21 novembre 2006

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TUNISNEWS
7 ème année, N° 2374 du 21.11.2006

 archives : www.tunisnews.net

 AISPP: Communiqué AFP: Immigration: Steinmeier a exhorté les pays du Maghreb à collaborer avec l’UE AFP: Amnesty veut une enquête d’urgence de l’ONU sur la guerre Israël-Hezbollah AFP: « Dunia »: un film controversé sur l’excision en Egypte, applaudi à Tunis AFP: « Making Off », un film sur le terroriste remporte le Tanit d’Or de Carthage Larbi Chouikha: Ce qui fait courir la rumeur publique ! Latifa Lakhdar : Le voile, les mesures officielles et le « conflit des devoirs » Mohamed Harmel: Une voie inexplorée… pour un projet inédit Le Monde: Grande lessive chez les espions italiens

 
Liberté pour Mohammed Abbou Liberté pour tous les prisonniers politiques Association Internationale de Soutien aux Prisonniers Politiques 33 rue Mokhtar Atya, 1001 Tunis Tel : 71 340 860, Fax : 71 354 984 Communiqué

 
L’AISPP a appris que le prisonnier d’opinion Sahl Beldi, actuellement incarcéré à la prison de Mornaguia en vertu de la loi sur le terrorisme, avait suspendu sa grève de la faim commencée le 9 novembre, répondant ainsi aux demandes réitérées de son père. L’AISPP a appris également que le prisonnier d’opinion Hasni Naceri, actuellement incarcéré à la prison de Mornaguia en vertu de la loi sur le terrorisme, continuait sa grève de la faim pour le vingt quatrième jour d’affilée et que son état empirait à un point tel qu’il vomissait du sang. Le Président de l’Association Maître Mohammed Nouri (traduction ni revue ni corrigée par les auteurs de la version en arabe, LT)

LE JEUDI 23 NOVEMBRE REPORTERS SANS FRONTIÈRES ORGANISE  LA 17e JOURNÉE DE SOUTIEN AUX JOURNALISTES EMPRISONNÉS ET PUBLIE SON NOUVEL ALBUM DE PHOTOGRAPHIES « 100 PHOTOS DE STARS POUR LA LIBERTÉ DE LA PRESSE , AVEC LE STUDIO HARCOURT »

– 131 journalistes sont actuellement emprisonnés dans le monde pour avoir voulu nous informer – La liberté de la presse en chiffres   – Que faire pour soutenir Reporters sans frontières ?   – Visitez les prisons des journalistes sur Google Earth Reporters sans frontières a localisé sur Google Earth une dizaine de prisons de journalistes à Cuba, en Chine, au Rwanda, aux Etats-Unis et en Birmanie. Si vous utilisez Google Earth, cliquez sur : http://bbs.keyhole.com/ubb/showflat.php/Cat/0/Number/692269/an/0/page/0#692269 Téléchargez et ouvrez le fichier .kmz puis cliquez sur les noms des journalistes dans le menu Lieux de Google Earth. Plus d’informations dans le document en pièce jointe

On Thursday 23 November Reporters Without Borders is holding its 17th Day of Support for Imprisoned Journalists and, together with Studio Harcourt, is publishing a new book of photos, 100 Star Photos for Press Freedom

– 131 journalists are currently imprisoned for reporting the news or expressing their views – A few figures – What can you do to support Reporters Without Borders? – Visit journalists’ prisons in Google Earth Ten journalists’ prisons in Cuba , China , Rwanda , the United States and Burma have been located by Reporters Without Borders in Google Earth. If you use Google Earth, click on: http://bbs.keyhole.com/ubb/showflat.php/Cat/0/Number/692269/an/0/page/0#692269 Download and open the .kmz file and then click on the names of journalists in the Google Earth places menu. More information in the enclosed document


Immigration: Steinmeier a exhorté les pays du Maghreb à collaborer avec l’UE

 
AFP, le 17 novembre 2006 à 18h36   TUNIS, 17 nov 2006 (AFP) – Le ministre allemand des Affaires étrangères Frank-Walter Steinmeier a exhorté vendredi les pays du Maghreb à régler leurs divergences et à collaborer avec l’Union européenne pour traiter de problèmes telle que l’immigration illégale. « Nous avons discuté aujourd’hui de la situation dans les pays du Maghreb, notamment le fait de savoir si une coopération régionale accrue permettrait de consolider certains aspects de leurs relations avec l’UE », a déclaré le ministre allemand, qui s’exprimait à l’issue d’un entretien avec le Premier ministre tunisien Mohamed Ghannouchi. « L’immigration était une question centrale aujourd’hui — c’est probablement le dossier sur lequel il y a le plus grand potentiel d’accord », a-t-il ajouté, espérant qu’une conférence euro-maghrébine prévue la semaine prochaine à Tripoli (Libye) permettrait de réaliser de bons progrès. Les pays du Maghreb sont devenus en Afrique du nord les lieux de transit pour des milliers d’Africains subsahariens fuyant les conflits régionaux et la misère dans l’espoir d’une meilleure vie en Europe. Steinmeier effectue une tournée au Maghreb. Après Tunis, il s’est rendu à Rabat avant de terminer son périple samedi en Mauritanie.   AFP
 

« Making Off », un film sur le terroriste remporte le Tanit d’Or de Carthage

 
AFP, le 18 novembre 2006 à 23h34 Par Hamida Ben Salah   TUNIS, 18 nov 2006 (AFP) – « Making Off » du Tunisien Nouri Bouzid a remporté le Tanit d’Or, récompense suprême des Journées cinématographiques de Carthage (JCC), dont la 21ème édition a été clôturée samedi soir à Tunis. Initialement intitulé « Kamikaze », ce film aura été le premier en Tunisie à traiter de la dérive politico-terroriste chez les jeunes exposés au danger de l’embrigadement religieux. Il raconte le parcours de Bahat (Lotfi Abdelli), un jeune habitant de bas-fonds, sans ressources, pick-poket pourchassé par la police, qui ne rêve que de hip-hop et d’Europe, jusqu’au jour où il se laisse séduire par les sirènes du martyr. « C’est une victoire contre la peur! » exhulte Nouri Bouzid, 64 ans, sur un nuage, face au public qui l’a chaleuresuement applaudi. « Making Off », appelé aussi en arabe « Dernier film » est le sixième de sa carrière et le second après « Sabots en Or » en 1986 à recevoir le Tanit d’Or des JCC, depuis la création de ce festival biennal il y a 40 ans. La critique l’a salué comme un « film polémique, courageux, d’une brûlante actualité » sur l’extrémisme politico-religieux, la violence, l’identité et l’immigration clandestine. Nouri Bouzid s’est mis lui-même en scène pour expliquer son choix à son acteur qui se rebiffe, saisi par la peur d’être « assassiné ou jeté en prison ». « Making Off » a aussi remporté le prix du meilleur acteur décerné à Lotfi Abdelli et celui du meilleur rôle féminin à Fatma Saidane, ces deux comédiens tunisiens ayant dédié leur récompense à leurs collègues « qui se battent pour un art libre ». Le Tanit d’Argent a été décerné à « Daratt, saison sèche » du réalisateur tchadien Mahamat Saleh Harun, un film sur la tolérance, qui raconte l’histoire poignante d’un jeune garçon ayant pour mission d’abattre celui qui a tué son père durant la guerre civile qui a déchiré le Tchad. Le Palestinien Rashid Masharaoui a reçu le Tanit de Bronze pour « L’attente », dans lequel il traite avec légèreté, doigté, voire humour du drame de la diaspora palestinienne. Enfin, le réalisateur mauritanien Abderrahmane Sissako a obtenu le prix spécial du jury pour « Bamako », qui avait été projeté hors compétition au festival de Cannes 2006. Altermondialiste, Sissako y fait le procès des institutions financières internationales et défend l’Afrique en lutte pour sa survie entre le poids de la dette et les sévères politiques d’ajustement structurel. Ce film a été qualifié par la critique de « coup de gueule contre ceux qui s’obstinent à détourner le regard des réalités crues et cruelles ». Le plus ancien du genre en Afrique et dans le monde arabe, le festival se déroulant tous les deux ans depuis sa création en 1966, a mis en compétition cette semaine 15 long-métrages, 14 courts et une trentaine de films vidéo. « Indigènes », le film de Rachid Bouchareb, sur l’histoire des 130.000 soldats des colonies qui ont combattu pour la France contre les nazis pendant la Seconde guerre mondiale, avait fait l’ouverture du festival le 11 novembre en présence de vétérans tunisiens.   AFP

« Dunia »: un film controversé sur l’excision en Egypte, applaudi à Tunis

 
AFP, le 17 novembre 2006 à 06h51 Par Hamida BEN SALAH   TUNIS, 18 nov 2006 (AFP) – Censuré et controversé en Egypte, « Dunia » un film qui exalte la sensualité féminine et dénonce l’excision des filles, a reçu un accueil enthousiaste au Festival de Carthage cette semaine en Tunisie. Inscrit parmi la quinzaine de films en compétition officielle à la 21e édition des Journées cinématographiques de Carthage (JCC) s’achevant samedi, le film réalisé par la Libanaise Jocelyne Saab a été chaleureusement applaudi. « J’ai adoré. C’est un film féminin courageux et grave. Par petites touches, il bouscule et remue des choses! », lance Soumaya, 39 ans, interrogée par l’AFP à la sortie d’une salle pleine à craquer. « Dénoncer ainsi l’excision c’est quasiment une première dans le cinéma arabe », renchérit Sinda, 21 ans, venue voir le film en groupe, avec ses camarades de faculté. Déprogrammé en Egypte, le film de Jocelyne Saab raconte le cheminement de Dunia (« le monde » en arabe), une étudiante égyptienne (Hanak Turk) qui cherche sa voie vers le désir et la liberté à travers la danse et la poésie soufie. Désirée et critiquée par son époux qui la trouve « froide », Dunia le quitte et finit par être initiée au plaisir sensuel dans les bras de son maître et professeur de poésie. Celui-ci (Mohamed Mounir) aura perdu la vue à trop vouloir chanter le droit à l’amour et les « Milles et une nuit ». Tout en pudeur, le film suggère beaucoup plus qu’il ne montre. Le rouge crève l’écran, mais le sang n’est visible que sur la natte laissée par terre après l’excision au rasoir d’une fillette, une scène qui ravive chez Dunia les souvenirs douloureux de sa propre mutilation. Le film, qui avait fait scandale lors de sa première projection, l’an dernier, au Festival du Caire en Egypte, a été aussi bien accueilli par les critiques et pourrait glaner une recompense aux JCC de Tunis. Le quotidien de langue arabe Assarih (privé) a salué une oeuvre « innovante et audacieuse » et rendu hommage à sa réalisatrice, « une vraie artiste qui rompt avec le déjà vu en traitant à la fois du corps et de l’âme ». « Elle ose … et va jusqu’à briser un tabou, celui de l’excision en Egypte », écrit le quotidien francophone la Presse, estimant qu’au-delà de la mutilation génitale, le film renvoie aux frustrations « culturelle et intellectuelle » d’une société arabe en proie aux dérives fondamentalistes. A l’instar de plusieurs comédiennes égyptiennes, l’héroïne et ravissante star, Hanane Turk, qui incarne Dunia, a annoncé en juin qu’elle revêtait le voile islamique, un mode vestimentaire interdit en Tunisie, où les autorités mènent une offensive pour l’éradiquer. « Le film donne à voir l’Egypte contemporaine » et « il a plu au public des JCC qui l’a bien montré par des applaudissements nourris », note La Presse. Coproduction internationale (France, Egypte, Liban et Maroc), « Dunia » qui a déjà été projeté dans plusieurs festivals dans le monde et dans quelques salles à Paris, n’a pas reçu son visa d’exploitation en Egypte, où selon sa réalisatrice, il a été censuré et déprogrammé. Le film devait sortir la semaine dernière dans dix-huit salles en Egypte.   AFP  


Amnesty veut une enquête d’urgence de l’ONU sur la guerre Israël-Hezbollah

AFP, le 21 novembre 2006 à 02h22   LONDRES, 21 nov 2006 (AFP) – Amnesty International a demandé mardi d’urgence une enquête impartiale et complète menée sous l’égide des Nations unies sur les conséquences du mois de conflit entre Israël et les combattants chiites du Hezbollah en juillet dernier. « Une enquête complète, impartiale menée sous l’égide de l’ONU, incluant des dispositions pour les réparations aux victimes, est à mener d’urgence », a déclaré le directeur du programme du groupe de défense des droits de l’Homme sur le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord Malcolm Smart. « Ne pas le faire serait non seulement une trahison immense envers les victimes civiles, dont plus d’un millier sont mortes, mais aussi un appel à un nouveau bain de sang des civils en toute impunité », a-t-il affirmé. Le groupe de défense des droits de l’Homme basé à Londres a demandé une enquête des Nations unies alors qu’elle publiait son propre rapport sur les violations des lois internationales commises au cours des 34 jours du conflit. Intitulé « Iraël/Liban, hors de proportion – les civils portent le poids de la guerre », le rapport assure que les forces israéliennes ont mené des attaques « aveugles » et « disproportionnées » sur les civils du Liban sud, terre du Hezbollah.   AFP


Sans censure ni autocensure.

Ce qui fait courir la rumeur publique !

 

Larbi Chouikha

 

Passe-droits, corruption, népotisme, favoritisme, spoliation de biens privés, détournement des deniers publics, appels d’offres truqués, enrichissement illicite… sont devenus les thèmes récurrents d’une rumeur envahissante qui circule dans un terrain propice où tous les individus assoiffés d’informations et de justice sont à l’affût. Aucun d’entre nous ne peut résister à la tentation de lui tendre l’oreille, y compris, paraît-il, au sein de l’élite dirigeante. Et pour beaucoup, la rumeur est même recherchée et prisée, et constitue un espace de libre expression où chacun peut donner libre cours à son imagination, voire à sa rancœur. Elle alimente ainsi toutes nos conversations et nos réunions conviviales. Sous d’autres cieux, elle serait un objet d’études et d’interrogations, mais dans notre pays, en l’absence de canaux de communication et de médiation crédibles et légitimes, elle devient l’expression de notre mal-être fait de frustrations, mais aussi de malaises et de déceptions.

 

Autrefois, les rumeurs survenaient en des moments de tension qui secouaient les rapports gouvernants-gouvernés. Aujourd’hui, elles s’installent dans notre quotidien et deviennent le lieu d’expression par excellence de nos ressentiments et de nos espoirs perdus, et dans la plupart des cas, elles s’en prennent aux dirigeants publics et à ces super citoyens propulsés au-dessus des lois et des institutions. Dans notre pays, ce qui attise ces rumeurs avec autant d’entrain c’est de prime abord la nature même de cet omnipotent édifice étatique qui régente la société et les individus. Il ne cesse d’étendre ses ramifications dans tous les interstices de la vie sociale et publique et happe l’individu dans ce qui incarne la quintessence de sa liberté et sa citoyenneté. Ainsi, ceux qui disposent d’une parcelle de pouvoir ou d’influence sur lui peuvent être amenés à abuser de ce pouvoir ou à le détourner à des fins personnelles à condition toutefois de ne pas trop caresser les sacro-saintes lignes rouges, non écrites mais connues par tous les initiés à la chose publique.

 

En conséquence, l’absence de véritables contre pouvoirs – autonomes – et de balises de contrôle institutionnel – crédibles et efficaces – fait que les risques de dérapage et de dévoiement dans cette sphère deviennent énormes, et les frustrations des citoyens encore davantage. En effet, quand les journalistes ne disposent pas de toute la latitude nécessaire pour enquêter sur des scandales publics – révélés et alimentés par les rumeurs – et pour dévoiler – éventuellement – leurs auteurs, quand les partis de l’opposition et les ONG réellement indépendantes, ne peuvent accéder à toutes les informations publiques en vue de rédiger des rapports fiables et mettre à l’indexe toutes les actions – visibles et surtout, non visibles – de ceux qui parlent au nom de la toute puissance publique…. ! du coup, les rumeurs – des plus censées aux plus folles – les supplantent tout naturellement et investissent ainsi toutes les sphères de la vie sociale, y compris celle du pouvoir. Leur prolifération, leur amplification, la célérité de leur diffusion, cristallisent deux manifestations sensibles qui s’entrelacent : l’absence de médias indépendants, donc audacieux, une administration et des institutions publiques souvent hermétiques, donc peu transparentes. Mais, dans le même temps, ce manque flagrant d’informations engendre un état de frustration populaire pesant qui s’empare de toutes les couches sociales et nourrit un désir de plus en plus affirmé de briser cet étau informationnel qui les étreint. A partir de là, le moindre article sur la Tunisie publié dans une publication étrangère, le reportage le plus anodin sur notre pays diffusé sur une chaîne étrangère de télévision, l’information la plus banale qui circule sur Internet deviennent un objet de grande curiosité que nous savourons avec délectation. Et quand la rumeur prend des proportions démesurées et les thèmes qu’elle couve sont plus que poignants parce qu’ils baignent dans des eaux oh combien troubles ! alors, le repli sur la presse étrangère devient un exutoire. Certes, le recours à la censure est toujours possible pour museler ces voix venues d’ailleurs qui nous informent et nous éclairent, mais parallèlement, les subterfuges et les ruses que les individus déploient pour défier les mécanismes de contrôle sont, eux aussi nombreux et variés.

 

En effet, tant que cet Etat omnipotent étouffe l’individu et minimise le rôle de la société, que les quelques ONG indépendantes sont assignées à résidence et que nos médias et nos journalistes se trouvent réduits à la portion congrue, la rumeur court, elle court toujours et personne ne pourra l’arrêter. Et sa profusion, la manière dont elle est colportée ici et là et l’intérêt que nous lui accordons montrent que les rapports des citoyens avec l’autorité publique sont souvent emprunts de scepticisme, voire de méfiance. Dans ces conditions, même les rumeurs les plus rocambolesques et insolites, dénuées de tout bon sens et de discernement, trouvent écho et large diffusion dans tous les milieux et dans bien des cas, elles supplantent carrément les débats d’idées autour des grandes questions de société censées – normalement – nous préoccuper. Ainsi, la quête du sensationnel, du burlesque et de l’extravagance devient plus prisée que les débats de fond et les réflexions pertinentes de l’heure.


     

 

Le voile, les mesures officielles et le « conflit des devoirs »

   Latifa Lakhdar

 

    On a beau dédramatisé, ignoré, approché par de multiples explications, le voile ne finit pas d’accaparer la scène socio- politique aussi bien chez nous que chez les autres, y compris les occidentaux.

   Et pour cause, le voile est un phénomène révélateur de plus d’une faille car, combien même il ne serait qu’un phénomène de mode – comme se plaisent à nous le répéter certains observateurs optimistes ou peu soucieux du sens philosophico- ontologique des choses-  ceci n’allège en rien la lourdeur de sa symbolique, celle de la femme réduite à une awra, à un sexe ou à une masse borgne qui n’a pas le droit à la vue, ni à la lumière, une masse qui se doit de se cloîtrer derrière une prison mobile, d’autant qu’elle est encline à déranger le monde par sa tendance « naturelle » à vouloir séduire, « allumeuse » et porteuse de cette fitna qui, dans la langue où s’exprime cette conception veut dire désordre et discorde.

Les fuqaha d’aujourd’hui, reproduisant quasi parfaitement l’idéologie de ceux d’hier, s’évertuent à délimiter les contours à couvrir de cet  «  obscur objet de jouissance ». Les plus rigoureux , ceux qui se croient être  les plus «  aux ordres de Dieu » imposent la femme fantôme -noire, fantôme d’elle-même d’ailleurs, dans un monde qui dans leur croyance maladive ne semble être peuplé que d’obsédés de sexe et de violeurs potentiels. Ceux plus « modérés » permettent qu’elles découvrent le visage et les mains réduisant ainsi « généreusement » sa awra à tout le reste de ce corps coupable :

 

          Misère d’un homme, misère d’une mentalité, misère d’un statut pré moderne.

         Quant à la grandeur du Grand, serait-il normal de  croire qu’elle  puisse correspondre     aux soucis futiles de ces théologiens demeurés et malades !  

 

    Maintenant, le voile est-il l’expression d’une désobéissance politique ?

Peut être aussi, mais loin de l’être d’une manière consciente et délibérée, il l’est certainement d’une manière indirecte. Car, si on s’écarte aussi ostentatoirement de ce qui a fait pendant cinquante ans consensus national, ce n’est certainement pas sans vouloir signifier une démarcation.

    Et, s’il est plus sûr que cette opposition politique se porte contre l’ordre mondial qui méprise tout aussi ostentatoirement la périphérie ou le Sud, ce phénomène ne représente pas moins une manière de bouder le national pour ses divers manquements.

 

    L’Etat tunisien à travers ses courroies de transmission « Rcdistes », semble (re)saisir l’ampleur que prend le phénomène du voile dans le pays. Comme d’habitude, les mesures qu’il prend sont à la fois d’ordre policier et de celui d’une rhétorique très peu, sinon pas du tout convaincante.

   Son isolement par rapport à tous ceux qui, dans le pays, sont susceptibles de porter un discours moderne, rigoureux et intéressant sur la question, son choix délibéré de se cantonner dans le cercle des plus proches des proches parmi les plus complaisants, sa rupture incroyablement consommée avec les expressions modernes et démocratiques de la société civile, son déni et sa non reconnaissance, de fait, d’une opposition attachée à son autonomie et à son vrai rôle…., tout cela  explique que le pouvoir politique se trouve à court de discours crédible.

    Mais il ne doit pas nous échapper non plus que dans ce genre de système, c’est moins l’efficacité d’un discours qui compte, que les méthodes et les mesures qu’on utilise. Car il se trouve que ces masses voilées, victimes de cette campagne policière sévère, sont en même temps les sujets obéissants de ce même système, ce sont ceux-là même qui coopèrent aux divers scénarios du gâchis public et il est inutile d’évoquer les exemples. Les esprits les plus sages, ne nous ont-ils pas expliqué que la disposition à l’obéissance et à la servitude appelle de son coté les méthodes de l’assujettissement et de l’écrasement ?! Oui, il n’a jamais existé, dans l’histoire, un mauvais pouvoir politique dans une société bonne. Le contraire est aussi valable.

    Voilà pourquoi, d’ailleurs, il est plus facile quelques fois de tenir les problèmes  par l’amont où se trouve un pouvoir politique violent mais moins ambigu, que par l’aval où se situe une multitude versatile et moins saisissable.

 Enfin, le problème est d’une telle complexité que,  quelques puissent être nos griefs contre ces méthodes coercitives, on ne peut  échapper à un certain conflit des devoirs.

 

*Le devoir de défendre, d’abord et en priorité, un statut moderne pour les femmes. Car si au nom de la liberté qui est une des valeurs les plus chères de la modernité, on se trouve à défendre  ces porteuses du signe du mépris et de la réification, quel argument pourrions nous opposer à la polygamie, à la répudiation, au mariage des filles à peine pubères et à tout l’arsenal théologique moyen-âgeux concernant les femmes, sachant que les sciences charaiques et la pensée intégriste les présentent et les conçoivent dans une parfaite totalité ?

L’Etat tunisien essaie, à travers ces mesures, de renationaliser un islam qui veut lui échapper par son ralliement de plus en plus poussé au discours  islamique d’un « cheickhisme satellitaire », et s’il nous est impossible d’être d’accord sur ses méthodes qui sont, en fait, inhérentes à son caractère totalitaire, on ne peut que comprendre qu’il ait ce souci de rappeler aux croyants et croyantes quelques unes des termes d’un consensus national aussi ancien que l’indépendance du pays.

     Ce premier devoir impliquant politiquement ce qu’il implique n’appelle pas moins, cependant, le conflit avec un autre devoir non moins important :

*Celui de défendre une alternative démocratique, qui écartera les options policières et les méthodes totalitaires, monopolisatrices, non seulement parce que ces dernières  n’épargnent personne et expriment une disposition détestable à mépriser les énergies libres et autonomes du pays, mais surtout parce, historiquement, aucun système autoritaire n’est parvenu et jusqu’à présent, à prouver sa capacité à instaurer un équilibre sûr et durable entre Etat et  religion. L’expérience des peuples en Occident et ailleurs a prouvé que seule une crédibilité démocratique dispensant aux individus un vrai statut et une vraie identité politique de citoyens est en mesure de décrédibiliser un discours religieux anachronique , qui donne aux gens l’illusion d’être dans un certain confort. Aucun peuple, aucune société ne peut se passer de ce besoin d’un « vivre ensemble », et si l’absence de  vie publique continue à planer sur la scène nationale comme manquement affreux et insoutenable, le voile et tout ce qui se cache derrière comme conception rétrograde des femmes et du monde reviendront, inévitablement au galop.

    Il  ne sert rien peut-être d’évoquer ce qui a pu être et qui n’a pas eu lieu, mais à l’occasion de ce dix-neuvième anniversaire du 7 novembre, il est utile de rappeler à tous ceux qui n’ont épargné aucun effort pour tuer l’espoir tout au log de ces années,  qu’une vie politique et culturelle de meilleure qualité, était, il y’a dix neuve ans de l’ordre du possible.

 

 (Source: Attariq Aljadid –N° 54 – Novembre 2006)


 

Une voie inexplorée… pour un projet inédit

 

Mohamed Harmel

 

  En entamant la préparation théorique ,politique et pratique de la conférence,comme étape intérmediaire avant le congrès, nous devons prendre toute la mesure de l’enjeu historique du projet que nous avons décidé de construire ensemble (Attajdid et indépendants). Il ne s’agit pas d’un projet ordinaire.

Nous sommes chargés d’accomplir une tache inédite et nous sommes engagés dans une voie inéxplorée  dans l’histoire politique de notre pays. Mission extrêmement difficile et complexe, étrangère à tous les shémas précédents et aux simplismes de la politique politicienne ,fut-elle  affublée des allures progressistes et démocratiques. Cette mission exaltante, peut réussir, si nous savons l’affronter d’une manière rationnelle et unitaire, loin des sentiers battus et des pratiques traditionnelles qui ont fait avorter tous les projets unitaires et qui ont installé le paysage politique,dans une division chronique, des forces susceptibles de porter le changement démocratique.

Nous avons à faire face et à surmonter une tendance lourde et persistante, obstacle majeur politique, idéologique et culturel, à toute construction unitaire, a fortiori dans le cadre d’un parti. Cette tendance se manifeste partout et peut même menacer notre projet parcequ’elle cultive le désaccord et l’entetient artificiellement.

Il faut faire un effort pour dégager, d’une manière claire et sans équivoque, la problématique théorique et politique et ses conséquences pratiques et organisationnelles, pour avancer en toute lucidité, au besoin, par étapes dans la construction  de notre projet, conçu comme instrument fondamental et solution nationale aux problèmes du paysage politique du pays et d’un parti progressiste, tout étant extrêmement large, presque sans rivages, tout en n’étant pas une alliance

 La décision d’opter pour un congrès ouvert et un projet unitaire, et la construction inachevée d’un parti uni et pluriel dans le cadre d’un véritable partenariat, à partir de la fondation d’Ettajdid, a été précédée par une discussion animée au sein des structures d’Ettajdid. Cette décision a écarté une vision traditionnelle d’un congrès ordinaire et « endogène »tenu « dans les délais »…pour régler les problèmes internes(!ترتيب البيت؟ ) … Cette vision est apparue contraire à la vocation originelle d’Ettajdid et aux changements qualitatifs qui sont apparus depuis et qui ont permis l’emergence de l’initiative démocratique et la montée de l’idée unitaire. Dans la mise en œuvre de cette décision ,nous avons à maintes reprises, explicité sa signification veritable, ce qui n’a pas empeché les malentendus !

Un congrès, même ouvert, n’a pas pour but d’améliorer « le look » d’Ettajdid ou ses « performances » avec le renfort de certains indépendants « amis ».Il n’a pas aussi  pour but « d’effacer » Ettajdid et ses acquis, pour une création exnihilo! Il est évident que ces intérprétations restrictives ont été alimentées par la diffusion de formules « ambigues » sur le rôle du congrès dont la préparation serait dominée par des questions de procédure et la « nouveauté » serait « illustrée » par des changements formels et superficiels, au demeurant factice et non dénués d’arrières-pensées electoralistes, ce qui ne peut que dénaturer le sens de notre projet…

Elles ne reflètent pas la nouveauté radicale et réelle de notre projet qui n’est pas incompatible avec tous les acquis et tous les symboles positifs accumulées aussi bien avec Ettajdid que dans les autres espaces progressistes –Il est apparu clairement que toute approche restrictive ou subjective, fut-elle animée des meilleurs intentions, est contraire à la nature et aux objectifs de notre projet et peut en pervertir la réalisation.

Un projet concu pour réaliser une synthèse unitaire, de sensibilités différentes, dans une cohabitation originale de militants, venus d’horizons divers, doit bannir les anciennes cultures de l’intolérance,de l’exclusive et de l’exclusion ou de calculs « de rapport de forces ! »

Nous sommes chargés de mettre en avant une nouvelle éthique politique, pour forger un instrument, aujourd’hui « introuvable », mais dont le pays a besoin, ce qui implique l’abondon des shémas négatifs et des réactions épidermiques.

 La synthèse (unité/diversité dans un cadre unique) est une « équation à plusieurs inconnues ».

Elle ne peut être resolue par la seule bonne volonté des uns et des autres,constamment menacée et bousculée par « les vieux reflexes » qui peuvent se transformer « en démons » diviseurs,au nom d’une pretendue »vérité » ou d’une simple opinion,contraire à celle des autres!

Elle ne peut être resolue par un simple accord politique, qui peut, à la rigueur, faire fonctionner une alliance comme ce fut le cas pour l’initiative démocratique, mais il ne peut faire fonctionner d’une manière durable, un parti, fut-il nouveau.

Au-delà des programmesde type classique (programme politique, économique et social, dans le cadre d’objectifs démocratiques et progressistes qui sont nécessaires mais insuffisants pour rompre avec tous les obstacles et rallier l’opinion à un parti uni et pluriel), d’autres « ingrédients », d’autres approches sont necessaires pour cimenter l’unité et la diversité du parti.

La synthèse ne peut être que le resultat d’un effort collectif d’élaboration(اجتهاد (, pour mettre en lumière les racines historiques ,sociales ,idéologiques et culturelles, de cette tendance lourde antiunitaire dans l’héritage du pays , marquée par le parti unique au pouvoir et les partis « idéologiques, qui ont la prétention, désunis de resoudre tous les problèmes, dans les anciennes conceptions des partis « d’avant-garde » révolutionnaires, detenteurs de verité absolue, par la magie des identités idéologiques,alors que les anciennes frontières s’estompent et l’aspiration à l’unité gagne du terrain.     

Il faut analyser les tendances nouvelles ,à l’œuvre dans la société et la jeunesse,et ne pas se focaliser  sur le microcosme politique– Ces tendances sont evidemment différéntes de celles des années précédentes –les profondes mutations ont vu le jour ,à tous les niveaux, qui ne peuvent rester figés dans les formes anciennes. C’est pourquoi, les referentiels ,ne sauraient être un ensemble de dogmes même « renovés » ni « un cocktail » ou un « assemblage » hétéroclite  des résidus idélogiques des uns et des autres (Ettajdid et indépendants) non dépassés et preservés,sans un travail critique, comme un heritage identitaire, éternitaire et quasi-religieux. Sans êtres incompatibles les referentiels collectifs et les referentiels individuels ne peuvent se confondre.

La construction de notre projet est inconcevable ,sans revisions critiques et sans un travail d’élaboration pour penser nos nouvelles pratiques politiques, pour la mise en œuvre de nouvelles approches, qui n’abolissent pas les sensibilités différentes ,mais mettent le projet en phase avec les nouvelles tendances à l’œuvre dans la société et ses forces vives et jeunes qui doivent se reconnaître dans ce projet.

Les différentes sensibilités sont appelés à s’actualiser et à se libérer des dogmes et des postures idéologiques caduques pour s’intégrer dans une synthèse unitaire et plurielle .La conception globale du parti doit transcender les conceptions et les sensibilités individuelles, sans les absorber, dans une nouvelle unité organique et dynamique, où chaque adherent trouve son rôle et sa place sans renoncer à ces convictions intimes, la synthèse etant  ouverte à tous et à toutes.

   Nous avons entamé la préparation du partenariat dans un cadre restreint ,avec un premier noyau d’indépendants, au depens d’autres,ce qui a créedes frustrations et des tensions, comme si on devait « circonscrire » le processus dans cette phase initiale ce qui est contraire aux recommandations explicites des structures d’Ettajdid (conseil National et bureauu politique) qui ont insisté sur des consultations avec tous les partenaires, sans exclusive. Dans une telle atmosphère, les divergences même ordinaires, étaient dramatisées et risquaient de donner lieu à « des ruptures », alors que nous sommes appélés à gerer toutes les divergences, dans un esprit unitaire responsable.

Dans cette phase initiale et ce cadre restreint et fermé, le bureau politique d’Ettajdid a accepté de discuter un projet de  « feuille de route », qui nous a été présenté par  le premier noyau d’indépendants, comme un projet prioritaire. Aujourd’hui, sorti de ce cercle restreint et diffusé largement, ce projet sur les procédures et et les principes du partenariat peut être soumis à la discussion de tous et de toutes. La commission de préparation de la conférence nationale est chargée d’examiner le projet et d’organiser la discussion, puis l’élaboration de tous les projets à soumettre au congrès, y compris le texte refondateur   الارضية الفكرية والسياسية والتنظيمية))     les statuts et autres textes.                                                                                                 

Dans ce cadre ,toutes les interrogations, toutes les questions , tous les thèmes seraient discutés ,étudiés et approfondis, sans réduire le débat aux seuls aspects de procédure, si importants soient-ils, ou aux seuls aspects existentiels(qui sommes nous ?) ou encore aux aux seuls aspects programmatiques (économique, social..etc.)

L’originalité de notre projet réside dans la mise en chantier de plusieurs éléments d’analyse, pour dégager les nouvelles exigences de l’étape historique nouvelle, pour forger le cadre fédérateur qui doit être en mesure d’intégrer et d’unifier les partenaires d’aujourd’hui et de demain, et au-delà, les jeunes, les femmes et les forces vives,qui doivent faire la jonction avec notre projet avant et après le congrès, en partant du constat que les approches  précédentes des uns et des autres, ont montré leurs limites.

Nombre de questions, dont les réponses allaient de soi, dans les étapes pécédentes,surgissent aujourd’hui avec une accuité accrue et différente. Les réponses conventionnelles n’ont plus la même pértinence (voir les résultats dans le paysage politique).

Toutes les questions à débattre dans la préparation de la conférence et du congrès, doivent être soumis à l’éclairage d’une problématique actualisée et novatrice, liée à la construction d’un projet capable de contrecarrer les tendances négatives au pouvoir et dans la société .

D’où notre responsabilité nationale et historique ,qui transcende les considérations partisanes et les visions à courte-vue.

Nous sommes sommés de traiter les questions les plus brulantes, sans perdre de vue cette responsabilité.

Le pays a un besoin impérieux de notre projet, de sa contribution, de son apport novateur pour maîtriser un destin de plus en plus incertain.

Un immense chantier se présente à nous ,qui dépasse les seules relations entre les partenaires et les questions de procédure et de partenariat, tout en les impliquant .

Des questions théoriques, politiques, idéologiques doivent être résolues : comment briser le scepticisme à l’égard du politique et des partis? rôle de l’opposition démocratique désunie, face à un régime autoritaire et d’une société où les besoins individuels explosent, persistance du danger intégriste, échec des régimes socialistes, échec des régimes arabes, face à l’agressivité américaine et israélienne, mondialisation et mouvements antimondialistes..  etc.

Des questions d’organisation d’un parti pluriel et uni ,doivent trouver des solutions originales et consistantes, qui les mettent à l’abri de tous les soubresauts,des aléas des anciennes « cultures » et des mauvaises habitudes, qui ressurgissent systématiquement.

D’où la nécessité d’une démarche ,à la fois prudente et audacieuse,loin de toute précipitation,pour présenter à l’opinion un visage crédible et attractif, sans démagogie,où les différents aspects de notre projet (théorique,politique, culturel, et organisationnel apparaissent clairement et d’une manière convaincante).

Dans cette démarche,les faux-semblants,ne sont pas de mise !! 

C’est pourquoi ,avant de mettre en place ,ce qu’on a appelé le comité de pilotage (large et restreint dont les modalités et les critères de formation, n’avaient pas été encore discutés par l’ensemble des partenaires), nous avons commencé le partenariat actif et effectif par la préparation de la conférence nationale qui doit précéder le congrès. Le partenariat est ouvert à tous et à toutes, y compris à ceux qui ont voulu « bruler » les étapes et qui sont partie prenante du processus.

La conférence nationale, dont la préparation a été confiée à une commission représentative (Ettajdid et indépendants) doit organiser la discussion ,sur la base des différents projets de texte, préalablement élaborés, pour être soumis au congrès appelé à modifier les questions et les approches traditionnelles …Un parti pour nous? Pourquoi pour nous? Nous ne sommes pas une secte,fut-elle progressiste!! un parti pour tous et toutes!. 

 

  (Source: Attariq Aljadid –N° 54 – Novembre 2006)


 

Enquête

Grande lessive chez les espions italiens

ROME CORRESPONDANT

 

Sous couvert d’une « rotation naturelle » des chefs des services secrets italiens, le chef du gouvernement, Romano Prodi, a limogé, lundi 20 novembre, le général Nicolo Pollari, patron depuis cinq ans du Service de renseignement militaire (Sismi).

 

La nouvelle n’a surpris personne, tant ce militaire de 63 ans, qui a fait l’essentiel de sa carrière dans les « services », incarne le climat d’espionnite chronique qui accable l’Italie depuis plusieurs mois. Son nom et celui de ses plus proches collaborateurs sont apparus dans la plupart des scandales d’écoutes illégales et d’espionnage politique qui ont secoué la Péninsule ces dernières semaines.

 

Après la découverte, fin octobre, d’une affaire de violation des dossiers fiscaux de dizaines de personnalités, dont lui-même, l’ancien président de la République, Carlo Azeglio Ciampi, a dénoncé « une atmosphère qui rappelle celle des années 1970-1980, à l’époque du scandale de la loge P2 ». La référence à cette organisation secrète qui visait à instaurer un régime autoritaire est reprise par la presse proche du centre gauche : le quotidien La Repubblica s’est inquiété de « pouvoirs occultes qui, depuis quelques années, pèsent de nouveau sur la vie publique italienne ».

 

M. Prodi a pourtant pris son temps pour remplacer Nicolo Pollari, attendant « le moment opportun » afin de préserver la réputation du Sismi, fortement déstabilisé par les incessantes révélations sur les agissements de ses dirigeants. Le limogeage intervient à la veille de la publication par le Comité parlementaire de contrôle des services secrets (Copaco) d’un rapport accablant sur le rôle du patron du contre-espionnage dans l’affaire Abou Omar.

 

L’Egyptien Hassan Moustapha Ossama Nasr, dit Abou Omar, ex-imam d’une mosquée milanaise, soupçonné de liens avec une organisation terroriste proche d’Al-Qaida, a été enlevé par un commando de la CIA, le 17 février 2003, dans le centre de Milan. Il a été conduit à la base américaine d’Aviano, puis à celle de Ramstein en Allemagne, avant de se retrouver, le soir même, dans une prison égyptienne.

 

Le général Pollari a toujours prétendu tout ignorer de cet enlèvement illégal. En mars, il défendait encore devant les parlementaires la thèse selon laquelle Abou Omar aurait pu se volatiliser de son propre chef pour rejoindre clandestinement l’Irak. Face aux questions du Copaco et du parquet de Milan – qui vient de boucler son enquête sur l’enlèvement -, il a toujours brandi le secret d’Etat, imposé par le gouvernement Berlusconi, puis confirmé par celui de Romano Prodi. M. Pollari s’affiche en victime, dans l’incapacité de produire les documents qui le disculperaient.

 

Les éléments à charge ne manquent pas dans l’acte d’accusation des magistrats de Milan, dont le travail a été salué comme « exemplaire » par la commission d’enquête du Conseil de l’Europe sur les vols secrets de la CIA. M. Pollari est mis en examen pour « complicité d’enlèvement avec circonstances aggravantes », comme 38 autres personnes, dont 26 agents de la CIA (toujours en fuite) et son ancien bras droit au Sismi, Marco Mancini. Selon les juges, il aurait « reçu et accepté une demande de participation conjointe à l’opération d’enlèvement », fin 2001, de la part de Jeff Castelli, à l’époque responsable de la CIA en Italie. Des documents saisis par les enquêteurs montreraient que le contre-espionnage militaire était parfaitement informé, dès le mois de mai 2003, qu’Abou Omar était interrogé en Egypte.

 

De plus, M. Pollari s’est trouvé compromis par les découvertes faites au mois de juillet par la police chez son homme de confiance, Pio Pompa. Cet agent très spécial, qui occupait à Rome un bureau sans existence officielle, était considéré par le patron du Sismi comme son « ombre ».

 

Dans ses archives, on a découvert des faux documents selon lesquels les vols de la CIA en Europe avaient été autorisés par M. Prodi, au temps où il présidait la Commission européenne. Cette thèse a été colportée par le quotidien de droite Libero. Son directeur adjoint, Renato Farina, a reconnu avoir écrit contre rétribution des articles dans ce sens. Sous le nom de code Betulla, ce journaliste était un honorable correspondant depuis 1999 ; il participait régulièrement à la « centrale de désinformation » montée par Pio Pompa.

 

Ce dernier détenait des écoutes illégales de journalistes et de magistrats, ainsi qu’un dossier intitulé « Opérations traumatiques » dans lequel il était question de « désarticuler une structure visant à frapper le gouvernement Berlusconi ». Parmi les dangereux terroristes présumés : un sénateur de centre gauche et des magistrats… La présence de cette officine occulte au sein des services officiels de renseignement militaire a été jugée « embarrassante » par les membres du Copaco qui ont auditionné Pio Pompa la semaine dernière. Quelques jours plus tard, il était muté.

 

Les noms de Pollari et de Pompa apparaissent également dans l’affaire Telekom Serbia, un montage destiné à compromettre plusieurs personnalités de gauche dans une complexe histoire de pots-de-vin avec la Serbie remontant à l’époque du gouvernement Prodi entre 1996 et 1998. L’affaire a fait la « une » du quotidien Il Giornale, propriété du frère de Silvio Berlusconi, pendant plus de quatre mois en 2003, avant de se dégonfler.

 

Sous la direction de Nicolo Pollari, le Sismi a été soupçonné dans le « Nigergate », où un faux dossier concernant l’enrichissement d’uranium avait été produit en appui à la thèse de la guerre en Irak. Mis en cause dans le « Laziogate », une affaire locale d’espionnage politique lors des élections de 2005 dans la région de Rome (Lazio), le général Pollari avait remis sa démission à Silvio Berlusconi, qui l’avait refusée.

 

Enfin, l’ancien numéro deux du renseignement militaire, Marco Mancini, déjà mis en examen pour l’enlèvement d’Abou Omar, a aussi été placé sous enquête dans le scandale d’écoutes téléphoniques découvert en septembre au sein de Telecom Italia. Plus de 1 200 personnalités de la politique, des affaires, du sport et du show-business étaient espionnées par le responsable de la sécurité du groupe de télécommunications et un enquêteur privé. Les deux hommes étaient très proches de Marco Mancini, incitant le parquet de Milan à soupçonner « des relations dangereuses avec les services secrets ». Les archives de ce réseau privé d’espionnage contenaient des données confidentielles de plusieurs ministères et services publics sensibles.

 

L’éviction de Nicolo Pollari ne suffira pas à dissiper toutes les zones d’ombre. Mais la relève a été saluée à droite comme à gauche. Nicolo Pollari est remplacé par l’amiral Bruno Branciforte, 59 ans. Le nouveau patron du renseignement civil (Sisde) est un policier de 46 ans, Franco Gabrielli, spécialiste de l’antiterrorisme. Quant au Cesis, l’organisme censé coordonner les deux autres, il a été confié à un proche de Romano Prodi, le général à la retraite Giuseppe Cucchi, 66 ans.

 

Jean-Jacques Bozonnet

 

(Source : « Le Monde » du 22 novembre 2006)

 


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