AISPP: La police politique fait fi de la Constitution AISPP: CommuniquĂ© CommuniquĂ© des magistrates membres des Instances lĂ©gitimes de lâAssociation des Magistrats Tunisiens Syndicat tunisien des medecins specialistes liberaux: Lettre au le Ministre des Affaires Sociales AFP: Tunisie/Ă©lections: Ben Ali s’engage Ă garantir la prĂ©sence d’observateurs AP: Des observateurs Ă©trangers pourront suivre les prochaines Ă©lections en Tunisie Xinhua: Le prĂ©sident tunisien exhorte les parties influentes Ă aider Ă la reconstruction de Gaza AP: Lancement d’une deuxiĂšme chaĂźne de tĂ©lĂ©vision privĂ©e en Tunisie Ammar Amroussia: Le soulĂšvement des habitants du bassin minier : Un premier bilan
 Bilel: MARS 87 â MARS 2009… BILAN D’une dĂ©route
La police politique fait fi de la Constitution
 * La deuxiĂšme chambre correctionnelle du Tribunal de PremiĂšre Instance de Tunis, prĂ©sidĂ©e par le juge Mohammed Kaabache, a examinĂ© jeudi 19 mars 2009: – Lâaffaire n°2/13079 dans laquelle sont dĂ©fĂ©rĂ©s : 1) Marouane Ben Mohammed Ben Boubaker Hamza, nĂ© le 08/07/1986, Jemna, KĂ©bili, Ă©tudiant en premiĂšre annĂ©e de physique Ă la facultĂ© des sciences de Tunis 2) Mohammed Ali Ben Mouldi Ben Belgacem Ben Ammar, nĂ© le 14/09/1989, gouvernorat de Ben Arous, lycĂ©en en formation professionnelle, en Ă©tat dâarrestation 3) HaĂŻthem Ben Mounir Ben Mohammed Labidi, nĂ© le 02/07/1989, gouvernorat de Ben Arous, cĂ©libataire, chĂŽmeur, en Ă©tat dâarrestation. 4) Oussef Ben Mohammed Lazhar Ben Salah Labidi, nĂ© le 27/07/1987, citĂ© Taamir, gouvernorat de Ben Arous, cĂ©libataire, en Ă©tat dâarrestation. 5) Brahim Ben Mohammed Ben Belgacem Khlil, nĂ© le 20/10/1984, Jemna, gouvernorat de KĂ©bili, Ă©tudiant, cĂ©libataire, en libertĂ©. 6) Larbi Ben Mabrouk Ben Amor Meftah, nĂ© le 19/11/1989, citĂ© El Iskan, Tunis, lycĂ©en, en libertĂ©. 7) Abdelaziz Ben Mohammed Ben Moncef Ben Abdallah Ouerghi, nĂ© le 07/08/1987 Ă Jendouba, demeurant dans le gouvernorat de Ben Arous, en fuite, Pour adhĂ©sion Ă une organisation terroriste et incitation Ă adhĂ©rer Ă une organisation terroriste, non rĂ©vĂ©lation aux autoritĂ©s des informations et renseignements en leur possession au sujet de la commission dâune infraction terroriste, et tenue de rĂ©unions non autorisĂ©es. Le tribunal a dĂ©cidĂ© de reporter lâexamen de lâaffaire au 14 avril 2009 Ă la demande de la commission de la dĂ©fense composĂ©e de maĂźtres Samir Ben Amor, Mokhtar Idoudi, Fatma Ben Mansour et Mohammed Jemni. Pour lâassociation La commission de suivi des procĂšs politiques (traduction dâextraits ni revue ni corrigĂ©e par les auteurs de la version en arabe, LT) Â
CommuniquĂ© des magistrates membres des Instances lĂ©gitimes de lâAssociation des Magistrats Tunisiens
SYNDICAT TUNISIEN DES MEDECINS SPECIALISTES LIBERAUX
Tunisie/Ă©lections: Ben Ali s’engage Ă garantir la prĂ©sence d’observateurs
Des observateurs étrangers pourront suivre les prochaines élections en Tunisie
Le président tunisien exhorte les parties influentes à aider à la reconstruction de Gaza
 2009-03-21 10:23:56     TUNIS, 20 mars (Xinhua) — Le prĂ©sident tunisien Zine El Abidine Ben Ali a exhortĂ© toutes les parties influentes, de par le monde, Ă conjuguer leurs efforts pour aider Ă la reconstruction de Gaza Ă la suite de la rĂ©cente agression israĂ© lienne.     Dans un discours prononcĂ©, vendredi, Ă l’ occasion de la cĂ©lĂ©bration du 53e anniversaire de l’indĂ©pendance de la Tunisie, Ben Ali a tenu Ă rĂ©affirmer le soutien de son pays Ă la cause palestinienne, et sa solidaritĂ© avec le peuple palestinien dans son combat lĂ©gitime pour l’Ă© dification de son Ă©tat indĂ©pendant.     Il a en outre rĂ©affirmĂ©, qu’il oeuvre constamment Ă consacrer la solidaritĂ© interarabe, Ă dynamiser les relations de coopĂ©ration et d’intĂ©gration panarabes, et Ă renforcer les fondements de l’action africaine commune, dans le cadre des structures et des institutions de l’ Union Africaine.     D’un autre cĂŽtĂ©, Ben Ali a soulignĂ© la disposition de son pays Ă adhĂ©rer Ă toutes les initiatives qui visent Ă conforter la sĂ©curitĂ© et la paix dans l’espace mĂ©diterranĂ©en, Ă consolider les liens de coopĂ©ration et de partenariat au sein de cet espace, et Ă resserrer les liens d’amitiĂ© et de coopĂ©ration avec les pays des continents amĂ©ricain et asiatique.
Lancement d’une deuxiĂšme chaĂźne de tĂ©lĂ©vision privĂ©e en Tunisie
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TUNISIE
Le soulÚvement des habitants du bassin minier : Un premier bilan
Inprecor N°545-546, 2009-01-02, Politique générale (633 I)
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Ammar Amroussia
Ammar Amroussia, instituteur, est le porte-parole du Parti communiste des ouvriers de Tunisie (PCOT) dans la rĂ©gion de Gafsa. Il a Ă©tĂ© condamnĂ© pour son appartenance au PCOT et a perdu son travail dâinstituteur en 1997. Il a vĂ©cu dans la clandestinitĂ© jusquâen fĂ©vrier 2002, date Ă laquelle il a choisi de mettre un terme Ă sa clandestinitĂ© pour suivre le procĂšs des dirigeants de son parti, H. Hammami, A. Madouri et S. Taamallah. A lâissue de ce procĂšs, il a Ă©tĂ© sauvagement aggressĂ© et emprisonnĂ© jusquâen novembre 2002. Le PCOT, fondĂ© en 1986, reste officiellement interdit en Tunisie. Il se dĂ©finit comme un parti communiste marxiste-lĂ©niniste. Lâarticle que nous reproduisons ici a Ă©tĂ© dâabord publiĂ© dans la revue du PCOT Le communiste en date de mai 2008.
Une grande vague de protestations populaires secoue, depuis le 5 janvier 2008, la rĂ©gion de Gafsa (sud-ouest de la Tunisie) et plus particuliĂšrement les villes du bassin minier. La contestation a commencĂ© suite Ă lâannonce des rĂ©sultats dâun concours de recrutement organisĂ© par la Compagnie des phosphates de Gafsa (CPG dans la suite du texte), principal employeur de la rĂ©gion. Ces rĂ©sultats ont Ă©tĂ© jugĂ©s, par la population, « dĂ©cevants », en effet le nombre de candidats admis Ă©tait rĂ©duit et ne rĂ©pondait pas Ă ses attentes. En plus, les critĂšres adoptĂ©s dans le choix de ces candidats nâĂ©taient pas objectifs : favoritisme, loyautĂ© vis-Ă -vis du pouvoir et « bakchich » ont prĂ©valu face Ă la compĂ©tence. La contestation a Ă©clatĂ© dâabord Ă Redeyef, elle a gagnĂ© ensuite les autres villes miniĂšres, en particulier Mâdhilla et MoularĂšs. Ainsi, lâensemble de la rĂ©gion de Gafsa a Ă©tĂ© secouĂ© par un soulĂšvement social sans prĂ©cĂ©dent, considĂ©rĂ© par les observateurs comme le plus important en Tunisie durant les deux dĂ©cennies de pouvoir de Ben Ali, voire depuis la « rĂ©volte du pain » de 1984. Il est donc Ă©vident quâun tel Ă©vĂ©nement doit ĂȘtre analysĂ© pour en tirer quelques leçons, mĂȘme si le mouvement est encore en cours. Un premier bilan pourrait contribuer Ă ce quâil tienne plus longtemps face Ă la dictature et Ă arracher des acquis qui serviraient de stimulant pour tout le mouvement populaire. Ainsi nous allons suivre Ă travers cet article lâĂ©volution des Ă©vĂ©nements en cherchant les causes et en analysant les mots dâordre et les formes de lutte inventĂ©es par les masses populaires dans leur confrontation avec lâappareil rĂ©pressif du rĂ©gime de Ben Ali.
1. Les causes profondes du soulĂšvement
Les rĂ©sultats du concours de recrutement Ă la CPG publiĂ©s le 5 janvier 2008 nâont en fait constituĂ© que la goutte qui a fait dĂ©border le vase. La rĂ©action des habitants nâaurait pas pu ĂȘtre aussi forte si la rĂ©gion ne vivait pas depuis longtemps dans une misĂšre profonde. Tout y prĂ©disait une grande explosion, les signes annonciateurs se sont multipliĂ©s. En septembre 2007 nous avions dĂ©jĂ Ă©crit, suite Ă la rĂ©pression du rassemblement organisĂ© par « le comitĂ© rĂ©gional des diplĂŽmĂ©s enchĂŽmagĂ©s » et au cours duquel la militante Afef Ben Naceur avait Ă©tĂ© sauvagement agressĂ©e par la police politique : « attendez-vous prochainement Ă une grande surprise .»
Depuis lâĂ©poque coloniale, et jusquâĂ nos jours, la production de phosphate reste le pilier central de lâactivitĂ© Ă©conomique dans la rĂ©gion de Gafsa, ce qui rendait la vie de villes entiĂšres (Redeyef, Metlaoui, MoularĂšs et Mâdhilla) entiĂšrement dĂ©pendante de ce minerai qui assurait aux habitants une certaine sĂ©curitĂ©. Les choses ont continuĂ© ainsi jusquâau terme de lâĂ©poque coloniale (1956) et mĂȘme jusquâaux annĂ©es 1970. Mais « la vache Ă lait », câest-Ă -dire la CPG, a commencĂ© Ă avoir des difficultĂ©s dues surtout Ă une mauvaise gestion. En 1986, elle a Ă©tĂ© incluse dans le programme de restructuration des entreprises publiques imposĂ© par le FMI et la BM dans le cadre du « Programme dâajustement structurel » (PAS). Cette restructuration nâa tenu compte que des taux de profit Ă rĂ©aliser ou Ă prĂ©server. Elle a donc Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©e aux dĂ©pens de la force de travail. Ainsi le nombre des ouvriers de la CPG est passĂ© de 14 000 dans les annĂ©es 1980 Ă environ 5 300 en 2007 (en 2006 ce chiffre Ă©tait de 5 853 employĂ©s dont 492 cadres). La sociĂ©tĂ© a eu recours Ă la mĂ©canisation pour comprimer la main-dâĆuvre, elle a Ă©galement augmentĂ© le nombre dâheures supplĂ©mentaires pour Ă©viter de nouveaux recrutements. Le coĂ»t de ces heures sâest Ă©levĂ© durant ces derniĂšres annĂ©es Ă environ 5 millions de dinars (1 TND=0,55 âŹ). Quant Ă lâĂtat, qui nâa cessĂ© de se dĂ©charger de son rĂŽle social et de se transformer en un simple « gendarme » soumettant les travailleurs Ă une exploitation fĂ©roce au profit dâune nouvelle poignĂ©e de mafieux et de corrompus locaux et Ă©trangers, il nâa rien prĂ©vu pour subvenir aux besoins des habitants de la rĂ©gion dont le tissu Ă©conomique est restĂ© inchangĂ©. Les investissements ont continuĂ© Ă sâorienter particuliĂšrement vers les rĂ©gions cĂŽtiĂšres aussi bien pour des raisons Ă©conomiques (la recherche de profits) que pour des raisons politiques (prĂ©servation dâune clientĂšle politique), ce qui a accentuĂ© le rĂ©gionalisme, caractĂ©ristique essentielle du rĂ©gime « destourien » depuis son avĂšnement en 1956.
Ainsi les villes du bassin minier, comptant une population de dizaines de milliers dâhabitants, ont sombrĂ© dans lâoubli et se sont trouvĂ©es marginalisĂ©es et confrontĂ©es Ă une situation difficile. Leur richesse en phosphate continue Ă ĂȘtre pillĂ©e. Avec lâinstallation des « laveries », la CPG a mis la main sur une grande partie des ressources en eau potable dans la rĂ©gion. Et le plus grave est que lâeau polluĂ©e utilisĂ©e pour le lavage a affectĂ© les nappes phrĂ©atiques saines si bien que les habitants de Redeyef, par exemple, se sont trouvĂ©s obligĂ©s dâacheter de lâeau potable en provenance dâautres rĂ©gions (1 dinar les 20 litres).
Cette situation a entraĂźnĂ© lâaggravation du chĂŽmage dont le taux est devenu alarmant, surtout chez les diplĂŽmĂ©s de lâenseignement supĂ©rieur. Le taux de chĂŽmage dans la rĂ©gion sâĂ©lĂšve au double et parfois au triple du taux national officiellement Ă©valuĂ© Ă 14 % ou 15 % de la population active. Par ailleurs, les services publics, tels que lâĂ©ducation, la santĂ©, lâhabitat et le transport se sont dĂ©gradĂ©s suite Ă leur privatisation et Ă lâaugmentation de leurs coĂ»ts. Les masses populaires ne peuvent plus assumer les frais de scolaritĂ© de leurs enfants, notamment ceux qui doivent sâinscrire Ă lâuniversitĂ©, les frais des soins et des mĂ©dicaments, les frais de transport ou dâhabitat. De surcroĂźt, les prix des matiĂšres de base nâont cessĂ© de flamber de par le monde. Lâaugmentation a touchĂ© les produits de premiĂšre nĂ©cessitĂ© tels que les produits alimentaires, les vĂȘtements et les carburants. Vu le bas niveau des salaires qui ne suivent pas le rythme de lâinflation galopante, la faiblesse des revenus des petits propriĂ©taires, commerçants et artisans, ainsi que lâabsence de tout revenu pour les chĂŽmeurs dont le nombre ne cesse dâaugmenter, la rĂ©gion de Gafsa sâest transformĂ©e en un espace immense de pauvretĂ©, de prĂ©caritĂ© et de marginalisation sociale. Bien entendu, Ă cette dĂ©tĂ©rioration des conditions sociales de la majoritĂ© des habitants de la rĂ©gion correspond lâaccroissement de la richesse de certaines couches, en lâoccurrence les hauts cadres de la CPG, des responsables rĂ©gionaux, des affairistes proches du pouvoir, etc. Il faut signaler que les recettes des exportations des produits phosphatiques de la CPG, et par consĂ©quent de lâĂtat, ont connu une croissance importante suite Ă lâaugmentation de leur prix sur le marchĂ© mondial. Les recettes sont passĂ©es de 858 millions de dinars (471,5 millions dâeuros) en 2005 Ă 1 261 millions de dinars en 2007 et elles atteindront probablement 2,2 Ă 2,4 milliards de dinars en 2008. Parmi ceux qui ont profitĂ© de la situation, on peut citer le secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral de lâUnion rĂ©gionale de lâUGTT (Union GĂ©nĂ©rale Tunisienne du Travail, lâunique centrale syndicale en Tunisie), Amara Abbassi, qui est aussi membre du ComitĂ© central du parti au pouvoir et membre du Parlement. A part le « bakchich » quâil reçoit, en contrepartie de son rĂŽle de « sapeur-pompier » des luttes des travailleurs, il a montĂ© une sociĂ©tĂ© de sous-traitance de main-dâĆuvre qui lui a permis dâamasser une fortune aux dĂ©pens des pauvres intĂ©rimaires quâil exploite dâune maniĂšre inouĂŻe bien quâil soit dirigeant dâun syndicat qui dĂ©clare sâopposer aux formes dâemploi prĂ©caires ! Abbassi jouit aussi bien du soutien des autoritĂ©s rĂ©gionales que de celui de la « bureaucratie » Ă la tĂȘte de lâUGTT, formĂ©e en majoritĂ© dâĂ©lĂ©ments corrompus.
Il est bien clair aussi que les habitants de Gafsa, tout comme lâensemble des Tunisiens, qui suivent les chaĂźnes de tĂ©lĂ©vision satellitaires ou qui ont des enfants instruits et intĂ©ressĂ©s par « la chose publique », sont, Ă des degrĂ©s diffĂ©rents, informĂ©s de lâaggravation du phĂ©nomĂšne de la corruption dans le pays. Une poignĂ©e de familles (celles de Ben Ali, de ses gendres, de ses proches et de ses amisâŠ) accumulent des fortunes colossales. Elles ont mis la main sur les principaux secteurs de lâĂ©conomie, profitant de la campagne de privatisation. Les banques sont Ă leur service, leur pourvoyant dâimportants et multiples crĂ©dits sans garanties. Câest ainsi que les « crĂ©ances douteuses » reprĂ©sentent prĂšs du tiers des crĂ©dits octroyĂ©s ! Certains membres de ces familles se sont spĂ©cialisĂ©s dans les « interventions » auprĂšs de lâAdministration pour le compte de ceux qui sont prĂȘts Ă leur verser des pots-de-vin importants. Rien ne leur Ă©chappe, mĂȘme les concours dâembauche dans la fonction publique dont les rĂ©sultats sont connus dâavance et oĂč il faut payer pour espĂ©rer rĂ©ussir ! Les citoyens peuvent ainsi constater la gravitĂ© de la situation qui condamne les pauvres Ă voir leurs conditions se dĂ©grader de plus en plus tandis quâune minoritĂ© liĂ©e au « trĂŽne » sâenrichit sans cesse.
Tous ces facteurs rĂ©unis ont créé un Ă©tat de malaise gĂ©nĂ©ralisĂ© dans tout le pays et qui prend dans les rĂ©gions les plus dĂ©favorisĂ©es, dont celle du bassin minier de Gafsa, une dimension de colĂšre latente qui nâattend que lâoccasion de surgir.
En effet, bien avant la publication des rĂ©sultats du concours de la CPG, la rĂ©gion de Gafsa a connu plusieurs mouvements menĂ©s soit par des diplĂŽmĂ©s enchĂŽmagĂ©s qui se sont organisĂ©s, Ă lâinstar de ceux de plusieurs rĂ©gions de la Tunisie, en « ComitĂ© rĂ©gional des diplĂŽmĂ©s enchĂŽmagĂ©s », soit par des paysans, travailleurs licenciĂ©s ou autres habitants des quartiers populaires, pour exprimer leur indignation face Ă lâoppression et lâinjustice quâils endurent. Puis, sont arrivĂ©s les rĂ©sultats du concours qui ont constituĂ© « la goutte qui a fait dĂ©border le vase ». Ainsi ont Ă©tĂ© dĂ©clenchĂ©s les Ă©meutes, les manifestations et les « sit-in » des habitants du bassin minier.
2. Un mouvement populaire
Ce mouvement a eu, dĂšs son dĂ©but, un caractĂšre populaire large, ce qui lâa transformĂ© en un soulĂšvement populaire proprement dit et ce malgrĂ© son aspect rĂ©gional plus ou moins circonscrit. Toutes les catĂ©gories populaires y ont adhĂ©rĂ© : ouvriers, chĂŽmeurs, fonctionnaires, commerçants, artisans, Ă©lĂšves, etc. Ceux qui y participent appartiennent Ă diffĂ©rentes gĂ©nĂ©rations, il y a des enfants, des jeunes, des adultes, des personnes ĂągĂ©es. Les femmes, mĂȘme celles au foyer, ont pris part Ă la protestation et ont souvent jouĂ© un rĂŽle dâavant-garde. Les divisions tribales, restĂ©es prĂ©sentes dans la rĂ©gion et continuellement instrumentalisĂ©es par le pouvoir, ont disparu dans ce mouvement pour cĂ©der la place Ă lâappartenance sociale, de classe. Les habitants ont compris quâils vivent dans la mĂȘme situation de misĂšre, quâils partagent le mĂȘme sort : le chĂŽmage, la marginalisation, la pauvretĂ©, la dĂ©gradation du pouvoir dâachat et, en gĂ©nĂ©ral, la dĂ©tĂ©rioration de leurs conditions de vie. Ce sentiment sâest confirmĂ© au fil des jours Ă travers les discussions, les affrontements avec les forces de la police, lâentraide et la solidaritĂ©, etc. Il est difficile aujourdâhui de faire marche arriĂšre, surtout dans la ville de Redeyef, dâautant plus que le mouvement continue Ă ĂȘtre encadrĂ© et est susceptible dâĂ©voluer.
CaractĂ©risĂ© par sa continuitĂ©, ce soulĂšvement vient de dĂ©passer son quatriĂšme mois (1). Il se poursuit encore, notamment Ă Redeyef qui en reprĂ©sente lâaxe mĂȘme, grĂące Ă la prĂ©sence dâun noyau dirigeant, de responsables syndicaux et de militants politiques de gauche. Notre pays nâa guĂšre connu depuis « lâindĂ©pendance » (1956) un mouvement social qui se soit prolongĂ© dans le temps de cette maniĂšre. Outre la prĂ©sence de militants aguerris Ă sa tĂȘte, les facteurs objectifs ont eu un rĂŽle important dans sa longĂ©vitĂ©. Ces facteurs, dĂ©jĂ Ă©voquĂ©s, ont fait que les habitants nâont rien Ă perdre, sinon leur misĂšre et leurs chaĂźnes. Toutes les portes de lâespoir leur sont fermĂ©es et ils ont ainsi perdu toute confiance dans le rĂ©gime en place. Parmi les facteurs qui ont favorisĂ© la continuitĂ© du mouvement, la rĂ©action du pouvoir. Celui-ci nâa pu apporter de solution aux problĂšmes auxquels est confrontĂ©e la rĂ©gion, ni rĂ©ussi Ă satisfaire les revendications directes des populations et Ă tenir ses promesses, mĂȘme celles annoncĂ©es avec pompe sous forme de « mesures prĂ©sidentielles » en faveur de certaines catĂ©gories sociales, Ă MoularĂšs en particulier, ce qui a encore attisĂ© la colĂšre des contestataires. Pis encore, le pouvoir a eu recours, dĂšs le dĂ©but, Ă la rĂ©pression : au dĂ©but du mois dâavril, puis au dĂ©but du mois de mai, la rĂ©pression a pris un caractĂšre encore plus violent et plus large Ă Redeyef et MoularĂšs notamment, mais elle nâa pas rĂ©ussi Ă Ă©teindre ni Ă Ă©touffer le mouvement, au contraire, elle lâa radicalisĂ©. Le pouvoir sâest ainsi retrouvĂ© dans lâobligation de libĂ©rer les dirigeants et activistes arrĂȘtĂ©s quelques jours auparavant. Ces derniers ont Ă©tĂ© accueillis par des dizaines de milliers de gens, en leaders populaires et en hĂ©ros.
Il est certain que le pouvoir, surpris par lâampleur du mouvement, a Ă©tĂ© Ă©branlĂ© par son unitĂ©, sa combativitĂ© et lâesprit de solidaritĂ© qui anime ceux qui y participent. Câest pourquoi il a jouĂ© au dĂ©but sur le facteur temps en pensant quâil pouvait attĂ©nuer le mouvement et le contraindre Ă lâeffritement, car il craignait de faire des concessions qui stimuleraient la revendication et lâĂ©tendraient Ă dâautres rĂ©gions du pays. Il craignait Ă©galement que la rĂ©pression ne confĂšre au mouvement une dimension aussi bien nationale quâinternationale, de telle sorte quâelle mette Ă nu la propagande dĂ©magogique du rĂ©gime axĂ©e sur le soi-disant « miracle Ă©conomique tunisien » et « les rĂ©alisations grandioses rĂ©alisĂ©es sous la direction clairvoyante du prĂ©sident Ben Ali ». En effet, ce qui se passe au bassin minier est un dĂ©menti cinglant de toute cette propagande. Sâil y a « miracle », câest bien pour les riches, locaux et Ă©trangers, qui ont vu leur fortune sâaccroitre dâune maniĂšre vertigineuse, et non pour le peuple qui subit une oppression Ă©conomique et sociale des plus dures.
Dâautre part, un peu plus dâune annĂ©e seulement sĂ©pare le rĂ©gime de Ben Ali des « élections » de 2009 ; dĂ©jĂ une campagne a Ă©tĂ© amorcĂ©e pour « solliciter » Ben Ali Ă se porter candidat pour un cinquiĂšme mandat, synonyme de prĂ©sidence Ă vie, afin quâil poursuive « ses rĂ©alisations » et mette en Ćuvre la suite de son programme « pour garantir Ă la Tunisie un avenir radieux ». Bien entendu, lâexplosion de la situation dans les villes du bassin minier complique la tĂąche du pouvoir, câest pourquoi il sâest Ă©vertuĂ© Ă isoler le mouvement en profitant de la faiblesse de lâopposition politique et de la complicitĂ© de la bureaucratie syndicale. Cette derniĂšre est allĂ©e jusquâĂ sanctionner certains syndicalistes (suspension de Adnane Hajji de toute activitĂ© syndicale au sein de lâUGTT pendant cinq ans). Mais tout cela nâa pas empĂȘchĂ© le mouvement de poursuivre son chemin, de faire Ă©chouer toute tentative de lâisoler et dâacquĂ©rir de la sympathie Ă travers des moyens dâinformation indĂ©pendants, tels que la chaine de tĂ©lĂ©vision satellitaire « Al-Hiwar Attounoussi » (Dialogue tunisien) qui Ă©met depuis lâĂ©tranger, le journal Ă©lectronique « Al-Badil » (lâAlternative) animĂ© par le parti communiste des ouvriers de Tunisie (PCOT), les journaux de lâopposition lĂ©gale (Al-Mawkif, Mouatinoun, Attarik Al-JadidâŠ) et la presse clandestine, notamment « Sawt EchĂąab » (La voix du peuple) organe central du PCOT, et aussi Ă travers les actions de solidaritĂ© organisĂ©es Ă lâintĂ©rieur du pays par le « comitĂ© national de soutien aux habitants du Bassin minier » et Ă lâextĂ©rieur par les partis et associations dĂ©mocratiques aussi bien tunisiens quâĂ©trangers.
3. Des formes de lutte variées et audacieuses
La rĂ©pression Ă©tait toujours de mise pour interdire les manifestations de rue, les rĂ©unions dans les locaux des partis et associations reconnus et dans les universitĂ©s. Cette stratĂ©gie sĂ©curitaire sâest avĂ©rĂ©e « efficace » pour le pouvoir puisquâelle a rĂ©duit la contestation Ă une sphĂšre limitĂ©e en lâempĂȘchant de se dĂ©velopper et de sâĂ©largir. Les actions de contestation sont apparues, dans cette atmosphĂšre, comme des actions isolĂ©es dans un « ocĂ©an de paix sociale », imposĂ©e en rĂ©alitĂ© par la terreur policiĂšre, et que le rĂ©gime de Ben Ali sâest mis Ă vanter aussi bien Ă lâintĂ©rieur quâĂ lâextĂ©rieur du pays comme Ă©tant une preuve de la « rĂ©ussite de ses choix » et de « lâunion du peuple autour de lui ». Cependant, ce qui se passe au bassin minier de la rĂ©gion de Gafsa est de toute autre nature.
Les forces de lâordre ont Ă©tĂ© incapables de rĂ©aliser ce quâelles accomplissaient aisĂ©ment par le passĂ©, en rĂ©primant une contestation isolĂ©e et rĂ©duite Ă des minoritĂ©s, ne serait-ce que parce que le mouvement est rĂ©ellement populaire et que tous ceux et celles qui y ont participĂ© sont dĂ©terminĂ©s Ă rĂ©sister et Ă continuer leur lutte jusquâau bout. Câest pourquoi les forces de lâordre qui sont intervenues violemment au dĂ©but du mois dâavril 2008 puis au dĂ©but du mois de mai 2008 ont vite perdu du terrain face Ă la dĂ©termination des habitants. Ce que les autoritĂ©s pouvaient interdire habituellement aux partis et associations mĂȘme lĂ©gaux, aussi bien dans leurs siĂšges que dans les espaces publics, les contestataires lâont fait au bassin minier Ă leur guise et sans aucune autorisation de la police. Ainsi, les marches traversaient les rues jour et nuit, les rĂ©unions ont lieu dans les espaces publics et les tracts et les bulletins politiques sont distribuĂ©s en plein jour sous les regards de la police qui se contente de surveiller sans intervenir. Les habitants ont créé un rapport de force, sur le terrain, en leur faveur qui leur a permis de jouir de leurs droits de rĂ©union, de manifestation, dâexpression, etc. Les forces de lâordre nâont quâune seule solution pour arrĂȘter le mouvement, câest la prise pure et simple des villes du bassin minier et le dĂ©cret de lâĂ©tat de siĂšge et du couvre-feu pour empĂȘcher toute activitĂ© (câest ce qui se produira en effet, plus tard au dĂ©but du mois de juin â note du traducteur).
4. Un soulĂšvement spontanĂ© maisâŠ
Il est certain que ce soulĂšvement a Ă©tĂ© marquĂ© par sa spontanĂ©itĂ©. Ce caractĂšre sâest clairement rĂ©vĂ©lĂ© au dĂ©part et a persistĂ© au cours des premiĂšres semaines. On entend par spontanĂ©itĂ© lâabsence de direction politique qui organise les participants, les dote dâune plateforme de revendications, les dirige sur le terrain et leur fait Ă©viter les dĂ©bordements et les provocations des agents du pouvoir. Mais cette carence a Ă©tĂ© dĂ©passĂ©e au fil des jours, principalement dans la ville de Redeyef, alors quâelle marque encore, Ă des degrĂ©s divers, le mouvement dans les autres villes. A Redeyef, la prise de conscience sâest traduite par lâĂ©laboration dâune liste de revendications et dâun plan dâaction qui tient compte de lâĂ©tat des rapports de force et surtout de lâĂ©tat dâesprit des masses de telle sorte quâelles soient elles-mĂȘmes convaincues de ce quâelles font et de ce quâelles ont Ă faire encore. Lâexistence dâun noyau de militants syndicalistes et politiques de gauche a jouĂ© et joue encore un rĂŽle dĂ©terminant dans la prise de conscience du mouvement et dans son organisation. En rĂ©alitĂ©, la ville de Redeyef a fait dĂšs le dĂ©but exception dans le bassin minier. Les difficultĂ©s apparues au dĂ©but ont Ă©tĂ© trĂšs vite aplanies, ce qui a permis de dĂ©passer les chefs de tribus et les responsables locaux et rĂ©gionaux qui sont Ă lâorigine de ces difficultĂ©s visant Ă diviser le mouvement, semer le doute en son sein et discrĂ©diter ses dirigeants. « Le comitĂ© de nĂ©gociation », dont les membres ont Ă©tĂ© dĂ©signĂ©s par des assemblĂ©es syndicales, ainsi que sa ceinture large composĂ©e de syndicalistes de tous les secteurs et de militants politiques dĂ©mocrates et progressistes, ont montrĂ© beaucoup de maturitĂ© et de sagesse dans lâencadrement et lâorientation du mouvement. Ce que lâon a mĂȘme nommĂ© « la deuxiĂšme trĂȘve » (la suspension des marches, des manifestations et des grĂšves pendant 15 jours pour crĂ©er, Ă la demande des autoritĂ©s, un climat propice aux nĂ©gociations) a tellement renforcĂ© le mouvement en lui permettant de reprendre son souffle et de se rĂ©organiser, que personne ne doute de la capacitĂ© de ses dirigeants Ă gĂ©rer les situations difficiles, dĂ©jouer les manĆuvres du pouvoir et Ă©viter de âcraquerâ.. Il a confirmĂ© la conviction que ces dirigeants reprĂ©sentent les vĂ©ritables chefs et les vrais porte-parole des habitants.
Sur un autre plan, il importe de remarquer lâĂ©volution de la conscience des masses et des Ă©lĂ©ments actifs parmi elles. La lutte Ă©duque ceux qui y participent et dĂ©veloppe leur conscience beaucoup plus rapidement que les discours. En effet, les masses populaires qui ont adhĂ©rĂ© au mouvement se sont trouvĂ©es directement impliquĂ©es dans « les affaires publiques ». Elles dĂ©battent de leurs problĂšmes et leurs prĂ©occupations, elles dĂ©battent Ă©galement de la situation gĂ©nĂ©rale dans le pays, sâĂ©changent les informations et lancent des critiques acerbes au rĂ©gime de Ben Ali⊠elles dĂ©couvrent par la pratique son caractĂšre despotique et dictatorial et le fait quâil soit au service des riches et quâil nâait rien Ă voir avec leurs intĂ©rĂȘts et leurs aspirations. Elles dĂ©couvrent aussi leur propre force et par consĂ©quent leur capacitĂ© Ă rĂ©sister et Ă sâimposer. Les symboles du pouvoir dans la rĂ©gion, tels que le maire, la police, la garde nationale, les structures du parti au pouvoir (comitĂ© de coordination, cellules territoriales et professionnellesâŠ), se sont effondrĂ©s face Ă leur volontĂ©. En un mot, discuter politique Ă Redeyef nâest plus ni « interdit », ni « dangereux », ni limitĂ© Ă une poignĂ©e de « tĂȘtes brĂ»lĂ©es » ! Câest plutĂŽt devenu une pratique ordinaire, un droit que tout le monde exerce sans peur et sans attendre lâautorisation de quiconque. En fait, tout le monde critique le maire et le gouverneur et mĂȘme Ben Ali, en Ă©voquant surtout lâenrichissement extrĂȘme de ses gendres ainsi que des membres de sa famille et de ses proches en gĂ©nĂ©ral.
Plus prĂšs de Redeyef, Ă MoularĂšs prĂ©cisĂ©ment, une tente installĂ©e par les diplĂŽmĂ©s-enchĂŽmagĂ©s, a abritĂ© un groupe de jeunes. Leur expĂ©rience au cours de leurs Ă©tudes Ă lâuniversitĂ© dâune part et lâouverture sur leur entourage politique et syndical dâautre part, les ont aidĂ©s Ă Ă©laborer rapidement des revendications spĂ©cifiques quâils ont su intĂ©grer dans une perspective politique plus large. Cette expĂ©rience les a prĂ©parĂ©s progressivement Ă se transformer en un noyau important dans le mouvement, exerçant surtout une influence considĂ©rable auprĂšs des intellectuels. NĂ©anmoins, ce noyau nâa pu se transformer en une direction du mouvement tout entier. En effet, il nâa pu bĂ©nĂ©ficier du mĂȘme soutien syndical et politique que le mouvement Ă Redeyef.
MalgrĂ© tous ces Ă©lĂ©ments positifs, il faut reconnaitre que ce soulĂšvement populaire est restĂ© marquĂ© par sa spontanĂ©itĂ© et par lâabsence dâune vision politique globale qui lâoriente. Le pouvoir a essayĂ© Ă plusieurs reprises dâexploiter cette faille pour faire Ă©clater le mouvement de lâintĂ©rieur. TantĂŽt, il a rĂ©pandu des rumeurs selon lesquelles le « prĂ©sident Ben Ali » allait intervenir pour « rĂ©soudre tous les problĂšmes et satisfaire toutes les revendications » ; il fallait donc cesser le mouvement pour montrer « sa bonne foi ». TantĂŽt, il a propagĂ© des mensonges aux dĂ©pens des dirigeants du mouvement dans telle ou telle autre ville pour empĂȘcher le dĂ©veloppement dâune solidaritĂ© entre les diffĂ©rents centres du mouvement et les isoler les uns des autres. Certes plusieurs facteurs, dâordre plus gĂ©nĂ©ral, ont contribuĂ© et contribuent encore Ă empĂȘcher le mouvement de sâunir au niveau rĂ©gional et de sâĂ©tendre Ă tout le pays et mobiliser toutes les classes et couches populaires. Pourtant, les revendications des habitants du bassin minier les intĂ©ressent toutes, Ă©tant donnĂ© quâelles subissent les mĂȘmes injustices.
5. Faiblesse de lâopposition politique
Lâun des premiers facteurs de faiblesse de lâopposition politique rĂ©side dans les sĂ©quelles quâelle traĂźne encore des « annĂ©es de plomb ». Mais au lieu de profiter de ce soulĂšvement pour Ă©largir sa base sociale, en faisant siennes les revendications des masses populaires, la majoritĂ© de cette opposition nâa pas manifestĂ© lâintĂ©rĂȘt quâil faut pour un mouvement aussi important. Plus le mouvement progresse, plus se creuse lâĂ©cart le sĂ©parant des masses populaires. MĂȘme lâĂ©lan mĂ©diatique qui lâa accompagnĂ© Ă ses dĂ©buts a rĂ©gressĂ© plus tard. Les chefs politiques, surtout ceux des partis lĂ©gaux, qui peuvent accĂ©der plus facilement Ă la rĂ©gion ne se sont pas souvent dĂ©placĂ©s sur place pour essayer de mobiliser les gens aux cĂŽtĂ©s du mouvement. MĂȘme leurs visites nâont pas Ă©tĂ© suivies dâactivitĂ©s mĂ©diatiques et politiques qui auraient pu contribuer Ă la levĂ©e du siĂšge, imposĂ© aux populations contestataires, et donner Ă leur mouvement la dimension nationale dont elles avaient besoin. On ne peut expliquer cette situation par le simple fait que « lâopposition est encore affaiblie » car, comme on lâa dĂ©jĂ dit, les partis intĂ©ressĂ©s auraient pu exploiter ce mouvement pour surmonter leurs faiblesses, mais des obstacles dâordres idĂ©ologique et politique se sont Ă©levĂ©s pour les empĂȘcher dâatteindre ce but. En effet, ces partis ne disposent pas de solutions rĂ©elles Ă proposer aux populations de la rĂ©gion et au peuple tunisien en gĂ©nĂ©ral. Et mĂȘme sâils sâopposent au despotisme et sont pour une libĂ©ralisation politique, ils sont souvent des adeptes de lâĂ©conomie capitaliste libĂ©rale avec tout ce quâelle implique comme privatisation et dĂ©sengagement de lâĂtat. Ils acceptent Ă©galement la prĂ©sence ou plutĂŽt la domination du capital Ă©tranger dans le pays sous prĂ©texte dâencourager les investissements extĂ©rieurs, car ils les considĂšrent comme un facteur de dĂ©veloppement et non de freinage, de pillage et de destruction de lâĂ©conomie tunisienne et de renforcement de sa dĂ©pendance. Par consĂ©quent, un soulĂšvement comme celui du bassin minier contredit le discours de tous ces partis libĂ©raux sur les prĂ©tendus avantages de lâĂ©conomie de marchĂ©. Ils se sont ainsi trouvĂ©s dans lâembarras, incapables de faire une critique profonde des choix Ă©conomiques et sociaux du rĂ©gime de Ben Ali. Dans le meilleur des cas, ils se bornent Ă une critique partielle des effets et non des causes de ces effets.
Certaines forces qui prĂ©tendent ĂȘtre de gauche, « progressistes », continuent Ă observer le mouvement de loin, soit parce quâelles nâont rien Ă lui offrir en se limitant à « lâexpression de leur solidarité » comme si les Ă©vĂšnements se dĂ©roulaient dans « un pays voisin » et non dans le nĂŽtre, soit par esprit sectaire, considĂ©rant quâun soutien actif au mouvement profiterait Ă tel ou tel parti (le PCOT par exemple), soit purement et simplement parce quâelles sâopposent au soulĂšvement de crainte dâaltĂ©rer leurs relations avec le pouvoir et la bureaucratie syndicale et aussi parce que la « rĂ©volte du bassin minier » dĂ©ment clairement leur phrasĂ©ologie autour du « recul du mouvement populaire » utilisĂ©e pour justifier leur dĂ©faitisme. Quant aux islamistes, ils sont absents, ils nâarrivent pas Ă se remettre de la dure rĂ©pression quâils ont subie durant ces deux derniĂšres dĂ©cennies, ils se sont limitĂ©s Ă publier, seuls ou avec dâautres forces politiques dans le cadre du « collectif du 18 octobre pour les droits et les libertĂ©s », des communiquĂ©s de solidaritĂ© avec les habitants du bassin minier. Lâaile « salafiste » (ou « jihadiste ») de ce courant, qui fait face elle aussi Ă une campagne de rĂ©pression au nom de la « participation aux efforts internationaux pour la lutte contre le terrorisme », ne sâest pas sentie concernĂ©e par ce genre de mouvement social dont lâesprit, les revendications et les mots dâordre sont loin dâĂȘtre religieux.
Enfin, quant aux vĂ©ritables forces dĂ©mocratiques et progressistes, y compris notre parti, le Parti communiste des ouvriers de Tunisie, elles ont pris conscience de lâextrĂȘme importance du mouvement du bassin minier. Elles lui ont apportĂ© et lui apportent encore un soutien concret, soit directement, avec la participation de leurs militants, soit indirectement, en informant et mobilisant les travailleurs et les jeunes des autres rĂ©gions afin de dĂ©noncer la rĂ©pression sauvage qui sâabat sur les masses populaires du bassin minier et appuyer leurs revendications lĂ©gitimes. NĂ©anmoins, ces forces ont butĂ©, il faut le reconnaitre, sur les limites de leur implantation dans la rĂ©gion, bien quâelles occupent une position meilleure que celle des forces libĂ©rales, rĂ©formistes ou islamistes. Et mĂȘme si cette position leur a permis dâavoir, selon les villes, une influence sur le mouvement, elles nâont pas pu ou plutĂŽt, elles nâont pas eu les forces nĂ©cessaires pour lâunifier dans les diffĂ©rentes villes du bassin minier ou des autres rĂ©gions. Cependant, avec le travail quâelles font et le crĂ©dit quâelles ont gagnĂ© auprĂšs des masses populaires, elles sont capables dâaccumuler de nouvelles forces et de vaincre leurs points faibles.
6. La trahison de la bureaucratie syndicale
Câest peut-ĂȘtre la premiĂšre fois que la fureur populaire se dirige ainsi contre lâUnion GĂ©nĂ©rale Tunisienne du Travail (UGTT) et prĂ©cisĂ©ment lâUnion RĂ©gionale et les syndicats miniers. En effet, lâindignation des gens (traduite par des marches, des communiquĂ©s et des discussions) nâa pas Ă©tĂ© seulement exprimĂ©e Ă lâĂ©gard du rĂ©gime, mais elle a touchĂ© les symboles de la corruption syndicale. Ces symboles, outre leur acceptation du rĂ©sultat du concours, organisĂ© par la CPG, leur implication dans lâesprit des hordes, des relations personnelles et de la corruption, et leur exploitation directe des ouvriers au moyen de sociĂ©tĂ©s de sous-traitance, ont une responsabilitĂ© dans la dĂ©gradation de la situation dans la rĂ©gion. LâUGTT et les syndicats miniers nâont pas seulement gardĂ© le silence, au contraire, ils ont refusĂ©, lors du dernier conseil rĂ©gional, de prĂ©senter tout simplement les contestations des habitants de la rĂ©gion. Bien plus, ils ont publiĂ© plus tard un communiquĂ© (en 12 points, datĂ© de mai 2008) dans lequel ils se sont attachĂ©s aux rĂ©sultats du concours en recommandant dâembaucher le plus tĂŽt possible « les admis », dĂ©fiant ainsi dâune maniĂšre claire les revendications des contestataires. LâautoritĂ© syndicale rĂ©gionale, avec Ă sa tĂȘte Amara Abassi, a suscitĂ© lâirritation des populations et fait lâobjet de leur indignation. Quant aux autres syndicats, ils ont fait preuve dâindiffĂ©rence et câest peut-ĂȘtre la rĂ©gion de Redeyef qui a une nouvelle fois fait lâexception la plus remarquable puisque les syndicalistes locaux, le secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral de lâUnion locale en tĂȘte, ont soutenu les contestataires et contribuĂ© activement Ă leur action.
Quant Ă la centrale syndicale, elle a comme dâhabitude ignorĂ© ce qui sâĂ©tait passĂ© dans la rĂ©gion. Elle a, en effet, feint dâenvoyer « une commission dâenquĂȘte » composĂ©e de deux membres du bureau exĂ©cutif et du secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral du Syndicat gĂ©nĂ©ral de lâenseignement de base, originaire de la rĂ©gion. Et, comme prĂ©vu, cette commission nâa eu aucun effet sur la rĂ©alitĂ© syndicale dans la rĂ©gion. En fait, Abassi a continuĂ© Ă bafouer les intĂ©rĂȘts des ouvriers et Ă manĆuvrer contre les contestataires.
Mais, si on sâattendait Ă ce que la bureaucratie syndicale ait un comportement honteux et hostile envers les ouvriers et les dĂ©shĂ©ritĂ©s du bassin minier, tout le problĂšme est dans la passivitĂ©, sinon lâindiffĂ©rence des secteurs syndicaux traditionnellement rĂ©putĂ©s pour leur combativitĂ©. Beaucoup dâobservateurs se sont demandĂ©s oĂč Ă©taient passĂ©s les secteurs de lâenseignement de base, de lâenseignement secondaire, de la santĂ©, etc. alors que les leaders de ce remarquable mouvement contestataire appartiennent Ă ces secteurs et ont Ă©tĂ© victimes dâincarcĂ©rations et de tortures. OĂč est passĂ© Ă son tour le secteur des postes ? En effet, les syndicats gĂ©nĂ©raux nâavaient pas publiĂ© de communiquĂ©s, ni organisĂ© des actions de soutien. Ceux qui ont soutenu le mouvement Ă©taient des syndicats de base, des syndicats locaux ou rĂ©gionaux plutĂŽt que des syndicats gĂ©nĂ©raux qui avaient gardĂ© le silence par crainte du SecrĂ©taire gĂ©nĂ©ral de lâUGTT et de ses courtisans ou par complicitĂ© avec eux.
7. LâindiffĂ©rence des intellectuels
On ne peut aussi que remarquer la passivitĂ© de lâensemble des intellectuels. Exception faite de quelques-uns qui ont Ă©tĂ© touchĂ©s par lâĂ©vĂ©nement et qui lâont abordĂ© dans des articles, la majoritĂ© nâa pas Ă©tĂ© « ébranlĂ©e » ni inspirĂ©e par son ampleur. Ce qui prouve la profondeur de la crise que traversent les intellectuels et les crĂ©ateurs en Tunisie. Ils ont Ă©tĂ© habitĂ©s par un sentiment de dĂ©sespoir et dâimpuissance, perdant confiance dans le peuple au point de ne plus hĂ©siter Ă lui tourner le dos, le taxant de « lĂącheté » et « ingratitude » et Ă se jeter dans les bras du pouvoir ou se consacrer pleinement Ă leurs affaires personnelles. Quand le peuple a bougĂ© et quâil sâest rĂ©vĂ©lĂ© vivace, dynamique et entreprenant, ces intellectuels ne se sont pas remis de leur lĂ©thargie et quatre mois de rĂ©sistance et dâaffrontements sanglants nâont pas pu agir sur leurs pensĂ©es et leurs esprits. En effet, ils nâont mĂȘme pas signĂ© la moindre pĂ©tition pour dĂ©noncer lâoppression et soutenir les masses populaires de Redeyef, MoularĂšs et Mâdhilla, villes rongĂ©es par le chĂŽmage, la marginalisation, la pauvretĂ© et la faim. Ils ont peut-ĂȘtre besoin dâun sĂ©isme qui les Ă©branle pour les tirer de leur sommeil et de leur torpeur.
Il importe de faire une autre remarque. Le soulĂšvement des villes du bassin minier a portĂ© au devant de la scĂšne les femmes populaires au moment oĂč le rĂŽle des femmes intellectuelles issues des milieux bourgeois et petit-bourgeois connaĂźt un recul sur lâarĂšne de la lutte politique, syndicale et des droits. Au-delĂ des instances traditionnelles connues, les femmes ont participĂ© et elles continueront Ă participer avec efficacitĂ© aux sit-in dans les tentes, si bien que la « tente des 11 femmes » Ă MoularĂšs est devenue des plus rĂ©putĂ©es. Ces femmes se sont hĂątĂ©es de lâinstaller dĂšs les premiers jours devant le siĂšge social de la CPG Ă MoularĂšs. Ces veuves ont pu rĂ©sister plus dâun mois malgrĂ© toutes les contraintes, y compris les pressions de leurs familles.
Dans cette bataille, Khira LaĂąmari sâest nettement distinguĂ©e en ne quittant pas le siĂšge de la cellule destourienne du parti au pouvoir pendant plus dâun mois. Elle a insistĂ© pour y rester malgrĂ© ses malaises chroniques et sa grossesse (9Ăšme mois). Elle nâa quittĂ© les lieux que vers lâhĂŽpital oĂč elle a accouchĂ© dâune petite fille quâelle a appelĂ© « Intissar » (Victoire). En parallĂšle, les femmes frĂ©quentent dĂ©sormais, par dizaines puis par centaines, le siĂšge de lâunion locale de lâUGTT de Redeyef, pour assister par exemple aux meetings et organiser des marches de contestation. Parmi elles, il y a celles qui sont dĂ©voilĂ©es, celles qui portent le foulard traditionnel (bakhnoug) et celles qui sont voilĂ©es. Elles ont quittĂ© le foyer et la cuisine pour exprimer leur souffrance ainsi que celle de leurs enfants.
Ce mouvement aurait dĂ» Ă©veiller lâattention des femmes intellectuelles, les progressistes en particulier, pour Ă©largir la base du mouvement fĂ©minin face Ă la dictature et aux courants fondamentalistes et passĂ©istes. Mais, Ă lâexception dâune seule rĂ©union organisĂ©e par lâAssociation Tunisienne des Femmes DĂ©mocrates trois mois aprĂšs le dĂ©clenchement des Ă©vĂ©nements, les intellectuelles qui se disent « fĂ©ministes » sont restĂ©es inactives ; elles ont mĂȘme manifestĂ© une indiffĂ©rence totale vis-Ă -vis de ce mouvement qui attaque en profondeur leur Ă©goĂŻsme petit-bourgeois, leur vanitĂ©, leur indolence et leur tendance au bavardage autour de la propagation du port du voile sans agir concrĂštement pour affronter les problĂšmes rĂ©els des femmes et leur apporter lâencadrement et le soutien nĂ©cessaires.
8. Sympathie populaire, maisâŠ
Bien que le mouvement ait maintenant atteint son quatriĂšme mois, il ne sâest pas Ă©tendu pour revĂȘtir un caractĂšre national et englober les diffĂ©rentes classes et couches populaires victimes de la politique Ă©conomique et sociale rĂ©actionnaire du rĂ©gime de Ben Ali et de son entourage. Exception faite de certaines protestations locales limitĂ©es dans le temps et la frĂ©quence, le mouvement nâa pas rĂ©ussi Ă mobiliser les autres rĂ©gions ; il nâa mĂȘme pas mobilisĂ© la rĂ©gion de Gafsa dans sa totalitĂ©. En effet, ceux qui sây sont soulevĂ©s sont les chĂŽmeurs Ă Zanouche, les paysans pauvres mĂȘlĂ©s aux ouvriers retraitĂ©s et aux dĂ©munis en gĂ©nĂ©ral pour revendiquer de creuser des puits permettant de surmonter les grandes difficultĂ©s mĂ©tĂ©orologiques (Redeyef et Mâdhilla), de rĂ©gulariser la propriĂ©tĂ© fonciĂšre des terres agricoles (Redeyef) et de mettre en Ćuvre des pistes rurales et leur asphaltage (Mâdhilla).
Il est sĂ»r que certains facteurs ont contraint le mouvement Ă rester local, mais on ne peut pas les limiter aux facteurs subjectifs, câest-Ă -dire Ă la faiblesse des forces politiques de lâopposition ou Ă la trahison de la bureaucratie syndicale ; il faut Ă©galement prendre en compte les facteurs objectifs. Le dĂ©clenchement du soulĂšvement du bassin minier est liĂ© Ă des causes locales, câest-Ă -dire les rĂ©sultats du concours de recrutement organisĂ© par la CPG et non Ă des causes gĂ©nĂ©rales touchant tout le pays, telle que la hausse du prix du pain lors de la « rĂ©volte du pain » en 1984, qui avait pris une dimension nationale. Il faut remarquer que la jeunesse y a jouĂ© un rĂŽle important. En fait, sa manifestation dans les rues le 3 janvier 1984 Ă Tunis a eu un effet dĂ©terminant pour mobiliser les jeunes des quartiers pauvres et les entraĂźner dans le mouvement. DĂšs que lâinformation concernant les manifestations et les affrontements dans la capitale sâest propagĂ©e, les gens sont sortis manifester Ă travers toutes les rĂ©gions et villes du pays, ce qui a obligĂ© Bourguiba Ă revenir sur la dĂ©cision concernant la hausse des prix.
Cependant, bien quâelle soit prĂ©sente dans la majoritĂ© des villes, par comparaison avec le milieu des annĂ©es 1980, la jeunesse estudiantine a perdu aujourdâhui le rĂŽle quâelle jouait pour plusieurs raisons quâon ne peut Ă©voquer ici. Les actions de solidaritĂ© Ă©taient donc limitĂ©es.
Il est Ă©vident que, faute de support, quâil soit syndical (1978), estudiantin (1984) ou politique, il est difficile que le soulĂšvement du bassin minier dĂ©passe son cadre local. Finalement, lâesprit gĂ©nĂ©ral des masses populaires diffĂšre aujourdâhui de celui du passĂ©. En effet, malgrĂ© la dĂ©gradation de leurs conditions sociales et en dĂ©pit de leurs plaintes et colĂšre, elles sont dĂ©mobilisĂ©es. Ceci est la consĂ©quence de deux dĂ©cennies de rĂ©pression, de peur, de frustration et de dĂ©gradation des liens de solidaritĂ©, dâautant plus que les grĂšves de soutien ont Ă©tĂ© lĂ©galement interdites depuis 1996 avec lâaccord de la centrale syndicale. Câest aussi Ă cause de lâeffritement des grands centres de travailleurs Ă la suite de la privatisation du secteur public avec ses corollaires, la compression du nombre dâouvriers et de salariĂ©s et la prĂ©caritĂ© de lâemploi. Sans oublier le dĂ©veloppement dâun esprit individualiste et opportuniste, dans ce climat de « libĂ©ralisation » sauvage. Mais une telle situation est susceptible dâĂȘtre renversĂ©e de fond en comble avec lâaggravation des problĂšmes sociaux et surtout lâabsence de perspectives.
9. Les perspectives du mouvement                    Â
Le soulĂšvement des habitants du bassin minier ne sâest pas interrompu. A chaque fois que les autoritĂ©s ont cru que le calme Ă©tait revenu, les protestations ont repris de plus belle, avec plus dâaudace et de dĂ©termination. Il est fort probable que ce mouvement dure encore longtemps puisque le pouvoir nâa manifestĂ© jusquâĂ maintenant aucune disposition pour satisfaire les revendications des habitants, du moins les plus urgentes. Dâautre part, ces derniers nâont fait apparaĂźtre aucun signe de repli. En fait, de jour en jour, ils deviennent plus unis et plus forts et font varier les formes de lutte (marches, sit-in, grĂšvesâŠ).
Mais, on sâattend aussi Ă ce que le mouvement/soulĂšvement reste local, car les facteurs qui ont fait obstacle Ă sa propagation, au moins, Ă toute la rĂ©gion de Gafsa, ne sont pas faciles Ă surmonter en une pĂ©riode de temps aussi limitĂ©e. Mais personne ne peut prĂ©dire lâavenir. Si le mouvement atteignait la ville de Gafsa, nous ne croyons pas que cela nâaurait aucun effet sur les autres rĂ©gions du pays. Cela lui donnerait plutĂŽt dâimportantes dimensions politiques. Des Ă©vĂ©nements ou des explosions peuvent Ă©galement se produire dans telle ou telle rĂ©gion dâautant plus que les conditions sociales sont susceptibles de se dĂ©grader Ă cause de la hausse continuelle des prix, lâaccentuation du chĂŽmage, la gravitĂ© des Ă©carts sur les plans social et rĂ©gional et lâaccentuation de la corruption. De cette façon, le mouvement des habitants du bassin minier pourrait connaĂźtre de nouvelles dimensions. NĂ©anmoins, nous ne pourrons pas dĂ©sormais fonder nos jugements sur des hypothĂšses, nous devons plutĂŽt prendre la rĂ©alitĂ© en considĂ©ration, agir en fonction de cette rĂ©alitĂ© et rechercher des moyens susceptibles de permettre au mouvement dâatteindre les objectifs escomptĂ©s sous un tel rapport de forces. De ce point de vue, nous croyons quâil est urgent dâunifier les composantes du mouvement dans les trois villes du bassin minier et pourquoi pas former une direction commune dans les trois villes en attendant que la ville de MĂ©tlaoui se joigne au mouvement.
Dâautre part, la chose la plus importante pour lui assurer sa continuitĂ© et prĂ©server sa pĂ©rennitĂ©, voire lâĂ©largir, est de chercher Ă organiser les habitants dans des cadres appropriĂ©s et selon les possibilitĂ©s soit selon les centres de travail et dâĂ©tudes, ou selon les quartiers. Le rĂŽle de ces cadres consistera Ă dĂ©signer ou Ă Ă©lire les dirigeants au niveau local, Ă discuter des problĂšmes posĂ©s, Ă prendre position vis-Ă -vis des problĂšmes rencontrĂ©s, Ă mettre au point des plans dâaction et Ă aider les citoyens et citoyennes, qui nâont plus confiance en lâautoritĂ©, Ă gĂ©rer leurs affaires. Cet itinĂ©raire dĂ©mocratique est aisĂ©ment applicable et câest lâun des facteurs susceptibles de promouvoir le mouvement sur les plans politiques et organisationnels.
Finalement, nous croyons quâil est indispensable dâaccorder aujourdâhui plus dâintĂ©rĂȘt Ă la solidaritĂ© dans les diffĂ©rentes rĂ©gions du pays. Câest selon ce critĂšre quâon peut rĂ©viser la structure du ComitĂ© national de solidaritĂ© pour quâil soit vraiment national et quâil englobe toutes les forces qui peuvent adhĂ©rer Ă la campagne de solidaritĂ©, telles que les partis, les associations, les comitĂ©s syndicaux et les personnalitĂ©s. En effet, ce comitĂ© a vu le jour dans un cadre relativement restreint et selon une vision limitĂ©e qui est actuellement dĂ©passĂ©e.
Post-scriptum : une répression sauvage (2)
Le soulĂšvement du bassin minier a durĂ© plus que cinq mois. Le 6 juin 2008, le rĂ©gime de Ben Ali lâa sauvagement rĂ©primĂ©. Des milliers dâagents des forces de lâordre ont Ă©tĂ© lancĂ©s contre la ville de Redeyf, bastion de la rĂ©sistance. Ils ont ouvert le feu sur la foule faisant un mort et vingt-six blessĂ©s, dont un qui a succombĂ© quelques semaines aprĂšs Ă ses blessures. Ils ont ensuite investi les quartiers populaires quâils ont pris maison par maison. La police de Ben Ali a dĂ©foncĂ© les portes des maisons terrorisant, agressant et humiliant les habitants et a pillĂ© leurs biens. Les commerces nâont pas Ă©tĂ© Ă©pargnĂ©s, ils ont Ă©tĂ© Ă leur tour saccagĂ©s et pillĂ©s.
Les jeunes, moteur du soulĂšvement, ont Ă©tĂ© pris pour cible principale, ils ont Ă©tĂ© agressĂ©s et arrĂȘtĂ©s par dizaines. Des centaines dâentre eux ont quittĂ© leur maison pour se rĂ©fugier dans les montagnes proches de la ville.
Dans la nuit du 6 au 7 juin, lâarmĂ©e a investi la ville et occupĂ© ses principales rues et places dĂ©crĂ©tant le couvre-feu et imposant aux habitants de ne pas quitter leur demeure. Elle a bloquĂ© lâentrĂ©e sud de la ville ainsi que tous les accĂšs aux montagnes oĂč se sont rĂ©fugiĂ©s des centaines dâactivistes et de jeunes pour empĂȘcher leur famille de leur fournir de la nourriture et de lâeau potable.
Les dirigeants du soulĂšvement, dont notamment Adnane Hajji, Bachir Abidi, TaĂŻeb Ben Othmane et Adel Jayar, ainsi que des centaines dâactivistes ont Ă©tĂ© arrĂȘtĂ©s, sauvagement torturĂ©s et incarcĂ©rĂ©s.
AprĂšs Redeyef, les forces de lâordre ont attaquĂ© la ville de Metlaoui et y ont perpĂ©trĂ© les mĂȘmes crimes contre les habitants. Des dizaines dâactivistes et de jeunes ont Ă©tĂ© arrĂȘtĂ©s, torturĂ©s et dĂ©fĂ©rĂ©s devants le tribunal de Gafsa qui leur a infligĂ© de lourdes peines de prison ferme allant jusquâĂ 6 ans.
Les dizaines de simulacres de procĂšs quâont subi les activistes et les jeunes des villes du bassin minier oĂč les droits de la dĂ©fense ont Ă©tĂ© systĂ©matiquement bafouĂ©s, les peines prononcĂ©es Ă leur encontre basĂ©es sur des dossiers vides ou des « aveux » arrachĂ©s sous la torture et la connivence des juges avec la police politique dĂ©montrent clairement que la « justice » est totalement infĂ©odĂ©e au rĂ©gime de Ben Ali et quâelle joue un rĂŽle principal dans la criminalisation des luttes sociales.
Du 4 au 11 dĂ©cembre 2008 le rĂ©gime a organisĂ© le procĂšs « des 38 » activistes et dirigeants du soulĂšvement de Redeyef. 33 des accusĂ©s ont Ă©tĂ© condamnĂ©s Ă des peines de deux Ă plus de dix ans de prison. Sept dâentre eux, dont les trois animateurs du syndicat des instituteurs de base Ă Redeyef, Adnan Hajji, TaĂŻeb Ben Ohtman et Bechir Labidi ont pris dix ans et un mois. Le responsable Ă Paris de la FĂ©dĂ©ration des Tunisiens pour une citoyennetĂ© des deux rives (FTCR), Mouhiedine Cherbib, a Ă©tĂ© condamnĂ© Ă deux annĂ©es de prison pour avoir organisĂ© la solidaritĂ©. Lors de cette mascarade judiciaire, le tribunal a rendu son verdict sans interroger les accusĂ©s et sans permettre Ă la dĂ©fense de plaider. Le 12 dĂ©cembre la police a brutalement rĂ©primĂ© Ă Redeyef les manifestants qui protestaient contre le procĂšs, multipliant Ă nouveau les arrestations. Les condamnĂ©s ont fait appel, mais leur procĂšs en appel qui devait avoir lieu le 12 janvier 2009 a Ă©tĂ© reportĂ© au 3 fĂ©vrier. Un des condamnĂ©s, infectĂ© de tuberculose en prison, est dans un Ă©tat grave.
Traduit par PCOT (de lâarabe)..
Notes
1. Cet article a été écrit en mai 2008.
2. Le post-scriptum que nous publions ici a Ă©tĂ© Ă©crit par le traducteur de lâarticle et complĂ©tĂ© par Inprecor en ce qui concerne le procĂšs des 38 et ses suites.
http://orta.dynalias.org/inprecor/article-inprecor?id=633
Source : Republication du Forum de « Démocratie Syndicale et Politique »
Lien : http://fr.groups.yahoo.com/group/democratie_s_p/        Â
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MARS 87 â MARS 2009… BILAN D’une dĂ©route.
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