une Inspiration… Cet évènement peut être tué dans l’œuf, mais peut également s’ancrer dans l’histoire. Au bout de quelque temps, souvent des siècles, se formera autour de cet événement inaugural une orthodoxie, c’est-à-dire une religion officielle qui inclut à la fois les instances politiques, une société de croyants et un savoir des gens de la religion qui se constitue souvent en Eglise : une instance spécialisée compétente en matière religieuse. La spécificité du Sunnisme est qu’il est une religion sans Eglise. Il a connu au premier siècle unsuccès foudroyant avec la dynastie des Ommeyades et les conquêtes de l’Islam qui ont constitué, très vite, l’Empire islamique. Mais jusque-là on ne peut pas parler d’orthodoxie. Jusqu’au milieu du troisième siècle de l’Hégire, il y avait encore beaucoup d’hésitations et de conflits. Le Sunnisme n’est devenu une orthodoxie qu’au bout de quelques siècles. Son trait spécifique est qu’il donne à la majorité du peuple des croyants la qualité de référent en matière religieuse. Le Sunnisme s’est lui-même identifié comme étant la religion de la majorité (Ahl al Sunna Wal Jamaa : les Gens de la Sunna et de la Communauté). Ils ont avancé un grand nombre de dires (“hadiths”) du Prophète pour consacrer cette idée. Par exemple “Ma Communauté ne peut pas tomber sur l’erreur” ou “Suivez la grande masse”… C’est le pilier de ce que les savants appellent “l’œuf” (baïdhat) de l’Islam, c’est-à-dire sa force et sa puissance.
Le Sunnisme est ainsi une religion sans église qui s’est constituée en orthodoxie et qui a fait du peuple majoritaire des croyants son référent exclusif en matière doctrinale et en matière religieuse. Dans la pratique cela se passe différemment. Mais c’est très important de dire au peuple des croyants : vous êtes le référent de la vérité religieuse Cela explique beaucoup de choses dans l’histoire du Sunnisme jusqu’à aujourd’hui. Le Sunnisme est une orthodoxie de masse. C’est un système de religion collectiviste.
Les autres factions de l’Islam des origines : les Kharijites, les Chiites, les Mutazilites, n’étaient-elles pas, elles aussi, des tentatives pour imposer une certaine orthodoxie ?
Absolument. C’est cela le mystère de l’histoire. Un certain nombre de factions se font la guerre, discutent, dialoguent, se déchirent… Elles mènent un véritable combat d’idées avec leurs théologiens et aussi de véritables batailles militaires.
Si l’on vivait à ce moment-là, on ne pouvait pas dire qui allait remporter la victoire finale. Pourquoi c’est telle faction et pas une autre ?
La Tunisie de l’époque vivait les mêmes problèmes que l’Orient au moment de la dynastie aghlabite, comme l’a vu Mohamed Talbi dans son extraordinaire thèse sur l’Emirat aghlabite. Les querelles religieuses, philosophiques et doctrinales du Moyen-Orient étaient transposées dans notre pays. La dynastie aghlabite s’est instituée comme dynastie représentative du Califat abbasside. Elle a été détruite par les Fatimides qui étaient des Chiites Ismaliens. Ensuite, avec les Zirides, quelques siècles après, il y a eu le rétablissement du Sunnisme avec El Moez Ibn Badis. D’ailleurs lemême monarque est retourné au Chiisme suite à la vengeance des Fatimides, maintenant installés au Caire, qui lui avaient envoyé les tribus des Banou Souleïm et Banou Hilal pour le châtier. En définitive, malgré ce long temps de gouvernement fatimide en Tunisie, c’est le Sunnisme dans son expression malékite qui s’est imposé en Tunisie et dans tout le Maghreb, alors que cette région a connu le gouvernement chiite, mais aussi des émirats kharijites, surtout au Maghreb Central (l’actuelle Algérie)… Comment expliquer dans ce contexte la victoire du Sunnisme ? Je pense que personne ne peut répondre à cela. C’est cela les contingences de l’histoire.
Peut-on parler d’un Islam pré-sunnite? et si oui, quelles seraient ses caractéristiques ?
Avant la constitution du Sunnisme en orthodoxie, tout était ouvert. Dans les premiers siècles de l’Islam de grandes divisions ont vu le jour, comme celle entre les tendances déterministes et celles qui défendent la liberté humaine, le self-arbitre et la raison. Dans le domaine juridique tout, également, était ouvert. Les quatre Ecoles (le Malékisme, le Hanafisme, le Chaféisme et le Hanbalisme), qui constituent aujourd’hui l’orthodoxie sunnite, étaient loin d’être majoritaires à l’époque. Il y avait au moins une quinzaine de tendances juridiques. Plusieurs d’entre elles n’existent plus aujourd’hui, comme celle d’Al Aouzaai, N’oublions pas que le Calife abbasside Al Maamoun a pratiqué une politique pro-chiite pour gagner le cœur des Irakiens, à telle enseigne qu’il a désigné comme son successeur au Califat l’un des imams du Chiisme, Ali Ridha. Que se serait-il passé si Ali Ridha avait succédé à Al Maamoun ? La face du Monde musulman aurait certainement changé. L’Islam majoritaire aurait pu devenir chiite. Il a fallu attendre le Calife Al Mutawakkil pour rétablir le Sunnisme dans son intégralité. Jusque-là tout était possible.
Je dirais que l’Islam pré-sunnite est un Islam éclaté, dans lequel tout aurait été possible : le Chiisme, le Mutazilisme, le Soufisme… Le problème est de savoir quand et comment le verrouillage opère. Il y avait bien évidemment à cette époque-là des dogmes communs à tous les Musulmans autour du Texte Révélé, mais le fait de se référer à la Tradition prophétique (la Sunna) n’était pas évident.
C’est-à-dire…
L’Imam Chafeï, dans le livre sept de son “Kitab Al Oum” parle des sectes et des factions qui refusaient la Sunna en tant que telle. Pour elles le Texte du Coran était suffisant en soi et le Prophète n’avait pas à ajouter sa propre inspirationà celle qu’il a reçu de Dieu. D’autres disaient que nous acceptons les hadiths, mais à condition qu’ils soient à consensus généralisé (Mutawatir). C’est cela l’Islam pré-sunnite : une division philosophique entre les Mutazilites et les Déterministes, une autre sur la constitution même de la Sunna : doit-on la prendre en considération, et si oui quelle Sunna ? Les Chiites ne reconnaissent pas le mécanisme de la constitution de la Sunna telle que l’admettent les Sunnites. Les questions juridiques étaient, elles aussi, totalement ouvertes. L’Islam pré-sunnite était l’Islam où tout pouvait devenir possible. Ensuite le verrouillage a eu lieu aux niveaux de la théologie, du droit, de l’éthique et des mœurs. Tout cela grâce à une trilogie : le pouvoir politique, le pouvoir religieux et la masse des croyants.
La tentative du Calife abbasside Al Maamoun d’imposer une sorte de syncrétisme mutazilo-chiite, n’est-elle pas la première tentative pour imposer une orthodoxie à l’Empire musulman ?
Le pouvoir est quelque chose d’extrêmement précaire. Il n’a jamais la liberté qu’on lui suppose. Le pouvoir ne cherche qu’à se maintenir et à se créer sa propre légitimité. Pour cela, il est prêt à tous les compromis et à toutes les astuces possibles et imaginables. Al Maamoun cherchait un équilibre. Cela prouve que le Monde musulman était extrêmement divisé à l’époque. Al Maamoun, en tant qu’homme de pouvoir, a d’ailleurs parfaitement réussi dans sa démarche. Quels sont les fondamentaux du Sunnisme ?
Il y a d’abord les fondamentaux de l’Islam, à savoir la révélation, l’au-delà, l’eschatologie… ensuite c’est une constitution très spécifique de la Tradition prophétique. Les Sunnites reconnaissent un certain nombre de codificateurs de la Sunna : principalement Al Bukhari et Muslim, ce qui fait que pour le Sunnite, d’hier comme d’aujourd’hui, les propos rapportés dans cex deux “Authentiques” sont des certitudes irrécusables. Il y a ensuite une certaine conception de la légitimation du système, ce que j’ai appelé dans mon livre une théologie de validation. Tout d’abord pour écrire l’histoire du Prophète comme dans la “Sira” d’Ibn Hisham et ensuite pour codifier la tradition prophétique.
Le Sunnisme a adopté, dans sa majorité, la Théologie Ashaarite (IVème siècle de l’Hégire) qui se veut une attitude intermédiaire entre les Mutazilites qui croient en la liberté humaine et en l’obligation de la justice pour Dieu et les déterministes. Ils ont produit la fameuse théorie du Kasb: Dieu engendre les actions et l’homme les endosse. En fait, comme l’a démontré déjà Ibn Rochd (Averroès) ce n’est qu’un jeu de mots. L’Ashaarisme n’est en fait qu’un déterminisme déguisé.
Comment expliquez-vous que l’orthodoxie sunnite ait pu survivre à tous les aléas de l’histoire et surtout à ses défaites politiques et militaires ?
C’est la question fondamentale. Je ne dis pas que le Sunnisme est l’essence de l’Islam, je dis que c’est l’histoire qui l’a consacré en tant qu’orthodoxie. Le système a été fait pour traverser les siècles et peut-être même les millénaires. Le Sunnisme a été, tout au long de son histoire, entouré de catastrophes : pertes de territoires, défaites idéologiques… mais il a pu se maintenir grâce à un combat acharné mené par une sorte de sainte alliance entre le pouvoir politique, le pouvoir de l’interprète de la parole sacrée et la masse du peuple des croyants. C’est la reconnaissance de la vox populi au niveau théologique qui explique la pérennité du système des croyances sunnites à travers les siècles.
En 2009, les sources d’inspiration qui régissent la pensée des croyants restent celles qui sont fondées par les grands théologiens de l’époque classique. Ce système englobe toutes les dimensions de la vie : le politique, le juridique, l’économique, l’intime dans ses détails les plus infimes.
La force de ce système est qu’il ait pu entrer dans l’esprit populaire. Il y a une incroyable homogénéité entre la pensée savante et les convictions du peuple. Le peuple ne lit pas et ne comprend pas ces traités sophistiqués, pourtant si l’on fait un sondage de l’esprit civique majoritaire jusqu’à nos jours on ne peut être que frappé par cette cohérence entre les modes de pensée savante et les réflexes de ce peuple majoritaire de croyants.
On a l’impression que les forces vives des peuples arabo- musulmans, au cours de la majeure partie du XXème siècle se sont éloignés de ce modèle…
Oui et non. Ils s’en sont éloignés dans les vies de consommateur, mais l’esprit majoritaire reste encore dans le halo de la pensée traditionnelle scolastique.
Selon vous les mouvements réformistes étaient-ils encore sous l’emprise de la pensée traditionnelle ?
Oui et non aussi. Devant le retard accusé par le Monde musulman, idée irrécusable du fait même de la catastrophe que fut la colonisation, le mouvement réformiste faisait le procès du Taqlid : l’enfermement de la pensée grâce au verrouillage opéré par les théologiens classiques. La solution préconisée par le réformisme était une sorte de syncrétisme qui tient compte des acquisdu Monde moderne occidental (le constitutionnalisme, le positivisme juridique, l’économie du marché…) tout en veillant à protéger et à conserver le système classique de la Chariaa. Cela est très visible chez Kheireddine, Ibn Abu Dhiaf, Refaa Tahtaoui, Jabarti…
Les mouvements qui ont adopté uniquement et strictement le mode de pensée occidental sont extrêmement minoritaires. Il y a bien sûr l’exception Ataturk qui est importante, mais qui demeure néanmoins une exception.
Actuellement nous assistons au retour du refoulé. Cela est dû, je pense, à une certaine accélération de l’histoire. La modernisation de nos sociétés a été trop rapide. Cela nécessite, probablement, un temps d’arrêt.
A l’heure actuelle nous en sommes au moment où le référentiel dominant est constitué par la littérature théologique classique. Le problème qui se pose à nous est que les franges les plus radicales comme les jihadistes ont pour sources essentielles les œuvres classiques et notamment Ibn Taymyya. Le Salafisme n’est pas une invention du monde moderne. C’est un mécanisme de défense qui a parcouru toute l’histoire de l’Islam. La dynastie Almohade qui a régné sur le Maghreb au XIème et XIIème siècles de l’ère chrétienne n’est qu’une préfiguration du Wahhabisme.
Le Wahhabisme n’est pas une exception. Il a eu beaucoup d’antécédents historiques : le Hambalisme sous les Abbassides, le début de la dynastie almoravide, les Almohades… Comment expliquez-vous cette nouvelle vitalité de l’orthodoxie sunnite ces dernières décennies ?
C’est probablement une réaction contre une modernisation trop accélérée qu’on a connue dès la fin du XIXème siècle. Il y a également l’environnement mondial qui explique cette sorte de crispation du Monde musulman et en particulier du Monde arabe autour de ses normes oubliées et retrouvées. L’Islam, dans son ensemble, considère qu’il y a une sorte de complot universel occidental contre lui en tant que civilisation et religion. Le dossier de ce complot est extrêmement fourni. On le fait remonter au Moyen-Âge avec les Croisades, ensuite le démembrement de l’Empire Ottoman, la colonisation et surtout la constitution de l’Etat d’Israël. Cela maintient les Etats arabes en particulier, mais aussi l’essentiel du Monde de l’Islam, dans une sorte de psychologie victimaire. En voulant se défendre de ce supposé complot, les Musulmans se crispent davantage autour de normes anciennes qu’on veut ressusciter et sur lesquelles on veut bâtir le présent et l’avenir. Vous dites dans votre livre que les communautés musulmanes qui vivent en Occident sont une chance pour l’Islam. Pourquoi ?
L’Islam a vécu aux XIXème et XXème siècles une période de reflux qui s’est manifestée particulièrement par les différentes formes de la colonisation. Paradoxalement, à ce moment-même, l’Islam a connu une période d’expansion extraordinaire à travers le monde. Dans le Monde musulman historique, l’Islam perdait des territoires mais en même temps il s’étendait sur toute la planète. Cela est dû au fait que l’Islam n’a pas besoin d’armées pour se répandre. C’est une religion dont les dogmes fondamentaux sont très accessibles et convaincants. J’ai dit dans mon livre que l’avenir de l’Islam pourrait venir de ces nouvelles contrées situées surtout en Occident. Justement parce que l’Islam d’Occident a perdu les deux piliers qui faisaient la force de l’orthodoxie sunnite : le pouvoir et la majorité. Du coup cela oblige l’Islam à entamer un dialogue de fond avec des civilisations, des cultures et des normes qui lui sont étrangères sans pouvoir leur imposer sa propre manière de voir. Cela explique qu’il y a, dans ces nouvelles contrées de l’Islam, des auteurs et des mouvements réellement révolutionnaires au niveau de la pensée. Il faut préciser que ces nouvelles idées ont été pensées dans l’Islam historique, mais elles ont échoué à cause de la pesanteur et de la contrainte de l’orthodoxie de pouvoir et de l’orthodoxie de masse. Par exemple ?
Les droits de la femme ont été pensés dans le Monde arabo-musulman. Les idées de Kacim Amin et de Tahar Haddad ont connu une très large diffusion. Elles ont été même adoptées par certains Etats. Seulement on a l’impression de ne plus bouger depuis. Si l’on excepte le Code du Statut Personnel tunisien, le Monde arabe avance très peu sur cette voie. C’est toujours les mêmes débats qui reviennent : l’égalité successorale, les droits de la femme… Je ne dis pas que ces idées révolutionnaires ne germeront pas dans le monde historique de l’Islam. Je dis simplement qu’il y a des difficultés dues au contexte général. Ces mêmes idées transposées dans les nouvelles terres de l’Islam ont toutes les chances de pouvoir aboutir et de déboucher sur une pensée créatrice nouvelle. Dans ces contrées-là, il y a aujourd’hui des idées nouvelles et parfois même révolutionnaires, mais aussi de nouvelles pratiques de l’Islam. Je pense particulièrement au féminisme musulman aux Etats-Unis, aux mouvements islamiques libéraux au Canada, à certains ouvrages écrits par des Musulmans sud-africains et français comme le livre d’Abdennour Bitar “L’Islam sans soumission : pour un existentialisme islamique”, qui tout en seréclamant de l’Islam, apporte des idées très nouvelles sur le Paradis, l’Enfer… Chez nous on le prendrait pour un hérétique. Je précise toutefois que l’Islam radical se porte bien dans ces nouvelles contrées de l’Islam, mais l’Islam moderne aussi. Chez nous l’Islam ouvert est menacé de meurtre. En Occident, l’Islam bénéficie de quelque chose d’extraordinaire : la liberté. Le jour où la musulmane américaine Amina Wadoud a décidé qu’en tant que savante elle pourrait diriger la prière du vendredi, elle a trouvé des centaines d’hommes et de femmes pour la suivre et prier derrière elle. Le même geste aurait été inconcevable dans le Monde musulman historique.
Cela est-il dû à la mainmise de l’orthodoxie sunnite ou à l’absence de liberté ?
Cela va ensemble. Une orthodoxie est par nature oppressive. Quand le pouvoir politique met dans la main de cette orthodoxie le glaive pour exécuter les récalcitrants, alors une pensée libre a peu de chance d’éclore. Maintenant il ne faut jamais fermer les portes de l’avenir. Seulement de grands pays de l’Islam tels que le Pakistan et l’Arabie Saoudite ne sont certainement pas des exemples d’une saine confrontation de l’Islam avec la modernité. Loin de là, nous sommes en train de régresser et de diffuser à travers ces sociétés un mode de pensée totalement fermé.
Le Sunnisme est-il réformable ?
C’est ce que les Sunnites essaient de faire depuis un siècle et demi. L’idée de réforme est venue des autorités religieuses elles-mêmes. Dans le cas de la Tunisie, des savants comme les Cheikhs Salem Bouhajeb, El Khedr al Husseïn, Tahar Ben Achour… Tous ces penseurs ont appelé à la réforme. Ces hommes de religion ont constaté que leur système était en crise, mais si l’on compare la pensée de ces réformateurs avec la pensée dominante d’aujourd’hui, on constate qu’on a encore régréssé, et je ne parle pas ici des radicaux de l’Islam et des jihadistes. Je parle du commun des mortels. La réislamisation de nos sociétés qui se fait aujourd’hui est nettement en-deçà de ce que les réformistes religieux ont pensé, il y a de cela parfois plus d’un siècle.
Plus concrètement …
Prenons l’exemple de l’établissement du calendrier lunaire pour déterminer les cycles cultuels. Les Tunisiens se posaient déjà cette question sous les Zirides, il y a de cela un millier d’années. Les Chiites de l’époque étaient pour le calcul astronomique et les Sunnites pour la vision oculaire.
Revenons au XXème siècle. Des savants de l’Islam étaient parfaitement d’accord, dans un but de rationalité, de s’en tenir au calcul astronomique, position que la Tunisie a adoptée jusqu’en 1988. La réislamisation dont on parle ne va pas toujours dans le bon sens que les réformateurs religieux ont voulu pour l’Islam. Elle est en train de régresser dans le sens de l’Islam rigoriste et traditionnaliste. L’exemple du calendrier hégirien montre que nous ne sortons pas de débats multiséculaires. Nous n’avançons pas. Comment se fait-il qu’on en soit à vouloir, en 2009, pratiquer et imposer des normes juridiques et éthiques qui ont été pensées pour un autre temps ? Malheureusement cela constitue une véritable demande sociale et le pouvoir est là pour la sanctifier . L’établissement religieux a-t-il failli à sa mission en accompagnant et légitimant cette régression ?
C’est cela la force d’une orthodoxie : personne n’est libre. C’est un triangle dans lequel il y a le pouvoir, la masse des croyants et le savoir religieux. Ces trois dimensions sont interdépendantes. Le savoir religieux vend une image de marque : que va penser la foule, la masse des croyants, de ma fatwa (décret religieux) ? Le pouvoir politique agit de même, mais il est plutôt excusable. C’est le moins responsable de tous, car à moins d’être suicidaire, un pouvoir politique est obligé de suivre le savoir religieux et la masse sauf en des périodes très exceptionnelles où un immense législateur vient dire à sa société qu’elle est attardée et qu’il faut la changer. En général le pouvoir gère au quotidien selon les grandes aspirations de la majorité de son peuple.
Est-ce cela qui explique la connivence observée aujourd’hui entre l’Islam radical et l’Islam officiel ?
Il n’y a rien qui se ressemble autant que l’Islam le plus radical et l’Islam officiel. Entre eux il n’y a aucune différence au niveau de la pensée. La différence est seulement politique. L’un, le radical, se sent responsable de sa propre personne vis-à-vis de Dieu, et également en charge de sa société. Il doit les conduire au salut par la persuasion et si cela ne marche pas par la violence. C’est le croyant intégral qui donne le croyant intégriste. Tandis que le croyant mondain n’utilisera jamais la violence pour extirper le “mal”. Il dira seulement “que Dieu nous préserve et qu’il guide les égarés sur sa voie”. Les Etats musulmans qui combattent le terrorisme aujourd’hui le font au nom du même Dieu, du même Prophète et d’un même système de pensée. Il n’y a rien de fondamentalement différent entre l’Islam officiel défendu par les Etats et l’Islam radical. Les sources sont les mêmes, les références sont les mêmes et souvent aussi les citations. Cette harmonie est consternante entre le système officiel et celui qui le conteste. En croyant combattre la dissidence et le terrorisme, les Etats les alimentent en réalité. Dans leur lutte les Etats n’utilisent pas que la violence, ils utilisent aussi des arguments théologiques pour défendre ce qu’on peut appeler un Islam soft, mais en fait ils ne font que renforcer leurs ennemis car ils utilisent, en définitive, les mêmes arguments. Est-ce que les Etats ont le choix ?
Je pense qu’ils l’ont. Il est vrai que le choix n’est pas très ouvert, mais ils pourraient adopter des politiques religieuses plus critiques et plus intelligentes. Il faut éveiller l’esprit des gens et leur montrer la force de l’histoire dans la constitution des orthodoxies, et qu’une religion n’existe pas en tant que phénomène en soi, que ce sont les pratiquants qui font une religion et qu’on peut pratiquer l’Islam d’une manière différents. Ce n’est pas ce qui se fait actuellement.
(Source: « Réalités » (Hebdomadaire- Tunisie) le 29 juin 2009)
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