Tunisie: une journaliste du “Monde” refoulée à l’aéroport de Tunis
Florence Beaugé refoulée mais heureuse !
TUNIS – (TNA) – Florence Beaugé connaît la Tunisie depuis des années. Ses reportages sur la Tunisie de Ben Ali, publiés en octobre 1999 dans l’édition papier du Monde et sur www.monde.fr ont eu pour conséquence l’interdiction pure et simple de ce quotidien français. À cette époque le régime était plus que nerveux à cause la parution du livre Notre ami Ben Aliau même moment où il orchestrait une farce appelée ” élection présidentielle pluraliste “. Florence Beaugé aime la Tunisie mais Zine&Leila n’aiment pas Beaugé à cause de ses mauvaises fréquentaions: Radhia Nasraoui, Mokhtar Trifi, Moncef Marzouki, Sihem Bensedrine, Oumm Zied etc. À son arrivée mardi soir à l’aéroport de Tunis-Carthage, le régime de Ben Ali lui a réservé un accueil très spécial: la police des frontières lui a fait savoir que la vie à Paris est plus agréable qu’à Tunis. Le commissaire de l’aéroport en personne lui a dit: ” Y a trop de flics à Tunis. Trop de portraits de Ben Ali. Vous allez avoir la nausée. Ici il ne se passe rien depuis des décennies. Vos articles de 1999 n’ont rien perdu de leur actualité. ” Puis,avant de lui remettre sa carte d’embarquement sur le prochain vol d’Air France pour Paris, le gentil commissaire lui a offert un bouquet de jasmin en guise d’adieu. Florence Beaugé a sauté de joie lorsque l’Ambassade française à Tunis lui a transmis par texto la décision de la régente de Carthage: ” Mme Florence Beaugé est interdite d’accès au territoire tunisien “. Adieu la grisaille de Tunis ! Vivement le week-end à Paris ! (Source: Le blog de “Omar Khayyam” le 21 octobre 2009)
Tunisie-Election présidentielle : Dick, Dumm und Fett ou les moutons de BenAli
Une interview (presque vraie) de Ben Ali
Exclusif-Explosif Interview (trop belle pour être vraie) de son Excellence Monsieur le Président de la République Tunisienne Zine El Abidine Ben Ali. Par Taoufik Ben Brik.
Dérive dans une Tunisie désabusée qui va voter Ben Ali
A l’approche du scrutin présidentiel tunisien, le 25 octobre, qui verra sans surprise la réélection de Zine Ben Ali pour un cinquième mandat, le journaliste Taoufik Ben Brik, critique du régime, qui avait fait une grève de la faim de 42 jours en 2000 pour protester contre les atteintes aux droits de l’homme, nous adresse le texte suivant, une errance littéraire dans une Tunisie désabusée à la veille d’une élection sans enjeu.
(De Tunis) Les orages éclatèrent juste avant minuit, noyant sous leurs averses les coups de klaxon et le tintamarre qui marquaient de leur signal le début de la campagne de l’élection présidentielle. Le vendredi 13 octobre 2009 fit ainsi son entrée à Tunis ville dans un vague crissement de pneus excités et l’amoncellement de nouvelles qui prédisaient que les années dix allaient être une décennie de merde.
La ville roupille, les gens se démènent au pif et il n’y a personne pour m’ouvrir la porte. On se demande chaque mois d’où va tomber l’argent pour le loyer et on est trop beurré pour aller travailler. Alors, on fait la sieste pour oublier. On se la coule douce, pas de loyer, pas de fringues. On n’a qu’à barboter, chier, caqueter, picorer, farfouiller… et puis un jour le grand plouf…
C’est ce qui arrivera, disent les anciens, lorsque « les gens décideront bientôt que leur terre doit faire partie de ce monde monstrueux et quand cela arrivera, tout sera terminé. Tout ce qui leur reste alors à faire est de tuer les autres, ceux qui pensent comme eux, et bon nombre de ceux qui opinent autrement, puisque c’est le stade final de la maladie. »
Tunis ville, un vendredi 13 octobre 2009… Juste avant, de la fatigue et de l’agitation. Debout sur les escaliers de la gare centrale, un groupe d’hommes maigres, poltrons et grêles pense : « Si on pouvait manger chaque jour des gaufrettes. » Dès qu’on commence à penser gaufrette, ça va mal.
« Vingt-deux ans qu’on sème… la merde »
Le chômage augmente, la pauvreté s’aggrave, les grèves se multiplient, les scandales s’accumulent, s’embrasent et l’autorité s’écroule… Pour tout arranger, en passant en bagnole devant une palissade, j’ai vu un type qui ajoutait : « Vingt-deux ans qu’on sème… la merde », « Exister, c’est respirer l’angoisse », « Personne ne me prendra vivant pour me couper la zizinette ».
Les gens ont faim. Chaque chantier a son agitateur. Le gouvernement navigue à vue. Demain ou peut être dans une heure, la catastrophe va nous tomber dessus et nous serons noyés dans le sang. Tout le monde a peur. Moi aussi. La peur t’empêche de dormir la nuit. Rien ne colle, rien, sauf la peur. Il n’y a plus d’indicateur de chemins de fer. Vous imaginez un pays sans indicateurs.
Tu es triste sans savoir pourquoi tu es triste. Si on peut payer le loyer, on n’aura pas d’argent pour manger. Si on mange à notre faim, on ne pourra pas payer le loyer. Les gens croient qu’on va les tuer, que leurs enfants vont être tués. Les femmes croient qu’elles vont être violées, torturées. Pas de risque. Mes gens sont pacifiques. Ce ne sont pas eux qui deviennent fous. Ils sont bons et ronds comme des pastèques. Regarde tous ces gens. Ils n’ont pas la force de rouspéter. Ils sont humiliés. Ils ont trop peur. Ils ont été trop piétinés. Ils sont las, hésitants.
Qu’est ce qui ne va pas ? Un tas de choses, c’est sûr. Que fait-on quand on est pris dans un cauchemar ? Eh ben, je fais mon travail. J’essaie de créer des poches d’ordre et de sang froid au milieu de la gabegie. J’étais au bord de la gerbe. Je suis peut être un parasite. Un être répugnant. Je suis malade.
J’ai envie de me présenter à un gros lard, un policier bête et de lui dire : soyez aimable, frappez-moi, peut-être même, s’il le faut, tuez-moi. Mais punissez-moi une bonne fois pour que je sois délivré de mon angoisse, frappez-moi fort, faites-moi mal, cela ne me fera de toute façon jamais aussi mal que le mal avec lequel je suis obligé de vivre jour après jour. Je ne cherche pas le bonheur, je cherche le repos. Je suis le visage exact de l’humaine condition. Cent et une heures de la vie d’un homme au bout du rouleau hanté par tous ces gens qui lui en veulent et qui, sous le poids du cauchemar, va disjoncter.
« Dans ma gaucherie, des questions mal posées »
Tunis ville, les nuits de braise, au coin de la rue Bach Hamba et de l’avenue Habib Thameur. Sirène hurlante, lumières rouges tournoyantes, une ambulance déboule à toute allure et s’arrête pile au milieu du carrefour dans un crissement de pneus effroyable. Le conducteur lâche le volant, saute de son siège, court, va s’accroupir auprès d’un homme étendu sur le trottoir, baignant dans son sang.
Depuis une semaine, je chemine à travers Tunis ville, de Bab Bhar, la Porte de la mer, à Bab Jedid, la Porte neuve. De bus en bus déglingués, voyageur comprimé, perdu dans la foule mais jamais anonyme, car je porte mon étrangeté sur mon visage, mes vêtements, mes lunettes noires et, dans ma gaucherie, des questions mal posées. Je suis fouetté par la pluie et aspergé de boue.
Tunis ville, c’est dangereux. Dès le port de Radès, on m’a dit : « N’allez pas plus loin ! » Un docker qui m’accompagnait m’a exhorté : « Ne te promène pas au-delà de cette rue, tu tomberais sur des zoufris ». Je suis tombé sur des amoureux qui allaient la main dans la main. Un marin m’a dit : « Vous êtes fou d’aller au-delà ! Il y a des coupeurs de routes. »
Je marche dans la ville. Il y a toujours du monde, dans les rues et les routes. Hommes sans emploi ou affairés à des besognes obscures, changeurs de billets, et toute une partie de la population qui survit sur un amas de commerces minuscules, tentant ainsi de participer à la formation de fortunes sauvages. On n’est jamais seul.
« Les trois P [Police, Palais, Pègre] »
Et la liberté ? La liberté, on nous l’a donnée et on vous a dit : « Regardez-la. Tout est entre les mains des trois P [Police, Palais, Pègre]. » La voiture roule à tombeau ouvert. Barrage de police. On se fait racketter. J’en pleure. Je laisse derrière moi une foule silencieuse qui espère quoi ? Un miracle ? Encore !
A un kilomètre de là, un check point barre la route. Nous sommes arrêtés trois fois pour de longs et soupçonneux contrôles. Après l’animation du centre ville, la ville est étrangement abandonnée. Qui habite ici ? Un second pays ? Est-ce pour en arriver à cette terre vide que je me suis éreinté ?
La soirée à Tunis ville s’étire, lugubre. Les habitants doivent être tapis devant leur poste. Un ou deux restaurants, quelques boîtes où les jeunes vieillissent mal. Des maisons uniformes en ciment construites sans architectes suivent le tracé de la rue, encadrant parfois une demeure plus ancienne qui attend le pic des démolisseurs. Un bus ici ? Pour quoi faire, puisque tout est mort ? Le seul être vivant à passer est un chien. Cabotin, il passe et repasse, histoire d’être sûr qu’il m’a reconnu. Le soleil brille dans les gouttes de pluie : « Ici, on dit que le loup se marie. »
C’est étrange : tout est calme, le soleil sourit, les oiseaux rient, et puis soudain, on vous abat de derrière les feuilles d’un joli jardin.
(Source: “Rue 89” le 20 octobre 2009)
Leila Ben Ali dans l’arène politique
Après deux semaines de festivités, de discours monologues et d’absence de débats, plus de cinq millions de Tunisiens se rendront aux urnes, ce dimanche, à l’occasion du scrutin présidentiel. Hormis le programme de Zine el Abidine Ben Ali,candidat à sa propre succession pour son cinquième et, théoriquement, dernier mandat, le seul événement marquant de cette campagne aura été la participation remarquée de Leila Ben Ali. L’épouse du chef de l’Etat a mis du piment dans la préparation de cette échéance en apparaissant pour la première fois comme un acteur politique sur lequel il faut désormais compter pour, selon le slogan de son mari, « relever les défis ».
Omniprésence médiatique
La Première Dame a été omniprésente dans les médias, qu’il s’agisse des chaines télévisées locales ou la Une des journaux de la presse écrite. Après neuf jours de campagne électorale, elle a participé à cinq reprises à des activités publiques médiatisées. L’une avec son mari, et les quatre autres en étant la seule à tenir la vedette. A chaque fois, elle a paru combattive, notamment à l’occasion de l’ouverture de la campagne électorale le 11 octobre dernier, mais aussi dès le lendemain, lors d’une harangue aux jeunes sur le port de la Goulette, et à l’occasion du grand meeting féminin qu’elle a présidé le 16 octobre.
Lors de la première sortie, à la Cité sportive olympique de Radès, elle était assise au milieu des sept membres du Bureau politique du parti au pouvoir qui avaient pris place à la tribune juste derrière le candidat Ben Ali prononçant son discours d’ouverture de la campagne. Habillée d’une élégante tenue blanche composée d’un pantalon et d’une veste cernée d’une ceinture grise proche du kimono, elle était la première à se lever et à interrompre son époux pour l’acclamer et inviter les 14.000 supporters chauffés à blanc à encourager le président sortant. « Son costume n’est pas une tenue de judo à proprement parler, commente un judoka. Mais par son style, il en donne l’impression ».
Attitude offensive
N’empêche, le vêtement fait le message. Les observateurs ont vu dans la posture offensive de Leila Ben Ali, une combattante. Cela s’est confirmé les jours qui ont suivi.
Le lendemain, entourée par plus de 5.000 jeunes mobilisés pour l’occasion, elle a assisté à l’accostage au Port maritime de la Goulette, près de Tunis, d’un bateau baptisé « Fidèles à Ben Ali ». A son bord, 400 jeunes filles et garçons invités pour une tournée de Bizerte dans le cadre des animations de la campagne. « Votre présence aujourd’hui est significative de votre volonté de renouveler votre engagement envers son Excellence Monsieur le Président, a-t-elle souligné dans son discours. Et pour poursuivre avec lui redoubler d’efforts et de labeur afin de reprendre, plus tard, le flambeau (…) et être les dignes successeurs du meilleur prédécesseur. »
Le jour suivant à Carthage, non loin du Palais présidentiel et au milieu d’une foule de supporters, elle a participé à un spectacle de personnes handicapées organisées par Basma, association qu’elle préside dont le but est d’aider les personnes handicapées.
Soutien à Zine Ben Ali
Le temps fort a eu lieu vendredi dernier, avec le grand meeting de soutien à la candidature de Ben Ali qu’elle a présidé au Palais des sports d’El Menzah près de Tunis. Ce fut une réplique féminine du meeting présidentiel de Radès. Ce rendez-vous a rassemblé plusieurs milliers de femmes, mobilisées par les organisations et les associations du parti au pouvoir, le Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD). Aux premiers rangs figuraient les épouses des principaux dirigeants politiques et hommes d’affaires, et la quasi-totalité des hauts cadres féminins de l’Etat, tous venus sur invitation personnelle.
Les membres de ce qu’il est convenu d’appeler le « réseau Basma » étaient également là, tout comme l’inévitable troupe d’applaudisseuses-chanteuses emmenées par le « chef d’orchestre » Saida Agrebi, présidente de l’Association des Mères et éternelle familière du Palais présidentiel sous Ben Ali, après l’avoir été sous son prédécesseur, Habib Bourguiba.
En pleine forme, pleine de verve, sillonnant la scène tout en jouant de ses mains pour saluer la foule, Leila Ben Ali a été ovationnée par ses « fans ». Les applaudissements ont redoublé lorsqu’elle a martelé que « le mérite d’un Tunisien par rapport à un autre Tunisien, ou d’une Tunisienne par rapport à une autre Tunisienne, ne vaut que par son apport utile au profit de son peuple et de sa patrie ». Dans cette ambiance électrique, l’épouse du chef de l’Etat tunisien a donné l’impression de tenir le rôle d’une femme politique énergique, déterminée et fonceuse.
Avocate des femmes
Et cela est tout à fait nouveau. Certes, Leila Ben Ali s’est souvent faite l’avocate d’une plus grande participation des femmes à l’action politique. « La présence de la femme dans la vie politique, dans les institutions, les corps constitués, et les composantes de la société civile nécessite de meilleures opportunités et de plus vastes perspectives, pour mieux consacrer la notion de partenariat équilibré avec l’homme dans la gestion de la chose publique… », a-t-elle déclaré en 2004, dans un discours lors de l’ouverture d’une Conférence internationale portant sur le thème de la femme dans la pensée du Président Zine el Abidine Ben Ali.
Activités caritatives
Mais hormis ces interventions, elle s’est jusque là tenue éloignée de l’arène politique préférant les activités caritatives et sociales au sein de l’association Basma (un sourire) qu’elle a fondée en 2000. A certaines occasions, elle signe également des éditoriaux dans les journaux tunisiens sur la condition de la femme et de l’enfance. Un thème qu’elle développe également dans les interviews qu’elle accorde à des magazines féminins du Moyen-Orient.
En mars 2009, elle a accédé à la présidence de l’Organisation de la femme arabe (OFA), sorte de club des épouses de rois et chefs d’états de la région. Toutefois, et en l’absence d’une biographie officielle ou d’informations vérifiables, on sait peu de choses sur sa personnalité. Pas même son âge. Celui-ci devrait se situer autour de la cinquantaine. On sait néanmoins que cette femme élégante habillée par les meilleurs couturiers est née dans une fratrie de 11 enfants de parents modestes et qu’elle a deux filles, Nesrine et Halima, ainsi qu’un garçon, Mohamed Zine el-Abidine, né en 2005.
En juin dernier, l’un des principaux groupes de presse de Tunisie, Assabah/le Temps, tout juste racheté par son gendre Sakhr el Materi (le mari de Nesrine), a écrit qu’elle est « la générosité discrète » tout en ajoutant qu’elle est « percutante d’esprit, d’humour, d’humanisme ».
Maintenant que la campagne s’achève et que les prochaines élections n’auront pas lieu avant 2014, le tout Tunis s’interroge. Leila Ben Ali va-t-elle se contenter de regarder les informations tout en poursuivant ses occupations habituelles de femme au foyer qui consacre beaucoup de temps à son association et surtout à son fils qu’elle accompagne chaque jour à l’Ecole internationale de Carthage dont elle est la promotrice ? Où, au contraire, cette femme énergique révélée par cette campagne électorale a-t-elle pris goût aux bains de foule et aux apparitions télévisées pour envisager un avenir plus politique aux côtés de son mari ? Seul l’avenir le dira.
(Source: “Jeune Afrique” le 21 octobre 2009)
Fribourg équipe Gaza sans le savoir
L’Hôpital fribourgeois tombe des nues en apprenant qu’un don de matériel médical a été installé à al-Chifa. Le complexe hospitalier, situé dans la bande de Gaza, est contrôlé par le Hamas.
Sid Ahmed Hammouche
«De quoi vous me parlez?» Hubert Schaller tombe des nues. Le directeur général de l’Hôpital fribourgeois semble tout ignorer de la présence de matériel médical provenant de son établissement dans le complexe hospitalier al-Chifa, le principal dans la bande de Gaza. «Je ne comprends pas ce que vous me dites», répète-t-il. «Non, je n’en sais rien. Il faut que je me renseigne auprès du responsable de la logistique.»
Et pourtant, des instruments chirurgicaux, des lits de consultation, du matériel pour la physiothérapie, des fauteuils de gynécologie, des lits pédiatriques, la plupart du temps obsolètes et mis au rancart, sont sur le point d’entrer dans ce bout de territoire palestinien tenu d’une main de fer par le Hamas.
Réseau de solidarité
«Nous avons récupéré ce matériel à l’Hôpital cantonal de Fribourg avant de l’installer dans des petits bus qui ont transité par le port de Gênes, il y a quelques jours», confirme Anouar Gharbi, porte-parole de Droit pour tous, une association pro-palestinienne active à Genève. «Ils font partie d’un convoi d’une centaine de véhicules qui attend d’entrer à Gaza par la frontière égyptienne.»
C’est même le second envoi humanitaire effectué depuis la Suisse dans le cadre de la campagne européenne pour mettre fin au siège de Gaza, poursuit Anouar Gharbi. «La première, c’était en mai 2009.» A cette époque, le réseau suisse de solidarité avec Gaza, dont fait partie le conseiller national Josef Zisyadis (pop/VD), a réussi à faire passer une trentaine de bus et de camions avec, déjà, du matériel médical en provenance de l’Hôpital fribourgeois, site de Fribourg.
Du lourd en fait, puisqu’il s’agissait de blocs opératoires, de matériel chirurgical, de compresses… Encore une fois, Hubert Schaller ne sait rien de cette aide humanitaire. Sait-il tout de même que Gaza est sous embargo de la communauté internationale, que l’armée israélienne ne laisse rien passer dans la région? Plus grave encore, est-il au courant que les islamistes du Hamas sont boycottés par la planète entière, ou presque? Sait-il tout simplement qu’il est politiquement explosif, si les Israéliens saisissent du matériel médical fribourgeois à Gaza? «Je vais me renseigner», coupe Hubert Schaller.
Aide problématique
Après cinq jours de silence, la direction de l’hôpital a retrouvé trace dans ses archives d’une seule opération humanitaire qui remonte au mois de juillet 2008: le site de Fribourg avait alors offert 12 lits pour adultes et 3 lits pour enfants à l’organisation caritative HIOB International. Mais toujours rien sur Gaza. Finalement, Sébastien Ruffieux, secrétaire général de l’Hôpital fribourgeois, a reconnu hier que l’établissement a fait don de matériel à l’association Suisse- Tunisie Solidarité.
Mais le problème demeure: cette aide humanitaire sert les intérêts du Hamas, en guerre ouverte avec l’Autorité palestinienne. En contrôlant l’aide étrangère en provenance d’Egypte, le mouvement extrémiste peut récupérer l’initiative idéologiquement parlant. Et surtout veut doubler sur le plan humanitaire l’ONU, qui est la seule organisation censée coordonner les envois dans la bande toujours sous blocus israélien.
Le Hamas en profite
L’activiste tunisien Anouar Gharbi balaie ces arguments du revers de la main, en expliquant notamment que la Direction du développement et de la coopération suisse est également présente depuis longtemps à Gaza. «L’important, c’est que notre aide sauve des vies.»
Mais comment a-t-il fait pour obtenir le matériel fribourgeois? «Nous avons un contact à Fribourg qui a prospecté pour nous. Il s’est renseigné et a récolté les dons que nous avons acheminés à Gaza.» Donc, la piste de l’association Suisse- Tunisie Solidarité n’est pas loin.
Réalisé dans le flou
En revanche, le porte-parole de Droit pour tous dément qu’il existe une cellule pro-Hamas à Fribourg, tout en avouant n’avoir pas insisté auprès du site hospitalier de Fribourg pour lui expliquer où allait débarquer ce matériel. Bref, l’affaire s’est réalisée dans un flou qui a bénéficié à l’association pro-palestienne.
«L’urgence est telle qu’il faut agir», poursuit Anouar Gharbi. «D’ailleurs, quatre Suisses attendent le feu vert des Egyptiens pour acheminer notre aide humanitaire et aller sauver des Gazaouis. Nous leur laisserons également les bus qui transportent le matériel médical.»
Mais n’a-t-il pas l’impression d’avoir roulé dans la farine l’hôpital de la ville de Fribourg? «Non», répond le porte-parole de Droit pour tous. «Nous avons récupéré du matériel médical usagé. C’est tout. Et je peux vous affirmer qu’il sera bien utile à Gaza.» I
TROIS QUESTIONS À…
Antoine Geinoz, secrétaire général
> En absence d’Anne-Claude Demierre, en tournée avec la Landwehr en Chine, le secrétaire général de la Direction de la santé et des affaires sociales, Antoine Geinoz, explique qu’aucune directive ne réglemente les dons humanitaires opérés par les unités hospitalières fribourgeoises. Interview.
Le secteur de la santé fribourgeois dispose-t-il d’une procédure pour céder du matériel usagé dans une opération de dons humanitaires?
Non, il n’existe pas de lignes directrices sur la procédure à suivre pour faire des dons humanitaires dans le domaine médical et hospitalier. Le Réseau hospitalier fribourgeois est un établissement autonome de droit public, et il est tout à fait habilité à agir sous sa propre responsabilité dans ce domaine. Il n’y a rien qui interdise non plus ce genre d’action. Cependant, si l’hôpital remet du matériel à une ONG implantée en Suisse, comme il l’a fait l’an dernier avec HIOB International, il n’est pas censé en suivre la trace jusqu’à destination.
Et dans ce cas, où du matériel médical en provenance de l’Hôpital cantonal est utilisé par le principal centre hospitalier de Gaza?
Nous ne savions pas que du matériel médical en provenance du HFR-Hôpital cantonal équipe le principal centre hospitalier de Gaza. La bande de Gaza est évidemment une zone sensible, mais l’essentiel est que l’aide humanitaire puisse y parvenir. Le principal souci que l’on pourrait avoir, si nous envoyons du matériel là-bas, est la sécurité des intermédiaires. Je pense toutefois qu’il ne serait guère aisé d’établir des règles ou directives prévoyant tous les cas de figure. Quant à l’embargo, la Suisse n’étant pas membre de l’UE, elle n’y est a priori pas tenue.
Allez-vous enquêter sur les circonstances de l’octroi de ce matériel médical?
Que ce soit à Gaza ou ailleurs, la Direction de la santé et des affaires sociales fait confiance au Réseau hospitalier fribourgeois pour sa façon de procéder en matière humanitaire. A moins d’être en présence d’éléments attestant un dysfonctionnement, nous ne prévoyons pas d’enquêter sur ce dossier. L’élément le plus problématique avec les dons humanitaires, c’est que souvent les opérations sont le fruit d’initiatives privées. Dans ce cas, la direction de l’hôpital n’a probablement pas été informée.
propos recueillis par Sah
(Source : « La Liberté » (Quotidien – Suisse), le 21 octobre 2009)
Tareq Oubrou : “Les musulmans doivent adapter leurs pratiques à la société française”
Imam de Bordeaux, Tareq Oubrou est théologien et homme de terrain : une position qui lui permet une prise de distance par rapport aux institutions musulmanes et, notamment, à l’égard de l’Union des organisations islamiques de France (UOIF), dont il est issu. Il vient de publier Profession imâm (Albin Michel, 248 pages, 16 euros), un livre d’entretiens avec deux chercheurs.
Alors que le débat sur le voile intégral pose à nouveau la question de la place de l’islam en France, quel est l’état de la communauté musulmane ?
L’islam en France repose la question de la laïcité. Il a introduit dans la société un sang neuf religieux qui tend à “banaliser” la religion dans l’espace public, même si cela ne veut pas dire qu’elle est acceptée. Il nourrit même un certain retour au christianisme. On peut donc dire que l’islam favorise une forme de désécularisation de la société, tout en attisant l’intégrisme laïc et catholique.
Sur le plan individuel, la religiosité se fait désormais par une approche individuelle ; la sécularisation et la modernité ont plongé les musulmans de France, comme les autres croyants, dans une autonomie, qui les amène à chercher des pratiques religieuses dans un tâtonnement total sans médiation des institutions classiques.
Dans ce contexte, on constate une tentation de crispation et de repli identitaire, qui s’explique aussi par des raisons sociales : plus on est dans la marge, plus on est tenté de construire une religion bouclier contre la société et les institutions. Une nouvelle forme de piétisme se développe dans nos lieux de culte. Il faut canaliser ce mouvement, le modérer, mais non pas chercher à l’éradiquer. Même s’il est difficile de dialoguer avec ces groupes, qui ne sont pas armés théologiquement pour discuter au fond, il ne faut pas les agresser car cela les poussera à se radicaliser. Peut-être cette catégorie de jeunes est-elle le signe d’un certain échec de la communauté à préserver ses fidèles de ce type de religiosité.
Comment faire admettre votre concept de “charia de minorité”, qui défend la possibilité de se conformer à la loi islamique et aux valeurs républicaines, à ces nouveaux groupes qui prennent leurs avis religieux sur Internet ou en Arabie saoudite ?
Je pars d’une réalité française laïque, qui met à l’épreuve toute une tradition, pour offrir aux musulmans un système normatif leur permettant de vivre leur islam et leur citoyenneté française. Seuls survivront spirituellement les musulmans qui savent modérer, adapter, et négocier leurs pratiques avec la réalité de la société française. Je n’ai pas d’emprise sur ceux qui ne veulent pas réfléchir à cela et ont décidé d’être contre la société, contre la France et même contre les musulmans qu’ils considèrent trop “light”.
Quelle est aujourd’hui votre position sur le port du foulard islamique ?
Si je voulais être provocateur, je pourrais dire aux femmes : mets ton foulard dans ta poche. Aujourd’hui, je dis que c’est une recommandation implicite qui correspond à une éthique de pudeur du moment coranique. Pour autant, une femme qui ne le met pas ne commet pas de faute. Mais, aujourd’hui, la communauté musulmane est fragile, et s’attache à des adjuvants et à des normes. C’est aberrant de réduire une femme musulmane à son foulard ; c’est de l’ignorance. Le foulard n’est pas un objet cultuel, encore moins un symbole de sacré. En outre, cette visibilité est néfaste car, à long terme, cette pratique pose des problèmes spirituels et psychologiques aux femmes qui veulent étudier ou travailler. Je n’ai pas le droit de tromper ces jeunes filles. Le problème, c’est que lorsqu’elles enlèvent le foulard, elles arrêtent aussi de prier. Cela dit, je crois que chacun est libre de s’habiller comme il veut, de choisir la lecture de l’islam qui lui convient, même si je ne la partage pas.
Les jeunes musulmans mettent en avant l’islamophobie dont les pratiquants seraient victimes, ce qui rendrait difficile leur vie en France. Qu’en pensez-vous ?
Le racisme n’est pas une nouveauté, mais l’islamophobie présentée comme un fléau de notre société, je ne la vois pas. Je n’accepte pas cette position victimaire et cette posture de consommation de droits. C’est vrai que les jeunes de la deuxième génération sont enclins à quitter la France, pour l’Angleterre ou un pays musulman. En attendant, certains vivent leur religiosité avec douleur, à cause du climat médiatique et sociétal français, dans lequel la visibilité religieuse devient vite suspecte. Mais je leur dis que le diable est partout ! En outre, l’islamophobie est parfois développée par des musulmans eux-mêmes qui, par leur comportement et leur visibilité, peuvent faire peur à nos concitoyens non musulmans.
Propos recueillis par Stéphanie Le Bars
(Source : « La Liberté » (Quotidien – Suisse), le 16 octobre 2009)