Nouvelles des libertés en Tunisie
La cour d’appel confirme le jugement en première instance dans l’affaire des trois jeunes handicapés
Le Procureur de la République émet un mandat de dépôt à l’encontre les détenus de Nabeul, à la prison civile de Mornaguia
Tunisie: la famille de Taoufik Ben Brik dément toute amélioration des conditions de détention
Tunisie: pas d’amélioration de l’état de santé de Ben Brik, selon sa famille
Tunisie: une délégation US reçue par les ministres de la Défense et des AE
Dans le couloir de la torture : Yassine Ferchichi
Dans quelques jours son sort devrait être scellé et depuis sa cellule en prison, Yassine Ferchichi compte les jours qui le séparent de sa libération le 24 décembre prochain. Ce qui aurait dû être un espoir s’est transformé en cauchemar et son existence n‘est plus qu‘un compte à rebours.
Yassine Ferchichi, un Tunisien âgé de 29 ans, effectue en France une peine d’emprisonnement de six ans dans une affaire en relation avec le terrorisme et à une peine de six mois pour usurpation d’identité 1. Arrêté en juillet 2005, il sera libérable dans quelques jours en vertu de quelques remises de peine. Sa condamnation à l’emprisonnement a été assortie d’une interdiction définitive du territoire français, contre laquelle son conseil a déposé une requête aux fins de relèvement, qui n’a à ce jour pas reçu de réponse.
Avant de quitter la Tunisie, Yassine Ferchichi avait connu interpellations, harcèlement et tortures graves dans les locaux du ministère de l’Intérieur à Tunis, mais il avait quitté le pays légalement, ne faisant l’objet d’aucune poursuite.
Quelques mois plus tard, il a été condamné par défaut en Tunisie : dans une première affaire à huit ans d’emprisonnement et cinq ans de contrôle administratif 2, et dans une seconde affaire à vingt-quatre ans et six mois d’emprisonnement et à dix ans de contrôle administratif 3, en vertu des dispositions de la loi antiterroriste du 10 décembre 2003 dans les deux cas. Il totalise donc trente deux ans et six mois d’emprisonnement et quinze ans de contrôle administratif.
Il a demandé l’asile en France mais n’a pas reçu à ce jour de réponse de l’Office Français pour la Protection des Réfugiés et Apatrides (OFPRA).
Il s’est adressé à plusieurs organisations de défense des droits de l’homme pour que la France ne le renvoie pas vers un pays qui pratique une torture qu’il n’a que trop connue.
L’année passée, la Cour Européenne des Droits de l‘Homme avait estimé pour empêcher l‘Italie de renvoyer Nassim Saadi en Tunisie que l‘article 3 [de la Convention Européenne de Sauvegarde des droits de l‘homme] « prohibe en termes absolus la torture ou les peines ou traitements inhumains ou dégradants » que l’article 3 « consacre l’une des valeurs fondamentales des société démocratiques. Il ne prévoit pas de restrictions […]et il ne souffre aucune dérogation. La prohibition de la torture ou des peines ou traitements inhumains ou dégradants étant absolue, quels que soient les agissements de la personne concernée […] la nature de l’infraction qui est reprochée au requérant est dépourvue de pertinence pour l’examen sous l’angle de l’article 3 […] » 4
Luiza Toscane
Pour lui écrire (jusqu’au 24 décembre) : Yassine Ferchichi,
n°91 99 65, D3, C 248.
Maison d’Arrêt de Fresnes
1 Allée des Thuyas,94261 Fresnes
Glorifier le mal pour pérenniser des idéologies mortes-nées
Séminaire régional d’Istanbul
18 et 19 décembre2009
LIBERTE D’EXPRESSION ET DE CREATION
CONTRIBUTION INTRODUCTIVE DE Khémaïs CHAMMARI
SUR
LA LIBERTE D’EXPRESSION.
Cher(e )s ami(e )s
Je ne pourrai pas être parmi vous à Istanbul mais j’ai tenu à vous faire parvenir cette modeste contribution à vos débats.
1 – Consacrée par l’article 19 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948, la liberté d’opinion et d’expression est une des libertés fondamentales de l’Homme. Sans elle, il n’y a pas de démocratie possible et elle est, à bien des égards, un baromètre de l’état de toutes les autres libertés. L’exercice de cette liberté par tout individu implique (et je cite l’article 19) « Le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit ».
Aujourd’hui, tous les grands textes internationaux en matière de protection des droits humains proclament solennellement cette liberté et en garantissent, en principe, l’exercice. Au nombre de ces textes de référence, il y a bien sûr le Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques adopté par l’Assemblée générale des Nations Unies, mais il y aussi la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples, bafouée par la majorité des gouvernements de notre Continent meurtri.
2 – Cette liberté et ce droit ne sont toutefois pas absolus. Leur exercice est ainsi systématiquement limité au nom de la moralité, de l’ordre public, ou de la sécurité nationale. Des notions que les Etats peu scrupuleux en matière de droits de l’Homme ont tendance à interpréter de façon sélective et extensive. C’est en effet au nom de l’ordre public ou de la sécurité nationale que des Etats, comme par exemple le mien, en Tunisie, marginalisent, harcèlent et répriment toute personne qui ose émettre des propos dissidents.
Si la déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948 n’a pas davantage spécifié de conditions particulières, ni de restriction à la liberté d’expression, la Convention Européenne des Droits de l’Homme du Conseil de l’Europe a, deux ans plus tard, précisé dans l’alinéa 2 de son article 10 que « l’exercice de ces libertés peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la Loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire ».
3 – Les termes du dilemme sont ainsi clairement posés.
– Il y a d’un coté la revendication légitime, nécessaire et salutaire de la liberté d’expression de toutes les idées – y compris celles qui peuvent heurter ou choquer – car le droit à la critique, sous toutes ses formes, est un fondement essentiel du pluralisme et de l’esprit de tolérance et d’ouverture sans lesquels il n’est pas de « société démocratique ».
– De l’autre, il y a les notions importantes de devoirs et de responsabilité, ainsi que toutes les « balises » énumérées dans l’article 10 de la Convention Européenne précédemment cité et les interprétations abusives auxquelles elles peuvent donner lieu.
Pour les défenseurs des droits de l’Homme, des libertés et de l’Etat de droit, le défi est donc de concilier les exigences souvent contradictoires des termes de ce dilemme.
C’est ainsi que l’article 20 du Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques stipule les limitations suivantes : « toute propagande en faveur de la guerre (guerre d’agression) est interdite par la Loi. Tout appel à la haine nationale, raciale ou religieuse qui constitue une incitation à la discrimination, à l’hostilité ou à la violence est interdit par la Loi ». Et l’article 4 de la Convention Internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale déclare punissable par la loi « toute diffusion d’idées fondées sur la supériorité ou la haine raciale, toute incitation à la discrimination raciale, ainsi que tous actes de violence .. ».
4 – L’exercice de la liberté d’opinion et d’expression, tout comme celui de la liberté de la presse, qui va de pair avec elle, se trouve ainsi constamment confronté aux risques majeurs des propos et des appels incitant à la discrimination sous toute ses formes – et notamment à l’égard des femmes – ainsi qu’à la haine raciale, nationale ou religieuse. Tout comme il est confronté aux risques de la diffamation, des attaques ad hominem, des appels à la violence ou au meurtre. Autant de dérapages, de délits et de crimes auxquels la liberté d’opinion et d’expression ne peut en aucune manière servir d’alibi.
Lors du génocide au Rwanda, certains medias, baptisés « médias de la haine » ont, faut-il le rappeler, contribué aux massacres par leurs appels à la haine contre les Tutsis et les Hutus modérés.
Les dimensions éthique et juridique de ce débat sont essentielles et toute limitation à la liberté d’expression doit susciter la vigilance des défenseurs des droits humains, mais ceux-ci ne peuvent être indifférents aux conséquences de l’exercice de cette liberté.
A ce titre, les appels à la discrimination raciale et à l’apologie des thèses négationnistes, à propos de l’holocauste nazi, font l’objet, dans plusieurs pays comme en France depuis 1990 (loi Gayssot), de mesures de restriction légales à la liberté d’expression.
A ce titre aussi, les articles de diffamation, de calomnies , d’appel à la haine ,en particulier raciale et religieuse, et même d’incitation au meurtre véhiculés en Tunisie par une presse de caniveau bénéficiant d’une impunité totale, sont une source d’inquiétudes légitimes.
Le directeur de deux de ces publications « Al-Hadath » et « Kol en Nass », l’abject Abdelaziz Jeridi, contre qui huit plaintes ont été déposées en quatre semaines, sait qu’il n’a rien à craindre de ses propres – si j’ose dire- commanditaires !
5 – Récusant les dérives liberticides commises au nom de l’ordre, de la morale, des impératifs sécuritaires ou de la lutte – pourtant nécessaire – contre le terrorisme (comme par exemple certaines dispositions du « Patriot Act » adopté aux Etats-Unis d’Amérique après les criminels attentats du 11 septembre 2001) ; les défenseurs des droits humains ne peuvent pour autant se résoudre à accepter que toutes les idées, fussent-elles les plus monstrueuses,« doivent pouvoir être débattues pour être mieux combattues ».
La liberté d’expression connaît, de ce fait, d’inévitables restrictions. Celles-ci sont dictées par le souci du respect de la vie, des droits et de la réputation d’autrui mais elles doivent être précisément fixées et rigoureusement encadrées par la loi. Aussi, ces pratiques restrictives font-elles l’objet, dans les pays démocratiques, d’une grande vigilance quant à leur conformité avec les dispositions constitutionnelles des Etats concernés et avec les engagements internationaux auxquels ils ont souscrits.
Il en va malheureusement tout autrement dans les pays totalitaires, despotiques et dictatoriaux où ces restrictions servent bien souvent de prétextes à l’étouffement systématiques des libertés.
6 – C’est dans ce contexte qu’il convient de replacer les débats suscités aujourd’hui par le développement des nouvelles technologies de l’information. Formidable outil de connaissance et de communication, l’internet marque incontestablement un énorme progrès pour la liberté d’expression car il donne des possibilités inédites quant à la communication et l’information de façon instantanée à travers les frontières géographiques et politiques. Inévitablement, au niveau de l’internet, coexistent le meilleur et le pire, la connaissance mondiale sans frontières et l’apologie des pires crimes, du racisme et du fanatisme. Ce nouveau média exige-t-il dans,ces conditions, une législation adaptée, ou doit-il être soumis aux mêmes règles et lois que les autres médias ? Ma conviction est qu’il est plus important de promouvoir une conscience de responsabilité dans l’utilisation d’internet plutôt que de multiplier les mécanismes de régulation et de contrôle dont la systématisation risque de mettre en danger la liberté d’expression. D’autant que les menaces de la part des régimes autoritaires, le développement d’une véritable cyber-police et la traque des cyberdissidents ne cessent de se développer, avec tous les risques répressifs et d’entraves à l’accès au réseau que cela comporte, notamment dans les pays les plus pauvres qui aspirent à réduire la fameuse « fracture numérique ».
C’est la situation que nous vivons en Tunisie. La cyber-police y déploie une activité fébrile qui se traduit par des poursuites judicaires récurrentes ( feu Zouheir Yahiaoui, les internautes de Zarzis, condamnation récente à huit mois de prion ferme commués en appel en sursis de l’universitaire Mme Khédija Arfaoui pour « diffusion de fausses rumeurs de nature à troubler l’ordre public », interpellation de la « blogueuse » Fatma Riahi qui signait « Fatma Arabica » ; la « déconnexion » d’au moins 250 sites traitant ,directement ou indirectement, de la situation politique en Tunisie ; celle de plus de 2000 références de « Google » relatifs à la situation politique en Tunisie ; celle de « You tube » et d’une quinzaine de « blogs » et de journaux en ligne rédigés en Tunisie (les journaux « Kalima » proche du CNLT et « Al Badil » du PCOT[1], le « blog » du magistrat limogé Mokhtar Yahiaoui ou- par intermittence- celui du journaliste Zyad Al Henni etc.) ; ainsi que les coupures de connexion internet pour des dizaines d’animateurs( trices) politiques et associatifs(tives) et les piratages de toutes sortes y compris de pages du réseau social « Face book » qui compte ,aujourd’hui, plus de 850000 membres tunisien pour 10 millions et demi d’habitants.
Cette question figure au « menu » de la nouvelle Commission Nationale pour les Libertés d’Expression et d’Information (dont je suis membre) et qui est soutenue par un appel de plus d’une centaine de personnalités nationales mais que les pouvoirs publics empêchent arbitrairement de se réunir. Sous le prétexte qu’il s’agit d’une instance n’ayant pas fait une demande de visa légal alors qu’elle a été fondée sous l’égide et la responsabilité des trois journaux légaux de l’opposition véritable « Al-Maouqef », « At-tariq al jadid » et «Mouatinoun »[2] .Cette assertion est d’autant moins recevable que l’on connaît les difficultés rencontrées par les associations autonomes légales (Ligue des droits de l’homme-LTDH, Association féministe –ATFD et l’Université féministe «Ilham Marzouki »[3] ) et le refus opposé aux demandes de visas du CNLT, de la ligue des Ecrivains Libres, des radios libres « Kalima » et « Radio 6 » et de l’ OLPEC[4]
7 – Je voudrais aborder enfin, de façon rapide, une question importante et qui me tient à cœur. De la « fatwa »[5], prononcée contre l’écrivain Salman Rushdie, à l’affaire de la caricature du prophète Mohamed publiée dans un journal suédois, en passant par la grave crise provoquée au printemps 2006 à la suite de la parution de caricatures du prophète Mohamed dans un journal Danois ; la question de la liberté d’expression et de ses limites a fait l’objet d’une vaste controverse qui interpelle chacun d’entre nous.
Ma conviction est que certains écrits ou certains dessins (tel celui affublant Mohamed d’une bombe à la place du turban) contribuent de manière incontestable au renforcement des préjugés à l’égard de la religion musulmane et de ses adeptes assimilés de façon indistincte à la violence, à l’intolérance et au terrorisme. Ces manifestations procèdent d’une forme d’« islamophobie » à tous égards inacceptable et qui risque d’alimenter, de surcroît, les surenchères des courants fondamentalistes islamiques les plus radicaux. Elles appellent donc la plus grande vigilance de la part des défenseurs des libertés. Mais la réponse à de telles dérives ne peut consister en aucune façon à apporter des limites à la liberté d’expression, autres que celles prohibant l’appel à la violence et à la haine raciale.
A cet égard, il convient, comme l’ont fait les grandes ONG internationales de défense des droits humains, de mettre en garde contre le risque d’adoption, notamment au niveau des Nations Unies, de textes normatifs excluant les convictions religieuses et philosophiques du champ de la critique, de la création et de la discussion publique au prétexte de protéger les religions de « toute forme de diffamation ».
Tels sont les commentaires que m’a inspirés votre invitation à intervenir au cours de ce séminaire euro-méditerranéens consacrée aux libertés d’opinion ,d’expression et de création, dont la défense et la sauvegarde sont indissociables des combats pour la liberté d’association et la liberté de conscience ; cette dernière question- essentielle- ayant d’ailleurs fait l’objet en 2008 en Tunisie dans le cadre du « Collectif du 18 octobre pour les droits et les libertés » d’un débat et d’un consensus féconds soumis, sans exclusive aucune, à toutes les composantes de la scène politique tunisienne.
K.C.
[1]Conseil National pour les libertés(CNLT) ; Parti communiste ouvrier de Tunisie(PCOT)
[2] Organes du PDP, d’At-Tajdid et du FDLT
[3] Du nom d’une sociologue co-fondatrice de l’ATFD et qui est décédé en 2008
[4]Observatoire pour la liberté de la Presse ,de l’Edition et de la Création.
[5]Edit religieux.