TUNISNEWS
6 ème année, N° 2020 du 02.12.2005
Soutien aux magistrats tunisiens à Kairouan
Initiative démocratique-France: Texte de soutie aux magistrats
AP: Tunisie: la police empêche la tenue d’une réunion de solidarité avec l’association des magistrats AFP: La police empêche une réunion de solidarité avec les magistrats à Tunis AFP: L’affaire de la Ligue des droits de l’homme réexaminée samedi AFP: Six inculpations dans l’affaire de la kamikaze belge
Rencontre-débat : »Après la grève de la fai m, Quelles perspectives pour l’action politique en Tunis ie » Association de soutien aux Tunisiens en difficultés en Europe: Communiqué
Le Monde: Tunisie : la victoire de Ben AliOumma: Après le Sommet de l’Information, Internet dort en prison Le journal Hebdo: Le verrou Tunisien Neila Charchour Hachicha: « Peut-on faire confiance à l’opposition ? »
Zyed Krichen: Propositions pour M. Zakaria Ben MustaphaRéalités: La victoire de Bourguiba sur Ben Youssef Réalités: Les fondements du “Socialisme destourien”Réalités: L’ascension de Bahi Ladgham Réalités: 20 ans après sa mort : Béchir Salem Belkhiria toujours présentRéalités : BECHIR MANOUBI : Le boute-en-train s’en va … AFP: Mali: un sommet alternatif fustige le « néo-colonialisme français » en Afrique Sommet franco-africain 2005 : Arrêtons le soutien aux dictateurs ! Soutenons les peuples africains! AP: Un périple africain à dos de cheval barbeAFP: Deux cavaliers sud-africains traversent l’Afrique pour tester le cheval barbe
|
Soutien aux magistrats tunisiens à Kairouan
Le Comité Régional pour le Soutien de la Société Civile a Kairouan a organisé une réunion de soutien à l’Association des Magistrats Tunisien au local d’Ettajdid, aujourd’hui 2 Décembre .
En présence d’un nombre important d’étudiants, de syndicalistes , de représentants régionaux des partis politiques et de militants de droits de l’homme, trois avocats ( Maîtres Chokri Belaid , Faouzi Mkadem et Khaled Krichi ) ont tracé avec une superbe pédagogie le périple de la dite Association et sa bataille pour l’indépendance de la magistrature , soulignant l’acharnement du pouvoir pour briser toute volonté d’indépendance de la justice. Aussi ,a-t-on souligné, les magistrats et les avocats luttent pour la même cause : le respect de la justice et de l’espace judiciaire . Preuve : cet acharnement du pouvoir a commencé quand AMT se plaça aux cotés des avocats, le printemps derniers, pour dénoncer la violation de l’espace judiciaire et de son immunité.
Durant la réunion ,plusieurs personnes ont pris la parole pour exprimer leur soutien inconditionnel aux magistrats et pour souligner que la lutte pour l’indépendance de la justice ne concerne pas seulement les magistrats , mais toute la société civile tunisienne.
Pour le Comité
Massaoud Romdhani.
Texte de soutien de l’Initiative démocratique – France aux magistrats
Initiative démocratique-France
PARIS
Le Conseil de l’Initiative démocratique – France salue votre manifestation de solidarité avec les magistrats de Tunisie pour défendre l’autonomie de leur association contre les tentatives de mainmise et d’assujettissement par le pouvoir.
Par cette action, vous démontrer, une fois encore, l’engagement de toutes les militantes et tous les militants de l’Initiative démocratique aux cotés des luttes pour le droit de notre peuple à une démocratie et une citoyenneté effectives.
Comme nous avons, tous, su nous mobiliser lors des campagnes électorales présidentielles et législatives pour porter haut et loin les idées et les propositions des démocrates progressistes tunisiens, nous avons été présents aussi et nous le sommes encore, avec vous, dans les campagnes de défense de la société civile à chaque fois qu’une association autonome est attaquée.
Pour nous, membres de l’Initiative démocratique, notre engagement aux côtés de toutes les formes de luttes démocratiques et pacifiques pour les libertés démocratiques, est sans réserve, ni peur, ni calcul.
Comme vous, nous, Tunisiens vivant à l’étranger, sommes toujours vigilants et très attentifs à l’état des libertés individuelles et collectives dans notre pays.
Permettez nous à l’occasion de votre manifestation de réitérer, notre soutien aux magistrats tunisiens dans leur lutte pour la défense de l’autonomie de leur association, et une justice indépendante élément essentiel pour la construction d’une réelle démocratie et un vrai Etat de droit.
Nous dénonçons une nouvelle fois la campagne de dénigrement de la direction légitime de l’Association des Magistrats Tunisiens (AMT) par le pouvoir et la presse qui lui est inféodée.
Après les mutations disciplinaires prises contre les membres de la direction de l’AMT, la fermeture de son local voilà que le pouvoir organise par l’intermédiaire d’un comité fantoche un pseudo congrès dont le seul objectif est de domestiquer l’AMT et à travers elle la magistrature.
Nous disons :
n non au congrès fantoche
n oui au respect de l’autonomie de l’association des Magistrats et de sa direction légitime
n oui à une société civile Tunisienne autonome et militante pour les droits fondamentaux et les libertés démocratiques.
Paris le 1èr décembre 2005.
Le Conseil de l’Initiative démocratique – France
L’affaire (Sic !!!) de l’Association des Magistrats Tunisiens
Le congrès se tiendra ce dimanche
Néjib SASSI
Le tribunal de première instance a rejeté hier la demande de suspension de la tenue du congrès extraordinaire.
Siégeant en référé le tribunal de première instance de Tunis a rejeté, hier, la demande de suspension de la tenue du congrès extraordinaire de l’Association des Magistrats Tunisiens (AMT) fixé pour ce dimanche 4 décembre.
Le tribunal a été saisi de l’affaire par le président de l’Association M. Ahmed Rahmouni suite à la décision de la commission provisoire de tenir un congrès pour élire un nouveau comité directeur de l’Association.
Procès
L’Assemblée générale de l’Association qui s’est réunie le 3 juillet dernier a décidé de retirer sa confiance au comité directeur et au président Rahmouni et de désigner une commission provisoire présidée par M. Khaled Abbès (Mensonges éhontés, NDLR) chargée de gérer les affaires courantes de l’Association et de préparer la tenue d’un congrès extraordinaire pour élire un nouveau comité directeur.
M.Rahmouni et les membres du comité directeur dissous ont intenté deux procès, un en référé dont le délibéré a été connu hier et un sur le fond qui sera examiné le 26 décembre par le tribunal de première instance de Tunis.
Les avocats de la défense ont décidé de faire appel.
En attendant, le congrès extraordinaire se tiendra ce dimanche à Gammarth. 32 candidats se sont présentés pour l’élection du comité directeur.
(Source : « Le Temps » du 2 décembre 2005)
Tunisie: la police empêche la tenue d’une réunion de solidarité avec l’association des magistrats
Associated Press, le 2 décembre 2005, 20h02
TUNIS (AP) – Une manifestation de solidarité avec les magistrats qui devait se tenir vendredi à Tunis au siège de la Ligue tunisienne de défense des droits de l’Homme (LTDH) a été empêchée par la police.
Toutes les rues menant au local de la LTDH ont été bouclées par des agents de l’ordre qui en ont interdit l’accès aux participants, a constaté l’Associated Press.
Intitulée « Journée nationale de solidarité avec l’association des magistrats tunisiens (AMT) et pour la défense de l’indépendance de la justice », la manifestation devait apporter le soutien de plusieurs associations et militants des droits de l’Homme à l’AMT dont le bureau exécutif a été déchu en juillet à la suite de prises de position en faveur de l’indépendance de la magistrature.
Une « assemblée générale » tenue en marge de celle de l’AMT, avait décidé un « retrait de confiance » des dirigeants de l’association qui ont été remplacés par un « comité provisoire ». Ce dernier qui a d’ailleurs pris possession des locaux de l’AMT au palais de justice à Tunis, a convoqué une assemblée générale pour dimanche prochain.
Cette démarche a été décriée par nombre d’organisations non gouvernementales et de partis d’opposition qui y voient « une manoeuvre » visant à écarter les membres élus de l’AMT.
La LTDH est elle-même au centre d’une affaire en justice qui doit être réexaminée au fond samedi. Une plainte déposée par une vingtaine de membre de la ligue, la plupart proches du parti au pouvoir, avait abouti dans un premier temps à la suspension du congrès national de cette organisation considérée comme la plus ancienne dans le monde arabe et en Afrique.
La police empêche une réunion de solidarité avec les magistrats à Tunis
AFP, le 2 décembre 2005
TUNIS – La police a empêché vendredi à Tunis la tenue d’une réunion de solidarité avec l’Association des magistrats tunisiens (AMT), qui dénonce des manoeuvres visant à sa dissolution, ont constaté des journalistes.
La manifestation devait rassembler des représentants de la société civile à l’appel de la Ligue tunisienne des droits de l’homme (LTDH) au siège de cette association.
Des policiers en civil ont bloqué les rues conduisant aux locaux de la Ligue, ne laissant passer que des membres de la LTDH et interdisant le passage aux participants et journalistes.
« Nous n’avons pas d’explication à ce comportement. Les policiers nous ont dit qu’ils appliquaient des instructions », a indiqué le président de la Ligue, Mokhtar Trifi, joint par téléphone.
Des associations de la société civile « voulaient exprimer leur revendication commune pour l’indépendance de la magistrature et soutenir les dirigeants élus de l’association des magistrats face à un comité fantoche qui s’apprête à se mettre en place », a dit M. Trifi.
Il faisait référence à un comité provisoire désigné par des adhérents ayant retiré leur confiance à la direction de l’AMT pour tenir un congrès extraordinaire. Un tribunal avait rejeté jeudi une plainte introduite en référé par le président de l’AMT, Ahmed Rahmouni, pour suspendre la tenue de ce congrès prévu le 4 décembre.
Seule association professionnelle représentant les 1.700 magistrats, l’AMT avait dénoncé des manoeuvres visant à sa dissolution, appelé les autorités à « desserrer l’étau sur ses structures légitimes ». Elle avait fait état de « menaces sur son existence » et dénoncé des « mutations sanctions » de plusieurs de ses membres.
L’une des responsables de l’AMT, Leïla Bahria, a introduit vendredi une nouvelle plainte pour faire suspendre le « congrès fantôche » du 4 décembre, a indiqué M. Trifi.
L’association estime que la pression à son encontre est liée à certaines de ses prises de position sur le rejet d’un statut des magistrats et « la défense de l’intégrité morale des tribunaux ».
L’affaire de la Ligue des droits de l’homme réexaminée samedi
Six inculpations dans l’affaire de la kamikaze belge
MAGHREB CONFIDENTIEL
MAGHREB CONFIDENTIEL N° 719 du 01/12/2005
Tunisie : Le marché bancaire encore très verrouillé
Comme les Marocains, les Tunisiens surveillent de près l’arrivée d’opérateurs étrangers sur leur marché bancaire. Leur hantise est de voir se développer un « champion » qui capte tous les dépôts. Le marocain Attijariwafabank – qui vient de remporter les 33,54% de la Banque du Sud (BS) avec l’espagnol Banco Santander – avait déjà fait une tentative avortée pour prendre pied en Tunisie (4% dans la BIAT).
L’entrée du groupement maroco-espagnol dans la BS signe l’échec de l’italien Banca Monte Dei Paschi di Siena. Déjà dans la place avec 17% d’intérêts, l’italien a, du coup, préféré les céder à la famille El Materi, dont l’un des fils, Fahd Mohamed Sakhr, est le gendre du président Ben Ali.
BNP-Paribas est également en peine : la banque française aurait bien aimé coupler une prise de contrôle de la BS avec la banque privée tunisienne UBCI dont elle détient 50%. Une stratégie qui avait vivement effrayé le palais de Carthage.
Le système bancaire tunisien est toujours plombé par des créances douteuses. Les banques étrangères sont surtout invitées à éponger les dettes. Depuis son entrée, il y a trois ans, à hauteur de 52% dans l’UIB, la Société Générale – qui a depuis intégralement relooké le réseau d’agences – ne gagne toujours pas d’argent. Les bénéfices continuent de provisionner les dettes pourries. Dur.
De plus, la banque française s’est fait imposer comme président Alya Abdallah, la femme d’Abdelwaheb Abdallah, alors porte-parole du chef de l’Etat, et ex-patronne de la STB (public).
Dans ces conditions, les banques tunisiennes gardent un « espace vital », en particulier la Banque de Tunisie gérée par l’ancien ministre du transport Faouzi Bel Kahia, l’Amen Bank du groupe Ben Yedder et la BIAT de Chakib Nouira, qui connaît toutefois toujours de petits accrochages avec ses actionnaires…
MAGHREB CONFIDENTIEL N° 719 du 01/12/2005
Tunisie Télécom
Tunisie Télécom pourrait être privatisée plus rapidement que prévu. Les autorités tunisiennes n’ont pour l’instant ouvert à l’appel d’offres que 35% du capital de l’opérateur, mais les compagnies internationales candidates exigent de pouvoir rapidement devenir majoritaires.
La BIAT lance « Tunisie Titrisation »
La BIAT a obtenu du Conseil du marché financier le feu vert pour le lancement d’une société de gestion de fonds commun de créances nommée « Tunisie Titrisation », ce qui va permettre à la banque de monter la première opération de titrisation dans le pays.
MAGHREB CONFIDENTIEL N° 719 du 01/12/2005
Très forte mobilisation au Forum euro-méditerranéen de l’entreprise les 2 et 3 décembre
Trois secteurs économiques seront abordés à l’occasion du « Forum euro-méditerranéen de l’entreprise » organisé sous le haut patronage du président Ben Ali les 2 et 3 décembre au port Al Kantaoui : le textile avec des interventions d’Hubert Chavaran (Décathlon), Lucien Deveaux (Groupe Deveaux), Nur Ger (Suteks Istambul), Jehanne Annick (Quelle, Karstadt), Claude Tétard (UFIH) et de Philippe Heckenbenner (Lectra System Tunisie) ; le tourisme avec la participation d’Ali Debaya (Accor Tunisie), René Marc Chikili (Association des T. O. France), Karl Korsten (Steigenberger), Cimoli Gian Carlo (Alitalia), Hamouche Belkacemi (Entreprise nationale algérienne du tourisme), Lofti Ben Hassine (Liberty TV France), et Lofti Gabsi (Advences France) ; et les nouvelles technologies avec des présentations de Jean-Philippe Courtois (Microsoft International), Bernard Sanchez (IDATE), Samy Achour (Intégration Objets), Jean-Pierre Roeland (Tunisiana), Mondher Ben Ayed (TMI Tunisie), Eric Hayat (Steria), Todd Korth (Sun Microsystems), Olivier Suinat (HP), Georges Penalver (France Télécom), Ahmed Mahjoub (Tunisie Télécom) et Olivier Pastré (IMM Bank). Parmi les invités d’honneur figurent Dominique Strauss-Kahn, Jean-Pierre Raffarin, Jordi Pujol (ex-président de la Catalogne), Taoufik Baccar (Banque centrale de Tunisie), Ismail Hamdani, ex-premier ministre algérien, Donald Kaberuka (BAD), etc.
La Grève de la Faim du 18 octobre en Tunisie a été soutenue par toutes les composantes de l’opposition tunisienne. Elle a permis que les médias internationaux, présents à l’occasion du SMSI, se saisissent de «l’état des libertés en Tunisie» et de médiatiser cette grève. Elle a rencontré dans le pays et à l’extérieur, l’_expression, sous des formes diverses, d’une solidarité active. Cette grève et le mouvement de solidarité qu’elle suscité a par ailleurs créé un débat sur les perspectives de l’action politique en Tunisie et sur les alliances probables. Ce débat transcende l’opposition démocratique tunisienne tant en Tunisie qu’à l’étranger. Pour échanger autour de cette problématique, nous vous invitons à une rencontre-débat «Après la grève de la faim, Quelles perspectives pour l’action politique en Tunisie» avec : Maître Mekki ELJAZIRI. Membre du Conseil National de l’Ordre des Avocats de Tunisie Et Membre «L’Initiative Démocratique- ID» en Tunisie et responsable du comité régional de l’ID de Sfax Lundi 5 décembre 2005 Au siège de l’ATF A 19h00 130, rue du Faubourg Poissonnière, 75010 Paris
Association de soutien aux Tunisiens en difficultés en Europe (ASTF)
Suite aux enquêtes menées concernant la situations de plusieurs milliers de Tunisiens en Europe, nous avons relevé la nécessité de la création d une association Européenne pour défendre les Tunisiens en difficultés : les sans papiers, problèmes de logement surtout en Italie, les Tunisiens en prison etc…
Le siège de cette association sera basé à Genève ainsi que d autres filiales à travers l’Europe.
Nous appelons tous nos amis tunisiens de nous rejoindre dans cet effort vu l’absence des autorités en ce qui concerne les problèmes de milliers de Tunisiens à l étranger (+1200 prisonniers Tunisiens sans papier en Italie)
Ces derniers n’ont jamais eu ni visite de la part de l ambassade de Tunisie à Rome ni aucun soutien.
Devant cette situation nous rappelons les autorités Tunisienne d’assumer leurs responsabilités envers leurs ressortissants en difficultés .
Pour tout renseignements merci de contacter :
Zouhir Latif
Video Euronews
http://www.euronews.net/create_html.php?page=europeans&lng=2
La Tunisie à l’épreuve des libertés
La tenue du deuxième sommet mondial sur la société de l’information à Tunis a relancé la polémique sur les droits de l’homme dans le pays.
Partenaire privilégié de l’Union européenne, la Tunisie est loin de satisfaire à ses attentes en matière de gouvernance. En marge du Sommet, la société civile tunisienne a tenté de sonner l’alarme.
EXTRAITS D’UNE INTERVIEW. AVEC LE PRESIDENT SUISSE SAMUEL SCHMID
En bientôt douze mois de présidence de la Confédération, Samuel Schmid en a sans doute surpris plus d’un. Maîtrisant un peu mieux que son prédécesseur la cacophonie interne du Conseil fédéral, vainqueur moral (contre son parti) de deux votations pièges sur l’Europe, il a su, à sa manière, donner du relief à sa fonction, par petites touches, jusqu’à l’éclat récent de Tunis, où sa franchise bonhomme a fait mouche.
– Comment vivez-vous votre nouveau statut de héros international des droits de l’homme?
– (Il rit.) J’espère qu’il y a beaucoup de héros des droits de l’homme! Est-ce si particulier de dire la vérité? Il faut remettre cela à sa juste place. Il a toujours été de la tradition de la Suisse de lutter pour les droits de l’homme. J’ai été invité à faire ce discours, et si l’on inaugure une conférence sur la communication, il faut parler des droits à communiquer. Si vous voulez avoir un impact, il ne faut pas montrer du doigt un seul pays, mais généraliser. En lançant l’idée, vous êtes inattaquable: les idées sont les armes les plus efficaces. Pour cette raison, je n’ai pas parlé spécifiquement de la Tunisie, mais des pays membres de l’ONU qui ne connaissent pas encore les droits de la libre _expression. Cela n’a rien d’extraordinaire. Je ne pouvais accepter cette invitation sans m’exprimer sur cette situation. Le même sentiment m’a animé au Grütli, le 1er août: ces types (ndlr: jeunes extrémistes de droite) ont essayé de me provoquer, de me faire biffer une partie de mon discours. Mais on ne fait pas ça à Schmid! J’ai dit, très exactement, tout ce que j’avais l’intention d’exprimer.
(Source : « Le Temps » (Suisse) du 2 décembre 2005)
Analyse
Tunisie : la victoire de Ben Ali
par Florence Beaugé
Baisser de rideau sur la Tunisie. L’éclairage projeté sur le pays du jasmin, à l’occasion du Sommet mondial sur la société de l’information (SMSI) du 16 au 18 novembre, s’est éteint. La vie a repris « comme avant » dans ce pays de 10 millions d’habitants. L’opposition tunisienne et les mouvements de défense des libertés ont beau parler de « victoire », ils n’ont guère de raisons de se réjouir. Le président Ben Ali est sorti renforcé de ce sommet. La communauté internationale, elle, n’en est pas sortie grandie.
A l’exception de Samuel Schmid, président de la Confédération helvétique, aucun dirigeant n’a rappelé à l’ordre le président tunisien. Aucune délégation n’a claqué la porte pendant les trois jours de travaux. Aucune des ONG présentes non plus. Jamais les libertés n’ont pourtant été autant confisquées qu’avant, pendant, et depuis ce sommet.
TOTALE IMPUNITÉ
Fort du soutien des capitales européennes, qui imaginent voir en lui un rempart contre l’islamisme, le président Ben Ali bénéficie d’une totale impunité. Pourtant, les brimades de la vie quotidienne ne cessent de se multiplier. La Ligue tunisienne de défense des droits de l’homme (LTDH) est particulièrement visée. Tous les défenseurs des libertés ont leurs lignes téléphoniques coupées avec l’étranger, de même que leurs liaisons Internet. Certains sont même assiégés à leur domicile. Ali Ben Salem (75 ans), responsable de la LTDH à Bizerte, vit reclus dans son appartement, interdit de visite de ses compatriotes, y compris de ses enfants. Le 25 novembre, il a échappé à un curieux accident : un automobiliste a tenté de l’écraser alors qu’il marchait sur un trottoir.
A quoi bon signaler tous ces « incidents » ? Qui s’en indigne ? Aucune des chancelleries à Tunis n’ignore ces faits. Le « système Ben Ali » est parfaitement connu de tous, et de longue date. Il a fallu qu’un journaliste français, Christophe Boltanski, soit agressé à Tunis, le 11 novembre, pour qu’enfin Paris sorte de son indifférence. A en croire l’ambassade de France, on peut compter sur « les résultats de l’enquête en cours, diligentée par les Tunisiens ». Imagine-t-on sérieusement le régime de M. Ben Ali reconnaître un jour sa responsabilité dans cette affaire ? Christophe Boltanski, rédacteur à Libération, était filé par des agents en civil au moment de son agression, comme le sont tous les journalistes français en reportage en Tunisie. Pourquoi, dans ce cas, ses « anges gardiens » ne se sont-ils pas portés à son secours ? Pourquoi les agresseurs — s’ils étaient des voleurs comme l’affirment les responsables tunisiens —, ne se sont-ils pas enfuis, juste après s’être emparés de sa sacoche ? Pourquoi ont-ils attendu, pour mettre fin à leur raclée, que l’un d’eux crie à ses trois acolytes « ça suffit! » ?
Selon toute vraisemblance, l’agression dont a été victime M. Boltanski est une bavure. Des agents zélés ont cru bon de « faire plaisir au patron », en donnant une correction à un journaliste qui se permettait d’écrire des articles trop critiques. Cet incident rappelle étrangement celui dont a été victime, le 23 mai 2000, dans la banlieue de Tunis, Riad Ben Fadhel. Trois jours après avoir signé dans les colonnes du Monde un point de vue nuancé, mais peu amène pour M. Ben Ali, ce journaliste reconverti dans la communication recevait deux balles, et échappait à la mort de justesse.
Si le palais de Carthage n’a sans doute pas commandité ces deux « punitions », il a bel et bien enfanté ce système. Ceux qui créent l’insécurité sont ceux qui sont censés assurer la sécurité. Les agents de la police politique — toujours en civil, ne déclinant jamais leur identité, circulant parfois à bord de véhicules banalisés sans plaque d’immatriculation — ont tous les pouvoirs. Leur mission : assurer la pérennité du parti-Etat, le Rassemblement constitutionnel et démocratique (RCD), qui contrôle et asservit la société par le biais du clientélisme.
Les Tunisiens qui refusent de se laisser acheter, et, de renoncer à leur citoyenneté, s’exposent à des représailles : coupure du téléphone, suppression de la bourse d’études pour les enfants ou du carnet de santé, mutation à l’autre bout du pays, procès monté de toutes pièces, etc. Tous ne sont pas exposés de la même façon au régime. Certains s’en sortent bien. Ce n’est pas un hasard si la grève de la faim que huit intellectuels viennent d’observer pendant un mois à Tunis rassemblait des avocats, des magistrats et un journaliste. Ceux-là ne peuvent pas exercer leur profession sans se frotter au pouvoir.
SMIC DÉMOCRATIQUE
Qu’ont obtenu ces grévistes, au terme de leurs 32 jours de jeûne ? Le « smic démocratique » qu’ils réclamaient — liberté d’association, liberté de la presse et des sites Internet, élargissement des prisonniers politiques — leur a été refusé. Bien sûr, ils peuvent se targuer d’avoir attiré l’attention de la communauté internationale sur le pouvoir tunisien. Mais celle-ci avait-elle réellement besoin qu’on lui ouvre les yeux ? Ne vient-elle pas de démontrer qu’elle était, en réalité, complice de ce pouvoir qui les opprime ?
Le régime de M. Ben Ali a les mains libres. Tôt ou tard, le président de la LTDH, l’avocat Mokhtar Trifi, sera, une fois encore, roué de coups en plein Tunis. Sa vice-présidente, la journaliste Souhayr Belhassen, également. Il n’y aura personne pour évoquer le pillage du pays par le clan au pouvoir ; personne pour parler des grèves de la faim à répétition des détenus islamistes ou des internautes de Zarzis (sud de la Tunisie), ces jeunes condamnés pour utilisation d’Internet ; personne pour attirer l’attention sur le fait que la population tunisienne se tourne de plus en plus vers la religion, comme un refuge.
Robert Meynard, le secrétaire général de Reporters sans frontières, n’avait pas tort de qualifier la France et les Nations unies de « faux-culs », après avoir été refoulé de Tunisie, le 17 novembre. « La France tient un double langage. Elle fait de grandes déclarations à Paris, mais elle veille à ne jamais se fâcher avec le président Ben Ali », soulignait-il, amer. En barrant toute sa « une » du titre « Magnifique couronnement », au lendemain du SMSI, le très officiel journal tunisien La Presse disait, pour une fois, l’exacte vérité.
Les Tunisiens ne sont pas dupes. Leur frustration grandit jusque dans les coins les plus reculés. Il se trouve toujours quelqu’un — un instituteur par exemple — pour s’étonner du soutien apporté par Jacques Chirac à M. Ben Ali. Sourde, aveugle et cynique, la France poursuit sa politique du court terme, et contribue à ce qu’elle croit combattre : la montée de l’islamisme.
(Source : Article paru dans l’édition du journal « Le Monde » datée le 03.12.05)
Par Renaud Cornand, Vincent Geisser
Hamza Mahroug (23 ans), Abdelghaffar Guiza (23 ans), Omar Rached (23 ans), Aymen Mcharek (23 ans), Omar Chlendi (23 ans) et Ridha Bel Hajj Ibrahim (39 ans, leur professeur), sont six citoyens tunisiens qui, il y a encore peu de temps, étaient sans histoire particulière, des « citoyens ordinaires » en quelque sorte, tous originaires de la ville de Zarzis, bourgade du Sud tunisien en face du paradis touristique de l’île de Djerba. Pourtant entre janvier et mars 2003, ils ont été arrêtés par la police du général Ben Ali, puis détenus arbitrairement et torturés pendant leurs interrogatoires. C’est donc à la fleur de l’âge (ils sortent à peine de l’adolescence) que le régime policier les a fauchés, puisque cinq d’entre eux avaient à peine plus de 20 ans lors de leur arrestation.
Leur « crime » ? Avoir « osé » utiliser les services d’un « Publinet » (cybercafé tunisien) et participé à des manifestations lycéennes, à l’instar de milliers de jeunes tunisiens qui défient pacifiquement le régime autoritaire. Privés de procès équitable, ils ont été inculpés pour « utilisation d’Internet à des fins d’activités terroristes » (chef d’inculpation « à la mode » ces temps-ci) et condamnés, sans preuve, le 6 juillet 2004, à 13 ans de prison, soit des peines égales à la moitié de leur existence. Ces peines ont été confirmées par la Cour de cassation le 8 décembre de la même année. Aujourd’hui, ils sont toujours incarcérés dans des conditions inhumaines (cellules collectives dans lesquelles règnent violence et promiscuité) et leur état de santé physique et psychologique ne cesse de se dégrader de jour en jour.
Il serait bien sûr hasardeux de prétendre déterminer l’ensemble des motivations qui ont conduit le régime policier à user d’une telle répression face à de jeunes citoyens innocents, tant les mécanismes de fonctionnement d’une telle dictature échappe souvent à toute logique, si ce n’est la préservation de l’autoritarisme et des privilèges des caciques du pouvoir. Les récentes agressions de journalistes étrangers en plein Sommet de l’information (SMSI), alors que toutes les caméras du monde été braquées sur la Tunisie, fournit une parfaite illustration de cette dérive aux allures de fin de règne. Il paraît toutefois évident que l’accès d’un nombre de plus en plus important de Tunisiens à la consultation de sites Internet n’est pas fait pour plaire au régime autoritaire qui a tout cherché à contrôler l’accès et la diffusion de l’information, y compris la plus anodine (même la presse féminine internationale est censurée lorsqu’elle parle de la Tunisie !).
Partis d’opposition indépendants et les associations de défense des droits de l’homme et des libertés démocratiques étant quotidiennement réprimés et harcelés par la police politique, ceux-ci se heurtent aux plus grandes difficultés lorsqu’ils tentent de se réunir : surveillance policière étroite, violence de la part des nervis du régime, interdiction pure et simple d’accès à la salle où la rencontre est prévue… les moyens de communication des « combattants de la liberté » sont systématiquement épiés, les lignes de téléphone régulièrement coupées… La liste des atteintes aux droits démocratiques auxquelles s’adonnent les services sécuritaires tunisiens serait bien trop longue pour être énumérée ici. Face à ce verrouillage en règle de l’espace public (et aussi des espaces privés), Internet est apparu comme l’un des derniers « lieux » où l’__expression est possible dans les limites bien sûr de la censure active du régime. De nombreux sites et forums se sont ainsi développés, animés notamment par des exilés et, « sur place », par des jeunes tunisiens audacieux et astucieux, dont certains revendiquent ouvertement une opposition à la dictature tunisienne (Yazzi !, El Karama, Tunezine, Tunisie Réveille Toi !, Tunisnews, L’Autre Tunisie…). Ces rares espaces de liberté permettent aux « citoyens libres » de ne plus subir la vulgate populiste d’une presse entièrement « aux ordres du Président », rarement encline à une critique même modérée du régime et n’ouvrant jamais ses colonnes à la moindre voix discordante. Parce que toute initiative indépendante est considérée comme une menace directe ou indirecte pour le régime policier du général Ben Ali, Internet est devenu la cible « N° 1 » des services de renseignement et ses utilisateurs des victimes potentielles de l’arbitraire. Les autorités tunisiennes ont d’ailleurs mis en place une « cellule spéciale » à Bizerte (pointe de l’Afrique) pour filtrer les messages emails et réprimer cybernétiquement tous les sites indépendants. Les « internautes de Zarzis » ne sont pas les premières victimes de la « cyber-répression » : le 4 juin 2002, Zouhair Yahyaoui, plus connu sous le pseudonyme de Ettounsi (Le Tunisien), Webmaster du site tunezine.com, a été arrêté sur son lieu de travail, un cybercafé situé dans les environs de Tunis. Il sera libéré après plusieurs mois de détention et de tortures, grâce à une campagne internationale de soutien. Il est aujourd’hui décédé, premier « martyr de la cyber-dissidence », épuisé par de longs mois de répression et de harcèlement policier.
L’agression de l’envoyé spécial du journal Libération, Christophe Boltanski, rappelle avec force le danger que la libre circulation de l’information fait courir à la dictature de Ben Ali. Elle révèle aussi à quel point la liberté de la presse reste un idéal bien éloigné des conditions permises par les pratiques répressives quotidiennes de ce régime.
Du 16 au 18 novembre s’est tenu dans la ville de Tunis la deuxième phase du Sommet mondial de la société de l’information (SMSI) sous l’égide de l’Organisation des Nations Unies (ONU), dont la première rencontre s’était déroulée à Genève. Un plan d’action avait été élaboré dans la capitale suisse et les débats de Tunis devaient permettre de proposer des mesures concrètes pour le mettre en œuvre. La Déclaration de principe de la première phase du sommet réunie à Genève en décembre 2003 affirmait que « comme l’énonce l’article 19 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme […] toute personne, où que ce soit dans le monde, devrait avoir la possibilité de participer à la société de l’information et nul ne devrait être privé de l’avantage qu’elle offre ». Le président général Ben Ali pouvait-il donc continuer à se réfugier dans son autisme sécuritaire et légendaire (pas une seule conférence de presse publique en 18 ans de règne !), alors que le sommet se déroulait au cœur de « son » pays ? Certains espéraient un geste… il n’en a rien été. Le monde vient de célébrer à Tunis la société mondiale de l’information !!! Aujourd’hui, les décors de la grande messe internationale de la communication sont pliés. Les projecteurs high-tech des équipes dépêchées par les grandes chaînes de télévision se sont éteints. Les apôtres de la liberté de l’information sont repartis par jets privés. Et les internautes de Zarzis continuent à croupir dans l’ombre des prisons-mouroirs du Général Ben Ali….
Consultez le site pour la libération des Internautes de Zarzis et signez la pétition : http://www.zarzis.org
Renaud Cornand
Comité pour la libération des Internautes de Zarzis
Vincent Geisser
Politologue, chercheur à l’Institut de recherches et d’études sur le monde arabe et musulman (CNRS), enseigne à l’Institut d’études politiques d’Aix-en-Provence.
Dernier ouvrage paru : Habib Bourguiba, la trace et l’héritage, éditions Karthala, mai 2004
)Source : le site oumma.com, le vendredi 2 décembre 2005)
Le verrou Tunisien
Clément Prunières
Autopsie d’un régime autoritaire, au lendemain d’un sommet sur l’information qui aura rappelé au monde les dérives répressives de la Tunisie.
Ils ont tenu 32 jours. 32 jours à souffrir ensemble de la faim dans l’espoir que le monde entende enfin leurs revendications. Pour la première fois, huit opposants politiques et associatifs de tous bords, s’étaient ainsi unis pour réclamer le respect des libertés individuelles et la libération des prisonniers d’opinion.
Si l’un d’eux a dû renoncer en chemin, ses compagnons ont tenu coûte que coûte jusqu’à ce que le prix Nobel de la paix 2003, Shirin Ebadi, parvienne à les convaincre d’arrêter leur grève afin de préserver leur santé pour pouvoir ensuite poursuivre leur combat par d’autres moyens.
C’était vendredi 18 novembre, le jour même de la clôture du Sommet mondial pour une société de l’information (SMSI) qui se tenait à Tunis sous l’égide de l’ONU.
Un sommet qui aura au moins eu le mérite d’attirer pour quelques jours l’attention de la communauté internationale sur les dérives du régime tunisien. L’agression spectaculaire dont aura été victime, quelques jours avant le début du SMSI, l’envoyé spécial du quotidien français « Libération », Christophe Boltanski, a sans aucun doute agi comme détonateur, provoquant un torrent de critiques et d’indignations face à l’impunité dans laquelle le président Ben Ali réprime la liberté d’_expression.
Une répression quotidienne Mais s’il s’agissait de la première agression caractérisée d’un journaliste étranger, les militants des droits de l’Homme tunisiens connaissent, eux, trop bien les méthodes répressives utilisées quotidiennement par le régime. Et la liste est longue : passage à tabac en marge des manifestations, censure des sites Internet, verrouillage des boîtes e-mail, emprisonnement de jeunes cyber-dissidents,…Tout y passe. La Tunisie compte ainsi près de 500 prisonniers politiques et, contrairement aux autres pays du Maghreb comme le Maroc ou l’Algérie, il n’existe absolument aucune liberté pour la presse.
Pour le secrétaire général de Reporters sans frontières, Robert Ménard, « la Tunisie, c’est Ceaucescu au bord de la Méditerranée ». Les plus grandes ONG comme Amnesty International ou Human Rights Watch dénoncent également depuis longtemps la gravité de ces atteintes récurrentes aux libertés et aux droits de l’Homme. Car c’est un fait, le régime tunisien fait partie des systèmes coercitifs les plus développés au monde. Depuis son arrivée au pouvoir en 1987 à la suite d’un coup d’Etat communément qualifié de « médical », Ben Ali a progressivement mis en place un Etat verrouillé, ne laissant aucune marge de manœuvre à d’éventuels opposants.
Pour Vincent Geisser, politologue et auteur en 2003, avec Michel Camau, d’un ouvrage intitulé « Le syndrome autoritaire. Politique en Tunisie de Bourguiba à Ben Ali », « le » Ben Alisme actuel, dans son orientation sécuritaire, est le produit de la fin du « Bourguibisme ». Malgré tout, Ben Ali a, selon lui, fortement accentué cette dynamique. Sous la présidence de Bourguiba, le chef de l’Etat était bien évidemment la figure principale du régime, mais il existait autour de lui un ensemble de personnalités visibles.
Aujourd’hui, Ben Ali est omniprésent, il est l’unique incarnation du régime. Avec la modification constitutionnelle de 2002 l’autorisant à se représenter indéfiniment à l’élection présidentielle, il réussit à rétablir, du moins en pratique, la présidence à vie. Pour renforcer sa mainmise sur le pays, il a fortement développé les prérogatives de son ministère de l’Intérieur qui est devenu, au fil du temps, l’institution-clé du régime.
Ainsi, comme l’explique ce chercheur au CNRS, « dès les années 80, on a assisté a un renforcement des sommes allouées aux services de sécurité qui se sont professionnalisés et sont devenus ultra spécialisés tout en suivant un mouvement d’autonomisation ». Une « police politique » a donc émergé, surveillant sans relâche toute forme d’opposition et empêchant ouvertement tout espace de liberté susceptible de remettre en cause le régime. Le monde universitaire, la presse, les associations, aucun secteur n’échappe désormais à ce contrôle permanent. Le régime utilise même des groupes de jeunes issus de quartiers populaires, au look de voyous, pour faire pression ou réprimer les personnes considérées comme gênantes par le pouvoir. Cette quasi « milice » va ainsi rouer de coups un opposant lors d’une manifestation ou encore voler le matériel d’un journaliste indésirable.
Un « Etat caméléon » Autre aspect important du « Ben Alisme » selon Vincent Geisser, « la dimension familiale du pouvoir qui est composé de clans presque liés par le sang. Ainsi, dès qu’une entreprise est privatisée dans le pays, la famille se partage le gâteau ». Une situation qui explique d’ailleurs l’exil de nombreux entrepreneurs désireux de fuir cet Etat clanique.
Des clans qui, par la surenchère qu’ils se livrent constamment, participent à renforcer l’incohérence des actions entreprises par le régime. Ce qui amène logiquement Vincent Geisser et Chokri Hamrouni (responsable tunisien de la coordination du Congrès pour la République) à qualifier la Tunisie de véritable « Etat caméléon » au discours changeant sans cesse au gré des circonstances et des enjeux.
Prônant un jour la nécessité d’une ouverture de la vie politique et du dialogue avec la société civile, il n’hésite pas le lendemain à torturer des activistes défenseurs des droits de l’Homme. Malgré ce constat accablant d’un régime de plus en plus répressif et corrompu, les partenaires de la Tunisie, au premier rang desquels la France, ne semblent pas vraiment pressés d’exiger de Ben Ali qu’il s’engage sur la voie d’un réformisme démocratique concret.
(Source : « Le journal Hebdo » (Maroc), le jeudi 1er décembre 2005)
Voir aussi l’image sur le lien suivant :
http://www.lejournal-hebdo.com/article.php3 ?id_article=6085
« Peut-on faire confiance à l’opposition ? »
« Peut-on faire confiance à l’opposition ? » est une question clé posée par Khaled Traouli qu’il est impératif de soulever sous ses différents angles. En effet, en politique la confiance reste un élément primordial pour la réussite de tout progrès « durable ». Néanmoins cela suppose d’abord le respect des lois et l’indépendance de la justice.
Si un certain progrès peut aussi être obtenu à travers une manipulation déloyale ou l’emploi illégal de la force, il prend le risque certain de ne point être « durable » car la vérité et la justice finissent tôt ou tard par rattraper les fraudeurs.
Par conséquent soulever le problème de la confiance ne relève nullement de l’esprit de diviser ou d’accuser mais relève plutôt du devoir d’informer et d’éclairer afin d’établir des débats transparents qui peuvent mener vers une concorde civile qui reste le but ultime de toute démocratie qui se veut saine et durable.
En effet la démocratie suppose la liberté d’_expression et d’association et la garantie du respect des libertés individuelles et collectives à travers une justice indépendante et une constitution qui n’exclu aucun citoyen sous aucun prétexte franc ou détourné.
Si l’un des principes fondamentaux de la démocratie vient à manquer, ceux qui la prônent perdront leur crédibilité, et leur prétendue démocratie s’effondrera aussi précipitamment qu’elle aura été construite. C’est précisément ce qui est entrain d’arriver en Tunisie.
En revanche il est dangereux de chercher à « précipiter » des changements quelconques. Chaque changement réussi ne peut être que le fruit d’une maturation politique accomplie de la base jusqu’au sommet du pouvoir. Toute précipitation n’est en réalité que la preuve d’un manque de stratégie et de structuration lorsque ce n’est pas un manque grave de légitimité. Toute précipitation relève bien plus de l’opportunisme politique que de la vision politique mure, clairement exprimée et acceptée par au moins une tranche conséquente et consistante de la population qui serait prête à assumer son rôle à tout moment lorsque le besoin s’en fait ressentir, en dehors de toute précipitation sauf obligation de circonstances.
C’est uniquement de cette manière que l’on a pu voir des masses populaires se mobiliser dans différentes dictatures et venir à bout d’un système devenu intolérable pour une grande majorité qui l’exprime en toute transparence.
Ceci s’obtient en effet grâce à la confiance qui s’acquiert à travers une vision claire et un discours unificateur qui rend justice et reconnaissance à tout un chacun qui a participé au progrès du pays sans chercher à s’approprier ses réussites ou à se déresponsabiliser de ses échecs.
Ceci s’obtient aussi par l’application dudit discours et non pas par le simple fait de l’exprimer. En politique, l’intention seule ne peut en aucun cas valoir l’application concrète qui vient prouver cette intention et démontrer ses bienfaits.
Il se trouve que l’opposition tunisienne a toujours usé de son rôle à contre sens car elle s’est toujours comportée comme si elle évoluait en démocratie acquise. Chaque mouvement a milité, avec une certaine transparence ou carrément dans l’opacité, pour sa propre idéologie. Tantôt s’alliant entre eux tantôt se dénigrant, mais toujours en feignant de ne pas voir que tous sont d’abord et avant tout confrontés au même phénomène du cloisonnement politique dictatorial.
Ainsi le discours de l’alternance à toujours prévalu sur le discours démocratique en cherchant à faire croire que le silence des Tunisiens appartient bel et bien à l’opposition. Ceci a systématiquement érodé la crédibilité de l’opposition toutes idéologies confondues car ce silence est bien volontaire et il est loin d’être naïf.
En inversant les priorités, à savoir se battre chacun pour son idéologie plutôt que de se battre tous ensemble pour instaurer la démocratie d’abord, l’opposition tunisienne s’est tout simplement coupée de la réalité du monde, de la réalité quotidienne du peuple et des attentes de sa jeunesse. Elle s’est concentrée exclusivement sur des problèmes d’alternance bien en dehors de sa portée, face à un RCD tout puissant qui accumule pour son seul compte tous les outils du pouvoir.
Sans crédibilité pour les uns et sans légalité pour les autres, tout en évoluant en dictature, l’opposition n’a pu finalement que jouer le rôle de l’éternelle victime. De ce fait, c’est carrément sa légitimité qui est remise en cause dans l’esprit du simple citoyen qui demeure un spectateur silencieux ou carrément indifférent puisque nul n’a encore pu lui apporter plus ou mieux que le pouvoir en place.
Plus grave encore restent toutes les tentatives d’exclusion des Islamistes autant de la part du pouvoir pour diviser que de la part de l’opposition pour se protéger.
Le simple Tunisien n’ayant été à aucun moment inclus dans le discours ou le débat politique, il a tout juste intégré le sens de la république, de la constitution et de la loi sans jamais atteindre une maturité politique qui lui aurai permis de différencier entre la politique et la démagogie, l’évolution et la régression.
Comme le dit si bien Khaled Traouli : « La démocratie apparaît déjà sélective et réductrice, comment peut-on alors manifester son désaccord vis à vis d’un régime autoritaire alors que notre discours contient déjà les prémisses de l’exclusion ? La crédibilité de tout un projet de changement est touchée, la confiance est malmenée, l’espoir est blessé, et l’œil du peuple veille… »
Seulement un nouveau phénomène est venu bouleverser l’ordre ainsi établi par les différents manipulateurs : l’avènement de l’Internet. En effet l’Internet qui est un outil de communication très puissant a permis à beaucoup d’observateurs de quitter leur silence habituel quitte à s’exprimer sous couvert d’anonymat. Si cet anonymat reste en soi un handicap, il a néanmoins ouvert une nouvelle brèche dans la communication et le dialogue politique qui étaient totalement inaccessibles au public non averti.
Une profusion d’idées éparses souvent illisibles ou carrément antidémocratiques s’est étalée sur la toile démontrant clairement l’immense besoin d’_expression et de participation au débat politique.
Tunisnews a joué dans ce contexte un rôle primordial puisqu’il est devenu l’incontournable journal en ligne sur lequel on peut lire tout ce qui n’a aucune chance d’être publié ailleurs. Les forums de discussion Tunezine et Nawaat ont fait le reste en passant aux cribles tout communiqué et tout article, sans aucune indulgence vis-à-vis de quiconque. Tout cela a crée une nouvelle dynamique politique qui en est à ses premiers balbutiements. Néanmoins, elle a obligé l’opposition à reprendre le cap démocratique.
Le pouvoir, n’a pas tardé à réagir en censurant à tout va. Par contre, l’opposition s’est retrouvée face à ce nouveau phénomène d’être à son tour critiquée ouvertement et questionnée sur ses agissements et ses résultats avec obligation de réponse si elle veut renforcer une crédibilité qui bat déjà de l’aile.
La communication, lorsqu’elle a pu avoir lieu entre l’opposition et les internautes, fut si décevante que les internautes ont commencé à compter bien plus sur eux-mêmes que sur une opposition divisée et hautaine vis-à-vis de leur anonymat qu’elle n’a pas su décoder. C’est de cette manière, après près de quatre ans de cyber-dissidence et à l’approche du SMSI, que la manifestation virtuelle Yezzi a vu le jour.
Elle a été marquée par la spontanéité et la confiance envers les initiateurs et ce malgré l’anonymat de la plupart d’entre eux. Le tout s’est passé au cœur même d’une base citoyenne forte de son désir d’évolution, de sa créativité et de son ouverture aux autres, en dehors de tout leadership politique archaïque qui n’a jamais été en mesure de faire ses preuves dans le contexte dictatorial.
Le message le plus fort de cette manifestation a précisément été l’union de toutes catégories d’âges, de rangs sociaux et d’idéologies politiques, pour simplement dire ensemble « Ca suffit! ». Ca suffit la dictature! Ca suffit la manipulation! Ca suffit les échecs à répétition! Ca suffit l’interminable attente! Ca suffit la confiscation de nos droits que nul n’a su nous garantir.
L’anonymat de la plus grande partie des manifestants est venu démasquer au grand jour non seulement la brutalité du régime qui a poussé les manifestants à se protéger, mais il a surtout démasqué l’incapacité de l’opposition à pouvoir les protéger en se montrant apte à imposer à l’Etat le respect des lois et de la constitution, sans même en arriver aux réformes.
Encore une fois le SMSI aidant, l’opposition s’est finalement mobilisée à son tour dans un sursaut de prise de conscience. Une grève de la faim a été entamée par huit personnalités politiques et associatives de différents bords politiques. Défiant le régime par le pacifisme de leur action, leur union et les multitudes de soutiens venant de toute part, ils ont néanmoins réclamé des revendications qui restent malheureusement encore en dehors de leur portée.
Pourquoi ?
· D’abord parce ce n’est pas l’opposition qui est à l’origine du SMSI. C’est le régime qui en est l’organisateur. Autrement dit, nul ne peut vraiment affirmer s’il y aurait eu toute la mobilisation médiatique à laquelle ils ont eu droit s’il n’y avait pas précisément la tenue du SMSI en Tunisie. Mais cela relève quand même d’une bonne stratégie de la part de l’opposition que d’avoir contrecarré le régime sur son propre terrain dans le cadre de ses propres évènements.
· La large mobilisation qui s’est faite de la part de la société civile avertie autour des grévistes n’aurait jamais pu se réaliser sans les soutiens britanniques et américains qui ont imposé et permis les visites et les conférences de presses. En effet, ce ne sont pas des masses populaires solidaires qui ont imposé par leur nombre la levée du siège policier. Le peuple, et malgré les conférences de presse, était le plus souvent ignorant du déroulement même de cette grève. Seuls quelques dizaines d’étudiants ont tenté de manifester sans impact considérable. Quant aux multiples grèves de la faim de solidarité qui ont eu lieu dans plusieurs gouvernorats, celles-ci non plus, n’ont pas crée d’impact notable puisque quasiment aucun média n’en a parlé.
· Enfin, ce qui a permis la plus grande mobilisation médiatique autour du coté sombre du SMSI, ce n’était pas tant les grévistes et leurs revendications mais c’était plutôt l’agression et l’intimidation de plusieurs journalistes étrangers ainsi que la censure du Président Suisse et de plusieurs autres participants au Sommet. Autrement dit, ce sont les dérapages du régime lui-même, qui sont venus confirmer les plaintes de l’opposition et démasquer la vraie nature d’un régime passé expert dans l’art du mensonge et du maquillage.
Ceci en soi est un exploit non pas au crédit de l’opposition mais au débit de la dictature. Quant aux revendications propres aux grévistes, elles sont restées lettre morte précisément parce qu’elles ont encore une fois échoué à mobiliser un mouvement populaire de masse. La masse est bien plus mécontente de la réduction de son pouvoir d’achat que de la confiscation de ses droits et de ses libertés dont elle n’est même pas encore consciente des bienfaits et de la nécessité sur le très court terme.
Or pour pouvoir mobiliser des masses, il faut en effet participer activement à leur maturité politique et construire en toute transparence une confiance qui ne se base pas seulement sur la crédibilité des médias étrangers souvent inaccessibles ou sur les dérapages du régime maquillés à force de propagande, mais qui se base aussi et surtout sur la relation et l’apport direct au citoyen.
Les Islamistes ont su d’une certaine manière le faire, en contournant la censure et les restrictions légales de rassemblement, à travers les mosquées. Seulement les mosquées ne sont pas et ne doivent en aucun cas être autre chose qu’un lieu de culte. Par ailleurs, comme la loi ne peut être contournée impunément en dictature, le régime a sévi et des milliers d’Islamistes se sont retrouvés emprisonnés alors que leur Leader a fuit après avoir échoué à bien évaluer ses vraies capacités et les limites de son pouvoir.
Aujourd’hui, c’est carrément le régime qui a envahit les mosquées et au lieu d’y glorifier Ghanouchi on y glorifie Ben Ali. Il ne reste plus à celui-ci que de proclamer à son tour une République Islamique.
Celle de Ghanouchi aurai été basée sur une chariâa rétrograde et archaïque, alors que celle de Ben Ali se base sur une constitution qui ne cesse de régresser selon les besoins exclusifs de son émir mais certainement pas selon les standards modernes d’évolution démocratiques.
Si Ben Ali apparaît de plus en plus comme un Islamiste modéré, loin d’être un vrai réformateur, il demeure tout aussi fermé à toute liberté politique que n’importe quel Islamiste radical. De part le monde Musulman, le droit de punir en toute impunité, soit au nom d’Allah soit au nom des lois faites sur mesure, est resté l’arme magique d’une fausse stabilité. L’Islam n’est plus seulement le refuge des peuples opprimés, il est carrément devenu le refuge des dictatures elles-mêmes. Ceci est autrement plus grave pour la stabilité même du monde qui n’arrive plus à diagnostiquer clairement la vraie origine du mal.
Lorsque les erreurs d’évaluations politiques des uns sont payées par les autres, il est clair que la confiance se rompt. Toute construction démocratique devient et restera fragile surtout si elle tente d’exclure quiconque en essayant de se frayer un chemin toute seule dans un environnement aussi hostile. Plus grave encore, cette rupture de confiance a bloqué les investissements qui se font de plus en plus rares et aggrave une situation économique fragilisée par tout un contexte mondial.
En conclusion et pour répondre à la question de Khaled Traouli « Peut-on faire confiance à l’opposition ? » je répondrai : Lorsque pouvoir et opposition jouent le pourrissement aux dépends du peuple, NON, nous ne pouvons pas faire confiance à l’opposition actuelle pour être une alternative crédible ou légitime ni même pour être le moteur d’un quelconque changement dans l’immédiat. En l’absence d’un contrepoids de taille apte à favoriser une alternance démocratique, nous sommes encore une fois condamnés à subir le RCD et ses magouilles.
Que nous l’admettions ou pas, seules les puissances occidentales sont en mesure de « précipiter » l’instauration d’un contexte favorable à une vraie évolution démocratique qui n’aboutirai pas cette fois-ci à un médiocre décor de façade dont nul n’est encore dupe.
Par contre j’estime que nous pouvons faire confiance à la créativité et à la liberté d’_expression naissante de la cyber-dissidence, qu’il faut à tout prix protéger, pour obliger régime et opposition à évoluer sans dépendre des médias répondant aux ordres des uns ou des autres. Aujourd’hui, l’impact d’un bon clip vidéo diffusé à des milliers d’internautes et bien plus efficace et bien plus parlant que n’importe quelles manifestations de rues avec tous les risques de débordements qu’elles comportent.
Le chemin démocratique est encore long et semé de différentes et multiples embûches mais grâce à l’Internet et malgré la censure, tous les espoirs restent permis. La confiance ne s’offre pas, la confiance se mérite en fonction de résultats visibles et palpables par tous.
Neila Charchour Hachicha
Tunis le 2 Décembre 2005
Source : http://www.plmonline.info/id125.html
Propositions pour M. Zakaria Ben Mustapha
Par Zyed Krichen
Le Chef de l’Etat à confié à M. Zakaria Ben Mustapha, président du Comité supérieur des Droits de l’Homme et des libertés fondamentales, la mission d’établir des contacts avec les partis politiques et les différentes composantes de la société civile pour examiner leurs préoccupations et aspirations.
Les élites tunisiennes attendent beaucoup de cette mission.
La volonté du Chef de l’Etat de consolider les liens de confiance est à saluer. Nous, à Réalités, nous nous inscrivons totalement et pleinement dans cette démarche.
***
Un constat de départ : la Tunisie est un pays en transition démocratique. Toute transition s’opère dans un processus, et le processus n’est ni linéaire, ni un long fleuve tranquille.
La démocratie n’est pas, contrairement à ce que pensent certains de nos contemporains, le gouvernement naturel des hommes. Aucune nation n’y a accédé immédiatement comme par enchantement, car la démocratie ne se réduit pas à une technique de régulation des rapports de forces : les élections. Elle est d’abord révolution culturelle, modernisation sociale, autonomisation des différentes sphères du pouvoir et pacification politique.
Nul n’a prétendu que la Tunisie a accompli toutes ces étapes. Seulement, depuis quelques années, laudateurs zélés et pourfendeurs professionnels du régime tentent de nous présenter, et de présenter au monde, une image sans relief et sans aspérités. Une image en rupture totale avec la réalité quotidienne des Tunisiens.
Beaucoup de Tunisiens souhaitent que la dynamique créée par la mission de M. Zakaria Ben Mustapha nous sorte de ce face à face stérile et improductif. Les enjeux énormes de la transition démocratique ne peuvent être pris en charge par quelques dizaines d’individus, quelles que soient, par ailleurs, leurs véritables motivations et convictions.
Dire que dans un processus démocratique il y a parfois des déficits, voire des ratages, n’est pas un crime. Constater la léthargie intellectuelle et la pauvreté du débat public n’est pas une attitude négative, bien au contraire.
Nous sommes à un tournant important du processus démocratique en Tunisie. La vie médiatique, associative et politique, ne va pas au même rythme que la vie sociale et économique. Cela crée des frustrations et des crispations. Cela permet aussi, en s’adossant aux acquis accomplis dans ces domaines fondamentaux, de s’atteler à des réformes nouvelles et audacieuses.
Deux grands chantiers méritent, en urgence, de profondes réformes : l’information et l’organisation de la vie politique et associative.
La liberté d’association est garantie, en Tunisie, par la Constitution. Dans les faits, plusieurs associations et organisations politiques n’arrivent pas à accéder à ce droit.
Soyons clairs : il n’est pas question de reconnaître ou de légitimer l’extrémisme religieux. Mais tous les autres courants de pensées doivent pouvoir s’organiser et s’exprimer librement. Cela nécessite une réforme audacieuse et non des réformettes. Le Tunisien, quelle que soit son opinion, doit pouvoir s’exprimer dans son pays. La loi et la justice indépendante sont là pour veiller aux dérapages. Quant aux excès, et ils seront nombreux, ils font partie intégrante du lot de la vie démocratique d’un pays.
Par facilité —ou peut-être par conviction— certains partis politiques d’opposition ont cessé de l’être. Le débat politique s’est noyé dans un consensus mou. La Tunisie mérite plus et mieux. Elle a besoin d’une opposition solide et crédible qui soit apte à assumer l’alternance dans le respect de la Constitution. Le pluripartisme sans programme alternatif et sans ambition politique n’a pas de sens. Un parti politique est soit dans une coalition de gouvernement, soit dans l’opposition. Les positions intermédiaires nuisent au débat. Venir dans une émission de télévision pour dire, à peu près, la même chose que le dirigeant du parti au pouvoir est vide de toute signification.
Le déséquilibre patent de notre vie politique entre un parti hégémonique et des petits groupements —qu’on appelle abusivement partis— ne peut plus durer. Une grande modernisation de la vie politique passe nécessairement par un redimensionnement du RCD. La stabilité est plus que nécessaire pour assurer la transition démocratique, mais pas au point de tuer dans l’œuf l’équilibre des forces et à terme l’alternance naturelle en démocratie.
Le pluralisme politique, dans l’acceptation la plus large du terme, est intimement lié au pluralisme médiatique.
Les médias ne sont que le reflet d’une société. On ne peut pas exiger de la presse écrite, par exemple, d’encadrer le débat public, s’il n’y a pas de débat.
Le journaliste est un observateur et un témoin de la vie politique, non un acteur.
C’est devenu un euphémisme de dire qu’en Tunisie c’est dans le secteur de l’information que le bât blesse le plus. Des journaux télévisés en dehors du temps, et parfois de l’espace. La langue de bois est devenue, chez certains, une politique éditoriale.
Disons-le clairement, la Télévision tunisienne est arrivée à un tel stade d’uniformisme qu’elle nécessite à elle seule une révolution. La Télévision publique est au service du citoyen, pas du gouvernement. Ce sont les préoccupations de notre jeunesse, de nos salariés, de nos entrepreneurs, de nos chômeurs et de nos élites qui doivent lui dicter la hiérarchie de l’information et non les activités officielles et institutionnelles. Pour cela la volonté politique n’est pas suffisante. Il faudrait établir une autonomie totale et réelle de l’audiovisuel public. Toutes les sensibilités politiques et intellectuelles du pays y ont droit. Il n’est plus acceptable, au temps du numérique et de la parabole, de proposer à l’intelligence de nos concitoyens des ballets dansants les soirées d’élections et des débats/monologues à longueur d’année. Si seules les émissions de jeux, de variétés et de sport trouvent satisfaction chez les téléspectateurs, cela en dit long sur la réalité de la télévision publique tunisienne.
Le problème lancinant de l’information nécessite lui aussi une grande réforme qui s’attaque aux fondements.
La CRITIQUE doit être définitivement acceptée. Même quand elle est infondée, injustifiée, voire injuste. Car en ne voulant faire que de la critique fondée, justifiée et juste, on la tue tout simplement. L’atteinte à la vie privée est à bannir absolument. Il y a aussi les intérêts supérieurs du pays. Seulement ceux-ci doivent être établis pour toute la communauté nationale, dans un consensus respectueux des différences. La liberté de presse est parfois excessive et anarchique, mais sans elle point de démocratie. C’est à la loi et à la Justice de la réguler.
Disons-le clairement : les Tunisiens accordent peu de crédit à leurs médias. Toutes les études d’opinions le disent. Un signal fort au niveau des médias de masse redonnera très vite confiance aux élites et à l’opinion publique. Ce tournant que les Tunisiens attendent depuis quelques années permettra d’atteindre un palier supérieur dans la transition démocratique et ouvrira un nouveau champ de réformes.
Ajoutons aussi que la presse écrite a un rôle fondamental à jouer. Par presse écrite nous entendons essentiellement la presse privée et indépendante. La presse partisane a un rôle à jouer, mais vouloir lui faire assumer le rôle d’aiguillon serait une erreur fatale. Dans le monde entier, la presse partisane a vécu. Même le militant politique a besoin d’une information honnête, recoupée et objective. Cela, la presse partisane ne pourra jamais le faire. L’accès à l’édition de nouveaux journaux doit être libéralisé. Le retour à la philosophie du système déclaratif s’impose.
Empêcher la parution d’un nouveau journal au temps de l’Internet est tout simplement une aberration.
Cela ne signifie pas la gabegie. Un cahier de charges doit être établi pour les journaux existants et les nouveaux. Le reste sera régulé par le marché et la Justice.
La presse écrite est une richesse nationale. Elle doit être encouragée et soutenue autant que les secteurs vitaux de l’économie. Tout comme l’agriculture et la culture, un média n’est pas un produit économique comme les autres. Le soutien public doit être lui aussi objectif et respectueux de la pluralité politique et intellectuelle.
La Tunisie est l’un des rares pays arabes, sinon le seul, à réussir les réformes les plus difficiles. La modernité de notre société (l’émancipation des femmes, l’absence légale – et de plus en plus sociale- des discriminations sexistes, la généralisation et la modernité de l’enseignement, une politique sociale solidaire, la réussite de la lutte contre la pauvreté…) n’est plus à démontrer. La pertinence de nos choix économiques est unanimement reconnue. Dans ces conditions, la transition démocratique est aisée et difficile à la fois. Difficile car la crainte de voir ces acquis ébranlés par une vague démocratique trop forte est légitime. Mais ces mêmes acquis sociaux et économiques prendront encore plus d’ampleur et de consistance par la réussite de la transition démocratique.
Nous sommes tous appelés, gouvernants et société civile, à une véritable révolution culturelle : accepter l’autre et l’intégrer dans l’avenir politique de la nation, quels que soient, par ailleurs, les reproches qu’on peut lui faire.
Le Chef de l’Etat a choisi pour cette mission la personne idoine. M. Zakaria Ben Mustapha est connu pour son honnêteté intellectuelle et sa capacité d’écoute. Ces deux qualités ne seront pas de trop pour recueillir et synthétiser toutes les propositions des acteurs politiques et associatifs sans aucune exclusive.
Que mille propositions fleurissent les carnets de M. Zakaria Ben Mustapha. Les pouvoirs publics et le Chef de l’Etat en personne sont plus que jamais à l’écoute de leur société.
(Source : « Réalités » N°1040 du 1er décembre 2005)
50ème anniversaire du Congrès de Sfax du Néo-Destour :
La victoire de Bourguiba sur Ben Youssef
Ali Ben Samir
Il y a cinquante ans se tenait à Sfax le Congrès du Néo- Destour. Le cinquième de son histoire et le premier à ne pas se tenir dans la clandestinité depuis 1937.
Ce congrès, qui a duré du 15 au 19 novembre 1955, est, avec ceux de Ksar Helal (1934) et de Bizerte ( 1964), l’un des plus importants de l’histoire du parti destourien. C’est aussi le dernier congrès démocratique d’un parti qui, quelques mois plus tard, allait prendre le pouvoir et adopter, sous l’influence déterminante de Habib Bourguiba, favorisée par une culture de discipline et d’hégémonie qui prévalait déjà parmi un grand nombre de militants et de cadres, une forme d’organisation et une idéologie de parti unique.
L’importance historique du Congrès de Sfax est due à deux raisons essentielles. D’abord, la conjoncture particulière et qui s’avérera décisive pour l’évolution de la Tunisie. Le pays vivait, en effet, le début d’une véritable guerre civile en raison de l’opposition du Secrétaire général du Parti, Salah Ben Youssef, aux accords d’autonomie interne conclus par le gouvernement tunisien auquel participait le parti destourien. La deuxième raison est relative aux conséquences du Congrès de Sfax. A l’issue de longs débats qui furent, contrairement à ce que l’on peut penser, animés, le Néo- Destour approuva les accords d’autonomie interne et, du fait, Habib Bourguiba qui s’en était fait l’ardent défenseur, jouant ainsi toute sa carrière politique, se trouvait légitimé, plébiscité comme chef unique du Parti et, bientôt— conséquence logique— de l’Etat. Ce “ sacre ”, car c’en fut un, allait avoir des effets déterminants sur l’évolution du parti destourien et du système politique tunisien. Bourguiba, qui était convaincu que cette issue était la consécration de sa vie politique, utilisera cette légitimité pour asseoir son pouvoir et mener les réformes qu’il avait décidées. En raison de la conjoncture dans laquelle il s’est tenu, le Congrès de Sfax aurait pu être un congrès essentiellement porté sur le différend entre Bourguiba et Ben Youssef, laissant les autres questions— pourtant aussi importantes— à plus tard. En fait, le Congrès de Sfax fut un congrès fondateur. Les thèmes débattus, les motions votées, particulièrement à caractère économique et social, démontrent que le Néo- Destour était déterminé à prendre le pouvoir, à ne pas le partager et à fonder un nouvel ordre politique et aussi économique et social. Cette dimension que Bourguiba et ses partisans ont voulu donner aux travaux du Congrès devait également montrer qu’ils pensaient surtout à l’avenir et que pour eux le “ problème ” Ben Youssef était résolu et faisait partie du passé.
Pourquoi un congrès ?
La signature, après de longues et difficiles négociations, de l’accord sur l’autonomie interne entre la France et le gouvernement tunisien présidé par Tahar Ben Ammar, a été l’occasion pour le secrétaire général du Néo-Destour, Salah Ben Youssef, d’exprimer une appréciation différente de celle du président du Parti et de la plupart des membres du Bureau Politique. Pour lui, les accords constituent un “ pas en arrière ” et la lutte doit continuer contre le colonialisme français dans un cadre maghrébin après le début de la Révolution algérienne, le 1er novembre 1954, pour atteindre l’indépendance totale des trois pays du Maghreb arabe. Les signes d’une scission au sein du Parti étaient bien réels et nombreux étaient ceux, parmi les responsables et les militants, qui redoutaient les effets de cette lutte fratricide qui s’annonçait. Des tentatives de conciliation n’aboutirent pas aux résultats escomptés et c’est le 13 septembre 1955 que Salah Ben Youssef débarque à Tunis, après des années d’exil qui ont eu un effet significatif sur sa conception de la lutte pour l’indépendance. Il est accueilli par Habib Bourguiba et une grande foule de militants et de citoyens. Il convient de souligner à ce propos que des membres du Bureau Politique n’ont pas voulu que le Parti organise un accueil populaire à son secrétaire général et que c’est Bourguiba qui s’est opposé à eux. Le jour même, un grand meeting est organisé à Montfleury où réside Ben Youssef. Il est présidé par Bourguiba et Ben Youssef et les discours prononcés par les deux leaders ont fait naître un certain espoir de voir les deux hommes dépasser leurs divergences. Conciliant, Ben Youssef déclare : “ Je remercie particulièrement le Combattant Suprême. Je remercie d’une façon toute particulière notre vénéré Président, M. Habib Bourguiba, pour les fatigues qu’il a endurées aujourd’hui. Plus que personne, je connais son état de santé, comme je connais sa volonté de fer pour la satisfaction de laquelle il a mis à rude épreuve son corps si fragile. Cette volonté a souvent triomphé des circonstances difficiles et des épreuves. Je suis convaincu que, dans les circonstances présentes que l’on peut considérer comme les plus graves que nous ayons connues, la volonté de Habib Bourguiba triomphera et forcera la victoire. Comme vous le savez, le mérite d’avoir prêché la bonne parole et galvanisé les énergies dans certains milieux, puis dans les différentes couches de la population, revient à Habib Bourguiba.”.
Puis, en bon tacticien, Ben Youssef aborde avec beaucoup de finesse le problème du jour. Il déclare : “Il est de mon devoir de déclarer franchement à mes frères et au peuple tunisien tout entier que le Combattant Suprême est convaincu que les résultats obtenus grâce aux Conventions tuniso-françaises ne peuvent être considérés comme la consécration de la libération du pays et la fin du régime colonial. Je le sais parce que si nous sommes, le Combattant Suprême et moi, deux personnes, nous ne formons qu’une seule âme et un seul cœur. ”. Une manière de vouloir forcer la main à Bourguiba…Cependant, ce dernier, avec le sens politique qu’on lui connaît, ne laisse pas passer l’occasion sans clarifier les choses. Il déclare, en réponse au discours de Ben Youssef, dans le même meeting : “ Cependant, sur un point secondaire, M. Ben Youssef ne semble pas admettre une vérité dont vous avez pourtant constaté vous- mêmes l’existence : il estime que les accords conclus avec la France ne constituent pas une étape vers la solution finale. Or, ces Conventions marquent, en fait, un progrès décisif, puisqu’elles visent à dégager le pays de l’administration française directe et qu’en conséquence, elles ne pourront jamais et en aucun cas, entraver notre marche vers l’indépendance totale…J’espère que mon frère Ben Youssef sera bientôt converti, après avoir pris contact avec le pays, avec les frères combattants et les organisations nationales. Oui, je puis l’espérer, tant que son but demeure l’intérêt général ; tant qu’il reste guidé par le même souci d’objectivité et de désintére- sement ”.
Les maigres espoirs que certains voulaient entretenir semblaient s’évaporer. Les évènements allaient s’accélérer tant les divergences entre les deux leaders étaient profondes, et elles s’ajoutaient à une lutte, qui allait s’avérer sans merci, pour le leadership et le pouvoir. Quatre jours après le meeting de Montfleury, le 17 septembre 1955, un nouveau gouvernement est formé. Il est présidé par Tahar Ben Ammar et comprend plusieurs ministres destouriens, dont notamment Mongi Slim, Hédi Nouira, Sadok Mokaddem et Mohamed Masmoudi. La nomination du premier cité à la tête du ministère de l’Intérieur n’était pas de nature à rassurer Salah Ben Youssef.
Bourguiba et Ben Youssef, devaient, chacun de son côté, se préparer à la confrontation. Le vendredi 7 octobre, Salah Ben Youssef prononce un discours à la Mosquée de la Zitouna (le choix du lieu et du jour est symbolique et significatif ; d’ailleurs, Ben Youssef utilisera souvent ce créneau). Il s’y livre à un violent réquisitoire contre les accords d’autonomie interne qui ont “ légalisé ce que le colonialisme a usurpé depuis 1881 ” et “ permis d’asseoir le régime du protectorat sur des bases plus solides …Pis encore, par ces Conventions, la Tunisie est implicitement entrée dans l’Union Française ”. Le même jour, à Kalâa Seghira, Bourguiba prononce un discours dans lequel il s’attaque aux positions du secrétaire général du Parti. Le conflit est ouvert. Dans le discours de Kalâa Seghira, Bourguiba déclare que Ben Youssef “était fini et qu’il ne pouvait plus avoir de place au sein du Néo- Destour ”.
La confirmation de ce qu’a dit Bourguiba ne tarda pas. Le 8 octobre, le Bureau Politique prend la décision, “conformément à l’article 43 des statuts du Parti, de retirer à M. Salah Ben Youssef ses qualités de secrétaire général et de membre du Parti ”.
Ben Youssef ne reste pas les bras croisés. Il déclare qu’il se considère toujours comme le secrétaire général du Néo- Destour et qu’il entend poursuivre, en cette qualité, son action politique, qu’il estime la seule en accord avec les principes du Parti. Il y avait ainsi et, en fait, deux groupes qui se réclamaient tous les deux du même parti. La situation ne pouvait pas durer. Déjà, dans son communiqué annonçant l’exclusion de Salah Ben Youssef, le Bureau Politique avait fixé la date de la tenue du congrès statutaire et ordinaire au 15 novembre 1955, sans préciser le lieu où il se tiendrait. La décision de réunir le congrès était voulue par Bourguiba pour deux raisons évidentes. D’abord, la situation ne pouvait pas durer. Deux formations, aussi décidées l’une que l’autre, voulaient s’imposer en tant que dépositaire de la légitimité du Néo-Destour, et Bourguiba sentait que les idées de Ben Youssef gagnaient des adeptes parmi les militants et les cadres du Parti et qu’il ne pouvait pas, dans les conditions de confusion qui prévalaient alors, s’imposer au sein du Parti et dans le pays. Il devait gagner une nouvelle légitimité, et c’est là la deuxième raison de la décision de tenir le congrès, car seules des assises nationales pouvaient la lui donner.
Où tenir le congrès ?
La question se posait. Il n’était pas question de réunir le congrès à Tunis. Bourguiba savait que la Capitale était du côté de Ben Youssef. La Fédération du Néo-Destour, au sein de laquelle il disposait de solides alliances, lui était, dans sa majorité, acquise. Bourguiba connaissait trop bien son parti pour prendre un tel risque qui pourrait lui être fatal. Comme il en a déjà fait l’expérience, les congrès, s’ils ne sont pas tenus, peuvent basculer facilement. En fin de compte, c’est Sfax qui a été choisi grâce à l’intervention de Habib Achour qui était à l’époque secrétaire général de l’Union régionale du Travail de Sfax et très proche de Bourguiba. Il raconte dans son livre “Ma vie politique et syndicale” : « …au Parti, la lutte entre Ben Youssef et Bourguiba battait son plein. Ben Youssef a fait scission. Il a loué un autre local sur lequel il a placé une pancarte qui mentionnait “Secrétariat du Néo-Destour”. Il était très actif et la Fédération destourienne de Tunis est passée entièrement à lui avec toutes ses sections. Ben Youssef tenait meeting sur meeting à Tunis et c’étaient des réunions grandioses, alors que Bourguiba n’en faisait pas du tout. Cela m’a étonné et je me suis un jour rendu à Tunis pour lui parler de cette question. Je me suis rendu chez lui avec Kraiem, il s’est mis à m’expliquer la situation, en commençant par dire que la Fédération (de Tunis . N.D.L.R) l’a trahi, elle a suivi Ben Youssef…Il se mit à regarder dans le vague et me dit : “Si je tiens un congrès, je m’en sortirai” et ajouta “mais c’est absolument impossible” . Il le disait sur un ton de désespoir. A le voir ainsi, lui qui a l’habitude d’encourager les gens, il m’a fait beaucoup de peine. C’est alors que je lui dis “Tenez ce congrès à Sfax et j’en assume la responsabilité” . Il se frotta les mains d’un air satisfait et me dit : “Alors c’est d’accord” . On a fixé la date d’un autre rendez-vous pour arrêter les modalités et le congrès a eu lieu, protégé par plus de 2.000 ouvriers».
Le 18 octobre, Bourguiba convoque une réunion des membres du Bureau Politique et des présidents des fédérations du Parti, qui décide que le congrès se tiendra à Sfax. La solution du problème que posait le choix du lieu du congrès a, en quelque sorte, libéré Bourguiba. Il se lance, corps et âme dans la lutte, comme à son habitude et, après le temps de l’hésitation, du doute de l’abattement et de “ tentation du spleen” , comme il l’a écrit, c’est un nouveau Bourguiba qui renaît et ses partisans et plus largement, la masse des indécis retrouvent le leader, le tribun…Et c’est dans l’optimisme qui prévaut dorénavant dans le camp du Bureau Politique, que s’ouvre le 15 novembre 1955, à la Cité Zeitounienne de Sfax, le cinquième Congrès du Néo- Destour.
Un congrès décisif
Dans les semaines qui ont précédé la tenue du Congrès de Sfax, Bourguiba et les membres du Bureau Politique ont tenu un grand nombre de réunions dans le pays et cette action d’information, de mobilisation et d’encadrement a porté ses fruits. Elle n’a pas été facile. Il a fallu vaincre des résistances, des réserves et même des réactions violentes dans certaines situations, dans des secteurs acquis à Ben Youssef et il convient, à ce propos, de signaler le rôle déterminant joué par l’UGTT, dont les militants et l’organisation ont été d’un grand apport pour Bourguiba.
A l’ouverture du Congrès, 1.242 représentants de la base destourienne sont présents. Tous sont conscients de la solennité et de la dimension historique du moment. De nombreuses délégations arabes et étrangères assistent aux travaux du Congrès qui sont ouverts le mardi 15 novembre à neuf heures trente. La séance d’ouverture est présidée par le Dr. Ahmed Aloulou, président de la Fédération destourienne de Sfax. La parole est ensuite donnée à Habib Bourguiba, qui prononce un discours dans lequel il fait un historique de l’action du Parti, aborde le différend qui l’oppose à Salah Ben Youssef et, surtout, trace les grandes lignes de sa politique. C’est tout un programme qu’il expose, sans pour autant oublier que l’objectif immédiat et prioritaire, dans la mesure où il conditionne tous les autres , est de trancher la question Ben Youssef. Il propose aux congressistes d’inviter Ben Youssef à venir s’expliquer devant eux. La majorité des congressistes vote en faveur de cette proposition et un télégramme est adressé dans ce sens à Ben Youssef, qui répond : “ Je vous remercie de m’avoir invité à assister à votre réunion à Sfax, j’estime que par ce geste vous n’avez pas cessé de me considérer comme le secrétaire général du Néo- Destour. En conséquence, je compte lancer à toutes les cellules néo-destouriennes dépendant du Secrétariat général l’invitation de venir à Sfax, ce qui nécessiterait un délai minimum d’une semaine. Aussi, je demande le renvoi à une semaine de votre réunion ”. Le dossier était, en quelque sorte, clos. Le Congrès avait, auparavant élu son président en la personne de Bahi Ladgham, qui a été proposé par un proche de Bourguiba, Abdallah Farhat. Au deuxième jour de ses travaux, le Congrès a constitué ses différentes commissions, accordant aux représentants des organisations nationales le droit d’assister à leurs travaux. Ils y jouèrent un rôle important.
La composition des commissions du Congrès fait apparaître certaines données qu’il convient de souligner. D’abord, un équilibre de consensus entre les différentes sensibilités. La deuxième donnée est relative à la Commission économique, sociale et culturelle qui est composée dans sa grande majorité d’éléments issus de l’U.G.T.T ou de sensibilité de “ gauche ”— ce qui se reflètera dans le contenu des résolutions de cette commission. On y trouve notamment Mustapha Filali, président, Bellagha, Habib Tliba…
Le Congrès de Sfax a consacré la victoire écrasante de Bourguiba et de son groupe, mais il ne fut pas un Congrès unanimement rangé derrière le président du Parti. Certains congressistes étaient acquis à Ben Youssef, et même s’ils étaient marginalisés au sein d’une majorité qui leur était hostile, ils ont su créer des occasions pour se démarquer. Ce fut notamment le cas de Tahar Amira et des délégués de la Fédération de Tunis, qui, au nombre de 140, représentaient un peu plus de 10% des congressistes. A la fin de ses travaux, le Congrès devait élire les membres du Bureau Politique et ceux du Conseil National (le Comité Central de l’époque). Le 19 novem-bre, les congressistes se séparent ; ils viennent de donner à Bourguiba la légitimité qui va lui permettre d’asseoir son autorité sans partage sur le Néo- Destour puis sur le pays.
Une nouvelle page de l’histoire s’est ouverte.
(Source : « Réalités » N°1040 du 1er décembre 2005)
Les fondements du “Socialisme destourien”
Le Congrès de Sfax a tranché en faveur de Habib Bourguiba dans le conflit qui l’opposait à Salah Ben Youssef. Cette question a, certes, dominé les travaux du Congrès en raison de son importance et de son caractère déterminant pour l’évolution du Parti et du pays, mais elle ne fut pas la seule dont les délégués ont eu à débattre. Ils ont discuté de l’avenir de la Tunisie dans ses relations avec la France, de la suite qu’il fallait donner aux accords sur l’autonomie interne, la nature du pouvoir politique qu’il fallait instituer et également de questions à caractère économique et social. Les motions votées au sujet de ces dernières sont significatives de l’orientation du Néo-Destour sur ce plan, des rapports de forces au sein des commissions économiques et sociales et du Congrès et des perspectives d’un avenir dont on a défini à Sfax les premiers contours.
Déjà, dans son discours d’ouverture, Bourguiba a défini les tâches du Congrès, déclarant notamment : “La tâche de ce congrès est de définir, à l’intention du gouvernorat, ses projets et ses options dans les domaines économique et social, afin d’améliorer le niveau de la classe ouvrière, d’éduquer et d’éclairer le peuple, d’édifier cet Etat sur des bases solides”. Le Néo-Destour se définit par la voix de son président comme un parti de pouvoir, pouvoir qu’il ne partagera pas pendant de longues années.
Depuis sa création, le Néo-Destour s’est toujours montré réservé à l’égard des classes possédantes – sauf dans des situations où des exigences tactiques le contraignaient à des alliances avec elles. Pour la majorité des Tunisiens et des militants destouriens en particulier, l’émancipation du pays passait également par la fin de la domination économique étrangère et les gros propriétaires terriens et la bourgeoisie, encore embryonnaire, étaient assimilés à l’étranger, même si ce sentiment n’a pas pris la forme d’une _expression politique radicale. Il ne faut pas non plus oublier l’influence des jeunes destouriens des sections de Paris et leurs choix progressistes, parfois en opposition avec certains dirigeants de l’Appareil. L’influence de l’U.G.T.T. était déterminante dans la sensibilisation aux idées de réformes économiques et de progrès social et il convient de souligner le rôle joué par Ahmed Ben Salah, à ce niveau, depuis qu’il a accédé au Secrétariat général de l’organisation ouvrière en 1954.
Dans ces conditions, les congressistes étaient préparés à voter des motions économiques et sociales dont l’orientation progressiste était évidente. D’ailleurs Mustapha Filali, le président de la commission des affaires économiques, sociales et culturelles, remporte le plus de voix à l’élection du Conseil national. Habib Bourguiba en fera, plus tard, son ministre de l’Agriculture. Les motions économiques et sociales seront approfondies, affinées et enrichies par le Congrès de l’U.G.T.T. de 1956 dans le sens de la définition d’un modèle de développement socialiste.
Et Bourguiba, dans tout cela ?
Bien avant le Congrès de Sfax, la situation sociale dans le pays a connu quelques tensions, notamment au niveau des relations entre l’U.G.T.T. et l’U.G.A.T. (Union générale des agriculteurs tunisiens) dominée à l’époque par de gros propriétaires terriens imperméables à toute forme de revendication ; d’ailleurs le problème du statut des ouvriers agricoles était au centre du débat. L’U.G.T.T., au faîte de sa puissance, était devenue une force incontournable et son secrétaire général, Ahmed Ben Salah, jouait un rôle de premier plan. Bourguiba savait qu’il devait compter avec l’organisation syndicale qui risquait, à son point de vue, de contester au Parti, donc à lui-même, son leadership. Pour le moment—avant la tenue du Congrès de Sfax – le risque était, aux yeux de Bourguiba, que la tension sociale dégénère en un conflit ouvert qui pourrait, la situation politique aidant, plonger le pays dans la guerre civile, et c’est pour cela qu’il a tenu, dans ses réunions à travers les régions, alors que la priorité était en principe la scission youssefiste, à aborder les questions sociales, appelant à dépasser les différends, à tenir compte des impératifs de l’union nationale dans le cadre de rapports sociaux équilibrés et qui tiennent compte des intérêts et des droits des travailleurs et de la justice sociale. On trouve déjà, dans ces discours, des idées qui contribueront plus tard aux fondements du “Socialisme destourien”. Dans un discours prononcé à Menzel Chaker, le 22 septembre 1955, Bourguiba déclare : “Méfiez-vous donc plus que jamais de la lutte des classes. Soyez d’autre part persuadés que lorsque la colère couvera chez les travailleurs, il n’y aura plus de stabilité : tout tombera dans l’anarchie. Il importe alors de considérer la répartition des richesses sur des bases équitables. Dans ce cas, il appartient à la loi de régler la situation, en connaissance de cause, et c’est à l’Etat de légiférer et de promulguer des lois lorsqu’il les juge à propos”.
Au Congrès de Sfax, Bourguiba a laissé faire. Les motions économiques et sociales correspondaient à ses idées – il a cautionné, plus tard, une politique plus radicale que les projets votés à Sfax, mais l’essentiel pour lui était qu’il demeure le maître du jeu – Bourguiba était convaincu qu’il avait d’autres objectifs prioritaires à réaliser: mettre fin à la scission youssefiste, prendre le pouvoir et conduire le pays, le plus tôt possible, à l’indépendance totale. C’est seulement après que l’on pourra entreprendre les réformes nécessaires, économiques et sociales. Ce n’est que quelques mois plus tard qu’il réagit, après le Congrès de l’U.G.T.T de 1956. Il sentit alors que le jeu allait lui échapper et que les donnes qui étaient en train de s’imposer finiraient par créer un nouveau rapport de forces. On connaît la forme qu’a prise sa réaction : scission au sein de l’organisation syndicale, éviction d’Ahmed Ben Salah puis réunification du mouvement syndical sous la direction d’hommes qu’il considérait, à l’époque, comme des hommes sûrs.
(Source : « Réalités » N°1040 du 1er décembre 2005)
L’ascension de Bahi Ladgham
Ali Ben Samir
Le 15 novembre 1955, au premier jour des travaux du Congrès de Sfax, Abdallah Farhat, l’un des dirigeants destouriens les plus proches de Bourguiba, propose aux délégués de désigner Bahi Ladgham – celui que la presse de l’époque surnommait “le leader silencieux” – à la présidence du Congrès. Il est élu à l’unanimité. Pour de nombreux présents, l’initiative de Farhat est significative des intentions de Bourguiba à l’égard de Bahi Ladgham.
Lors de l’élection des membres de Bureau Politique, il arrive en première position avec 1.158 voix sur 1.242. Bourguiba devait ensuite le proposer, à l’occasion de la distribution des responsabilités au sein du Bureau Politique, au poste de secrétaire général. Il remplacait ainsi Salah Ben Youssef et devait y rester près d’une quinzaine d’années, au cours desquelles il fut le numéro deux du Parti et du gouvernement.
L’ascension de Bahi Ladgham fut une surprise pour de nombreux observateurs, qui s’attendaient plutôt à ce que le Secrétariat général revînt à un autre membre du Bureau Politique ; Mongi Slim, Jellouli Farès et Sadok Mokaddem semblaient les mieux placés. Cette surprise suscita des interrogations sur I’apport les motivations du choix de Bourguiba ; non point en raison de l’apport de Bahi Ladgham au mouvement de libération nationale ; bien au contraire, le nouveau secrétaire général du Néo-Destour a pris une part importante dans la lutte pour l’indépendance. Arrêté après les évènements du 9 Avril 1938, il passa près de cinq années dans la tristement célèbre prison algérienne de Lambèse et il fut, d’avril 1952 jusqu’en octobre 1955, le représentant du Néo-Destour aux Etats-Unis et joua, à ce titre, un rôle déterminant dans la promotion de la cause tunisienne auprès des Américains et de l’O.N.U. La surprise était plutôt due aux idées de Bahi Ladgham au sujet de l’objectif de la lutte qui ne pouvait être, selon lui, que l’indépendance totale – et de nombreux militants et dirigeants du Parti partageaient son point de vue – et de ses relations avec Salah Ben Youssef. Les deux hommes avaient des affinités intellectuelles et politiques dont témoigne la correspondance qu’ils ont échangée pendant les années de leur exil. Ils faisaient des analyses très proches des négociations sur l’autonomie interne et sur la nécessité pour le Parti de ne pas transiger sur les objectifs qu’il s’était fixés, ceux de l’indépendance. Bahi Ladgham écrit à Salah Ben Youssef, le 7 janvier 1955, de New York : “Maintenant, j’en viens aux Conventions. L’élaboration me paraît trop avancée, et je ne vois pas comment nos camarades devront s’y prendre pour tout remettre en question sur la base de ta déclaration que je signe, il va sans dire, des deux mains”. (Il s’agit de la déclaration faite par Ben Youssef à Genève, le 31 décembre 1954, dans laquelle il énonce les principes de son action future contre l’autonomie interne).
Salah Ben Youssef est plus explicite. Il aborde dans ses lettres des questions d’organisation telles que la forme que prendra le rejet des Conventions. Il écrit à Bahi Ladgham, le 2 avril 1955 : “Le Bureau Politique, seul responsable devant le pays et devant l’histoire des répercussions de ces Conventions sur l’avenir de la patrie, doit être mis en mesure de se prononcer en toute connaissance de cause. Si nous sommes d’accord sur le rejet, Mongi n’apposera pas son paraphe et acceptera de se sacrifier moralement. Si nous sommes divisés, c’est-à-dire si Bahi fait pencher la balance de son côté, nous rentrerons tous à Tunis où nous réunirons un congrès extraordinaire en 24 heures. Le congrès nous départagera”.
Selon certains témoignages, Bahi Ladgham se serait déclaré, à plusieurs reprises, contre les accords signés par le gouvernement de Tahar Ben Ammar. Il aurait même dit – ce qui n’a été rapporté qu’après que Bahi Ladgham eut quitté le Pouvoir – qu’il ne “cautionnerait pas les trahisons de Bourguiba”. Cette déclaration ne semble pas authentique car, même s’il s’est parfois montré critique sur certaines questions, Bahi Ladgham ne s’est jamais attaqué à Bourguiba dans sa correspondance ou dans ses prises de position publiques.
Bahi Ladgham rentre à Tunis, le 9 octobre 1955 – le lendemain de la décision du Bureau Politique d’exclure Ben Youssef – où il est accueilli par Bourguiba et Ben Youssef. Il lance un appel à dépasser les “différends superficiels”. Avant son retour, il a fait un détour par Tripoli où se trouvaient la plupart des partisans de Ben Youssef. Un mois et quelques jours plus tard, il devenait le premier adjoint de Bourguiba. Que s’est-il passé entre temps ?
De retour à Tunis, Bahi Ladgham s’est-il rendu compte de la réalité du terrain et du rapport de forces ? Ben Youssef ne lui a-t-il pas écrit dans la même lettre citée plus haut : “Je t’avoue, pour ma part, que j’ai une confiance limitée dans ces précautions que Mongi compte prendre ; car toute la propagande est maintenant axée sur les anciens projets. Et il suffira que Si Habib fasse une déclaration d’approbation pour que tout le monde soit mis devant le fait accompli”.
De son côté, Bourguiba, en cautionnant l’ascension de Bahi Ladgham, obéissait à des considérations à la fois subjectives et tactiques. Il ne pouvait pas choisir Mongi Slim ; il n’avait pas une grande confiance en lui et craignait qu’à ce poste et, fort de son grand prestige, il ne soit pas un collaborateur loyal. D’autre part, en préférant Bahi Ladgham, il pensait ramener à lui la Fédération de Tunis au sein de laquelle il avait une audience réelle, et montrer que son choix ne s’était pas porté sur un inconditionnel (Mongi Slim n’a jamais eu de sympathie particulière pour Ben Youssef et il a joué un rôle déterminant dans la répression de ses partisans) mais plutôt sur un homme qui a été, pour le moins, neutre.Bourguiba ne s’est pas trompé puisque Bahi Ladgham fut un collaborateur loyal, bien que Bourguiba fît preuve à son égard de jugements injustes et d’ingratitude.
(Source : « Réalités » N°1040 du 1er décembre 2005)
20 ans après sa mort :
Béchir Salem Belkhiria toujours présent
A.B.
C’est peut-être un pur hasard, mais une bien heureuse coïncidence, que la commémoration du 20ème anniversaire de la mort de Béchir Salem Belkhiria, suive, de quelques jours seulement, l’évènement scientifique et technologique, probablement du siècle, le 2ème Sommet mondial de la société de l’information, qui a groupé, sur le sol tunisien, quelques milliers des grands spécialistes du monde et de ses décideurs en la matière.
On peut imaginer avec quel bonheur et quel intérêt B.S.B aurait suivi les travaux de ce Sommet, avec quel enthousiasme et quel engagement il aurait œuvré, tant soit peu et dans la mesure de ses moyens, pour que la Tunisie confirme encore davantage son avance dans le domaine, sur lequel elle s’est déjà engagée de plain-pied, celui de la technologie de la communication et de l’information.
Béchir Salem Bekhiria, n’a-t-il pas été, en effet, dès les années 50 du siècle qui vient de s’achever, parmi l’avant-garde tunisienne qui a cherché à faire accéder la Tunisie aux nouvelles technologies. Ceux qui, parmi ses amis et ses proches, avaient eu l’occasion de le côtoyer, à cette époque, se souviennent, assurément, des propos enthousiastes et admiratifs qu’il tenait, de retour des Etats-Unis où il achevait sa spécialisation dans les études économiques et commerciales, au sujet de la télévision, encore inconnue en Tunisie. Et comme lisant dans l’avenir, il annonçait, sur un ton qui frisait la véhémence, la portée de cette invention, ses impacts sur le développement de l’économie, l’évolution des sociétés et les échanges technologiques, scientifiques et culturels qui modifieraient, dans un avenir tout proche , la face du monde. Répugnant à la routine et aux sentiers battus, méfiant à l’égard des idées toute faites, Béchir rompait avec les circuits d’échange traditionnels, ceux qui existaient déjà entre la Tunisie et ce que M. Rumsfeld, secrétaire d’Etat américain à la Défense, allait appeler “ la vieille Europe ”. Ce n’est pourtant pas vers les Etats- Unis qu’il se tourne, mais vers le nouveau dragon de la technologie moderne, le Japon, dont il connaissait déjà l’avance en la matière par rapport à l’Europe ; non pas tant pour jouer contre elle le “ grand bond ” technologique du Sud-Est asiatique, mais convaincu qu’il était de l’universalité de la science, de la solidarité entre les hommes et du droit légitime des peuples à puiser la connaissance et le progrès technologique là où ils les trouvent.
Passant des idées à l’acte, Béchir introduisait l’usage de cet instrument d’impression et de vulgarisation qu’est le photocopieur, qui allait balayer en quelques mois le lourd et salissant polycopieur.
En même temps il engageait de multiples actions visant en premier lieu à développer et à enraciner la culture technologique au sein de la jeunesse tunisienne. Coup sur coup, il créait, à cet effet, l’école des mécatroniciens, lançait le concours des inventeurs, multipliait les missions d’équipes sportives (rugby) et des journalistes à l’étranger, dans le but de mettre tous ces jeunes en contact avec le monde extérieur et surtout les pays économiquement et technologiquement avancés. Et l’on est tenté de penser qu’il voyait déjà venir ce phénomène qui est aujourd’hui, en ce début du XXIème siècle, l’un des problèmes majeurs de l’humanité : la fracture technologique.
Tout semble indiquer qu’il pressentait le devoir, la nécessité pour l’élite intellectuelle, scientifique et technologique et pour les entrepreneurs de l’économie tunisienne de tout entreprendre—et le plus tôt serait le mieux—afin que la Tunisie remporte toujours davantage de victoires dans le combat qu’elle mène, avec à sa tête le Chef de l’Etat lui-même, pour être à l’abri, et pour toujours, des déboires et du grave danger que constitue aujourd’hui le grand hiatus entre le Nord et le Sud dans le domaine de la connaissance et de la technologie et pour qu’elle contribue, comme elle l’a toujours fait et qu’elle le fait encore aujourd’hui, sous la haute conduite de son chef le Président Ben Ali, à l’avènement d’une humanité plus équitable et moins malheureuse.
(Source : « Réalités » N°1040 du 1er décembre 2005)
BECHIR MANOUBI : Le boute-en-train s’en va …
Stoura
Je ne lui ai pas rendu visite à l’hôpital, parce que je ne voulais pas le voir allongé contre son gré sur un lit. Lui qui a toujours vécu debout…Comme je n’ai pas osé suivre le cortège qui l’emmenait vers sa dernière demeure, car je ne pouvais endurer l’épreuve d’assister à ses ultimes instants parmi nous . Et de nous quitter à jamais ! Rompant ainsi une très vieille amitié qui a duré très exactement quarante ans et trois mois. Soit depuis septembre 1965, lorsque nous nous sommes rencontré dans les locaux du journal Le Sport de notre ami Si Mahmoud Ellafi.
Quarante ans et des poussières, c’est trois fois rien, je m’en aperçois aujourd’hui. Puisque je me rappelle sans peine cette fin d’après- midi d’un dimanche, lorsque Si Mahmoud, entouré de Mustapha Zoubeidi et Ameur Bahri, attendait fébrilement les photos de Béchir Manoubi qui devaient illustrer la une du journal. Pourtant, Béchir n’était pas l’unique reporter-photographe du périodique. Mais il avait ce petit plus le distinguait des autres, lui qui n’a jamais fréquenté les bancs d’un institut spécialisé pour apprendre à photographier. Béchir marchait au feeling, à l’instinct…Et quand il arrivait, brandissant ses fameux clichés, la tension dégringolait d’un cran. Une blague par ci…Une anecdote par là…Et Si Mahmoud lui intimait l’ordre de f…le camp : “Laisse-nous travailler …”, lui disait- il, pour ramener l’ordre dans la maison, et museler le boute-en- train…C’est à partir de ce jour qu’est née notre amitié.
La grande vadrouille
Quarante ans plus tôt, Béchir régnait sans conteste sur le domaine de la photo. Les galas de mariage qui avaient lieu à la salle Madrid de notre autre ami, le regretté Hassen ? C’était lui qui les immortalisait…Les cérémonies de circoncision aussi…et les funérailles par la même occasion ! Béchir était partout et quasiment en même temps. Avait-il un don d’ubiquité ? je suis tenté de le croire…Bosseur infatigable, il était également un noctambule patenté qu’on recevait en grandes pompes partout où il atterrissait ! C’est que notre bonhomme avait le geste large. Très large. Du moment que le couffin rempli à ras bord de billets de banque était jeté dans la malle de sa “ 404 ”, autant s’en servir sans parcimonie.
Dans sa prime jeunesse, vers 1950, il a fait partie des jeunesses destouriennes, en militant convaincu de la liberté de notre pays. Ensuite, il a couru sous les couleurs de la Zitouna, avant de grimper sur les rings pour dépenser son trop-plein d’énergie. Et de décrocher le titre de champion de Tunisie dans sa catégorie. Membre de l’Equipe Nationale de Boxe, on voyait bien que ce pugiliste se distinguait de ses autres partenaires. Puisqu’il était le seul à porter un peignoir pour faire plus chic…D’ailleurs, ce souci d’élégance ne le quittera jamais plus !
Puis, lorsqu’il devina que la photo était une source de richesse providentielle, il laissa tomber la boxe pour s’acheter une Hasselblad. Et c’est à partir de là que naquit la “ légende Béchir Manoubi ”.
En effet, Bachra n’était pas seulement un reporter-photographe sportif, mais un photographe tout court. Un immense artiste qui s’ignorait ! Brahim Mahouachi, le regretté Khaled Tlatli, et tant d’autres visages connus, lui ont permis d’accéder au palier supérieur. Om Kalthoum ? Abdelhalim Hafedh ? Claude François? Oulaya? Sid’Ali Riahi, tout ce beau monde a été plus au moins “ ami ” avec lui. Car il avait le don d’établir instantanément un courant de sympathie entre lui et ceux qui l’approchaient.
Béchir était aussi un farceur né…Un jour, à Tokyo, lors des Olympiades de 1968, les membres de la délégation officielle étaient installés dans le salon de l’hôtel. L’un d’entre eux, qui n’était pas très apprécié, quitta son fauteuil pour aller demander un renseignement à la réception. Béchir en profita pour placer un gadget sous le coussin du fauteuil. Et quand ce monsieur revint prendre sa place, un énorme pet ébranla le salon ( sans l’odeur)…Tout le monde en rit…sauf l’intéressé ! qui ne lui pardonna jamais ce tour pendable.
Le minuscule bureau particulier de son négoce était une véritable caverne d’Ali Baba. Les trésors ? D’innombrables gadgets achetés dans les magasins de “ Farces et attrapes ” du monde entier. Tel le demi de bière, avec mousse S.V.P ! que le coach Mirka ne sut jamais déguster…Ou la boite à cigares qui envoie une décharge électrique si on la touche du “ bon ” côté…Ou ce prêtre lubrique…Bref, on ne s’ennuyait pas à son contact.
Les années ont passé et Béchir ne s’est guère assagi. Bien au contraire, il s’est bonifié avec l’âge. Malgré les fatigues engendrées par ses voyages, il tenait encore le coup, et je lui conseillais de prendre des vacances. “ Des vacances pour faire quoi avec ? me disait- il. Plus tard je me reposerai pour l’éternité !”. Je lui disais aussi de modérer son penchant pour le narguilé, parce que Monsieur se tapait un minimum de huit prises par jour…Mais il ne voulait rien savoir.
Comme nous étions voisins, nous prolongions les veillées chez moi, et c’était lui qui se chargeait d’allumer le brasero pour la dernière séance de “chicha”. Et pendant une heure, il déchargeait ses vieux souvenirs de globe- trotter, impubliables…
Plus tard encore, Béchir venait me voir au bureau chaque matin. Pour s’accorder une pause d’environ une heure. Ce break lui était nécessaire afin de recharger les accus, minés par la maladie. Ensuite, il ne put plus grimper les deux étages et il me téléphonait de la loge pour me dire qu’il allait moyennement bien. C’est alors que je compris qu’il était sur la courbe descendante…
Résumons- nous. Béchir était un homme remarquable, incapable de répondre au mal par le mal. Il encaissait les coups durs, puis leur tournait le dos. Certes, je ne saurais prétendre que je suis l’unique dépositaire de ses secrets, mais je peux quand même dire qu’il ne me cachait presque rien. Et c’est pour cela que j’affirme que sans l’aide du Président Zine El Abidine Ben Ali, cet artiste de la photo n’aurait pas connu une fin à l’abri des soucis !
Béchir Manoubi est parti pour son dernier voyage, mais ce qu’il a laissé derrière lui constitue un monument de l’histoire de la Tunisie ! Qu’il repose en paix…
(Source : « Réalités » N°1040 du 1er décembre 2005)
CONTRAIREMENT A LA TUNISIE DE BEN ALI,
LA REPUBLIQUE DU MALI
N’A PAS PEUR DES SOMMETS ALTERNATIFS…
En marge du 23ème sommet Afrique France des chefs d’état et de gouvernements, un sommet alternatif citoyen à Bamako : un colloque de deux jours, une conférence de presse, et un concert populaire auxquels participeront de nombreuses associations et organisations de la société civile du Mali et du monde…
DETAILS: http://www.cadmali.org/contresommet/index.php
Mali: un sommet alternatif fustige le « néo-colonialisme français » en Afrique
AFP, le 02.12.2005 à 15h21
BAMAKO, 2 déc (AFP) – Un « sommet alternatif » à celui qui va réunir pendant le week-end des chefs d’Etats africains et le président français à Bamako a fustigé vendredi le « néo-colonialisme français » en Afrique et dénoncé l’attitude des autorités françaises envers les populations d’origine immigrée.
Cette rencontre, à l’initiative de la « Coalition des alternatives africaines dette et développement (Cad-Mali) », qui organise chaque année au Mali le « Sommet des pauvres » parallèlement à celui du G7, a rassemblé les représentants d’associations alter mondialistes d’une dizaine de pays d’Afrique et d’Europe.
La « coopération françafricaine n’a servi que les intérêts économiques et politiques des seuls dirigeants français et africains, au mépris des peuples qu’ils sont censés représenter », ont accusé les participants à ce sommet alternatif dans un communiqué titré « l’appel de Bamako ».
« En cette année 2005, la France a validé le coup d’Etat électoral de Faure Gnassingbé au Togo, poursuivi un jeu trouble en Côte d’Ivoire. Elle soutient le régime agonisant d’Idriss Deby au Tchad et les pouvoirs dictatoriaux de Paul Biya au Cameroun, Denis Sassou N’Guesso au Congo et tant d’autres accueillis aujourd’hui à Bamako avec une débauche de moyens insultant la misère de leurs peuples », indique ce texte qui qualifie le 23è sommet de « vitrine du néo-colonialisme français ».
« Et ce n’est pas le nouvel habillage européen et multilatéral auquel la France essaye de faire croire qui changera la nature du système dont la logique conduit à la pauvreté, à la désespérance, et par ricochet à l’exode et l’émigration forcée des jeunes », poursuit le texte.
Les participants au sommet alternatif se sont également indignés des « politiques de répression et de stigmatisation des populations immigrées ou d’origine immigrée (…) » menées, selon eux, en France, qui vient d’être secouée par des émeutes sans précédent dans les banlieues pauvres et à forte proportion d’habitants originaires du Maghreb et d’Afrique noire.
Ils ont annoncé leur intention d’organiser des « réseaux internationaux associatifs » pour « obtenir des transformations radicales avec les peuples et pour les peuples » en Afrique.
Le « Sommet alternatif citoyen Afrique-France » s’est tenu à la veille du sommet officiel: le 23è Afrique-France, qui doit réunir les représentants de 53 pays africains et le président français Jacques Chirac, samedi et dimanche.
AFP
Sommet franco-africain 2005 :
Arrêtons le soutien aux dictateurs !
Soutenons les peuples africains!
Le 23ème sommet des chefs d’Etat franco-africains aura lieu les 3 et 4 décembre prochains à Bamako. Le Président français, comme il est de coutume, y rencontrera l’ensemble de ses homologues africains pour s’assurer du maintien de leur coopération, tandis que certains chefs d’Etat contestés ou en perte de vitesse chercheront à (re)gagner les faveurs de la diplomatie française et s’assurer du soutien politique, économique et militaire de leur ancienne puissance coloniale.
Convaincues que les relations franco-africaines constituent un sujet qui ne saurait se limiter à un rendez-vous diplomatique, des organisations françaises et africaines se sont attachés depuis 1994 à organiser des rencontres alternatives en marge des sommets franco-africains organisés sur le sol français. Ces rendez-vous, ouverts à toutes les composantes associatives et syndicales de la société civile, ont donné l’occasion de formuler des revendications sur les questions de libertés fondamentales, de droits humains, de dette, de coopération militaire, de commerce mondial, de migrations, etc.
Cette année, une initiative citoyenne est portée au Mali même par une coalition d’organisations africaines, sous l’impulsion de la CAD Mali, par ailleurs organisatrice du « Forum des Peuples » (de Siby, Kita, Fana) et partie prenante du prochain Forum Social Mondial de Bamako. Avec ses faibles moyens, cette coalition prouve que l’auto-organisation des peuples africains n’est pas un vain mot et que leur lutte est bien vivante.
Manifestons donc le 4 décembre 2005 à Paris, en soutien au contre-sommet de Bamako,
CONTRE :
– Ces despotes qui vivent impunément des rapports néo-coloniaux au détriment du développement de leurs pays et du bien-être des populations.
– La politique de la France en Afrique menée par Jacques Chirac et ses prédécesseurs, responsable de la plupart des maux de l’Afrique.
– La torture, les massacres, les assassinats politiques, les trafics d’armes, et l’impunité de leurs auteurs et de leurs complices.
Nous, organisations françaises et africaines mobilisées à l’occasion de l’Autre sommet pour l’Afrique, exigeons un partenariat euro-africain réellement constructif pour le développement et l’émancipation de l’Afrique.
POUR :
– Le respect des libertés fondamentales d’__expression et d’organisation syndicale, associative et politique ;
– Le respect des Droits de l’Homme ;
– L’annulation de la dette illégitime payée par les peuples africains ;
– L’arrêt du pillage du continent par les pays riches et leurs multinationales, la Banque Mondiale et le FMI ;
– La lutte contre l’impunité et la délinquance financière ;
– L’accès de tous à l’alimentation, la santé, l’éducation, à l’emploi, à l’habitat, et à la justice ;
– Une guerre contre le Sida et le Paludisme, premiers ennemis de l’Humanité ;
– Pour une solidarité nouvelle entre l’Europe et l’Afrique qui passe par la régularisation des Sans Papiers.
Contre la Françafrique ! Solidarité international!
Manifestation dimanche 4 décembre, 14h Place des fêtes
Premiers signataires : Afrique XX1, CNT, Survie, LCR, Appel pour les libertés publiques et syndicales en Algérie, JCR, Comité de soutien au peuple togolais, CTR (Comité Togolais de Résistance), CADTM-France, CDTN (Confédération Démocratique des Travailleurs du Niger), FCD (Fédération des Congolais de la diaspora), CSIE (Conseil Supérieur ds Ivoiriens de l’Etranger), Coordination des groupes de femmes égalité, Actus (Action du Tchad pour l’unité et le socialisme), Les Verts, Les Alternatifs, PCOF (Parti communiste des ourviers de France), JID (Justice, immigration, droit/Mulhouse), Fraternité franco-africaine (Toulouse)..
Deux cavaliers sud-africains traversent l’Afrique pour tester le cheval barbe
Un périple africain à dos de cheval barbe