AP: La Tunisie commémore l’an I de la “révolution du Jasmin”
Business News: Tunisie – L’UGTT met en garde contre l’ingérence étrangère
Jeune Afrique: Révolution tunisienne : une fête du 14 janvier teintée d’inquiétude
Kapitalis: La Tunisie peut-elle continuer à s’endetter?
WMC: Tunisie: Samir Tarhouni, «C’est le ciel qui m’a envoyé pour débarrasser le pays de ces corrompus»
La Tunisie commémore l’an I de la “révolution du Jasmin”
Manifestations du 14 janvier – Les Tunisiens entre “tristesse et fierté”
Quand Thala s’est soulevée contre Ben Ali
Tunisie – L’UGTT met en garde contre l’ingérence étrangère
Plusieurs travailleurs et syndicalistes se sont rassemblés, samedi, devant le siège de l’Union générale tunisienne du travail (UGTT), à l’appel de la centrale syndicale, pour célébrer le premier anniversaire de la révolution et par la même, exprimer leur refus de toute ingérence étrangère en Tunisie. Les manifestants ont brandi des banderoles sur lesquelles il était inscrit: «Le peuple tunisien est libre, non à l’ingérence qatarie et américaine», «A quand une reconnaissance des martyrs du bassin minier», «Plus jamais peur». Ils ont, également, scandé des slogans contre «la normalisation avec l’entité sioniste» et exigé un article dans la nouvelle constitution incriminant cette normalisation. A cette occasion, le secrétaire général de l’UGTT, Houcine Abbassi, a prononcé une allocution dans laquelle il a mis en garde contre toute ingérence étrangère dans les affaires du pays, soulignant que la Tunisie qui a déclenché l’avènement du printemps arabe, sait mener à bien sa politique économique et sociale en toute indépendance. Le SG de l’UGTT a mis en lumière le rôle de la centrale syndicale dans toutes les étapes de la révolution par tant de grèves régionales successives organisées par l’UGTT jusqu’à la marche pacifique en direction du ministère de l’Intérieur qui avait joué un rôle déterminant dans la chute de Ben Ali. L’UGTT, a-t-il ajouté, a contribué de manière significative, aux cotés des différentes composantes de la société civile, à jeter les fondements de la réforme politique et de la transition démocratique en Tunisie. Il a indiqué que la révolution populaire a, largement, aidé l’union à réaliser des acquis sociaux importants comme l’élimination de la sous-traitance dans les secteurs public et privé, la régularisation de la situation professionnelle des ouvriers de chantiers et la contribution à l’élaboration d’une nouvelle constitution qui dessinera les orientations de la Tunisie nouvelle. La période à venir, a-t-il précisé, devra connaître un surcroît d’effort à même de relever les défis, notamment, l’emploi et les négociations sociales. L’UGTT, a-t-il dit, s’engage à poursuivre la lutte contre le travail précaire dans les secteurs public et privé. Les participants au rassemblement se sont ensuite dirigés, dans une marche pacifique vers l’Avenue Habib Bourguiba.
Source : « Business News » Le 14-01-2011
Samir Tarhouni dément les propos de Mohamed Ghannouchi
Les propos tenus par Mohamed Ghannouchi, ancien Premier ministre, lors de la rencontre qu’il a eue avec la chaîne nationale de TV, Al Wataniya 1 jeudi 12 janvier 2012, ont suscité la polémique vu la gravité des « révélations » concernant l’attitude de plusieurs « acteurs » de cette grande journée du 14 janvier 2011. Parmi les réactions est celle du colonel Samir Tarhouni qui, contacté par Businessnews, a démenti les affirmations faites par Mohamed Ghannouchi le concernant en précisant en substance : « Tout d’abord, c’est Mohamed Ghannouchi qui m’a téléphoné à travers la ligne de Adnen Hattab (enregistrement existant à l’appui) pour me dire que c’est lui le président de la République, à moins que j’ai un autre candidat pour le placer à la tête de l’Etat, m’accusant ainsi, indirectement de tentative de coup d’Etat. » Et au colonel Tarhouni d’ajouter qu’il lui a répondu en ces termes : «Je n’ai aucune prétention, je suis là à la disposition de ma patrie et pour sa défense. Ce à quoi, l’ex-Premier ministre me répliqua que son Excellence (ndlr : Ben Ali) vient de l’appeler pour m’ordonner de relâcher les Trabelsi. Et qu’en sa qualité de président, il me donnait le même ordre. Ce que j’ai, bien entendu, refusé d’exécuter ». Le colonel Tarhouni, conclut que « c’est vraiment dommage que M. Ghannouchi, malgré son âge et les lourdes charges assumées au sommet de l’Etat, mente ainsi, probablement pour éviter d’éventuels ennuis, alors qu’il sait très bien que les enregistrements sont là. De mon côté, je m’en tiens à tout ce que j’ai déjà dit et révélé lors de la rencontre officielle avec les représentants des médias ». Affaire à suivre…
Source: «Business News» Le 13-01-2012
Révolution tunisienne : une fête du 14 janvier teintée d’inquiétude
Le premier anniversaire de la révolution tunisienne se déroule sous haute tension. Malgré les avancées démocratiques, le ras le bol général se fait sentir en Tunisie, sur fond de divisions politiques et politiciennes.
Acquis indéniable de la révolution, laTunisiea été le premier pays arabe a entrer en démocratie. Mais un an après la chute de ladictature de Ben Ali, la plupart desTunisiens n’ont pas vraiment le cœur à la fête. Avec une situation économique critique, le nouveau gouvernement, issu des urnes est confronté aux revendications des régions intérieures du pays en matière de réduction de la fracture sociale et de plein emploi. Kasserine, Thala, Sidi Bouzid, ou Gafsa ne veulent plus de promesses et somment l’exécutif de leur répondre par des actions à effets immédiats.
Le Premier ministre Hamadi Jebali, lors de son discours d’investiture avait annoncé 600 000 emplois d’ici à 2015, mais la relance de la machine économique reste tributaire du retour au calme dans les régions. « Annoncer une croissance de 4,5 % alors que les indicateurs économiques sont en chute libre et que les effets de la crise mondiale se font sentir est imprudent », souligne Olfa Arem, vice présidente de l’association « Engagement citoyen » qui travaille sur le développement durable des régions tunisiennes.
Confusion
Autre motif d’inquiétude pour les Tunisiens : la confusion semée dans les esprits par une nouveauté démocratique, le pluralisme politique. Le lent démarrage des travaux de l’Assemblée Constituante, élue depuis le 23 octobre, inquiète la société civile qui tient à ce que la rédaction de la Constitution n’excède pas une année comme prévu, tandis qu’une partie de l’opinion publique est critique à l’encontre du gouvernement, composé principalement par des membres du parti islamiste Ennahdha, majoritaire aux élections, mais aussi du Congrès pour la république (duprésident tunisien Moncef Marzouki) et d’Ettakatol (du président de l’Assemblée nationaleMustapha ben Jaafar).
Nombreux sont ceux qui accusent l’exécutif d’être partisan et de confondre activisme et action gouvernementale. L’apprentissage de la gouvernance ne se fait pas sans mal et les maladresses sont légions. On reproche notamment au gouvernement de ne pas prendre de décisions fermes face à l’émergence de groupuscules islamistes dans l’espace public ; de n’avoir pas statué sur le blocage, depuis six semaines, de la faculté de la Manouba par des salafistes exigeant l’autorisation du port du niqab ; et de n’avoir reconnu l’existence d’un fief salafiste, à Sejnane, au nord du pays, seulement après que la Ligue tunisienne des droits de l’homme (LTDH) et la presse aient dénoncé les agressions de dizaines de citoyens.
Indépendance des médias
Outre la question salafiste, on suspecte le gouvernement de tenter de dépasser ses prérogatives et de réduirel’indépendance des médias publicsen nommant non seulement de nouveaux directeurs mais aussi des rédacteurs en chef. La police et les magistrats sont également mécontents. Au moment où ils amorcent la mise en œuvre de leurs réformes, les autorités font planer le doute quant à leur probité. Les forces de l’ordre n’acceptent pas par exemple le limogeage du colonel Moncef Lajimi, en charge des brigades d’intervention spéciales, et les magistrats refusent d’être taxés de laxisme après avoir relâché, faute de preuves, les auteurs supposés du saccage du siège du Gouvernorat de Jendouba, le 3 janvier.
Chacun manifeste sa colère dans la rue, mais les tensions sont fortement exacerbées par la présence du service d’ordre d’Ennahdha lors des manifestations. « Où sont les forces de l’ordre républicaines ? Cette milice n’a pas à intervenir contre les manifestants », fustigent régulièrement les membres de la société civile. Mais l’opinion publique s’inquiète surtout d’un exécutif censé accompagner les travaux de la Constituante et qui se revendique de la légitimité des urnes pour entamer des programmes qui ressemblent plus à des plans quinquennaux qu’à une politique d’urgence à durée limitée.
En coulisses, les opposants estiment cependant que le Gouvernement montre des signes de faiblesses en ne prenant pas position sur la question salafiste, ou en multipliant les ballons d’essai et en se rétractant sur de nombreux sujets. La bonne entente entre les trois partis alliés à la tête de l’État semble en outre n’être qu’apparente. « Pour être crédible, une certaine cohérence est nécessaire ainsi que de la fermeté », fustige par exemple un membre du Congrès pour la république (CPR).
Source : « Jeune Afrique » Le 14-01-2012
« Le seul acquis de la révolution de Jasmin : les Tunisiens ont le droit de s’exprimer »
Il y a un an, Ben Ali quittait Tunis, débarqué par ce qu’on a appelé la révolution de Jasmin. À l’occasion de cette date-anniversaire, nous avons rencontré le Villeneuvois Hédi Saïdi, enseignant-chercheur franco-tunisien qui retourne régulièrement dans son pays. Selon lui, la Tunisie vit dans l’inquiétude et l’instabilité sociale depuis la victoire des islamistes. Et les rues pourraient se remplir à nouveau.
Quelle a été votre réaction à la victoire d’Ennahda en octobre ?
« Je ne conteste pas les résultats des élections. Mais le peuple de la révolution n’est pas celui des urnes. En fait, Ennahda a bien manoeuvré. Les islamistes ont joué sur le fait qu’ils avaient été torturés sous l’ancien régime, ce qu’on ne peut pas contester, comme l’ont été les droits-de-l’hommistes. Mais contrairement à ces derniers, les islamistes sont restés structurés, ce qui explique en partie leur victoire. Ils ont aussi fait campagne sur le fait qu’ils représentaient notre vraie identité, en opposition à la Tunisie occidentalisée à l’extrême de Bourguiba et Ben Ali, présentée comme athée. Mais il faut arrêter avec ça ! L’identité tunisienne n’est pas forgée dans l’islam. Elle est tout à la fois berbère, arabe, carthaginoise, espagnole, française, juive ! » Comment jugez-vous aujourd’hui la troïka au pouvoir ?
« En s’associant à deux partis soit-disant de gauche, Ennahda a cherché un visage présentable. Mais dans les faits, il a tous les pouvoirs, les ministères-clés. Et puis, ils se revendiquent d’un islam modéré, mais ça n’existe pas. Dans le discours de politique générale, le point 16 est clair. Il appelle à “la lutte contre la dégradation des moeurs et le retour de l’ordre moral”. À ceux qui lui reprocheraient de vouloir attenter par là aux droits des femmes, le pouvoir dit qu’il vise la corruption ! Il fonctionne en envoyant des ballons d’essai. Il s’est dit favorable à la polygamie, mais quand il a vu qu’il y avait des réactions, il a rétrogradé : “seulement si la première femme est d’accord… “. Le discours est apaisant mais chaque phrase se termine par un « mais, dans le respect de la charia… ». Ce qui s’est passé à l’université de la Manouba, récemment, est à ce titre édifiant. Des islamistes ont manifesté parce que la direction ne voulait pas que des jeunes filles passent les examens en voile intégral. Pour des raisons de sécurité, pour éviter les tricheries. Face à ces manifs, le président Marzouki (NDLR : issu d’un des deux partis associés à Ennahda) n’a eu aucune réaction. »Quelle est la situation économique ?
« La situation est dramatique. La croissance est toujours négative, le chômage et le non emploi ont augmenté, la pauvreté s’est aggravée. Pour la première fois, j’ai vu des SDF dans la rue. L’instabilité sociale est forte, les grèves sont dures, sans modération syndicale. Les islamistes ont fait leur campagne en assurant que les pétrodollars allaient arriver des pays voisins et amis, mais les Tunisiens ne voient rien venir. L’inquiétude est d’autant plus forte que le pouvoir n’a aucune ligne économique. Pas de chiffres, aucun engagement clair sur la façon de réduire l’endettement… On ne sait même pas s’il a choisi un modèle libéral, ultralibéral, étatique ! Mais si la population se sent en insécurité, il n’y a aucune nostalgie ! »Comment voyez-vous l’avenir ?
« Les Tunisiens vont redescendre dans la rue, les femmes, les intellectuels, les enseignants… Les jeunes sont exclus des fruits de la révolution, dont le seul acquis est le droit de s’exprimer. Aujourd’hui, la population peut se faire entendre et elle le fait ».
Source : « La Voix du Nord » Le 14-01-2012
LaTunisiepeut-elle continuer à s’endetter?
Il a fallu une table ronde organisée par l’Association des Tunisiens des grandes écoles (Atuge), pour apporter des éclairages sur la situation de l’endettement de la Tunisie. Selon Jamel Belhadj, directeur général au sein du ministère des Finances et membre du conseil d’administration de la Banque centrale de la Tunisie (Bct), le taux de l’endettement en Tunisie n’a été en 2010 que 40,1% du Pib national, un taux qui s’est élevé en 2011 à 44.1%. Pour ce qui est de l’endettement externe de la Tunisie, il a évolué de 39.3% en 2010 à 40.4% en 2011.
17 milliards de dinars de dettes
Il faut dire que ces chiffres n’ont rien à voir à ce qui existe dans beaucoup d’autres pays, qu’ils soient similaires à la Tunisie, en l’occurrence le Maroc, ou autre, étant donné que les taux d’endettement dans la zone euro est de 55%. Un taux qui varie entre ce qui existe en Allemagne, à titre d’exemple, ou en Grèce qui vit une très grande crise. Ce même taux est de plus de 100% aux Etats Unis.
Mais d’une façon générale, il faudrait savoir que le total des dettes tunisiennes est actuellement de 17 milliards de dinars, avec une vie moyenne de remboursement qui oscille autour de 6 ans.
Autre chiffre significatif: celui qui concerne la pression sociale de ces dettes, qui est de 2,5 milliards de dinars. Pour M. Belhadj, «on peut dire qu’on consomme autant qu’on investit». Pire encore : «On n’a pas consommé l’ensemble de nos dettes, faute de bons plans d’investissements», souligne-t-il encore. Et d’ajouter: «La maitrise du taux d’endettement a commencé depuis le milieu des années 2000, date à laquelle ce taux dépassait les 63%. Après le retour à des taux acceptables, en dessous de 45%, réalisés depuis 2010, on s’attend à ce que ce déficit, suite aux ballotages enregistrés en 2011, s’aggrave en 2012, avant de revenir à la normale en 2013».
La question qui mérite d’être posée actuellement serait de savoir s’il vaudrait mieux de s’endetter à l’externe ou à l’interne. Car «en Tunisie, on avait toujours eu tendance à s’orienter à l’extérieur pour s’endetter. Mais à la fin des années 2000, on commençait à introduire les réformes et à commencer à émettre des bonds de trésor visant à suppléer la dette externe par la dette interne, ce qui a permis de maintenir ces taux d’endettement autour de 40%. On devrait continuer sur ce chemin, en tenant en compte les besoins du pays en devise», note encore Jamel Belhadj.
Prendre en considération le coût de la dette
La dette de l’Etat s’oriente à compenser le déficit du budget de l’Etat et à résoudre le problème de la balance des paiements, notamment en ce qui concerne le déficit courant. Il s’agit aussi de prendre en considération le coût de la dette qui est en lui-même un choix stratégique à ne pas négliger, car «si on élimine le risque du change, la dette interne couterait beaucoup moins cher que la dette externe. Au niveau de la proximité, il faut aussi avoir un marché où les bailleurs de fonds sont des nationaux qui font confiance aux ratios du pays. Ce qui fait que ces bailleurs de fonds locaux peuvent être mobilisés à moindres coûts». Ceci n’est pas le cas sur les marchés internationaux, où la quête de prêts nécessite beaucoup plus de temps et coûte encore plus cher.
Ce qui est frappant dans la position de beaucoup de Tunisiens, qui ont appelé, après le 14 janvier 2011, «à demander à un nombre de pays et d’organismes prêteurs et autres bailleurs de fonds, d’annuler la dette de la Tunisie», c’est qu’ils ont totalement négligé l’influence et le rôle des agences de notation. Bien qu’elles ont accumulé les bourdes en n’ayant pas prévu le déluge des crises financières, celles-ci demeurent les premières références des prêteurs et des bailleurs de fonds. Et on les imagine mal réagir positivement vis-à-vis de la Tunisie si Mustapha Kamel Nabli, gouverneur de la Bct n’a pas eu le bon réflexe d’assurer le paiement des dettes du pays au cours de 2011, comme étant l’une des premières priorités. S’il ne l’avait pas fait, cela aurait rendu difficile, voire même impossible, la sortie de la Tunisie sur les marchés internationaux. Cela n’a certes pas empêché la note souveraine de la Tunisie d’être revue à la baisse à deux reprises, depuis le 14 janvier (de BBB avec perspective stable, à BBB- puis à BBB- avec perspectives négatives), mais la dégradation aurait pu être plus sévère si les dettes n’avaient pas été payées rubis sur ongles. Les notations ne sont pas des détails, car elles de l’argent, à très grande échelle même, à chaque fois qu’un pays se décide de chercher l’endettement extérieur.
Mais enfin pourquoi s’endetter? Ce ne serait pas la meilleure façon de poser la question. Il faut plutôt se demander : on s’endette pour faire quoi? On s’endette pour quels projets et quels investissements? Nul ne pourrait réaliser des investissements dans l’infrastructure ou autre secteur sans recourir à de l’argent frais. Il faut cependant cibler des projets viables, capables de créer de la richesse, surtout dans le cas d’un pays comme la Tunisie qui manque de ressources. S’endetter pour investir serait une chose, s’endetter pour consommer en serait une autre! Dans le premier cas, on aide à stimuler l’économie, alors que dans le second, on dilapide une richesse qu’on n’a pas produite, mais qu’on doit rembourser, un jour, au prix fort.
Source : « Kapitalis » Le 14-01-2012
Lien : http://www.kapitalis.com/kapital/34-economie/7800-la-tunisie-peut-elle-continuer-a-sendetter.html
A Sejnane, laissé aux mains des salafistes
Dans cette ville isolée, de jeunes extrémistes ont décidé de faire appliquer la charia.
La bourgade de 5 000 habitants se cache dans les belles collines verdoyantes du nord-ouest de la Tunisie. Il faut rouler deux heures trente pour gagner Sejnane depuis la capitale. Le 4 janvier, émoi à Tunis : «Sejnane, le premier émirat salafiste en Tunisie», alarme en une le quotidien arabophonele Maghreb.Le journal relate que la petite ville est aux mains d’un groupe de jeunes salafistes, qui auraient installé un tribunal et une prison pour punir les actes contraires à la charia.
«Sejnane est à eux»,pleure un infirmier, Ali Malaoui. Samedi, il a raconté à une délégation de la Ligue tunisienne des droits de l’homme (LTDH) avoir été présenté le 31 décembre au «tribunal» en question, installé selon lui dans le local du club de foot. Il y aurait subi un«interrogatoire musclé»de quatre-vingt-dix minutes.«Ils m’ont relâché en menaçant de me tuer et de brûler ma maison si je continuais à révéler ce qu’ils faisaient.»Car, poursuit Ali,«j’avais porté secours à deux hommes, blessés à la tête à coups de sabre, parce qu’ils n’empêchaient pas leurs petits frères de boire. J’avais aussi écrit aux autorités pour leur demander d’intervenir».Les témoignages s’égrainent. Parce qu’il «boit du vin»,Chiheb a été roué de coups, sa main fracassée. Des habitants disent être contraints à la prière. A la mosquée, les salafistes ont imposé leur imam, âgé d’à peine plus de 20 ans.
Coup de pied.Les salafistes en question seraient une quarantaine, tous jeunes, et ont commencé à agir il y a quelques mois. Ces dernières semaines, la situation a empiré. Direction les locaux del’imada,sorte de mairie de quartier entièrement brûlée pendant la révolution. A l’intérieur, Zied et Karim miment leur mise à l’arrêt, une heure et demie durant, dans ce qu’ils appellent«la geôle». «Ils nous ont frappés parce qu’on boit de la bière»,explique Karim. La présence de la LTDH a rameuté de nombreux habitants devant le local. Tout à coup, mouvement de panique. Un groupe de barbus déboule, le temps pour l’un d’eux d’asséner un violent coup de pied dans la caméra du correspondant de France 24, David Thomson.«Ils m’ont dit qu’il était interdit de filmer dans cette ville»,témoigne-t-il. A la suite de l’attaque, des forces de sécurité sont dépêchées par le ministère de l’Intérieur. Quinze salafistes sont convoqués.«Nul n’est au-dessus de la loi et il n’est pas question de tolérer les abus»,fera valoir le porte-parole du ministère, Hichem Meddeb.
Depuis la révolution, pourtant, la ville de Sejnane est livrée à elle-même. Les quatre agents locaux de la garde nationale ne font plus peur à personne. Le délégué (l’équivalent du sous-préfet) opère depuis Bizerte, la grande ville la plus proche. Son bureau est occupé depuis fin novembre par des dizaines de chômeurs qui réclament des usines et des postes dans l’administration. Plus de la moitié des habitants sont sans emploi, dont 800 diplômés du supérieur. Les participants au sit-in, parmi lesquels des salafistes, en sont persuadés :«Le phénomène salafiste est utilisé pour faire diversion par des gens qui ne veulent pas que des investisseurs s’installent ici»,explique l’un d’eux, qui voit des partisans de l’ancien régime à la manœuvre.
«Assentiment».«On est trop fatigués»,lâche Latifa Malaoui, coiffeuse pour dames dont le salon périclite. Conséquence de la crise économique et«des nouvelles boutiques ouvertes sans autorisation».Elle raconte«les vols, les problèmes d’alcool»qui se sont amplifiés cette année.«Les salafistes ont nettoyé la ville de ceux qui boivent et qui volent»,se réjouit un habitant.«Ils aident les gens à avoir du gaz»,renchérit un autre.«La bouteille de gaz est devenue hors de prix. C’est pour cela qu’on a gardé un camion de livraison»,explique Abderraouf Malaoui, 24 ans, salafiste bon teint, le jean à la mode et la barbe courte, partisan d’un«islam strict»depuis 2010. Pour l’alcool,«quand on voit quelqu’un qui boit en pleine rue, on essaie de dire que ce n’est pas bien. Mais nous n’utilisons que la parole pour convaincre»,défend-t-il. D’accord, quelques-uns se sont un peu emportés, mais ils avaient été provoqués.«Ce sont des bagarres entre jeunes»,argue Abderraouf Malaoui.
«Le problème, c’est qu’ici, il n’y a pas de grand cheikh pour encadrer»,estime le représentant d’Ennahda, Abid Saidani, qui soutient la version des salafistes. Les victimes des brutalités, selon lui ? Des anciens partisans de Ben Ali, qui chercheraient à nuire à Sejnane. Chiheb ?«Un drogué.»La geôle ? Un local devenu lieu de débauche après la chute du régime, que le nouveau maire a fait fermer«à la demande des habitants».
Après l’article duMaghreb,une manifestation a été organisée pour nier l’existence d’un émirat et rappeler le problème de l’emploi. Des vidéos ont été mises en ligne pour présenter la version des salafistes. Abdessatar ben Moussa, le président de la LTDH, prépare un rapport qu’il remettra au gouvernement. Il y écrira qu’«il n’y a pas d’émirat à Sejnane. Mais les salafistes y font la loi, tout le monde le reconnaît. Le problème, c’est que cela se passe avec l’assentiment d’une partie des habitants».
Source : « Liberation » Le 14-01-2012
Tunisie: Samir Tarhouni, «C’est le ciel qui m’a envoyé pour débarrasser le pays de ces corrompus»
En Tunisie, les bavures et les actes de banditisme auraient, semble-t-il, tué et blessé plus de Tunisiens après le 14 janvier qu’avant la chute du dictateur. Entre 70 et 100 décès et 700 blessés avant le 14 dont le nombre s’est élevé à 323 décès dont 89 prisonniers et près de 2.000 blessés dans les deux mois qui ont suivi le départ de l’ancien président, d’après des sources dignes de foi. Beaucoup auraient été tués dans une atmosphère de terreur sciemment orchestrée au plus haut sommet de l’Etat.
Les premières victimes sont tombées à Sidi Bouzid, Regueb, Thala et Kasserine, et celles-ci étaient du fait des forces de maintien de l’ordre. «C’était la panique, les agents de l’ordre étaient épuisés, mal nourris, entassés dans des camions de police en position d’alerte, nuit et jour; ils avaient les nerfs à fleur de peau et réagissaient au quart de tour. La foule en colère les effrayaient à tel point qu’ils ont fini par tirer à balles réelles pour se protéger alors qu’eux-mêmes étaient terrorisés», déclare un officier des forces de l’Ordre.
«Rien ne justifie de tuer des civils», rétorque, d’un autre côté, Taoufik Bouderbala, président de la Commission d’enquête et d’investigation.
Qui a fait quoi?
Les snipers? Ils n’ont jamais existé, assure Colonel Samir Tarhouni, chef des Brigades antiterroristes (BAT). «Tous ceux vus sur les toits font partie de laBAT et ont été mis sciemment pour surveiller les rues au centre-ville après que nous ayons reçu des informations sur des armes dérobées dans plusieurs postes de police à Tunis et dans d’autres gouvernorats. Le rôle de ces officiers était de réagir à toute menace et protéger la foule des tireurs anarchiques».
La Brigade antiterroriste, à sa tête le colonel Samir Tarhouni, avait en fait pris de cours tout le monde en prenant sur elle d’arrêter la famille Trabelsi à l’aéroport Tunis-Carthage. Les Tunisiens qui avaient subi une telle oppression sous Ben Ali à tel point que personne n’osait bouger le petit doigt de peur des représailles, ne sont pas à ce jour convaincus du rôle joué par colonel Tarhouni dans le possible retournement d’une situation dédiée au début à un coup d’Etat institutionnel (voir article plus loin). En fait, un concours de circonstances a fait que le renversement du régime s’est fait de manière presque improvisée et ses actes principaux ont été joués entre l’aéroport Tunis-Carthage et le Palais présidentiel. Ses protagonistes sont le colonel Tarhouni et le colonel Sami Sikh Salem.
«Le fait que mes officiers chargés d’assurer la protection du ministère de l’Intérieur m’avaient prévenu qu’ils avaient reçu l’ordre de se préparer à tirer sur les foules (ordre de la part du directeur général des troupes d’intervention rapide, balles au canon…) m’a rendu complètement furieux. Nous allions continuer à assassiner nos propres concitoyens alors que nous avons été formés pour les protéger? Je leur ai ordonné de n’user que des bombes lacrymogènes en cas de grande nécessité et de ne tirer sur aucun compatriote. Nous sommes tous des Tunisiens, jaloux de la sérénité de notre pays et sensibles à ses malheurs. Il ne faut surtout pas imaginer que nous faisons bande à part», a expliqué le colonel Tarhouni.
Alors que tout le monde était en état d’alerte, attendant la suite des évènements, Samir Tarhouni, qui avait entendu dire que le niveau de protection de l’aéroport Tunis-Carthage était affaibli, appela alors l’un des officiers sur place qui l’informe que les Trabelsi sont sur le point de quitter le pays en direction de Lyon en France. Ce dernier, monté à bloc par rapport à ce qui se passait dans le pays, a pris la décision de se déplacer illico presto à l’aéroport: «Je n’ai reçu aucun ordre de qui que ce soit et je savais que je risquais ma vie mais j’étais décidé à faire le nécessaire pour mon pays, nous ne pouvions supporter plus longtemps cette situation et la mainmise des Trabelsi que je ne connais d’ailleurs ni d’Eve ni d’Adam, contrairement à ce qui s’est dit ensuite».
Pendant des décennies, Zine El Abidine Ben Ali s’est évertué à enlever aux Tunisiens toute dimension citoyenne et tout esprit d’initiative. Samir Tarhouni a décidé, dans la logique du ras-le-bol général engendré par la vague d’oppression et d’asservissement non seulement du peuple mais même des institutions de l’Etat y compris la police, de dire non. Why not?
Pourquoi croit-on aux héros, partout dans le monde et refusons-nous l’idée d’en avoir parmi nous? Pourquoi sommes-nous arrivés à cette situation de mésestime de nous-mêmes à tel point qu’un acte hautement patriotique est renié à celui qui l’a fait et qui mérite qu’on en soit au moins reconnaissant?
En se rendant à l’aéroport vers 14h30 en ce vendredi 14 janvier, le colonel Tarhouni accompagné de ses 11 officiers de la BAT, ne savait pas comment il allait procéder sur place, ce dont il était sûr toutefois était qu’il fallait qu’il arrête ceux par qui tous les malheurs sont arrivés et surtout qu’il fallait éviter tout affrontement qui pouvait être meurtrier avec ses homologues des autres brigades. «Même si connaissant les autres officiers, leur intégrité et leur amour pour le pays, j’étais un peu rassuré. Ma seule angoisse était d’échouer après avoir entraîné avec moi mes subalternes qui m’ont suivi à l’aveugle et ma famille».
Des ordres venus d’en haut…
Sur place à l’aéroport, il s’est déplacé dans le bus qui transportait les Trabelsi sans savoir que c’étaient eux. «Je pensais qu’ils partaient en Jet privé, hors ils partaient sur un vol régulier. J’avais auparavant prié ma femme qui travaillait dans la tour de contrôle de retarder le départ du vol, elle était inquiète et angoissée. “Tu as reçu des ordres?“, m’a-t-elle demandé. Pour la rassurer, je lui ai répondu “oui“. Mais ce qui m’avait le plus amusé dans ce déplacement à travers les pistes de l’aéroport, c’était le chauffeur du bus. Un premier terrorisé n’arrivait plus à conduire, notre vue en tenue de combat (ninja) l’avait complètement tétanisé; un autre d’un certain âge, tous sourires confondus, s’était montré volontaire et c’est lui qui nous a mené à bon port après qu’on m’a informé que les passagers à bord du bus étaient les Trabelsi».
Samir Tarhouni était persuadé que s’il arrêtait les Trabelsi, cela œuvrerait à calmer les esprits et stopper les actes de vandalisme et de violence qui sévissaient tout au long de la période allant de décembre au mois de janvier.
Dans l’intervalle, le général Ali Seriati, qui avait contacté l’aéroport, s’est vu répondre par le colonel Tarhouni au lieu du commissaire de l’aéroport, Zouheir El Bayati. Il a par conséquent prié l’un de ses seconds, Ilyes Zellag, de contacter Samir Tarhouni pour voir ce qu’il en était. C’est alors que ce dernier lui a dit textuellement: «Rejoins-moi tout de suite à l’aéroport si tu es un homme…». Et c’est apparemment ce qui aurait mis la puce à l’oreille du général Seriati qui a commencé à douter sérieusement qu’il y avait complot et en a informé le président.
En fait, s’il y a eu complot, ça n’était certainement pas l’arrestation des Trabelsi à l’aéroport, laquelle arrestation était totalement improvisée.
Informé de l’arrestation des Trabelsi par les membres de la BAT, le commissaire Zouheir El Bayati s’est adressé au colonel Tarhouni: “Qui vous a ordonnés de procéder à cette arrestation?“, “Des ordres d’en haut“, fut la réponse. Et sur l’insistance de ce dernier, la réponse ultime de Samir Tarhouni a été: «C’est Dieu qui m’a envoyé, je t’ai dit que les ordres sont venus “d’en haut“. Wallahi personne ne partira de cette famille».
Dans l’intervalle, ils ont entendu des hélicoptères de l’armée nationale atterrir à l’aéroport alors que le directeur général des forces d’intervention rapides arrivait, et de nouveau une discussion a eu lieu entre Samir Tarhouni et Jalel Boudriga:
– «De qui as-tu reçu l’ordre Samir?»
– «De personne, je suis venu seul et j’ai décidé seul, ces gens-là ont été la cause de la dévastation du pays, de Ben Guerdane à Bizerte, je ne les lâcherai pas»
– «Tu veux alors causer ma mort aussi»
– «Monsieur le directeur, ce que je veux avec mes hommes, c’est éviter au pays un bain de sang…»
– «Dans ce cas, obéis à mes ordres et lâche-les»
– «Vous êtes mon supérieur et je vous respecte. Aujourd’hui, je suis au service du drapeau tunisien et ils ne partiront pas».
Et effectivement, c’est à un colonel de l’armée que furent délivrés les 28 membres de la famille Trabelsi qui les a pris à bord d’un bus à la base de l’Aouina.
Pour Tarhouni, lequel avait entendu le discours de Mohamed Ghannouchi à la télévision annonçant sa prise de fonctions de président selon l’article 56, il était temps de reprendre son rôle d’officier après avoir montré au peuple tunisien que les forces de l’ordre pouvaient le soutenir et le protéger mais aussi le débarrasser de ses bourreaux.
Si Ben Ali était resté, il aurait fort bien pu, en les prenant pour otages, l’obliger à quitter le pouvoir. En tout cas, c’est ce qu’il comptait faire dans le cas où l’ancien président ne serait pas parti.
A suivre
Source: «WMC» Le 14-01-2012