TUNISNEWS
8 ème année, N° 3167 du 23.01.2009
CNLT: Le Coordinateur de la COMDH refoulé à l’aéroport de Tunis AFP: Djerba: un témoin confirme la proximité entre Ganczarski et ben Laden AFP: Tunisie: aggravation du déficit commercial en 2008 (bilan) Xinhua: La Tunisie mobilise 29,85 millions de dollars pour la promotion du tourisme en 2009 AFP: Gaza: Tunis envoie 16 tonnes de médicaments et d’équipements sanitaires AFP: Lampedusa: manifestation contre un centre d’identification des clandestins AFP: Dominique Schroeder Le HCR est préoccupé par la situation humanitaire à Lampedusa, en Italie Heritage: Liberté économique dans le monde: Le classement de la Tunisie dans l’index de 2009 de « Heritage Foundation » Tunisiawatch: Habib Bourguiba était-il franc-maçon ? Bourguiba était-il franc-maçon? – Un entretien avec l’historien Adel Ben Youssef CETRI: Un islamisme ouvert sur sa gauche : – L’émergence d’un nouveau tiers-mondisme arabe ?
Conseil National pour les Libertés en Tunisie
Tunis le 23 janvier 2009
Le Coordinateur de la COMDH refoulé à l’aéroport de Tunis
Ce matin 23 janvier Abdelhamid Amine, coordinateur de la Coordination maghrébine des organisations de défense des droits humains (COMDH) a été refoulé à son arrivée à l’aéroport de Tunis Carthage à 11.30 par la police des frontières ; Aucune raison n’a été présentée par les autorités tunisiennes à monsieur Amine pour cet acte hostile, les autorités se sont contentés d’affirmer qu’il était persona non grata ! Monsieur Amine venait à Tunis dans le cadre d’une mission de la COMDH pour rencontrer la société civile ainsi que les autorités tunisiennes à l’invitation des membres tunisiens de la COMDH , la Ligue tunisienne de défense des droits de l’homme et le Conseil national pour les libertés en Tunisie. Le second membre de la délégation, Mohamed SMAÏN représentant de la LADDH est arrivé la veille et a pu entrer dans le territoire tunisien. Cette mission avait été décidée lors de la 5ème réunion du bureau de la CMODH tenue à Rabat le 19 décembre dernier. Cette tournée, qui a déjà démarré au Maroc le 17 janvier dans de bonnes conditions, avait pour objectif de rencontrer les sociétés civiles des 5 pays du Maghreb et de présenter la COMDH aux autorités et aux différents partenaires. Le CNLT – Dénonce vigoureusement cet acte hostile injustifié de la part des autorités tunisiennes qui violent ainsi les accords de l’Union du Maghreb Arabe (UMA) qui garantit la libre circulation des citoyens du grand Maghreb sur tout le territoire des 5 pays. – Il considère cet acte indigne comme un affront fait à la société civile tunisienne et un manquement à la tradition d’hospitalité des Tunisiens. – Il assure monsieur Abdelhamid Amine de son entière solidarité et lui promet qu’un jour viendra où la Tunisie libérée de la dictature l’accueillera chaleureusement, comme elle le fera pour tous les amis de la Tunisie maghrébins et européens qui ont subi le même sort auparavant (Patrick Beaudouin, Donatella Rovera, Robert Ménard, Amina Bouayach et d’autres….) – Réaffirme sa détermination à œuvrer pour l’édification du Maghreb des droits de l’homme et des peuples dans le cadre de la COMDH. Pour le Conseil La porte parole Sihem Bensedrine
Djerba: un témoin confirme la proximité entre Ganczarski et ben Laden
AFP, le 23 janvier 2009 à 17h15 Par Michel MOUTOT PARIS, 23 jan 2009 (AFP) – Le témoignage de l’islamiste australien repenti Jack Roche, devant la cour d’assises spéciale de Paris, a mis vendredi en lumière la proximité avec Ben Laden de l’Allemand converti à l’islam Christian Ganczarski, sans toutefois rien apporter sur l’attentat de Djerba. Interrogé par vidéo-conférence depuis la ville australienne de Perth, où il est en liberté conditionnelle après avoir été condamné à neuf ans de prison dont il a purgé la moitié, Jack Roche n’a apporté aucun élément sur l’accusation principale contre Ganczarski, la complicité dans l’attentat contre la synagogue de Djerba (Tunisie) en 2002. Il a en revanche dressé le portrait d’un jihadiste convaincu, bien introduit dans l’organisation dont il connaissait et fréquentait les dirigeants. L’Australien a notamment raconté son séjour dans un camp d’Al-Qaïda en Afghanistan, en mars 2000, au cours duquel il affirme que Ganczarski lui a servi de guide, avant de s’assoir pour dîner à la gauche de ben Laden. “Il avait de toute évidence des liens étroits avec ben Laden, parce qu’il s’est assis près de lui et lui a transmis la petite note que Khaled Cheikh Mohammed” (cerveau présumé des attentats du 11 septembre 2001) m’avait donné pour lui” a-t-il déclaré, avec l’aide d’un interprète. “Il m’a aussi semblé proche de Khaled Cheikh Mohammed, que j’avais rencontré en sa compagnie dans sa maison, à Karachi”, a ajouté Jack Roche. Lors de ce voyage entre Karachi et le camp d’Al-Qaïda près de Kandahar, via la ville pakistanaise de Quetta, Khaled Cheikh “m’a dit que Ganczarski allait m’escorter”, a ajouté l’Australien. “Il avait les contacts, j’avais l’impression qu’il faisait le trajet souvent. Près de Kandahar, c’est l’un des fils de ben Laden qui est venu nous chercher à un poste des talibans”. “J’ai passé quelques jours avec lui: il m’a semblé qu’il faisait le lien entre l’Europe et l’Afghanistan… Il avait aussi des compétences en informatique et en radiocommunications”, a-t-il ajouté. Il était aussi l’un des rares autorisés à porter une arme à la ceinture en présence du “cheikh Oussama”. Comme de coutume dans l’action clandestine islamiste, les deux hommes ne se connaissaient que par des pseudonymes: celui qu’utilisait Ganczarski était “Abou Mohammed” (père de Mohammed). Debout dans son box aux vitres blindées, filmé en gros plan pour que l’image parte à l’autre bout du monde, Christian Ganczarski a lancé à Jack Roche: “Suis-je la personne que vous connaissez sous le nom d’Abou Mohammed ?”. “Yes”, a répondu l’Australien. “Et bien moi, je ne vous connais pas” a affirmé l’accusé en allemand, traduit par une interprète. Selon Me Sébastien Bono, l’avocat de l’Allemand, le témoignage de Jack Roche est sujet à caution: il le soupçonne d’avoir échangé une réduction de sa peine contre un accord pour collaborer avec la police et la justice australienne. Mais l’Australien de 55 ans, né en Grande-Bretagne et converti à l’islam au début des années 90 pour combattre un problème d’alcool, a fermement démenti. Si ce témoignage n’apporte rien concernant l’attentat de Djerba, dont Christian Ganczarski est accusé d’avoir donné le feu vert par téléphone, il pourrait s’avérer crucial pour étayer l’autre chef d’inculpation, celui “d’association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste”. Christian Ganczarski est jugé depuis le 5 janvier à Paris avec deux autres hommes pour leur complicité présumée dans l’attentat de Djerba en avril 2002, qui avait fait 21 morts dont 14 touristes allemands, 5 Tunisiens et 2 Français. C’est la présence de Français parmi les victimes qui a permis le déclenchement d’une procédure en France.
Tunisie: aggravation du déficit commercial en 2008 (bilan)
AFP 23.01.09 | 16h18 Le déficit commercial chronique de la Tunisie s’est établi à 6,6 milliards de dinars (1 dinar= 0,56 euro) en 2008 contre 5,02 milliards de dinars en 2007, selon un bilan officiel publié vendredi à Tunis. En 2008, les importations ont augmenté de 23,7% (30,2 milliards de dinars) en 2008 et les exportations de 21,8% (23,63 milliards dinars), soit un taux de couverture de 78,2% (79,4% en 2007), selon les chiffres du ministère du Commerce. L’aggravation du déficit commercial est dû notamment à la hausse des prix des hydrocarbures et des produits alimentaires, outre une augmentation du volume des importations de matières premières et produits semi-finis. Le ministère prévoit un ralentissement des exportations en 2009 sous l’effet d’un recul attendu de la demande dans le contexte de la crise mondiale. Les exportations devraient progresser seulement de 8,7% en 2009 et les importations augmenteraient de 8,9%, selon les projections du ministère. Le Gouvernant table sur une diversification des marchés et des opportunités d’ouverture sur les marchés maghrébins et africains, la Tunisie effectuant 79% de ses échanges avec l’Union européenne, la France en tête. Le taux d’inflation s’est situé à 5% en 2008, l’objectif du gouvernement étant de le ramener à 3% cette année.
La Tunisie mobilise 29,85 millions de dollars pour la promotion du tourisme en 2009
2009-01-23 08:35:57 TUNIS, 22 janvier (Xinhua) — La Tunisie a mobilisé 40 millions de dinars (29,85 millions de dollars) pour la promotion du tourisme tunisien au cours de l’année 2009, a annoncé jeudi le ministre tunisien du Tourisme Khélil Lajimi. S’exprimant au cours d’un séminaire national sur “l’économie à la lumière des mutations internationales”, Khélil Lajimi a fait savoir que cette démarche s’inscrit dans le cadre campagne de promotion complémentaire au profit du tourisme tunisien en vue de mieux faire connaître la destination Tunisie en Europe. En abordant les probables répercussions de la crise financière internationale actuelle sur le secteur touristique en Tunisie, le ministre a déclaré “jusqu’à présent il n’y pas de diminution des réservations mais plutôt un manque de visibilité”. Il a précisé que le touriste européen est devenu à la lumière de la crise financière à l’affût des destinations touristiques les plus compétitives (dont la Tunisie) en choisissant les réservations et les voyages “dernière minute” au détriment des réservations à l’avance qui se font parfois avant 6 mois de la date du voyage. Le ministre tunisien a conseillé les professionnels du secteur sur la nécessité de “préserver la qualité des services, de ne pas baisser les prix et de résister face aux agences de voyages et tours opérators” qui essayent d’ exploiter la situation pour diminuer les prix. En dépit du ralentissement de ses marchés européens, le tourisme qui est l’un des secteurs économiques clés de la Tunisie et le deuxième plus grand employeur après l’agriculture, a montr é une croissance régulière en 2008, avec des recettes records. Les chiffres officiels publiés le mois dernier ont montré que les recettes touristiques de la Tunisie ont augmenté de 9% sur un an pour atteindre environ 1,8 milliard de dollars sur les neuf premiers mois de 2008. Le secteur du tourisme, qui constitue également pour la Tunisie la plus grande source de revenu en devises étrangères, emploie près de 16,6% de la main-d’oeuvre tunisienne avec plus de 500.000 emplois en 2008. Le tourisme contribue directement à près de 7% de l’ensemble du produit intérieur brut (PIB).Toutefois, selon le Conseil Mondial du Tourisme (WTTC), lorsque l’impact total du secteur sur la croissance économique est pris en compte, le tourisme ainsi que les recettes affiliées atteignent 17,7% du PIB total de la Tunisie, ce qui représente 6,45 milliards de dollars.
Gaza: Tunis envoie 16 tonnes de médicaments et d’équipements sanitaires
AFP 23.01.09 | 11h50 La Tunisie a envoyé un troisième avion d’aide humanitaire composée de 16 tonnes de médicaments et équipements sanitaires pour secourir les Palestiniens à Gaza suite à l’offensive israélienne, a rapporté vendredi l’agence tunisienne TAP. Cette aide vise à “alléger les souffrances endurées par les frères palestiniens qui vivent des conditions sanitaires et humanitaires dramatiques depuis le déclenchement de l’offensive israélienne”, a indiqué l’agence. Elle a ajouté que l’envoi de ce troisième avion d’aide “traduit la sollicitude accordée depuis des décennies par le gouvernement et le peuple tunisiens à la cause palestinienne”. Tunis avait acheminé en janvier deux aides humanitaires pour la population de Gaza et organisé des collectes de sang et de fonds. Début janvier, des manifestations autorisées avaient rassemblé des milliers de Tunisiens contre les opérations israéliennes dans la bande de Gaza.
Dominique Schroeder
Agence France-Presse Paris Après l’alimentation, les cosmétiques, les vêtements visibles et autres éléments de notre environnement, le bio se glisse dans les petites culottes et balconnets pour une lingerie qui se veut à la fois éco-responsable et sexy. «Si vous ne savez pas ce qu’il y a dans votre petite culotte, devriez-vous la porter ?», demandait un fabricant dans un court film diffusé au salon international de la lingerie qui s’est achevé mercredi à Paris. La marque anglaise Eco-Boudoir entendait ainsi attirer l’attention sur une industrie restée très polluante. Selon elle, pour une petite culotte, l’empreinte écologique est de 18 kilos d’équivalent carbone et 20 000 litres d’eau sont nécessaires pour fabriquer un kilo de coton, lui-même cultivé avec d’innombrables pesticides. La lingerie et le «loungewear», ces vêtements douillets que l’on porte pour flâner chez soi, s’affirment de plus en plus souvent «écolo». Mais surtout pas «baba», comme dans les années 70. L’heure est à la sophistication, avec des finitions travaillées, des formes sexy. «Aujourd’hui, être green, c’est glam», affirme Karine Lebreton, du bureau de style Promostyl. C’est en tous cas le credo d’Eco-Boudoir: «nous avons vraiment voulu créer une collection de lingerie complètement naturelle, complètement écologique, qui soit saine, belle, sexy et qui fasse mentir tous les préjugés sur le développement durable», explique sa fondatrice, Jenny White. La griffe propose slips, soutiens-gorge et autres nuisettes délicates que rien ne distingue des produits exposés ailleurs, si ce n’est leur composition: uniquement de la soie et du coton bio, du bambou ou une fibre de bois. La lingerie est fabriquée en Grande-Bretagne pour éviter la pollution due au transport et les imprimés sur soie sont réalisés selon un procédé utilisant moins d’eau que les méthodes traditionnelles. De son côté, Jina Luciani, qui a créé la marque Occidente il y a sept mois, ne propose que des pièces en coton bio issu du commerce équitable, colorées avec des teintures respectueuses de l’environnement. Sa petite société propose des nuisettes, soutiens-gorge bordés de dentelle, boléros réversibles, culottes bouffantes, leggings et pyjamas dans des coloris doux, avec des boutons en bois recyclé. «C’est plus mignon que sexy», reconnaît Jina Luciani. «La priorité première, c’est que ça soit confortable», l’objectif n’est pas de séduire mais d’«être bien avec soi» ou entre copines, dit-elle. Les vêtements «sont fabriqués en Tunisie par une société familiale, conformément à une charte éthique». La créatrice envisage de développer sa ligne et d’utiliser d’autres matières «bio mais haut de gamme», par exemple «du bambou avec une touche de soie». La lingerie bio «est un marché très, très porteur, qui va s’étendre et prendre de l’ampleur», pronostique Florence Peyrichou, de Promostyl. «Après toutes ces années de fioritures, d’excès, d’extravagance, de bling-bling, de choses ultra, on a envie de revenir à des choses plus douces, plus naturelles». Le fabricant de sous-vêtements masculins Eminence l’a bien compris. Une ligne en coton bio «labellisée Max Havelaar» (équitable) est disponible en boutique depuis décembre, indique Estelle Ribe, directrice des exportations. «On s’est aperçu que le consommateur est de plus en plus sensible» aux questions écologiques et de commerce équitable, explique-t-elle. Au point que la marque envisage d’étoffer cette ligne bio-équitable qui pour l’instant ne comprend que des slips, shortys et tee-shirts gris, noirs ou blancs.
Le HCR est préoccupé par la situation humanitaire à Lampedusa, en Italie
Vendredi 23 janvier 2009 GENEVE – Le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés a fait part aujourd’hui de sa préoccupation croissante face aux conditions auxquelles sont confrontés près de 2 000 boat people, parmi lesquels des demandeurs d’asile, actuellement entassés dans un centre de réception sur l’île de Lampedusa, dans le sud de l’Italie. Le centre, dont la capacité est prévue pour 850 personnes seulement, ne peut pas accueillir un nombre aussi élevé d’individus. De ce fait, des centaines de personnes dorment actuellement en plein air, sous des bâches en plastique, et la qualité de l’accueil ne peut être maintenue. Le centre de réception de Lampedusa avait été établi afin d’héberger temporairement les personnes secourues en mer, le temps que soient effectués les préparatifs nécessaires avant leur transfert, dans le sud de l’Italie, vers divers centres mis en place pour passer leur situation et leurs besoins en revue. Jusqu’à présent, ces dispositions étaient considérées comme un modèle en termes de gestion responsable des flux migratoires mixtes. La pratique c onsistait à accueillir les demandeurs d’asile dans des centres ouverts et leurs demandes d’asile étaient examinées par la commission territoriale de détermination du statut de réfugié. En début d’année, le gouvernement a apporté des modifications à ces dispositions. En vertu de celles-ci, tous les migrants et demandeurs d’asile doivent demeurer à Lampedusa jusqu’à ce que soit prise une décision sur leur sort. La surpopulation du centre de réception temporaire sur la petite île engendre une situation humanitaire préoccupante qui complique aussi le travail du HCR et des autres organisations œuvrant sur place, dans le cadre d’un projet financé par le Ministère de l’intérieur et la Commission européenne. « Depuis plusieurs années, le HCR travaille étroitement avec les autorités italiennes pour améliorer le système de gestion des flux mixtes de demandeurs d’asile et de migrants arrivant à Lampedusa par la mer », a expliqué Pirkko Kourula, directrice du bureau pour l’Europe au HCR. « Nous lançons un appel pressant aux autorités italiennes pour qu’elles prennent toutes les mesures nécessaires afin de gérer la situation humanitaire difficile qui est en train de se développer à Lampedusa. » Les statistiques disponibles montrent que de nombreuses personnes arrivées à Lampedusa par bateau sont originaires de Somalie et d’Erythrée. Selon les chiffres préliminaires pour 2008, quelque 75 pour cent de ceux qui sont arrivés par la mer en Italie l’année dernière ont déposé une demande d’asile, et environ 50 pour cent de ceux qui ont demandé l’asile se sont vu accorder le statut de réfugié ou une protection pour d’autres raisons humanitaires. FIN Pour consulter ce communiqué de presse sur le site web du HCR:www.unhcr.fr/communiques
Lampedusa: manifestation contre un centre d’identification des clandestins
LAMPEDUSA (Italie) – Plus de la moitié des habitants de l’île italienne de Lampedusa (sud) ont manifesté vendredi pour protester contre l’ouverture d’un centre d’identification des clandestins qui doit permettre des expulsions plus rapides, a constaté un photographe de l’AFP. Quelque trois mille des six mille habitants de la petite île se sont rendus devant le centre de premier accueil où se trouvent actuellement 1.677 immigrés, pour manifester leur hostilité à la construction d’un nouveau centre. Jusqu’à présent, les clandestins débarqués à Lampedusa n’y restaient que quelques jours avant d’être dirigés vers d’autres centres de rétention pour qu’il soit statué sur leur sort. Devant l’afflux d’immigrés ces dernières semaines, le gouvernement a décidé d’accélérer les procédures d’expulsion. Le ministre de l’Intérieur Roberto Maroni a annoncé vendredi à Rome la mise en service d’un Centre d’identification et d’expulsion (CIE) des clandestins débarqués sur l’île “afin de “pouvoir procéder aux rapatriements directement depuis Lampedusa”. “Le but est de boucler d’ici quelques semaines ce plan de rapatriement des clandestins débarqués à Lampedusa. Depuis le 1er janvier, nous avons rapatrié directement depuis Lampedusa environ 150 personnes”, des Egyptiens et des Nigérians, a déclaré le ministre de l’Intérieur lors d’une conférence de presse. Vendredi, 250 clandestins ont été évacués vers d’autres centres de rétention en Italie afin de désengorger Lampedusa, a indiqué à l’agence Ansa le directeur du centre Cono Galipo. “Les habitants protestent car ils étaient habitués à ce que le problème soit traité ailleurs. Mais notre politique de fermeté fera du bien à tout le monde, y compris aux habitants de l’île, et sera dissuasive pour les candidats à l’immigration”, a résumé M. Maroni, haut responsable du parti anti-immigrés de la Ligue du nord. Dans un communiqué, le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) a fait part vendredi de sa “préoccupation croissante pour la situation humanitaire” des clandestins du centre d’accueil, qui se trouvent “dans des conditions de surpopulation extrême”. “Des centaines de personnes sont contraintes de dormir avec des bâches de plastique pour seul abri”, a dénoncé le HCR, qui appelle “les autorités italiennes à faire le nécessaire pour résoudre la situation humanitaire difficile qui s’est créée à Lampedusa”. Selon le ministère de l’Intérieur italien, près de 31.700 immigrants ont débarqué à Lampedusa en 2008, une augmentation de 75% par rapport à l’année précédente. (©AFP / 23 janvier 2009 18h51)
Liberté économique dans le monde:
Le classement de la Tunisie dans l’index de 2009 de « Heritage Foundation »
World Rank: 98
Regional Rank: 11 of 17
Tunisia’s economic freedom score is 58, making its economy the 98th freest in the 2009 Index. Its score is 2.1 points lower than last year, reflecting decreased scores in three of the 10 economic freedoms. Tunisia is ranked 11th out of 17 countries in the Middle East/North Africa region, and its overall score is just below the world average.
Tunisia has pursued economic reforms aimed at maintaining a prudent macroeconomic framework, liberalizing domestic prices and controls, and reducing the public sector’s role in economic activity. However, progress has been mixed.
Tunisia scores well in business freedom and government size. Regulation has become more efficient and streamlined. Property rights are largely respected even though the executive branch is the supreme arbiter. Tunisia scores low in trade freedom and investment freedom. Excessively high tariffs, import restrictions, and licensing requirements limit trade freedom. Protectionist investment policies and cumbersome bureaucracy stifle foreign investment. Inflation remains moderate, but the state can set prices in some circumstances. Income and corporate tax rates remain burdensome despite a tax cut in 2007. The financial sector is subject to political influence, and corruption remains significant.
Pour une vue détaillée et exhaustive, cliquez sur ce lien:
http://www.heritage.org/Index/Country/Tunisia
Habib Bourguiba était-il franc-maçon ?
La Franc-maçonnerie en Tunisie : Tout le monde en parle mais peut de donnée concrets ont pu être documentés jusqu‘à présent. Si la situation d’infiltration de cette loge de notre pays aujourd’hui ne fait plus aucun doute la controverse continue sur son importance et son étendu. Dans le dernier numéro de l’hebdomadaire Réalités Adel Ben Youssef l’historien-chercheur en histoire contemporaine à la Faculté des Lettres de Sousse l’historien livre dans une longue interview en avant première d’un livre qu’il est en train de préparer sur la question le résultat de ses recherches sur la question et sur les arguments créditant l’appartenance du président Habib Bourguiba à cette loge depuis les négociations de l’indépendance de la Tunisie et son initiation lorsqu’il été emprisonné à l’île La Galite depuis 1953.
Le texte reproduit plus bas représente une partie de cette interview « Maçonnerie en Tunisie : Bourguiba était-il franc-maçon? ».
Nombreuses sont les hautes personnalités tunisiennes qui ont adhéré à la Franc-maçonnerie. On y trouve même des personnalités de proue de l’Administration et du mouvement national tunisien et même parmi les membres de la famille beylicale. A titre d’exemple, on peut citer parmi eux MM. Slaheddine Baccouche, Mohamed Salah Mzali, (deux Premiers ministres), Tahar Ladjimi, Hmida Doulatli et Ahmed Haddad (Caïds), Mohamed Aziz Ben Hassen Sakka (Khalifa)…, Abdeljelil Zaouech, Salah Belajouza, Jalloul Ben Chérifa…, (des nationalistes) et plusieurs avocats, médecins, pharmaciens et surtout instituteurs ou inspecteurs tunisiens, entre autres : Abdeljelil Ben Ali, Taïeb Basly, Daly Yahia …
Côté français, nombreux sont les francs-maçons français ayant pris en mains les destinées de la Tunisie sous le Protectorat. Nous pouvons citer parmi eux MM. Etienne Flandin, Stephen Pichon, Marcel Peyrouton, Jean Mons… (résidents généraux), Pierre Bertholle, René Clément, Paul De Gourlet…, (contrôleurs civils), Le Theuff (haut fonctionnaire de la Direction de l’Intérieur), Lucien Paye (Directeur de l’Instruction publique), Gabriel Mérat (Directeur du Collège Sadiki) etc.
Bourguiba était-il franc-maçon ?
Avant de parler de Bourguiba, il est à noter qu’en 1931 le docteur Mahmoud Elmateri, en tant que Secrétaire Général de «L’Association des Amis de l’Etudiant», présidée par le docteur Mohamed Tlatli depuis sa création au début de 1928, a dû faire recours aux membres influents de la Franc-maçonnerie française en Tunisie afin qu’ils interviennent auprès de la Résidence Générale de France à Tunis en vue d’obtenir l’autorisation officielle de cette association.
Pour ce qui est de Habib Bourguiba, l’historienne Julliette Bessis rapporte le fait suivant : «Habib Bourguiba s’est lié avec Félicien Challaye et a même assisté au Congrès de la Ligue des Droits de l’Homme à Vichy, en mai 1931. Est-il, comme l’affirment différents témoignages, affilié depuis cette époque à la Franc-maçonnerie ?».
De son côté Roger Peyrefitte, dans son livre exhaustif sur la Franc-maçonnerie, ses initiés et ses obédiences, retraçant habilement les activités des loges maçonniques en Afrique du Nord avant l’indépendance, écrit : «Les ateliers de Tunisie figuraient encore sur le papier, mais avaient reçu de la rue Cadet l’instruction de ne remuer ni pied ni patte. Bourguiba, qui avait été maçon, n’était pas plus favorable que Nasser, protecteur nominal de la Grande Loge d’Égypte, à ce qui lui semblait une idéologie judéo-chrétienne et un souvenir du colonialisme».
Mais dans le volumineux Dictionnaire de la Franc-maçonnerie, réalisé sous la direction de Daniel Ligou et auquel ont collaboré cent quarante spécialistes de la maçonnerie, nous en apprenons un peu plus sur le passé maçonnique de Bourguiba. L’article sur l’historique de la franc-maçonnerie en Tunisie, signé par H.C. et R.P., ne laisse planer aucun doute sur la fidélité de Bourguiba, longtemps après l’indépendance : «Le Président Bourguiba lui-même, outre sa formation universitaire, eut, pendant une astreinte à résidence forcée, un haut fonctionnaire français franc-maçon comme compagnon et mentor politique, chargé de parfaire sa formation de futur homme d’État».
Nous pensons surtout à la dure période de son incarcération à l’île La Galite (du 21 mai 1953 au 20 mai 1954), où le leader du Néo-Destour a été initié par le médecin de la Marine, un certain Laize, installé sur l’île avec sa femme et ses deux matelots de service à la radio et bien entendu l’inspecteur de police Messa qui ne le quittait jamais.
Selon certains témoignages, c’est un certain Laize qui lui a fait connaître les secrets de la Franc-maçonnerie, son influence sur la scène politique française et internationale. Après la rude épreuve de La Galite, Habib Bourguiba a été transféré à l’île de Groix en Bretagne puis au château de la Ferté au village d’Amilly dans le Loiret (dès le 17 juillet 1954).
Durant cette période, le château de la Ferté devint le lieu de pèlerinage de la plupart des Tunisiens résidants à Paris. Sur ordre des responsables de la cellule et de la fédération destourienne de Paris et en particulier Mohamed Masmoudi, certains étudiants tunisiens, se rendaient de temps à autre le soir sur des vespas vers le lieu de résidence de Bourguiba. Ils empruntaient la porte de derrière pour faire sortir le leader qui les attendait avec impatience pour le conduire au domicile du docteur Ahmed Somïa où se trouvaient également ses deux amis, Raja Berraïs (alias Beuré) et Pierre Mendès France, pour discuter de l’autonomie interne de la Tunisie. Tous ces trois étaient des francs-maçons notoires, membres de la même loge «Bienfaisance et progrès» de Paris. Selon le témoignage de d’un de ses anciens internes à l’hôpital franco- musulman de Bobigny, le docteur Ahmed Somïa était lié d’une amitié sans faille avec le Président du Conseil et tenait à rencontrer Bourguiba et connaître son point de vue avant son départ pour Tunis et son célèbre discours au palais de Carthage, le 31 juillet 1954. Ce n’est pas par hasard que quelques mois seulement après l’accès de la Tunisie à l’indépendance qu’on va assister à la promulgation du Code de Statut Personnel (le 13 août 1956), la proclamation de la République (le 25 juillet 1957), la mise en place d’un enseignement laïc et moderne (novembre 1958)…
On peut aussi consulter sur le sujet :
– Khalifa Chater: La Franc-maçonnerie en Tunisie à l’épreuve de la colonisation (1930-1956) – Cahiers de la Méditerranée – vol. 72–2006, La Franc-Maçonnerie en Méditerranée (XVIIIe – XXe siècle) – L. MIZOURI: La naissance de la franc-maçonnerie dans la Tunisie précoloniale – IBLA,1994 , N° 1, vol. 57, de la page 69 à la page 80 – Antoine SFEIR : La franc-maçonnerie en terres d’islam. Interview de l’hebdomadaire “l’Express” recueillis par Christian Makarian, publié le 29/05/2003
(Source : «Tunisiawatch », le blog de Mokhtar Yahyaoui, le 22 janvier 2009)
Lien : http://tunisiawatch.rsfblog.org/
La Franc- maçonnerie en Tunisie :
Bourguiba était-il franc-maçon? Un entretien avec l’historien Adel Ben Youssef
Par Fayçal Chérif La Franc-maçonnerie reste ambiguë dans l’esprit des gens. Elle est synonyme d’intrigues, de société secrète, de manipulation de coulisses et de complot pour tout dire. Combattue et dénoncée, elle ne cesse d’attirer des questions sur ses origines, ses ramifications dans nos sociétés et surtout les buts qu’elle poursuit. Nous avons interrogé un historien spécialiste sur la question pour nous éclairer sur la Franc-maçonnerie en général et son prolongement en Tunisie en particulier. Adel Ben Youssef est historien-chercheur en histoire contemporaine à la Faculté des Lettres de Sousse. Auteur d’une thèse de doctorat intitulée : «L’élite tunisienne moderne : le cas des étudiants tunisiens de l’Université française 1880-1956» (en langue arabe), avril 2000. Membre d’une unité de recherche «Histoire économique et sociale de la Tunisie». Auteur de plusieurs études et publications dans des revues paraissant en Tunisie et à l’étranger sur les thèmes suivants : les élites tunisiennes, l’enseignement moderne, les associations culturelles et le Mouvement national en Tunisie durant l’époque coloniale (en langues arabe et française), Adel ben Youssef se penche depuis quelques années sur l’étude de la Franc- maçonnerie et des sociétés secrètes en Tunisie sous le Protectorat français et prépare actuellement un ouvrage sur ce thème combien d’actualité. Interview. Qu’est-ce que la Franc- maçonnerie? D’après Larousse, «La franc-maçonnerie est une association, en partie secrète, de personnes qui professent des principes de fraternité, se reconnaissent entre elles à des signes et à des emblèmes, se divisent en groupes appelés Loges». La Franc-maçonnerie a été aussi définie par l’assemblée des grands maîtres européens en 1952 comme «une institution d’initiation spirituelle au moyen de symboles». L’article 1 des constitutions de la Grande Loge de France l’a définie comme «un ordre initiatique traditionnel et universel fondé sur la fraternité». Elle a pour but le perfectionnement de l’homme et de l’humanité. Ses membres se recrutent par cooptation selon des rites initiatiques. Elle se fixe pour but de réunir en son sein les «hommes libres et de bonnes mœurs», qui veulent travailler à l’amélioration matérielle et morale ainsi qu’au perfectionnement intellectuel et social de l’humanité. Elle se veut universelle : les vicissitudes de son histoire l’ont pourtant divisée en de multiples obédiences. La discrétion dont elle entoure ses activités et qu’elle impose à ses membres n’en fait pas, pour autant, une société secrète : elle se manifeste souvent publiquement et ses «secrets» ont été depuis longtemps dévoilés au monde profane par d’innombrables ouvrages. L’existence de la secte remonte au temps de Salomon selon certains, et au temps des Pharaons selon d’autres. Que peut-on dire brièvement de son histoire ? La première loge maçonnique, «La Grande Loge de Londres», est apparue en Angleterre dès 1717. Dès lors, des loges ont commencé à prendre naissance en Europe et dans le monde. En France, la Franc-maçonnerie fut introduite entre 1725-1726 et se développa rapidement. En 1740, on comptait une dizaine de loges à Paris et une quinzaine en province. En 1789, le Grand Orient de France en contrôlait 60 à Paris, 448 en province, 40 dans les colonies, 19 à l’étranger et 68 dans l’armée royale, regroupant quelque 70.000 membres. Les loges parisiennes prennent part à la Révolution française de l’ancien régime. Le mot maçonnerie (de maçon : bâtisseur) est lié à la construction du Temple de Salomon. Bien que la secte regroupe des membres de tous bords, ses fondateurs ainsi que ses hauts dirigeants sont d’origine exclusivement juive. En apparence, l’organisation affiche des objectifs humanitaires visant à cultiver l’amour entre les hommes, à la recherche de la paix, du bien et du progrès de l’humanité. La fameuse devise de la République Française “liberté, égalité, fraternité”— est d’origine maçonnique. Cet idéal philanthropique lui a permis d’étendre son influence partout dans le monde et de gagner la sympathie d’un nombre considérable de hautes personnalités notamment en Occident. Mais certains lui imputent des visées machiavéliques C’est vrai. Certains estiment que le but véritable de la Franc-maçonnerie serait de préparer l’avènement du gouvernement juif pour diriger le monde, lequel, selon les enseignements du Talmud, interviendrait en temps de crises et de déliquescences généralisées. Dans le souci de contribuer à la création des conditions de cet évènement, la secte s’emploie à détruire la religion et la morale. D’où l’anarchisme, le communisme, la laïcité, bref, tous ces systèmes et ces doctrines immoraux et libertaires inventés par des Juifs franc- maçons. L’organisation comporte trois structures (ou niveaux) superposées, le 1er : la franc-maçonnerie symbolique, le 2ème : le Pacte royal et le 3ème : la Franc-maçonnerie universelle. Chaque structure comprend 33 échelons, chaque échelon correspond à un grade déterminé. Pour passer d’une structure à l’autre, le membre doit gravir les 33 échelons. Une pyramide surmontée d’un oeil au sommet symbolise le temple en voie de construction. L’organisation est soumise à une discipline de fer, fondée sur le respect de la hiérarchie et des règles de conduite, et ce dans le secret le plus absolu. Tout manquement peut entraîner la mort du présumé coupable. La promotion d’un échelon à l’autre est fonction de l’engagement du membre et des services qu’il a rendus à la secte. Ses réunions sont secrètes, elles se tiennent généralement de nuit et dans des lieux placés sous haute surveillance. Les membres de la secte utilisent un langage particulier formé de mots de passe, de signes et de symboles incompréhensibles aux profanes. Ses activités sont particulièrement axées sur la défense de la laïcité, des droits politiques et culturels des minorités, de la liberté de la femme… Des actions sont énergiquement menées pour l’instauration de l’égalité entre les hommes et les femmes J’ai personnellement découvert ce monde par coïncidence. En interviewant un des anciens étudiants de l’Université française durant les années 1990, ce dernier m’a informé sur les rencontres secrètes entre Bourguiba et Mendès France en juillet 1954 (sur lesquelles nous reviendrons) qui avaient lieu dans la maison d’un Tunisien franc-maçon, le docteur Ahmed Somïa. Dès lors, je me suis intéressé à ce monde profane, secret, en vue de le dévoiler et mieux comprendre son fonctionnement et ses relations avec le monde extérieur. Comment la Franc- maçonnerie est-elle venue en Tunisie ? En Tunisie comme dans la plupart des pays arabes de la rive sud de la Méditerranée, la Franc-maçonnerie est le reflet des influences que subit la Régence de la part des pays européens. A l’influence livournaise en Tunisie, il convient d’ajouter l’influence marseillaise. Le docteur Louis Franck, médecin d’Etat- major, qui veilla sur la santé de Hamouda Pacha Bey en 1806, sous l’Empire, témoigne des liens que les marchands français tissèrent entre la France et la Tunisie. Ce n’est pas par hasard que la première loge tunisienne fut créée par les maçons marseillais, en 1812, relevant de l’obédience de la loge mère «La Loge Ecossaise de Marseille», au titre distinctif «Loge de Saint – Jean d’Ecosse l’Impériale, Amis Fidèles du Grand Napoléon». Au total, entre 1812 et 1881, treize loges ont été créées dans la Tunisie précoloniale et si la Franc-maçonnerie européenne a trouvé un champ d’activité très prospère, c’est grâce à l’importance du nombre d’Européens, essentiellement les réfugiés italiens installés dans les grandes villes de la Régence depuis le début du XIXème siècle. Cette situation va sans doute favoriser davantage l’implantation de loges françaises après l’établissement du Protectorat français le 12 mai 1881 et l’adhésion de Tunisiens musulmans à ces loges. Avec le protectorat, en 1881, l’activité maçonnique va-t-elle s’intensifier en Tunisie ? Le Traité du Bardo, signé entre la France et le Bey de Tunis, va assainir le climat politique et éclaircir le panorama maçonnique avec la multiplication des loges françaises à Tunis et dans les grandes villes de la Régence. Les Français, qui étaient venus s’installer massivement en Tunisie, déposèrent auprès du Grand Orient de France une demande de patente pour la création d’une loge au titre distinctif «La Nouvelle Carthage». Celle – ci fut créée le 27 avril 1885 et fut l’une des loges les plus brillantes parmi celles qui furent créées à l’Orient de Tunis. Elle battit maillet jusqu’en 1960, et fut reconstituée à Paris en 1988. Quelques années plus tard, d’autres loges virent le jour : «L’Aurore du XIX è siècle» à l’Orient de Bizerte (le 17 décembre 1900), «La Nouvelle Hadrumète» à l’Orient de Sousse (le 9 novembre 1903), «Le Phare de Tyna» à l’Orient de Sfax (le 9 novembre 1903), «Tacapes» à l’Orient de Gabès, «La Nouvelle Utique» à l’Orient d’Utique 1908, «La Nouvelle Carthage et Salammbô Réunies», (le 21 avril 1909), «L’Etoile de Carthage» (le 13 décembre 1931), «Travail, Liberté, Progrès» (le 29 novembre 1924), «Abdelkader» (le 12 décembre 1955), toutes à l’Orient de Tunis. Quant aux Italiens, ils se sont contenté de créer la loge «Concordia», ordre de Tunis, qui était très active au début des années 1920. La Grande Loge de France crée quant à elle «La Volonté» (en 1903), «Volonté et Véritas» (en 1926), à l’Orient de Tunis puis «Lumière et Progrès» à l’Orient de Sousse (en 1926). Quant à l’Obédience Mixte Internationale, le Droit Humain, elle installa une loge en 1904, dite «Loge 201», mais elle ne fut guère active avant 1914. En somme, la période coloniale a vu la création de quatorze loges, dix relevaient du Grand Orient de France, trois de La Grande Loge de France, et une seule de l’Obédience Mixte Internationale. À la suite de la promulgation de la loi 1959 sur les associations par le président Habib Bourguiba, la plupart de ces loges vont cesser de fonctionner après soixante-et-onze ans d’activité. Seule «La Nouvelle Carthage» continue à battre maillet jusqu’en 1964. Quels sont les précurseurs tunisiens à adhérer à ce mouvement ou «secte»? Même si l’on ne dispose pas d’un chiffre exact du nombre de Tunisiens musulmans ayant adhéré à ces loges européennes fondées dans la Régence et leurs noms, on dispose quand même du nombre total d’adhérents à la loge «Ancient Carthage n° 1717». A côté de ses sept fondateurs cette loge comptait en 1880, 135 adhérents, dont cinq seulement sont des Musulmans (soit 3.7%), contre 75 Catholiques (soit 55.5 %), 35 Juifs (soit 26 %), 18 Protestants (soit 13.3 %) et deux Grecs orthodoxes (soit 15 %). Un des rapports de la loge «La Nouvelle Carthage» nous informe que «Le Général de Division Mustapha Ben Smaïl, ancien Premier Ministre du Bey, Grand Croix de la Légion d’Honneur, qui n’a dû qu’à ce vice sa haute fortune, qui a été dit-on initié à Paris, mais qui se présente avec un bref de R.C. et une patente de 30 è délivrés par la Grande Loge d’Angleterre, ne sera jamais affilié à notre Loge. S’il se présentait à nos travaux nous prononcerions immédiatement la clôture. Nous ne pouvons agir autrement par dignité pour notre ordre et pour être respectés à Tunis». En vertu de leurs statuts les loges françaises implantées en Tunisie dès 1881, n’étaient pas fermées aux non-Français, aux Juifs et surtout aux «indigènes», mais la réalité était autrement. Dans ce sens le franc-maçon Nunez dénonçait en 1907 les agissements de la doyenne des loges françaises «La Nouvelle Carthage», dépendante du G.O.D.F., qui ne refusait pas officiellement les demandes de profanes non-Français, mais elle leur fermait la porte. Idem pour la loge «Volonté», dépendante de la G.L.D.F., qui défend en application de son statut intérieur, «l’entrée à ceux qui ne sont pas Français». Ce qui explique l’implication de leurs dirigeants dans la défense des privilèges de la colonie française. Cumulant les statuts de Vénérable de la loge «La Nouvelle Carthage», celui de chef d’entreprise et de Représentant de la communauté française à la Conférence Consultative de la Tunisie, Duclos réclame en 1911, «l’institution d’un Conseil Colonial, élu au suffrage universel et aux membres desquels exclusivement Français qui serait attribué des pouvoirs délibératifs». Notons cependant, le souci de Duclos «d’attirer des Israélites et des indigènes fort intelligents, animés d’un esprit élevé et tolérant». Mais cette volonté d’ouverture —dans le cadre d’un paternalisme colonial !— est mise en échec, au sein des francs-maçons, par «l’ostracisme des préjugés de race», que Duclos dénonce. Selon un état de l’atelier de la loge «Volonté et Véritas Réunies», et d’après l’examen des noms patronymiques des affilés (puisque les nationalités n’étaient pas indiquées), permet de constater que sur 76 francs-maçons affiliés en 1945, une majorité juive, pour la plupart Livournais et une poignée de Français de souche et trois Musulmans. L’étude des procès-verbaux de cette loge atteste que ses membres n’étaient pas totalement intégrés dans la société coloniale française, puisqu’ils se plaignaient du freinage du mouvement de naturalisation et relevaient que de «nombreux intellectuels tunisiens dignes et honnêtes voient leurs requêtes repoussées ou éternellement laissées en suspens». De leur côté les prépondérants ont, de 1891 à 1907 et même après, largement critiqué, dans leurs journaux l’adhésion des Musulmans à des loges maçonniques. Malgré toutes les manœuvres françaises à l’encontre des «indigènes», provenant de l’intérieur ou bien de l’extérieur du monde maçonnique, les loges maçonniques françaises dépendant du G.O.D.F ou celles de la G.L.D.F. ont pu attirer à leurs ateliers durant 75 ans de présence française en Tunisie, près d’une cinquantaine de profanes musulmans. Pour quelles raisons ces Musulmans ont-il adhéré à des loges maçonniques, alors que la Franc-maçonnerie était fermement contestée par la totalité de la société tunisienne musulmane conservatrice, et ce en raison de son origine judéo-chrétienne ?
L’image retenue de la Franc-maçonnerie par la population européenne locale est celle d’une société de bienfaisance. Dans le même temps le souci des francs-maçons à l’égard des populations autochtones se renforce : les frères fondateurs estiment que la Maçonnerie pourrait servir à «amalgamer les Arabes, les Kabyles, les Turcs, les Juifs et les Chrétiens, c’est à dire les vainqueurs et les vaincus», comme le déclare le frère H. de Brivazac. L’assimilation est «le seul but légitime de la conquête». La date d’initiation du premier Arabe en Algérie remonte à 1839. L’initiation, en 1864, de l’Emir Abd el Kader est à la mesure de cette aspiration d’un rapprochement souhaitable entre les communautés et aussi de l’admission de musulmans dans les loges. Mais si les idées maçonniques ne rebutent pas des Musulmans ayant appris le français, les populations arabes ignorent, d’une façon générale, jusqu’à l’existence de la Franc-maçonnerie. Pour eux, les ateliers maçonniques suppléent, en partie, à l’absence des salons et des académies que la société du XVIIIème siècle apprécie. D’une façon générale, les ateliers deviennent des «lieux de fraternité» qui évitent aux «pérégrins» un isolement mal vécu. A part les principes et les slogans trompeurs de la Franc-maçonnerie, nombreux sont les Tunisiens qui ont adhéré à des loges maçonniques pour servir des intérêts purement personnels : à la recherche d’une promotion professionnelle dans l’Administration tunisienne ou d’un poste politique dans l’appareil de l’Etat. Le secteur de l’enseignement constitue un très bon exemple de l’ambition des frères tunisiens. Etant donné que l’enseignement public en Tunisie était contrôlé par «Le Cercle Tunisien de La Ligue Française de l’Enseignement», son fondateur, le docteur Bertholon, ancien médecin militaire, était profondément laïque certes, mais d’esprit très libéral, entouré de plusieurs maçons influents. Mais à partir de 1895, la Ligue de l’Enseignement entre en sommeil et ses activités ne devaient reprendre qu’en février 1901 sous la direction de Victor Communaux qui fit alors de «La Fédération des Cercles de la Régence» un instrument de combat en faveur de la laïcité dans la lutte scolaire qui faisait rage à l’époque en France et qui allait bientôt s’étendre en Tunisie. A partir des années 1920, l’influence des francs-maçons s’élargit davantage dans tous les rouages et secteurs de la Régence et en particulier dans l’enseignement public qui devient le bastion des Frères, à tel point que la nomination de directeurs d’écoles ou de collèges ou lycées, d’inspecteurs d’enseignement primaire ou secondaire, de chefs de service de la D.I.P. (Direction de l’Instruction Publique)…, ne se fait qu’après l’approbation du «lobby» maçonnique de Tunis, voire même de Paris et notamment du G.O.D.F. Cela voudrait-il qu’il n’y avait pas des Tunisiens convaincus par l’idéal maçonnique ? Sans donner un tableau noir sur les francs-maçons tunisiens musulmans, nous disons qu’il y a eu certainement parmi eux de bons maçons qui voulaient sans doute servir les intérêts publics tunisiens et la cause nationale de leur pays. Se référant aux tenues des loges, aux convents des obédiences, aux congrès régionaux et inter- obédientiels, les revendications des francs-maçons tunisiens musulmans étaient très variées et touchent tous les domaines de la vie des Tunisiens. Dans le domaine social et culturel, les Frères tunisiens revendiquaient la propagation de l’enseignement public dans toute la Régence, la création d’écoles primaires, de collèges et lycées, notamment dans les régions défavorisées et non habitées par les Européens, la révision des impôts, l’amélioration des conditions matérielles des classes dépourvues de ressources, notamment les ouvriers et les paysans, la suppression de Khemmasat (le métayage) et de l’impôt de capitation… Dans le domaine économique, ils revendiquaient la mécanisation de l’agriculture, l’introduction de nouvelles méthodes et techniques dans l’industrie, la modernisation du commerce et des banques en Tunisie… Dans le domaine politique et judiciaire, ils revendiquaient le suffrage universel pour tous les Tunisiens, la création d’un Conseil Général à capacité budgétaire, la création de municipalités dans tout le territoire de la Régence, la possibilité pour les Musulmans de choisir entre les juridictions tunisiennes ou françaises… Y a-t-il eu des personnalités tunisiennes éminentes qui ont adhéré à la Franc-maçonnerie sous le Protectorat ? Nombreuses sont les hautes personnalités tunisiennes qui ont adhéré à la Franc-maçonnerie. On y trouve même des personnalités de proue de l’Administration et du mouvement national tunisien et même parmi les membres de la famille beylicale. A titre d’exemple, on peut citer parmi eux MM. Slaheddine Baccouche, Mohamed Salah Mzali, (deux Premiers ministres), Tahar Ladjimi, Hmida Doulatli et Ahmed Haddad (Caïds), Mohamed Aziz Ben Hassen Sakka (Khalifa)…, Abdeljelil Zaouech, Salah Belajouza, Jalloul Ben Chérifa…, (des nationalistes) et plusieurs avocats, médecins, pharmaciens et surtout instituteurs ou inspecteurs tunisiens, entre autres : Abdeljelil Ben Ali, Taïeb Basly, Daly Yahia … Côté français, nombreux sont les francs-maçons français ayant pris en mains les destinées de la Tunisie sous le Protectorat. Nous pouvons citer parmi eux MM. Etienne Flandin, Stephen Pichon, Marcel Peyrouton, Jean Mons… (résidents généraux), Pierre Bertholle, René Clément, Paul De Gourlet…, (contrôleurs civils), Le Theuff (haut fonctionnaire de la Direction de l’Intérieur), Lucien Paye (Directeur de l’Instruction publique), Gabriel Mérat (Directeur du Collège Sadiki) etc. Bourguiba était-il franc-maçon ? Avant de parler de Bourguiba, il est à noter qu’en 1931 le docteur Mahmoud Elmateri, en tant que Secrétaire Général de «L’Association des Amis de l’Etudiant», présidée par le docteur Mohamed Tlatli depuis sa création au début de 1928, a dû faire recours aux membres influents de la Franc-maçonnerie française en Tunisie afin qu’ils interviennent auprès de la Résidence Générale de France à Tunis en vue d’obtenir l’autorisation officielle de cette association. Pour ce qui est de Habib Bourguiba, l’historienne Julliette Bessis rapporte le fait suivant : «Habib Bourguiba s’est lié avec Félicien Challaye et a même assisté au Congrès de la Ligue des Droits de l’Homme à Vichy, en mai 1931. Est-il, comme l’affirment différents témoignages, affilié depuis cette époque à la Franc-maçonnerie ?». De son côté Roger Peyrefitte, dans son livre exhaustif sur la Franc-maçonnerie, ses initiés et ses obédiences, retraçant habilement les activités des loges maçonniques en Afrique du Nord avant l’indépendance, écrit : «Les ateliers de Tunisie figuraient encore sur le papier, mais avaient reçu de la rue Cadet l’instruction de ne remuer ni pied ni patte. Bourguiba, qui avait été maçon, n’était pas plus favorable que Nasser, protecteur nominal de la Grande Loge d’Égypte, à ce qui lui semblait une idéologie judéo-chrétienne et un souvenir du colonialisme». Mais dans le volumineux Dictionnaire de la Franc-maçonnerie, réalisé sous la direction de Daniel Ligou et auquel ont collaboré cent quarante spécialistes de la maçonnerie, nous en apprenons un peu plus sur le passé maçonnique de Bourguiba. L’article sur l’historique de la franc-maçonnerie en Tunisie, signé par H.C. et R.P., ne laisse planer aucun doute sur la fidélité de Bourguiba, longtemps après l’indépendance : «Le Président Bourguiba lui-même, outre sa formation universitaire, eut, pendant une astreinte à résidence forcée, un haut fonctionnaire français franc-maçon comme compagnon et mentor politique, chargé de parfaire sa formation de futur homme d’État». Nous pensons surtout à la dure période de son incarcération à l’île La Galite (du 21 mai 1953 au 20 mai 1954), où le leader du Néo-Destour a été initié par le médecin de la Marine, un certain Laize, installé sur l’île avec sa femme et ses deux matelots de service à la radio et bien entendu l’inspecteur de police Messa qui ne le quittait jamais. Selon certains témoignages, c’est un certain Laize qui lui a fait connaître les secrets de la Franc-maçonnerie, son influence sur la scène politique française et internationale. Après la rude épreuve de La Galite, Habib Bourguiba a été transféré à l’île de Groix en Bretagne puis au château de la Ferté au village d’Amilly dans le Loiret (dès le 17 juillet 1954). Durant cette période, le château de la Ferté devint le lieu de pèlerinage de la plupart des Tunisiens résidants à Paris. Sur ordre des responsables de la cellule et de la fédération destourienne de Paris et en particulier Mohamed Masmoudi, certains étudiants tunisiens, se rendaient de temps à autre le soir sur des vespas vers le lieu de résidence de Bourguiba. Ils empruntaient la porte de derrière pour faire sortir le leader qui les attendait avec impatience pour le conduire au domicile du docteur Ahmed Somïa où se trouvaient également ses deux amis, Raja Berraïs (alias Beuré) et Pierre Mendès France, pour discuter de l’autonomie interne de la Tunisie. Tous ces trois étaient des francs-maçons notoires, membres de la même loge «Bienfaisance et progrès» de Paris. Selon le témoignage de d’un de ses anciens internes à l’hôpital franco- musulman de Bobigny, le docteur Ahmed Somïa était lié d’une amitié sans faille avec le Président du Conseil et tenait à rencontrer Bourguiba et connaître son point de vue avant son départ pour Tunis et son célèbre discours au palais de Carthage, le 31 juillet 1954. Ce n’est pas par hasard que quelques mois seulement après l’accès de la Tunisie à l’indépendance qu’on va assister à la promulgation du Code de Statut Personnel (le 13 août 1956), la proclamation de la République (le 25 juillet 1957), la mise en place d’un enseignement laïc et moderne (novembre 1958)… Quelle influence exerce la Franc-maçonnerie sur les décideurs et quelles sont les personnalités internationales connues comme franc- maçonnes ? S’il y a des interférences entre la Franc-maçonnerie et le monde politique, c’est parce que, tout d’abord, le franc-maçon est un citoyen engagé. Partant de ce principe, de très nombreuses personnalités ont appartenu à la Franc-maçonnerie. Parmi les plus connues et les plus souvent citées figurent : Voltaire, Montesquieu, Goethe, Benjamin Franklin, Mozart, George Washington, Théodore Roosevelt, Frédéric II, Jules Ferry, Simon Bolivar, Sir Winston Churchill, F.D. Roosevelt, Harry Truman, Pierre Mendès-France, Jean Moulin, Guy Mollet, Léon Gambetta, Félix Faure, Théophile Delcassé, Paul Doumer, Henry Ford, Georges VI, l’Emir Abdelkader, Mustapha Kamel «Ataturk», Jamel Eddine Afghani, Moulay Abdelhafidh (ancien roi du Maroc) et bien d’autres. Les francs-maçons sont aujourd’hui plus de sept millions de par le monde. Ils ne cessent de hanter l’imagination de leurs contemporains. Ils ont donné naissance à des mythes géopolitiques importants. On leur a successivement prêté la paternité des révolutions américaine, française et russe ainsi que la destruction de l’Autriche-Hongrie, la création de la S. D. N. etc. Dès le XIXème siècle la franc-maçonnerie s’est scindée en deux courants, l’un traditionnel, l’autre politisé. La maçonnerie n’attache aucune valeur durable aux frontières, aux patries, aux nations… Elle est même portée à considérer comme un recul provisoire le développement du sentiment patriotique qui s’est fait dans tous les peuples depuis un peu plus d’un siècle, et le réveil des nationalités qui en a été la conséquence. Elle suppose l’effacement progressif de l’injustice à l’intérieur de la société et de même l’effacement des frontières nationales. Mais ça, c’est lointain… très lointain… En somme la Franc-maçonnerie est un «lobby» ou un groupe de pression là où il se trouve. Cependant, le fait que de nombreuses personnalités haut placées font partie d’une loge maçonnique ne veut pas dire que les franc- maçons «font le monde» ! Si la Franc-maçonnerie est toujours interdite dans la plupart des pays arabes et musulmans, elle commence néanmoins à être reconnue et autorisée dans certains d’entre eux à l’instar du Liban, du Maroc, de la Turquie…, où le nombre de maçons et de loges ne cesse d’augmenter d’une façon vertigineuse. Dans le reste des pays arabes où la franc-maçonnerie est strictement interdite, les instances maçonniques internationales essayent de s’y établir sous couvert d’organismes internationaux. La Franc-maçonnerie reste ambiguë dans l’esprit des gens. Elle est synonyme d’intrigues, de société secrète, de manipulation de coulisses et de complot pour tout dire. Combattue et dénoncée, elle ne cesse d’attirer des questions sur ses origines, ses ramifications dans nos sociétés et surtout les buts qu’elle poursuit. Nous avons interrogé un historien spécialiste sur la question pour nous éclairer sur la Franc-maçonnerie en général et son prolongement en Tunisie en particulier. Adel Ben Youssef est historien-chercheur en histoire contemporaine à la Faculté des Lettres de Sousse. Auteur d’une thèse de doctorat intitulée : «L’élite tunisienne moderne : le cas des étudiants tunisiens de l’Université française 1880-1956» (en langue arabe), avril 2000. Membre d’une unité de recherche «Histoire économique et sociale de la Tunisie». Auteur de plusieurs études et publications dans des revues paraissant en Tunisie et à l’étranger sur les thèmes suivants : les élites tunisiennes, l’enseignement moderne, les associations culturelles et le Mouvement national en Tunisie durant l’époque coloniale (en langues arabe et française), Adel ben Youssef se penche depuis quelques années sur l’étude de la Franc- maçonnerie et des sociétés secrètes en Tunisie sous le Protectorat français et prépare actuellement un ouvrage sur ce thème combien d’actualité. Interview. Qu’est-ce que la Franc- maçonnerie? D’après Larousse, «La franc-maçonnerie est une association, en partie secrète, de personnes qui professent des principes de fraternité, se reconnaissent entre elles à des signes et à des emblèmes, se divisent en groupes appelés Loges». La Franc-maçonnerie a été aussi définie par l’assemblée des grands maîtres européens en 1952 comme «une institution d’initiation spirituelle au moyen de symboles». L’article 1 des constitutions de la Grande Loge de France l’a définie comme «un ordre initiatique traditionnel et universel fondé sur la fraternité». Elle a pour but le perfectionnement de l’homme et de l’humanité. Ses membres se recrutent par cooptation selon des rites initiatiques. Elle se fixe pour but de réunir en son sein les «hommes libres et de bonnes mœurs», qui veulent travailler à l’amélioration matérielle et morale ainsi qu’au perfectionnement intellectuel et social de l’humanité. Elle se veut universelle : les vicissitudes de son histoire l’ont pourtant divisée en de multiples obédiences. La discrétion dont elle entoure ses activités et qu’elle impose à ses membres n’en fait pas, pour autant, une société secrète : elle se manifeste souvent publiquement et ses «secrets» ont été depuis longtemps dévoilés au monde profane par d’innombrables ouvrages. L’existence de la secte remonte au temps de Salomon selon certains, et au temps des Pharaons selon d’autres. Que peut-on dire brièvement de son histoire ? La première loge maçonnique, «La Grande Loge de Londres», est apparue en Angleterre dès 1717. Dès lors, des loges ont commencé à prendre naissance en Europe et dans le monde. En France, la Franc-maçonnerie fut introduite entre 1725-1726 et se développa rapidement. En 1740, on comptait une dizaine de loges à Paris et une quinzaine en province. En 1789, le Grand Orient de France en contrôlait 60 à Paris, 448 en province, 40 dans les colonies, 19 à l’étranger et 68 dans l’armée royale, regroupant quelque 70.000 membres. Les loges parisiennes prennent part à la Révolution française de l’ancien régime. Le mot maçonnerie (de maçon : bâtisseur) est lié à la construction du Temple de Salomon. Bien que la secte regroupe des membres de tous bords, ses fondateurs ainsi que ses hauts dirigeants sont d’origine exclusivement juive. En apparence, l’organisation affiche des objectifs humanitaires visant à cultiver l’amour entre les hommes, à la recherche de la paix, du bien et du progrès de l’humanité. La fameuse devise de la République Française “liberté, égalité, fraternité”— est d’origine maçonnique. Cet idéal philanthropique lui a permis d’étendre son influence partout dans le monde et de gagner la sympathie d’un nombre considérable de hautes personnalités notamment en Occident. Mais certains lui imputent des visées machiavéliques C’est vrai. Certains estiment que le but véritable de la Franc-maçonnerie serait de préparer l’avènement du gouvernement juif pour diriger le monde, lequel, selon les enseignements du Talmud, interviendrait en temps de crises et de déliquescences généralisées. Dans le souci de contribuer à la création des conditions de cet évènement, la secte s’emploie à détruire la religion et la morale. D’où l’anarchisme, le communisme, la laïcité, bref, tous ces systèmes et ces doctrines immoraux et libertaires inventés par des Juifs franc- maçons. L’organisation comporte trois structures (ou niveaux) superposées, le 1er : la franc-maçonnerie symbolique, le 2ème : le Pacte royal et le 3ème : la Franc-maçonnerie universelle. Chaque structure comprend 33 échelons, chaque échelon correspond à un grade déterminé. Pour passer d’une structure à l’autre, le membre doit gravir les 33 échelons. Une pyramide surmontée d’un oeil au sommet symbolise le temple en voie de construction. L’organisation est soumise à une discipline de fer, fondée sur le respect de la hiérarchie et des règles de conduite, et ce dans le secret le plus absolu. Tout manquement peut entraîner la mort du présumé coupable. La promotion d’un échelon à l’autre est fonction de l’engagement du membre et des services qu’il a rendus à la secte. Ses réunions sont secrètes, elles se tiennent généralement de nuit et dans des lieux placés sous haute surveillance. Les membres de la secte utilisent un langage particulier formé de mots de passe, de signes et de symboles incompréhensibles aux profanes. Ses activités sont particulièrement axées sur la défense de la laïcité, des droits politiques et culturels des minorités, de la liberté de la femme… Des actions sont énergiquement menées pour l’instauration de l’égalité entre les hommes et les femmes J’ai personnellement découvert ce monde par coïncidence. En interviewant un des anciens étudiants de l’Université française durant les années 1990, ce dernier m’a informé sur les rencontres secrètes entre Bourguiba et Mendès France en juillet 1954 (sur lesquelles nous reviendrons) qui avaient lieu dans la maison d’un Tunisien franc-maçon, le docteur Ahmed Somïa. Dès lors, je me suis intéressé à ce monde profane, secret, en vue de le dévoiler et mieux comprendre son fonctionnement et ses relations avec le monde extérieur. Comment la Franc- maçonnerie est-elle venue en Tunisie ? En Tunisie comme dans la plupart des pays arabes de la rive sud de la Méditerranée, la Franc-maçonnerie est le reflet des influences que subit la Régence de la part des pays européens. A l’influence livournaise en Tunisie, il convient d’ajouter l’influence marseillaise. Le docteur Louis Franck, médecin d’Etat- major, qui veilla sur la santé de Hamouda Pacha Bey en 1806, sous l’Empire, témoigne des liens que les marchands français tissèrent entre la France et la Tunisie. Ce n’est pas par hasard que la première loge tunisienne fut créée par les maçons marseillais, en 1812, relevant de l’obédience de la loge mère «La Loge Ecossaise de Marseille», au titre distinctif «Loge de Saint – Jean d’Ecosse l’Impériale, Amis Fidèles du Grand Napoléon». Au total, entre 1812 et 1881, treize loges ont été créées dans la Tunisie précoloniale et si la Franc-maçonnerie européenne a trouvé un champ d’activité très prospère, c’est grâce à l’importance du nombre d’Européens, essentiellement les réfugiés italiens installés dans les grandes villes de la Régence depuis le début du XIXème siècle. Cette situation va sans doute favoriser davantage l’implantation de loges françaises après l’établissement du Protectorat français le 12 mai 1881 et l’adhésion.
Un islamisme ouvert sur sa gauche : L’émergence d’un nouveau tiers-mondisme arabe ?
par Nicolas Dot Pouillard, Centre Tricontinental (CETRI)
Doctorant en études politiques à l’EHESS (Paris) et à l’Université libanaise (Beyrouth).
Islamismes, mouvements de gauche radicale et nationalismes arabes ont longtemps semblé s’opposer. Des alliances se sont pourtant nouées entre eux, recomposant profondément le champ politique en Palestine, au Liban et en Egypte.
Les débats sur la place du religieux et du politique sont souvent biaisés par des perceptions idéologiques et culturelles subjectives. L’appréhension du phénomène islamiste en France reste ainsi très largement dominée par une série de paradigmes très abstraits, qui ne laissent pas la place à une analyse concrète et même factuelle du champ politique moyen-oriental. Une dichotomie arbitraire est dessinée entre « laïcs » et « religieux », « islam modéré » et « islam extrémiste », « progressiste » et « réactionnaire ».
Des typologies sont ainsi créées, correspondant en réalité à une réalité imaginée du politique : le politique tel qu’on aimerait qu’il soit, non tel qu’il est. Le champ politique moyen-oriental apparaît comme fondamentalement retors aux simplifications historiques, qui dessineraient une ligne de clivage irrémédiable entre des islamistes identiques les uns aux autres, de Al-Qaïda au Hezbollah libanais, et des laïcs naturellement attentifs aux droits de l’homme et de la femme. Ces catégorisations apparaissent en effet aujourd’hui comme partiellement fausses : en Palestine, c’est bien le Fatah « laïc » qui est l’auteur d’une des lois les plus réactionnaires sur les droits de la femme, limitant à six mois les peines d’emprisonnement pour les auteurs de crimes d’honneur. C’est que l’on confond souvent laïc et progressiste. De même, on imaginera les laïcs comme forcément persécutés par les intégristes musulmans. Vrai dans certains cas, cette assertion se révèle fausse dans d’autres. Il faut alors comprendre par exemple comment le Parti communiste libanais noue des alliances avec le Hezbollah, ou comment le Front populaire de libération de la Palestine (FPLP) marxiste travaille souvent avec le Hamas ou le Djihad islamique, et se laisser interroger politiquement et méthodologiquement par ces nouvelles réalités.
Il y a toujours une tendance récurrente à la simplification du débat, selon des lignes idéologiques tenaces, qui considèrent les acteurs politiques islamiques comme des catégories fixes, incapables de se transformer politiquement et idéologiquement. Le mouvement islamique a aujourd’hui pratiquement quatre-vingts ans d’existence au Moyen-Orient. L’imaginer comme un ensemble uni, homogène et sans différenciation, c’est comme supposer que la gauche recoupe un spectre large allant des anciens de la bande à Baader à Tony Blair, ou que la droite est un tout homogène regroupant indifféremment la démocratie chrétienne allemande et les néo-fascistes italiens. Il y a une histoire des droites, une histoire des gauches. Et il doit bien y avoir une histoire des islamismes, car ce référent politique s’est considérablement pluralisé. L’exemple des recompositions politiques au Moyen-Orient arabe, et la production d’un islamisme politique de type nationaliste aujourd’hui ouvert vers les gauches et les mouvements nationalistes arabes n’est pas sans poser certaines questions théoriques et politiques.
Un nouveau modèle d’alliance politique en Palestine et ailleurs
Les premières élections municipales en Cisjordanie depuis 1976, qui se sont tenues le 23 décembre 2004, constituaient à l’époque un sujet d’interrogation : le Hamas prendrait-il le pas sur le Fatah ? Quel serait l’état du rapport de force politique entre les islamistes, le mouvement nationaliste et la gauche à l’issue du scrutin ? La réponse n’était pas à sens unique : les élections municipales n’ont pas été l’objet d’une structuration claire du champ politique. Au contraire, certaines coordonnées ont été bouleversées, et des tendances ont semblé se confirmer. Plutôt qu’à une indéfectible opposition entre des camps clairement délimités – Fatah, Hamas, FPLP, FDLP, PPP [1] -, localement de nouvelles alliances se sont nouées, fluctuantes et conjoncturelles. À Bnei Zayyaid, tout comme à Bethléem, c’est une alliance entre le FPLP et le Hamas qui permit de contester au Fatah la prédominance politique au sein du Conseil municipal. À Ramallah, un an plus tard, ce fut une femme membre du FPLP qui fut élue à la tête de la mairie, les trois voix du Hamas s’ajoutant aux six voix du FPLP, mettant en minorité les six conseillers municipaux du Fatah.
Ces alliances inédites se sont également dessinées dans le domaine des opérations militaires : les branches armées du FPLP — les Brigades Abou Ali Mustapha — ont régulièrement opéré depuis 2001 dans la Bande de Gaza au côté des Brigades Ezze-dine al- Quassem — la branche armée du Hamas — et des Brigades al-Quds — celle du Djihad islamique. Enfin, des éléments dissidents du Fatah, structurés autour de la nébuleuse des Comités populaires de la résistance (CPR), se sont peu à peu rapprochés de la direction gazaouite du Hamas : ce dernier, après sa victoire aux élections législatives de janvier 2006, nomma un des principaux activistes des CPR, Jamal Samhada-na [2] , ancien militant du Fatah, à la tête des nouveaux services de sécurité palestiniens formés par le gouvernement Hamas : il s’agissait alors de faire contrepoids, surtout dans la Bande de Gaza, aux forces de sécurité tenues par Mohammad Dahlan, dirigeant du Fatah. Samhadana symbolise cette frange du Fatah qui s’est peu à peu éloignée de la direction du parti, et qui confirme son éclatement progressif, accéléré par la mort de Yasser Arafat le 11 novembre 2004, dont l’aura symbolique permettait d’assurer encore un minimum d’unité interne. C’est ainsi que Saed Siyyam, le nouveau Ministre de l’intérieur palestinien, membre du Hamas, choisit un ancien membre du Fatah, soit un élément politique issu du nationalisme palestinien, et non du mouvement islamique lui-même, pour diriger des services de sécurité n’ayant d’autres buts…que de concurrencer sur le terrain la prédominance armée de la Sécurité préventive, attachée à la direction du Fatah.
Les affrontements Fatah-Hamas des deux dernières années correspondent à une divergence politico-stratégique, à une différence quand au positionnement à adopter face à Israël et à la communauté internationale, non à une querelle idéologique séculariste- croyants. Et lorsque les deux partis hégémoniques Fatah-Hamas favorisent par leur combat fratricide un processus de guerre civile latente, c’est le FPLP et le Mouvement du Djihad islamique (MJIP), soit une organisation de gauche et une organisation islamique, qui jouent communément le rôle d’intermédiaire. Si le FPLP reste ainsi aujourd’hui très critique envers le Hamas, c’est essentiellement parce qu’il lui reproche de s’enfermer dans un tête à tête armé Hamas-Fatah, qui bride l’unité nationale palestinienne, et qui risque de plonger les territoires palestiniens dans le chaos sécuritaire. Et encore une fois, cette position, le FPLP la partage avec le Djihad islamique, avec qui il a pu manifester dans les rues de Gaza lors des événements de juin 2007.
La cartographie politique palestinienne n’est pas une exception : le champ politique arabe semble être en pleine recomposition, et les clivages traditionnels, notamment ceux qui avaient vu s’opposer un camp religieux à un camp séculier, voir laïc, se sont peu à peu estompés à l’échelle de la région. L’islam politique subit une phase désormais accélérée de nationalisation et de régionalisation, tandis que les secteurs issus de la gauche et du nationalisme arabe, baathiste ou nassérien, en perte de modèle politique et de partenaire stratégique, en proie à une crise structurelle et militante, tentent peu à peu de redéfinir leurs modèles idéologiques et pratiques, et se retrouvent obligés de complexifier leur réseau d’alliance, en privilégiant désormais le partenaire islamiste. Depuis 2000, une phase de recomposition politique s’est ouverte dans le monde arabe, selon des rythmes et des temporalités hétérogènes selon les pays et les espaces, tirant certains traits d’union avec le passé, amenant de nouvelles problématiques et des ruptures inédites.
Cette recomposition politique se fait autour de la question nationale arabe et de la question démocratique : dans un contexte politique marqué par l’Intifada palestinienne de septembre 2000, par l’offensive américaine sur l’Irak en 2003, ainsi que par la récente « guerre des trente-trois jours » entre le Hezbollah et Israël, la question nationale est reposée dans le monde arabe, et détermine les modèles d’action et de contestation, les formes de recomposition politique et les différents modes d’alliance tactiques entre les courants opposés au plan américain de « Grand Moyen-Orient ». S’y ajoute la question démocratique : dans la mesure où les systèmes politiques arabes souffrent très majoritairement d’un modèle fondé sur l’autoritarisme et le népotisme politiques, et où la majorité d’entre eux, de l’Égypte à la Jordanie en passant par l’Arabie saoudite et les principales pétro-monarchies du Golfe, se retrouvent liés organiquement aux différents intérêts américains et européens dans la région, la contestation de la politique israélienne et américaine passe souvent par une dénonciation des systèmes politiques internes : en Égypte, tout au long des années 2000 à 2006, ce sont les mêmes cadres politiques et les mêmes structures de mobilisation qui vont tour à tour passer de la mobilisation en faveur des Palestiniens et des Irakiens à celle en faveur de la démocratisation du régime.
Question nationale arabe et question démocratique tracent donc une série de rapprochements transversaux entre l’espace panarabe focalisé historiquement sur la problématique palestinienne et l’espace national interne : depuis 2000, une interaction constructive entre la dimension panarabe du politique et son expression nationale interne, une transversalité accrue entre question nationale arabe et question démocratique, favorisent une série de mutations politiques aboutissant à une série d’alliances tactiques et/où stratégiques entre la gauche radicale, les secteurs issus du nationalisme arabe nassérien ou baathiste, et enfin les formations islamo-nationalistes. Cette interaction entre différents espaces – nationaux, régionaux, globaux- tout comme cette transversalité entre des courants politiques autrefois opposés, laissent se dessiner peu à peu une reformulation du nationalisme arabe, une recomposition politique lente et progressive du champ politique qui commence à peine à bouleverser les donnes politiques, et qui rompt singulièrement avec les cadres d’action issus de l’histoire du XXe siècle.
Du « concordisme politique » à la dynamique unitaire
La gauche marxisante, les nationalismes arabes de diverses obédiences, et enfin les secteurs centraux de l’islam politique semblent aujourd’hui collaborer étroitement. Il n’en fut pas toujours ainsi : les différents types de nationalisme arabe se sont distingués pendant plusieurs dizaines d’années par des politiques répressives vis-à-vis des courants issus des Frères musulmans, que cela soit dans l’Égypte de Nasser ou dans la Syrie de Hafez el-Assad ; l’islamisme politique, dans sa phase montante des années 1980, à la suite de la révolution iranienne de 1979, s’est quant à lui caractérisé par un système de répression directe des groupes de gauche, lorsque ceux-ci faisaient entrave à leur développement, et plongeaient leur racine dans certains secteurs clés du monde universitaire, politique, syndical ou associatif : au Liban, le Hezbollah s’en prit physiquement, tout au long des années 1980, aux militants chiites du Parti communiste libanais, lorsqu’ils s’agissaient de leur disputer l’hégémonie de la résistance nationale au sud- Liban. Deux de ses plus brillants intellectuels, Mahdi Amil et Hussein Mroue, furent assassinés par des militants proches de la mouvance islamique [3].
En Palestine, les groupes évoluant dans la nébuleuse des Frères musulmans, qui allaient donner naissance au Mouvement de la résistance islamique (Hamas) en 1986, s’en prirent également aux militants du FPLP et du PPP. Le docteur Rabah Mahna, qui est aujourd’hui le négociateur du Bureau politique du FPLP dans les discussions inter-palestiniennes, et qui est ainsi amené régulièrement à trouver des points d’accord autant avec le Hamas qu’avec le Djihad islamique, fut par exemple la victime d’une tentative d’assassinat par des militants du Hamas en 1986. Mais la vision qu’il a du mouvement islamique est déterminée par la réalité politique actuelle, non par celle du passé : s’expliquant au sujet du Hamas, il en souligne les points d’avancée et de stagnation, les deux se combinant plus ou moins différemment selon la conjoncture politique : « Il y a eu une certaine évolution dans Hamas. Depuis 1988, il s’est en effet peu à peu transformé d’une organisation de type Frères musulmans en un mouvement de libération nationale islamique. Nous, on a poussé depuis Hamas à intégrer l’OLP, d’être un mouvement de libération nationale au sein de l’OLP. Mais sa non- reconnaissance de l’OLP dernièrement était très suspect pour nous (…) Nous ne mettrons donc pas la pression sur le Hamas, et nous le reconnaissons en tant que courant de la résistance, et deuxièmement en tant que gouvernement élu. Mais au- delà, nous on ne veut pas que le Hamas reste enfermé dans une vision fermée, idéologique, de type Frères musulmans : c’est pourquoi les forces politiques mondiales et arabes qui soutiennent la cause palestinienne mais qui ne sont pas d’accord avec tout ou partie du programme du Hamas doivent nous aider à les faire sortir d’une vision enfermée, à continuer leur évolution. Sinon, en les isolant, ils risquent de retourner en arrière, de retourner vers un mouvement de type intégriste, comme avant 1988 [4]. »
S’il y a bien eu par le passé affrontements, les différents modes d’opposition entre nationalistes, islamistes et gauche radicale peuvent être historiquement relativisés par une série de passages dynamiques, d’emprunts discursifs et idéologiques, de circulation militante entre ces trois secteurs politiques-clés du monde arabe : déjà, le sociologue Maxime Rodinson rappelaient qu’entre le nationalisme arabe, l’islam et le marxisme, existaient un « concordisme », qui favorisait la circulation des idées et des pratiques : « l’incompatibilité doctrinale incontestable des idéologies le cède à divers procédés de conciliation quand les considérations de stratégies internationales font pencher vers une attitude amicale entre les deux mouvements (communistes et musulmans). Il y a emprunt d’idées à l’idéologie communiste par les Musulmans quand ces idées correspondent à ce que leur réclame leur idéologie implicite, même en dehors de cette attitude amicale. […]. Quand on va plus loin, il y a normalement réinterprétation des notions, des idées, des symboles musulmans comme équivalents d’idées ou de thèmes communistes courants. L’opération est souvent faite par les communistes qui veulent pousser à l’alliance. Quand l’effort de réinterprétation est particulièrement forcé, on obtient ce qu’on a appelé du concordisme. Le terme pourrait être peut-être généralisé pour désigner un ensemble systématique de réinterprétation [5] . »
Ce qu’Olivier Carré nommait pour sa part les « secteurs médians » entre religion et nationalisme [6] se constate tout au long du siècle et de l’émergence et du développement de ces trois courants. La génération des fondateurs du mouvement national palestinien et du Fatah – Yasser Arafat, Khalil al Wazir, Salah Khalaf-, ont côtoyé de près les Frères musulmans, dans le cours des années 1950 et 1960. Le nassérisme lui-même n’est pas exempte, dans les premières années suivant la révolution de 1952, d’un rapport complexe à l’islam politique. À ces parcours personnels, s’ajoutent une réutilisation et une réinterprétation systématique des différents types de discours religieux ou politiques par un ensemble de mouvements, une circulation permanente des ensembles sémantiques et conceptuels. Par exemple, le Parti communiste irakien (PCI) n’a pas hési-té à se référer aux fondements doctrinaires du chiisme, peu après la révolution de 1958 et la prise du pouvoir par Abdel Karim Kassem. La perspective révolutionnaire fut associée, dans le discours du PCI, aux fondements millénaristes et messianiques du chiisme, tandis que les dirigeants du Parti jouaient ardemment sur la proximité des termes shii’a (« chiite ») et shouyou‘i (« communiste » en arabe). Quand au terme « socialiste » (ishtarâkii), il fut abondamment utilisé et transformé par certains cadres et idéologues des Frères musulmans comme Sayyid Quotb ou Muhammad al-Ghazali, dans la perspective d’un « socialisme islamique ».
Ainsi, on assiste depuis près d’un demi-siècle à une circulation dynamique et à une mutation continue du vocabulaire politique. C’est dire combien l’idéologie elle- même est soumise à des processus complexes de passage, d’emprunts, et de réinterprétations, toujours en mouvement une fois mise dans la pratique du politique. La temporalité du nationalisme des pays du tiers- monde est en effet une temporalité politique différenciée, où le passé, les traditions culturelles et les héritages idéologiques font figure de principes constituants dans la conscience nationale : le nationalisme anti- colonial est un espace hybride, en interaction avec les éléments des modernités politiques, mais les critiquant en même temps par la récupération, le recyclage et le réinvestissement d’éléments tirés du passé. Les « concordismes » entre nationalisme et islam ont correspondu à une actualisation politique et idéologique de l’islam, qui était alors moins une survivance du passé qu’un élément culturel hérité, vivant et pratique, en interaction et en métissage permanent avec le présent politique, même et y compris quand ce dernier était d’essence séculière et laïque. Le nationalisme anti- colonial, fondé historiquement sur une série de concordisme, n’est pas l’envers de la modernité, mais sa reprise et son détournement dans le contexte particulier d’un espace qui se sent dominé tant politiquement que culturellement.
La décennie des années 1980 est essentiellement marquée par le passage croissant et spectaculaire de militants marxistes, souvent maoïstes, ou nationalistes arabes, vers l’islamisme politique. C’est particulièrement visible au Liban, ou, alors que l’OLP est peu à peu amenée à quitter le Pays des Cèdres, et où l’axe « palestino- progressiste [7] » disparaît sous le coup de divisions internes et des pressions syriennes, de jeunes cadres entrent dans le Hezbollah, né entre 1982 et 1985. Il en va ainsi de la majorité des combattants de la Brigade étudiante, la Katiba Tullabiya , corps militaire attaché au mouvement palestinien Fatah, qui s’engage peu à peu dans la résistance militaire islamique du « Parti de Dieu », ou dans d’autres structures à caractère islamique, sous les effets de la Révolution iranienne.
L’expérience de cette tendance de gauche du Fatah née au début des années 1970 est particulièrement intéressante : bien avant la révolution iranienne, de jeunes militants libanais et palestiniens tentent d’articuler islam, nationalisme et marxisme arabe, preuve s’il en est que la question des rapports entre les trois était déjà posée. Saoud al Mawla, aujourd’hui professeur de philosophie à l’Université libanaise de Beyrouth, ancien membre de la tendance de gauche du Fatah, est passé au Hezbollah dans les années 1980. Il l’a quitté depuis. Il explique : « Dans les années 1970, on a commencé à s’intéresser aux luttes des peuples musulmans. C’était une mixture de nationalisme arabe et d’islam, ou bien de communisme arabo-islamique, de marxisme arabo-islamique. On a essayé de faire comme les communistes musulmans soviétiques des années 1920 : Sultan Ghaliev. Et on a commencé à étudier l’islam. On avait débuté cela dès que l’on a commencé à appliquer les principes maoïstes : il faut connaître les idées du peuple, s’intéresser au peuple, à ce qu’il pense…. Il faut connaître les traditions du peuple. Et on a commencé à s’intéresser aux traditions populaires, aux idées populaires, à tout ce qui constitue la vie des gens. Et l’islam est venu comme étant le fondement de cette société, censée la mobiliser. Et c’était dans un sens militant, pragmatique, prendre et utiliser des facteurs qui peuvent mobiliser les gens dans la lutte. Et c’est comme cela qu’on s’est approché de l’islam : à partir du maoïsme, d’un point de vue théorique, et à partir de l’expérience quotidienne (….) Et c’est pour cela, quand la révolution iranienne est venue, on était déjà là. Et même cela ne s’est pas fait sur des bases idéologiques ou religieuses. C’est-à-dire qu’on a vu dans l’islam une force de civilisation, et de politique, un courant civilisationnel, qui peut regrouper des chrétiens, des marxistes et des musulmans, comme une réflexion, une riposte, un chemin de lutte, contre l’impérialisme, pour donner un chemin de lutte, pour renouveler nos approches, nos idées, nos pratiques politiques [8] ». Si les années 1970 peuvent encore s’accommoder d’une réflexion théorique et politique chez certains militants sur l’articulation entre marxisme, islam et nationalisme, la décennie des années 1980, marquée par les effets politiques régionaux idéologiques et politiques de la révolution iranienne, et par l’hégémonie politique de l’islamisme politique, ne laisse plus la place à ces élaborations.
En l’occurrence, les années 1990 marquent une rupture, et le système tacite qui avait vu s’allier concordisme et opposition violente s’est peu à peu transformé en une dynamique unitaire, ou le concordisme est d’autant plus favorisé par un processus d’alliances tactiques entre ces différents courants. En effet, avec la guerre du Golfe, les tentatives de règlement du conflit israélo-palestinien au travers de la Conférence de Madrid et des Accords intérimaires d’Oslo en 1993, avec la fin de la bipolarisation Est-Ouest et la réunification du Yémen, un monde s’effondre. La phraséologie révolutionnaire et nationaliste est à bout de souffle, qu’elle soit islamiste ou marxiste ; cela n’est pas étranger non plus à l’abandon progressif du discours messianique et tiers-mondiste par le régime de Téhéran, sous l’impulsion du nouveau Président Rafsandjani.
Les coordonnées politiques sont changées. Il faudra déterminer en quoi il y a eu un triple échec : de l’islam politique, du nationalisme arabe, de la gauche. Mais, au-delà, c’est bien sûr les décombres des grandes utopies et des mythologies multiples du siècle finissant que va peu à peu se reconstruire et se recomposer le champ politique arabe. Les dynamiques à l’œuvre ne sont plus unilatérales : si, dans les années 1980, l’islamisme récoltait les gains des déceptions politiques et sociales du monde arabe, on assiste depuis 1991 à une plus grande interaction et à une plus large transversalité des dynamiques politiques : gauche, nationalisme et islamisme sont désormais dans un processus complexe de réélaboration idéologique et programmatique, de croisements des problématiques, face à un sentiment d’échec et d’impasse du monde arabe.
Cela se constate, en tout premier lieu, en Palestine : peu après les accords d’Oslo, en octobre 1993, une « Alliance des forces palestiniennes » se constitue, composée d’éléments ayant rompu avec le Fatah, mais surtout du FPLP marxiste et du Hamas [9] . Des cadres progressifs de discussion se créent entre nationalistes, marxistes, et islamistes : la Fondation Al-Quds , à leadership islamiste, et surtout, la Conférence nationaliste et islamique, lancée en 1994 à l’initiative du Centre d’études pour l’unité arabe (CEUA) de Khair ad-Din Hassib, basé à Beyrouth, qui se réunit tous les quatre ans, destinée à trouver des points d’accords tactiques et/où stratégiques, et à redéfinir les liens, même et y compris d’un point de vue idéologique entre la gauche, le nationalisme et l’islamisme. Le CEUA a ainsi tenu, en mars 2006, à Beyrouth, une Conférence générale arabe de soutien à la résistance, où les principales directions des organisations nationalistes, marxisantes et islamistes (notamment le Hamas et le Hezbollah) étaient fortement représentées.
Question nationale et question démocratique
Depuis 2000, les rythmes de recompositions politiques entre nationalisme, gauche radicale et islamo-nationalisme se sont accélérés : sous le coup de la Seconde Intifada et de l’intervention américaine en Irak, les convergences tactiques entre eux se sont accentuées. Elles tournent particulièrement autour de la question nationale et de la question des « occupations », de la Palestine à l’Irak en passant par le Liban, et de la dénonciation conjointe des politiques américaines et israéliennes.
C’est d’abord sur le terrain que se réalisent ces alliances, dans le domaine pratique, non pas dans le domaine théorique : lors de la « guerre des trente-trois jours » entre le Liban et Israël, en juillet et août 2006, le Parti communiste libanais (PCL) a réactivé certains de ses groupes armés au sud Liban et dans la plaine de Baallbeck, et a combattu militairement au côté du Hezbollah. Dans certains villages, comme à Jamaliyeh, où trois de ses militants sont morts lors d’une attaque d’un commando israélien repoussé, c’est lui qui a pu prendre l’initiative militaire et politique, même si le Hezbollah garde de facto le leadership politique, militaire et symbolique de cette guerre. Un Front de la résistance s’est créé, regroupant pour l’essentiel le Hezbollah et la gauche nationaliste, du PCL au Mouvement du peuple de Najah Wakim [10] , en passant par la Troisième force de l’ancien Premier ministre Sélim Hoss : fondé sur le principe du droit à la résistance et défendant les revendications principielles de Hezbollah, à savoir la libération des prisonniers libanais en Israël et le retrait israélien des territoires libanais de Chebaa et de Kfar Chouba, ce Front avait comme dénominateur commun la question nationale et le positionnement par rapport à Israël : ce n’était pas, par exemple, un front prosyrien – le Parti communiste ayant pour sa part une longue tradition de lutte contre la tutelle et la présence syrienne au Liban.
Mais l’accord tactique sur la question nationale ne permet pas de parler a priori de « recomposition politique ». Toute la question est alors de savoir si l’accord tactique peut se transformer en accord plus ou moins stratégique, et comprendre une vision à long terme de la société, de l’Etat, des politiques économiques. Or, c’est là que la transformation du champ politique arabe semble être la plus profonde : de 2000 à 2006, la série d’accords politiques entre gauche, nationalistes et islamistes s’est peu à peu élargie à un ensemble de thématiques, ce qui est tout à fait nouveau par rapport aux cadres d’alliances des années 1980 et 1990.
La question nationale permet en effet de passer et d’effectuer une série de passages conceptuels, pratiques et politiques d’un domaine à l’autre : en Egypte, la dénonciation des politiques américaines et israéliennes cachait en effet une critique latente mais explicite du régime du Président Moubarak. Rapidement, les cadres de mobilisation sur la question palestinienne et irakienne ont donné naissance à une autre série de cadres politiques transversaux, touchant notamment à la question démocratique : des campagnes de dénonciation de la loi d’urgence de 1982 aux élections syndicales de novembre 2006, qui ont vu les Frères musulmans, les radicaux de gauche du groupe Kefaya et les nassériens du mouvement al-Karamah s’allier pour contester la prédominance des listes du parti au pouvoir, le Parti National Démocratique, en passant par les campagnes de soutien au mouvement de protestation des juges égyptiens qui avaient dénoncé la fraude électorale en mai 2006, le champ d’action et d’alliances est passé rapidement de la question nationale à la question de l’élargissement des droits démocratiques.
Au Liban, le Mouvement du peuple, l’Organisation populaire nassérienne, sunnite, et dont le dirigeant, Oussama Saad, est député de Saïda, le Congrès populaire arabe de kamal Chatila, une formation nassérienne, sont au cœur du mouvement de protestation initié par Hezbollah et le Courant patriotique libre du Général Aoun en décembre 2006, un mouvement trouvant sa voie dans le quotidien de gauche al- Akhbar : ici encore, la mobilisation de l’opposition ne touche pas qu’à la question nationale et aux « armes de la résistance ». Les traits communs entre les organisations de l’opposition au gouvernement de Fouad Siniora touchent tant à la question de la réforme de la loi électorale et du système confessionnel, qu’à celle de la définition d’une politique économique d’état de type régulateur, ou keynésien, sans pour autant remettre en cause les mécanismes du marché, toutes options qui ne sont pas celles de la majorité parlementaire actuelle, très marquée par l’ultralibéralisme [11] . Un bon exemple en est le nouveau journal al-Akhbar, quotidien de gauche très proche du Hezbollah, dont le premier numéro est paru en août 2006, et qui cherche à créer, de fait, des passerelles théoriques et politiques entre la gauche, le nationalisme et l’islam. Le PCL, qui a établi au fur et à mesure des années une sorte de partenariat avec le Hezbollah, soutient l’opposition sur la question de la chute du gouvernement Siniora, considéré comme pro- américain. Cependant, il ne cache pas que son alliance avec Hezbollah et des partis de l’opposition est un soutien critique : pour le PCL, le programme avancé par Hezbollah n’est pas encore assez radical, tant sur le plan politique qu’économique, pour remettre en cause le système libanais, fondé sur le confessionnalisme politique. Prêt à faire un front commun, il ne ménage pas ses critiques vis-à-vis de Hezbollah, mais d’une manière autre que dans les années 1980 : désormais, il s’agit de définir une politique de gauche indépendante prête à établir une complémentarité et un échange constructif avec le mouvement islamique chiite.
La question nationale joue donc aujourd’hui par extension : alors que dans les années 1990 les alliances entre gauche, nationalistes et islamistes étaient simplement fondées sur la reconnaissance d’un commun ennemi, en l’occurrence Israël, la collaboration longue entre ces courants débouche à terme sur un élargissement du champ d’action politique, allant de la question nationale à la question démocratique, et de la question démocratique à la question de l’Etat, des institutions et des formes sociales à adopter. Le « concordisme » et les médiations entre les organisations et les courants se sont peu à peu transformés en une dynamique d’action unitaire, qui, si elle n’est que très peu théorisée et conceptuellement pensée, prend une ampleur certaine dans la pratique politique quotidienne.
Cette recomposition politique n’est pas indépendante des nouvelles dynamiques politiques mondiales à l’œuvre, avec un mouvement alter-mondialiste installé dans le paysage politique, mais aussi et surtout avec l’apparition d’un pôle nationaliste de gauche en Amérique latine, symbolisé par Hugo Chavez et Evo Morales. Un mouvement islamo-nationaliste comme le Hezbollah pense son réseau d’alliance sur un modèle tiers-mondiste : Hassan Nasrallah ne cesse de faire référence au président vénézuélien, tandis que son organisation a invité, avec le Parti communiste libanais, près de 400 délégués issus de la gauche mondiale et du mouvement altermondialiste à Beyrouth, du 16 au 20 novembre 2006, dans le cadre d’une Conférence de solidarité avec la résistance, et dont le communiqué final fixait trois points stratégiques : la question nationale et la lutte contre les occupations, la défense des droits démocratiques et la protection des droits sociaux [12]
Ce sont ces dynamiques de recomposition politique à l’œuvre qui sont aujourd’hui mésestimées : la question libanaise n’est généralement perçue que par le prisme syrien et iranien, en sous-estimant les dynamiques internes propres à la société politique libanaise. La mouvance islamique subit elle-même des tournants programmatiques profonds : le Hezbollah adopte un discours tiers-mondiste, fondé sur l’opposition sud- nord et Mustakbar (arrogants) [13] / musta’adafin (opprimés), certains cadres des Frères musulmans sont tiraillés entre leurs alliances avec la gauche et leur défense principielle de l’économie de marché. Comme l’écrit Olivier Roy, « le jeu d’alliances (des islamistes) va dans deux directions possibles : d’une part, une coalition sur les valeurs morales (….), et, d’autre part, une alliance sur des valeurs politiques essentiellement de gauche (anti-américanisme, altermondialisme, droits des minorités), où la ligne de clivage est clairement la question de la femme [14]
Et encore, même la question de la femme est sujette aujourd’hui à débat : au Liban comme en Palestine, les associations féministes issues de la gauche n’hésitent plus à mener des campagnes communes avec les associations de femmes islamistes, notamment sur la question du droit au travail et de la dénonciation des violences faites aux femmes. Pour Islah Jad, militante féministe palestinienne et chercheuse sur le mouvement des femmes en Palestine, il ne s’agit pas d’opposer les femmes laïques aux femmes islamistes, mais de développer un discours féministe séculier et radical tout en discutant et en travaillant communément avec des cadres femmes du mouvement islamique : « Les islamistes ont admis que les femmes étaient persécutées et victimes de l’oppression sociale, en le mettant sur le compte non pas de la religion mais des traditions qu’il faut faire évoluer. Selon eux, l’Islam demande que les femmes s’organisent pour libérer leur pays, qu’elles soient éduquées, organisées et politisées, actives pour le développement de leur société. Le paradoxe est qu’il y a 27 % de femmes dans l’organisation du parti islamique et 15 % au sein du « politburo », plus que dans l’OLP (…) Comme je l’ai déjà dit, le fait que les femmes islamistes ne cherchent pas à bâtir leur discours en s’appuyant sur des textes religieux donne des possibilités aux femmes laïques d’influencer la vision et les discours des islamistes, d’éviter les blocages. Nous ne pouvons pas demander nos droits en les isolant du contexte politique. C’est une étape très importante pour établir une relation de confiance entre les tendances laïques et les islamistes. Le fait que les islamistes acceptent de reconnaître que les femmes sont opprimées ouvre des perspectives sur les mesures à prendre pour faire évoluer la société. Il y aura toujours des conflits idéologiques et politiques, et c’est souhaitable. On ne sera pas totalement d’accord, mais, à mon avis, les femmes laïques peuvent peser dans le débat idéologique avec les islamistes [15]. »
Cette interaction pratique entre gauche arabe, nationalisme et islamisme, si elle est nouvelle, et désormais avérée tant dans le domaine syndical, associatif, électoral et militaire, n’en est encore qu’à ses débuts. Des points d’accord sur la question nationale, la démocratie ou la défense des droits sociaux ne constituent pas encore un corpus assez clair et stable pour savoir jusqu’à quel point peut allier cette alliance. C’est qu’il y a justement un écart entre le pratique et le théorique : les concordismes se sont approfondis, mais il n’y a pas encore eu, dans le domaine intellectuel et théorique, de définition claire et d’élaboration d’un langage commun. Les alliances sont encore majoritairement du domaine de l’empirique et du pratique, et manquent ainsi d’assises théoriques et d’un véritable processus d’homogénéisation. Encore une fois, le Liban fait plus ou moins exception. Dernièrement, il existe encore une disjonction entre les espaces nationaux : l’alliance entre la gauche, les nationalistes et les islamistes la plus forte se trouve aujourd’hui au Liban, dans la tentative de définir ce que la gauche et le Hezbollah appellent une « société de résistance » et un « Etat de résistance ». En Palestine, les alliances entre le FPLP et le Hamas, par exemple, sont loin d’être aussi approfondies, les deux organisations gardant une méfiance réciproque. En l’occurrence, le partenariat FPLP/Djihad islamique est quand à lui établi pleinement. En Egypte, une certaine méfiance persiste entre les Frères musulmans et la mouvance de gauche. Or, cette question de la recomposition politique et des nouvelles alliances à l’œuvre dans le monde arabe est loin d’être secondaire : elle redessine en effet le visage du nationalisme panarabe, et pourrait à terme constituer un redoutable défi stratégique pour les régimes en place, tout comme pour les Etats-Unis, et les puissances européennes. L’ouverture du mouvement islamo-nationaliste sur sa gauche peut en effet ouvrir à un nouveau nationalisme panarabe en mutation une redoutable ouverture stratégique et internationale : il peut aboutir à la réémergence d’un pôle tiers-mondiste et nationaliste à l’échelle internationale, comme le suggère symboliquement cette série d’affiches rouges collées dans les rues de Beyrouth depuis septembre 2006, et qui voit se côtoyer les trois portraits de Nasser, de Nasrallah et de Chavez. Il ne s’agit donc pas de postuler l’émergence d’un islamisme de gauche, il n’y en a pas. Mais il s’agit de comprendre que le développement d’un islamisme ouvert sur sa gauche et ses dimensions nationales change quelque peu la donne politique, et enclenche des processus longs de recomposition politique, stratégique et idéologique. Les vingt dernières années ont vu le référent politique islamiste se pluraliser, avec un islamisme fondamentaliste déterritorialisé sur le modèle du réseau Al-Qaïda, la soumission d’un néo-fondamentalisme islamique aux modèles du marché, l’apparition d’un islamisme turc gouvernemental s’apparentant plus au modèle consensuel de la démocratie chrétienne des années 1950 qu’à celui de l’islam comme modèle d’Etat. Encore à ses débuts mais en développement exponentiel, l’émergence d’un pôle islamiste ouvert tout autant sur sa gauche que sur ses dimensions nationalistes et arabes constitue un phénomène politique qui est à même, lui aussi, de recomposer durablement la scène politique moyen-orientale.
Notes:
[1] Le Fatah, Mouvement national de libération de la Palestine , est l’organisation historique du nationalisme palestinien. Le FPLP (Front populaire de libération de la Palestine ), et le FDLP (Front démocratique de libération de la Palestine ), sont les deux organisations principales de l’extrême gauche. Le Hamas – Mouvement de la résistance islamique-, est la première organisation islamiste, en terme de forces militantes. Enfin, le PPP (Parti populaire palestinien), est l’ancien Parti communiste.
[2] Jamal Samhadana a depuis été exécuté dans une opération ciblée israélienne, en juin 2006.
[3] Certaines sources libanaises accusent directement le Hezbollah. Cependant, des dirigeants du Parti communiste laissent aujourd’hui le doute subsister, et n’écartent pas la thèse d’assassinats perpétrés par des groupes intégristes sunnites.
[4] Rabah Mhana, membre du Bureau politique du FPLP, entretien avec l’auteur, Paris, 2 mai 2006.
[5] Maxisme RODINSON, « Rapport entre islam et communisme », Marxisme et monde musulman, Seuil, 1972, pp 167- 168.
[6] A ce sujet, cf. Olivier CARRE, L’Utopie islamique dans l’orient arabe, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 1994.
[7] L’axe que l’on a communément appelé « palestino- progressiste » est constitué des organisations de la gauche libanaise (Parti socialiste progressiste, Organisation d’action communiste du Liban), et des forces palestiniennes au Liban (Fatah, FPLP, FDLP). Dans les années 1970, c’est lui qui s’oppose principalement, dans le cadre de la guerre civile, aux milices chrétiennes, les Phalanges libanaises.
[8] Saoud al Mawla, entretien avec l’auteur, Quoreitem, Beyrouth, 27 mars 2007.
[9] L’ensemble de ces organisations s’unissent sur le principe du refus inconditionnel des Accords intérimaires d’Oslo, signés en 1993 par le leader de l’OLP, Yasser Arafat.
[10] Le Mouvement du peuple est une organisation nationaliste arabe de gauche. Son leader, Najah Wakim, ancien député nassérien de Beyrouth, est une figure politique nationale, réputé notamment pour ses campagnes de luttes contre la corruption.
[11] Le point de vue de l’opposition concernant la réforme du système libanais sur le modèle d’un Etat « fort et juste » peut notamment être compris au- travers de deux documents clés : premièrement, le Document d’Entente mutuelle entre le Hezbollah et le Courant patriotique libre du 6 février 2006, et, deuxièmement, le document commun produit par le Parti communiste libanais et le Courant patriotique libre : Comment résoudre la crise politique au Liban ? Les points communs entre le Parti communiste libanais (PCL) et le Courant patriotique libre (CPL), 7 décembre 2006.
[12] La séance d’ouverture de la Conférence , le 16 novembre 2006, au Palais de l’Unesco à Beyrouth, était symbolique de cette convergence progressive entre la gauche mondiale et alter- mondialiste et la mouvance islamo- nationaliste : parmi les intervenants d’ouverture, se trouvaient notamment Mohammad Salim, membre du Parlement indien et du Parti communiste indien, Gilberto Lopez, du Parti de la révolution démocratique mexicain, Victor Nzuzi, agriculteur et leader syndicaliste congolais, Georges Ishaak, dirigeant de Kifaya et militant de la gauche égyptienne, Khaled Hadade, Secrétaire général du Parti communiste libanais, et enfin Naim al-Quassem, Secrétaire général adjoint et numéro deux du Hezbollah libanais. .
[13] L’opposition Arrogants/ Opprimés renvoie tout droit à la Révolution iranienne de 1979, ainsi qu’au principe doctrinaire du chiisme. Dans le vocabulaire politique de la première période de la Révolution de 1979, le couple Arrogants/ Opprimés signifiait l’opposition entre les pauvres et les riches, mais aussi entre le sud « colonisé » et le nord « impérialiste ». Cette catégorisation était autant adoptée par les Mollahs autour de Khomeyni que par les groupes de gauche et nationaliste.
[14] Olivier Roy, « Le passage à l’ouest de l’islamisme : rupture et continuité », Islamismes d’occident. Etat des lieux et perspectives, sous la direction de Samir Amghar, Lignes de repères, 2006.
[15] Islah Jad, entretien avec Monique Etienne, revue Pour la Palestine , mars 2005.
(Source : Site du Centre tricontinental (CETRI), Belgique, le 20 janvier 2009)
Lien :http://www.cetri.be/spip.php?article1022
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