28 septembre 2010

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TUNISNEWS
10 ème année,N° 3780 du 28.09.2010


AISPP: Procés du 25 septembre Syndicat Tunisien de Radios Libres: Communiqué ANHRI condemns actions against opposition newspapers Afef Bennaceur: Carte de visite Reuters: Condamnation définitive pour un ancien diplomate tunisien El Watan: La Justice Française condamne à la prison un tortionnaire Tunisien AFP: Tunisie: la fille de Ben Ali lance sa radio

Réalités: La dernière interview de Mohamed Arkoun à Réalités – Après le fracas du 11 Septembre Repenser l’Islam et la modernité


Association Internationale de Soutien aux Prisonniers Politiques Aispp.free@gmail.com 43 rue Eldjazira, Tunis

Tunis, le 25 septembre 2010 Lundi 25 septembre 2010, la vingt septième chambre criminelle de la Cour d’Appel de Tunis, présidée par le juge Mannoubi Ben Hamidane, a examiné l’affaire n°27/15499 dans laquelle sont déférés : Hamza Ben Hichem Ben Mohammed Sadok Sadkaoui, né le 1er décembre 1982 et Ouahid Ben Mohammed Ben Mohammed Ben Othman, né le 26 mars 1981, en état d’arrestation, pour adhésion hors du territoire de la République à une organisation ayant fait du terrorisme un moyen de réaliser ses objectifs. Les jeunes ont été interrogés, ont nié ce qui leur était imputé et ont affirmé avoir signé les procès verbaux rédigés par la police sous la torture. Puis la commission de la défense, composée de Maîtres Cherfeddine Dhrif, Ahmed Seddik et Samir Ben Amor, a plaidé. La défense a exposé dans sa plaidoirie les circonstances de l’affaire, en l’occurrence la livraison de leurs clients qui vivaient en Syrie. Les autorités syriennes les ont arrêtés et livrés aux autorités tunisiennes à la demande de ces dernières le 17 janvier 2010. Ils ont été soumis à la torture pour signer des procès verbaux disant qu’ils avaient tenu en 2004 des réunions sous l’égide d’une personne dans une mosquée de Zarzouna et qu’ils avaient décidé d’aller en Irak pour rejoindre la résistance Irakienne. Le responsable du groupe était parti et les autres l’avaient rejoint le même jour. La défense a mis en exergue que les faits n’étaient pas avérés car à travers un document émis par les autorités syriennes se rapportant aux mouvements aux frontières, il s’avère que le jeune Ouahid Ben Othman s’était rendu en Syrie en août 2003 ! De même les documents du dossier établissent qu’ils faisaient tous les deux leurs études en Syrie, qu’ils s’étaient mariés avec des Syriennes dont ils avaient eu des enfants et qu’ils résidaient de façon légale. La défense a critiqué la condamnation prononcée en première instance, qui avait établi la culpabilité de leurs clients et les avait condamnés à 5 et 6 ans d’emprisonnement […] le jugement en premier ressort a été jusqu’à considérer que la culpabilité était établie par les aveux des accusés chez l’enquêteur préliminaire et renforcée par « leurs aveux partiels de leur adoption d’un engagement religieux » !!!!. La commission de la défense a demandé l’annulation du jugement prononcé en première instance et l’acquittement de leurs clients. Puis la séance a été levée pour le délibéré et le prononcé du jugement. Le tribunal a confirmé le jugement en premier ressort mais a fait passer la peine à deux ans d’emprisonnement pour les deux. Pour la commission de suivi des procès politiques Le secrétaire général Samir Ben Amor (traduction d’extraits, ni revue ni corrigée par les auteurs de la version en arabe, LT)


SYNDICAT TUNISIEN DES RADIOS LIBRES Tunis le 27.9.2010 COMMUNIQUE

Suite au démarrage de Radio Shems FM le 27.09.2010 en vertu d’une convention signée entre la société Tunisia Broodcasting dirigée par madame Syrine Ben Ali épouse Mabrouk et le Ministère de la Communication, le Syndicat Tunisien de Radios Libres considère que la licence accordée à cette radio ne constitue nullement une ouverture médiatique, et confirme la main mise de « la famille » sur le paysage audio-visuel national. Le STRL condamne une nouvelle atteinte à la liberté d’expression, et estime que cette attribution est un leurre liberticide de plus sur les ondes. Le paysage audiovisuel en Tunisie est régi selon le Ministère de la Communication, par le Décret beylical du 25.04.1957 qui accorde à l’Etat un monopole total sur la production, la diffusion et l’émission des programmes de radio et de télévision. Mais ce même Ministère estime que les autorisations accordées aux radios existantes ne peuvent faire l’objet d’exemple aux autres projets pour qui le Décret demeure en vigueur. (Réponse datée du 23.03.2005 donnée par le Ministère de tutelle suite à une requête portée devant le Tribunal Administratif et référencée 12916/1). Le STRL estime que cette réponse a constitué le fondement et la preuve irréfutable de la politique de deux poids et deux mesures appliquée envers des citoyens tunisiens de seconde zone mais aussi un choix délibéré qui renforce la situation de quasi-monopole Etatico-familial et assure un monologue ininterrompu de propagande en faveur du régime en place. Pour étouffer toute dissidence audiovisuelle les autorités tunisiennes n’ont pas hésité à transgresser les règles les plus élémentaires des échanges sur la toile et se sont attaquées à deux radios indépendantes qui émettent sur internet en l’occurrence « Radio Kalima » et « Radio 6 Tunis », confisqué leurs matériels et mis sous séquestre leurs locaux sans aucune forme de procès ni fondement juridique. Cependant de nombreuses autres radios non autorisées à diffuser sur les ondes, continuent, conformément d’ailleurs à leurs droit, à émettre sur le net à partir de la Tunisie sans être inquiétées. Le STRL condamne énergiquement cette politique de non droit. Par ailleurs il appelle à la création d’une véritable instance indépendante qui aura pour objet de gérer le secteur en toute transparence sur la base d’un cahier de charges garantissant l’égalité entre tous les promoteurs nationaux essentiellement les gens de la profession, et d’appuyer les fondements démocratiques d’un Etat moderne. Le Secrétaire Général Salah Fourti Envoyé par Journaliste Tunisien Republicain dans Journaliste Tunisien صحفي تونسي 30/75 le 9/28/2010 07:05:00 PM —http://journaliste-tunisien-75.blogspot.com


Arabic Network for Human Rights Information
Alert – Tunisia 28 September 2010

ANHRI condemns actions against opposition newspapers


(ANHRI/IFEX) – 27 September 2010 – The Arabic Network for Human Rights Information (ANHRI) denounces the continued restrictive policy of President Zine El Abidine Ben Ali’s government on press freedom and freedom of expression in Tunisia. Ahmed Ibrahim, secretary of the Tagdid opposition movement and manager of « al-Tariq al-Gadid » newspaper, will be prosecuted today on charges of publishing false news about corruption in Tunisia. This comes a few days after Tunisian security personnel barred Issue #561 of the Progressive Democratic Party’s « al-Mowqef » newspaper because of reporting on the theft of journalism equipment. In its 23 September issue, « Al-Mowqef » produced a report titled « Tunisians involved in stealing Ahmed Mansour’s equipment in Paris » ( http://webbic.posterous.com/28924081 ). The report mentioned that some Tunisians stole work equipment belonging to Ahmed Mansour, the producer of the « Shahed Ala al-Asr » programme on Al Jazeera news network, in order to stop the airing of an interview with Ahmed Bannour, a former government official. Tunisian security personnel stopped the printing of the issue of the newspaper and the newspaper’s staff were shocked when the printer refused to deliver issue #561. A manager at the newspaper, Ahmed Naguib al-Shabby, started a hunger strike to protest this assault on press freedom. In a separate incident, because of his reporting on bribery incidents in the municipality of Qosaybet al-Madyouni, south of Tunis, Ahmed Ibrahim, the manager of « al-Tariq al-Gadid » newspaper, is being prosecuted on charges of publishing false news. The Tunisian security forces have always used unusual means to punish dissidents. They are known for fabricating criminal charges against journalists, bloggers and activists so they can be arrested. ANHRI holds the security forces responsible for barring « al-Mowqef » from publishing its 23 September issue despite the claims of the printing house manager that it was due to technical problems. ANHRI said, « Ever since Ben Ali came to power, the Tunisian government has been working to ensure that an atmosphere of oppression prevails. Tunisia tops the list of countries hostile to freedom of expression. Barring an issue of ‘al-Mowqef’ and prosecuting the manager of ‘al-Tariq al-Gadid’ are new links in a long chain of violations of freedom of expression and freedom of the press in Tunisia. » ANHRI warned the Tunisian government against going further in oppressing opposition parties. The barring of an issue of an opposition paper and prosecution of the manager of another are clear displays of the dictatorship of Ben Ali, how restrictive he is of his opponents and the hostility towards democracy. Ben Ali deprives his opponents of their legitimate right to express themselves. This is a real threat to public freedoms in Tunisia and marks a steady retreat in the Tunisian record on human rights, which could negatively affect Tunisia’s relationship with the international community. For more information: Arabic Network for Human Rights Information 10 Elwy Street Apartment 5 Behind the Central Bank Downtown Cairo, Egypt info (@) anhri.net Phone: +20 239 64058 Fax: +20 239 64058 http://www.anhri.net

 

Carte de visite


27 septembre 2010 Il semble que l’administration de la prison civile de Gafsa, en vertu de directives du pouvoir de ce pays, soit déterminée à prendre des mesures coercitives à l’encontre de Fahem Boukaddous pour le punir de la visite de solidarité d’une délégation de ses confrères journalistes ces jours derniers. La première mesure, ce sont les atermoiements et le report de l’hospitalisation de mon mari qui doit subir des analyses gastriques, ainsi que cela lui avait été promis. Il en est résulté une détérioration de son état de santé et il a eu une nouvelle crise d’asthme mercredi dernier, le 22 septembre ; la seconde, ce sont des ordres de l’isoler dans la prison. Comme on le sait, le militant Hassen Ben Abdallah a lui été éloigné au deuxième pavillon dès les premiers jours. Et l’administration de la prison a voulu répéter le scénario avec le prisonnier du mouvement estudiantin, Zouhaïer Zouidi en lui ajoutant des agressions physiques et son transfert forcé ; La troisième, c’est la manipulation délibérée du couffin selon leurs envies et sans base légale. Et la quatrième : l’intensification du harcèlement sécuritaro-policier qui me poursuit le matin de la visite, puis sur le chemin de la prison et jusqu’au parloir. Toutes les visites se passent en présence de plus d’un gardien et c’est inhabituel. Quant à l’interphone, les deux dernières fois, des voix y interféraient que j’entendais bien alors que je discutais avec Fahem. Aussi, j’informe l’opinion publique en Tunisie et à l’étranger que je ne supporte plus ces pratiques, que moi et mon mari, nous n’allons pas nous taire et que si l’administration persévère dans ce harcèlement et si elle ignore les voix qui demandent la libération de Fahem, alors nous aurons recours à une forme adéquate de protestation contre toutes ces brimades. Fahem a fait part de son soutien aux journalistes d’El Maoukef après l’arrêt du dernier numéro, un nouvel épisode dans le musèlement de la liberté d’expression et de la presse dans le pays. Liberté pour fahem Boukaddous Le tyran ne saurait se réjouir Afef Bennaceur (traduction ni revue ni corrigée par l’auteure de la version en arabe, LT)


Condamnation définitive pour un ancien diplomate tunisien


Reuters 28/09/10
Le verdict de la cour d’assises de Meurthe-et-Moselle qui a condamné vendredi un ancien diplomate tunisien à douze ans de réclusion criminelle pour complicité de torture ne fera pas l’objet d’un pourvoi en cassation du parquet. La condamnation de Khaled ben Saïd, actuellement haut fonctionnaire au ministère de l’Intérieur en Tunisie, est donc définitive, a indiqué mardi le procureur général de Nancy, Christian Hassenfratz, du moins tant que l’intéressé ne se livre pas ou n’est pas arrêté. Un mandat d’arrêt a été décerné contre lui, mais il y a peu de chances de voir la Tunisie l’exécuter. L’intéressé, qui a pris la fuite dès les débuts de l’instruction et ne s’est présenté ni devant la cour d’assises du Bas-Rhin en première instance, ni en appel devant celle de Meurthe-et-Moselle, ne peut pas lui-même contester la décision des juges. A l’issue du premier verdict, le ministère public, qui demandait son acquittement, avait fait appel sur injonction de la Chancellerie. N’ayant obtenu qu’une aggravation de la peine, passée de huit à douze ans de prison, celle-ci renonce à poursuivre la procédure. « Le ministère est informé de la décision qui est rendue et n’a pas formulé de demande particulière », a précisé à Reuters Christian Hassenfratz. C’est la deuxième fois qu’une juridiction française jugeait un ressortissant étranger pour des faits commis à l’étranger en vertu de sa « compétence universelle ». Khaled ben Saïd a été reconnu coupable d’avoir ordonné à des policiers de torturer la femme d’un opposant tunisien le 11 octobre 1996 alors qu’il dirigeait le commissariat de Jendouba. Réfugiée en France, la victime avait porté plainte en 2001 contre son tortionnaire en apprenant que celui-ci était vice-consul de Tunisie à Strasbourg.

La Justice Française condamne à la prison un tortionnaire Tunisien


Le cercle de l’impunité pour les crimes de torture… Le cercle de l’impunité pour les crimes de torture commis en Tunisie a été rompu selon la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme Décidément, les tortionnaires des régimes maghrébins ne sont plus à l’abri des poursuites judiciaires lorsqu’ils se rendent à chaque fois en France. Khaled Ben Saïd, ancien vice consul et actuellement haut fonctionnaire au ministère de l’Intérieur en Tunisie vient d’apprendre cette nouvelle réalité à ses dépens. Reconnu coupable d’avoir ordonné à des policiers de torturer la femme d’un opposant tunisien le 11 octobre 1996 alors qu’il dirigeait le commissariat de Jendouba, la Cour d’assises de Meurthe et Moselle a condamné en appel Khaled Ben Saïd à 12 années de réclusion criminelle. Pour rappel, Khaled Ben Saïd a pris la fuite dès les débuts de l’instruction et ne s’est présenté ni devant la cour d’assises du Bas-Rhin en première instance, ni en appel devant celle de Meurthe-et-Moselle. Pour sa part, la victime, Mme Gharbi, réfugiée en France, elle avait porté plainte en 2001 contre son tortionnaire en apprenant que celui-ci était vice-consul de Tunisie à Strasbourg. Et après un combat de neuf années, Mme Gharbi a réussi enfin à faire entendre la vérité. Une belle leçon de courage applaudie par de nombreux mouvements de lutte pour la défense des droits de l’Homme. « Cette condamnation emblématique vient rompre le cercle de l’impunité pour les crimes de torture commis en Tunisie. Les tortionnaires tunisiens ne sont désormais plus à l’abri de poursuites judiciaires. Cette décision des juges français établissant la culpabilité de Ben Saïd démontre que la raison d’Etat ne peut l’emporter sur le droit des victimes à obtenir justice », s’est réjouit après l’annonce du verdict Souhayr Belhassen, Présidente de la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme. « Le procès a mis en exergue l’institutionnalisation de la torture comme moyen de répression à l’encontre de toute voix dissidente et comme instrument de terreur » a déclaré, quant à lui, Omar Mestiri, du Comité national des libertés en Tunisie (CNLT). « Dans la période de restriction des libertés que traverse la France, ce verdict vient démontrer qu’il existe aussi une justice indépendante », a fait savoir également Me Eric Plouvier, avocat de Mme Gharbi. Enfin, il est à souligner que c’est la deuxième fois qu’une juridiction française jugeait un ressortissant étranger pour des faits commis à l’étranger en vertu de sa « compétence universelle ». Est-ce la fin de l’impunité des apparatchiks des régimes despotiques qui considèrent jusque là la France comme étant un refuge où personne ne peut les inquiéter pour leurs actes ignobles ? Les défenseurs des Droits de l’Homme l’espèrent bien… Abderrahmane Semmar
(Source: « El Watan » (Quotidien Algerie) le 28 septembre 2010)

Tunisie: la fille de Ben Ali lance sa radio


AFP 27/09/2010 | Cyrine Mabrouk, fille du président tunisien Zine El Abidine Ben Ali a lancé aujourd’hui une nouvelle radio privée, la 4ème station du genre en Tunisie. « Shems FM » (Soleil en arabe) est une radio généraliste émettant en dialecte local avec pour credo « informer, cultiver et divertir », selon ses promoteurs. La station installée dans un luxueux bâtiment sur les berges du lac nord de Tunis, se veut être « le reflet de la société tunisienne dans tous les domaines, société, économie, sport, arts et spectacles ». Ses programmes pourront être suivis d’abord dans le Grand Tunis et sur le littoral-est du nord (Bizerte) au sud (Sfax), avant de couvrir ultérieurement les régions ouest et centre. Le président Ben Ali en a donné le coup d’envoi, formant « l’espoir que cette station constituera un nouveau pilier du secteur de l’information et de la culture », a-t-il dit dans un message diffusé par l’agence gouvernementale TAP. Cyrine Mabrouk, qui dirigeait jusque-là le premier fournisseur d’accès internet en Tunisie, présidera désormais le conseil d’admnistration de « Tunisia Broadcasting SA », une société comptant trois groupes d’affaires et dotée d’un capital social de 1,5 million de dinars (1 dinar = 1,8 euro). Fille cadette de M. Ben Ali d’un premier mariage et épouse de Marwane Mabrouk, PDG d’Orange Tunisie, Cyrine a expliqué s’être lancée dans la radio « par amour », réalisant un « rêve » caressé depuis un stage effectué à RTL, durant ses études à Paris (1994-1995). « J’ai repris contact avec mes anciens hôtes de la rue Bayard et ils ont été heureux de me voir m’y lancer, m’assurant de leurs conseils », a-t-elle confié lundi au site Leaders, qui assure la promotion de son projet sur le web.

La dernière interview de Mohamed Arkoun à Réalités

Après le fracas du 11 Septembre Repenser l’Islam et la modernité


 
Entretien conduit par Zyed Krichen Depuis plus de quarante ans, Mohamed Arkoun enseigne et écrit la nécessité d’un examen critique de toute la pensée islamique. Arkoun n’attend pas son public, il va à sa recherche dans les conférences et colloques dans les quatre coins du monde. Après le 11 Septembre 2001, Arkoun a radicalisé sa démarche critique. Il l’a faite dans un premier livre, “De Manhattan à Bagdad”, paru en 2002. Il l’a ensuite approfondie dans un ouvrage monumental “Humanisme et Islam”: combats et propositions”, paru en mars 2005 aux éditions “Vrin”. Dans cet entretien qu’il nous a accordé en 2005 (voir le n° 1033 de Réalités), le grand disparu nous a livré le fond de sa pensée. Votre dernier ouvrage s’intitule “Humanisme et Islam”. Ces deux univers de pensée sont-ils compatibles? J’ai osé utiliser ce titre, qui est une sorte de provocation, au moment où le monde entier est complètement révulsé par les manifestations de ceux qui ont pris l’Islam en otage et l’utilisent dans des luttes horribles. J’ai osé le titre pour offrir un programme de travail. Si l’Islam en tant que pensée (en tant que religion c’est une affaire différente) qui s’est développée depuis une quinzaine de siècles peut avoir un avenir. L’histoire que nous sommes en train de vivre crée une nouvelle situation pour toutes les cultures du monde. Si l’Islam veut s’inscrire dans cette nouvelle histoire, il faut absolument qu’il bouleverse et subvertisse intellectuellement et scientifiquement tout le cadre traditionnel hérité du passé, je ne veux pas dire qu’il faille retourner à l’humanisme médiéval. Je ne vais pas me contenter de ce qu’ont fait les meilleurs penseurs du Moyen-Age.L’histoire que nous vivons est une histoire de rupture totale non seulement avec les passés des religions, mais aussi avec la modernité. On n’est plus dans la modernité en marche conquérante et innovante sur laquelle nous avons vécu jusqu’au 11 septembre 2001. Le 11 Septembre est une date repère. C’est un fracas considérable à la fois pour une prise de conscience qui n’a pas eu lieu, côté musulman, mais qui n’a pas eu lieu, non plus, en Occident. En quoi le 11 Septembre interpelle-t-il la modernité occidentale? La modernité est un projet de l’homme jamais achevé. Face à ce fracas dans les têtes, les cultures et les civilisations, l’Occident a une réponse exclusivement violente. Pas un mot de prise en charge de la genèse historique de cet évènement. On a tout concentré sur un personnage, qui est devenu un mythe invisible, aussi insaisissable que les djinns. Un être dont on dit qu’il existe, mais qu’on ne voit jamais et qui, quand même, agit toujours. Quelqu’un qui surgit soudain le 3 novembre, avant l’élection présidentielle américaine. Nous sommes en train de vivre une mytho-idéologie sans précédent qui atteint en premier lieu la modernité dans ses promesses et ses acquis. “Humanisme et Islam” n’est pas seulement un travail pour l’Islam. Nous, qui nous nous présentons au monde entier comme étant des Musulmans, ne pouvons rien faire si on ne s’installe pas au cœur de la critique de la modernité. On n’est pas préparé pour cela. Les Occidentaux eux-mêmes échouent à le faire. Ils sont dépassés par les nouvelles forces de l’Histoire. On découvre avec les attentats du 11 Septembre qu’un groupe de jeunes gens, qui ne sont pas des lumières de science, s’emparent de l’outil technologique pour créer un évènement considérable. Ils apprennent un élément mineur d’une technologie et ils créent dans le monde la peur, le sentiment que la toute puissance de la technologie ne suffit pas à assumer la sécurité. C’est un évènement immense. Du côté musulman, on se contente d’applaudir. Ils ont fait un coup formidable. Au lieu de s’interroger sur les conditions culturelles, politiques et économiques qui ont prévalu dans les sociétés dites musulmanes depuis l’émergence des partis-Etats dans les années 1950.Les partis qui ont contrôlé l’appareil étatique et qui ont fait la politique que nous pouvons et devons analyser. Cette politique a conduit à un certain nombre de conséquences. Il nous faut faire un bilan critique. Cela fait partie de la préparation d’une confrontation entre l’humanisme comme horizon de reconquête. Pour vous, l’humanisme c’est quoi? L’humanisme est une attitude qui concerne l’homme indépendamment de sa culture, de sa tradition et de sa religion. La question humaniste est le souci de l’homme pour l’homme. Tout ce qui peut atteindre l’homme atteint toute l’humanité directement. C’est une solidarité fondamentale et continuelle. Jusqu’à présent nous avons vécu dans des sphères fermées, dans des citadelles. Ma citadelle islamique, chrétienne, juive, hindouiste… Ensuite est venue s’ajouter ma citadelle de la modernité libératrice, qui s’est avérée plus forte matériellement et militairement que les anciennes citadelles. Nous voyons ces citadelles, aujourd’hui, incapables de combler le vide immense qui s’est creusé dans la route de la modernité et dans celles de toutes les religions. Ni l’Occident, ni les autres cultures, n’ont le souci de l’attitude humaniste. L’humanisme n’est pas un bien que l’on possède et qu’on peut faire fructifier, c’est ce que l’on vit et ce que l’on produit chaque fois. C’est cela le sens de mon dernier ouvrage. C’est un manifeste qui est en insurrection intellectuelle à la fois dans la direction de la pensée islamique et de l’histoire occidentale , avec des outils critiques qui sont ceux de l’Occident lui-même. J’ai la capacité de reconnaître ce qui est déficient dans ces outils. Toute votre œuvre était axée uniquement sur la critique de la culture islamique. Pourquoi ce revirement? C’est le 11 Septembre qui a radicalisé mon attitude. Qu’est-ce qui reste valable dans votre ancienne démarche? Je m’empare de tous les outils qui réfèrent à la tradition humaniste dans toutes les cultures du monde. Les religions ont eu le souci de l’homme, à leurs manières, avec leurs styles et dans les conditions historiques de leur développement. Mais ce souci de l’homme n’atteint pas les racines qui font que l’homme est aussi enclin à la violence qu’au désir d’idéal, de valeurs et d’harmonie. Toutes ces valeurs qui s’expriment à travers la créativité artistique et l’effort philosophique. Ce qui est constant dans ma réflexion, c’est la position critique. Mais quelle prise sur le réel et sur les consciences? Tout ce que j’ai fait est lié à ma qualité d’Algérien, qui a vécu les tragédies de son pays et les péripéties du Maghreb. Dans ce que j’écris, j’essaye toujours d’atteindre le public maghrébin et occidental. Avant le 11 Septembre, il y a toujours eu, chez tout le monde, un certain crédit accordé à la modernité. On pensait que la modernité pouvait toujours rebondir et qu’elle n’avait jamais dit son dernier mot. Je veux, maintenant, me défaire du mot “modernité”. Nous assistons à des atteintes portées à la légitimité du principe démocratique. Je suis énormément troublé par les élections aux Etats-Unis et en Angleterre, et par le zapping électoral en France et ailleurs. La démocratie a perdu cette confiance comme étant le modèle de production historique des sociétés. On ne pourra pas produire nos existences avec du zapping électoral. Il y a un échec interne du fonctionnement du modèle démocratique dans les pays où la démocratie a atteint les développements qu’on ne peut pas trouver ailleurs. Vers quoi vais-je regarder? Où est le chemin vers la légitimité? C’est cela qui a changé. C’est pour cela que ma manière de parler des deux parcours historiques de l’Occident et de l’Islam s’est radicalisée du fait de l’histoire que nous vivons depuis quatre ans. Votre critique de la pensée et de la culture islamique ne devient-elle pas moins audible après le 11 Septembre? Bien sûr. Une constante de l’attitude de ceux qui se présentent comme des Musulmans. Je ne dis pas Musulmans parce que cela n’a plus de sens. Je parle de ceux qui veulent toujours se présenter au monde comme étant musulmans. Pourquoi? Parce qu’ils ont besoin de référence identitaire. Il n’y a rien qui référerait à ce que l’on pourrait appeler la spiritualité en Islam. Qui se soucie de la spiritualité, qui est la première valeur par laquelle les religions deviennent respectables? Parce que pour le reste il n’y a plus rien à respecter. Surtout pas la Loi que nous appelons religieuse. C’est une fabrication des hommes à un moment de l’histoire. Quand je dis cela, on va dire que Mohamed Arkoun balance la Chariaâ. Cela c’est l’imaginaire que nous avons fabriqué dans le discours politique le plus officiel depuis les années 1960. Le 11 Septembre, au lieu de susciter un choc intellectuel, on a seulement dit: ce sont quelques Musulmans égarés. Ils n’ont pas droit à cet Islam. C’est nous qui sommes l’Islam. Lorsque les Almohades (de 1147 à 1269) au Maghreb voulaient chasser les Mourabitines (Almoravides de 1061 à 1147), ils ont dit : nous sommes plus orthodoxes que vous. Lutte de légitimité sur un Islam imaginaire. L’imaginaire musulman est un concept d’analyse. Qui peut réellement développer un discours critique recevable et diffusable sur l’imaginaire musulman construit, encore une fois, par le discours idéologique politique officiel? C’est lui qui a rendu cet imaginaire de l’Islam tellement amplifié qu’il sert de référence aux militants islamistes qui peuvent s’en emparer. Voilà pourquoi il n’est pas possible de dire que ce sont des jeunes gens égarés. Ils sont un produit de notre société et de notre histoire. Il faut avoir le courage de dire cela. Il y a quelque chose de pathologique dans notre parcours historique. On n’a pas mis en place une éducation appropriée pour donner à notre jeunesse les outils nécessaires qui empêchent cette catastrophe de subvertir les esprits. On peut vous répondre que les terroristes sont une déviance de la culture musulmane dominante et non son émanation. Cette culture dominante est fondée beaucoup plus sur un imaginaire que sur une culture critique, une culture rationnelle qui se préoccupe de substituer la connaissance historique à la connaissance mythologique. Cela, justement, n’est pas dans l’Ecole. Rappelez-vous comment on enseigne l’Islam à nos jeunes enfants dès l’âge de six ans. J’ai des étudiants qui ont fait des thèses sur les manuels scolaires. Je les ai dirigés vers ces sujets-là pour faire apparaître le danger. C’est cela que je vise. Ceux qui ont commis le 11 Septembre ont grandi dans cette culture-là. Ils se sont saisi d’un outil de manipulation de cet imaginaire. Il y a un terrain de recrutement, même en Europe. Cela n’est pas sorti, uniquement, dans la tête de quelques-uns. Si cet imaginaire-là ne circulait pas dans tous les milieux, il n’y aurait pas eu de recrutement. Quels sont les ressorts dans la culture arabo-islamique qui permettent de sortir de ce cercle vicieux? Je veux être optimiste. Mais je sais en même temps que nous avons perdu un temps considérable. Il suffit de poser la question: comment avons-nous enseigné les sciences de l’homme et de la société dans nos universités, qui ont été créées récemment après les indépendances? En cinquante ans on aurait pu progresser. Il y a des chercheurs intéressants, mais c’est disproportionné par rapport à l’obstacle de cet imaginaire sociologiquement dominant. Que faire? Il faut qu’il y ait une campagne plus active, qui ne peut venir que de l’Etat et de la société civile si on lui donne les libertés nécessaires pour qu’elle puisse mener cette bataille. J’ai déjà dit en 1972, dans une réunion du Congrès de la pensée islamique (une institution créée par le gouvernement algérien de 1969 à 1992) que la réponse à ce phénomène considérable d’amplification de l’imaginaire social avec des connaissances fausses, la seule réponse, c’est l’islamologie appliquée. Moi, je ne travaille pas uniquement avec des livres et des théories. J’ai des étudiants qui ont pris ce chemin, mais leur nombre demeure insignifiant par rapport à l’énormité de la tâche. Vous avez parlé de séparation entre l’Islam en tant que pensée et l’Islam en tant que religion. Cette séparation-là n’existe pas dans les mentalités ? Elle n’existe pas dans les mentalités parce que les sciences sociales ne sont pas passées par là. Vous avez des chercheurs chrétiens qui ont la foi et qui nous disent: après le christianisme, un christianisme sans religion. Je vous renvoie à Gianni Vattimo, philosophe italien très connu qui a écrit un ouvrage “Après la Chrétienté”. Pour lui le christianisme est terminé. Il n’est plus une référence. Mais il reste quelque chose dans la longue histoire de la créativité dans la sphère chrétienne dont je peux m’emparer, qui me parle et qui va parler au futur.
Est-ce qu’on peut faire le parallèle avec l’Islam? Mais bien sûr. C’est ce que je fais. Quand j’ai écrit mon livre “Critique de la raison islamique”, c’est exactement cela. Mais moi je n’ose pas dire “après l’Islam”. Vattimo est un Italien et s’adresse aux Chrétiens de l’Occident. Les Chrétiens ne s’insurgent pas et comprennent tout de suite l’idée. Il a du succès avec ce livre. En tant qu’historien de la pensée depuis une quarantaine d’années, sommes-nous plus proches ou plus éloignés de cet “après Islam”? L’idée de l’“après Islam” n’est pas dans les têtes. Je ne la trouve dans aucun discours.Le mieux que l’on fait, et là où il y a le plus d’audace, c’est de commencer à parler du Coran comme texte que je vais lire en tant que linguiste. A Tunis, Abdelmajid Charfi a formé quelques disciples. C’est un commencement. L’état de la pensée arabe du temps de la Nahda (Renaissance) était-il plus avancé que le nôtre à l’orée du 21è siècle? Elle était, psychologiquement, en position de désir et d’admiration pour la modernité. C’est une attitude favorable. Mais ce qui est défaillant, c’est d’abord nos sociétés qui étaient très archaïques. Les archaïsmes ont, aujourd’hui, diminué. En plus, quel était l’état de la modernité au 19è siècle en Europe? Elle se débattait dans des contradictions, des omissions, des oublis de l’histoire, des fragmentations de la connaissance. Les Européens étaient encore dans l’historicisme. Aujourd’hui la méthode historico-critique est dépassée. Il y a quelques jours, un jeune Tunisien me posait des questions théologiques très pertinentes. Au 19ème siècle, on lui aurait dit: Vous nous racontez des histoires. Je lui ai dit: Vos questions font partie de ma recherche. Je les fais rentrer dans mon programme d’analyse. Je vais montrer leur sens et leur genèse. Rien de ce qui sort de la bouche d’un homme ne peut être mis de côté. Même quand il s’agit de violence. C’est cela l’attitude humaniste. Est-ce que les Musulmans sont capables d’accomplir ce travail critique sur leur culture? Je suis persuadé que ce travail se fera. Il y aura des tragédies. Ce travail est inéluctable. Il est inscrit dans toutes les trajectoires de l’histoire des peuples. Je saisis des problèmes de dimension anthropologique. Ce ne sont pas des problèmes locaux essentialisés par la foi et la croyance, qu’elle soit religieuse ou moderne. Avant, on avait l’illusion qu’en utilisant des outils modernes on pouvait sortir de la religion. On n’est pas sorti de la religion. Pis encore, elle revient dans les pires conditions. Elle est accueillie par des idéologies de rupture et d’errance de la raison. Rupture avec les données du passé et errance aujourd’hui, car on ne fait qu’expédier les affaires courantes et calmer la rue pour éviter les tensions. Pour vous, l’Islam officiel, avec ses ulémas et structures de pouvoir, peut-il jouer un rôle positif dans cette démarche critique ? Pas du tout. Cela est impossible. L’Islam officiel participe de ce que j’appelle l’imposé dans la pensée islamique contemporaine.  
(Source: « Réalités » (Hebdomadaire -Tunisie) le 27 septembre 2010)

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