Aziz Krichen: À propos des élections de la constituante en Tunisie – l’epouvantail islamiste
Courrier International: Quand la télé célèbre… le président Ben Ali
Slate Afrique: La Tunisie, ses difficultés économiques et l’Algérie
African Manager: Tunisie : Le nouveau gouvernement, entre âpres négociations et «petits mots assassins».
Les Echos: L’énigme tunisienne
Cage Prisoners: Interview with Yassine Ferchichi
A PROPOS DES ELECTIONS DE LA CONSTITUANTE EN TUNISIE
L’EPOUVANTAIL ISLAMISTE
Lorsque l’on est démocrate, on accepte le résultat du suffrage populaire. On le respecte parce que l’on respecte son propre peuple. Les Tunisiens ont voté et tranché. Globalement, ils ont donné leurs voix aux mouvements qui se sont comportés honorablement sous la dictature (Ennahdha, CPR, Ettakatol), et ils ont sanctionné sévèrement ceux qui se sont compromis avec le régime, avant ou après le 14 janvier (PDP et Ettajdid). De ce point de vue, nos compatriotes ont été on ne peut plus clairs et conséquents.
Toujours lorsque l’on est démocrate, on ne diabolise pas son vis-à-vis. L’islamisme n’est pas un, mais multiple. L’islamisme jordanien n’est pas l’islamisme afghan, l’islamisme turc n’est pas l’islamisme saoudien. Les militants d’Ennahdha et ses dirigeants ne sont pas tous des fous furieux et, surtout, ils ne vont pas gouverner seuls. Si l’on ne souhaite pas les voir devenir majoritaires, si l’on ne veut pas qu’ils soient hégémoniques, si l’on tient à préserver le pluralisme du pays, il n’y a qu’une chose à faire : s’engager dans un mouvement politique capable de se maintenir face à eux et de les contenir.
L’islamisme et la laïcité à la française
Après ces deux positions de principe, allons au fond du problème : on ne peut pas faire reculer l’islamisme en se réclamant de la laïcité à la française. Je le répète depuis des années, à contre-courant de nos pseudo-modernistes, dont le regard est bouché par la nostalgie de la “belle époque” coloniale. La Tunisie n’est pas la France. Notre histoire n’est pas pire, elle n’est pas meilleure : elle est différente. En France, la révolution démocratique était proprement condamnée à prendre un contenu antireligieux. Pourquoi ? Parce que l’Eglise catholique représentait, avec la monarchie, le principal appui du système féodal renversé en 1789. Ensemble, en effet, le clergé et le roi détenaient plus du tiers des terres agricoles du pays. L’accès à la propriété passait par la désacralisation du catholicisme et de la royauté. L’anticléricalisme et le laïcisme français viennent directement de là.
En Tunisie, comme dans le reste du monde arabe, le contexte est radicalement différent. Pourquoi ? Parce que la révolution démocratique revêt d’abord chez nous un caractère national, une obligation d’indépendance nationale. Le pays a été longtemps colonisé, c’est-à-dire dépossédé de lui-même. En 1956, le premier propriétaire foncier n’est ni le bey ni la Zitouna, mais la colonisation française[1], qui exploite par ailleurs de manière exclusive toutes les autres ressources du pays. Pour affaiblir le mouvement de libération et le désorienter, la colonisation n’avait cessé de s’attaquer aux références identitaires de la population – la langue rabe et la religion musulmane -, en cherchant à les déconsidérer, à les discréditer, les présentant comme rétrogrades, aliénantes et finalement étrangères à la “tunisianité authentique”.
Ce travail de sape de l’identité nationale ne s’est pas arrêté en 1956. Après l’indépendance formelle – passage d’un statut colonial à un statut néocolonial -, il s’est poursuivi et même intensifié, d’abord sous la dictature “éclairée” de Bourguiba, puis sous la dictature maffieuse de Ben Ali. Tout au long de leurs présidences, sur près de 60 ans, en dépit de diversions tactiques ici ou là, l’islam et la culture arabe sont restés l’objet de la méfiance et de l’hostilité du pouvoir politique. Malgré la récupération folklorique de la religion opérée par les deux hommes, être musulman, pour leur police, c’était être suspect.
Comment expliquer une telle continuité ? En grande partie par l’orientation donnée au système scolaire en 1958 (réforme Messadi). La France avait formé une (petite) élite autochtone à son image ; après son arrivée au pouvoir, cette élite a repris le modèle métropolitain et l’a généralisé, tout en le dégradant. La domination directe par la France (par le biais de l’administration et de l’armée) s’est ainsi transformée en domination indirecte (par le biais de supplétifs locaux). L’islam restait l’ennemi dans les deux cas – malgré des concessions formelles dans certaines matières d’enseignement. Après les attentats du 11-Septembre, cette structure de base est même devenue une donnée fondamentale de toute la stratégie de domination occidentale dans le monde arabe et musulman.
Le 14-Janvier a ouvert un nouveau cycle. Le soulèvement populaire a commencé à faire bouger les lignes. Les élections du 23 octobre ont permis de franchir un pas de plus dans ce sens, même si le chemin est encore long. S’exprimant pour la première fois librement après un demi-siècle d’oppression et d’abus, les électeurs ont indiqué clairement qu’ils ne considéraient pas l’islam comme un ennemi, qu’ils y voyaient plutôt le rempart de leur identité nationale, de leurs droits et de leurs libertés.
L’islam comme religion nationale
Replacés dans leur perspective historique réelle, ces divers éléments convergent vers une même conclusion. En Tunisie, comme dans le reste du monde arabe, l’islam n’est pas seulement la religion de la majorité de la population, il est aussi la religion nationale de l’ensemble de la population. L’islam représente une sorte de marqueur distinctif, l’héritage commun de tous les citoyens, qu’ils soient musulmans ou adeptes d’autres religions, croyants ou non-croyants.
Comment l’islam a-t-il pu acquérir une telle centralité dans la conscience collective ? Pour plusieurs raisons, certaines anciennes, d’autres plus récentes. Les raisons anciennes relèvent de la culture. Religion de la majorité, l’islam a aussi développé des façons d’être, un mode de vie et de pensée, bref une culture, qui ont fini par imprégner en profondeur l’ensemble des communautés qui évoluaient dans son giron. Aujourd’hui encore, en Egypte ou au Liban par exemple, on peut tomber sur un copte ou un maronite qui se définira comme “musulman de confession chrétienne”. L’accolement des deux qualificatifs paraîtrait incongru ailleurs ; il caractérise pourtant le vécu existentiel de très nombreux Arabes non-musulmans.
Les raisons liées à l’histoire moderne et contemporaine ne sont pas moins déterminantes. Répétons-le : depuis deux siècles, l’islam est la cible principale de la guerre idéologique menée par les puissances occidentales pour briser notre volonté d’indépendance. Et depuis deux siècles, c’est principalement au nom de la défense de l’islam que se mène la résistance. Même scénario après les indépendances formelles : la tyrannie s’est exercée d’abord contre l’islam et ce sont précisément les islamistes qui ont payé le plus lourd tribut à la répression.
Certes, les résistances successives n’ont jamais été le fait des seuls musulmans (ni le fait des seuls arabophones, d’ailleurs), elles ont été portées par des communautés nombreuses et ont mobilisées d’autres idéologies, notamment de gauche. Il n’en demeure pas moins que l’affrontement décisif s’est toujours polarisé autour de l’islam, hier comme aujourd’hui. Il en découle une leçon politique très simple. En Tunisie et dans tout le monde arabe, on ne peut pas être en même temps pour la souveraineté populaire et contre l’islam. Dans les conditions historiques qui sont les nôtres, ces deux positions sont radicalement antithétiques.
Des religions nationales ailleurs qu’en terre d’islam
Les observations précédentes n’ont aucun rapport avec les élucubrations habituelles sur une prétendue “exception” musulmane. D’autres religions que l’islam se sont transformées en religions nationales lorsque les circonstances l’ont exigé. Je ne vise pas seulement l’Etat sioniste d’Israël. J’ai plutôt en tête des exemples issus du catholicisme romain. Je pense en particulier à la Pologne et à l’Irlande, deux pays qui ont été longtemps occupés par des Etats voisins plus puissants, où la religion dominante était différente de la leur : dans le cas irlandais, l’anglicanisme britannique, dans le cas polonais, le protestantisme allemand et l’orthodoxie russe. Dans les deux pays, l’oppression nationale s’est accompagnée d’une oppression religieuse. Dans les deux cas, la résistance nationale a été inséparable de la résistance religieuse. Dans les deux cas, la politique nationale a pris la forme d’une idéologie religieuse.
Et dans les deux cas, sitôt l’indépendance obtenue ( en 1921 pour l’Irlande, en 1989 pour la Pologne), les représentants des deux peuples se sont empressés de rappeler le caractère catholique de la société et de l’Etat en préambule de leur nouvelle constitution. Le catholicisme avait été le bouclier qui avait permis de sauvegarder leur identité collective et il leur semblait légitime de consacrer la place éminente qui lui revenait des les premières lignes de la loi fondamentale qui établissait, à la face du monde, le recouvrement de leur souveraineté[2].
En leur temps, ces dispositions constitutionnelles n’avaient gêné personne parmi les professionnels du laïcisme. La question qui se pose alors est de savoir pourquoi des dispositions similaires par leur portée symbolique ne seraient pas recevables quand ce sont des pays arabes qui les adoptent ? Poser la question, c’est y répondre.
Le faux alibi de la charia
Le battage médiatique incessant fait autour de la référence à la charia est directement inspiré par une telle démarche discriminatoire. La charia a été transformée en une sorte d’épouvantail sanglant, derrière lequel se cacherait un Dieu vengeur et des croyants fanatisés par le désir de servir Son besoin de violence. On oublie simplement de préciser que le texte de la Bible n’est pas moins belliqueux que celui du Coran. Et qu’avant d’être un entassement de règles et de normes juridiques – dont beaucoup sont archaïques et tombées en désuétude dans la plupart des pays musulmans -, la charia est d’abord une inspiration, une voie, une visée. Pourquoi les Arabes devraient-ils chercher les sources de leur inspiration, acte intime par excellence, en dehors d’eux-mêmes, en dehors des cadres de leur propre culture ?
En quoi le retour à soi, après des siècles de dépossession, serait-il scandaleux ou illégitime ? Pourquoi poser, a priori, que pareille reprise empêcherait l’évolution, le changement, le progrès ou même l’emprunt à d’autres inspirations et d’autres cultures en cas de besoin ?
Réaffirmer l’identité arabe et musulmane du peuple tunisien dès les premières lignes de la nouvelle constitution est une nécessité historique et politique absolue. Les conditions nécessaires, toutefois, ne sont jamais suffisantes. L’identité d’un pays n’est pas une donnée intemporelle, figée une fois pour toute. Elle est obligatoirement fidélité au passé, mais aussi investissement dans le présent et projection dans le futur. Le combat politique ne s’achève pas avec la reconnaissance solennelle de l’islam et de l’arabisme. Cette reconnaissance délimite seulement l’enracinement géostratégique à partir de quoi il doit désormais se déployer.
La déférence due à l’islam n’est pas due à l’islamisme
La lutte pour la souveraineté au-dehors et la démocratie au-dedans n’est pas derrière nous ; pour l’essentiel, elle est devant nous. Les acquis réalisés à ce jour sont précieux, ils sont cependant trop fragiles encore et trop isolés pour être considérés comme définitifs. Le combat politique doit se poursuivre, et il doit se poursuivre en s’appuyant sur le plus grand nombre. Cela exige des orientations générales claires, expurgées des théories rétrogrades qui ont pu s’insinuer parmi nous. J’ai fourni plusieurs illustrations des errements où pouvait conduire la dogmatique laïciste. Cela ne voulait pas dire que le mouvement islamiste était dépourvu d’errements symétriques. L’islamisme idéologique n’est pas l’islam. La déférence due à ce dernier ne saurait en aucun cas envelopper le premier.
Regardons Ennahdha, mouvement central de l’islamisme tunisien. Le moins que l’on puisse dire est que ce parti est passablement hétérogène. On trouve, en effet, toute sorte de tendances et de courants parmi ses cadres et ses militants : des proaméricains et des antiaméricains, des libéraux et des antilibéraux, des fondamentalistes et des réformateurs, des démocrates et des non-démocrates, des révolutionnaires et des conservateurs, des adeptes de la monogamie et des défenseurs de la polygamie, des inconditionnels du droit des femmes ou des minorités et des adversaires déclarés de ces droits… On le voit, les contradictions qui traversent l’islamisme ne sont pas moins graves ni moins nombreuses que celles qui traversent ou séparent les organisations du camp “moderniste”. Ennahdha est néanmoins restée la maison commune de la grande majorité des islamistes tunisiens. Sans doute parce que la répression les a poussés à rester soudés ; peut-être aussi grâce à un meilleur sens politique chez ses dirigeants.
La base de masse du parti est saine, parce que populaire. Mais on ne sait pas encore avec précision où se situe son centre de gravité idéologique. Ce qui paraît évident, c’est que l’exercice du pouvoir va nécessairement clarifier le tableau. Les choix qui seront faits et l’accueil qui leur sera réservé permettront de mieux situer les lignes de fracture. Le débat public s’en saisira. Le travail de reconstruction de la scène politique tunisienne pourra alors prendre sa vraie dimension. Il concernera tous les partis et toutes les filiations intellectuelles.
Changer en restant soi-même
Plus vite nous serons nombreux à partager des références stratégiques communes, plus solidement nous unifierons notre peuple et plus sûrement nous progresserons. Plus longtemps nous resterons divisés par des querelles d’appartenance, plus nous aurons tendance à nous éloigner les uns des autres et plus nous laisserons de champ aux forces étrangères et à celles de l’ancien régime pour comploter et manœuvrer.
L’avenir n’est pas dans la perpétuation en l’état de l’élite laïciste ou de l’élite islamiste. Il est dans leur dépassement commun, dans la constitution – avec elles, ou malgré elles – d’une élite nationale et moderne, profondément attachée à sa culture et à son histoire, mais ouverte sur le monde et capable de dominer la crise formidable qui le secoue aujourd’hui. Cette crise annonce la fin d’une époque et le commencement d’une époque différente. Elle est lourde d’incertitudes. C’est une chance et une menace. Elle peut nous engloutir ; elle pourrait nous faire renaître, si nous apprenions à changer tout en restant nous-mêmes.
Aziz Krichen
[1] – Deux millions d’ha sur un total de 4,5 millions d’ha de terres arables.
[2] – Préambule de la constitution irlandaise :
“Au nom de la Très Sainte Trinité, de laquelle découle toute autorité et à laquelle toutes les actions des hommes et des États doivent se conformer, comme notre but suprême, Nous, peuple de l’Irlande, Reconnaissant humblement toutes nos obligations envers notre seigneur, Jésus Christ, qui a soutenu nos pères pendant des siècles d’épreuves,
Se souvenant avec gratitude de leur lutte héroïque et implacable pour rétablir l’indépendance à laquelle notre Nation avait droit, Désireux d’assurer le bien commun, tout en respectant la prudence, la justice et la charité, afin de garantir la dignité et la liberté de chacun, de maintenir un ordre véritablement social, de restaurer l’unité de notre pays et d’établir la paix avec toutes les autres nations, Nous adoptons, nous promulguons et nous nous donnons la présente Constitution.”
Préambule de la constitution polonaise :
“Soucieux de l’existence et de l’avenir de notre Patrie, ayant en 1989 recouvré la faculté de décider en toute souveraineté et pleine démocratie de notre destinée, nous, Nation polonaise – tous les citoyens de la République, tant ceux qui croient en Dieu, source de la vérité, de la justice, de la bonté et de la beauté, que ceux qui ne partagent pas cette foi et qui puisent ces valeurs universelles dans d’autres sources, égaux en droits et en devoirs envers la Pologne qui est notre bien commun,
reconnaissants à nos ancêtres de leur travail, de leur lutte pour l’indépendance payée d’immenses sacrifices,
de la culture ayant ses racines dans l’héritage chrétien de la Nation et dans les valeurs humaines universelles,
renouant avec les meilleures traditions de la Première et de la Deuxième République, responsable de la transmission aux générations futures de tout ce qu’il y a de précieux dans un patrimoine plus que millénaire, unis par des liens de communauté avec nos compatriotes dispersés à travers le monde, conscients du besoin de coopérer avec tous les pays pour le bien de la Famille humaine, ayant en mémoire les douloureuses épreuves essuyées à l’époque où les libertés et les droits fondamentaux de l’homme étaient violés dans notre Patrie, souhaitant garantir, pour toujours, les droits civiques et assurer un fonctionnement régulier et efficace des institutions publiques, conscients de la responsabilité devant Dieu ou devant notre propre conscience, instituons la Constitution de la République de Pologne en tant que droit fondamental de l’Etat…”
“La Tunisie comme enjeu plutôt que symptôme”
Rappelons les faits. Environ neuf mois après avoir initié le mouvement qui a conduit à ce que l’on a appelé les “printemps arabes”, la Tunisie a conduit le 23 octobre dernier des élections saluées par la plupart des observateurs comme exemplaires dans leur déroulement (en dépit des tensions qui ont éclatées après le scrutin dans le sud, notamment à Sidi Bouzid). Ces élections ont vu la victoire du parti Ennahda avec un score important (41,7 % des votes). Ce parti religieux dont le leader était en exil n’a pas joué de rôle structurant dans les soulèvements de l’hiver précédent, mais sa notoriété, son organisation, la force de son message peut-être, ont fait de lui l’acteur central de la recomposition politique à venir.
Ailleurs, où les soulèvements n’ont pas davantage été caractérisés par des slogans islamistes, plusieurs signaux montrent qu’il faudra peut-être compter tout autant avec les partis religieux. soit parce qu’ils constituent, après des années de lutte contre le régime, une “marque repère” dans le nouveau contexte politique pluraliste (comme les Frères musulmans en Egypte), soit parce que dans un contexte plus chaotique encore (comme en Libye) des acteurs avancent des référents culturels forts, à l’image de la charia, en dépit des réactions que ces mentions ne manquent pas de provoquer au nord de la Méditerranée. Et il n’est pas exclu que nous redécouvrions cette force structurante des acteurs religieux jusque dans des pays où on les croyait réduits par la force depuis longtemps (voir à cet égard Thomas Pierret, Baas et islam en Syrie. La dynastie Assad face aux oulémas, PUF, Paris, 2011).
On peut appréhender ces éléments soit comme symptômes, soit comme enjeux. Comme symptômes, ils prennent une allure alarmiste et conduisent à une analyse figée des sociétés arabes : décidément, cette partie du monde n’est pas faite pour la démocratie, et ceux qui se sont réjouis un peu vite de la disparition des régimes anciens, croyant en la spontanéité des soulèvements observables, auront été bien naïfs. Cette ligne sceptique existe, notamment dans une Amérique du nord (Canada compris), située plus loin de l’épicentre des événements récents, et en bien moindre interaction sociale avec les populations qui en sont issues. Elle peut conduire à préférer des acteurs issus de coups de force autoritaires mais supposés fiables et prévisibles, à des acteurs issus de processus démocratiques, mais dont le label islamiste est jugé inacceptable.
Vu comme des enjeux politiques et non comme des symptômes culturels, ces mêmes situations présentent plusieurs défis – et donc plusieurs opportunités – que la proximité des sociétés européennes avec les sociétés du Sud-méditerranéen nous imposent de relever ensemble.
Enumérons-en simplement trois ici :
1- l’établissement au Sud de la Méditerranée d’une vie politique enfin pluraliste, qui dégagera des nouvelles marges de manœuvre économiques, sociales et culturelles dans le voisinage stratégique immédiat de l’Union Européenne.
2- la normalisation indispensable des partis religieux dans ce processus politique. Oublions un instant le cliché qui oppose un “modèle turc” à un “modèle iranien”, pour rappeler l’importance de voir des partis religieux, qui de toute façon ne disparaîtront d’un coup de baguette magique, accepter le pacte démocratique, c’est-à-dire remettre leur mandat en jeu après une victoire électorale, accepter la défaite, se livrer au jeu des coalitions ou des alliances (relisons à cet égard Ghassan Salamé (dir.), Démocraties sans démocrates. Politiques d’ouverture dans le monde arabe, Fayard, Paris, 1994). Face à la contradiction apparente de prêches virulents, de messages inquiétants, et d’autre part de déclarations d’intentions plus apaisantes, il est important d’aider à construire les cadres de ce nouveau pacte démocratique. Pour paraphraser les mots prêtés à François Mitterrand à propos de Mikhaïl Gorbatchev dans les années 1980, l’important n’est pas que ces nouveaux acteurs – en l’occurrence les partis religieux – soient sincères, mais que tout se passe comme s’ils étaient sincères.
3- Enfin, il nous faudra en Europe réussir la réinvention de la relation avec ces nouvelles classes politiques plurielles, forcément différentes des relations avec des régimes en situation de monopole, jadis incarnés par un individu érigé en interlocuteur unique. Dans cette réinvention de la relation au monde arabe, la France a un rôle à jouer, comme elle l’a revendiqué elle-même depuis longtemps, par exemple lors du discours de Jacques Chirac à l’Université du Caire en avril 1996. Mais c’est collectivement que les Européens devront démontrer leur capacité à sortir d’un discours timoré, et à prendre la mesure des enjeux plutôt que de s’effrayer de symptômes.
Quand la télé célèbre… le président Ben Ali
La télévision tunisienne a diffusé le 5 novembre, jour de l’Aïd el Kébir, des chants liturgiques priant “Dieu d’assurer plein succès au président Zine El Abidine Ben Ali”,rapportele webzine tunisienWebdo. Le journal note que la “bourde” la chaîne nationale El Watanya 1 a déclenché une vague de “remarques ironiques sur les réseaux sociaux”. La Présidence de l’Etablissement de la télévision tunisienne (ETT) a déjà promis que “le responsable du visionnage des programmes musicaux [de la chaîne] serait traduit devant un conseil de discipline”. D’autres responsables ayant été remerciés,Webdos’interroge sur le retour de la censure : “Faut-il continuer à appliquer cette méthode de coupe ? La question de la liberté de l’audiovisuel tunisien ne pourra faire l’économie de celle de la conservation des deux chaînes étatiques, dont la réputation sera difficile à transformer”.
Source : « Courrier International » Le 07-11-2011
Lien :http://www.courrierinternational.com/breve/2011/11/07/quand-la-tele-celebre-le-president-ben-ali
“Tunisie et Libye : l’apprentissage de la démocratie”
Que de progrès entre l’attaque de panique provoquée, il y a vingt ans, par la victoire surprise du FIS aux élections municipales puis législatives algériennes et le succès électoral d’Ennahda cette année en Tunisie ! La victoire d’Ennahda ne fait pas peur, elle déçoit. En particulier, tous ceux qui espéraient le succès politique des cyberdissidents, blogueurs et opposants politiques non islamistes.
Or le passage de la contestation à la conquête dupouvoirpolitique nécessite une organisation, seule à même decapitaliseret d’exploiter, dans un jeu politique ouvert et compétitif, les opinions et le sentiment diffus d’insécurité, né de l’inquiétude post-révolutionnaire. A ce jeu, Ennahda a gagné. Il reste aux partis politiques non islamistes àfairel’apprentissage de la conquête pacifique dupouvoir.
A eux detransformerla force et le courage qui les ont amenés àrenverserBen Ali en intelligence politique au service de formations capables derivaliseravec le parti islamiste Ennahda. En Tunisie comme en Libye, les islamistes ont été pourchassés, arrêtés et torturés dans l’indifférence généralisée. Leurs partis bénéficient aujourd’hui d’un statut de“victimes”qui représente un capital électoral, exploitable et rentable à court terme. A long terme cependant, ils devrontdémontrerleurs qualités etdépasserleur image de formations politiques maltraitées par l’ancien régime pourrestercrédibles auprès de l’opinion.
L’inquiétude actuelle que suscite la victoire d’Ennahda illustre notre hypocrisie : préférions-nous des élections“gagnées d’avance”à un véritable scrutin dont le résultat est forcément incertain ? Pouvons-nous vraimentenvisagerd’annulerle processus électoral si le résultat n’est pas conforme à nos attentes ? Est-ce là notre conception de la démocratie ?
Notre approche paternaliste, mercantile et apeurée de la région nous a mis à dos des populations qui ne comprennent pas notre double discours : liberté et démocratie pour les pays de l’ex-Europe de l’Est ; inquiétude et déception en ce qui concerne le monde arabe. La Tunisie aujourd’hui, comme la Libye demain, ne cessent de nousdonnerdes leçons tant nous avons perdu le sens des réalités avec cette région, pourtant si proche. Combien d’articles et de livres devront-ilsêtreécrits sur l’islamisme pourcomprendreque cette idéologie est multiple et qu’elle prend des formes différentes selon les pays et les hommes qui s’en réclament. Nous devrions au contraire nousréjouirque des islamistes acceptent deprendrele risque de sefrotterà la vie politique, s’exposant au principe de réalité et donc acceptant pourgouvernerl’alliance avec d’autres partis éloignés de leur idéologie.
Comme l’avait soulignéRémy Leveau, les formations islamistes remplissent une“fonction tribunicienne”, qui canalise et intègre leurs revendications dans le champ politique. Les partenaires des pays en transition ne doivent pasjeterl’anathème sur ces partis islamistes maissoutenirl’instauration d’un Etat de droit, seul à même degarantirdans ce champ politique revitalisé, les droits et le respect de tous. Certes, depuis le 11 septembre 2001, des pseudo-experts se sont évertués àentretenirla confusion entre islam, islamisme et terrorisme, laissantentendreque tout parti politique dont les valeurs prendraient leur source dans l’islam serait potentiellement dangereux. Il fautêtretrès effrayé et/ou très cynique pourpréférerle systèmeBen Aliau régime qui résultera d’élections libres.
AprèsavoirfaitchuterBen Ali, les Tunisiennes et les Tunisiens n’accepteront pas dedevenirun“petit Iran”. Beaucoup d’Occidentaux se demandent déjà s’il ne serait pas préférable de ne pasorganiserd’élections en Libye ! Deux événements publics sont venusternirl’image des“combattants de la liberté”libyens : l’insoutenable lynchage de Mouammar Kadhafi et le souhait du Conseil national de transition libyen (CNT) deréintroduirela charia dans le pays. Ces deux événements ont ravivé clichés et préjugés sur la Libye. Si l’exécution de Mouammar Kadhafi nous interpelle sur la capacité du CNT àcontrôlertous ceux qui ont pris les armes contre l’ancien régime, les propos de Moustapha Abdeljalil, président du CNT, sur la charia raniment le sentiment d’inquiétude. La Libye deviendra-t-elle un Etat islamique ? Va-t-ellesombrerdans le chaos ? Avons-nous créé une Somalie en Méditerranée ?
A peine l’ancien régime est-il tombé que la Libye nouvelle effraie. Alors que nous étions prêts, en toute quiétude, àvendredes Rafales et des centrales nucléaires à Mouammar Kadhafi, un vent de panique se lève en raison de la probable victoire des islamistes aux prochaines élections. Cette réaction est-elle rationnelle ? La peur se nourrit du sentiment que Tripoli n’est pas Tunis : en Libye, il n’y aurait point de société civile mais seulement des tribus, composées de farouches et fanatiques combattants… Ignares, bédouins illuminés, les islamistes libyens seraient plus dangereux que leurs homologues tunisiens ! La société libyenne est profondément conservatrice et attachée à sa religion ; les partis politiques nationaux devront entenircompte pourremporterles élections. Mais plus de la moitié de la population libyenne à moins de trente ans, le défi est donc, comme en Tunisie, d’intégreret decanaliserau sein d’un espace politique naissant, aspirations et projets contradictoires.
Les inquiétudes que suscite l’apprentissage du fonctionnement de la démocratie par ces sociétés en disent long sur notre désenchantement. Nous avons, hier, été surpris par les révolutions arabes, regardons avec un peu de bienveillance les démocraties qu’elles fontécloreaujourd’hui.
Source : « Le Monde.fr » Le 07-11-2011
La Tunisie, ses difficultés économiques et l’Algérie
L’impact du résultat des élections pour l’Assemblée constituante tunisienne (victoire d’Ennahdha avec 90 sièges sur 217 selon le résultat final provisoire) et le débat qui divise les démocrates sur l’opportunité ou non de participer à un gouvernement d’union nationale ne doit pas faire oublier que la Tunisie fait face à une situation des plus inquiétante sur le plan économique. Selon les premières prévisions, la croissance du produit intérieur brut (PIB) ne devrait pas dépasser 1% en 2011 et rares sont les économistes qui se risquent à avancer un chiffre comparable, ou même positif, pour 2012.
BAISSE DES RECETTES
Cette contraction de l’activité, consécutive aux bouleversements que connaît le pays depuis décembre 2010, est une très mauvaise nouvelle. En effet, la Tunisie a besoin d’un taux minimum de 6% de croissance pour pouvoir à la fois résorber le chômage et absorber les nouveaux arrivants sur le marché du travail. Dans une situation politique incertaine, les tensions sociales ne peuvent donc qu’être exacerbées par l’inévitable aggravation du chômage qui accompagnera automatiquement cette chute de la croissance. Plus de 300.000 jeunes Tunisiens diplômés sont à la recherche d’un emploi (ils n’étaient que 6.000 au chômage en 1994!) et il est évident qu’ils ne se contenteront pas longtemps de promesses de jours meilleurs. Certes, le dernier rapport de la Banque centrale de Tunisie (BCT) sur l’évolution de l’économie met en exergue quelques améliorations dont une bonne campagne agricole ainsi que l’augmentation de la production du secteur minier (les phosphates et leurs dérivés constituent une ressource importante en matière d’exportations). Mais, pour le reste, le voyant est au rouge.Les exportations manufacturières ont baissé, résultat à la fois des multiples grèves dans les entreprises tunisiennes mais aussi de la baisse de la demande en provenance d’une Europe en crise (l’Union européenne compte pour 80% des échanges commerciaux de la Tunisie).Interrogé, un économiste et homme d’affaires tunisois estime que la BCT a bien joué son rôle en matière de politique monétaire puisqu’elle a veillé notamment à ce que le secteur bancaire ne manque pas de liquidités (et qu’il continue donc de financer les entreprises). Pour autant, juge-t-il, la Tunisie a un besoin urgent de relance économique dans un contexte difficile où le déficit courant a encore augmenté (5% du PIB à la fin du mois de septembre). Une tendance qui s’explique par la baisse des recettes touristiques mais aussi, et c’est tout aussi inquiétant pour les finances du pays, de la diminution des transferts de Tunisiens résidant à l’étranger. Résultat, le pays ne dispose plus, en termes de réserves de change, que de l’équivalent de 115 jours d’importations (ce qui reste tout de même un niveau confortable) contre 147 jours en décembre 2010.
L’ALGERIE AIDERA-T-ELLE DE NOUVEAU LA TUNISIE ?
Les difficultés budgétaires auxquelles va faire face la Tunisie obligeront le futur gouvernement sorti des urnes à demander de l’aide à ses principaux partenaires. Les pays du G20 se verront rappeler leurs promesses de mai dernier à Deauville. De même, les responsables d’Ennahdha n’ont pas caché leurs intentions de solliciter les pays du Golfe, notamment le Qatar, pour obtenir de nouvelles lignes de crédit. Quant à l’Algérie, qui a déjà accordé au printemps dernier un don de 10 millions de dollars à la Tunisie et un prêt bonifié de 90 millions de dollars, rares sont ceux qui, à Tunis, espèrent d’elle un nouveau geste du fait de la victoire électorale d’Ennahdha (un parti qui n’est pas en odeur de sainteté à Alger). Pourtant, avec plus de 170 milliards de dollars de réserves de change, l’Algérie a les moyens d’aider son voisin maghrébin à faire face sans trop de dommages à cette mauvaise passe budgétaire.
Source : « Slate Afrique » Le 07-11-2011
Tunisie. La France et Ennahdha: de la défiance à la confiance
Par Ridha Kéfi
Après avoir conditionné l’aide du G8 à la Tunisie au respect des valeurs démocratiques, la France modère sa position et affirme «faire confiance» aux responsables du parti islamiste Ennahdha.
Le chef de la diplomatie française Alain Juppé a en effet déclaré, dimanche, à la radio Europe 1, qu’il entend «faire confiance» aux responsables du parti islamiste Ennahdha, vainqueur des dernières élections en Tunisie, et «travailler avec eux».
L’islam et la démocratie sont compatibles
«Aucune révolution ne se passe dans le calme complet. Il va y avoir des difficultés. Il faut faire confiance», a affirmé le ministre français des Affaires étrangères. «Quand j’écoute le discours des responsables du parti Ennahdha (…) ils disent: ‘‘Nous voulons un pays qui fait référence à l’islam bien entendu, mais qui respecte les principes démocratiques et en particulier, nous nous engageons non seulement à ne pas dégrader le statut de la femme mais même à l’améliorer’’. Pourquoi ne les croirais-je pas?», s’est exclamé Alain Juppé. «Je fais confiance aux gens (…). On va travailler avec eux», a-t-il ajouté.
«Partir du principe que l’islam et la démocratie sont compatibles, c’est quelque chose d’extraordinaire! Le fait est qu’en France, nous avons une vision de la laïcité très marquée, mais il y a des tas de pays où l’on fait référence à la religion dans la vie publique», a-t-il poursuivi.
L’ambassadeur de France en Tunisie «me dit que les responsables d’Ennahdha ont un discours qui mérite d’être entendu. Donc nous allons continuer à parler avec eux», tout en étant vigilants sur un certain nombre de principes démocratiques, a ajouté M. Juppé.
«Conditionnalité» et «lignes rouges»?
Flash Back. Le 26 octobre dernier, le président français Nicolas Sarkozy avait assuré, lors du Conseil des ministres, que la France serait «vigilante» sur le respect des droits humains et des «principes démocratiques» en Tunisie. Le chef du gouvernement français avait aussi souligné l’attachement de son pays au respect de «la diversité culturelle et religieuse» et de «l’égalité des hommes et des femmes». Selon la porte-parole du gouvernement Valérie Pécresse, M. Sarkozy avait néanmoins assuré que la France et l’Europe avaient «un rôle crucial à jouer» pour accompagner la Tunisie vers la démocratie, précisant qu’elles «prendraient toutes leurs responsabilités» en la matière.
Tout en se disant «optimiste» après les élections de l’assemblée constituante, Alain Juppé a, pour sa part, conditionné l’aide du G8 à la Tunisie au respect des valeurs démocratiques. «Nous allons mettre en place une aide économique massive à la Tunisie», a-t-il déclaré le 26 octobre sur France Inter, rappelant que le G8, réuni fin mai à Deauville, s’y était engagé. «Naturellement, cette aide, nous l’apporterons dans la mesure où les lignes rouges ne seront pas franchies. Je pense que c’est important d’avoir cette conditionnalité», a-t-il tenu à ajouter. «Le respect de l’alternance démocratique, des droits humains, de l’égalité hommes-femmes font partie de ces lignes rouges, a-t-il tenu à préciser. Et de souligner, au cas où les islamistes vainqueurs des élections tunisiennes ne l’auraient pas bien entendu, qu’en matière d’égalité entre les sexes, «la société tunisienne est très évoluée et il serait absolument dommageable qu’on fasse marche arrière.»
Cette «conditionnalité» et ces «lignes rouges», soulignées par M. Juppé, avaient été diversement appréciées en Tunisie. Certains cercles laïques, modernistes et pro-français y ont vu des réserves de la France à l’égard du parti islamiste Ennahdha, qui dispose de 91 élus (sur un total de 217) à l’Assemblée constituante issue de l’élection du 23 octobre, où il a remporté 41,47% des suffrages.
D’autres, en revanche, ont interprété les propos de M. Juppé comme une ingérence insupportable de la France dans les affaires tunisiennes, et même une sorte de regret, sachant que la France avait supporté jusqu’au bout l’ancien régime dictatorial de Ben Ali.
Les analyses de Boris Boillon
Entre-temps, il y a eu les premières déclarations des dirigeants d’Ennahdha, qui ont exprimé leur volonté de travailler avec toutes les forces politiques du pays, y compris avec les partis de gauche et libéraux qui ont perdu l’élection, ainsi que leur détermination à préserver les acquis de la femme et le modèle social tunisien. C’est peu dire que ces déclarations ont rassuré les chancelleries européennes et occidentales en général.
L’ambassadeur de France à Tunis, Boris Boillon, a même pris le soin de téléphoner à Hamadi Jebali, secrétaire général d’Ennahdha et futur Premier ministre, pour le féliciter pour la victoire de son parti et lui exprimer la disposition de Paris de poursuivre le dialogue et la coopération avec le nouveau gouvernement tunisien. Les analyses du jeune diplomate ont sans doute aidé à atténuer les réserves de Paris et à faire évoluer la position du gouvernement français vis-à-vis d’Ennahdha et du prochain gouvernement tunisien, qui comptera de nombreuses figures de la gauche progressiste et/ou libérale, et, en tout cas, suffisamment de membres fondateurs de la Ligue tunisienne des droits de l’homme (Ltdh) et de militants pour les libertés publiques pour que les craintes à ce sujet soient balayées.
Selon un diplomate français, les premières déclarations de Sarkozy et Juppé sur la Tunisie devaient être mises dans leur contexte franco-français. Elles seraient, selon lui, destinées à l’opinion publique française, pour contrer les surenchères prévisibles du Front National et de Marine Le Pen sur la montée de l’islamisme en France.
De même, les déclarations très positives des Etats-Unis, de l’Union européenne, de l’Allemagne, de l’Espagne et même de l’Italie, à propos de la réussite des élections tunisiennes, semblent avoir eu un effet sur la France, qui ne pouvait se permettre d’être indifférente à une réelle mutation démocratique en Tunisie, un pays qu’elle considère comme faisant partie de son pré carré au sud de la Méditerranée.
Autre argument qui plaide en faveur d’un rapprochement entre la France et Ennahdha: beaucoup de dirigeants et militants islamistes qui ont fui la répression de Ben Ali ont trouvé refuge (et asile politique) dans l’Hexagone, et ils sont, pour cela, redevables aux gouvernements qui se sont succédé à Paris de leur salut et de leur retour aux affaires en Tunisie.
Quid alors que la déclaration, vaguement hostile à forte présence de la langue française en Tunisie, faite par Rached Ghannouchi, le leader du parti islamiste tunisien, la veille de la proclamation du résultat final provisoire du scrutin pour l’Assemblée constituante? Si elle a suscité un tollé général dans les médias français, cette déclaration ne semble pas avoir fortement braqué les autorités françaises. M. Ghannouchi avait dit: «Nous sommes Arabes et notre langue c’est la langue arabe. On est devenu Franco-arabes, c’est de la pollution linguistique». Il avait pris soin, cependant, de rappeler les mesures politiques prises par la France pour protéger… la langue de Molière… de l’invasion des anglicismes. Une manière de rappeler que chaque peuple est en droit de défendre sa langue et sa culture.
Quoi qu’il en soit, ce nouveau positionnement de la France devrait renforcer la transition en cours en Tunisie, mettre du baume dans le cœur de ses acteurs et inciter les partenaires de notre pays à mettre en œuvre leurs promesses d’aides économiques.
Il reste à espérer que les forces contre-révolutionnaires, qui s’allient maintenant – du moins objectivement – à des parties qui ont perdu les élections et certain lobbies d’intérêt liés à l’ancien régime, ne profitent pas de la situation socio-économique difficile prévalant actuellement dans le pays, pour fomenter des actions de diversion et des agitations, comme celle survenues le 27 octobre à Sidi Bouzid, pour faire échouer la transition démocratique tunisienne, dont ils seraient les principaux perdants.
Source : « Kapitalis » Le 07-11-2011
Tunisie : Le nouveau gouvernement, entre âpres négociations et «petits mots assassins».
Par Khaled Boumiza
Ennahdha est là pour gouverner, même pour une seule année, et elle le confirme. Dans une ignorance, complète et royale de l’objet initial de la Constituante qui est l’élaboration de la nouvelle Constitution, se poursuivent, en effet, en Tunisie, les tractations pour la constitution d’un nouveau gouvernement, sans même attendre l’annonce des résultats définitifs.
Et à mesure qu’approche la date du 9 novembre, préalablement annoncée pour la première réunion de la Constituante, les négociations entre grands et petits vainqueurs essentiellement des élections du 23 octobre 2011, les négociations sur le partage des sièges s’intensifient, deviennent plus âpres, parfois en mode persiflage de petits mots assassins des uns et des autres et les discussions byzantines, parfois, autour du «sexe des anges».
Divergences sur le type de gouvernement.
On notera par exemple ces divergences, pour ne pas dire plus, si elles ne relèvent pas de la simple tactique de négociation, entre les trois principales composantes de la prochaine coalition gouvernementale tunisienne. Ces 3 partis, Ennahdha, le CPR de Marzouki où l’avocat Mohamed Abbou prend de plus en plus de place médiatique et Ettakattol de Mustapha Ben Jaafar qui monte lui-même au créneau, ne s’entendraient toujours pas sur l’appellation même du prochain gouvernement. Le CPR et Abbou indiquaient, jeudi dernier, à l’AFP, que leur parti voudrait un «gouvernement de coalition», alors que Ettakattol penchait pour un «gouvernement d’intérêt national», en précisant qu’il «ne s’agit pas d’appliquer les critères connus dans les démocraties selon la logique de la majorité et de la minorité». Le porte-parole du Mouvement «Ennahdha», Noureddine Bhiri, restait, quant à lui, plus évasif lorsqu’il déclarait à l’agence Tap que «la composition du prochain gouvernement sera déterminée par les formations les plus représentées au sein de la Constituante, sans pour autant exclure les autres parties». Samir Dilou évoquait, vendredi dernier, sur les colonnes du quotidien Assabah, «un gouvernement d’union nationale».
Et alors que le marchandage des sièges du prochain gouvernement se poursuit, le CPR fait monter les enchères en indiquant à l’AFP que «les négociations tournent autour de la nature du gouvernement et de son objet». Une déclaration qui cadre certainement avec la stratégie de négociation. Vouloir discuter d’abord de la nature du gouvernement et de son objet, donne plus de latitude à celui qui voulait d’abord auditer l’action du gouvernement de transition, à faire des concessions, sans trop «y laisser des plumes».
Qui court derrière qui ?
Ici et là, circulent [ou fait-on circuler] des noms de quelques figures de l’actuel gouvernement transitoire qu’Ennahdha accepterait de laisser en service, en dose homéopathique, surtout pour être en accord avec ceux qui appelleraient au maintien des technocrates dans le second (ou le troisième) gouvernement de transition. Non d’accord, depuis qu’il a déclaré que «tous les chiffres qu’on donnait sont faux et qu’il faudra d’abord auditer leur travail », Moncef Marzouki fait du rentre-dedans, se démarque de la position de son partenaire Ennahdha et affirme que «le prochain gouvernement ne comportera aucun ministre de l’actuel gouvernement [celui de Caïed Essebssi]».
Un tantinet irritable et touché dans son amour propre, un actuel ministre dont le journal «Le Maghreb» n’a pas cité le nom a rétorqué en se demandant «si aucun de ces ministres [par ailleurs en grande majorité issus des milieux d’affaires avec leurs propres entreprises qui les attendent] était venu le prier de le maintenir au gouvernement» avant d’ajouter : «Dis-moi au nom de Dieu, qui t’est venu en prière ?»
Divergence sur l’objet du gouvernement.
Les divergences entre les membres de la probable coalition ne portent pas que sur la composition et l’appellation de ce gouvernement. Elles semblent plus profondes et toucheraient à l’objet de ce gouvernement à mettre en place. L’un des membres de cette coalition, le CPR en l’occurrence, joint au téléphone par l’agence Tap, Samir Ben Amor, représentant du Congrès Pour la République (CPR), a déclaré que les négociations se poursuivent entre le parti Ennahdha et le parti Ettakattol pour constituer un gouvernement «qui dirigera le pays» pour la prochaine période. Ce gouvernement de coalition, tel qu’il est envisagé par le CPR, doit être un « gouvernement politique par excellence qui ne se contente pas uniquement de la gestion des affaires courantes», espérait Ben Amor.
En attendant la fin de cette course aux sièges, on sait déjà qu’Ennahdha n’appliquera pas son plan économique. Mohamed Ben Romdhane, l’un des concepteurs du plan économique du parti, nous dit-on à Ennahdha, l’a affirmé, mercredi dernier, à la Radio publique tunisienne, en précisant que le programme qui sera mis en place sera issu de négociations avec les partenaires de son parti. Cela laisse donc présager d’autres négociations, des tergiversations, des déclarations et des contre-déclarations, jusqu’à s’entendre sur ce que fera le prochain gouvernement.
On n’est pas sorti de l’auberge !
Source : « African Manager » Le 07-11-2011
Tourisme : Le marché tunisien rebondit, affirme le tour operator Just Sunshine
La destination Tunisie pourrait enregistrer une «croissance réelle», l’année prochaine, prévoit le plus grand tour operator du Royaume-Uni qui affirme que les ventes ont fortement stimulé le lancement de son programme pour l’avant-saison hiver 2012 et renforcé la capacité pour l’été prochain.
Les ventes du tour operator Just Sunshine ont augmenté, à la mi-octobre, de 77% par rapport à celles de la période correspondante de l’année dernière, a déclaré le directeur des ventes, Tony Blakey.
Cette progression s’explique par les prix compétitifs qui ont permis à la Tunisie de soutenir la concurrence avec les destinations traditionnelles et d’offrir “des économies considérables” pour les familles voyageant en haute saison.
Blakey a ajouté: «Nous avons pensé que nous n’allions pas être en mesure de vendre notre destination majeure, mais nous avons été surpris et très encouragés par le fait que le marché a rebondi. “
Il a affirmé que les prévisions d’une baisse des ventes sur la Tunisie de 60% cette année pourraient être très loin de la réalité, soulignant qu’une baisse de 30% serait un chiffre plus précis, malgré le fait que des opérateurs majeurs tels que Thomson et Thomas Cook se soient rabattus sur des destinations telles que l’Espagne et le Portugal.
Juste Sunshine, qui vend également en Turquie, est en train d’ajouter de nouveaux vols à partir de Newcastle et Glasgow vers Enfidha pour l’été 2012 et d’augmenter la fréquence des départs de Gatwick et Manchester.
Il a également lancé un programme d’hiver pour la première fois, avec des vols au départ de Manchester à destination de Monastir, et de Heathrow à destination de Tunis, sur la base de la demande des agences de voyage, et cela ira jusqu’à fin mars.
Le tour-operator anticipe l’envoi de 25.000 passagers vers la Tunisie, l’année prochaine, et a dit qu’il prévoit déjà une nouvelle croissance de la destination dans les prochaines années en y ajoutant plus d’aéroports de départ et espère servir de nouvelles destinations à plus long terme.
Source : « African Manager » Le 07-11-2011
L’énigme tunisienne
L’opinion française a été désorientée par le résultat des élections tunisiennes. Comment expliquer la victoire des islamistes dans un pays qu’on présentait comme un exemple de modernité, qui avait été le premier dans le monde arabe, dès décembre 2010, à secouer le joug du pouvoir autoritaire, et le premier à se rendre aux urnes pour des élections libres ? Comment expliquer qu’une bonne partie de la bourgeoisie et des élites du pays ait donné ses voix au parti Ennahda, qui n’avait nullement été à l’origine du soulèvement ? Beaucoup en tirent la conclusion que l’interprétation optimiste du printemps arabe était fausse, et qu’aux dictatures ne succéderont pas des démocraties, mais des théocraties. En Tunisie, l’ambiguïté est entretenue par le double langage du leader d’Ennahda, Rached Ghannouchi, qui multiplie les promesses à propos des institutions et des droits des femmes, mais qui en même temps proclame la supériorité de la charia, annonce la légalisation du parti salafiste et condamne la pollution de la langue arabe par le français…
La vérité se situe peut-être entre l’excès d’optimisme d’hier et l’excès de pessimisme d’aujourd’hui. Notre erreur est d’avoir confondu démocratisation et occidentalisation : pour les Tunisiens, s’émanciper de la dictature ne signifiait pas renoncer à leur appartenance au monde arabe, surtout quand des peuples voisins de même culture étaient entraînés en même temps dans la même aventure. Or, depuis l’échec du panarabisme nassérien, le ciment des pays arabes est l’islam – ciment renforcé par la persistance des foyers d’affrontement avec l’Occident, en Palestine, en Irak ou en Afghanistan. La victoire d’Ennahda traduirait donc plus un réflexe identitaire qu’un retour en force du religieux. Cette explication n’est sans doute pas rassurante sur le plan géopolitique, mais elle n’exclut pas l’hypothèse d’une démocratie islamique qui aurait une supériorité sur le régime turc : sa solidité ne serait pas garantie par l’armée, mais par la résistance de la société civile.
Source : « Les Echos » Le 07-11-2011
Tunisie : les modernistes entre autocritique et projet de regroupement
Opposants à la dictature, militants des droits de l’Homme, féministes, ils pensaient que la révolution tunisienne était leur victoire et que le peuple reconnaissant leur confierait la tâche de mener le pays vers la démocratie. C’est peu dire que les « modernistes » tunisiens sont sonnés par le résultat de l’élection du 23 octobre, remportées haut la main par les islamistes d’Ennahdha (37 % des voix).
Si l’événement peut se lire dans le temps long d’un mouvement balancier séculaire dans la recherche d’un équilibre entre modernité et identité, partagé par tout le monde musulman depuis le choc avec l’impérialisme européen, les acteurs politiques, eux, doivent réagir dans le temps très court des prochaines échéances : la rédaction de la Constitution et la préparation des élections suivantes (probablement d’ici un an).
L’autocritique est menée tambour battant et l’heure est aux rapprochements politiques accélérés pour aboutir à la formation d’une force politique de centre gauche unifiée.
Une gauche d’opposition
Il existe déjà deux partis non religieux, placés parmi les principales forces politiques : le Congrès pour la République deMoncef Marzouki, ancien opposant en exil, qui a capté une partie du vote protestataire de gauche (13%) tout en affichant un rapprochement avec Ennahdha, et Ettakatol deMustafa Ben Jafaar, dont le score (10 %) a récompensé une campagne fondée à la fois sur un projet moderniste et la recherche du consensus.
Ils sont disposés à gouverner avec Ennahdha, estimant que la période est exceptionnelle et appelle dépasser les divergences partisanes.
Les autres formations de gauche, estiment au contraire qu’une démocratie ne peut se construire sans une opposition, envisagent donc un regroupement, mais doivent d’abord dresser le bilan d’une déroute électorale.
Les chiffres d’une débâcle
Pour les partis situés sur une ligne d’opposition à Ennahdha, l’élection du 23 octobre est en effet un échec incontestable. Le PDP, Parti démocrate progressiste a dilapidé en quelques semaines le capital de crédibilité que lui valaient son implantation et le parcours d’opposant irréprochable de son leader, Ahmed Néjib Chebbi. Espérant disputer la première place à Ennahdha, le PDP cumule moins de 4% des suffrages (environ 150 000 voix).
Le Pôle démocratique moderniste (le Pôle), regroupant Ettajdid, parti de gauche historique, associé à d’autres formations politiques et associatives, n’a regroupé que 45 000 voix. Un nouveau parti, libéral et social, Afek Tounes réussit certes sa percée dans le paysage, mais n’a que 70 000 électeurs à mettre dans la balance.
Autoflagellation
Le résultat est tellement au-dessous des espérances que l’invitation à l’autocritique vire rapidement à l’autoflagellation. Ahmed Bouaazi, membre du bureau politique du PDP, en a gros sur le cœur :
« Nous étions la plus grande masse de militants d’opposition. Nos militants ont participé à la révolution, mais nous avons fait tellement d’erreurs que nous avons mérité notre score. D’abord Ahmed Néjib Chebbi s’est positionné dès le lendemain du départ Ben Ali dans la perspective d’une présidentielle. C’était prématuré et il est devenu l’homme à abattre.
Ensuite des hommes d’affaires ont misé sur lui pour contrer les islamistes, ont financé la campagne et décidé de l’orientation du parti. Ils ont amené leurs boîtes de communication qui ont fait placarder d’immenses affiches montrant Néjib Chebbi et la secrétaire générale du parti, Maya Jribi, exactement comme le couple Ben Ali. L’effet a été désastreux.
Enfin le positionnement anti-Ennahdha nous a inscrits dans la continuité de l’ancien régime et c’est nous qui sommes apparus comme les fauteurs de trouble dans la société. »
Yassine Brahim, jeune cofondateur d’Afek Tounes, mentionne la supériorité militante d’Ennadha :
« Tout le mérite de la victoire leur revient. Leur base militante était prête. C’est le seul parti réprimé dans toute sa masse, pas seulement les dirigeants, pendant les années Ben Ali. Tout le monde a vu leur souffrance. Après le départ de Ben Ali, il a réactivé ses réseaux. »
Face à une machine de guerre
Riadh Ben Fadhel, coordinateur du Pôle complète l’analyse :
« Nous étions face à une machine de guerre. Nous avons sous-évalué la profondeur militante d’Ennahdha. Quand nous allions faire campagne quelques part, le contact passait bien, mais nous restions des intrus et les militants d’Ennahdha repassaient derrière nous. Les forces progressistes ont manqué de profondeur sociologique. Nous étions imbattable sur les relais d’opinion, mais au quotidien et dans la proximité, nos militants ne pouvaient pas lutter.
Notre une défaite est aussi numérique : Ennahdha avait une page Facebook officielle très clean, mais laissait à des pages tenues par des militants le soin de mener les attaques et la désinformation. Nous n’avons pas su réagir à temps.
Ensuite nous avons fait campagne pour une constituante, or pour la plupart des électeurs, la Constitution c’est de l’ourdou. Ennahdha a fait campagne comme pour des législatives.
Et surtout, nous nous sommes laissés enfermer dans un débat sur la laïcité, la liberté sexuelle ou la normalisation des relations avec Israël. »
Enfermés dans le débat sur la laïcité
Vouloir faire de cette électionun débat sur la laïcité, sur un modèle de société opposé à celui d’Ennahdha, est aujourd’hui largement considéré comme l’erreur stratégique majeure du camp progressiste. Au sortir de la dictature, la société tunisienne a voulu renouer avec une valeur sûre et réintégrer le cours de la révolution dans ses repères. Ennahdha a su les rassurer.
Saïda Garrach, avocate, militante féministe, candidate pour un parti d’extrême gauche, le Mouvement des patriotes démocrates, reconnaît :
« Nous avons sous-estimé l’emprise que la question de l’identité exerce sur la population. Notre erreur a été d’amener le débat sur le terrain des libertés individuelles. Ennahdha l’a déplacé vers la question de l’identité et de la religion. Ils se sont appropriés le monopole de la moralité, en se présentant comme les seuls qui craignent Dieu et en nous présentant comme des buveurs, des débauchés. »
Yassine Brahim va plus loin :
« C’est un vote sanction à l’égard d’une élite de milieux d’affaire et des intellectuels qui s’en est relativement mieux sorti sous Ben Ali. »
En privé, la critique est souvent plus cruelle avec ces « orientalistes indigènes » qui méprisent le petit peuple, diabolisent les islamistes, circulent en 4×4, s’expriment en arabe avec l’accent français, et signeraient à nouveau volontiers un pacte avec un dictateur disposé à les débarrasser des islamistes.
Une petite minorité dont l’image passe mal dans le reste du pays, alors que la mouvance moderniste ne se limite pas aux beaux quartiers de la banlieue nord de Tunis.
Feuille de route
L’exercice tournerait à la délectation morose s’il ne traçait déjà la feuille d’une force unifiée du centre gauche dont les grandes lignes semblent assez bien partagées.
>Tout d’abord, cesser la diabolisation d’Ennahdha.
Riadh Ben Fadhel est clair sur ce point :
« Ce n’est pas un parti obscurantiste. C’est parti de droite, ultra-libéral, ultra conservateur qui a su donner une image consensuelle. »
Yassine Brahim (Afek Tounes) corrobore :
« Nous ne voulons donner aucune chance à un projet de société rétrograde, mais il est contreproductif de faire un procès d’intention à Ennahdha. Nous voulons un parti social-démocrate donnant sa place à l’identité. »
>Déplacer le centre de gravité vers les questions économiques et sociales
Ahmed Bouazzi (PDP) insiste :
« Il ne faut pas refaire la gaffe de tout miser sur l’anti-islamisme. Un grand parti du centre doit être ancré dans la société et pas lié à une élite. Il faut donner des perspectives économiques concrètes et réalistes. »
Toute la difficulté tient à ce que, le projet d’Ennahdha est bien un projet sociétal, mais que l’attaquer sur l’identité a priori revient à se placer hors du consensus. Il faudra « combiner compétence économique et valeur universelle de la liberté », explique Ahmed Bouazzi :
« Il faudra tenir sur des lignes rouges. L’école sera un test crucial. Il est probable qu’on doive faire face à des demandes de salles de prière pour prier pendant les cours. Il faut que l’école demeure un lieu consacré à l’enseignement. La prière, c’est à la mosquée. »
> Tenir compte de la réalité culturelle du pays.
Youssef Chahed, fondateur de La Voie du centre, l’une des composantes du Pôle, est clair :
« Si on se tient au discours sur l’égalité hommes/femmes, la laïcité et l’homosexualité, on restera un parti de niche. On sera le parti laïc tunisien, symétrique du parti salafiste Tahrir ! »
Yassine Brahim renchérit :
« On ne peut pas faire de la politique au service d’une société sans prendre en compte la réalité de cette société. Les Tunisiens ont envie de s’intéresser à leur religion, travaillons plutôt l’enseignement religieux pour contrer l’influence wahhbabite.
Mais donner trop d’importance à une question comme l’égalité successorale [la norme coranique d’une part pour une fille, et deux part pour le garçon, sert de base au Droit des successions, ndr] c’est prématuré. On y arrivera dans quatre ou cinq étapes. »
> Acquérir une profondeur sociologique.
Youssef Chahed reconnaît :
« Nous ne savons pas faire le terrain. On vient de Tunis, on n’a pas de relais. Il va falloir identifier les relais à l’intérieur du pays. »
Ces relais ce sont déjà les militants des anciens partis et les militants syndicaux qui ont encadré la révolution mais qui sont isolés ou dispersés dans plusieurs partis, souvent d’extrême-gauche.
Une utopie réaliste
L’idée d’un parti de centre gauche fait l’unanimité, mais sa réalisation se heurte à la réalité des appareils et à la rivalité des ambitions personnelles.
Riadh Ben Fadhel tempère donc les enthousiasmes :
« L’idée d’un parti regroupant notamment le Pôle, le PDP, Afek Tounes à ce stade est une utopie réaliste. Une démarche précipitée risque d’éclater au bout de quelques mois. Le PDP, Afek et Ettajdid (une des formations du Pôle) doivent d’abord tenir leur congrès. »
Le PDP en particulier doit tirer les enseignements de sa campagne ratée. On promet du « filtrage », même au plus haut niveau, et les choix stratégiques d’Ahmed Néjib Chebbi vont être sévèrement évalués.
Ettajdid va devoir aussi s’adapter au passage d’une culture de résistance quasi clandestine, à une culture d’action politique dans un environnement concurrentiel et médiatisé. Afek Tounes, même jeune parti, n’est pas épargné par les crises et les dissidences.
Dans l’immédiat, les trois se sont mis d’accord pour créer, avec d’autres petites formations, un groupe parlementaire commun à l’Assemblée constituante, rassemblant au moins une trentaine de députés.
Yassine Brahim défend une approche progressive :
« Il faut d’abord se connaître, travailler sur des positions communes et laisser le temps aux gros partis historiques le temps de digérer les résultats et de se convaincre qu’ils ont un intérêt à se fondre dans un ensemble. Il faut respecter les contraintes des uns et des autres. »
De son côté, le Pôle réfléchit à la possibilité de se transformer en parti et d’autoriser les adhésions individuelles directes à côté des adhésions collectives.
Trois hypothèses
La formation d’un parti du centre n’est donc pas pour tout de suite. Mais soit l’une des formations apparaîtra comme la plus à même d’attirer les autres à elle, soit chacun des appareils décidera de s’auto-dissoudre pour se fondre dans une seule formation.
Une troisième hypothèse serait que des jeunes cadres de second rang, profitant de ce moment de fluidité et court-courcuitant des appareils qui tendent à persister dans leur être, n’allument l’étincelle créatrice et lance une nouvelle formation qui viderait de leur substance des partis dont la mission historique est épuisée. Une manœuvre risquée.
Mais il y a urgence estime Youssef Chahed :
« Si nous ne réagissons pas dans l’année, nous sommes fichus.
Source : « Rue 89 » Le 07-11-2011
Tunisie-France. Pourquoi Ennahdha s’attaque à la langue de Molière
Akram Belkaïd* écrit – En s’en prenant à la langue française, le parti Ennahdha règle ses comptes avec Paris et avec les démocrates progressistes.
Très prudent, pour ne pas dire trop rassurant, quant à ses intentions concernant une remise en cause du mode de vie actuel des Tunisiens et, surtout, des Tunisiennes, le parti Ennahdha a tout de même annoncé la couleur concernant une langue française, enseignée dès le cours primaire, dont il a critiqué l’omniprésence.
«Nous sommes arabes et notre langue c’est la langue arabe. On est devenu franco-arabe, c’est de la pollution linguistique», a ainsi déclaré Rached Ghannouchi, le leader du parti religieux.
C’était à la veille de la proclamation du résultat final provisoire du scrutin pour l’Assemblée constituante (90 sièges sur 217 pour Ennahdha) et ces propos ont provoqué une vive émotion en Tunisie (membre fondateur de l’Organisation internationale de la Francophonie) mais aussi en France où, pour de nombreux médias, la victoire des islamistes est (un peu trop vite) analysée comme étant la fin brutale du Printemps arabe (voir à ce sujet l’émission ‘‘Mots croisés’’ sur France2).
«De nombreux Tunisiens sont bilingues. La maîtrise de la langue française est un atout. Ennahdha veut créer des problèmes là où il n’y en pas», s’indigne un universitaire tunisois qui y voit une nouvelle preuve de l’incapacité du parti religieux à aborder «les vrais défis de la Tunisie» ce qui le pousserait à «trouver des moyens de détourner l’attention de l’opinion publique afin de masquer son incompétence».
L’omniprésence symbolique du «donc»
Du côté d’Ennahdha, on se défend d’avoir déclaré la guerre à la langue de Molière. «La langue française ne nous gêne pas. Plusieurs de nos militants la maîtrisent parfaitement. Ce qui pose problème c’est son mélange avec la langue arabe. C’est pour cela que le cheikh Ghannouchi a parlé de pollution», déclare à ‘‘SlateAfrique’’ un dirigeant du parti religieux. A ce sujet, il est vrai qu’une évolution nouvelle se dessine dans le pays où de nombreux arabophones ont de plus en plus tendance à insérer des mots français dans leur discours.
Qu’il s’agisse d’un arabe dialectal ou plus littéraire, la mixtion avec le français est très fréquente. Pour s’en rendre compte, il suffit de suivre l’un des nombreux talk-shows qui ont fleuri depuis la chute de Ben Ali sur les chaînes privées (Nessma, Hannibal) ou même publiques. Dans la plupart des cas, la discussion, qui a lieu en langue tunisienne, est ponctuée par des mots et des expressions françaises. Et il faut bien convenir que le mélange n’est pas toujours heureux, ou du moins harmonieux, comme en témoigne l’omniprésence de la conjonction de coordination (ou adverbe de liaison) «donc» (prononcée sous de multiples formes qui vont du «donc» bien pointu à un «da-annk» plus oriental…). Un «donc» dont l’usage intensif, y compris dans les émissions à caractère religieux, est même devenu un motif de plaisanterie dans les quartiers huppés de Tunis.
«C’est vrai que si l’on continue comme ça, on va se mettre à parler comme les Algériens» s’amuse un journaliste tunisien, électeur du Parti démocratique progressiste (Pdp, désormais dans l’opposition) en faisant référence à la propension de la langue parlée algérienne à capturer, en les «algérianisant», nombre de mots et d’expressions françaises. Exemple: «n’dir fik blizir» (je te fais plaisir, très usité à Alger quand il s’agit de dire que l’on veut bien rendre service…
Une attaque frontale contre les élites bilingues et francophones
Mais la sortie de Rached Ghannouchi ne s’explique pas uniquement par une volonté de préserver la pureté de la langue arabe. Il s’agit d’abord pour lui de maintenir la pression sur ses adversaires démocrates en replaçant la question de l’identité au centre du débat politique.
Ainsi, la mise en cause de la langue française, permet-elle de pointer du doigt ceux qui, à gauche, ont été critiqués pour l’avoir utilisée lors de la campagne électorale. Comme en Algérie, mais de manière bien moins aiguë, la dénonciation du «hizb frança» (le parti de la France) a été un argument récurrent des «nahdhaouis», les militants du parti religieux.
«En faisant cela, ils visent nombre d’élites tunisiennes, notamment celles qui ont fait leurs études en France et qui sont plus à l’aise avec la langue française dans le privé mais aussi dans le milieu professionnel», analyse un homme d’affaires qui rappelle que la présence de plusieurs ministres franco-tunisiens dans le premier gouvernement post-Ben Ali – un gouvernement contesté par la rue et qui a finit par tomber – a permis aux islamistes de dénoncer l’influence française.
La polarisation autour de la langue française a d’ores et déjà produit ses effets, car les partis démocrates sont désormais sur la défensive concernant cette question. Pas question pour eux d’émettre le moindre document s’il n’est pas bilingue et ils s’imposent même une vigilance en termes de parité média arabophone – média francophone quant aux interviews accordées. A cela, s’ajoute les précautions oratoires de leurs dirigeants pour justifier l’emploi de la langue française dans un discours ou une intervention télévisée… Et la prudence règne aussi dans la société civile comme en témoigne la décision d’une association tunisienne spécialisée dans l’économie sociale de différer l’annonce de sa création en attendant la traduction complète en arabe de son programme (rédigé en langue française).
Un signal adressé à la France
Au cours des discussions publiques ou des apartés avec les militants d’Ennahdha, une chose saute aux yeux. L’affaire Alliot-Marie est encore dans toutes les mémoires de même que le soutien inconditionnel de la France au régime de Ben Ali alors que sa police torturait et embastillait les militants islamistes. En s’attaquant à la place de la langue française, Rached Ghannouchi, qui a vécu près de vingt-ans en Grande-Bretagne et dont il se dit à Tunis qu’il a ses entrées à l’ambassade des Etats-Unis, de Turquie et du Qatar, a donc envoyé un signal de fermeté au gouvernement français.
Ce dernier, contrairement à nombre de ses homologues occidentaux, s’est d’ailleurs bien gardé de féliciter Ennahdha pour sa victoire électorale et les propos d’Alain Juppé sur la vigilance de la France en matière des droits de la personne humaine a beaucoup irrité les militants islamistes (mais aussi nombre de Tunisiens ayant voté pour le camp démocrate).
«Le Protectorat, c’est terminé depuis 1956! Si la France accorde tant d’intérêt aux droits de l’homme, pourquoi n’a-t-elle rien dit quand la police de Ben Ali nous faisait boire de l’eau de Javel?», s’insurge un «Nahdhaoui».
Cette défiance et le caractère sensible du débat sur la langue et l’identité de la Tunisie montrent qu’Ennahdha aura toujours la possibilité de créer la polémique sur cette question. Une réalité dont sont conscients les démocrates tunisiens mais aussi les diplomates français qui s’activent à normaliser les relations entre Paris et la première formation politique tunisienne.
Source : « Kapitalis » Le 07-11-2011
Interview with Yassine Ferchichi
Written by Arnaud Mafille Tuesday, 18 October 2011
Yassine Ferchichi is a Tunisian national who fled persecution from his country of origin. He was arrested and sentenced in France on terrorism charges. His conviction was largely based on statements made by M’hamed Benyamina under torture in Algerian custody. In 2009, Yassine Ferchichi was deported to Senegal in opposition with a decision of the European Court of Human Rights. Since then, he has been living homeless without any legal document.
Bismillahi rahmani rahim Cageprisoners: Could you please introduce yourself? Yassine Ferchichi: I am Yassine Ferchichi. I am a Tunisian national. I fled Tunisia on 14 October 2005 to escape the persecution of the former Tunisian government. I went to Switzerland and then entered in France as the situation for me was more difficult in Switzerland. I did not have any knowledge and did not think about seeking political asylum. Some Tunisians I knew helped me to find a job. One day, on 15 July 2005, we were arrested in Paris. CP: Could you tell us about your life in Tunisia? YF: It started with arrests and interrogations. I started to practice (Islam) in 2001 and to attend mosques, just like anybody. Nothing else. They began to arrest me and to interrogate me. I started to get sick and tired. I could not find any job until 2003. They went step by step until they took me to the Interior Ministry. They took me to the basement. I was interrogated by two people. They took me around to show me rooms with blood. They told me: “If you don’t co-operate with us, you know what is going to happen to you”. Two or three months later…after this period of interrogation during which time they threatened me, they practiced what they were threatening me with. I was beaten up for 36 hours. When they released me, they just threw me in the street as I was unconscious. I managed to call my brother who took me to the hospital. As I had friends in Switzerland, I applied to get a visa. I did it discreetly, before they tried to take my passport away, because that’s how they do. First, they threaten you, then they beat you up and torture you. I obtained a visa and went to Switzerland. In Europe, I learnt that I had been sentenced in abstentia (in Tunisia). Why? I don’t know. CP: Were you involved in politics? YF: No. I did not have any involvement. I did not have any contact. I was simply talking to some people. There was absolutely nothing. CP: So you were not accused of anything in particular? It was just because you were a practising Muslim? YF: It’s only because of that. The accusations are a bit ridiculous but when you are facing a state, you don’t have any chance whatsoever. When a judge tells you that you are guilty, you cannot say: “no, I am not”. That’s how it is. I was sentenced three or four times. Altogether, I was sentenced to almost 47 years. I was told that in France. CP: What happened when you arrived in France? YF: In France, I was very discreet. I was illegal. I did not have documents. I was just trying to make a living here and there and I was trying to find a job to survive. On 15 July 2005, we were in Paris and I was accompanying a friend when our car broke down at which point we were arrested. I was scared, so I gave the name of somebody who was legal in the country. I did not want to be sent back there. I knew what would have happened to me otherwise. Then, they started: “You know, we are going to send you there. You know what is going to happen?” They wanted me to say: “Yes, those persons are guilty”. I told them: “I can’t tell you that. I can’t sentence people to life”. CP: Could you tell us a bit more about the circumstances of your arrest? YF: That was just a routine arrest to check our identity. They took us to a police station in Paris. They made us wait. I was the only one who was bothered since I had no legal document. I tried to stay calm and they did not even ask us any questions. They took us directly to the DST (French intelligence) basement. Then, they started: full day interrogations for four days. At night, just before sleeping, they took us somewhere or sometimes we would sleep at the DST. Then, I was sent directly to prison. CP: How were the interrogations? YF: How do I know this person? They searched my house. There was a piece of paper with my debts. I owed money to such and such. They said: “no, those are the shares you give to people”. They accused me of financing terrorism and criminal association. I did not know anything. They told me: “do you know which judge ordered your arrest?” He told me judge Bruguière. I said: “Who’s that?” Maybe he wanted to scare me, but I didn’t even know him. After the interrogations, I was not well advised by a lawyer. They said that we assaulted a prostitute to get money. I am talking for myself: somebody who has gone through all the things I have gone through is not going to assault somebody. Anyway. The prostitute brought a medical evidence to the judge. It was found that it was older than the facts we were accused of. She was lying. I was not well advised. The lawyer told me: “you see, they want to charge you with terrorism. Tell them that you assaulted her to get money so that they don’t accuse you of terrorism”. I followed the advice of the solicitor, but the opposite happened. They said I did that to finance terrorism. That’s how it happened. I had no chance. I spent three years and a half in Fresnes prison. On the day of the judgement, they sentenced me to four years in order to cover the time I had spent in pre-trial custody. CP: Did the DST try to put you under pressure or did they threaten you? YF: Mmmmmm. I don’t know. Personally, I take it as intimidation. I wasn’t really mistreated. But they destroyed me psychologically. The only fear I had was that they would send me to Tunisia. I am now in Senegal. I refused categorically to go back there under the previous government. I know what would happen. CP: Did they threaten you to send you back to Tunisia during the police custody? YF: Yes. Several times. CP: They asked you to denounce people? YF: Yes. If I didn’t speak, if I didn’t say the truth… But their truth is not the real truth. They just want to hear what they want to hear. You see what I mean? Apparently, for them, I did not say the truth. If I don’t say what they want to hear, it’s not the truth. Small details to humiliate you like forcing you to kneel… CP: They asked you to kneel? YF: Yes. Two or three times. My hands were tied in my back. They forced me to go on my knees. I did not have the right to sit down. CP: Did they ask you about M’hamed Benyamina? YF: Yes, they talked to me about him. I even saw his name on some of their papers. I’ve always said the same thing. I saw him only twice in my life. When I arrived in France, I was hosted by a French-Tunisian, Samir B. He was going to Egypt to learn Arabic. He told me I won’t be here. You can take my flat, you just pay the rent. I looked for a job. That was good for me and good for him. CP: Do you know if during the interrogations, they used information given by M’hamed in Algeria? YF: I heard that from the solicitor. He said they could not take into account the testimony of somebody interrogated in Algeria. There was no judge, nobody to witness the interrogations. Everybody knows perfectly how they extract statements. But I don’t even know what M’hamed Benyamina said. During the hearing with the judge, they showed some pictures to me. They asked me: “do you know this person?” But during the police custody with the DST, they only mentioned names. There was no picture. But I did not know many people. CP: Then you were placed in pre-trial detention for three years… YF: Three years and a half. CP: Why was it so long? YF: No idea. I filled many petitions to be released. Always the same response. Samir B. Was released after a year and a half or two years. He was free when the trial started. As for me, they didn’t want to hear anything. CP: Were you under a special regime in prison? YF: I was what they call a “particularly guarded detainee”. I did not have the right to work. I did not have the right to many things. CP: Were you in solitary confinement? YF: At the beginning I was alone. I never shared a cell. CP: During the hearings, what did the investigative judge ask you about? YF: You see, when I think about it, it makes me laugh. Every four months, a judge has to interrogate you. They would only call me to validate the prolongation of my pre-trial custody. There was no real interrogation. That was like, “did you really assault this girl? You did this, you did that”. There was nothing. At the beginning that was a judge and then another one, but that was the same thing. CP: Do you know if the judge used some information obtained overseas? YF: Yes. Yes. Yes. If my memory is correct, he said about M’hamed Benyamina, I remember that very well. He said that, him, he said he knew me and that I was a member of the group. The investigative judge told me that almost two years after. I said that I saw him only twice. They asked me the same thing about somebody called Abderrahmane. I had never seen or met this person. Apparently, he was in Egypt. He came back while I was incarcerated. I asked them: “How can you say that I am a member of his team while I’ve never seen him in my life and even him does not recognise my face?” CP:Was it Safé Bourada? YF: Yes! I think that’s his name. They were showing me pictures asking me “do you know Abderrahmane?” I said no. The judge said: “this person has been arrested. He founded a group and you are a member of it”. I requested a confrontation with the person. That never happened. CP: How did you become aware that you had been sentenced in Tunisia? YF: I learnt it when I was in Fresnes prison. I knew I had been condemned and I was scared that after my release, they would send me back directly. I managed to get the contacts of Luiza Toscane. She had contacts in Tunisia and she started to tell me, there are such and such sentences. Then, I could get in touch with my brother who managed to get a lawyer in order to obtain the judgements to be released. After six months, we managed to get them released. CP: Do you know of what you were accused in Tunisia? YF: There is an 8 year sentence only because I was sentenced in France. There was another 8 years sentence. I think there were three 8 year sentences. They said that I had talked to people who belonged to a group or who prepared terrorist acts. Just talked. Such person said:“Yes, Yassine talked to me”. Just words. I was not there. They arrested people in Tunisia. As I was not there, the blame was put on me. The sentence is enormous. 47 years. All I know is what was written on these decisions. Even when they arrested me and tortured me in Tunisia, they never asked me any precise questions. To impress me, they would tell me: “you know such and such”. They asked me about somebody I did not know, he’s as old as my father. I was a cook in Tunisia. That’s how I met him. I was in the mosque and that was the wedding of his daughter. I cooked for the wedding of his daughter. Then, they said you know this person. That were the questions they would ask me. CP: In October 2008, your trial started in France. How did it happen? YF: That was like theatre. That was formal. There was a trial because they had to judge us. They could not leave us any longer in jail without justifying it. I could not speak French very well. I took classes and I obtained degrees in prison to be able to express myself during the trial. Even my lawyer said it was not fair. I waited for three years and a half and during the trial, I did not even speak for four minutes. The judge took my case-file. She said such and such person. She started to bombard me with facts. I asked: “Excuse me, could you ask the questions one after the other, so that I have time to respond?” Her answer was: “we don’t have time”. Even my lawyer was revolted. She said: “He has this right at least”. I was there, but it was like a photo. CP: How did you react when you heard the sentence? YF: Frankly, all I wished, at that time, was to finish that off and leave because I knew that I had no chance to explain myself or to defend myself. I don’t know how to say. There is a saying in Tunisia:“I am attacking a mountain with a stick”. I could not even say what happened. And then you know what happened to me… After I received my sentence, I started the process to avoid my return to Tunisia. I did that with Luiza Toscane as well as with the ACAT (Christian action for the abolition of torture). We filled the petition. I requested three times the permission to leave the prison to go to the OFPRA (French Office for the Protection of Refugees and Stateless persons). That was rejected. I was not permitted to go there for an interview. One day, I was in my cell. They opened the door and they told: “You are going”. I said: “where?” They did not say anything. I arrive. I am at the OFPRA. That was the same: a scene just to give you your right. You have the right to appear, so they give you that right. But after, there is nothing concrete. CP: France was still willing to deport you to Tunisia. What prevented it? YF: The actions I undertook with Luiza Toscane. We contacted organisations: Amnesty, ACAT… They wrote letters to the Office for the Protection of Refugees and Stateless persons and even to the Interior Ministry in France. Asylum was not denied to me. I was excluded. They recognise that I am entitled to be granted asylum but as I was sentenced in France, I don’t have the right to be granted asylum in France. I was sentence to four years for the accusations of terrorism. To show you their hostility, as I was scared and gave a false name, they gave me six months for identity theft. And plus, they banned me indefinitely from France. I struggled to obtain the lift of the ban, but they don’t want to hear anything. When I was released, they did not deport me to Tunisia, but they tried to make me sign something to send me to Senegal. I refused categorically. I even refused to get into the plane. I was “taped” from head to toes. They lifted me like a bag and they put me at the back of the plane. There were three people to guard me at the back. One of them sat on me until the arrival in Senegal. I arrived at the airport in Senegal. I waited. Senegalese policemen took me upstairs. I had no documents, no nothing. I was put in police custody directly in a very dirty place full of cockroaches and mosquitoes. I spent five days there. I started a hunger and thirst strike until they took me to the hospital to feed me intravenously. I wanted to know why they took me here to throw me in prison again. Because of the media and Luiza Toscane who followed my case since the beginning, they were forced to release me. CP: When were you told that you would be deported to Senegal? YF: On the day of my release, on 24 December 2009. As I studied, I gained degrees, I had a good behaviour, my sentence was reduced. I was released. When we arrived at the office of the prison, I thought I would be set free or I would be sent to a place for refugees or anywhere else. The policemen gave me something. I read it. I didn’t even know Senegal. I didn’t know anybody. I refused to sign. They gave me a pen and I wrote at the bottom of the page: “I refuse to sign until my lawyer is informed”. CP: Do you know why they chose Senegal? YF: No idea. CP: Could you tell us how you were taken to the airport? YF: We arrived at Roissy Airport. They put me somewhere for two hours. At the airport, I resisted to have the right to call my lawyer. I was not in prison anymore, I had the right to give calls. I only wanted to call my lawyer to inform him. They refused. When I got really angry, they took me on the floor. I had my hands tied in my back and my legs shackled. They took me on the ground. The lawyer requested the European Court of Human rights to prevent this deportation as long as Senegal did not give guarantees that it accepted me and would provide for me. The European Court gave the order to France not to deport me to Senegal. They ignored it and they deported me. As an excuse, they said that the request of the European Court came while I was already in the plane. It’s not true. We have the time the order arrived and the time at which the plane left. As I refused to board, the flight was delayed for 45 minutes. They put tape all over me. They were four people. They could not handle me, so they put me on the ground with my hands in the back. That was really humiliating. I don’t know what to say. CP: What happened when you upon your arrival? YF: As I told you, at the beginning, they were waiting for the Senegalese policemen. They came. French policemen left. They took me upstairs. They filled some documents. Before I passed the door, they handcuffed me in my back again and I got in the car with three persons. They took me somewhere, I don’t where. They call that the “port police station”. I swear even for animals, you can’t do it. I stayed there for five days. Five days without eating or drinking. I refused. At a point, I was praying and I fainted. They had to take me to the hospital. They try to talk to me, to tell me that it would get better and to give me injections. I said that I did not ask to come here and that if they wanted to throw me to prison again, I preferred to die with dignity. They told me here you are at home… It was only words. They thought I was a kid. Even now. What can I do? I don’t have money, I don’t have any documents. We talked, media came with a lawyer in Senegal, the former president of ONDH (National Organisation of Human Rights). He is the only one who helped me. I spent 15 days in front of the Ministry of Foreign Affairs in Dakar. I camped there. They did not care. The President of RRADHO (African Meeting for the defence of Human Rights) had a meeting with the minister. He talked about my case. I kept on phoning. Even associations like Amnesty, the radio… they are discouraged. They did everything, they can’t do anything for me. All they can do is to call or to write. Then I stopped. I wanted to keep a bit of my dignity. CP: You broke your hand as well. Did you receive any treatment? YF: I received a bad news from Tunisia, from my mum. I punched a wall and I broke my hand. The bone is deformed. It healed like that. We did an X-ray. The doctor said I needed an operation. They said that the operation is expensive. They left me like that. Now, I can’t close my hand. CP: How many times did you find yourself homeless because the authorities did not pay the hotel? YF: They never paid the hotel to be fair. I had a bit of money then. When I was released, they asked me:“do you want to provide for yourself or do you want us to provide for you?” I didn’t have the means and I did not know the place. I only asked for a place to sleep and I would see for the rest. I went in a hotel. When I did not have any money left, I had to contact them again. The person I was in touch with in the police station called the man in charge of the hotel to calm him down. They told him that they would pay for it. He trusted them at the beginning because that’s the authorities. That lasted for four or five months, he didn’t receive anything. He told me,“my friend, I can’t do it anymore. I have bosses, I can’t tell them that somebody lives here and does not pay”. I had to leave. I took my suit case and I went directly to the Foreign affairs Minister in Dakar. It was four in the morning. I set my suit case and I waited. The day after, some policemen asked me what I was doing. They told me I could not stay there. I had to cross the road. I crossed the road and I stayed there. The lawyer I mentioned came. Some media came as well. Sometimes it’s very painful. There’s a title I will never forget. A journalist came to talk to me very honestly. Then, he wrote: “a terrorist in the streets of Dakar”. They don’t care about the person, they care about sale. I don’t know how to explain. When you arrive in a country, you don’t know anybody and people see you as a terrorist… I just want to be anonymous. I don’t want anybody to know me. I just want to live my life. Until when is it going to last? It’s been almost two years of ordeal in Senegal. CP: What is your administrative situation now? YF: I applied for a Tunisian passport almost seven months ago. I am still waiting. There’s nothing. To be honest I want to go back but at the same time, there’s no government. I don’t want to go there, spend a month or two or even a year and then having them knocking on my door to bring me problems. CP: What are your life conditions at the moment? YF: Pfff. I don’t know how to say. I have no accommodation, no document and no money. I’ve sold everything I had. I only kept my phone because it’s my link to the world. CP: How do you live? YF: I cope with it. Weather is hot, there’s the beach. I take a tour in the streets during the day. At night, I walk. Khair inshaAllah. God is great. CP: How did you react when you learnt the downfall of Ben Ali? YF: Honestly, I was not happy for myself. I was happy for the country. CP: And what about when you learnt the law of amnesty? YF: My brother went, and he got to know that I had been cleared. But you know, I hadn’t done anything. They destroyed me. After all the things I said about them, do you think they will leave me alone? CP: So you don’t plan to go back to Tunisia? YF: You see, I have the urge but fear makes me reluctant. I don’t know what would happen to me there. Because I talked. When they will have me there, soon or later, they will seek revenge. CP: What’s the best solution for you? YF: Honestly, I don’t know. I live from hand to mouth. I don’t know: a place where I could live with dignity. I am a worker, I am not a kid. CP: How can we help you? YF: Frankly, I don’t know. I have no idea. At least having talked helped me psychologically. That will help me to externalise my feelings. It’s a double life. With a background like mine, the one I described to you, people look at you strangely. CP: Do you have a message for our readers? YF: The only message I have is: When is it going to end? When will I have a normal life? Do I have to pay for my company all my life? That’s not fair. I was condemned. That’s over. What France did to me is that they took me out of their prison and threw me in a big one! Kheir inshaAllah.
(Source: Cage Prisoners le 18 octobre 18 octobre 2011)
Lien:http://www.cageprisoners.com/our-work/interviews/item/2374-interview-with-yassine-ferchichi