25 novembre 2005

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TUNISNEWS
6 ème année, N° 2014 du 25.11.2005

 archives : www.tunisnews.net


 

 
Sauvez la vie de Mohammed Abbou Sauvez la vie de tous les prisonniers politiques   Association Internationale de Soutien aux Prisonniers Politiques 33 rue Mokhtar Atya, 1001, Tunis Tel : 71 340 869 Fax : 71 351 831   Tunis, le 25 novembre 2005  

Agression sauvage d’un militant politique et défenseur des droits de l’homme

 

Hédi Triki, ex-prisonnier politique et membre du comité régional de Sfax de soutien au mouvement du 18 octobre, a été odieusement agressé  jeudi 24 novembre à huit heures du soir alors qu’il quittait son travail au centre Kemoun à Sfax à bicyclette pour rentrer chez lui. Au niveau du carrefour Teboulbi, des inconnus au nombre de quatre ou cinq lui ont barré la route et lui ont asséné un coup violent à la tête au moyen d’une barre de fer. Il en a perdu conscience. Puis ils l’ont bourré de coups de pieds et de poings sur tous le corps. Il est resté à terre jusqu’à ce qu’il soit transporté à l’hôpital de Sfax en service de neurologie pour y recevoir les soins requis. Au premier examen, il s’est avéré qu’il avait une blessure profonde à la tête et des lésions sur tout le corps, ce qui a conduit le médecin de l’hôpital à le garder en soins intensifs. Aujourd’hui, il a déposé plainte auprès du procureur de la République de Sfax par le biais de son avocat, Maître Abdelwahab Maatar, membre fondateur de l’AISPP. L’AISPP craint que cette odieuse agression n’ait un rapport avec l’activité politique de monsieur Hédi Triki au sein du comité régional de soutien aux grévistes de la faim, d’autant que des agents de la Sûreté ont répandu le bruit qu’il avait eu un accident de la route, ce qu’il dément formellement puisqu’il a vu ses agresseurs l’encercler. Rappelons que monsieur Hédi Triki a été jugé pour son appartenance au mouvement En Nahdha, qu’il a passé dix ans en prison, puis qu’il a été poursuivi pénalement pour non présentation au contrôle administratif, qui dans son cas était double : il lui était demandé de se présenter au même moment et le même jour en deux lieux différents, l’un à Sfax et l’autre à Mehdia, puis il a été privé de son droit à faire du commerce et a été privé de ce fait de tout revenu, ce qui l’avait contraint à faire une grève de la faim dans sa boutique. L’AISPP réprouve fortement le fait de cibler les défenseurs des droits de l’homme et les militants politiques. Elle demande l’ouverture sans plus tarder d’une enquête sérieuse, et la traduction en justice des agresseurs.   Le président de l’Association Maître Mohammed Nouri   (traduction ni revue ni corrigée par les auteurs de la version originale, LT)


APPEL    
 
Je soussignée Sabiha Tayachi épouse du prisonnier politique Hachmi Mekki incarcéré dans la prison Ennadhour – Bizerte en grève de la faim depuis le 7 novembre 2005 à nos jours.   Je l’ai visité aujourd’hui et je l’ai trouvé dans un état lamentable il entrait au parloir plié en deux essayant de marcher droit pour me cacher son état et qu’il est capable de continuer la grève de la faim, mais son apparence démontrait le contraire. Il avait la peau bleue au niveau du front et des sourcils ainsi que les bouts des doigts, sa voix est à peine audible et il prononçait ses mots avec difficulté. Il s’est plaint de douleurs insupportables aux reins et de coloration douteuse des urines.   Quand je lui ai demandé d’interrompre la grève de la faim, il m’a dit textuellement : « L’objectif de ma grève de faim, c’est ma libération et je sortirai d’ici soit dans la position verticale, soit dans la position horizontale. »   Ceci est l’état de mon époux, il est à l’article de la mort. Je lance mon appel à toutes les forces vives nationales et internationales pour qu’ils interviennent auprès des autorités tunisiennes pour sauver mon époux d’une mort certaine.                    Mme Sabiha Tayachi/Mekki   Adresse : 10 rue El Ouard – Menzel Bourguiba.                      Tél. : fixe : 72 460 631 GSM : 20 139 953  


IFEX – News from the international freedom of expression community

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PRESS RELEASE – INTERNATIONAL

 

25 November 2005

 

Writers from Tunisia

, Swaziland, Sierra Leone and Vietnam receive Novib

/

PEN award

 

SOURCE: Writers in Prison Committee (WiPC), International PEN, London

 

(WiPC/IFEX) – The following is a 24 November 2005 WiPC press release:

 

Novib / PEN award for writers working on forbidden website

 

On Saturday 19 November, during the Crossing Border Festival in The Hague, The Netherlands, Wim de Bie, a famous Dutch TV personality and web « blogger », presented this year’s Novib / PEN awards. The awards, granted each year by NGO Novib and the International PEN Emergency Fund to

persecuted writers, go this year to writers from Tunisia, Swaziland, SierraLeone and Vietnam.

 

Each year one of the award winners is invited to come to the Netherlands to collect the award personally. This year it was collected by the Tunisian journalist Sihem Bensedrine at a ceremony proceeded by readings and interviews with writers and performers ds. Gremdaat, Mies

Bouhuys Moris Farhi, Bhajju Shyam, Gita Wolf and Sirish Rao, and concluded with a musical performance by Ino.

 

This is the fifth annual Novib and PEN Emergency Fund award. Tunisian journalist Sihem Bensedrine is awarded as editor of the online magazine Kalima (http://www.kalimatunisie.com ), alongside her colleague, the writer and academic Om Zied (Neziha Rejiba). Both are well known for their « fight » for freedom of the press in their country and as a result both are continuously watched by the police and also suffer intimidation.

 

The Kalima website is blocked by the authorities and is only accessible outside the country. The struggle for freedom of expression was put into the international spotlight during the World Summit on Information Society, held 16-18 November in Tunis, where participants were able to witness first hand the repression of independent civil society activists.

 

Also receiving awards that day with Bensedrine and Om Zied, were Sarah Mkhonza, a writer and academic forced out of Swaziland after a campaign of harassment against herself and her family; Claudia Anthony, a journalist for the independent For di People, as well as other newspapers, forced to flee Sierra Leone because of her reporting; and the eminent Vietnamese writer, Duong Thu Huong, who was detained in the early 1990s and who has since lived under restriction and who faces difficulty in publishing in her own country.

 

The award comes with a grant of 2,500 Euro but more important than the financial support is the moral support that the award implies.

 

The Netherlands shares first place in the 2005 Reporters sans  Frontiers World Press Freedom Index (alongside Denmark, Finland, Iceland, Ireland, Norway and Switzerland). These countries offer writers and journalists the best possibilities to, for example, speak critically about their governments. However in many countries, in the best case, writers are prohibited in publishing any criticism of their governments. In the worst case they are put in jail, in dire conditions where they can be tortured or denied medical care.

 

« The term ‘freedom of opinion-expression’ can be discussed freely in the Netherlands », says Wim de Bie, who handed over the awards on Saturday.

« In many other countries one cannot even mention freedom of opinion-expression.

Therefore I am very honoured to announce the names of those who have Dared to do so nevertheless. »

 

The PEN Emergency Fund has been helping persecuted and abandoned Writers since the 1970s. The Fund grants one off money amounts to writers who are imprisoned and in need because of their writings. NGO Novib (Oxfam Netherlands) is one of the organisations that make the activities of  PEN Emergency Fund possible.

 

For more information on Novib go to http://www.novib.nl

For more information on International PEN and its work for writers

Under attack go to: http://www.internationalpen.org.uk

 

For further information, contact Sara Whyatt, at the WiPC, International PEN, 9/10 Charterhouse Buildings, Goswell Road, London EC1M 7AT, U.K., tel: +44 207 253 3226, fax: +44 207 253 5711, e-mail: swhyatt@wipcpen.org, intpen@gn.apc.org, Internet: http://www.internationalpen.org.uk

 

The information contained in this press release is the sole responsibility of WiPC. In citing this material for broadcast or publication, please credit WiPC.

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Un sommet pour relancer un dialogue euro-méditerranéen qui fête ses dix ans

 

AFP, le 25.11.2005 à 08h06

 

Par Amélie BOTTOLLIER-DEPOIS

             

            BRUXELLES, 25 nov 2005 (AFP) – L’UE et ses dix partenaires  méditerranéens se retrouvent à Barcelone (Espagne) les 27 et 28  novembre pour relancer un partenariat qui n’a pas comblé tous les  espoirs formulés lors du lancement, il y a dix ans, d’une  coopération axée désormais sur la lutte contre le terrorisme et  l’immigration.

            Le 28 novembre 1995, la déclaration de Barcelone, lançant le  processus du même nom, avait jeté les bases d’un triple partenariat  ambitieux: politique et de sécurité, économique et financier, et  enfin social, culturel et humain.

            « Nous avons accompli beaucoup. Mais bien sûr nous devons  continuer parce qu’il y a encore beaucoup à faire », fait valoir la  commissaire européenne aux Relations extérieures Benita  Ferrero-Waldner.

            « La principale réussite de Barcelone est certainement le  commerce », poursuit la commissaire, même si l’objectif de création  en 2010 d’une zone de libre-échange entre l’UE et ses dix  partenaires (Algérie, Egypte, Israël, Jordanie, Liban, Maroc,  Autorité palestinienne, Syrie, Tunisie, Turquie) reste loin d’être  atteint pour de nombreux experts.

            Concernant les volets social et politique, les résultats  semblent encore plus modestes.

            Mais selon Eberhard Rhein, conseiller au European Policy Centre  (Bruxelles), « le processus de Barcelone n’est ni un succès ni un  échec ».

            « Il faut toujours juger un événement historique par rapport à un  objectif fixé à un moment donné. Et à l’époque, le but était  d’établir la prospérité et le libre-échange », explique-t-il, faisant  valoir que les priorités ont changé avec l’émergence au premier plan  du terrorisme.

            La réunion Euromed, organisée pour la première fois au niveau  des chefs d’Etats et de gouvernement, « devrait être une étape  majeure de la lutte contre le terrorisme », indique la présidence  britannique de l’UE, qui espère l’adoption d’un « code de conduite »  contre le terrorisme.

            « Il serait utile que les pays qui ont une population à majorité  musulmane saisissent l’occasion pour dénoncer clairement le  terrorisme », estime le président de la Commission européenne José  Manuel Durao Barroso.

            Le combat contre le terrorisme fait d’ailleurs partie d’un  programme de relance du processus de Barcelone que les 35  partenaires devraient adopter.

            Cette feuille de route établie pour cinq ans insisterait  également sur une approche stratégique de l’immigration, « problème  qui existait déjà il y a dix ans, mais qui est devenu plus crucial »,  selon M. Rhein.

            Le gouvernement espagnol, co-organisateur du sommet avec le  Royaume-Uni, ne devrait pas ainsi manquer d’évoquer avec ses  partenaires les clandestins subsahariens qui tentent de rejoindre  l’Europe en passant par les enclaves espagnoles au Maroc.

            D’autre part, même en l’absence du Premier ministre israélien  Ariel Sharon, le conflit israélo-palestinien devrait, comme à chaque  réunion depuis dix ans, s’inviter au sommet de Barcelone.

            Ces multiples rencontres n’ont certes pas conduit à des  résultats très « fructueux », note M. Rhein, mais elles ont eu au  moins le mérite de faire asseoir régulièrement Israéliens et  Palestiniens à la même table.

            De manière plus générale, l’UE aimerait accélérer l’évolution  politique au sud de la Méditerranée, grâce à ce dialogue régulier  avec tous ses voisins qu’elle considère en lui-même comme une  avancée.

            L’Europe aimerait notamment voir la mise en place d’un processus  Euromed d’observation des élections chez ses partenaires.

            « Ce que nous devrions faire plus à l’avenir, c’est accompagner  tous ces pays dans leur propre processus de réforme concernant  l’Etat de droit, la démocratie et les droits de l’Homme », résume Mme  Ferrero-Waldner.

 


 

 

Sommet euro-méditerranéen sur fond de divergences

Reuters, le 24.11.2005 à 17h52

 

par Yves Clarisse

 

            BRUXELLES, 24 novembre (Reuters) – L’Union européenne et les pays du Sud de la Méditerranée tenteront dimanche de relancer leur coopération lors d’un sommet marqué par l’absence de plusieurs personnalités et des divergences sur le terrorisme.

            Il y a deux façons opposées de présenter le sommet de Barcelone, qui célébrera pendant deux jours le 10e anniversaire du processus du même nom par une « première », la réunion des chefs d’Etat et de gouvernement des 35 pays concernés.

            Les volontaristes voient les choses du bon côté.

            « Le simple fait de rassembler 35 gouvernements au plus haut niveau ne devrait pas être pris à la légère », a déclaré jeudi le président de la Commission européenne José Manuel Barroso.

            Aux côtés des Vingt-Cinq, on trouvera les représentants de neuf pays – Maroc, Algérie, Tunisie, Egypte, Jordanie, Israël, Turquie, Liban et Syrie -, et de l’Autorité palestinienne qui se sont souvent fait la guerre dans le passé.

            Forts de la réconciliation franco-allemande qui a permis l’unification de l’UE après 1945, les Européens se posent en exemple pour les pays du pourtour de la Méditerranée.

            « Nous avons été capables de détruire le mur à l’Est, nous devons être capables de construire un pont vers le Sud », a ajouté Barroso, qui dresse un bilan positif de la coopération.

            En 10 ans, l’UE a conclu avec tous ces pays des accords d’association – pour la Syrie, sa signature attend pour des raisons politiques – qui permettent à leurs produits industriels d’entrer sans droits de douane sur le territoire européen.

           

ZONE DE LIBRE-ÉCHANGE

 

            L’objectif est de créer une zone de libre-échange euro-méditerranéenne à l’horizon 2010 et les négociations commenceront dès l’an prochain pour y inclure les produits agricoles et les services qui intéressent surtout ces pays.

            Les Européens estiment que cela pourra contribuer à créer les cinq millions d’emplois dont le pourtour de la Méditerranée a besoin chaque année en raison de sa démographie galopante.

            Vingt milliards d’euros – 9 milliards de dons et 11 milliards de prêts – ont été accordés à la région depuis 1995, à des projets qui vont de l’éducation à l’assainissement des eaux usées en passant par le soutien à l’économie palestinienne.

            Tout n’est pas parfait, reconnaît la Commission, qui insiste sur l’ambitieux plan d’action pour cinq ans qui sera adopté à Barcelone pour avancer dans une série de domaines.

            L’UE veut soutenir l’émergence de la démocratie dans ces pays, tout en notant, comme Barroso l’a fait, qu’il est désormais possible de parler de droits de l’homme avec eux alors qu’il y a dix ans ils refusaient toute « ingérence » européenne.

            Un « fonds de gouvernance » récompensera les bons élèves en la matière, l’accent sera mis sur l’éducation avec le financement accordé à des étudiants du Sud pour étudier en Europe et les Vingt-Cinq apporteront leur aide à des mesures de contrôle de l’immigration illégale afin d’éviter des drames humains.

            Enfin, l’UE espère que les deux parties pourront adopter une déclaration conjointe sur le terrorisme qui engagera les 35 pays à arrêter et à juger les auteurs de tels actes.

           

ABSENTS DE MARQUE

            Mais les sceptiques voient le verre à moitié vide et soulignent que le bilan du processus de Barcelone est maigre.

            Le poursuite du conflit israélo-palestinien a miné l’idée de départ qui, deux ans après les accords d’Oslo de 1993, était de créer une zone de paix autour de la Méditerranée.

            Les événements qui ont fait les gros titre au Proche-Orient ne permettront pas à l’Espagne, qui organise ce sommet avec la présidence britannique de l’UE, de réaliser son rêve de mettre côte à côte le Premier ministre israélien Ariel Sharon et le président syrien Bachar al Assad.

            Londres n’a invité que le ministre syrien des Affaires étrangères en raison des accusations formulées contre Damas par la commission d’enquête de l’Onu après l’attentat qui a tué l’ancien Premier ministre libanais Rafic Hariri.

            Le président libanais Emile Lahoud, également éclaboussé par le rapport de la commission d’enquête, a décidé de s’abstenir et d’envoyer son chef de la diplomatie – « ce qui arrange tout le monde », a expliqué un diplomate familier du dossier.

            Ariel Sharon sera absent en raison de la situation politique en Israël, et ni le roi du Maroc, ni celui de Jordanie ne seront à Barcelone, où leur présence aurait représenté un symbole.

            Il sera également difficile de parvenir à un accord sur une déclaration commune concernant le terrorisme.

            De nombreux pays arabes veulent d’abord une définition du terme – ils estiment que la résistance à l’occupation israélienne des territoires occupés est légitime – alors que pour l’UE tout acte de cette nature est condamnable.

            Les critiques fusent aussi sur d’autres points.

            « L’aide a été utilisée pour améliorer les infrastructures dans la région, surtout en Egypte, mais le processus de Barcelone n’a rien fait pour encourager de vraies réformes économiques ou politiques », estime Nathalie Tocci, de l’Université européenne de Florence.

 

 


 

La Libye veut une conférence internationale sur l’immigration clandestine

 

AFP, le 25.11.2005 à 15h02

  

            ROME, 25 nov 2005 (AFP) – Le ministre libyen de l’Intérieur,  Nasser Al-Mabruk, a appelé les pays européens à davantage de  coopération pour lutter contre l’immigration clandestine et a  proposé l’organisation d’une conférence internationale sur ce thème  dans son pays.

            L’immigration clandestine « est un phénomène mondial et doit être  combattue au niveau mondial », a déclaré le ministre après une  rencontre à Rome avec son homologue italien Giuseppe Pisanu  (centre-droit).

            « La Libye supporte les conséquences de l’immigration clandestine  comme l’Europe », a-t-il poursuivi, ajoutant : « on souligne souvent  le fait que des milliers de personnes arrivent dans les pays  européens, mais personne ne parle du million d’immigrés qui vivent  en Libye, soit 20% de la population totale. Quel autre pays connaît  un taux similaire ? »

            L’Italie et la Libye coopèrent depuis plusieurs années pour  lutter contre l’immigration clandestine, et la Cour des comptes  italienne a récemment révélé que Rome aidait financièrement Tripoli  à construire des centres de rétention sur son territoire.

            « Nous espérons que d’autres pays africains et européens  affrontent le problème » ensemble, a ajouté M. Al-Mabruk. « Nous avons  l’intention d’organiser en Libye une grande réunion internationale  sur le thème et nous nous sommes déjà entendus avec la  Grande-Bretagne et la France, outre l’Italie », a-t-il précisé.

            Le ministre affirme que quelque 40.000 immigrants clandestins  ont été interceptés sur le sol libyen depuis le début de l’année  2005.

            Selon les chiffres officiels italiens, plus de 15.000 immigrants  ont été arrêtés près de la Sicile depuis le début 2005.

            L’Italie a organisé plusieurs fois cette année des expulsions  collectives d’immigrants vers la Libye, s’attirant des critiques de  la part d’ONG ou d’institutions internationales.

            Le Parlement européen avait demandé en avril dernier à l’Italie  de « s’abstenir d’expulsions collectives de demandeurs d’asile et de  +migrants irréguliers+ vers la Libye », car ce pays n' »est pas  signataire de la Convention de Genève » sur les réfugiés.

 


 

 

 

Tunisie: décès du reporter photographe Béchir Manoubi

Associated press, le 24.11.2005 à 21h36

 

           

            TUNIS (AP) — Figure emblématique de la scène sportive tunisienne, africaine et internationale, le reporter photographe tunisien Béchir Manoubi est décédé jeudi à l’âge de 75 ans des suites d’une longue maladie.

            Mondialement connu, celui qu’on appelait affectueusement « Oncle Manoubi » se distinguait par son fameux sombrero mexicain et sa tunique sur lesquels il collait un nombre incalculable de pins et

écussons des pays qu’il a sillonnés tout au long de sa longue carrière et des grandes manifestations sportives qu’il a couvert dès son jeune âge.

            Depuis les Jeux olympiques de Tokyo en 1960, il n’a raté presque aucune grande compétition régionale et internationale, dont les phases finales des différentes coupes du monde.

            Bien que visiblement affaibli par la maladie, il a tenu à être présent en octobre dernier au stade de Radès, près de Tunis, lors de la rencontre décisive Tunisie-Maroc qui a vu l’équipe tunisienne se qualifier pour le Mondial allemand de 2006.

            Son album personnel très étoffé renferme des photos prises avec bon nombre de figures sportives légendaires tels le roi Pelé, Maradona, le champion olympique tunisien (5.000m Mexico 1968) Mohamed Gammoudi et l’ancien champion du monde des lourds Mohamed Ali Clay, le défunt ayant été lui-même champion de Tunisie de boxe en 1959-1960.

            Il a reçu des décorations de plusieurs pays et organismes sportifs, dont celle du Comité olympique international (CIO).

            « Il était notre maître et le meilleur ambassadeur du sport tunisien », a déclaré, attristé, le jeune reporter photographe Habib Hmima.

            Dans un message de condoléances adressé à sa famille, le président tunisien Zine El Abidine Ben Ali a rendu hommage à sa contribution pour « la préservation de la mémoire collective sportive ».

 

Rappel pour celles et ceux que ça intéresse

 l’ATF (Association des Tunisiens en France) et APEL (Association Pour l’EgaLité) vous invitent à

une conférence-débat

le 26 novembre 2005 à partir de 14h 30,

à la Maison du Monde, 509 patio des Terrassses

91000 Evry RER D Evry Courcouronnes

 « Les droits de l’Homme à l’épreuve des droits des Femmes au Maghreb »

Avec : Mr Abdelwahab BIAD, maître de conférence à l’université de Rouen

    Mme Hafida CHEKIR, maître de conférence à l’université de Tunis.

Après une présentation des traités et conventions internationaux ratifiés par l’Algérie concernant les droits des femmes, la Charte arabe des droits de l’Homme, nouvellement ratifiée, sera plus particulièrement développée. C’est dans ce cadre global que seront exposés les statuts des personnes dans les différents pays du Maghreb afin de déterminer si ces textes internationaux sont une avancée ou un recul pour les droits des femmes.

Ces textes seront présentés par Mr Abdelwahab BIAD, maître de conférence à l’université de Rouen et Mme Hafida CHEKIR, maître de conférence à l’université de Tunis.

Les débats seront animés par Mme leila BENALLEGUE et Mme Nadia CHAABANE.

 


 
La grève de la faim héroïque observée par huit personnalités tunisiennes du monde politique et associatif s’est terminée  « en fanfare » .   En effet, c’est sous les feux des médias étrangers encore présents pour couvrir la clôture du Sommet Mondial sur la Société de l’Information, et en présence de personnalités d’envergue internationale, que les grévistes de la faim ont choisi de mettre fin à une épopée sans précédent qui a duré 32 jours.   D’aucun ne contestent l’apport indéniable de la grève de la faim dans la dynamisation d’une société civile jusque là en panne de projet et en proie à un doute structurel.   Oui, cette grève de la faim a sonné le glas au « centralisme militant tunisois ». La décentralisation de l’action contestataire et son internationalisation, l’essaimage organisationnel, le nouvel esprit combatif et offensif des militants, l’atténuation du clivage idéologique au profit d’actions unitaires, l’étalage au grand jour des limites d’un régime on ne peut plus médiocre lorsqu’il est en difficulté, sont les conséquences heureuses d’une grève qui a largement dépassé les objectifs qu’elle s’est assignée un 18 octobre mémorable.   Pour autant cette sortie « spectaculaire » ne doit en aucun cas se transformer en un dangereux réflexe d’autosatisfaction porteur de toutes les carences et qui condamnerait la société civile tunisienne à « l’activisme théâtral » des grands évènements.    Entretenir l’espoir suscité par la grève de la faim est la tâche prioritaire et urgente des acteurs du mouvement du 18 octobre, qu’ils soient grévistes, soutenants ou autres.   Le groupe Alkarama qui s’est rangé aux côtés des grévistes de la faim et mis à leurs dispositions des moyens de pression et d’action importants, appelle les Tunisiens à préserver cette dynamique positive et à participer à toutes les actions citoyennes pacifiques qui œuvrent pour le recouvrement de la dignité et de la liberté nationales malmenées et bafouées par de longues années de dictature.   C’est de ce contexte grave et responsabilisant que la « Campagne Alkarama pour le Changement Démocratique » tire sa légitimité et puise son énergie pour donner une nouvelle impulsion à notre combat collectif contre la dictature et contre la médiocrité.      Campagne Alkarama, le 25 novembre 2005   Chokri Hamrouni http://www.alkarama.net/article.php3?id_article=53


   En Post-Congré SMSI 2005 à Tunis et en Post-Action du 18 Octobre 2005 , il reste beaucoup à faire.

 

VOUS ETES LIBRES , MAIS VOUS N’AVEZ PAS DE PLACE PARMI NOUS.

 

          En Tunisie du Général Zine El Abidine Ben Ali, la liberté d’_expression n’est permise que pour creuser encore plus le clivage entre la société civile rebelle à la dictature policière et la base populaire.  

         Cette mission n’est attribuée qu’à la servitude officielle des mercenaires de la désinformation structurée dans des mécanismes de la cosmétique propagandiste pour la mobilisation forcée.

          Les espaces publics ne sont reservés qu’au Parti au pouvoir et ses dérivés.

          La tour culminante de son siège  » RCD  » en plein centre de Tunis est révélatrice d’une domination mobilisatrice qui constitue un obstacle sinon un danger pour le pluralisme politique et la démocratisation de des institutions de l’état .

         Au fait , l’état c’est le Parti , et le Parti c’est l’état .

         Et , en définitif , c’est Ben Ali qui fait la loi en Tunisie .

          A prendre ou à laisser !

          L’information est donc baillonnée en Tunisie et ne fait que monter la tension , le désarroi et l’indignation des citoyens .

          Tous les journaux s’y ressemblent .

          La chaine officielle de télévision  » T V 7  » rumine toujours le même discours du même décor .

          Son télé-journal y est touristique plutôt qu’informatif .

          Il suffit , alors , de lire un seul journal des quotidiens Tunisiens pour savoir le contenu des autres puisque la filtration de l’information est sequestrée par les griffes de l’état policier .

          Dans ce pays de vie paisible , la peur du flic et des complots de la milice du parti au pouvoir est palpable .

          Tout citoyen est suspect , vis à vis de l’autorité , jusqu’à preuve du contraire .

          La manipulation de la magistrature par la police politique face aux fléaux de la corruption et de la désinformation érosives n’ont laissé de recours de reconstitution des ponts de confiance entre la classe dirigeante et la base terrorisée par la violence de l’état bandit .

         Cette magistrature est sous l’oeil et l’ordre de l’appareil exécutif pour contribuer à l’instauration de la compression sociale et du calme politique fragile aux yeux des visiteurs d’un pays touristique .

        La vie y est fébrile et pénible sous l’étau de la police et des contraintes de la milice où l’état a fusionné avec le parti au pouvoir qui , à son tour , s’est dissimulé dans l’appareil policier et inversement .

          L’appareil exécutif s’est procuré , donc , une attitude de provocation à des fins de profit et de corruption en jouissant de ses prérogatives des muscles et de l’arbitraire sous une totale immunité à l’impunité judiciaire et administrative .

          L’autorité au pouvoir s’est toujours réservée le droit d’investir l’argent public dans les frais de la cosmétique propagandiste de circonstances pour dissimuler la réalité.

          La sensation de l’amertume à l’égard de la compression politique et à la dégradation des libertés a engagé la voie des sacrifices du militantisme pour reconquérir le minimum de droits fondamentaux les plus élémentaires .

           Si l’obtention d’une carte d’identité nationale est une faveur civique , l’attribution d’un passeport n’est que la résultante d’une générosité de l’état-bandit après une enquête miliciaro-policière au CV d’activités politiques et/ou syndicales du demandeur .

           Si le recrutement à la fonction publique est un don du ciel , manger et se taire n’est qu’une charité de l’état .

          La compétence et les diplômes n’ont aucune considération face à l’engagement à la servitude inconditionnelle de la dictature policière .

           Si l’installation de promoteurs et d’investisseurs Tunisiens au secteur privé est une faveur autorisée par l’état pour une certaine autonomie financière , la contribution corruptive à la promotion de l’arbitraire et de la loi des muscles n’est qu’un droit de l’état extirpé aux citoyens Tunisiens pris en otages entre le coupe-ressource et la docilité face à la gangrène socio-politique et économique .

  A suivre …

 Dr. SAHBI AMRI

Médecin Privé de sa Médecine

Cité El-Wouroud. Sidi Bouzid 9100

Tel. 00.216.98.22.27.51 


 

 

 Alternatives Citoyennes 

Éditorial

 

Cette « toute petite minorité hostile »

Au SMSI, une répression en haut débit

 

 

 u soir de la clôture du SMSI, vendredi 18 novembre, sur la chaîne de télévision Arte, le ministre tunisien des affaires étrangères, Abdelwaheb Abdallah, grand censeur devant l’éternel et maître es propagande de l’État parti, dénonçait en Français facile « une toute petite minorité hostile », dépeinte comme une coalition d’extrémistes de droite et de gauche, « ainsi qu’il s’en voit ailleurs ».

 

Hostile ? À qui, à quoi ? Voilà bien un langage qui témoigne d’une conception infra politique de la gestion des affaires publiques. Car la chefferie clanique et l’oligarchie prébendière, qui s’approprient la direction de l’État, parasitent la vie publique, thésaurisent le bien de la nation et se donnent comme les parangons du patriotisme, appréhendent comme une guerre contre elles l’ensemble des initiatives républicaines questionnant la gouvernance et se posant en alternance.

 

Ainsi l’opposition qui, en tout autre État de droit serait traitée avec la civilité des usages démocratiques, se trouve assignée en Tunisie à un régime sécuritaire, le pays étant bouclé comme en état de siège. Derrière le côté jardin de notre pays, les hôtes du SMSI invités aux grands frais des contribuables, accueillis et raccompagnés avec des fleurs, ont découvert un sinistre et stupide côté cour : l’organisation d’un sommet citoyen déjoué comme un complot contre l’État ; son lieu de préparation, l’Institut Goethe, évacué manu militari ; son médiateur, l’ambassadeur d’Allemagne auprès des Nations Unies à Genève, surpris au café avec les « insurgés », sommé par la police de produire ses papiers d’identités !

 

Dans le registre insensé et contre-productif, pouvait-on faire mieux ?

 

Eh bien, on le fit : repéré, suivi, escorté, dans un pays quadrillé au millimètre par la police et l’armée, le journaliste de Libération, Christophe Boltanski – auquel notre journal adresse ici toute sa sympathie – fut sauvagement agressé. Dans la foulée, d’autres journalistes étrangers ainsi que Robert Ménard, secrétaire général de RSF, furent victimes eux-mêmes des différentes modalités d’une « expression sous la répression », thématique d’un panel d’ONG européennes, dans le cadre du SMSI, qui fut menacé d’interdiction…

 

Quel lamentable fiasco d’une opération de prestige pour le régime du président Ben Ali, qui eût pu être, avec un peu plus de sens politique, une vraie chance pour la Tunisie !

 

Car outre la démonstration que notre pays pouvait être une destination technologique compétitive, riche de compétences et de savoir-faire, ce Sommet aurait pu associer dans une trêve, voire une forme de consensus, nos gouvernants, nos élites et notre société civile autour des valeurs de progrès et de démocratie, dans un débat international pour la réduction de la fracture numérique et pour le rééquilibrage de la gouvernance d’Internet.

 

À l’inverse, nous avons exposé notre déchirure aux gouvernements, aux ONG et aux médias étrangers qui prirent la mesure de l’imposture, du scandale et de la honte s’abattant, par la responsabilité d’une autorité sans partage, sur un petit pays pourtant à l’avant-garde du monde arabo-musulman.

 

Y a-t-il d’ailleurs meilleure illustration de cette décadence que des leaders politiques et associatifs réduits à entreprendre une grève de la faim, l’arme des désespérés, se mutilant eux-mêmes dans un ultime appel à l’aide ? C’est alors qu’enfin, les gouvernants américains, européens et finalement français prêtent l’oreille, disent leur déception, leur inquiétude, leur protestation !

 

Pauvres élites politiques, amenées à se martyriser ; pauvres jeunes, euphoriques de lever le poing devant une caméra ; pauvres femmes émancipées, servant d’alibi à un régime musclé ; pauvre société jusqu’ici si éduquée, si entreprenante et si modernisée, désormais ouvrant des autoroutes de l’information aux cavaliers d’Ennahdha que cheikh Rached Ghannouchi, grand stratège en sous-main de la grève de la faim et d’une alternance conservatrice annoncée, lance contre une dictature présumée laïque et contre tous les apôtres du rationalisme, défenseurs de la Tunisie moderne inaugurée à l’Indépendance.

 

Responsable de cette dérive vers une régression sociale et culturelle, le pouvoir tunisien prendra-t-il enfin garde à ce que n’enflent pas les rangs de cette toute petite minorité hostile ? La délégation du Président du Comité supérieur des droits de l’homme et des libertés fondamentales auprès de la société civile et des mouvements d’opposition, et surtout le rappel (de Damas où il était ambassadeur) de Mhamed Ali Ganzoui comme Secrétaire d’État en charge de la sûreté nationale, sont-elles des réponses à cette redoutable éventualité ?

 

(Source : « Alternatives Citoyennes », N°17, mis en ligne le 24 novembre 2005)

URL : http://www.alternatives-citoyennes.sgdg.org/num17/editorial-w.html


 

 

La grève de la faim ressource l’opposition tunisienne, ses méthodes et ses enjeux

Néjib Chebbi sera-t-il le leader de l’alternance ?

 

 

Les grévistes de la faim ont suspendu sous les caméras leur jeûne protestataire au moment même où se clôturait le Sommet mondial sur la société de l’information. En cela, les sept grévistes (le huitième, Me Raouf Ayadi, ayant interrompu sa grève pour des raisons médicales) ont tenu leur engagement de ne pas cesser leur combat avant le 18 novembre, fût-ce au prix de leur vie. En cela, ils forcent notre considération et ils méritent d’autant plus notre salut que cette prise de risques vitaux s’est faite au nom de la défense des libertés fondamentales, particulièrement celles de la liberté d’expression, de presse et d’information, au coeur de la société du savoir, ainsi qu’au nom de la libération des prisonniers politiques qui sont, en Tunisie, des prisonniers d’opinion. Ces fondamentaux-là ne sont ni discutables, ni négociables et par delà les chapelles, ils rassemblent dans un commun combat contre une tyrannie aussi insensée qu’obsolète « la petite minorité hostile » décrite par Abdelwahab Abdallah, ministre des Affaires étrangères, sur Arte, le 18 novembre. On y retrouve à titre individuel ou collectif, tous les démocrates tunisiens organisés ou non.

 

En première ligne toutefois, au-delà des quatre formations politiques (PDP, CPR, PCOT et Ennahdha), on remarquera que derrière leurs leaders mis en grève et derrière les associations ralliées à cette offensive (Mokhtar Yahyaoui du Syndicat autonome de la magistrature et Lotfi Hajji pour le Syndicat autonome des journalistes), ce sont le barreau, la magistrature et le journalisme qui structurent cette nouvelle initiative. C’est une grande différence avec l’Initiative démocratique (ID), davantage liée à l’université et aux professions libérales. Schématiquement, on relèvera que la jeunesse estudiantine se retrouve également partagée entre l’ID (avec le mouvement des Communistes démocrates de Mohamed Kilani) et cette nouvelle coalition avec les étudiants du PCOT de Hamma Hammami. Contrairement à la base de l’ID, plus âgée, le recrutement de ce quatuor s’opère d’une manière générale plutôt chez les quadragénaires, peu francophones, produits de l’arabisation de l’enseignement réalisée dans les années 80 par l’ancien ministre et Premier ministre Mohamed Mzali très proche des pays du Golfe et qui s’acoquina avec les islamistes.

 

Sociologie de la coalition des grévistes

 

En relation avec cette sociologie un peu rapide et d’après l’histoire de ce qu’il faut bien distinguer désormais comme deux initiatives en compétition, on dégagera chez les grévistes de la faim un renouvellement des méthodes de lutte plus conformes au profil de cette dernière classe politique. De leur trajectoire individualisée et ces dernières années plus concertée, on ne peut que les décrire plus radicaux, plus nettement en rupture avec le pouvoir, dans leurs communiqués, leur expression journalistique, leur choix circonstanciels, marqués de manière récurrente par un refus de participer à des ambiguïtés électorales ou résistant à la tentation du compromis.

 

Certes, cette caractérisation flatteuse soulèvera bien des objections auxquelles nous consentons d’avance et que même nous anticipons : ainsi, si le CPR du Dr Moncef Marzouki s’est dès le départ positionné frontalement contre le régime Ben Ali, on ne peut en dire autant de l’ex-RSP devenu PDP et encore moins de son chef, Me Néjib Chebbi à l’itinéraire compliqué. Sa rupture décisive avec le pouvoir date de 1999 et ses premières atteintes au sommet de l’État sont toutes récentes.

 

À l’inverse, le PCOT est traditionnellement dans une opposition turbulente et sans concessions, en dehors d’un petit épisode trouble au tout début du régime du 7 novembre. Quant à Ennahdha, ses divisons exposées par à coups jusque dans une période récente témoignent des fluctuations de sa radicalité, tandis qu’en coulisses s’entreprennent des négociations avec le pouvoir.

 

Toutefois, au jour d’aujourd’hui, le quatuor (où Ennahdha a remplacé la formation plus raisonnable et plus moderniste du Dr Mustapha Ben Jaafar), se donne à lire comme une initiative résolue revendicative, elle rassemble une classe politique très éloignée de l’establishment classique de l’opposition plus porté au séminaire, au conclave et au conciliabule qu’à l’occupation des rues. La coalition des grévistes semble prête à l’affrontement avec le pouvoir mais, hélas, pas seulement avec lui !

 

Un bon coup politique

 

Il s’agit donc d’un renouvellement de la classe politique en lutte contre le régime et plus précisément de son ressourcement autour d’enjeux qui ne sont « démocratiques » qu’en tant que mécanismes de conquête du pouvoir, d’imposition de l’alternance politique.

 

Mais ces enjeux sont aussi culturels et cheikh Rached Ghannouchi, chef historique d’Ennahdha et stratège en sous main de ce bon coup politico-médiatique, développe dans 3 communiqués successifs, les objectifs du mouvement du 18 octobre : sans doute s’agit-il prioritairement de démasquer, voire de déstabiliser le régime en place mais il s’agit aussi de lancer « les cavaliers de l’Islam » contre ses prétendus alliés que sont à ses yeux les chantres du rationalisme et de la laïcité. Rappelons que « cavaliers » est aussi le nom de baptême du groupe islamiste qui a tenté au printemps dernier un coup d’État contre l’ancien régime du président mauritanien, Maaouiya Ould Taya. Enfin, l’émir Ghannouchi fait aussi de ces cavaliers des « fedayin », résonance palestinienne qui évidemment attire toutes les sympathies.

 

C’est donc un arabo-islamisme bien dans l’air du temps que véhicule le projet politico-culturel du mouvement du 18 octobre. À coup sûr, ce projet emportera l’adhésion de la société qui, depuis des années, est travaillée au corps à corps par le prosélytisme charitable des islamistes, compatissante à leurs souffrances et acquise à leurs usages sociaux.

 

Dans la Tunisie profonde, celle des villages, des bourgs et des périphéries urbaines mais aussi celle d’une citadinité moyenne de cadres techniciens et fonctionnaires, tel est l’ancrage social du mouvement islamiste qui n’apporte pourtant qu’une réponse politico-culturelle à la crise économique où devrait s’enfoncer la Tunisie.

 

Dans cette coalition éclectique inaugurée spectaculairement le 18 octobre, mais préparée de longue date par un calendrier de rencontres et concertations à l’occasion de différents événements, jusqu’où les autres partenaires d’Ennahdha vont-ils suivre son projet culturel régressif (par rapport aux acquis modernistes de la Tunisie) ? Jusqu’où ces mêmes partenaires du mouvement fondamentaliste adhéreront-ils à son alternative politique et sociétale qui, au mieux, serait la perspective d’une démocratie musulmane conservatrice, selon le modèle turc ?

 

Cette orientation-là pourrait séduire peut-être la filiation de l’islamisme progressiste du groupe 15 21 (Slah Jourchi ? Lotfi Hajji ?) ou le courant du juge Mokhtar Yahyaoui ainsi que la tendance du CPR qu’incarne Raouf Ayadi, ou encore une fraction voisine du PDP. Mais les branches plus rationalistes de ces deux derniers mouvements et le PCOT suivront-ils ces perspectives aux antipodes de ce qui fit leur histoire, leur identité et l’objet de leur combat ?

 

Quant au comité de soutien dirigé par la féministe Sana Ben Achour, on reste perplexe devant ses ambiguïtés, pour ne pas dire ses carences de discernement, de clarté et de rigueur dans la solidarité apportée au mouvement du 18 octobre !

 

Le bon plan de Néjib Chebbi

 

Sans chercher à personnaliser le mouvement, on ne peut toutefois faire l’économie d’évoquer le leadership que semble devoir incarner Néjib Chebbi. Cet avocat d’une illustre famille du Sud allié à la grande bourgeoisie tunisoise et rompu à toutes les acrobaties politiques qui l’ont mené du Baathisme à l’Aamel tounsi puis au PDP-RSP, puis du soutien public à Ben Ali jusqu’à son affrontement direct avec le président, apparaît aujourd’hui comme le challenger issu du mouvement du 18 octobre, le plus présentable aux occidentaux. Il semble coiffer au poteau, comme candidat d’un arabo-islamisme modéré, le Dr Moncef Marzouki qui s’est exclu lui-même de la compétition en s’absentant trop longtemps du terrain des luttes, la Tunisie.

 

Longtemps porteur d’une idéologie baathiste vaguement teintée de marxisme, Néjib Chebbi agrémente sur le tard sa rhétorique nationaliste arabe de quelques sourates et son progressisme d’un libéralisme obligé. Bel homme, d’allure racée, affable et courtois mais d’une redoutable flexibilité idéologique, il peut plaire à de nombreux courants.

 

Il pourrait plaire également à un certain nombre de cadres et militants éclairés du RCD qui semblent exaspérés (si l’on en croit les remous à l’intérieur de ce parti) du dévoiement de cette grande formation politique de l’Indépendance et qui veulent simplement vivre avec leur temps, c’est-à-dire celui de la démocratie : faut-il interpréter dans ce sens, comme un appel du pied, la disculpation du RCD dans la dérive politique que semble suggérer Néjib Chebbi dans son interview au Figaro (16 novembre) ?

 

Préféré d’Ennahdha qui lui fait la courte échelle vers le pouvoir, Néjib Chebbi ne devrait pas déranger l’administration américaine dont il reçoit chez lui les diplomates. Ses préférences anglo-saxonnes ne sont un secret pour personne et autant que l’ancien ministre Mohamed Charfi fut présenté comme l’homme de la France et de l’Europe, Néjib Chebbi est, dans le contexte du Grand Moyen Orient, le candidat idéal d’un consensus national qui acheminerait la Tunisie vers une transition démocratique à l’américaine, où l’évolution de la gouvernance croiserait les aspirations de la Tunisie profonde et les intérêts des États-Unis.

 

En cette fin de règne Ben Ali, c’est certainement, au moins pour quelques années, un bon plan pour Néjib Chebbi. Mais en est-ce un aussi pour la Tunisie moderniste ?

 

 

 Nadia Omrane

 

(Source : « Alternatives Citoyennes », N°17, mis en ligne le 24 novembre 2005)

URL : http://www.alternatives-citoyennes.sgdg.org/num17/actualite-w.html

 


 

Mouvement du 18 octobre : unanimité ou unanimisme ?

 

 

La grève de la faim menée par certaines personnalités de l’opposition suscite quelques dissonances qui s’expriment dans ce numéro par les voix de Neïla Jrad et d’Ilhem Marzouki qui pointent, sous une unanimité peut-être de façade, les dangers d’un unanimisme qui pourrait se révéler un piège pour l’opposition démocratique.

 

Où en sommes-nous ?

 

 

L ‘opposition démocratique et de gauche tunisienne traverse probablement une de ses plus graves crises depuis l’Indépendance.

 

En effet, suite à la grève de la faim entamée le 18 octobre par des personnalités de l’opposition démocratique et des islamistes, avec pour revendications la libération des prisonniers d’opinion – en majorité des islamistes condamnés par le régime à de lourdes peines de prison – et l’amnistie générale assortie à la libéralisation de la presse et de l’expression politique, grève qui arrivait le 18 novembre à son trentième jour, un très large mouvement de soutien s’est déclenché dans le pays et a même pris des proportions inhabituelles, y compris dans certains pays d’Europe : organisation de comités de soutien dans le pays et à l’étranger, impact médiatique appuyé particulièrement par les écrits de plusieurs opposants de diverses tendances sur Internet et l’écho donné à ce mouvement dans certains médias étrangers, rassemblement et réunions pour la plupart interdites dans la capitale et même dans quelques grandes villes du pays avec intervention musclée de la police. Cette généralisation de la dénonciation du régime et de la revendication de la démocratie dans le pays, qui prend appui sur le mouvement de la grève de la faim, si elle n’est pas nouvelle – puisque depuis des décennies des militants démocrates et de gauche ont entamé de multiples actions dénonciatrices des pratiques dictatoriales du pouvoir tunisien – est quand même pour le moins surprenante par l’impact médiatique et par l’effet tache d’huile qu’elle a eu avec une particulière rapidité. Tout comme est surprenant l’intérêt accordé à ces revendications et mouvements divers par quelques institutions étatiques européennes et américaines (ambassades et, semblerait-il à l’étranger, quelques institutions de certains États). Tout aussi surprenante est la facilité avec laquelle des militants démocrates et de gauche fondamentalement anti-islamistes se sont retrouvés alliés avec ce dernier courant pour les revendications démocratiques dans le pays.

 

On est donc en droit de s’interroger sur le pourquoi et le comment de ce qui se passe actuellement. Si les revendications démocratiques sont anciennes, pourquoi soudain prennent-elles une telle acuité que l’immense majorité des démocrates soient prêts à s’allier avec les islamistes – aujourd’hui réprimés par l’arbitraire du régime – pour obtenir gain de cause ? L’affaire de la Ligue des droits de l’homme, si elle est grave, ne peut à elle seule avoir suscité pareille mobilisation : il y a deux décennies, cette organisation avait connu un revers bien plus grave puisque le régime de Bourguiba l’avait carrément interdite et avait nommé un autre bureau directeur à sa solde. Cela n’avait pas entraîné un effet boomerang semblable ! Et cela n’avait surtout pas entraîné une alliance avec des courants islamistes, alors que depuis des décennies, au sein de l’opposition de gauche et démocratique, on n’a pas été capable de se réunifier autour d’un programme ou d’une action commune. Or, voilà qu’aujourd’hui, cette réunification se fait et avec les islamistes, voilà que nous assistons à une levée de boucliers unitaire et fortement médiatisée – du moins en regard du quasi silence qui a l’habitude d’entourer les actions menées par l’opposition. Certes, la tenue les 16, 17 et 18 novembre du Sommet mondial sur la société de l’information (SMSI) en Tunisie, c’est-à-dire dans un pays ou l’information n’est pas libre et ou même l’accès à Internet est fortement contrôlé, donnait l’occasion de faire parvenir à l’opinion internationale la position et la révolte de tous ceux qui aspirent à la démocratie face au blocage des libertés civiles, dont l’affaire de la Ligue tunisienne des droits de l’homme n’est que l’événement scandaleux le plus récent. Mais cela n’est peut-être pas suffisant pour expliquer la qualité de la mobilisation unitaire du mouvement démocratique autour du soutien à la grève de la faim et à la dénonciation des pratiques anti-démocratiques du régime. Cela interpelle donc et amène à formuler quelques hypothèses.

 

1. Le régime apparaît-il si fragile tout à coup et la perspective du grand soir si proche, que toutes les énergies – parfois endormies – de l’opposition démocratique et de gauche se mobilisent pour précipiter le processus, l’alliance avec un islamisme dit « modéré » devenant alors secondaire – face à l’objectif visé – et ponctuelle  – pour faire plus de bruit, plus de monde ? Il semble peu probable que l’opposition démocratique ait la naïveté de le croire, comme elle ne semble plus croire non plus à l’illusion du grand soir, d’autant que celui-ci n’est certainement pas le même pour les islamistes et pour les démocrates. Par ailleurs, en dépit des pratiques dictatoriales du régime, celui-ci semble encore suffisamment solide et son impact suffisamment fort – quoique la rumeur publique ait disqualifié de nombreux dirigeants et personnalités de la nomenklatura au pouvoir, accusés de pratiques de corruption et de clientélisme – pour ne pas donner le sentiment de la fragilité. Il est vrai qu’une autre rumeur persistante sur une maladie du chef de l’État laisse planer la perspective d’une vacance du pouvoir : mais dans un cas pareil, un arsenal de mesures constitutionnelles est prévu pour pallier cette éventuelle vacance du pouvoir. D’où la deuxième hypothèse.

 

2. En cas de vacance du pouvoir, pense-t-on donc qu’une redistribution des cartes serait possible ? Qu’elle pourrait s’orienter vers des alliances nouvelles : par exemple, une fraction du RCD – la bourgeoisie pieuse et moins impliquée dans la corruption – s’alliant avec les plus modérés des islamistes pour ramener vers elle une opinion qui leur est favorable, sans remettre en cause, dans l’immédiat du moins, les grandes options économiques et politiques du régime, alliance ayant aussi pour effet de récupérer dans les rangs du pouvoir politique un courant placé aujourd’hui dans l’opposition – et quelques opposants indépendants ou organisés qui ont déjà fait leurs preuves soit dans les arcanes du pouvoir soit par les sympathies qu’ils entretiennent avec quelques ambassades européennes ou américaines les plaçant ainsi en alternatives crédibles au régime en place. Dans cette perspective, ce mouvement déclenché autour des grévistes de la faim pour la démocratie dans le pays pourrait-il avoir eu quelques garanties de soutien de quelques puissances étrangères que le régime tunisien actuel ne satisfait plus, tant par le minimum démocratique qu’il ne veut pas accepter de respecter ou d’octroyer – ce qu’il devrait faire pour garantir un minimum de stabilité dans le pays – que par les tares dont il est entaché et que la rumeur publique, mais pas seulement elle, ne cache plus ?

 

3. L’opposition de gauche aurait-elle perdu ses repères fondamentaux au cours de ce mouvement qui, tablant sur l’aspect humanitaire – une grève de la faim prolongée – associé aux revendications démocratiques qui sont celles qu’elle a toujours défendues, se retrouve en quelque sorte piégée : faut-il soutenir ou ne pas soutenir une grève de la faim de personnalités de l’opposition qui se battent pour des revendications démocratiques mais se sont alliées pour cela avec des islamistes ? Ne pas soutenir la grève, ne serait-ce pas, en définitive, ne pas soutenir les revendications ? Ce brouillage est la conséquence directe du rapport étroit qui s’est établi entre une action qui n’a pas l’adhésion de tous, entre autres en raison de la présence de représentants du courant islamiste, et les revendications démocratiques qui sont, elles, celles de tous. Il a mené la plupart des militants pour la démocratie à faire fi de l’alliance – qu’ils peuvent contester -, au profit de la revendication.

 

En amont, ce brouillage n’est-il pas l’expression même du piège dans lequel les militants démocrates et de gauche sont en train de tomber ? Car au fond, il aurait été tout à fait possible de séparer les deux – la grève pour les revendications démocratiques d’une part, la défense des libertés et la dénonciation de l’autoritarisme d’autre part – et d’avoir ainsi le cas de figure suivant : des comités de soutien à la grève et des actions dans ce sens pour ceux qui le conçoivent ainsi ; mais aussi d’autres comités et d’autres actions de défense de la démocratie et pour son obtention qui s’ajoutent objectivement à l’action de la grève mais ne se confondent pas avec elle ; qui demeureront après la fin de la grève ; qui permettront de démarquer nettement ceux qui font alliance avec l’islamisme de ceux qui la refusent ; qui donneront aux militants démocrates et de gauche qui ont des réticences à soutenir une action à laquelle participent les islamistes l’occasion de se positionner toutefois clairement dans l’actuel combat pour la démocratie ; et surtout qui empêcheront les islamistes de capitaliser à leur compte des revendications qui ne sont devenues les leurs que parce qu’ils sont réprimés par la prison et l’interdiction de s’organiser. Mais le brouillage entre ces deux axes non seulement oblige en quelque sorte les militants pour la démocratie à soutenir la grève s’ils veulent défendre la démocratie, mais de plus ce mouvement de soutien, qui est en même temps mouvement pour les revendications démocratiques, ne durera que tant qu’aura duré la grève de la faim qui lui donne une acuité particulière et cessera avec la grève ; alors que la défense des libertés démocratiques s’installe, elle, dans le temps et que c’est justement parce qu’elle n’est pas un feu d’artifice qu’elle nécessite une stratégie d’actions et une réflexion sur les alliances possibles.

 

En aval, il semble bien que ce brouillage – indépendamment des alliances contre-nature qui en sont l’origine et qu’il contribue à entretenir – manipule davantage l’opposition qu’il ne la sert, contribuera non à la rassembler – en dépit de l’apparence actuelle de réunification – mais à la diviser davantage et ce, non sur ses programmes et projets mais sur les stratégies d’alliance ou de non alliance avec les islamistes. Pire encore, cette manipulation peut faire perdre de vue les valeurs fondamentales – de liberté et de souci des droits humains – qui caractérisaient jusqu’à ce jour les mots d’ordre et le discours de l’opposition démocratique et de gauche et qui faisait d’elle de multiples branches certes, mais rattachées toutes au tronc commun du rationalisme progressiste.

 

Il est donc nécessaire et urgent que le camp de la démocratie et de la gauche se repositionne clairement quant à son rapport à l’islamisme d’une part, au projet dont il est porteur de l’autre. Il n’y aura probablement pas de grand soir. Tout au plus, et dans le meilleur des cas avec le régime existant, quelques réformettes, et en cas de redistribution de cartes garantie par les grandes puissances américaines et occidentales pour préserver une stabilité dans le pays favorable au rôle qu’il est destiné à jouer dans le processus de la mondialisation et de la lutte contre le terrorisme, un régime bancal reflétant une coalition défavorable à plus ou moins court terme aux idéaux de liberté et d’égalité. Dans les deux cas, ce ne sera certainement pas le projet démocratique tel qu’en rêve l’opposition de gauche qui triomphera. Et pour mener les combats à venir, cette opposition risque d’avoir à traîner, comme un lourd contentieux discréditant son discours et ses idéaux, son manque de lucidité et de fermeté dans la période de crise qui est celle que nous traversons aujourd’hui.

 

Neïla Jrad

 

(Source : « Alternatives Citoyennes », N°17, mis en ligne le 24 novembre 2005)

URL : http://www.alternatives-citoyennes.sgdg.org/num17/pol-jrad-w.html

 


 

 

La grève de la faim, et après ?

 

 

La grève de la faim déclarée depuis le 18 octobre par des dirigeants politiques et associatifs, et achevée le 18 novembre, a généré dans son sillage un formidable mouvement de mobilisation, de solidarité et d’action venant de personnes, de groupements et d’organisations de tout bord.

 

Cette adhésion est sans aucun doute le reflet d’un raz le bol généralisé, elle est l’expression d’une révolte contre une situation de blocage politique qui va en s’épaississant. Elle est à la mesure de la fermeture de toutes les voies et issues que tout ordre doué d’intelligence politique s’aménage généralement s’il veut se maintenir. Bref, elle est le signe patent d’une politique du pire.

 

Politique du pire du pouvoir qui suscite en retour une politique du pire de son opposition.

 

Dans la forme d’abord car une grève de la faim n’est pas une action politique mais une action infra politique qui relève d’une version soft du kamikaze qui donne sa vie en désespoir de cause, lorsqu’il estime dérisoires ou épuisés les processus conventionnels. La symbolique du martyr y est fortement présente et avec elle la gratuité du sacrifice dans sa générosité mais aussi dans sa rentabilité.

 

Dans sa composition aussi puisqu’un système de répression aveugle a réussi à momentanément unifier contre lui, après l’expérimentation de plusieurs formules plus ou moins infructueuses, des tendances (essentiellement le clivage plus ou moins tranché non islamistes/islamistes) et des appartenances (politiques, associatifs et indépendants) hétérogènes pour ne pas dire hétéroclites.

 

Quoique celles-ci se dessinent déjà, ce n’est pas encore l’heure ici de tirer des déductions prématurées quant aux motivations et enjeux qui animent les uns et les autres.

 

Par contre, ce qu’il paraît nécessaire de réfléchir c’est l’efficacité de l’acte. Et, par efficacité, il n’est pas question des répercussions immédiates sur le déverrouillage du système politique.

 

Par efficacité, ce qui est envisagé ce sont les implications de cet acte sur l’avenir de la scène politique.

 

Pour parvenir à fédérer autour d’elle le maximum de protagonistes, cette action s’est donné un contenu minimum de revendications qui, de par leur généralité et leur globalité, ne pouvaient que concerner autant les organisations que les citoyen-ne-s.

 

Cependant, en raison même de cette généralité et globalité, ces revendications évacuent la spécificité ou la particularité des demandes et objectifs de chaque partie prenante. Elles forcent à l’unité là où il y a diversité, ce qui peut être leur atout. Mais dans le même temps, ne comportent-elles pas le risque d’évacuer cette unité d’une réelle consistance ? Si la garantie de libertés est un impératif pour l’existence même de chaque organisation, cela n’implique en rien la satisfaction de ses propres finalités, qui sont sa raison d’être.

 

Cette première faille pourrait être sans conséquences, ou de conséquences tout à fait passagères, si elle n’était renforcée par une seconde qui renvoie à la contribution des grévistes.

 

Bien que chacun d’entre eux participe au nom de son parti ou de son association, l’acte de la grève par lui-même est éminemment individuel. Il est individuel dans sa réalisation et dans ses conséquences physiques et morales. De ce fait, il est significatif de la détermination des individus engagés. Mais il est également plein d’implications sur les formations d’origine de ces individus. En consolidant leur leadership, sont-ils certains de consolider par la même occasion leurs formations respectives ? Au-delà même de ces formations, l’acte est aussi plein d’implications sur l’ensemble du mouvement démocratique. Portés par l’élan de solidarité, les animatrices et animateurs de ce mouvement se sont joints à lui sous des modalités diverses mais, en faisant cette démarche de l’unité, ne réédite-t-on pas la valeur de l’unicité ? Si ce n’est qu’en nous unifiant que nous existons, quelle place donner aux opinions contradictoires ?

 

Formuler des objections à cette action elle-même devient suspect et mal aisé pour qui en aurait à formuler. Aussi est-il convenant de s’empresser d’ajouter que cette seconde réserve n’aurait, elle non plus, que peu de poids si le tout n’était qu’épisodique, destiné à durer le temps que dura la grève de la faim dont la fin rétablit un état antérieur, hypothétiquement amélioré par les acquis de ce combat.

 

Pourtant, acquis ou pas, le problème demeure entier. Il demeure entier parce que toutes celles et tous ceux qui y ont participé, d’une manière ou d’une autre, savent que leurs cadres d’appartenance sont faibles, divisés et paralysés pour des raisons multiples et complexes. En se déroulant hors de ces cadres, cette action aura focalisé sur elle toutes les énergies et toutes les potentialités mais, quelle que soit la force de démonstration dont elle saura faire preuve, elle ne pourra s’inscrire dans la durée. Loin d’avoir contribué à renforcer les rouages et les mécanismes structurels appelés à se dynamiser mais aussi à se reproduire et à reproduire leurs fonctions, elle n’aura fait que les contourner, les mettant entre parenthèses et, plus encore, pointant leur inconsistance et leur incapacité.

 

N’aurait-il pas mieux valu que cette concertation ait pris plutôt la forme d’un concert d’actions où chaque organisation, à partir de ses propres revendications et selon ses propres dispositifs, se mêle aux autres dans une pluralité de voix et de formes ?

 

Sinon, ne faudrait-il pas se résoudre à reconnaître une fois pour toutes que ce qui a fait, et continue plus que jamais de faire, le sceau de la démocratie, à savoir précisément le pluralisme, n’est pas praticable dans le contexte de nos systèmes. Et, à ce moment, consentir à mettre la clé sous la porte de la petite multitude de cadres patentés et se fondre dans l’UN.

 

 

 Ilhem Marzouki

 

(Source : « Alternatives Citoyennes », N°17, mis en ligne le 24 novembre 2005)

URL : http://www.alternatives-citoyennes.sgdg.org/num17/pol-marzouki-w.html

 


 

 

Dossier SMSI

 

Pendant les travaux, le gâchis continue

 

D’emblée, c’est l’impression d’un gâchis énorme qui prévaut : le SMSI était un Sommet mondial sur la société de l’information, il aurait pu tout aussi bien être un Sommet mondial sur n’importe quelle autre thématique. Qui en Tunisie peut, en effet, prétendre avoir dépassé ses petites affaires pour mieux comprendre et surtout être acteur des enjeux de ce Sommet, y compris en matière de droits de l’homme et de leur traduction dans ce contexte ? Qui s’y est vraiment intéressé ?

 

Pas le gouvernement tunisien, sans aucun doute. Co-organisateur de ce Sommet, le gouvernement Tunisien n’a pris la parole à aucun moment dans les discussions, que ce soit lors de la phase de Genève ou de la phase de Tunis, sur aucun des nombreux thèmes en discussion. Il faut donc croire qu’il n’a rien à dire sur la question.

 

Pourtant, ces centaines de bénévoles tunisiens, jeunes pour la plupart, qui ont souhaité participer (il est vrai de la seule manière qui leur était concédée, dans le costume qu’on leur avait taillé) n’étaient-ils pas là par soif d’en savoir un peu plus, de participer pour une fois à une réunion internationale, dont toutefois personne n’avait fait l’effort de leur exposer les enjeux ? Utilisés comme main d’oeuvre gratuite, ils ont encore manqué une occasion d’être acteurs et, une fois de plus, se sont retrouvés relégués dans leur rôle d’éternels spectateurs.

 

Pas non plus l’opposition structurée (qui pourtant est censée être porteuse d’un projet politique construit), ni les associations de la société civile indépendante qui ont été signataires de certains communiqués ou lettres en lien avec le SMSI, et qui étaient présentes à certaines réunions lors du processus préparatoire. Tout au plus certaines individualités se sont-elles intéressées, par compétence professionnelle ou par opportunisme politique (profitant de la force de frappe médiatique des groupes de presse internationaux, notamment ceux réunis dans le réseau IFEX), aux médias « classiques » (presse écrite et audio-visuelle), mais non à ce que l’on a coutume d’appeler la « société de l’information », quelle que soit la confusion terminologique et conceptuelle de ce vocable.

 

Pourtant, toute cette jeunesse tunisienne qui participe aux forums de discussion sur Internet, malgré les difficultés et les risques que cela comporte, qui fait preuve d’une créativité remarquable (voir tous les clips vidéos produits à l’occasion du SMSI, voir aussi la campagne « Yezzi »), qui ne s’embarrasse pas de révérence, a-t-elle seulement été soutenue, encouragée, voire simplement mentionnée, par cette opposition et par ces associations du côté desquelles elle veut se situer, ne serait-ce que par sa critique du régime ? Bien au contraire, elle a été soigneusement écartée par des plus que cinquantenaires qui n’ont rien compris, sauf que cette jeunesse risquait décidément de bousculer leur train-train.

 

Encore plus que de la situation des droits de l’homme en Tunisie, le SMSI a été révélateur du fait que ceux qui tiennent le devant de la scène parmi l’opposition tunisienne (associations indépendantes comprises) et les différents relais du pouvoir sont le produit du même système. Celui-là même qui, fondé sur des coteries élitistes, ne vise qu’à consolider ses avantages et faire fructifier ses intérêts, accordant quelques miettes à ceux qui les servent, excluant tous les autres.

 

Il convient à ce stade de s’interroger sur la responsabilité des médias internationaux et sur celle des ONG internationales, notamment les ONG de défense des droits de l’homme qui, se limitant souvent à rencontrer et à donner la parole à ceux qui figurent depuis trop longtemps dans leurs carnets d’adresses, contribuent à renforcer ces coteries en donnant à leurs représentants une stature internationale dont il reste, à tout le moins, à prouver qu’elle est réelle. Il n’est évidemment pas question de dire que ces organisations et ces groupes de presse internationaux devraient s’ingérer dans les affaires du pays, voire nous dire comment analyser notre propre situation. Si c’était le cas, nous leur en ferions d’ailleurs immédiatement reproche. Mais il faut bien se rendre à l’évidence et faire le constat que, par leurs choix, ils influent déjà sur notre paysage politique, ce que nous pouvons d’autant moins accepter qu’il s’agit en général de choix motivés par la facilité et le besoin d’exhiber des figures de victimes, plutôt que de refléter des pensées et analyses construites et réellement indépendantes de toute coterie. Cette interrogation n’est pas neuve, ni limitée au cas de la Tunisie. Elle traverse l’ensemble du monde, notamment occidental. Mais elle prend un sens particulièrement grave dans le cas de la Tunisie, pays subissant un étouffement de toute pensée critique.

 

En janvier de cette année, nous écrivions (cf. Alternatives citoyennes numéro 14) que le SMSI était un test non seulement pour le régime tunisien, mais aussi pour la société civile (comprendre, les quelques associations qui ont été mises en avant dans le processus), en notant que « le SMSI est le premier évènement de cette ampleur qui implique fortement la Tunisie : l’usage de cette opportunité est un test grandeur nature de la capacité de la société civile tunisienne à prendre son destin en main, et à participer aux affaires du monde ». Il faut malheureusement constater que c’est l’échec total de ce point de vue. Et ce gâchis-là, on ne peut honnêtement l’attribuer uniquement au régime Ben Ali.

 

À qui aura donc profité le SMSI en Tunisie ? Pas au régime qui, par sa propre escalade dans la violence, a lui-même dévoilé sa vraie nature au plus grand nombre. Pas à l’opposition tunisienne, ni aux associations indépendantes, qui se trouvent replongées dans la gestion de leurs petites affaires (avec les mêmes méthodes). Pas à l’ensemble des Tunisiens, surtout pas les jeunes, qui en ont été exclus. Restent les chauffeurs de taxi, les hôteliers, les restaurateurs. C’est déjà ça…

 

Ce bilan, pour pessimiste qu’il soit, ne concerne pas que le SMSI. Il vaut pour l’ensemble des évènements et des domaines de réflexion, et le SMSI en est emblématique non seulement parce qu’il est une rencontre internationale du plus haut niveau, mais parce que les thématiques qu’il soulève sont transverses à l’ensemble de la société. Il faudra malheureusement plusieurs générations pour reconstruire des capacités critiques autonomes dans l’ensemble de notre société, après qu’elles ont été soigneusement mais progressivement étouffées depuis une cinquantaine d’années, avec une singulière accélération dans ces vingt dernières années.

 

Sans abandonner les questions urgentes et immédiatement visibles, en premier lieu celle du respect des droits de l’homme (et non pas seulement de la liberté d’expression), c’est à cette reconstruction d’une vraie pensée critique et d’une réelle créativité qu’il faut tous nous atteler, en tous domaines. L’Initiative démocratique avait fait des promesses en ce sens et avait suscité de grands espoirs. Par son incurie durant une année, elle n’a pas su capitaliser la formidable dynamique qu’elle avait suscitée en octobre 2004. C’est une faute.

 

Les Tunisiens, et la Tunisie, méritent mieux que le « SMIG » que certains leur proposent en matière politique, économique, sociale et culturelle, se réservant sans doute les dividendes de la petite entreprise qu’ils entendent mettre sur pied. Nous ne voulons pas être les ouvriers d’une société de l’information, ni d’une société tout court. Nous voulons en être les maîtres d’oeuvre et en tirer, collectivement, l’ensemble des bénéfices. Mais pour y arriver, encore faudrait-il se mettre sérieusement au travail, et, sans jamais verser dans la surenchère, augmenter les cadences ou, comme on dit chez nous, « leur augmenter le prix du pain ».

  

Meryem Marzouki

 

(Source : « Alternatives Citoyennes », N°17, mis en ligne le 24 novembre 2005)

URL : http://www.alternatives-citoyennes.sgdg.org/num17/dos-bilan-w.html


 

 

Economie

Décryptages à deux voix

 

Qualifié de « dictature » par des ONG tunisiennes et étrangères et par de très nombreux médias ainsi que par le mouvement démocratique tunisien, le régime du président Ben Ali croule pourtant sous les louanges de nombreuses institutions économiques et financières internationales.

 

Dictature et développement peuvent-ils faire bon ménage ? Mahmoud Ben Romdhane, professeur d’économie à l’université de Tunis, ancien président du comité exécutif d’Amnesty International et co-animateur de l’Initiative démocratique, tente de répondre à cette difficile question, souvent à contre voix.

 

Mais ce développement est-il réel et pérenne ou un ciel bas et lourd pèse-t-il sur l’économie tunisienne ? Notre ami Hassine Dimassi, professeur d’économie et ancien doyen de la Faculté de Droits et Sciences économiques de Sousse, répond une fois de plus à cette question dans cet entretien que nous lui avons pour ainsi dire « extorqué », au milieu de toutes ses préoccupations.

 

 

Dictature et développement peuvent-ils faire bon ménage ? Entretien avec Mahmoud Ben Romdhane

 

Alternatives citoyennes : Vous êtes connu pour votre engagement politique en faveur des libertés et des droits humains. Eu égard à vos convictions, qualifierez-vous le régime tunisien de dictature et comment appréciez-vous son évolution récente ?

Mahmoud Ben Romdhane : À mes yeux, le régime tunisien est un régime autoritaire au sens donné par le meilleur spécialiste des systèmes autoritaires, Juan Linz [1]. Celui-ci définit ainsi ce type de régime : « Au-delà de la diversité des configurations particulières, les régimes autoritaires se caractérisent par une tendance au cantonnement de l’expression du pluralisme dans des espaces sous contrôle et corrélativement à la prévalence de réseaux informels sur la logique des institutions. Les restrictions, plus ou moins accusées, rencontrées dans l’exercice des droits et des libertés entretiennent une citoyenneté passive, marquée par le repli sur la sphère domestique et l’identification de la sphère publique au domaine de l’arbitraire et de la répression, voire de la corruption. Les citoyens sont démobilisés et incités à l’apathie politique ou éventuellement mobilisés suivant des canaux exclusifs et contraignants qui les condamnent au suivisme. » Je trouve cette définition tout à fait pertinente pour qualifier le régime tunisien.

Quant à son évolution récente, vous surprendrais-je si je vous disais que j’ai du mal à en saisir la rationalité ? Comme tous les Tunisiens et comme tous les observateurs, je suis ahuri par cette fuite en avant, par ces attaques insensées contre les corps de métiers nationaux, les organisations de défense des droits et libertés et les agressions contre des journalistes étrangers. C’est à croire qu’il s’acharne à s’aliéner son opinion nationale et l’opinion internationale et à mettre dans l’embarras les gouvernements qui lui sont acquis. D’aucuns soutiennent qu’il s’agit de débordements de l’intérieur du système ; je ne suis pas enclin à le croire : à mon avis, le système est trop centralisé pour souffrir tant de bavures ; d’autre part, ces actions sont nombreuses et cohérentes. En agissant de cette manière, le régime s’isole de plus en plus et expose à la face des Tunisiens et du monde ce qu’il entendait cacher. Il paraît de plus en plus anachronique. Et dangereux.

A. C. : Mais ne considérez-vous pas que trop d’autorité peut nuire à une bonne gouvernance économique ?

M. B. A. : Bien évidemment ! Un tel exercice du pouvoir, fondé de plus en plus sur la personnalisation, la coercition et l’attaque des libertés affaiblit toutes les institutions, y compris celles en charge de la régulation économique. Cet « excès d’autorité » ou ce refus de contre-pouvoirs vide de leur substance les fondements mêmes de la « bonne gouvernance » que sont la participation, la transparence, le contrôle et la reddition des comptes (accountability). Il favorise la montée de la corruption, de la prédation, des circuits parallèles, de l’imprévisibilité de la justice, le non respect des contrats, l’atteinte aux droits de propriété, l’inefficacité, voire le détournement des fonctions de l’Administration. Le « climat des affaires » s’assombrit et débouche sur ce qu’une institution telle que la Banque mondiale appelle le « déficit d’investissement » de ces dernières années, avec son corollaire, le freinage de la croissance et la persistance d’un chômage élevé.

A. C. : Quoi qu’on dise du régime politique tunisien, des rapports économiques (PNUD, Banque Mondiale, Davos) sont élogieux pour sa gestion. Qu’en penser ?

M. B. A. : Il est vrai que la gestion macroéconomique est prudente, qu’une réelle attention est accordée aux grands équilibres économiques et financiers internes et externes ainsi qu’aux questions sociales. Il est également vrai que les résultats obtenus sont plutôt bons, même si sur le front de l’investissement et de la croissance, il y a une baisse de régime et même si le chômage n’est pas en train de se résorber franchement.

Gardons-nous de considérer que l’autoritarisme est l’explication de ces résultats. Interrogez les hommes d’affaires, les fonctionnaires, les experts nationaux et ceux des institutions internationales, ils vous diront tous que la Tunisie est capable de bien mieux. Que pour peu qu’elle se libère de la chape de plomb politique qui l’enserre, elle est en mesure de se développer à un rythme très rapide. Je dirai même fulgurant.

Enfin, il y a de grandes sources d’inquiétude quant à l’avenir. Les processus dont nous venons de parler ne sont pas sans effet sur notre devenir économique et social. Leur poursuite risque de nous faire faire le saut dans l’inconnu.

A. C. : Vous-même, vous vous distinguez du discours ordinaire de l’opposition sur l’effondrement des assises de l’économie tunisienne, sur une économie sinistrée, sur un État qui irait doucement vers la banqueroute… Comment justifiez-vous votre appréciation plus positive, à contre voix ? Je pense particulièrement au textile, à l’énergie, au chômage des diplômés, à la croissance, à l’endettement du pays et des ménages…

M. B. A. : L’effondrement des assises d’une économie est perceptible à travers la dégradation prononcée des principaux indicateurs macro-économiques : recul ou, du moins, stagnation du niveau de la production, endettement public et extérieur ainsi que chômage accrus, réserves en devises en chute, inflation élevée, recul absolu du niveau de l’investissement. Ces phénomènes avaient marqué les années 1983 et, surtout, 1984 et 1985 qui ont précédé la crise économique qu’a traversé la Tunisie et qui l’a conduite à s’adresser, en recours ultime, en juin 1986, au Fonds Monétaire International. Dès 1984, je donnais des conférences pour signaler l’arrivée d’une grande crise économique en Tunisie.

Aujourd’hui, nous ne sommes pas à la veille d’une crise économique. La croissance est encore relativement soutenue, même si elle se situe à un niveau inférieur à la tendance de long terme ; l’endettement public et l’endettement extérieur ne sont pas en augmentation, au contraire ; le chômage n’est pas en train d’augmenter, mais de baisser (très légèrement, faut-il le souligner ?), les réserves en devises sont en croissance (elles sont passées d’environ 3 mois au cours de ces dernières années à 3,5 mois cette année) et l’inflation est sérieusement contenue (le taux attendu pour cette année est de 2 %). L’investissement n’est pas en train de fléchir, mais d’augmenter très (trop) légèrement. Enfin, la crédibilité de l’économie tunisienne aux yeux de la communauté financière internationale n’est pas érodée. La tendance n’est clairement pas vers la banqueroute. Le démantèlement des accords multifibres a, certes, frappé l’industrie textile tunisienne, mais de manière limitée (la valeur ajoutée de l’industrie du textile et du cuir a reculé de 2 à 2,5% cette année et les exportations de la même branche ont stagné, mais non reculé) ; quant à la flambée du prix du pétrole, elle s’est traduite par une augmentation de la subvention de l’État de 300 M.D. par rapport aux prévisions mais, somme toute, le déficit budgétaire est resté limité à 3,1 %.

A. C. : Tout de même, en se projetant dans l’avenir, une petite prospective invite-t-elle (si nous poursuivons sur cette lancée) à l’optimisme ?

M. B. A. : Dire que nous ne sommes pas à la veille d’une crise ne signifie pas qu’il n’y a de signes d’inquiétude. La situation n’incite pas à l’optimisme parce qu’il y a des phénomènes de fond, dont la poursuite est de nature à plonger, à terme, l’économie et la société tunisiennes dans une crise profonde. À l’origine de la crise de 1986 qui a obligé la Tunisie à adopter un plan d’ajustement structurel, il y avait une crise politique – la course à la succession de Bourguiba et les politiques économiques démagogiques qui en ont résulté ; la crainte largement partagée aujourd’hui est que la détérioration de la situation et de la gouvernance politiques contaminent le « climat des affaires ». La montée du commerce parallèle, de la corruption, des prévarications, la régression de l’État de droit sont criants ; ils sont de nature à détruire l’état de confiance des investisseurs et à engager la Tunisie dans une dépression. Qui pourrait transformer la Tunisie en un champ de bataille entre mafias organisées et forces rétrogrades.

A. C. : Un niveau de développement estimable selon les normes européennes et selon les attentes légitimes d’une population éduquée, éclairée et de plain pied dans le monde moderne, n’implique-t-il pas une qualité de vie fondée non seulement sur la satisfaction des besoins mais surtout sur la liberté de chaque individu ? Jusqu’à quand dictature et développement feraient-ils bon ménage ?

M. B. A. : En règle générale, y compris à niveau de développement faible, la démocratie fait meilleur ménage avec croissance et développement que les régimes autoritaires, même si la thèse dominante faisait valoir le contraire. Une recherche récente fondée sur la base de données la plus riche, intégrant le plus grand nombre de pays, la période la plus longue et le plus grand nombre de variables est venue récemment réfuter cette thèse et démontrer l’avantage de la démocratie. Dans l’ouvrage qu’ils viennent de publier et qui fait désormais autorité, Democracy Advantage (« L’avantage de la démocratie »), Morton Halperin et deux autres chercheurs ont montré qu’à tous les niveaux de revenu par tête, y compris dans les pays pauvres, la démocratie produit une croissance (légèrement) plus rapide et, surtout, un plus grand développement social : une espérance de vie de 8 à 12 ans plus élevée que dans les pays autoritaires, une mortalité infantile et un taux d’analphabétisme plus faibles, un taux de scolarisation plus élevé. À tous les niveaux de développement, les démocraties ont des résultats qui se situent 20 à 40 % au-dessus de ceux réalisés par les régimes autoritaires.

Durant les vingt dernières années, une poignée de pays ont connu une croissance soutenue dans le cadre de régimes autoritaires (la Chine en particulier). On oublie que sept fois plus de régimes autoritaires ont eu une croissance ralentie.

Ce qui est unanimement admis par les politologues et les économistes, c’est qu’une fois un seuil de développement atteint, les démocraties ne rechutent pas en autoritarisme. La chance d’une démocratie à se consolider est fortement corrélée à son niveau de développement économique.

Je viens de terminer une recherche dans laquelle j’aboutis au résultat suivant : s’il devait y avoir un niveau de développement économique nécessaire pour devenir démocratique, la Tunisie l’a largement dépassé. Elle est, pratiquement, le seul pays au monde à avoir atteint un tel niveau de développement économique et social et à se débattre dans un régime politique aussi autoritaire. Elle est l’exception.

L’autoritarisme, non seulement nuit à l’épanouissement des Tunisiennes et des Tunisiens ; il nuit à leur développement économique et social ; le risque est gros qu’il les fasse descendre dans les abîmes et qu’il leur ouvre une véritable boîte de Pandore.

A. C. : En question subsidiaire, Olivier Roy qualifie la Tunisie de « dictature laïque ». Selon vos indicateurs d’un bon développement humain, une démocratie islamique serait-elle compatible avec un haut degré de développement ?

M. B. A. : Je suis quelque peu surpris de cette qualification à l’emporte-pièce de la part d’Olivier Roy, un chercheur pour lequel j’ai une grande estime. La Tunisie n’est ni une dictature, ni un pays réellement laïque.

Ce n’est pas une dictature, parce que le propre des dictatures est de s’établir et de se maintenir par la violence, leur mépris des lois, leur perception comme un type de gouvernement exceptionnel, leur prohibition pure et simple des partis et syndicats lorsqu’ils ne sont pas des syndicats de collaboration. Sous tous ces aspects, dans une large mesure, le régime tunisien se distingue de la dictature.

La caractérisation qui correspond davantage à la réalité et qui est consacrée par les politologues est celle de l’autoritarisme.

Quant à être laïque, la Tunisie ne l’est pas, à mon avis, même si, de tous les pays musulmans, Turquie exceptée, elle a accompli le plus grand chemin dans cette direction. Il est vrai que son droit est positif en ce sens que ce sont les pouvoirs législatifs qui promulguent les lois, mais dans les limites permises par une interprétation (libérale il est vrai) du Coran. Même quand il s’est agi de promulguer le code de statut personnel, les oulémas ont été consultés pour s’assurer que ses dispositions ne contrevenaient pas aux fondements de l’islam et si, aujourd’hui encore, il y a une inégalité dans l’héritage, c’est en référence au Coran. Enfin, doit-on rappeler que la Constitution tunisienne dispose que la Tunisie est un pays arabe dont la religion est l’islam ? Formulation ambiguë, certes, mais qui indique que la laïcité n’est pas franchie.

Sécularisme plus que laïcité me semble caractériser la relation régissant l’État et la religion en Tunisie.

Quant à la « démocratie islamique », elle me semble un contresens dans les termes pour deux raisons au moins. La première est que la démocratie n’est pas un simple système reposant sur la volonté de la majorité. Il y a près de deux siècles, Tocqueville, tout en mettant en relief l’exigence incontournable de la volonté populaire exprimée à travers le vote, n’en mettait pas moins en garde contre ce qu’il appelait la tyrannie de la majorité : « Si jamais la liberté se perd en Amérique, écrivait Tocqueville, il faudra s’en prendre à l’omnipotence de la majorité qui aura porté les minorités au désespoir et les aura forcées de faire un appel à la force matérielle. On verra alors l’anarchie, mais elle arrivera comme conséquence du despotisme. »

Il consacra tout un chapitre de De la démocratie en Amérique pour analyser les institutions dont s’est doté ce pays pour s’en prémunir. La réponse, il l’a trouvée dans les institutions qui protègent les libertés individuelles que sont la liberté d’opinion, d’expression et d’organisation de la tyrannie de la majorité, à savoir, la loi, la Constitution, le pouvoir judiciaire à travers les juges et les avocats. C’est pourquoi, il y a un accord aujourd’hui pour refuser la définition minimaliste de la démocratie – la définition procédurale à la manière de Joseph Schumpeter selon laquelle elle est un système politique dans lequel les principales positions de pouvoir sont acquises à travers une compétition pour l’obtention des voix des électeurs – et englober les libertés.

Il ne peut y avoir démocratie dans un régime islamique, serait-il issu des urnes, parce que, entre gouvernants et gouvernés, entre électeurs et élus, s’interpose le corps des oulémas (ou des ayatollahs) pour enserrer, encadrer le pouvoir des représentants du peuple. Dans ce type de régime, ce sont les oulémas et non les élus qui détiennent le pouvoir.

Dans ce type de régime également, les libertés sont subordonnées au texte religieux, ou du moins à son interprétation, et au despotisme de la majorité. L’Iran a été, pendant un temps, une démocratie électorale, mais non une démocratie libérale.

Aujourd’hui, il ne l’est plus. On vient de le voir, les ayatollahs se sont arrogé le droit de déterminer qui, selon leur interprétation de l’intérêt supérieur de l’islam, avait le droit de se porter candidat et qui ne l’avait pas. C’est donc dire qu’ils ne sont même pas disposés à accepter les seules limites de la définition procédurale de la démocratie.

Pour revenir à l’esprit de la question, maintenant, et savoir si ce type de régime est compatible avec un haut degré de développement, je répondrai qu’il est très difficile à un régime autoritaire – les régimes islamistes en sont l’expression la plus poussée – de pouvoir se maintenir dans un pays ayant atteint un haut degré de développement. À l’appui de cette réponse, je donnerai deux arguments. Le premier est d’ordre logique, le second tiré de l’expérience universelle.

Quand un pays atteint un haut degré de développement, ses femmes et ses hommes sont éduqués, aucun groupe social ne peut exercer son pouvoir sur les autres groupes, les gens ont les moyens de communiquer entre eux, d’échanger et de s’organiser ; leur attachement aux libertés et à la règle de droit grandit, ils ne succombent pas aux appels irresponsables des démagogues, la démocratie devient quasiment incontournable. Ce type d’argument, je ne fais que le reprendre à mon compte ; il a été énoncé depuis Aristote et même par son maître Platon, il est repris par les politologues et les économistes qui l’incluent dans le cadre de ce qu’ils appellent la « théorie de la modernisation ».

Mon deuxième argument est un argument d’expérience : je ne connais pas dans l’histoire de ces trente dernières années de pays développés qui soient longtemps restés autoritaires. À votre question, ma réponse est, dois-je le préciser, « difficilement compatible » ; je ne dis pas impossible à concilier. Les trente années qui viennent de s’accomplir ne me semblent pas un point dans l’histoire ; comme Amartya Sen, je crois que la plus grande réalisation du XXe siècle a été de consacrer la démocratie comme valeur universelle. Même si elle n’est pas universellement pratiquée ni uniformément acceptée, dans le climat général de l’opinion mondiale, elle a acquis le statut d’être considérée comme la voie juste. La balle est maintenant dans le camp de ceux qui s’y opposent ; c’est à eux qu’il appartient de fournir des arguments pour son rejet.

 

Entretien conduit par Nadia Omrane

Notes :

[1] Juan J. Linz. 2000: Totalitarian and Authoritarian Regimes. Boulder (CO) Lynne Rienner Publishers.

[2] Morton H.Halperin, Joseph T. Siegler and Michael M. Weinstein. 2005: The Democracy Advantage. How Democracies Promote Prosperity and Peace. Routledge, New York.

 

(Source : « Alternatives Citoyennes », N°17, mis en ligne le 24 novembre 2005)

URL :http://www.alternatives-citoyennes.sgdg.org/num17/eco-benromdhane-w.html


 

Un ciel bas et lourd pèse-t-il sur l’économie tunisienne ? Entretien avec Hassine Dimassi

 

Alternatives citoyennes : Nos exportations « textiles », une de nos ressources essentielles, sont elles-elles déjà affectées par la concurrence chinoise ?

Hassine Dimassi : Depuis 2001, les exportations tunisiennes du « textile », exprimées en dinars courants, semblent progresser. Toutefois, exprimées en euros, ces exportations « textiles » n’ont cessé de régresser. Suite à la forte dépréciation du dinar par rapport à l’euro, les exportations « textiles » tunisiennes donnent donc l’illusion de bien se porter.

Exportations « textiles » tunisiennes

 

Exportations (en millions de dinars)

Parité du dinar par rapport à l’euro

Exportations (en millions d’euros)

2001

4 028

0.7766

3 128

2002

4 142

0.7453

3 087

2003

4 245

0.6862

2 913

2004

4 481

0.6457

2 894

Par ailleurs, concernant les articles de la confection, représentant l’essentiel des exportations tunisiennes du « textile », la place de la Tunisie sur le marché de l’Union européenne s’est sensiblement détériorée. En effet, la part des importations de l’UE en provenance de la Tunisie dans le total des importations de l’UE en « vêtements » a baissé de 5.6% en 1995 à 5.0% en 2003. Ce repli du positionnement de la Tunisie a bénéficié, pour l’essentiel, à trois pays : la Chine, la Roumanie et la Turquie.

Le recul de la Tunisie sur le marché mondial du « textile », et plus particulièrement sur le marché européen, résulte non seulement de la forte percée de ses concurrents (surtout celle de la Chine), mais aussi d’une tare structurelle de la confection tunisienne : la persistance des grandes séries de bas de gamme standardisées au dépens des petites séries de haut de gamme personnalisées.

A. C. : Le secteur touristique, contre tout mauvais augure, apparaît florissant et plein de promesses. Peut-on se fier à cette impression confirmée par des bons chiffres officiels ?

H. D. : En apparence, le tourisme tunisien semble avoir bénéficié, en 2004, d’une certaine reprise par rapport à 2003. Les nuitées des non résidents y sont passées de 25.3 millions en 2003 à 30.7 millions en 2004. Parallèlement, les recettes touristiques, exprimées en dinars courants, sont passées de 1 903 millions en 2003 à 2 290 millions en 2004. Enfin, les recettes touristiques, exprimées en euros, sont passées de 1 306 millions en 2003 à 1 479 millions en 2004.

Recettes du tourisme tunisien

 

Nuitées des non résidents (en millions)

Recettes touristiques (en millions de dinars)

Recettes touristiques (en millions d’euros)

Recettes par nuitée (en dinars)

Recettes par nuitée (en euros)

2001

33.0

2 341

1 818

70.9

55.1

2002

25.9

2 021

1 506

78.0

58.2

2003

25.3

1 903

1 306

75.2

51.6

2004

30.7

2 290

1 479

74.7

48.2

Toutefois, ces données relatives au tourisme tunisien méritent d’être nuancées :

a) En termes de nuitées des non résidents , le tourisme tunisien n’a pas encore réussi à retrouver le niveau maximum atteint en 2000 (33.2 millions de nuitées). b) En termes de recettes, exprimées en dinars courants, le tourisme tunisien n’a pas encore réussi à retrouver le niveau maximum atteint en 2001 (2 341 millions de dinars) c) En termes de recettes, exprimées en euros, le tourisme tunisien n’a pas encore réussi à retrouver le niveau maximum atteint en 2001 (1 818 millions d’euros) d) En termes de recettes par nuitée, exprimées en euros, le tourisme tunisien n’a pas encore réussi à retrouver le niveau maximum atteint en 2002 (58.2 euros par nuitée)

Le tourisme tunisien donne donc l’illusion d’être « florissant » à cause de la très forte dépréciation du dinar par rapport à l’euro, d’une part, et du bradage de ses nuitées, d’autre part. En fait, le tourisme tunisien n’a cessé de souffrir d’une très grave anomalie structurelle : édifier des hôtels à 4 ou 5 étoiles, les gérer comme des hôtels à 3 étoiles, et les vendre comme des hôtels à 2 étoiles.

A. C. : Notre agriculture semble décidément être notre talon d’Achille, pour ne pas dire un secteur en voie de dépérissement. Les nouvelles obligations du libre-échange ne risquent-elles pas de nous enfoncer davantage ? Peut-on dégager quelques pistes pour retrouver une ambition agricole ?

H. D. : Les nouvelles obligations du libre-échange risquent effectivement de nous enfoncer davantage, pour des raisons que j’ai soulevées dans une interview antérieure (voir Alternatives citoyennes numéro 11). Ces raisons pourraient s’aggraver par un phénomène qui s’est récemment manifesté : tout en se désistant de la subvention des principaux intrants agricoles (semences, engrais, aliments du cheptel, insecticides et pesticides, eau d’irrigation,…), l’État tend à geler sur une longue période les prix à la production des produits agricoles de base, et en particulier ceux des céréales.

Peut-on dégager quelques pistes pour retrouver une ambition agricole ? Cette partie de la question exige à elle seule une interview. La chose fondamentale, c’est que notre agriculture nécessite une reconversion ordonnée et soutenue, en matière de spéculations.

A. C. : La crise de l’énergie va-t-elle vraiment nous plonger dans de graves difficultés au niveau de notre balance de paiements ? Le gaz naturel dont nous disposons ne rétablira-t-il pas notre déficit énergétique ?

H. D. : Oui, si le prix mondial de l’énergie se maintenait à un niveau très élevé (comme c’est le cas depuis quelque mois), il aurait certainement des impacts catastrophiques non seulement sur les paiements extérieurs mais aussi sur les finances publiques, voire sur l’ensemble de l’économie tunisienne.

Le gaz dont vous parlez n’est le nôtre qu’en apparence. Car, en réalité, la société étrangère qui l’exploite (British Gaz) nous le facture au prix mondial. Par ailleurs, en 2004, nos exportations en énergie n’ont couvert qu’environ 70% de nos importations en énergie, et ce malgré l’entrée en exploitation depuis 2000 de nos réserves off-shore en gaz.

A. C. : Les chiffres officiels tablent sur un recul de la croissance de près de 6% à 4.6%. Que signifie cette décélération et quels peuvent en être les retentissements ?

H. D. : Je n’ai pas encore consulté à tête reposée ces chiffres. Il se peut que ces chiffres soient basés, entre autres, sur une année agricole beaucoup moins bonne que la précédente. En tout cas, personnellement, je n’accorde pas une grande importante aux données de conjoncture, car souvent, elles signifient peu de chose.

A. C. : Les pouvoirs publics se félicitent des encouragements de rapports internationaux dont celui de Davos qui placerait la Tunisie avant l’Italie et l’Espagne au plan de l’environnement des affaires. Quels sont les points positifs de l’économie tunisienne ?

H. D. : En principe, je ne peux répondre à cette question, car, pour évaluer une économie, je ne raisonne pas en termes de positif et de négatif. Pour moi, ce genre de raisonnement est inopérant. En voici un exemple.

La bande « Davos » classe bien la Tunisie, probablement parce qu’elle est très respectueuse du remboursement de ses dettes (c’est là le volet pour elle positif). Mais simultanément, la Tunisie n’a cessé de se saigner à blanc pour contracter de nouveaux coûteux emprunts sur le marché financier international, afin, entre autres, de rembourser ses dettes antérieures (c’est là le volet négatif). Vous voyez là que les positifs et les négatifs d’une économie sont intimement interdépendants, et qu’ils ne peuvent être en aucun cas fractionnés.

A. C. : L’organisation Transparency international qui dénonce la corruption ne classe pas trop mal la Tunisie par rapport à l’Europe de l’Ouest, et en bien meilleure position au plan de la gouvernance financière que les pays de l’Europe de l’Est et de l’ex-empire soviétique ou de la plupart des pays du sud, particulièrement africains et arabes. Faut-il pour autant dormir sur ces demi-lauriers (à l’aune de la planète) ou accorder crédit aux critiques de la société civile tunisienne et même aux remarques de la Banque Mondiale à propos de la gestion de l’argent public ?

H. D. : D’habitude, je n’accorde pas beaucoup d’importance aux jugements de mon pays par ce genre d’organismes, et ce au moins pour trois raisons :

a) Pour faire leur jugement, ce genre d’organismes se base beaucoup plus sur les apparences des choses que sur leurs essences. À voir ses instances législatives, le nombre de ses partis politiques et de ses associations civiles, la Tunisie apparaît comme un pays ultra-démocratique. Qu’en est-il réellement ? En se référant à ses taux de scolarisation à tous les niveaux, la Tunisie décroche une position non mauvaise en matière de « développement humain » étudié par le PNUD. Or, en se référant à l’essence des choses, on se rend compte que cette scolarisation ne constitue qu’une énorme machine à produire à la pelle des pseudo-ignares. Dans certains pays, la presse et la justice dévoilent les corruptions ; dans d’autres pays ces dernières demeurent souvent inaperçues et impunies. Alors qui est le bon et qui est le mauvais ? b) Afin de préserver de bons rapports avec les gouvernants, et en fin de compte leurs intérêts, certains de ces organismes, telle la Banque Mondiale, mènent constamment un double langage : l’un apparent et flatteur, et l’autre secret et inquisiteur. c) Et après tout, je n’ai pas besoin d’un point de vue extérieur pour comprendre et juger ma propre réalité.

Concernant les critiques de la société civile, elles sont souvent sommaires et erronées, et ce par paresse et/ou incapacité d’analyse. Certes, cette société civile doute constamment du discours officiel. Mais elle se trouve souvent incapable de dévoiler ses inepties.

A. C. : Si par jeu, on vous demandait de donner une note à la Tunisie en matière de conduite économique, en l’état des lieux et dans une forme de prospective, avec tout votre bagage, votre savoir, votre expérience, quelle serait cette note ?

H. D. : Je ne peux rentrer dans ce jeu. D’abord, parce je ne raisonne qu’en dynamique et nullement en statique (une calamité d’aujourd’hui peut avoir une origine remontant à une, voire plusieurs, décennies ; une actuelle bénédiction peut se métamorphoser en catastrophe durant les décennies à venir). Ensuite, mon rôle en tant que chercheur consiste beaucoup plus à tenter de comprendre une réalité qu’à la juger. Car le jugement d’une société ne peut jamais être neutre et objectif. Tout dépend dans quel camp on se situe.

En tout cas, vu sa terrible complexité, l’appréciation d’une réalité ne relève pas de la course de chevaux.

 

Entretien conduit par Nadia Omrane

 

(Source : « Alternatives Citoyennes », N°17, mis en ligne le 24 novembre 2005)

URL : http://www.alternatives-citoyennes.sgdg.org/num17/eco-dimassi-w.html

 
 
 

La simplicité du président Samuel Schmid au service d’une grande cause à Tunis

Daniel Miéville

 

Le président de la Confédération n’a fait qu’un bref déplacement à Tunis la semaine dernière, pour l’ouverture du deuxième volet du Sommet mondial sur la Société de l’information (SMSI).

 

On a sans doute sous-estimé, en Suisse, l’impact et les retombées des propos qu’il a tenus à cette occasion, dans un contexte de grande tension, sur la liberté d’expression et d’information. Il faut dire que lorsqu’il s’agit de la promotion de sa propre image, Samuel Schmid et son équipe travaillent encore avec une modestie, une discrétion et une retenue à l’ancienne.

 

Certains de ses collègues savent ô combien mieux vendre leur salade que le ministre de la Défense. Mais les témoignages recueillis a posteriori auprès de personnes qui se trouvaient sur place, comme les commentaires que l’on a pu découvrir sur Internet, incitent à revenir sur l’évènement.

 

On apprend par ailleurs qu’un flot de messages sans précédent, provenant de Suisse et de l’étranger, ont été adressés depuis lors à Samuel Schmid. Il s’est donc vraiment passé quelque chose, le 16 novembre à Tunis.

 

La surprise n’a pas été totale. Le discours de Samuel Schmid était annoncé, les Tunisiens s’attendaient à entendre des choses désagréables et le président a été reçu à l’aéroport avec une froideur calculée. Mais ce qui était attendu, c’était tout de même un discours désagréable formaté dans une variante ou une autre de la langue de bois en usage dans les enceintes internationales.

 

Or, en quelques phrases, en peu de mots, Samuel Schmid a fait passer, rapportent les témoins, un véritable frisson dans la salle où étaient réunies quelque 4000 à 5000 personnes pour la cérémonie d’ouverture du Sommet.

 

La retransmission télévisée en direct a aussitôt été coupée, mais pas assez rapidement pour que les téléspectateurs ne se rendent pas compte qu’il se passait quelque chose.

 

Et le fait que la chaîne Al-Jazira, référence s’il en est dans le monde arabe, ait aussitôt indiqué dans son déroulant de bas d’écran que le président suisse avait été censuré a conféré à ses propos une audience décuplée.

 

L’épisode, rapportent toujours les témoins, semble avoir détendu une ambiance générale très lourde jusque-là, marquée par de multiples incidents et intimidations. Et tout au long de la journée, les propos de Samuel Schmid n’ont cessé d’être rappelés et loués par les représentants de la société civile.

 

Qu’a donc fait le président de la Confédération helvétique, que nul autre n’a eu la possibilité ou la volonté d’accomplir? Il a osé ce que n’ont pas osé les autres, ni les Français ni les Américains par exemple.

 

Admettons que la Suisse, organisatrice il y a deux ans de la première phase du sommet, à Genève, avait plus particulièrement vocation à s’impliquer. Et s’il est rare qu’un Etat soit réellement en position de donner des leçons, la Suisse n’est pas, en matière d’expérience de la démocratie, la plus mal placée. Encore fallait-il le faire.

 

La ligne, en l’occurrence, a été définie par le Conseil fédéral. Encore fallait-il la traduire dans un message délivré de façon telle qu’il soit entendu. Et le mérite en revient à Samuel Schmid, qui a dit juste ce qu’il fallait dire, avec une extrême économie de moyens.

 

Excipant de sa qualité de président de l’une des plus vieilles démocraties du monde, il a en deux ou trois phrases dit ce que chacun attendait. Qu’il fallait que la liberté d’information et d’expression constitue les thèmes centraux d’un sommet qu’on aurait voulu limiter aux aspects techniques de l’information.

 

Que toute société du savoir respecte l’indépendance de ses médias comme elle respecte les droits de l’homme. Que pour lui il allait de soi que dans cette salle comme à l’extérieur tout un chacun à Tunis puisse discuter en toute liberté.

 

Tout cela avec son allure de notaire de province, son débit particulièrement lent en français, et une absence totale de recherche d’effet, qui donnait à ses propos le poids de l’évidence et un impact tout à fait particulier.

 

Est-il exagéré de dire qu’au cours de son année présidentielle Samuel Schmid aura inventé un nouveau style d’expression?

 

Après les vertiges narcissiques de Flavio Cotti, le vertige émotionnel d’Adolf Ogi, le vertige compassionnel de Micheline Calmy-Rey, la platitude vertigineuse de Samuel Schmid. De loin la plus efficace des quatre, semble-t-il à ce jour.

 

(Source : « Le Temps » (Suisse), le 25 novembre 2005)


 

 

Censure

David Haeberli

 

L’événement télévisuel de la semaine m’a échappé. Samuel Schmid censuré par la télévision d’Etat tunisienne pour délit d’expression libre devant une assemblée onusienne; le président de la Confédération en héros de la démocratie face à un hôte dictatorial dont le masque est tombé sous ses propres caméras; l’ultime conseiller fédéral moustachu coupé par les techniciens de Ben Ali, paniqués par ses propos militants. Je n’ai pas vu une seule image de ce moment historique.

 

J’avais une bonne excuse: j’étais dans le public auquel Samuel Schmid s’adressait lorsqu’il a prononcé son discours dont la répercussion a été mondiale.

 

De retour dans ma chambre d’hôtel, j’ai tenté de rattraper mon retard. Les deux chaînes tunisiennes ne faisaient pas partie de celles préprogrammées sur le poste de télévision. J’aurais dû me douter, en lisant l’immense «Herzlich Willkommen» qui barrait l’entrée du village de vacances, que l’arabe n’était pas la langue la mieux partagée par ceux qui fréquentent les lieux d’habitude. Je ne m’attendais pas à ce que ces canaux rediffusent l’épisode de la censure, mais j’étais curieux de voir au moins des extraits de la cérémonie que le Bernois avait animée par ses mots.

 

CNN, par contre, faisait partie des dix chaînes disponibles. Il était fort tard lorsque je me suis mis à regarder le «Network» d’information. C’était l’heure de la «Global Edition» de Jon Stewart, sans doute le meilleur «talk-show» du moment. Le comédien commente les faits de la politique américaine sur le mode de l’irrévérence. C’est «trash», souvent hilarant, toujours talentueux. Les politiciens en sortent laminés.

 

La grande majorité des balcons tunisiens sont ornés de paraboles satellitaires, ai-je découvert le lendemain matin. Ces grandes oreilles tournées vers le ciel m’ont fait penser à l’irrespect de Jon Stewart. Elles sont autant de signes que les Tunisiens ne sont pas dupes de la censure médiatique de Ben Ali.

 

(Source : « Le Temps » (Suisse), le 25 novembre 2005)


TROIS DATES PRECIEUSES :

Pour une Nation ambitieuse.

Par Mezri Haddad

 

Dialectiquement liées, ces trois dates attestent si besoin en est que la Tunisie est capable de prendre des rendez-vous avec l’histoire et qu’elle ne craint pas de relever les plus grands défis, si titanesques soient les efforts pour y parvenir.

 

La première date évoque la commémoration, au début de ce mois de novembre, du 18ème anniversaire de la transition constitutionnelle.

 

La seconde concerne le Sommet mondial sur la société de l’information, que notre pays a eu l’honneur et le mérite d’accueillir et qui vient d’achever ses travaux avec un succès unanimement reconnu.

 

Quant à la troisième, elle est relative au 10ème anniversaire du partenariat euro-méditerranéen, évènement à l’occasion duquel les différents protagonistes des rives nord et sud vont se réunir (du 26 au 27 novembre) à Barcelone pour donner une nouvelle impulsion à ce partenariat multidimensionnel et stratégique.

 

Le 7 novembre 1987, agissant par patriotisme et répondant à l’appel du devoir, Ben Ali prenait avec hardiesse et détermination la décision de mettre fin à cette longue et douloureuse déliquescence de l’Etat. Jour après jour, la Tunisie progressait vers la régression et sombrait dans un amer et inexorable défaitisme. Tous les jours, elle risquait de se réveiller sous le joug du totalitarisme théocratique, à l’époque où cette “ religion séculière ” n’était pas seulement l’horizon inéluctable pour les laissés pour compte de la croissance économique, mais aussi le choix tactique de certaines puissances occidentales persuadées qu’après tout, les Arabes ne méritent pas mieux que des régimes intégristes.

 

Le 7 novembre 1987, au grand dam des conspirateurs et des scélérats, à la grande surprise de certains pays «amis» ou «frères», la Tunisie s’est réveillée républicaine. Ce n’était pas la fin de l’ère destourienne mais sa résurrection. Ce n’était pas l’éclipse de la République mais sa régénération. Du jour au lendemain, le rêve s’est substitué au cauchemar, et à l’implosion potentielle succédait la mobilisation nationale. Les acquis de l’ère bourguibienne, conjugués aux promesses de l’ère nouvelle, redonnaient aux Tunisiens espoir et foi dans l’avenir. Ils ont désormais un président qui, pour avoir répondu à leur attente, saura exprimer leur aspiration à la démocratie, à la sécurité, à la stabilité politique et à la prospérité économique.

 

Dix-huit ans après, les Tunisiens —qui viennent de commémorer cet évènement capital de leur histoire contemporaine—peuvent être fiers de leur pays et de ses multiples réalisations. Ils le doivent certes à leur propre labeur mais aussi aux choix avant-gardistes et stratégiques que leur président a su faire dès son accession à la magistrature suprême. Il a eu la clairvoyance d’opter pour l’économie de marché bien avant la chute du mur de Berlin, la faillite du modèle soviétique et l’apothéose du libéralisme planétaire. Il a eu le courage d’affronter l’irrédentisme intégriste bien avant que celui-ci devienne la bête noire du Monde occidental. Il a eu la justesse de séculariser l’enseignement, de renforcer les droits de la femme, d’appeler au dialogue des civilisations et des religions avant le cataclysme du 11 septembre 2001.

 

En matière de réformes politiques, le Président Ben Ali a eu la prudence d’opter pour le gradualisme. Par ce terme gramscien, je ne désigne pas une doctrine philosophique abstraite mais une approche correspondant à l’attitude naturelle du Tunisien et à sa psychologie profonde. Pragmatique comme son prédécesseur qui, par sa politique des étapes, a su conduire la Tunisie vers l’indépendance avec le moindre coût humain et sans rupture irrémédiable avec l’ancienne puissance coloniale, le Président Ben Ali a veillé à instaurer la démocratie en réduisant au maximum les risques qu’induisent généralement les grands bouleversements politiques. Il a constamment cherché à maintenir ce très difficile équilibre entre liberté et sécurité, entre libertés formelles (politiques) et libertés substantielles (socio-économiques), entre droit et devoir, entre intérêt particulier et intérêt général. L’histoire immédiate, d’autres expériences voisines ou lointaines lui ont donné raison : l’Algérie livrée à la guerre civile et à la barbarie intégriste, la Côte d’Ivoire, jadis et naguère citée comme exemple de stabilité, aujourd’hui disloquée et partagée en deux, Haïti qui est en pleine dérive, l’Irak que l’anarchie frappe et que la partition menace…Et la liste est longue des nations autrefois parfaitement maîtresses de leur destin, à présent totalement en détresse. Caprice de l’histoire ou bêtise humaine, des peuples qui jouissaient hier des bienfaits de la souveraineté et de la sécurité subissent aujourd’hui l’anarchie et sont soumis à la pire des servitudes, celle que vous inflige l’occupation étrangère.

 

A l’exception de Karl Marx, prophète de certains démagocrates tunisiens et pour lequel le droit à la sûreté n’est qu’une “ notion de police ”, les plus grands philosophes des Lumières, notamment les contractualistes, sont unanimes là-dessus : point de liberté sans sécurité. La liberté en l’absence de la sécurité est une imposture qui conduit aux pires exactions. La France, matrice des Droits de l’Homme et inspiratrice des valeurs démocratiques, vient de subir cruellement et injustement les conséquences de son laxisme à l’égard de «jeunes», subitement transfigurés en “ racaille ”. Inversement, la sécurité sans la liberté est une dangereuse chimère. La sagesse humaine autant que la raison d’Etat indiquent qu’il faut maintenir l’équilibre entre l’impératif sécuritaire et l’exigence démocratique, entre le respect des lois et le désir de liberté. Minimisez ou méprisez la sécurité au profit de la liberté et vous ne tarderez pas à les perdre toutes les deux.

 

C’est ce savant dosage liberté/sécurité, ce parfait et très précieux équilibre entre développement socio-économique et réformes politiques qui ont permis à la Tunisie de franchir des étapes décisives dans tous les domaines. Et c’est parce que les réalisations de la Tunisie sont incontestables que nul ne lui a contesté sa légitimité d’accueillir la seconde phase du Sommet mondial sur la société de l’information, après la première phase qui s’est déroulée à Genève du 10 au 12 décembre 2003. De la part des instances onusiennes, ce n’était guère un élan de générosité ou de charité chrétienne mais un acte de reconnaissance à l’égard d’un pays qui est à l’origine même de l’idée de SMSI et qui a activement pris part à ce processus dès son déclenchement à Minneapolis, en 1998.

 

Ce Sommet mondial sur la société de l’information vient de se dérouler en Tunisie et, nonobstant le tintamarre médiatique qui s’est nourri de la très bizarre agression contre un journaliste français et de la boulimique grève de la faim entamée par certains gladiateurs de la «démocratie», il a été un grand succès, tant du point de vue organisationnel et logistique que du point de vue du contenu politique : les véritables questions et enjeux ont été débattus aussi bien dans les réunions plénières que dans les évènements parallèles et, à la différence des autres sommets mondiaux, les décideurs et principaux protagonistes sont sortis avec des solutions pratiques et des résolutions concrètes, au premier rang desquelles la création d’un Fonds de solidarité numérique pour réduire la fracture abyssale qui existe entre le Nord et le Sud. Cette fracture numérique est elle-même l’expression, voire l’incarnation des nombreuses autres fractures, qu’elles soient d’ordre industriel, économique, social, culturel, universitaire, médical…

 

Remédier au déséquilibre criant et injuste qui existe entre l’Afrique et l’Occident, entre le Nord et le Sud, tel était la problématique majeure de ce Sommet. Mais cette problématique recélait un enjeu principal et décisif, qui ne concerne pas seulement l’Afrique mais l’ensemble des nations, y compris européennes, face aux Etats-Unis d’Amérique : la gouvernance d’Internet, plus exactement la démocratisation de ce super outil technologique dont les Américains veulent jalousement garder le monopole. Et pour cause : c’est un attribut de puissance et un signe d’hégémonisme. La gouvernance Internet était donc (et reste) une pomme de discorde entre l’Europe, plus particulièrement la France, et les Etats-Unis. Je signale au passage que la francophonie fait partie des enjeux du SMSI, en ce sens que 70% des pages web sont en langue anglaise.

 

D’où cette question à laquelle il va falloir un jour répondre : qui avait intérêt à brouiller ces enjeux capitaux et à détourner, sans y parvenir, le SMSI de ses nobles et très importantes finalités ? Qui avait intérêt à occulter médiatiquement cet évènement mondial au profit d’une grève “ épiphénoménale ”, cogitée selon les bonnes vieilles règles du marketing politique ?

 

Cette tentative de sabotage a échoué puisque, n’en déplaise aux archanges de la liberté, le Sommet a été une grande réussite pour la Tunisie et une fierté pour les Arabes, pour les Africains, pour les Asiatiques et pour les Latino-américains. Et je m’interroge sur cette poignée de grévistes aux convictions semble t-il panarabes, islamistes, gauchistes, tiers-mondistes et altermondialistes. Par-delà le prisme déformant des Droits de l’Homme et le frontispice trompeur de la liberté d’expression, quelle cause leur grève de la faim voulait-elle servir ? Celle des tiers-mondistes ou celle des atlantistes ? La cause de la démocratie, de la liberté d’expression et du respect des Droits de l’Homme, disent-ils. Comme disait Georges Bernanos, déjà en 1953 : “ Le mot de démocratie a déjà tellement servi qu’il a perdu toute signification. C’est probablement le mot le plus prostitué de toutes les langues ”.

 

Parce que ces aspirations à la démocratie, au respect des Droits de l’Homme et à la liberté d’expression sont aussi les nôtres, parce qu’elles sont partagées par l’ensemble de la classe politique ou intellectuelle, je peux dire sans complexe qu’aucun combat, si juste et si légitime soit-il, ne doit être mené aux dépens des intérêts supérieurs du pays. La Tunisie a dépensé plusieurs milliards pour accueillir ce Sommet. Des Tunisiens—responsables politiques, gestionnaires, techniciens, ingénieurs,ouvriers.— ont travaillé nuit et jour pour qu’il soit une réussite. Quelle valeur, quelle cause, quelle raison peut-elle justifier cette tentative nihiliste de saborder le SMSI ? La légitimité de cette grève n’est ni morale, ni humaine, ni même politique. La seule légitimité dont ils peuvent se targuer est le machiavélisme : tous les moyens sont bons pour affaiblir ou détruire l’adversaire. Tout le problème est précisément dans ce “ tous ” duquel il faut excepter les intérêts supérieurs de la Tunisie.

 

Dans son discours du 10 avril 1981, le père de l’Indépendance, Habib Bourguiba, disait qu’“ il n’y a point d’objection à l’émergence de formations nationales, politiques ou sociales, à condition qu’elles s’engagent à sauvegarder l’intérêt supérieur du pays, à se conformer à la légalité constitutionnelle, à préserver les acquis de la nation, à rejeter la violence et le fanatisme et à ne pas être inféodées, idéologiquement ou matériellement, à une quelconque partie étrangère ”. Bourguiba est certes loin d’être une référence pour nos valeureux grévistes. Ils lui préfèrent Marx, Staline, Enver Hodje, Hassan el-Banna ou Michel Aflak. Mais ce principe exprimé par Bourguiba et maintes fois réitéré par le Président Ben Ali, nous le retrouvons chez André Malraux qui, dans Les Chênes qu’on abat, a fait sienne cette phrase du général de Gaulle : “Moi, je veux que la liberté d’esprit soit défendue à tout prix, sauf au prix de la réalité nationale sur laquelle elle se fonde ”.

 

Avec la même ardeur patriotique et la même confiance en son président, en sa classe dirigeante, en son élite économique, la Tunisie s’apprête à se rendre à Barcelone où se déroulera du 26 au 27 novembre un sommet extraordinaire à l’occasion du dixième anniversaire du partenariat euro-méditerranéen. A l’instar du SMSI, les enjeux de ce Sommet de Barcelone sont cruciaux. Il va fixer les objectifs à atteindre pour les cinq prochaines années : réformes démocratiques, croissance économique, libéralisation des échanges et intégration régionale (Sud-Sud), réformes de l’enseignement, renforcement des droits de la femme…Autant de domaines où la Tunisie parle en termes d’acquis et de défis. Les Tunisiens, gouvernants comme gouvernés, savent que le chemin est encore long, qu’un pays qui n’avance pas recule et que pour être compétitif, pour être égal, il faut être supérieur.

 

(Source : « Réalités » N° 1039 du 24 novembre 2005) 

 

 
 

PRECISION et CORRECTION

Nous avons reçu le message suivant de la part de M. Kamel LABIDI :

 

Chers amis, bonjour

 

Je voudrais juste attirer votre attention au sujet de la source de l’article intitulé « No place to talk about Internet Freedom » repris dans Tunisnews en date du 20/11/2005.

 

Cet article est paru pour la première fois dans l’International Herald Tribune daté du 15/11. Le Khaleej Times Online qui l’a repris dans son édition du 19/11 semble avoir omis d’indiquer la source.

 

Je saisis cette occasion pour vous exprimer toutes mes félicitations pour le efforts que vous déployez, nuit et jour, pour étancher la soif d’informations. 

 

Réponse :

 

Merci, cher confrère pour cette précision et pour vos encouragements. Nous re-publions ci-dessous l’article tel qu’il a été publié la 1ére fois sur les pages de l’IHT.

 

No place to talk about Internet freedom

By KAMEL LABIDI (*)

 

CAIRO – This week, thousands of representatives from government, business and civil society are gathering in Tunis to discuss the future of the Internet at the second phase of the World Summit on the Information Society. The irony of one of the Arab world’s most autocratic regimes hosting a conference on the global exchange of ideas has not been lost on a growing number of critics protesting the choice of venue.

 

Not only is the choice of Tunisia as host insensitive to the many brave Tunisians who have suffered harsh reprisals from their government for expressing their views, it also signals that repressive governments face little consequence when they systematically curtail basic human rights. Playing host to the WSIS bestows exactly the kind of international legitimacy that dictators like Tunisia’s president, Zine el-Abidine ben Ali, crave.

 

For years, ben Ali has kept a tight lid on dissent in this often overlooked North African police state. He has crushed political opposition, silenced the country’s media and shown that criticism of the regime, even on the Internet, can trigger swift retribution. Three years ago, an enterprising Tunisian named Zouhair Yahyaoui became one of the region’s first Web journalists to be imprisoned for his work after posting criticisms of the government on his online journal TUNeZINE. Among Yahyaoui’s offenses was a posting that lampooned a measure backed by ben Ali – and approved by an implausible 99.5 percent of the vote in a referendum – that enabled him to eliminate constitutional term limits for the presidency and to enjoy immunity from prosecution for life.

 

Since Yahyaoui’s imprisonment, restrictions on free expression and the Internet have steadily mounted. The government continues to ban access to Web sites that portray the government in a negative light; just this past April, Mohamed Abbou, a human rights lawyer, was slapped with a prison sentence of three and a half years because of an Internet article that allegedly « defamed the judicial process » and was « likely to disturb public order. » Abbou had written for a banned Tunisian news Web site comparing torture in Tunisia’s prisons with that in Iraq’s infamous Abu Ghraib.

 

State restrictions go beyond free expression and the Internet. Dissidents, human rights activists and independent civil society groups endure constant harassment from the country’s secret police. In September, the government barred the newly formed, independent Syndicate of Tunisian Journalists and the Tunisian Human Rights League from holding their annual congresses, and dissolved the democratically elected board of the independent Association of Tunisian Judges.

 

On Oct. 18, leaders of seven civil society groups went on an « unlimited hunger strike » to protest these and other attacks on basic liberties, including the ongoing imprisonment of nearly 500 political activists – among them the newspaper editor Hammadi Jebali, who has been behind bars for nearly 15 years – jailed for their peaceful opposition to the government. In doing so, they hope to draw the world’s attention to Tunisia’s dangerous slide into tyranny.

 

Responding recently to criticism from nongovernmental organizations, UN Secretary General Kofi Annan wrote that holding the WSIS in Tunis « offers a good opportunity » for the Tunisian government « to address various human rights concerns. » Yet it is an illusion that unrepentant autocrats like Ben Ali can foster democracy and the rule of law. Only with sustained local and international pressure to overhaul such regimes will democracy ever take root.

 

Instead of helping to legitimize repressive governments capable only of cosmetic changes while paving the way for chaos, intolerance and extremism, the international community should distance itself and demonstrate that there is a price to pay when those governments systematically restrict the fundamental human rights of their citizens.

 

The WSIS is going on, of course, but NGOs and other activists have doubled their efforts to spotlight Tunisia’s dismal rights record under ben Ali’s oppressive rule and to show that the country is unworthy to host such a gathering. Their actions have sparked hope among Tunisians yearning for freedom and democracy, and they remind us all that even dictators can and should be held accountable.

 

 (*) Kamel Labidi, a Tunisian freelance journalist who lives in Egypt, is former director of Amnesty International-Tunisia.

 

(Source: International Herald Tribune (Paris), le 15 novembre 2005)

URL: http://www.iht.com/articles/2005/11/15/opinion/edlabidi.php


 

 

Une juge égyptienne témoigne dans la presse de la fraude électorale

AFP, le 24.11.2005 à 15h28

 

LE CAIRE, 24 nov 2005 (AFP)- Une juge égyptienne a  publiquement témoigné jeudi de la fraude qu’elle a observée dans sa  commission de dépouillement à Damanhour, au nord du Caire, au début  de la seconde phase des législatives.

 

« Je témoigne à travers cette tribune de la fraude qui a eu lieu  à Damanhour et j’appelle tous ceux qui en ont été les témoins ou y  ont participé à parler », a appelée Noha Al Zeini, vice-présidente du  parquet administratif, dans un témoignage publié par le quotidien  égyptien Al Masri Al Yom.

 

Mme Al Zeini a dénoncé la participation de juges à la fraude, en  annonçant la victoire du candidat du Parti national démocrate (PND –  au pouvoir), Mustapha El-Fiqi, alors que les résultats quasi  définitifs indiquaient une avance très nette en faveur du candidat  des Frères musulmans, Gamal Hishmat.

 

Elle affirme que le président de la commission l’avait contraint  à quitter la salle de dépouillement juste avant le décompte final,  et que les résultats avaient par la suite été manipulés.

 

Un membre du ministère de l’intérieur participait également,  contrairement à la règle, à la séance de dépouillement.

 

Selon elle, des membres de la commission ont affirmé avant  l’annonce des résultats qu’une défaite de M. El-Fiqi, président de  la Commission des affaires étrangères au Parlement aurait des  conséquences graves.

 

« Des juges ont abandonné leurs indépendance et leur fierté au  profit d’avantages matériels », déplore-t-elle.

 

Elle conclut son témoignage en appelant les juges à boycotter  les élections jusqu’à ce qu’elles soient complètement  transparentes.

 

« J’appelle les juges à ne plus superviser les élections jusqu’à  ce qu’ils acquièrent une indépendance réelle qui leur permette de  contrôler l’ensemble du processus électoral du début jusqu’à sa  fin ».

 

Conformément à la loi égyptienne, les bureaux de vote doivent  être dirigés par des magistrats.

 

Le club des magistrats égyptiens (syndicat professionnel des  juges) avait demandé mercredi au gouvernement de faire appel à  l’armée pour protéger les bureaux électoraux, accusant la police de  collusion avec les hommes de mains lors de la deuxième phase des  élections législatives qui a eu lieu dimanche.

 

Les résultats des législatives égyptiennes qui doivent s’achever  le 7 décembre, ont confirmé une percée sans précédant des frères  musulmans sans pour autant entamer la domination du PND sur le  nouveau Parlement.

 


 

 

A Mahalla, oui aux Frères musulmans, non à Israël (REPORTAGE)

AFP, le 25.11.2005 à 11h16

Par Karim FAWAL

 

MAHALLA (Egypte), 25 nov 2005 (AFP) – A Mahalla, haut lieu du  textile égyptien, l’attraction pour les Frères musulmans se conjugue  avec la répulsion à l’égard des Israéliens avec lesquels s’est  développé un commerce indirect.

 

Située dans le delta, au nord de l’Egypte, la ville de Mahalla,  avec un demi-million d’habitants, attend de désigner, samedi, ses  députés à l’Assemblée après un premier tour marqué dimanche dernier  par les violences.

 

C’est dans ce gouvernorat, un des neuf où va se disputer le  second tour de la deuxième phase des législatives que la confrérie  islamiste, interdite mais tolérée, a présenté le plus de candidats.  Deux d’entre eux ont déjà été élus dès dimanche.

 

« Oui, l’islam est la solution », dit Yasser Mahmoud, employé dans  une usine de textile de Mahalla intégrée aux « zones industrielles  qualifiées » (ZIQ) assurant le libre accès au marché américain aux  produits incluant au moins 11,7 % de composants israéliens.

 

Comme lui, la plupart des personnes interrogées par l’AFP  sympathisent avec les Frères musulmans et expriment leur l’hostilité  envers l’inclusion des usines de Mahalla à ces zones industrielles,  selon l’accord signé en décembre 2004.

 

« Cet accord est un échec sauf pour les intérêts du parti du  fiasco », dit Yasser, dénonçant le Parti national démocrate (PND) du  président Hosni Moubarak. Il affirme: « nous ne travaillerons pas  avec les Israéliens, qui encaissent notre argent pour tuer les  Palestiniens ».

 

Un avis aussi tranché est émis par Saad al-Housseini, déjà élu  député des Frères musulmans à Mahalla. « L’accord a été signé pour  contraindre l’Egypte à normaliser ses relations avec Israël et pour  soutenir son économie », assure-t-il.

 

Mais Ismaïl, ouvrier d’une usine privée de textile intégrée au  ZIQ s’estime peu concerné par tout cela.

 

« Je m’en fiche du PND, d’Israël et de mon usine », dit-il,  « l’important pour moi et de travailler la journée pour rentrer chez  moi avec du pain, le partager avec mes filles, puis regarder un  match de foot et écouter Oum Kalthoum », la diva de la chanson  égyptienne, toujours vénérée trente ans après sa mort.

 

L’influence des Frères musulmans, qui ont fait une percée  historique depuis le début des législatives, triplant déjà avec 47  députés leur score de 2000, – est sensible dans cette ville  industrielle.

 

Un de leurs partisans est Magdi El Sayed qui possède une  librairie (Fajr Al Islam), l’Aube de l’islam, spécialisée dans les  livres et des cassettes islamiques pour « améliorer la culture  religieuse des habitants du quartier ».

 

Parmi ses best-sellers: « Uniquement pour les mariés », « L’homme  et le désir », « Le comportement du fonctionnaire musulman », « Les  devoirs de l’époux à l’égard de sa femme ».

 

Magdi n’a pas de carte électorale. « Mais si je n’étais pas  dépourvu du droit du vote, je donnerais ma voix sans hésiter aux  Frères musulmans. Leur présence est primordiale pour arriver à un  changement et à la réforme, » dit-il.

 

Samir El Kadi, un comptable dans une usine de textile, dit aussi  : « je voterai pour les Frères car le PND est devenu un parti  invalide, je ne crois pas aux promesses électorales du parti, ni aux  4,5 millions de nouveaux postes promis par Moubarak », dit-il,  ajoutant que depuis son arrivée dans l’usine, en 1993, il n’y a eu  aucune embauche nouvelle.

 

Mahmoud Misbah tient lui une petite échoppe où il vend des draps  et des serviettes. Il ne vote pas en faveur des islamistes mais il  réfute « les mensonges flagrants du régime et de ses médias qui  taxent les Frères d’être a l’origine de la violence et de l’achat  des voix des électeurs ».

 

« Tout le monde sait très bien que c’est le PND qui commet ces  actes », dit-il en souriant.


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