TUNISNEWS
7 ème année, N° 2191 du 22.05.2006
Reuters: Tunisie – Expulsion d’un militant suisse d’Amnesty InternationalATS: Amnesty International dénonce – Fermeté exigée de Berne AFP: Expulsion de Tunisie d’un membre suisse d’Amnesty International AP: Un représentant d’Amnesty International expulsé de Tunisie AFP: Amnesty: Tunis veut intimider les militants des droits de l’homme AFP: Berne déplore l’expulsion de Tunisie d’un membre suisse d’Amnesty AP: Tunisie: les autorités justifient l’expulsion du représentant d’Amnesty International-Suisse AFP: Crise LTDH: menace de recours à la force pour empêcher un congrès contesté Henda Arfaoui: A l’occasion de la journée internationale de la liberté de la presse, Quel journalisme foisonne en Tunisie ? La Presse: Liberté, souveraineté et modernité Réalités: Entretien avec Amira Aleya Sghaïer :“ La Tunisie n’est devenue indépendante que sous la pression des fellaghas ” Libération: Islamisme et démocratie font-ils bon ménage ?
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Tunisie – Expulsion d’un militant suisse d’Amnesty International
REUTERS, le 22 mai 2006 à 17h23
TUNIS, 22 mai (Reuters) – Un militant suisse de la branche helvétique d’Amnesty International, Yves Steiner, a été expulsé dimanche de Tunisie au motif qu’il avait enfreint la loi et porté atteinte à l’ordre public.
Steiner s’était rendu ce week-end à Tunis pour assister à une réunion des membres de la branche tunisienne d’Amnesty où étaient également invités deux militants algériens et un militant français.
“Steiner a critiqué le bilan du gouvernement en matière des droits de l’homme durant son intervention. Ses propos ont été relativement cinglants par comparaison à ceux des autres”, a rapporté un participant tunisien à la réunion.
“La police a fait irruption à la réunion et poussé Steiner dehors avant de le conduire à l’aéroport où il a été mis dans un avion à destination de Paris”, a-t-il précisé.
“Il a été prié de quitter le pays après s’être comporté en contravention avec la loi et d’une manière qui portait atteinte à l’ordre public”, a-t-on fait valoir de source gouvernementale tunisienne, sans autre précision.
REUTERS
Militant suisse des droits de l’Homme expulsé de Tunisie
Amnesty International dénonce – Fermeté exigée de Berne
ATS, le 22 mai 2006 à 16h40
Lausanne (ats) Amnesty International (AI) a condamné l’expulsion de Tunisie d’Yves Steiner, membre du comité exécutif de sa section suisse. L’organisation a demandé une prise de position “très ferme” de la Confédération ainsi que des explications sur cet incident.
“J’ai eu peur”, a raconté lundi devant la presse Yves Steiner au lendemain de son expulsion. Arrivé vendredi à Tunis pour l’assemblée générale d’AI de ce pays, il a été arrêté et malmené dimanche par la police et mis en fin de journée dans un avion d’Air France pour Paris.
Violence psychologique
Le militant, qui en était à son quatrième voyage en Tunisie, a dit avoir reçu des coups et des gifles. Mais c’est surtout la violence psychologique qui l’a marqué. Il affirme qu’après une première tentative d’arrestation à l’hôtel de Sidi Bou Saïd, entre 40 et 50 policiers supplémentaires sont arrivés pour l’embarquer et l’emmener sans explications dans “des petites rues”.
L’arrestation du militant des droits de l’Homme a toutefois pu être signalée immédiatement à l’ambassadeur de Suisse en Tunisie, Peter von Graffenried, qui s’est rendu sur place. Détenu au secret à l’aéroport, Yves Steiner n’a pu informer par SMS de son départ vers la France qu’au moment d’embarquer dans l’avion.
Les autorités n’ont donné officiellement aucune motivation à leur action et AI rejette toute accusation d’atteinte à l’ordre public. Pour Amnesty, la participation d’Yves Steiner au Sommet mondial de la société de l’information (SMSI) de novembre 2005 est la vraie raison de cette arrestation. Sa nationalité suisse est le deuxième motif de la colère de Tunis.
Répression systématique
AI a rappelé que le gouvernement tunisien avait “très mal apprécié” les propos fermes tenus à cette occasion par le président de la Confédération, Samuel Schmid, sur le respect des droits de l’Homme. Le secrétaire général d’AI-Suisse Daniel Bolomey a demandé à la Suisse de condamner cette expulsion et d’obtenir des explications à ce sujet.
Daniel Bolomey a souligné “le contexte de répression systématique de la société civile tunisienne”. A ses yeux, cette expulsion est “un retour de flammes” après le Sommet qui s’est tenu à Tunis. La ligue tunisienne des droits de l’Homme et les avocats sont l’objet de menaces et de tracasseries.
Conseil des droits de l’Homme
Pour AI, le gouvernement du président Zine el Abidine Ben Ali veut “reserrer les boulons” après ces éclats lors du Sommet et faire peur à ceux qui veulent exprimer leur solidarité avec la société tunisienne. Daniel Bolomey a mis en exergue l’élection de la Tunisie au nouveau Conseil des droits de l’Homme de l’ONU où la Suisse siège également.
Le responsable d’AI a rappelé que les membres de ce Conseil devaient entreprendre “un travail d’introspection” sur ce qui se passe chez eux. La méthode violente suivie par Tunis est “complètement erronée” et se révélera “contre-productive”. Si AI ne pouvait plus travailler en Tunisie, ce serait “un énorme retour en arrière”, a jugé Daniel Bolomey.
Situation alarmante
Dans son rapport 2006, AI affirme notamment que des cas de tortures et de mauvais traitements ont été signalés en Tunisie. Des centaines de prisonniers politiques sont incarcérés et des dizaines de personnes ont été condamnées pour terrorisme à l’issue de procès inéquitables.
(Source: www.romandie.com, le 22 mai 2006)
Expulsion de Tunisie d’un membre suisse d’Amnesty International
AFP, le 21 mai 2006 à 22h03
TUNIS, 21 mai 2006 (AFP) – Un ressortissant suisse membre d’Amnesty International, Yves Steiner, qui avait été interpellé dimanche près de Tunis lors d’une réunion de l’organisation de défense des droits de l’homme a été expulsé de Tunisie, a-t-on appris de source officielle.
“M. Yves Steiner, a été invité dimanche à quitter le territoire tunisien après s’être comporté en violation des lois du pays et de manière à porter atteinte à l’ordre public”, a-t-on déclaré de source officielle. Aucune indication n’a été fournie à Tunis sur les motifs de l’expulsion. M. Steiner a quitté la Tunisie en début de soirée à bord d’un
avion à destination de Paris.
Une porte-parole d’AI en Suisse a confirmé que son représentant avait été mis dans un avion pour Paris où il était attendu dans la soirée de dimanche. “Nous n’avons pas pu lui parler directement. Nous ne connaissons pas le motif de son arrestation”, a déclaré cette porte-parole, Manon Schick.
M. Steiner avait été interpellé en milieu d’après-midi par des policiers en civil durant une réunion de la section tunisienne d’AI à laquelle participaient des dizaines de personnes dans un hôtel de Sidi Bou Saïd, localité de la banlieue nord de la capitale. “Des policiers en civil ont emmené M. Steiner, sans présenter de document judiciaire ou policier”, ont déclaré des membres de la section tunisienne d’AI présents sur place.
Un représentant français d’AI, Michel Fournier, qui participait à la réunion, avait ajouté que l’interpellation s’était déroulée sans incident.
M. Steiner, qui avait fait une déclaration durant la réunion, avait tenté de joindre l’ambassade de Suisse, puis accepté de suivre les policiers, avait ajouté M. Fournier. Les instances internationales d’AI, dont le siège est à Londres, ont été alertées, avait-il ajouté.
M. Steiner avait représenté AI au Sommet mondial sur la société de l’information en novembre 2005 à Tunis. Il avait dénoncé des atteintes aux droits de l’homme en Tunisie, lors d’une conférence de presse après la clôture de la réunion.
AFP
Amnesty: Tunis veut intimider les militants des droits de l’homme
Berne déplore l’expulsion de Tunisie d’un membre suisse d’Amnesty
Politique, lundi 22 mai 2006 GENEVE – Le gouvernement suisse a “déploré” lundi l’arrestation et l’expulsion de Tunisie d’Yves Steiner, membre de la section suisse d’Amnesty International (AI), et a invité le chargé d’affaires tunisien à Berne à venir s’expliquer sur cette décision. Le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) a jugé que l’intervention policière tunisienne était “manifestement disproportionnée” et a souligné que la Suisse demeurait attentive à l’évolution des droits de l’Homme en Tunisie. Amnesty International (AI) a de son côté condamné “fermement” lundi l’arrestation et l’expulsion de M. Steiner, accusant le gouvernement tunisien de chercher à intimider les défenseurs des droits de l’Homme. Yves Steiner, membre suisse d’Amnesty, a été interpellé dimanche près de Tunis alors qu’il participait à une réunion avec des membres tunisiens de l’organisation de défense des droits de l’Homme. Il a été mis dans la soirée dans un avion à destination de Paris et a regagné la Suisse lundi. Les autorités tunisiennes ont indiqué lundi avoir expulsé M. Steiner “pour comportement outrageant et indécent, violation des lois du pays et atteinte à sa souveraineté”. Selon des participants à la réunion à laquelle assistait M. Steiner, il avait publiquement évoqué un discours du président suisse, Samuel Schmid, au Sommet mondial sur la société de l’information (SMSI), en novembre 2005 à Tunis, appelant la Tunisie à respecter la liberté d’_expression, et mentionné le président tunisien Zine El Abidine Ben Ali. La retransmission en direct à la télévision tunisienne du discours de Samuel Schmid devant le SMSI avait été subitement coupée. La Suisse avait ensuite formellement protesté auprès du gouvernement tunisien.
Amnesty: Tunis veut intimider les militants des droits de l’homme
Tunisie: les autorités justifient l’expulsion du représentant d’Amnesty International-Suisse
Crise LTDH: menace de recours à la force pour empêcher un congrès contesté
A l’occasion de la journée internationale de la liberté de la presse, Quel journalisme foisonne en Tunisie ?
Le journalisme en Tunisie peut-il surmonter ses handicaps pour renouer avec une tradition jadis fleurissante ? Notre actualité est-elle vraiment pauvre en évènements, qu’on a besoin de recourir à l’étranger pour remplir les quelques journaux qui « illuminent » notre univers médiatique et nous remplissent de joie et de suffisance ! Tout va bien chez nous : il n’y ni suicide, ni montée de la prostitution, ni licenciement massif de la main d’œuvre, ni renoncement à certains de nos acquis .Tout est bien il n’y a pas de recul de la natalité, ni détournement de fonds, on n’a même pas un mépris- récemment acquis- pour l’institution du mariage, il n’y a ni mépris des études, ni regain du banditisme, ni braquage, il n’y a même pas d’exploitation de mineures dans la prostitution, ni recours à la fausse copie pour réussir ses études, ni intimidation des professeurs … C’est le contraire qui pourrait surprendre ! Nous éprouvons le besoin de parler de tout cela et essentiellement de la situation sociale et économique ; mais il suffit de procéder à quelques comparaisons avec la presse dans certains autres pays pour voir à combien d’années lumières nous sommes éloignés d’une vie médiatique saine. D’après des sondages recueillis récemment en France, des quotidiens, tels le Monde, le Figaro ou Libération diversifient leur contenu, en abordant des sujets ayant trait à la vie quotidienne et proposent de plus en plus souvent des suppléments thématiques culturels, scientifiques et technologiques, voire des numéros dominicaux. Du côté des hebdomadaires à coloration politique ou politico-polémique, le Canard enchaîné — une véritable « institution » — témoigne de cette bonne santé : il tire à 476 000 exemplaires en 1996. C’est aussi le cas du Monde diplomatique (197 000 exemplaires en 2000), et du Courrier international (120 000 en 2000). C’est également celui des news magazines, malgré de sporadiques essoufflements : 1,25 million en 1976, 1,65 en 1996, 1,52 en 1997, 1,7 en 1998. En dépit de cette légère baisse, l’arrivée réussie, aux côtés de l’Express, le Nouvel Observateur et le Point, de l’Événement du jeudi et Marianne 204 000 exemplaires en 2000) prouve que le secteur reste porteur, à condition de se renouveler. Quelle publication en Tunisie peut prétendre à une telle vertu alors que nous célébrons un siècle et demi d’histoire du journalisme et qui peut annoncer le nombre de tirage de sa publication .Apparemment aucun, parce qu’aucun ne possède la crédibilité requise pour annoncer qu’il s’enrichit grâce au tirage. Où en sommes nous avec les quelques journaux médiocres qui parent notre univers médiatique et qui sèment l’ignorance. Je ne mets pas là en cause la compétence des journalistes tunisiens mais plutôt un univers général où la médiocrité est récompensée et où les plus médiocres des journalistes se trouvent par enchantement à la tête de leurs entreprises pour assurer une contagion aisée à tout le corps rédactionnel. En 1997 et en France, 1 507 titres peuplent un univers déjà foisonnant. 90% des Français déclarent lire un magazine régulièrement contre 61% en 1967. En Grande-Bretagne un titre à succès, tel News of the World, tabloïd hebdomadaire tire jusqu’ à 5 millions d’exemplaires. Pourquoi chez nous on n’a pas ce sentiment pourquoi on ne peut s’extasier en lisant une enquête un reportage ou un article spécialisé ? pourquoi on n’achète un quotidien que pour lire les annonces ou uniquement les exploits réalisés par la Résistance iraquienne – qu’on ne trouve bien orchestré et consistance que dans nos journaux spécialisés dans la diffamation des personnalités de la société civile- ou pour les faits divers ? A ma connaissance aucun journal n’a pris l’initiative d’écrire une interview ou faire un reportage pour éclairer l’opinion publique sur les raisons de la grève de la faim de Slim Boukhdir et ouvrir un débat national sur la question. Les sujets qui ont besoin d’analyse et d’approfondissement sont tellement nombreux en Tunisie qu’en ne peut passer dans la rue ou écouter même distraitement une conversation dans les gares en s’armant un peut d’esprit crique sans trouver une matière riche pour un article d’opinion ou pour une enquête .En tout cas ceux qui ne veulent pas mourir idiots sont appelés à le faire. Ce qui est décourageant c’est qu’un simple article écrit dans un esprit critique peut remplir d’effroi les quelques responsables de journaux qui sont peu habitués à faire fonctionner leur matière grise. On trouve ce trait de caractère chez les exécutants de toute sorte, les gens dépourvu d’esprit d’initiative qui ne font qu’obéir, au péril de leur estime de soi. Une visite au Liban effectuée l’année dernière m’a fait voir à quel point ce pays est grand et combien sont grands ses atouts et ses ambitions, il vient de triompher d’une guerre confessionnelle sanglante. Ses quotidiens et publications en général sont très nombreux comme le nombre de journaliste est très important. C’est qu’ils sont riches en signatures ; chose qui devrait faire rougir nos journaux qui tirent la majeure partie de leur matière des agences de presse. Entre les différents journaux il y a une véritable compétition dans la manière d’aborder le quotidien du libanais et ses préoccupations. Dans nos quotidiens on n’aborde avec courage et audace que la question iraquienne. On ne se sent libre qu’en abordant cette actualité que certaines publications utilisent à tord et travers pour s’attirer des lecteurs. C’est un sujet comme un autre disent-ils des sujets qui ne compromettent pas. Comme si on a besoin de rechercher sur la lune ce qu’on peut trouver sur terre, sur notre terre tunisienne qui déborde de sujets à sensation et qui mérite davantage d’attention. Les derniers en date sont les grèves dans certaines usines à la suite de licenciement massif qui se pratique impunément dans notre société ces dernières années. Malgré les difficultés économiques dues à la conjoncture internationale on ne voit que les ouvriers qui payent la facture de ces difficultés. Le journalisme paie encore mal son homme. Aussi la profession a besoin de la part aussi bien des responsables, professionnels que de l’association et du syndicat qu’ils plaident en faveur de revendications sur la définition d’un statut juridique et social permettant d’obtenir une vie respectueuse à tous les journalistes sans exception. Les journaux doivent évoluer et s’adapter en permanence pour définir aussi bien leur identité, leur rôle, que leur capacité à demeurer rentables.
(Source : l’e-mag tunisien Kalima, N°42 mis en ligne le 20 mai 2006)
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Liberté, souveraineté et modernité
Entretien avec Amira Aleya Sghaïer :
“ La Tunisie n’est devenue indépendante que sous la pression des fellaghas ”
Noura Borsali
Amira Aleya Sghaïer est historien, maître de conférence et responsable de l’Unité d’Etude et de Recherches Historiques à l’Institut Supérieur de l’Histoire du Mouvement national (ISHMN). Auteur de plusieurs études dans le domaine des “ groupements politiques européens et du Mouvement National en Tunisie ”, il consacrera la plupart de ses recherches à la lutte armée en Tunisie, publiées dans plusieurs revues dont Rawafid (de l’ISHMN), les Cahiers de Tunisie et la Revue d’Histoire Maghrébine (de l’Institut Temimi pour la Recherche), ainsi que dans trois ouvrages en arabe: “ La Résistance armée en Tunisie de 1881 à 1939 par les textes ” (en collaboration avec Adnan Mansar), Pub. de l’ISHMN, Tunis, 1997; “ La Résistance armée en Tunisie de 1939 à 1956 par les textes ” (en collaboration avec Adnan Mansar), Pub. de l’ISHMN, Tunis, 2004 et “ La résistance populaire en Tunisie dans les années cinquante ”, Sfax, Ira, 2004. Pour avoir un éclairage sur le mouvement armé des fellaghas qui a marqué les années décisives de l’histoire de l’Indépendance (1952-1956), nous lui avons posé ces questions auxquelles il a eu l’amabilité de répondre.
Comment était organisée la lutte armée en Tunisie à partir des années 50? Et existait-il réellement une “ Armée Nationale de la Libération ” (ANL) de laquelle se réclamaient les groupes constitués dont les uniformes portaient inscription de l’ANL ?
On ne peut pas parler d’armée de libération nationale. C’était presque les mêmes catégories sociales qui ont formé le mouvement fellagha dont faisaient partie de petits paysans pauvres, sans terres ou des marginaux des villes et des campagnes ou d’ouvriers qui représentaient un pourcentage infime. Car la plupart des fellaghas étaient des gens ruraux, déclassés, pauvres, des bergers …Ajoutons à ces catégories certains éléments de l’armée beylicale qu’ils ont désertée, dont le nombre ne dépasse pas quelques dizaines et qui ont rejoint la Résistance vers la fin et aussi, comme je l’ai dit plus haut, quelques éléments pauvres des villes notamment du Cap Bon, du Sahel etc… qui constituaient cependant une bonne minorité. Sinon la majorité était constituée de paysans appauvris, dénués de terres et de gens des tribus etc… qui ont regagné les djebels. Il serait donc, à mon sens, pompeux de parler d’armée, même si les fellaghas ont essayé vers la fin de la Résistance, à partir de 1954, de mettre en place une sorte d’état-major après leur réunion du Djebel Samama du côté de Kasserine à laquelle étaient présents les principaux chefs du mouvement, à leur tête Lazhar Chraïti. Cette réunion a duré seulement quelques heures. Les participants y ont choisi comme chef de la résistance armée Lazhar Chraïti et comme adjoint Sassi Lassoued. Quant à Tahar Lassoued, il n’était pas présent à cette rencontre car il se trouvait à Rouhia dans les environs de Siliana. Toutefois il a été également choisi comme l’un des principaux chefs du mouvement. Mais le choix de l’appellation “ Armée Nationale de la Libération ” s’expliquait par des raisons politiques et de propagande. L’idée était venue surtout des politiciens du Néo-Destour qui cherchaient à faire appuyer leurs revendications face à la France. Mais, il est vrai qu’à un certain moment, les résistants ont essayé de s’organiser pour se donner l’air d’être une armée, en enfilant un uniforme. Or une armée est bâtie sur une hiérarchie, sur des ordres, sur une logistique, sur un arsenal etc…qu’ils n’avaient pas. C’étaient plutôt des “ bandes ” qui combattaient chacune dans son fief, dans sa montagne, librement. Mais, parfois, il y avait une certaine coordination. Toutefois, pour la deuxième étape que les “néo-fellaghas ” appelaient “la deuxième révolution ”, qui a commencé fin 1955 jusqu’à l’été 1956, ces derniers se sont organisés presque en armée parce qu’au niveau de l’armement, de l’entraînement, ils étaient formés, selon les témoignages de l’armée française, en Libye et en Egypte avec l’aide de Nasser, et en concordance avec des résistants algériens. Ils s’appelaient alors “ Armée de libération nationale tunisienne ”, avec, de l’autre côté, l’Armée de libération nationale algérienne et l’Armée de libération nationale marocaine.
Ce qu’on appelait les “ néo-fellaghas ” étaient dissidents par rapport à Bourguiba et avaient rejoint la dissidence yousséfiste ?
Oui, ils étaient opposés à Bourguiba et plutôt partisans de Salah Ben Youssef. Mais ils n’avaient pas choisi Ben Youssef. C’était en réalité Salah Ben Youssef qui avait choisi ces résistants qui exprimaient tout un mécontentement contre les accords de l’autonomie interne, contre la présence française et aussi une appréhension vis-à-vis du projet de société et d’Etat à construire. Leur chef politique était donc Salah Ben Youssef et leur chef “militaire ” Tahar Lassoued.
Comment expliquer le fait que nous avons tendance à garder l’appellation “fellaghas ” alors que le terme signifie, dans le langage des colonialistes français, “coupeurs de routes ”, “ bandits ”, “ hors-la-loi ” et est, de ce fait, plutôt péjoratif alors que les “fellaghas ” préfèrent substituer à cette appellation celles de “résistants ” ou de moudjahidins ?
Le mot est pris de l’arabe et est loin d’être une appellation coloniale. Il est puisé dans la langue parlée tunisienne et vient de la langue littéraire arabe, de falaqa, yafluqu , c’est-à-dire “ se révolter contre la loi pour des raisons de répression, d’humiliation et d’injustice ”. Lorsque les combattants se sont appelés “fellaghas ”, ce n’était pas pour se mépriser eux-mêmes. C’était pour signifier leur refus d’un régime colonial fondé sur l’humiliation individuelle et nationale. Donc, le mot “fellaghas ” était répandu à l’époque non seulement chez les résistants mais également chez ceux qui ont chanté l’épopée de la Résistance, même si dans la bouche des colonialistes, il signifiait : “bandits ”, “criminels ”, “ voleurs ”. Plus tard, la presse néo-destourienne a exploité le terme pour dénigrer les “fellaghas ” et diminuer leur rôle dans la lutte de libération nationale. Le mot est à sa place.
Quels étaient les initiateurs de ces groupes armés ? Etait-ce Ahmed Tlili ? Farhat Hached ? Bourguiba ?
Il est difficile de dire que ce sont les syndicalistes ou les politiques qui étaient derrière les résistants armés. En travaillant sur cette question, je me suis rendu compte que la lutte armée n’était pas dans la logique ni dans la conception des politiques et des syndicalistes, pour qui la lutte anti-coloniale était politique avant tout. Mais cela n’a pas empêché Bourguiba ou d’autres au Caire qui étaient autour de Habib Thameur de penser à la résistance armée. Toutefois, quand cette dernière s’est déclenchée en Tunisie en janvier 1952, elle a été la continuation de certaines révoltes d’auparavant qui étaient le fait de gens de la campagne. Aussi n’était-il pas nouveau de résister au colonialisme. En 1952, il n’y avait aucun mot d’ordre donné par la direction du Néo-Destour pour que la révolte s’organise. Ceci n’exclut pas les contacts pris par la direction du Néo-Destour avec les principaux chefs fellaghas. Bourguiba, en déplacement à El Hamma, a pris contact avec Tahar Lassoued qui était militant au Destour et par la suite au Néo-Destour pour fomenter certaines opérations, et aussi avec Lazhar Chraïti durant la même période. Mais la tactique de Bourguiba et du parti n’était pas de déclencher une résistance armée militaire mais d’organiser certaines opérations contre des poteaux électriques, des voies ferrées, des ponts etc…pour amener la France à composer. Mais après, comme par un effet de boule de neige, la Résistance était devenue indispensable parce que, selon les correspondances et les témoignages des chefs fellaghas, la France ne pouvait comprendre que le langage de la force. A la suite de cette vague de répression qu’ont subie différents nationalistes, chefs et militants, en janvier 1952 , la Résistance s’est activée avant d’être récupérée par le Néo-Destour pour lequel elle devait constituer un appui à sa politique revendicative. Mais, en fin de compte, la Résistance n’a jamais été l’affaire des politiques, toutes tendances confondues.
Pourtant, on évoque souvent le rôle d’Ahmed Tlili dans la constitution de groupes, du moins de la région de Gafsa.
Oui, Tlili était le chef du Néo-Destour dans la région de Gafsa. Il a pris contact certes avec des résistants. Mais, il a été arrêté au mois de février 1952 et la Résistance a commencé en janvier 1952 et s’est développée après février de la même année. Ce qui limite son rôle.
Nous parlons justement de son rôle dans la mise en place de ces groupes.
Non, il n’y pas eu de mise en place des groupes. Lazhar Chraïti a été combattant depuis la guerre de Palestine. Il est vrai que Ahmed Tlili a contacté ces combattants pour que soit menée la lutte armée. Mais il n’y avait pas de plan préétabli pour la résistance armée.
Une fois que les fellaghas se sont constitués à travers le pays, quels étaient alors leurs rapports avec le Néo-Destour ? Est-ce qu’ils recevaient des ordres du parti pour mener leurs opérations ?
Les fellaghas ne recevaient pas des ordres du Néo-Destour. Ils étaient, sans l’être tous, en contact avec certains dirigeants locaux du Parti. Selon les témoignages dont nous disposons, certains chefs néo-destouriens n’ont jamais accordé d’importance aux fellaghas. Au contraire, on a même essayé d’éluder la question de la lutte armée et de donner, au Néo-Destour, une image d’un parti respectable, légaliste, qui n’utilise pas la violence etc…Cela n’empêche pas le fait qu’il y ait eu des contacts directs entre certains chefs du Néo-Destour et des groupes de fellaghas, comme ce fut le cas de Taïeb Mhiri, de Mokhtar Attia, de Mongi Slim qui leur remettaient parfois des subventions. Mais les fellaghas demeuraient, dans l’ensemble, l’affaire du peuple, de gens modestes qui se sont chargés de l’acheminement des armes, de toute la logistique etc…La majorité n’était pas membre du Néo-Destour. Les fellaghas étaient tout simplement nationalistes, opposés à la France parce qu’elle réprimait leur pays dont ils revendiquaient la libération, tout comme celle, d’ailleurs, de leur religion, comme ils le disaient.
Pourtant, la lutte armée a démarré à la suite des événements du 18 janvier 1952, qui a vu la répression des nationalistes.
Oui, il est vrai que la Résistance a commencé après cette date, mais le rapport n’est pas direct au point qu’on puisse parler d’ordres transmis par le Néo-Destour aux résistants. L’ambiance politique de cette période en a été le vrai détonateur. Savez-vous que, pendant le premier trimestre de 1952, la répression était totale dans les villes et que la Résistance s’est déplacée des villes vers les campagnes ? Pour la simple raison que la campagne n’était pas un espace aussi contrôlable que la ville. On pouvait y circuler et contrer la répression coloniale, d’autant plus que dans les villes il y avait le couvre-feu, la loi martiale, les perquisitions, le ratissage un peu partout, dans la région de Bizerte, au Sahel… et pas seulement au Cap-Bon. Les gens étaient alors acculés à résister de cette manière-là. Le processus des évènements a fait que la Résistance s’est déplacée sans que cela n’ait été d’ailleurs programmé. Par la suite, le Néo-Destour a récupéré la résistance armée et les fellaghas ont accepté cet état de fait parce que la bataille politique et la lutte armée avaient les mêmes objectifs.
Quel était le nombre de fellaghas ?
Les chiffres dont nous disposons sont toujours approximatifs pour la simple raison que le nombre des combattants qui ont remis leurs armes en décembre 1954 était autour de 2.713. Et en ajoutant le nombre des martyrs, qui s’est élevé à 300 ou 400, on pourrait atteindre le chiffre de 3.000. Mais les fellaghas de la “première révolution ” (1952-1954) avançaient des chiffres inférieurs à ceux-là. Le 2ème Bureau et l’armée française de même. Après le 31 juillet 1954 et donc la venue de Mendès France, beaucoup ont regagné la montagne pour se faire oublier ou oublier la “lâcheté ”, voire la trahison de la famille, du arch ou d’eux-mêmes carrément, envers la patrie. C’était un bon nombre.
Est-ce que le mouvement fellagha s’est arrêté après le dépôt des armes ?
Oui, il s’est arrêté un moment : de décembre 1954 jusqu’à la fin 1955, année du conflit opposant Bourguibistes et Yousséfistes. Les Yousséfistes ont essayé sans réussir de faire réviser l’accord sur l’autonomie interne mais ils ont été empêchés de s’exprimer démocratiquement par les Bourguibistes si bien qu’ils ont opté pour la lutte armée à partir de la fin de 1955, en coordination avec le “Secrétariat Général ” de Salah Ben Youssef et les résistants dont le chef était Tahar Lassoued. Ce dernier n’a jamais accepté de déposer les armes avec soixante-dix de ses compagnons, et a repris la Résistance dans le cadre de ce qu’ils ont appelé “ la deuxième révolution ” qui a duré jusqu’à l’été 1956. Ce que les colonialistes appelaient “les Néo-fellaghas ” ou ce que les résistants appelaient eux-mêmes “ la deuxième révolution ”, étaient en rapport avec les Algériens qui étaient en pleine résistance, déclenchée depuis le 1er novembre 1954. Les bandes qui manoeuvraient en Tunisie sur toute la frontière tuniso-algérienne, dans le Sud tunisien et dans la région de Kasserine, le faisaient dans le cadre de l’“ Armée nationale tunisienne ” et en collaboration avec le FLN et l’Armée de libération nationale algérienne. Leur nombre, selon des estimations de l’armée française, était de 600 à 700 combattants bien armés et bien entraînés. Je pense que le chiffre dépasse dans la réalité ces estimations si on compte les autres résistants de Souk el Arba et jusqu’aux régions de Gafsa. Ils ont mené de vraies batailles et l’armée française est intervenue, surtout durant le mois de mars 1956, si bien que lorsque les Tunisiens fêtaient l’Indépendance, le nombre de morts avait considérablement augmenté, voire doublé par rapport à la première période, c’est-à-dire 1952-1954. On comptait plus de 600 victimes sur une population de résistants de 1.700 à 2 .000 à partir du Sud tunisien, sur toute la frontière tuniso-algérienne et parfois sur la bande mixte. A Matmata, Bni Khdech, Chenini, Medenine…, le nombre de victimes, au mois de mars 1956, était considérable. A Tataouine, le 29 mai 1956, soixante treize Tunisiens sont tués. A Matmata, de janvier à mars 1956, il y a eu 250 morts et blessés. Certains étaient restés dans la montagne en proie aux charognards, sans être ensevelis. Donc, le nombre de morts tombés durant cette période était autour de 600 et plus. Ces hommes n’ont pas été reconnus comme des martyrs, ni par la nation, ni par les autres. D’ailleurs dans le registre des martyrs publiés en 1978 par le Parti Socialiste Destourien, aucun de ces noms ne figure.
Charles André Julien écrit que les fellaghas trouvaient en Tripolitaine bases et ravitaillement.
Oui, c’est tout à fait vrai pour les “néo-fellaghas ”. Parce que Tripoli était une base non seulement pour les résistants tunisiens mais aussi pour les résistants algériens. C’était en quelque sorte un chemin obligé pour le transport des armes, qui venaient essentiellement d’Egypte. Des bases ont été mises, par le gouvernement de Tripoli, au service des résistants tunisiens et algériens qui s’entraînaient en Libye. D’ailleurs, les rapports du général De Guillebon, commandant supérieur des troupes de Tunisie mentionnent que c’étaient de vrais militaires bien armés et bien entraînés.
Le jeune Etat craignait-il ces combattants dont certains demandaient, dit-on, trop de faveurs ?
Le mouvement de la Résistance est passé par différents moments : les fellaghas ont été d’abord choyés et reconnus comme de vrais résistants. Ensuite, après les accords de juin 1955, on a commencé à vouloir se débarrasser des fellaghas, qui étaient considérés comme une charge. Certains d’entre eux avaient, en effet, rejoint Tunis depuis le retour de Bourguiba, à sa demande et demandé, une “ part du gâteau ” en cherchant à être intégrés dans l’armée, dans la police ou dans la Garde nationale ou à obtenir des permis de conduire, des autorisations pour des projets, des terres et des fermes. Le pouvoir a satisfait ceux qui lui étaient proches, c’est-à-dire les principaux chefs, surtout ceux du Sahel comme El Ouerdani ou Lazhar Chraïti etc…Cet état de fait a donné lieu à un mécontentement des combattants qui ont commencé à harceler les autorités pour avoir un travail, surtout que la plupart vivaient dans une grande misère. Il faut rappeler qu’à cette époque, la situation était grave en Tunisie pour tout le monde : chômage, famines etc…Les fellaghas devenaient de plus en plus mécontents et contestaient ce qu’ils appelaient “les avocats ”, c’est-à-dire les notabilités du Parti qui avaient, selon eux, confisqué leur lutte. Aussi ont-ils commencé à réclamer leurs droits. Lazhar Chraïti et Sassi Lassoued ont dirigé des manifestations où il y avait des centaines de résistants, en prenant en otage le ministre de l’Intérieur à la Kasbah. Les fellaghas étaient immatriculés après avoir déposé leurs armes, et donc épiés et poursuivis par l’armée française. Ils étaient constamment sous surveillance et ne pouvaient se déplacer comme ils le désiraient. Ces gens se sont sentis spoliés de leurs droits. D’autant que pour eux, la situation n’a pas changé surtout dans le Sud tunisien et dans tout le pays où l’armée, la gendarmerie et l’administration française étaient toujours là. C’est bien beau qu’un nouveau gouvernement qui est homogène se soit constitué à Tunis mais, pour eux, la situation était la même. C’est ce qui explique qu’ils ont rejoint le “ secrétariat général ” de Ben Youssef.
Les plus disciplinés ont été intégrés dans l’armée ou la Garde nationale.
Oui, mais il s’agit d’une minorité, qui a été intégrée plutôt dans la Garde nationale. Et ce pour des raisons politiques. Bourguiba a toujours été méfiant d’une part vis-à-vis de ce qui est armée depuis qu’il était en Orient, et d’autre part des résistants algériens qui ne l’aimaient pas et réciproquement, surtout qu’un bon nombre d’entre eux avaient comploté contre lui parce qu’ils le considéraient comme un “traître” par rapport à la cause du Maghreb et à la libération de l’Algérie. Ils avaient, à travers leur propagande, diffusé l’idée que Bourguiba a lâché la révolution algérienne. Propagande qui a été relayée par les Youssefistes et par l’Egypte de Nasser. D’autre part, la majorité des fellaghas étaient analphabètes et donc ne pouvaient être dans l’armée, ni dans la Garde nationale, sauf une minorité. D’ailleurs le chef de la Garde nationale était, à l’époque, un ancien fellagha : Mahjoub Ben Ali.
Qu’est-ce qui explique le retournement de Bourguiba contre les fellaghas ?
Bourguiba n’a jamais respecté ces résistants pour lesquels il avait un grand mépris. Et ce dédain s’est affiché par la suite d’une façon flagrante puisqu’il les a traités d’“ignares ”, de “bergers ”, de prétentieux qui veulent prendre le pouvoir. D’autre part, Bourguiba était très méfiant à leur égard parce que c’étaient des combattants comme lui. Lui était au niveau politique et eux étaient à un niveau plus dangereux car ils mettaient leur vie en danger. La grande masse des résistants a été spoliée dans ses droits et écartée par l’Etat bourguibien. L’autoritarisme de Bourguiba n’a pas commencé avec le complot avorté de 1962 mais bien auparavant.
Comment appréciez-vous, en tant qu’historien, la participation des fellaghas à la lutte de libération nationale, surtout quand on sait qu’ils ont été au centre des négociations pour l’autonomie interne et l’indépendance ?
Bourguiba parlait d’ “ un coup de pouce ” des fellaghas alors que Alain Savary, ministre français qui était impliqué dans les différentes négociations avec la Tunisie et le Maroc, a déclaré devant l’Assemblée nationale française que si l’Indépendance a été accordée à ces deux pays, c’était sous la pression des résistances armées. Qu’est-ce qui a amené la France à faire marche arrière en moins de dix mois entre juin 1955 et mars 1956 et de passer de l’autonomie interne à l’indépendance si ce n’était la résistance armée ? Rappelons qu’avant l’arrivée de Mendès France à Tunis, le 31 juillet 1954, c’était l’enfer pour les colons français qui ont déserté leurs terres, qui ne pouvaient plus faire leurs moissons sauf sous la protection de leur armée. Chaque ferme était sous le contrôle d’un détachement militaire. Les policiers français et tunisiens n’osaient plus circuler librement parce que les fellaghas leur faisaient la chasse ainsi qu’à leurs collaborateurs. Le gouvernement français ne réussissait même plus à trouver des collaborateurs pour désigner ses ministres et former son gouvernement. Et cela, c’était sous la pression des fellaghas et des groupes “terroristes” en ville. C’était aussi la résistance politique et militaire yousséfiste qui a poussé la France à accepter l’indépendance.
(Source: « Réalités » N° 1064 du 18 mai 2006)
Proche-orient. Perspectives
Islamisme et démocratie font-ils bon ménage ?
Par Marc SEMO vendredi 27 janvier 2006
(1) L’Islam de marché, Seuil, 2005.
C’est la première fois qu’un mouvement islamiste défini comme «une organisation terroriste» par l’Union européenne et les Etats-Unis remporte des élections démocratiques dans le monde arabo-musulman. Si, dans la logique des surenchères, le Hamas prône ouvertement la destruction d’Israël et l’instauration d’un Etat islamiste, il n’en représente pas moins un phénomène politique et social beaucoup plus complexe. Sa victoire s’inscrit ainsi dans le contexte de la montée en puissance d’autres partis islamistes, issus comme lui de la mouvance des Frères musulmans (Egypte, Jordanie, Koweït, Liban, Yémen, etc.) ou venant d’autres matrices, qui sont aujourd’hui présents dans les Parlements.
En Irak, les partis chiites islamistes ont remporté tous les scrutins depuis la chute de la dictature. En outre, des partis islamistes qui ont fait clairement le choix de la démocratie, comme en Turquie l’AKP (Parti de la justice et du développement) de Recep Tayyip Erdogan, sont au pouvoir. Les questions posées par la victoire du Hamas ne sont donc pas nouvelles : comment accepter le verdict des urnes là où les frustrations, la misère et la corruption des pouvoirs font le lit de l’islamisme ? Et ce dernier est-il compatible avec la démocratie et les droits de l’homme ?
L’islamisme radical apparaît sur le devant de la scène à la fin des années 70 sur fond de déroutes des idéologies nationalistes et panarabes. Il ne s’agit plus pour lui «de moderniser l’islam mais d’islamiser la modernité», comme le soulignent de nombreux chercheurs. Après la victoire de la Révolution iranienne en 1979, le «péril vert» est considéré comme une menace majeure. Rien d’étonnant si, en 1991 en Algérie, alors que s’annonce un triomphe des islamistes du FIS dans les élections libres, les Occidentaux saluent l’interruption du processus démocratique. La guerre civile durera dix ans et fera 200 000 morts.
Partout dans le monde arabe, la lutte contre l’islamisme a servi surtout à maintenir des pouvoirs dictatoriaux. Mais désormais le statu quo n’est plus possible. «On ne peut plus identifier l’islamisme politique au fondamentalisme ni à son passé antidémocratique», souligne ainsi Hugh Roberts, de l’International Crisis Group. Ces mouvements ont évolué, même s’ils conservent nombre de leurs ambiguïtés. En même temps, sous leur ombre monte parmi les classes moyennes un «islam de marché», selon la définition du chercheur Patrick Haenni (1): «Il ne s’agit plus de vendre les délices de l’Au-delà aux laissés-pour-compte de l’ouverture des marchés mais de proposer une religiosité en résonance avec la culture de classe de ses bénéficiaires.» Et sa vision du monde est très compatible avec celle de l’administration américaine.
(Source: Libération du 27 janvier 2006)