19 décembre 2009

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TUNISNEWS

9 ème année, N° 3497 du 19.12.2009

 archives : www.tunisnews.net  


Liberté et Equité: Nouvelles des libertés en Tunisie Assabilonline: La cour d’appel confirme le jugement en première instance dans l’affaire des trois jeunes handicapés Assabilonline: Le Procureur de la République émet un mandat de dépôt à l’encontre les détenus de Nabeul, à la prison civile de Mornaguia AFP: Tunisie: la famille de Taoufik Ben Brik dément toute amélioration des conditions de détention AP: Tunisie: pas d’amélioration de l’état de santé de Ben Brik, selon sa famille AFP: Tunisie: une délégation US reçue par les ministres de la Défense et des AE Luiza Toscane : Dans le couloir de la torture : Yassine Ferchichi Bassan Bunenni: Glorifier le mal pour pérenniser des idéologies mortes-nées LIBERTE D’EXPRESSION ET DE CREATION – CONTRIBUTION INTRODUCTIVE DE Khémaïs CHAMMARI


 
Liberté  pour Sadok Chourou, le prisonnier des deux décennies Liberté pour tous les prisonniers politiques Liberté et Equité 33 rue Mokhtar Atya, 1001, Tunis Tel/Fax : 71 340 860 Libertéequite@gmail.com Tunis, le 17 décembre 2009

Nouvelles des libertés en Tunisie

 

1) Intrusion au domicile de Lassaad Jouhri, militant des droits humains Une vingtaine d’agents de la police politique ont fait intrusion  à six heures du matin, jeudi 17 décembre 2009, au domicile de Lassaad Jouhri, militant des droits humains, membre fondateur de l’Association Internationale de Soutien aux Prisonniers politiques. Ils enfoncé la porte du domicile et semé la frayeur dans la famille puis soumis le domicile à une perquisition minutieuse. Ils ont saisi les portables des membres de la famille et ont quitté les lieux qu’ils avaient mis sens dessus dessous. 2) Maître Imène Triki ne peut rendre visite au militant des droits humains Zouhaïer Makhlouf Le tribunal de Première Instance de Grombalia a refusé jeudi 17 décembre au matin d’accorder un permis de visite à Maître Imène Triki pour son client Zouhaïer Makhlouf, actuellement incarcéré à la prison de Messaadine (Sousse) et l’ont faite attendre. Au bout de deux heures , ils l’ont informée que la délivrance d’un permis de visite ne relevait pas des compétences du tribunal de Grombalia car son procès s’était tenu il y a plus de dix jours, et que cela relevait du Procureur général de la République à Tunis, alors que le dossier de l’affaire est encore au Tribunal de Première Instance de Grombalia. 3) Arrestation de Maatoug El Ir, ex prisonnier politique La famille de Maatoug El Ir, ex prisonnier politique, a dit que ce dernier avait été arrêté il y a trois jours et qu’elle ne savait rien depuis, qu’elle ignorait le lieu et les motifs de sa détention, et qu’elle craignait pour sa vie […] Pour le Bureau exécutif de l’Organisation Le Président Maître Mohammed Nouri (traduction d’extraits ni revue ni corrigée par les auteurs de la version en arabe, LT)

La cour d’appel confirme le jugement en première instance dans l’affaire des trois jeunes handicapés

La cour d’Appel de Tunis a confirmé jeudi 10 décembre le jugement en premier ressort prononcé à l’encontre des jeunes Badil Jazi, Elies Sallam et Sahbi Hawwet. Les jeunes avaient été libérés le 10 septembre après avoir été condamnés à trois mois d’emprisonnement avec sursis pour « tenue de réunion non autorisée » Leurs familles avaient fait appel du jugement en premier ressort qui avait établi la culpabilité d’handicapés n’ayant commis aucun  délit. […] Source : assabilonline, 16 décembre 2009 (traduction d’extraits ni revue ni corrigée par les auteurs de la version en arabe, LT)

Le Procureur de la République émet un mandat de dépôt à l’encontre les détenus de Nabeul, à la prison civile de Mornaguia

Hier, mardi 15 décembre 2009, Monji Ben Abdallah, Mohammed Lassoued et Jalel Boubakri ont été déférés devant le Procureur de la République de Tunis, qui a émis un mandat de dépôt à leur encontre à la prison de Mornaguia dans la banlieue de la capitale pour « tenue de réunion ». L’affaire des détenus est entachée de plusieurs irrégularités, notamment l’intrusion à leur domicile sans mandat de justice et hors des heures de travail officielles. Leur garde à vue a dépassé la durée légale, Monji Ben Abdallah et Mohammed Lassoued ayant été arrêté le mardi 1er décembre et Jalel Boubakri et Ahmed Atia mercredi 2 décembre. Nous avons appris qu’ils avaient été soumis à des pressions pour signer les procès verbaux d’investigation et que leurs aveux avaient été extorqués sous la contrainte, quant à leur propos, certains ont été modifiés par l’investigateur préliminaire. En collaboration avec Seyyid Mabrouk, militant des droits humains, Tunisie Assabilonline, 16 décembre 2009 (traduction ni revue ni corrigée par les auteurs de la version en arabe, LT)

Tunisie: la famille de Taoufik Ben Brik dément toute amélioration des conditions de détention

AFP: samedi 19 déc. 2009  La famille du journaliste et opposant tunisien Taoufik Ben Brik a démenti samedi l’amélioration de ses conditions de détention, que le ministère français des Affaires étrangères avait affirmé la veille avoir noté, dans un communiqué à l’AFP. « La famille Ben Brik annonce à l’opinion publique tunisienne et internationale que les conditions de détention de Taoufik Ben Brik relatives au droit de visite et suivi médical n’ont connu aucune amélioration », affirme ce communiqué. Un porte-parole du Quai d’Orsay a affirmé vendredi qu’il y avait « une amélioration des conditions de détention de M. Ben Brik en ce qui concerne les droits de visite et le suivi médical ». Concernant le droit de visite, « bien au contraire, des conditions et menaces indécentes nous ont été imposées », affirme la famille, ajoutant que les visites des avocats à l’opposant incarcéré « ont été rendues impossibles par l’administration pénitentiaire » depuis le 24 novembre. « S’agissant de son état de santé, si la permission de laisser Taoufik prendre ses médicaments vitaux par les services pénitenciers (est) une faveur, laisser Taoufik Ben Brik en survie serait donc aussi une faveur », ajoute le texte, affirmant que le journaliste « souffre d’un syndrome qu’un médecin de prison ne peut guère gérer ». Lundi, la famille de Taoufik Ben Brik et son avocat français avaient demandé dans une lettre au président Nicolas Sarkozy d’intervenir auprès de son homologue tunisien Zine El Abidine Ben Ali en faveur du détenu, condamné à six mois de prison ferme. Le journaliste a été condamné le 26 novembre pour l’agression d’une femme, mais ses proches dénoncent une manipulation destinée à le faire taire, après des écrits très critiques dans la presse française sur le régime tunisien.


Tunisie: pas d’amélioration de l’état de santé de Ben Brik, selon sa famille

AP | 19.12.2009 | 20:41 La famille du journaliste tunisien Taoufik ben Brik incarcéré dans la prison de Siliana, à 130km de Tunis, a démenti samedi les informations en provenance de Paris selon lesquelles les conditions de détention du dissident se sont améliorées. Dans un communiqué transmis à l’Associated Press, son épouse, Azza Zarrad, ses soeurs et frères, s’inscrivent en faux contre les propos tenus vendredi par le porte-parole du Quai d’Orsay. Se référant à des « contacts avec sa famille », Bernard Valero avait fait état d’une « amélioration des conditions de détention de M. Ben Brik en ce qui concerne les droits de visite et le suivi médical ». La famille du détenu affirme n’avoir « jamais été contactée par aucune partie étrangère » et déclare n’avoir « jamais soutenu que les conditions de détention de Taoufik ben Brik se sont améliorés en ce qui concerne les droits de visite et le suivi médical ». Le communiqué dénonce, en revanche, « des conditions et menaces indécentes » lors de visites de membres de la famille et déplore qu' »aucun avocat n’ait pu rendre visite à Taoufik depuis 24 novembre et ce malgré les autorisations officielles signées par le procureur général ». Les autorités avancent de leur côté que le journaliste suit le traitement médical qui lui est prescrit et que son état de santé est « normal » et « ne nécessite pas une prise en charge en milieu hospitalier ». « Si la permission de laisser Taoufik prendre ses médicaments vitaux par les services pénitenciers soit une faveur, le laisser en survie serait donc aussi une faveur », rétorque sa famille qui rappelle que leur proche « souffre d’un syndrome qu’un médecin de prison ne peut guère gérer ». « Garder Taoufik en prison plus longtemps, c’est l’exposer à une mort certaine », appréhendent ses proches. Critique virulent du régime tunisien, Taoufik ben Brik a été condamné en novembre dernier à six mois d’emprisonnement pour agression d’une femme sur la voie publique. Ses avocats mettent en avant « affaire montée de toutes pièces » pour le pénaliser en raison de ses écrits. AP


Tunisie: une délégation US reçue par les ministres de la Défense et des AE

AFP 19.12.09 | 17h23  Une délégation américaine conduite par le sénateur républicain Michael Conaway a eu samedi à Tunis des entretiens avec les ministres de la Défense et des Affaires étrangères, a-t-on indiqué de source gouvernementale. La coopération dans les domaines militaires et les moyens de promouvoir les relations bilatérales ont été au centre des discussions entre la délégation et le ministre de la Défense Kamel Morjane. Au cours de l’entretien, M. Morjane a notamment évoqué la politique de son pays « pour faire face à l’extrémisme et au terrorisme », a précisé l’agence gouvernementale Tap. Le sénateur américain a en outre discuté avec le ministre des Affaires étrangères Abdelwaheb Abdallah des moyens de conforter les « relations stratégiques » entre Tunis et Washington, a-t-on indiqué de même source. Cette mission intervenait après celle effectuée le 8 décembre par une autre délégation américaine conduite par le président du Comité juif américain (AJC) Richard Sideman. Il s’agissait des premières visites de personnalités américaines à Tunis depuis la réélection en octobre dernier du président Zine El Abidine Ben Ali pour un 5è mandat de cinq ans à la tête du pays.

Dans le couloir de la torture : Yassine Ferchichi

 

Dans quelques jours son sort devrait être scellé et depuis sa cellule en prison, Yassine Ferchichi compte les jours qui le séparent de sa libération le 24 décembre prochain. Ce qui aurait dû être un espoir s’est transformé en cauchemar et son existence n‘est plus qu‘un compte à rebours.

Yassine Ferchichi, un Tunisien âgé de 29 ans, effectue en France une peine d’emprisonnement de six ans dans une affaire en relation avec le terrorisme et à une peine de six mois pour usurpation d’identité 1. Arrêté en juillet 2005, il sera libérable dans quelques jours en vertu de quelques remises de peine. Sa condamnation à l’emprisonnement a été assortie d’une interdiction définitive du territoire français, contre laquelle son conseil a déposé une requête aux fins de relèvement, qui n’a à ce jour pas reçu de réponse.

Avant de quitter la Tunisie, Yassine Ferchichi avait connu interpellations, harcèlement et tortures graves dans les locaux du ministère de l’Intérieur à Tunis, mais il avait quitté le pays légalement, ne faisant l’objet d’aucune poursuite.

Quelques mois plus tard, il a été condamné par défaut en Tunisie : dans une première affaire à huit ans d’emprisonnement et cinq ans de contrôle administratif 2, et dans une seconde affaire à vingt-quatre ans et six mois d’emprisonnement et à dix ans de contrôle administratif 3, en vertu des dispositions de la loi antiterroriste du 10 décembre 2003 dans les deux cas. Il totalise donc trente deux ans et six mois d’emprisonnement et quinze ans de contrôle administratif.

Il a demandé l’asile en France mais n’a pas reçu à ce jour de réponse de l’Office Français pour la Protection des Réfugiés et Apatrides (OFPRA).

Il s’est adressé à plusieurs organisations de défense des droits de l’homme pour que la France ne le renvoie pas vers un pays qui pratique une torture qu’il n’a que trop connue.

L’année passée, la Cour Européenne des Droits de l‘Homme avait estimé pour empêcher l‘Italie de renvoyer Nassim Saadi en Tunisie que l‘article 3 [de la Convention Européenne de Sauvegarde des droits de l‘homme] « prohibe en termes absolus la torture ou les peines ou traitements inhumains ou dégradants » que l’article 3 « consacre l’une des valeurs fondamentales des société démocratiques. Il ne prévoit pas de restrictions […]et il ne souffre aucune dérogation. La prohibition de la torture ou des peines ou traitements inhumains ou dégradants étant absolue, quels que soient les agissements de la personne concernée […] la nature de l’infraction qui est reprochée au requérant est dépourvue de pertinence pour l’examen sous l’angle de l’article 3 […] » 4

Luiza Toscane   

Pour lui écrire (jusqu’au 24 décembre) : Yassine Ferchichi,

n°91 99 65, D3, C 248.

Maison d’Arrêt de Fresnes

1 Allée des Thuyas,94261 Fresnes   


Glorifier le mal pour pérenniser des idéologies mortes-nées

 
par Bassan Bunenni Il existe, en Tunisie, des manifestations extravagantes de myopie politique. Bien entendu, à chacun le droit d’opter pour le parti, l’idéologie, l’organisation ou la structure auxquels il se définit. Dans lesquels il se retrouve. Mais, peut-on se permettre de fermer les yeux sur les dérives de telle ou telle force politique, rien que parce qu’on y croit ? La survie d’une idée n’est-elle pas sujette à sa critique, seule garantie de sa solidité et de son ancrage dans l’espace public ? Le fameux Facebook est fort édifiant. Il nous enseigne que survit toujours en Tunisie une frange au sein de la classe politique organiquement attachée à des idéologies dont les crimes et les méfaits ne cessent de faire la chronique de la presse un peu partout dans le monde. Ils se présentent comme étant baathistes ou nassériens et omettent d’admettre les limites de ces courants qui ont fait couler beaucoup d’encre, depuis leur émergence, un demi-siècle plus tôt. Pis, ils avancent les « acquis » que peuvent réaliser les nations aux moyens de ces deux idéologies et portent au pinacle le côté « héroïque » de leurs pionniers. Pour ce faire, abondent sur la toile des vidéos faisant un parallèle entre, par exemple, Saddam Hussein et Omar Mokhtar ! Pourtant, l’histoire nous enseigne que tandis que Bagdad a chuté en un clin d’œil et que son Homme d’acier est arrêté de manière humiliante avant d’être pendu – notre campagne internationale avec la ministre italienne, à l’époque, Emma Bonino, pour annuler le verdict n’avait pas payé malheureusement -, le Général Grazziani, bourreau de la Libye et de l’Ethiopie et dont le nom a été immortalisé dans les annales de l’art de la guerre – quel art – comme étant le premier militaire à avoir utilisé des chars dans le désert, avait mis du temps pour relever sa tête avant de fixer Mokhtar des yeux. Dans ses mémoires, Grazziani avouait « avoir eu peur » de son interlocuteur qui, deux décennies durant, avait terrorisé les troupes coloniales italiennes aux moyens d’une bravoure exceptionnelle que l’Histoire et le film magistral de feu Mustapha Akkad ont immortalisée. Que garde-t-on de Saddam, par contre ? Des crimes contre l’Humanité et une dictature que les Américains n’avaient nullement besoin de nous la démonter. On le savait, au moindre contact avec un Irakien. A la première nouvelle venue de Mésopotamie. Cela étant, l’occupation de l’Irak ne peut et ne doit en cas passer pour une solution. Loin s’en faut. Quant à Nasser, détenteur, en forme, d’un programme politico-civilisationnel, il n’avait laissé derrière lui qu’ombre et poussière. Ne tolérant aucune opposition politique, il interdit les partis politiques qui, jadis, animaient la vie politique égyptienne de manière spectaculaire. Ne concevant pas la « fraternité arabe » en dehors d’une obédience cairote, il essaie, sinon de les éliminer, de diaboliser ses ennemis. L’exemple le plus frappant fut celui de Bourguiba. N’ayant jamais digéré l’initiative de paix au Proche-Orient, présentée par le fondateur de la République Tunisienne à Jéricho, le 3 mars 1965, il ferme les yeux -d’autres assurent qu’il l’avait ordonné en personne – sur l’incendie du siège de l’ambassade de Tunisie au Caire. Un fait sans précédent dans l’Histoire contemporaine du monde arabe. Sans chercher à démoniser qui que ce soit, il est légitime, tout de même, de remettre en question la crédibilité de ce militantisme politique imprégné de schizophrénie, voire de masochisme. Car, à voir l’acharnement des sympathisants du Baath tout comme du Nassérisme, on a l’impression que subsistent encore dans nos murs – et certainement ailleurs, dans les pays arabes – une classe politique qui ne conçoit le bien-être des nations que sous une dictature ou une force étrangère occupante. Les peuples ont, quand même le droit, d’éliminer la première option et d’éloigner la seconde. Et, de vivre en toute dignité. Soyons raisonnables quand même !
(Source: le blog de Bassam Bounenni le 17 decembre 2009)

PLATE-FORME NON GOUVERNEMENTALE EUROMED

Séminaire régional d’Istanbul

18 et 19 décembre2009

LIBERTE D’EXPRESSION ET DE CREATION

 

CONTRIBUTION INTRODUCTIVE DE Khémaïs CHAMMARI

SUR

LA LIBERTE D’EXPRESSION.

Cher(e )s ami(e )s                         

Je ne pourrai pas être parmi vous à Istanbul mais j’ai tenu à vous faire parvenir cette modeste contribution à vos débats.

1 – Consacrée par l’article 19 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948, la liberté d’opinion et d’expression est une des libertés fondamentales de l’Homme. Sans elle, il n’y a pas de démocratie possible et elle est, à bien des égards, un baromètre de l’état de toutes les autres libertés. L’exercice de cette liberté par tout individu implique (et je cite l’article 19) « Le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit ».

Aujourd’hui, tous les grands textes internationaux en matière de protection des droits humains proclament solennellement cette liberté et en garantissent, en principe, l’exercice. Au nombre de ces textes de référence, il y a bien sûr le Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques adopté par l’Assemblée générale des Nations Unies, mais il y aussi la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples, bafouée par la majorité des gouvernements de notre Continent meurtri.

2 – Cette liberté et ce droit ne sont toutefois pas absolus. Leur exercice est ainsi systématiquement limité au nom de la moralité, de l’ordre public, ou de la sécurité nationale. Des notions que les Etats peu scrupuleux en matière de droits de l’Homme ont tendance à interpréter de façon sélective et extensive. C’est en effet au nom de l’ordre public ou de la sécurité nationale que des Etats, comme par exemple le mien, en Tunisie, marginalisent, harcèlent et répriment toute personne qui ose émettre des propos dissidents.

Si la déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948 n’a pas davantage spécifié de conditions particulières, ni de restriction à la liberté d’expression, la Convention Européenne des Droits de l’Homme du Conseil de l’Europe a, deux ans plus tard, précisé dans l’alinéa 2 de son article 10 que « l’exercice de ces libertés peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la Loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire ».

3 – Les termes du dilemme sont ainsi clairement posés.

– Il y a d’un coté la revendication légitime, nécessaire et salutaire de la liberté d’expression de toutes les idées – y compris celles qui peuvent heurter ou choquer – car le droit à la critique, sous toutes ses formes, est un fondement essentiel du pluralisme et de l’esprit de tolérance et d’ouverture sans lesquels il n’est pas de « société démocratique ».

– De l’autre, il y a les notions importantes de devoirs et de responsabilité, ainsi que toutes les « balises » énumérées dans l’article 10 de la Convention Européenne précédemment cité et les interprétations abusives auxquelles elles peuvent donner lieu.

Pour les défenseurs des droits de l’Homme, des libertés et de l’Etat de droit, le défi est donc de concilier les exigences souvent contradictoires des termes de ce dilemme.

C’est ainsi que l’article 20 du Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques stipule les limitations suivantes : « toute propagande en faveur de la guerre (guerre d’agression) est interdite par la Loi. Tout appel à la haine nationale, raciale ou religieuse qui constitue une incitation à la discrimination, à l’hostilité ou à la violence est interdit par la Loi ». Et l’article 4 de la Convention Internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale  déclare punissable par la loi « toute diffusion d’idées fondées sur la supériorité ou la haine raciale, toute incitation à la discrimination raciale, ainsi que tous actes de violence  .. ».

4 – L’exercice de la liberté d’opinion et d’expression, tout comme celui de la liberté de la presse, qui va de pair avec elle, se trouve ainsi constamment confronté aux risques majeurs des propos et des appels incitant à la discrimination sous toute ses formes – et notamment à l’égard des femmes – ainsi qu’à la haine raciale, nationale ou religieuse. Tout comme il est confronté aux risques de la diffamation, des attaques ad hominem, des appels à la violence ou au meurtre. Autant de dérapages, de délits et de crimes auxquels la liberté d’opinion et d’expression ne peut en aucune manière servir d’alibi.

Lors du génocide au Rwanda, certains medias, baptisés « médias de la haine » ont, faut-il le rappeler, contribué aux massacres par leurs appels à la haine contre les Tutsis et les Hutus modérés.

Les dimensions éthique et juridique de ce débat sont essentielles et toute limitation à la liberté d’expression doit susciter la vigilance des défenseurs des droits humains, mais ceux-ci ne peuvent être indifférents aux conséquences de l’exercice de cette liberté.

A ce titre, les appels à la discrimination raciale et à l’apologie des thèses négationnistes, à propos de l’holocauste nazi, font l’objet, dans plusieurs pays comme en France depuis 1990 (loi Gayssot), de mesures de restriction légales à la liberté d’expression.

A ce titre aussi, les articles de diffamation, de calomnies , d’appel à la haine ,en particulier raciale et religieuse, et même d’incitation au meurtre véhiculés en Tunisie par  une presse de caniveau bénéficiant d’une impunité totale, sont une source d’inquiétudes légitimes.

Le directeur de deux de ces publications « Al-Hadath » et « Kol en Nass », l’abject Abdelaziz Jeridi, contre qui huit plaintes ont été déposées en quatre semaines, sait qu’il n’a rien à craindre de ses propres  – si j’ose dire-  commanditaires !

5 – Récusant les dérives liberticides commises au nom de l’ordre, de la morale, des impératifs sécuritaires ou de la lutte – pourtant nécessaire – contre le terrorisme (comme par exemple certaines dispositions du « Patriot Act » adopté aux Etats-Unis d’Amérique après les criminels attentats du 11 septembre 2001) ; les défenseurs des droits humains ne peuvent pour autant se résoudre à accepter que toutes les idées, fussent-elles les plus monstrueuses,« doivent pouvoir être débattues pour être mieux combattues ».

La liberté d’expression connaît, de ce fait, d’inévitables restrictions. Celles-ci sont dictées par le souci du respect de la vie, des droits et de la réputation d’autrui mais elles doivent être précisément fixées et rigoureusement encadrées par la loi. Aussi, ces pratiques restrictives font-elles l’objet, dans les pays démocratiques, d’une grande vigilance quant à leur conformité avec les dispositions constitutionnelles des Etats concernés et avec les engagements internationaux auxquels ils ont souscrits.

Il en va malheureusement tout autrement dans les pays totalitaires, despotiques et dictatoriaux où ces restrictions servent bien souvent de prétextes à l’étouffement systématiques des libertés.

6 – C’est dans ce contexte qu’il convient de replacer les débats suscités aujourd’hui par le développement des nouvelles technologies de l’information. Formidable outil de connaissance et de communication, l’internet marque incontestablement un énorme progrès pour la liberté d’expression car il donne des possibilités inédites quant à la communication et l’information de façon instantanée à travers les frontières géographiques et politiques. Inévitablement, au niveau de l’internet, coexistent le meilleur et le pire, la connaissance mondiale sans frontières et l’apologie des pires crimes, du racisme et du fanatisme. Ce nouveau média exige-t-il dans,ces conditions, une législation adaptée, ou doit-il être soumis aux mêmes règles et lois que les autres médias ? Ma conviction est qu’il est plus important de promouvoir une conscience de responsabilité dans l’utilisation d’internet plutôt que de multiplier les mécanismes de régulation et de contrôle dont la systématisation risque de mettre en danger la liberté d’expression. D’autant que les menaces de la part des régimes autoritaires, le développement d’une véritable cyber-police et la traque des cyberdissidents ne  cessent de se développer, avec tous les risques répressifs et d’entraves à l’accès au réseau que cela comporte, notamment dans les pays les plus pauvres qui aspirent à réduire la fameuse « fracture numérique ».

 C’est la situation que nous vivons en Tunisie. La cyber-police y déploie une activité fébrile qui se traduit par des poursuites judicaires récurrentes ( feu Zouheir Yahiaoui, les internautes de Zarzis, condamnation récente à huit mois de prion ferme commués en appel en sursis de l’universitaire Mme Khédija Arfaoui pour « diffusion de fausses rumeurs de nature à troubler l’ordre public », interpellation de la « blogueuse » Fatma Riahi qui signait  « Fatma Arabica » ; la « déconnexion » d’au moins 250 sites traitant ,directement ou indirectement, de la situation politique en Tunisie ; celle de plus de 2000 références de « Google » relatifs à la situation politique en Tunisie ; celle de « You tube » et d’une quinzaine de « blogs » et de journaux en ligne rédigés en Tunisie (les journaux « Kalima » proche du CNLT et « Al Badil » du PCOT[1], le « blog » du magistrat limogé Mokhtar Yahiaoui ou- par intermittence- celui du journaliste Zyad Al Henni etc.) ; ainsi que les coupures de connexion internet pour des dizaines d’animateurs( trices) politiques et associatifs(tives) et les piratages de toutes sortes y compris de pages du réseau social « Face book » qui compte ,aujourd’hui, plus de 850000 membres tunisien pour 10 millions et demi d’habitants.

 Cette question figure au « menu » de la nouvelle Commission Nationale pour les Libertés d’Expression et d’Information (dont je suis membre) et qui est soutenue par un appel de plus d’une centaine de personnalités nationales mais que les pouvoirs publics empêchent arbitrairement de se réunir. Sous le prétexte qu’il s’agit d’une instance n’ayant pas fait une demande de visa légal alors qu’elle a été fondée sous l’égide et la responsabilité des trois journaux légaux de l’opposition véritable « Al-Maouqef », « At-tariq al jadid » et «Mouatinoun »[2] .Cette assertion est d’autant moins recevable que l’on connaît les difficultés rencontrées par les associations autonomes légales (Ligue des droits de l’homme-LTDH, Association féministe –ATFD et l’Université féministe «Ilham Marzouki »[3] ) et le refus opposé aux demandes de visas du CNLT, de la ligue des Ecrivains Libres,  des radios libres « Kalima » et « Radio 6 » et de l’ OLPEC[4]

7 – Je voudrais aborder enfin, de façon rapide, une question importante et qui me tient à cœur. De la « fatwa »[5], prononcée contre l’écrivain Salman Rushdie, à l’affaire de la caricature du prophète Mohamed publiée dans un journal suédois, en passant par la grave crise provoquée au printemps 2006 à la suite de la parution de caricatures du prophète Mohamed dans un journal Danois ; la question de la liberté d’expression et de ses limites a fait l’objet d’une vaste controverse qui interpelle chacun d’entre nous.

Ma conviction est que certains écrits ou certains dessins (tel celui affublant Mohamed d’une bombe à la place du turban) contribuent de manière incontestable au renforcement des préjugés à l’égard de la religion musulmane et de ses adeptes assimilés de façon indistincte à la violence, à l’intolérance et au terrorisme. Ces manifestations procèdent d’une forme d’« islamophobie » à tous égards inacceptable et qui risque d’alimenter, de surcroît, les surenchères des courants fondamentalistes islamiques les plus radicaux. Elles appellent donc la plus grande vigilance de la part des défenseurs des libertés. Mais la réponse à de telles dérives ne peut consister en aucune façon à apporter des limites à la liberté d’expression, autres que celles prohibant l’appel à la violence et à la haine raciale.

 A cet égard, il convient, comme l’ont fait les grandes ONG internationales de défense des droits humains, de mettre en garde contre le risque d’adoption, notamment au niveau des Nations Unies, de textes normatifs excluant les convictions religieuses et philosophiques du champ de la critique, de la création et de la discussion publique au prétexte de protéger les religions de « toute forme de diffamation ».

 

Tels sont les commentaires que m’a inspirés votre invitation à intervenir au cours de ce séminaire euro-méditerranéens consacrée aux  libertés d’opinion ,d’expression et de création, dont la défense et la sauvegarde sont indissociables des combats pour la liberté d’association et la liberté de conscience ; cette dernière question- essentielle- ayant d’ailleurs fait l’objet en 2008 en Tunisie dans le cadre du « Collectif du 18 octobre pour les droits et les libertés » d’un débat et d’un consensus féconds soumis, sans exclusive aucune, à toutes les composantes de la scène politique tunisienne.

 K.C.
 


 

[1]Conseil National pour les libertés(CNLT) ; Parti communiste ouvrier de Tunisie(PCOT)

[2] Organes du PDP, d’At-Tajdid et du FDLT

[3] Du nom d’une sociologue co-fondatrice de l’ATFD et qui est décédé en 2008

[4]Observatoire pour la liberté de la Presse ,de l’Edition et de la Création.

[5]Edit religieux.

 

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