12 janvier 2009

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TUNISNEWS

8 ème année, N° 3156 du 12.01.2009

 archives : www.tunisnews.net  


Albadil Express: Le soulèvement des habitants du bassin minier : un premier bilan Le Monde Diplomatique: Tunisie : jugements iniques à Gafsa AFP: Djerba: pas d’atteinte à la présomption d’innocence de la part de Sarkozy (cour d’assises) Mezri Haddad: Gaza : la trahison des clercs Sami Ben Abdallah: Mezri Haddad sur LCI mardi 13 janvier 2009 à 17h Bernard-Henri Lévy: Libérer les Palestiniens du Hamas Alain Gresh: Libérer les Palestiniens des mensonges de Bernard-Henri Lévy AFP: Turquie/affaire « Ergenekon »: découverte d’une nouvelle cache d’armes


Liste actualisée des signataires de l’initiative du Droit de Retour : http://www.manfiyoun.net/fr/listfr.html Celles et Ceux qui veulent signer cet appel sont invités à envoyer leur: Nom, Pays de résidence et Année de sortie de la Tunisie sur le mél de l’initiative : manfiyoun@gmail.com

Le soulèvement des habitants du bassin minier : un premier bilan

 
Demain, 13 janvier 2009, se tiendra à Gafsa le procès en appel des leaders et animateurs du mouvement du bassin minier. Le 11 décembre 2008, la chambre criminelle du tribunal de première instance de Gafsa a prononcé de lourdes peines à l’encontre de Adnane Hajji et ses camarades. 33 des 38 accusés ont été condamnés à des peines allant jusqu’à 10 ans et un mois de prison pour 7 d’entre eux. Lors de cette mascarade judiciaire, le tribunal a rendu son verdict sans interroger les accusés et sans permettre à la défense de plaider. A la veille du procès en appel et à l’occasion du premier anniversaire du soulèvement du bassin minier (5 janvier 2008), nous publions une traduction de l’arabe d’un texte paru en plein mouvement dans le numéro de mai 2008 de notre revue « Le communiste ». Ce texte établit un bilan du mouvement, il a été rédigé par notre camarade Ammar Amroussia, de la région de Gafsa, qui a suivi de près le mouvement du bassin minier.
 
par Ammar Amroussia Traduction de l’arabe Une grande vague de protestations populaires secoue, depuis le 5 janvier 2008, la région de Gafsa (sud-ouest de la Tunisie) et plus particulièrement les villes du bassin minier. La contestation a commencé suite à l’annonce des résultats d’un concours de recrutement organisé par la Compagnie des phosphates de Gafsa (CPG dans la suite du texte), principal employeur de la région. Ces résultats ont été jugés, par la population, « décevants », en effet le nombre de candidats admis était réduit et ne répondait pas à ses attentes. En plus, les critères adoptés dans le choix de ces candidats n’étaient pas objectifs ; favoritisme, loyauté au pouvoir et « bakchich » ont prévalu face à la compétence. La contestation a éclaté d’abord à Redeyef, elle a gagné ensuite les autres villes minières, en particulier M’dhilla et Moularès. Ainsi, l’ensemble de la région de Gafsa a été secoué par un soulèvement social sans précédent, considéré par les observateurs comme le plus important en Tunisie durant les deux décennies de pouvoir de Ben Ali, voire depuis la « révolte du pain » de 1984. Il est donc évident qu’un tel événement doit être analysé pour en tirer quelques leçons, même si le mouvement est encore en cours. Un premier bilan pourrait contribuer à ce qu’il tienne plus longtemps face à la dictature et à arracher des acquis qui serviraient de stimulant pour tout le mouvement populaire. Ainsi nous allons suivre à travers cet article l’évolution des événements en cherchant les causes et en analysant les mots d’ordre et les formes de lutte inventées par les masses populaires dans leur confrontation avec l’appareil répressif du régime de Ben Ali.
1. Les causes profondes du soulèvement :
Les résultats du concours de recrutement à la CPG publiés le 5 janvier 2008 n’ont en fait constitué que la goutte qui a fait déborder le vase. La réaction des habitants n’aurait pas pu être aussi forte et profonde si la région ne vivait pas depuis longtemps dans une misère profonde. Tout y prédisait une grande explosion, les signes annonciateurs se sont multipliés. En septembre 2007 nous avions déjà écrit, suite à la répression du rassemblement organisé par « le comité régional des diplômés enchômagés » et au cours duquel la militante Afef Ben Naceur a été sauvagement agressée par la police politique : « attendez-vous prochainement à une grande surprise ». Depuis l’époque coloniale, et jusqu’à nos jours, la production de phosphate reste le pilier central de l’activité économique dans la région de Gafsa, ce qui rendait la vie de villes entières (Redeyef, Metlaoui, Moularès et M’dhilla) entièrement dépendante de ce minerai qui assurait aux habitants une certaine sécurité. Les choses ont continué ainsi jusqu’au terme de l’époque coloniale (1956) et même jusqu’aux années 70 du siècle dernier. Mais « la vache à traire », c’est-à-dire la CPG, a commencé à avoir des difficultés dues surtout à une mauvaise gestion. En 1986, elle a été incluse dans le programme de restructuration des entreprises publiques imposé par le FMI et la BM dans le cadre du « Programme d’ajustement structurel » (PAS). Cette restructuration n’a tenu compte que des taux de profits à réaliser ou à préserver. Elle a donc été réalisée aux dépens de la force de travail. Ainsi le nombre des ouvriers de la CPG a baissé de 14000 dans les années 80 à environ 5300 en 2007 (en 2006 ce chiffre était de 5853 employés dont 492 cadres). La société a eu recours à la mécanisation pour comprimer la main d’œuvre, elle a également augmenté le nombre d’heures supplémentaires pour éviter de nouveaux recrutements. Le coût de ces heures s’est élevé durant ces dernières années à environ 5 millions de dinars (1$ = 1,200dT). Quant à l’Etat, qui n’a cessé de se décharger de son rôle social et de se transformer en un simple « gendarme » soumettant les travailleurs à une exploitation féroce au profit d’une nouvelle poignée de mafieux et de corrompus locaux et étrangers, il n’a rien prévu pour subvenir aux besoins des habitants de la région dont le tissu économique est resté inchangé. Les investissements ont continué à s’orienter particulièrement vers les régions côtières aussi bien pour des raisons économiques (la recherche de profits) que pour des raisons politiques (préservation d’une clientèle politique), ce qui a accentué le régionalisme, caractéristique essentielle du régime « destourien » depuis son avènement en 1956. Ainsi les villes du bassin minier, comptant une population de dizaines de milliers d’habitants, ont sombré dans l’oubli et se sont trouvées marginalisées et confrontées à une situation difficile. Leur richesse en phosphate continue à être pillée. Avec l’installation des « laveries », la CPG a mis la main sur une grande partie des ressources en eau potable dans la région. Et le plus grave est que l’eau polluée utilisée pour le lavage a affecté les nappes phréatiques saines si bien que les habitants de Redeyef, par exemple, se sont trouvés obligés d’acheter de l’eau potable en provenance d’autres régions (1 dinar les 20 litres). Cette situation a entrainé l’aggravation du chômage dont le taux est devenu alarmant, surtout chez les diplômés de l’enseignement supérieur. Le taux de chômage dans la région s’élève au double et parfois au triple du taux national officiellement évalué à 14 ou 15% de la population active. Par ailleurs, les services publics, tels que l’éducation, la santé, l’habitat et le transport se sont dégradés suite à leur privatisation et à l’augmentation de leurs coûts. Les masses populaires ne peuvent plus assumer les frais de scolarité de leurs enfants, notamment ceux qui doivent s’inscrire à l’université, les frais des soins et des médicaments, les frais de transport ou d’habitat. De surcroît, les prix des matières de base n’ont cessé de flamber de par le monde. L’augmentation a touché les produits de première nécessité tels que les produits alimentaires, les vêtements et les carburants. Vu le bas niveau des salaires qui ne suivent pas le rythme de l’inflation galopante ainsi que la faiblesse des revenus des petits propriétaires, commerçants et artisans, ainsi que l’absence de tout revenu pour les chômeurs dont le nombre ne cesse d’augmenter, la région de Gafsa s’est transformée en un espace immense de pauvreté, de précarité et de marginalisation sociale. Bien entendu, à cette détérioration des conditions sociales de la majorité des habitants de la région, correspond l’accroissement de la richesse de certaines couches, en l’occurrence les hauts cadres de la CPG, des responsables régionaux, des affairistes proches du pouvoir, etc. Il faut signaler que les recettes des exportations de la CPG, et par conséquent de l’Etat, en produits phosphatiques ont connu une croissance importante suite à l’augmentation de leur prix sur le marché mondial. Les recettes sont passées de 858 millions de dinars (715 millions de dollars) en 2005 à 1261 millions de dinars en 2007 et elles atteindront probablement 2,2 à 2,4 milliards de dinars en 2008. Parmi ceux qui ont profité de la situation, on peut citer le secrétaire général de l’Union régionale de l’UGTT (Union Générale Tunisienne du Travail, l’unique centrale syndicale en Tunisie), Amara Abbassi, qui est aussi membre du Comité central du parti au pouvoir et membre du Parlement. A part le « bakchich » qu’il reçoit, en contrepartie de son rôle de « sapeur-pompier » des luttes des travailleurs, il a monté une société de sous-traitance de main d’œuvre qui lui a permis d’amasser une fortune aux dépens des pauvres intérimaires qu’il exploite d’une manière inouïe bien qu’il soit dirigeant d’un syndicat qui déclare s’opposer aux formes d’emploi précaires ! Abbassi jouit aussi bien du soutien des autorités régionales que de celui de la « bureaucratie » à la tête de l’UGTT formée en majorité d’éléments corrompus. Il est bien clair aussi que les habitants de Gafsa, tout comme l’ensemble des Tunisiens, qui suivent les chaines de télévision satellitaires ou qui ont des enfants instruits et intéressés par « la chose publique », sont, à des degrés différents, informés de l’aggravation du phénomène de la corruption dans le pays. Une poignée de familles (celles de Ben Ali, de ses gendres, de ses proches et de ses amis…) accumulent des fortunes colossales. Elles ont mis la main sur les principaux secteurs de l’économie, profitant de la campagne de privatisation. Les banques sont à leur service leur pourvoyant d’importants et multiples crédits sans garanties. C’est ainsi que les « créances douteuses » représentent près du tiers des crédits octroyés ! Certains membres de ces familles se sont spécialisés dans les « interventions » auprès de l’Administration pour le compte de ceux qui sont prêts à leur verser des pots-de-vin importants. Nul ne leur échappe, même les concours d’embauche dans la fonction publique dont les résultats sont connus d’avance et où il faut payer pour espérer réussir ! Les citoyens peuvent ainsi constater la gravité de la situation qui condamne les pauvres à voir leurs conditions se dégrader de plus en plus tandis qu’une minorité liée au « trône » s’enrichit sans cesse. Tous ces facteurs réunis ont créé un état de malaise généralisé dans tout le pays et qui prend dans les régions les plus défavorisées, dont celle du bassin minier de Gafsa, une dimension de colère latente qui n’attend que l’occasion de surgir. En effet, bien avant la publication des résultats du concours de la CPG, la région de Gafsa a connu plusieurs mouvements menés soit par des diplômés enchômagés qui se sont organisés, à l’instar de ceux de plusieurs régions de la Tunisie, en « Comité régional des diplômés enchômagés », soit par des paysans, travailleurs licenciés ou autres habitants des quartiers populaires, pour exprimer leur indignation face à l’oppression et à l’injustice qu’ils endurent. Puis, sont arrivés les résultats du concours qui ont constitué « la goutte qui a fait déborder le vase ». Ainsi ont été déclenchés les émeutes, les manifestations et les « sit-in » des habitants du bassin minier.
2. Un mouvement populaire :
Ce mouvement a eu, dès son début, un caractère populaire large, ce qui l’a transformé en un soulèvement populaire proprement dit et ce malgré son aspect régional plus ou moins circonscrit. Toutes les catégories populaires ont adhéré à ce mouvement : ouvriers, chômeurs, fonctionnaires, commerçants, artisans, élèves, etc. Ceux qui y participent appartiennent à différentes générations, il y a des enfants, des jeunes, des adultes, des personnes âgées. Les femmes, même celles au foyer, ont pris part à la protestation et ont souvent joué un rôle d’avant-garde. Les divisions tribales, restées présentes dans la région et continuellement instrumentalisées par le pouvoir, ont disparu dans ce mouvement pour céder la place à l’appartenance sociale, de classe. Les habitants ont compris qu’ils vivent dans la même situation de misère, qu’ils partagent le même sort : le chômage, la marginalisation, la pauvreté, la dégradation du pouvoir d’achat et, en général, la détérioration de leurs conditions de vie. Ce sentiment s’est confirmé au fil des jours à travers les discussions, les affrontements avec les forces de la police, l’entraide et la solidarité, etc. Il est difficile aujourd’hui de faire marche arrière, surtout dans la ville de Redeyef, d’autant plus que le mouvement continue à être encadré et est susceptible d’évoluer. Caractérisé par sa continuité, ce soulèvement vient de dépasser son quatrième mois. Il se poursuit encore, notamment à Redeyef qui en représente l’axe même, grâce à la présence d’un noyau dirigeant, de responsables syndicaux et de militants politiques de gauche. Notre pays n’a guère connu depuis l’« indépendance » (1956) un mouvement social qui se soit prolongé dans le temps de cette manière. Outre la présence de militants aguerris à sa tête, les facteurs objectifs ont eu un rôle important dans la longévité de ce mouvement. Ces facteurs, déjà évoqués, ont fait que les habitants n’ont rien à perdre, sinon leur misère et leurs chaines. Toutes les portes de l’espoir leur sont fermées et ils ont ainsi perdu toute confiance dans le régime en place. Parmi les facteurs qui ont favorisé la continuité du mouvement, la réaction du pouvoir. Celui-ci n’a pu apporter de solution aux problèmes auxquels est confrontée la région, ni réussi à satisfaire les revendications directes des populations et à tenir ses promesses, même celles annoncées avec pompe sous forme de « mesures présidentielles » en faveur de certaines catégories sociales à Moularès en particulier. Ce qui a encore attisé la colère des contestataires. Pis encore, le pouvoir a eu recours, dès le début du mouvement, à la répression : au début du mois d’avril, puis au début du mois de mai, la répression a pris un caractère encore plus violent et plus large à Redeyef et Moularès notamment, mais cette répression n’a pas réussi à éteindre ni à étouffer le mouvement, au contraire, elle l’a radicalisé. Le pouvoir s’est ainsi retrouvé dans l’obligation de libérer les dirigeants et activistes arrêtés quelques jours auparavant. Ces derniers ont été accueillis par des dizaines de milliers de gens, en leaders populaires et en héros. Il est certain que le pouvoir, surpris par l’ampleur du mouvement, a été ébranlé par son unité, sa combativité et l’esprit de solidarité qui anime ceux qui y participent. C’est pourquoi il a joué au début sur le facteur du temps en pensant qu’il pouvait atténuer le mouvement et le contraindre à l’effritement, car il craignait de faire des concessions qui stimuleraient la revendication et l’étendraient à d’autres régions du pays. Il craignait également que la répression ne confère au mouvement une dimension aussi bien nationale qu’internationale, de telle sorte qu’elle mette à nu la propagande démagogique du régime axée sur le soit disant « miracle économique tunisien » et « les réalisations grandioses réalisées sous la direction clairvoyante du président Ben Ali ». En effet, ce qui se passe au bassin minier est un démenti cinglant de toute cette propagande. S’il y a « miracle », c’est bien pour les riches, locaux et étrangers, qui ont vu leurs fortunes s’accroitre d’une manière vertigineuse, et non pour le peuple qui subit une oppression économique et sociale des plus dures. D’autre part, un peu plus d’une année seulement sépare le régime de Ben Ali des « élections » de 2009 ; déjà une campagne a été amorcée pour « solliciter » Ben Ali à se porter candidat pour un cinquième mandat, synonyme de présidence à vie, afin qu’il poursuive « ses réalisations » et mette en œuvre la suite de son programme « pour garantir à la Tunisie un avenir radieux ». Bien entendu, l’explosion de la situation dans les villes du bassin minier complique la tâche du pouvoir, c’est pourquoi il s’est évertué à isoler le mouvement en profitant de la faiblesse de l’opposition politique et de la complicité de la bureaucratie syndicale. Cette dernière est allée jusqu’à sanctionner certains syndicalistes (suspension de Adnane Hajji de toute activité syndicale au sein de l’UGTT pendant 5 ans). Mais tout cela n’a pas empêché le mouvement de poursuivre son chemin, de faire échouer toute tentative pour l’isoler et d’acquérir de la sympathie à travers des moyens d’information indépendants, tels que la chaine de télévision satellitaire « Al-Hiwar Attounoussi » (Dialogue tunisien) qui émet depuis l’étranger, le journal électronique « Al-Badil » (l’Alternative) animé par le parti communiste des ouvriers de Tunisie (PCOT dans la suite du texte), les journaux de l’opposition légale (Al-Mawkif, Mouatinoun, Attarik Al-Jadid…) et la presse clandestine, notamment « Sawt Echâab » (La voix du peuple) organe central du PCOT, et aussi à travers les actions de solidarité organisées à l’intérieur du pays par le « comité national de soutien aux habitants du Bassin minier » et à l’extérieur par les partis et associations démocratiques aussi bien tunisiens qu’étrangers.
3. Des formes de lutte variées et audacieuses :
La répression était toujours de mise pour interdire les manifestations de rue, les réunions dans les locaux des partis et associations reconnus et dans les universités. Cette stratégie sécuritaire s’est avérée « efficace » pour le pouvoir puisqu’elle a réduit la contestation à une sphère limitée en l’empêchant de se développer et de s’élargir. Les actions de contestation sont parues, dans cette atmosphère, comme des actions isolées dans un « océan de paix sociale », imposée en réalité par la terreur policière, et que le régime de Ben Ali s’est mis à vanter aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays comme étant une preuve de la « réussite de ses choix » et de « l’union du peuple autour de lui ». Cependant, ce qui se passe au bassin minier de la région de Gafsa est de toute autre nature. Les forces de l’ordre ont été incapables de réaliser ce qu’elles accomplissaient aisément par le passé, en réprimant une contestation isolée et réduite à des minorités, ne serait-ce que parce que le mouvement est réellement populaire et que tous ceux et celles qui y ont participé sont déterminés à résister et à continuer leur lutte jusqu’au bout car ils n’ont plus rien à perdre, à part leurs chaines. C’est pourquoi les forces de l’ordre qui sont intervenues violemment au début du mois d’avril 2008 puis au début du mois de mai ont vite perdu du terrain face à la détermination des habitants. Ce que les autorités pouvaient interdire habituellement aux partis et associations même légaux, aussi bien dans leurs sièges que dans les espaces publics, les contestataires l’ont fait au bassin minier à leur guise et sans aucune autorisation de la police. Ainsi, les marches traversaient les rues jour et nuit, les réunions ont lieu dans les espaces publics et les tracts et les bulletins politiques sont distribués en plein jour sous les regards de la police qui se contente de surveiller sans intervenir. Les habitants ont créé un rapport de force, sur le terrain, en leur faveur qui leur a permis de jouir de leurs droits de réunion, de manifestation, d’expression, etc. Les forces de l’ordre n’ont qu’une seule solution pour arrêter le mouvement, c’est la prise pure et simple des villes du bassin minier et le décret de l’état de siège et du couvre feu pour empêcher toute activité (c’est ce qui se produira en effet, plus tard au début du mois de juin – note du traducteur).
4. Un soulèvement spontané mais…
Il est certain que ce soulèvement a été marqué par sa spontanéité. Ce caractère s’est clairement révélé au départ du mouvement et l’a accompagné au cours des premières semaines. On entend par spontanéité l’absence de direction politique qui organise le mouvement, le dote d’une plateforme de revendications, le dirige sur le terrain et lui fait éviter les débordements et les provocations des agents du pouvoir. Mais cette carence a été dépassée au fil des jours, principalement dans la ville de Redeyef, alors qu’elle marque encore, à des degrés divers, le mouvement dans les autres villes. A Redeyef, la prise de conscience s’est traduite par l’élaboration d’une liste de revendications et d’un plan d’action qui tient compte de l’état des rapports de force et surtout de l’état d’esprit des masses de telle sorte qu’elles soient elles-mêmes convaincues de ce qu’elles font et de ce qu’elles ont à faire encore. L’existence d’un noyau de militants syndicalistes et politiques de gauche a joué et joue encore un rôle déterminant dans la prise de conscience du mouvement et dans son organisation. En réalité, la ville de Redeyef a fait dès le début exception dans le bassin minier. Les difficultés apparues au début du mouvement ont été très vite aplanies, ce qui a permis de dépasser les chefs de tribus et les responsables locaux et régionaux qui sont à l’origine de ces difficultés visant à diviser le mouvement, semer le doute en son sein et discréditer ses dirigeants. « Le comité de négociation », dont les membres ont été désignés par des assemblées syndicales, ainsi que sa ceinture large composée de syndicalistes de tous les secteurs et de militants politiques démocrates et progressistes, ont montré beaucoup de maturité et de sagesse dans l’encadrement et l’orientation du mouvement. Ce que l’on a même nommé « la deuxième trêve » (la suspension des marches, des manifestations et des grèves pendant 15 jours pour créer, à la demande des autorités, un climat propice aux négociations) a tellement renforcé le mouvement en lui permettant de reprendre son souffle et de se réorganiser, que personne ne doute de la capacité de ses dirigeants à gérer les situations difficiles, déjouer les manœuvres du pouvoir et éviter l’avortement du mouvement. Il a confirmé la conviction que ces dirigeants représentent les véritables chefs et les vrais porte-parole des habitants. Sur un autre plan, il importe de remarquer l’évolution de la conscience des masses et des éléments actifs parmi elles. La lutte éduque ceux qui y participent et développe leur conscience beaucoup plus rapidement que les discours. En effet, les masses populaires qui ont adhéré au mouvement se sont trouvées directement impliquées dans « les affaires publiques ». Elles débattent leurs problèmes et leurs préoccupations, elles débattent également la situation générale dans le pays, s’échangent les informations et lancent des critiques acerbes au régime de Ben Ali… elles découvrent par la pratique le caractère despotique et dictatorial de ce régime et le fait qu’il soit au service des riches et qu’il n’ait rien à voir avec leurs intérêts et leurs aspirations. Elles découvrent aussi leur propre force et par conséquent leur capacité à résister et à s’imposer. Les symboles du pouvoir dans la région, tels que le maire, la police, la garde nationale, les structures du parti au pouvoir (comité de coordination, cellules territoriales et professionnelles…), se sont effondrés face à leur volonté. En un mot, discuter politique à Redeyef n’est plus ni « interdit » ni « dangereux » ni limité à une poignée de « têtes brulées » ! C’est plutôt devenu une pratique ordinaire, un droit que tout le monde exerce sans peur et sans attendre l’autorisation de quiconque. En fait, tout le monde critique le maire et le gouverneur et Ben Ali même, en évoquant surtout l’enrichissement extrême de ses gendres ainsi que des membres de sa famille et de ses proches en général. Plus près de Redeyef, à Moularès précisément, une tente installée par les diplômés-enchômagés a abrité un groupe de jeunes. Leur expérience au cours de leurs études à l’université d’une part et l’ouverture sur leur entourage politique et syndical d’autre part, les ont aidés à élaborer rapidement leurs revendications spécifiques qu’ils ont su intégrer dans une perspective politique plus large. Cette expérience les a préparés progressivement à se transformer en un noyau important dans le mouvement, exerçant surtout une influence considérable auprès des intellectuels. Néanmoins, ce noyau n’a pu se transformer en une direction du mouvement tout entier. En effet, il n’a pu bénéficier du même soutien syndical et politique que le mouvement à Redeyef. Malgré tous ces éléments positifs, il faut reconnaitre que ce soulèvement populaire est resté marqué par sa spontanéité et par l’absence d’une vision politique globale qui l’oriente. Le pouvoir a essayé à plusieurs reprises d’exploiter cette faille pour faire éclater le mouvement de l’intérieur. Tantôt, il a répandu des rumeurs selon lesquelles le « président Ben Ali » allait intervenir pour « résoudre tous les problèmes et satisfaire toutes les revendications » ; Il fallait donc cesser le mouvement pour montrer « sa bonne foi ». Tantôt, il a propagé des mensonges aux dépens des dirigeants du mouvement dans telle ou telle autre ville pour empêcher le développement d’une solidarité entre les différents centres du mouvement et les isoler les uns des autres. Certes plusieurs facteurs, d’ordre plus général, ont contribué et contribuent encore à empêcher le mouvement de s’unir au niveau régional et de s’étendre à tout le pays et mobiliser toutes les classes et couches populaires. Pourtant, les revendications des habitants du bassin minier les intéressent toutes, étant donné qu’elles subissent les mêmes injustices.
5. Faiblesse de l’opposition politique :
L’un des premiers facteurs de faiblesse de l’opposition politique réside dans les séquelles qu’elle traîne encore des « années de plomb ». Mais au lieu de profiter de ce soulèvement pour élargir sa base sociale, en faisant siennes les revendications des masses populaires, la majorité de cette opposition n’a pas manifesté l’intérêt qu’il faut pour un mouvement aussi important. Plus le mouvement progresse, plus se creuse l’écart la séparant des masses populaires. Même l’élan médiatique qui a accompagné le mouvement à ses débuts a régressé plus tard. Les chefs politiques, surtout ceux des partis légaux, qui peuvent accéder plus facilement à la région ne se sont pas souvent déplacés sur place pour essayer de mobiliser les gens aux côtés du mouvement. Même leurs visites n’ont pas été suivies d’activités médiatiques et politiques qui auraient pu contribuer à la levée du siège, imposé aux populations contestataires, et donner à leur mouvement la dimension nationale dont elles avaient besoin. On ne peut expliquer cette situation par le simple fait que « l’opposition est encore affaiblie » car, comme on l’a déjà dit, les partis intéressés auraient pu exploiter ce mouvement pour surmonter leurs faiblesses, mais des obstacles d’ordres idéologique et politique se sont élevés pour les empêcher d’atteindre ce but. En effet, ces partis ne disposent pas de solutions réelles à proposer aux populations de la région et au peuple tunisien en général. Et même s’ils s’opposent au despotisme et sont pour une libéralisation politique, ils sont souvent des adeptes de l’économie capitaliste libérale avec tout ce qu’elle implique comme privatisation et désengagement de l’Etat. Ils acceptent également la présence ou plutôt la domination du capital étranger dans le pays sous prétexte d’encourager les investissements extérieurs, car ils les considèrent comme un facteur de développement et non de freinage, de pillage et de destruction de l’économie tunisienne et de renforcement de sa dépendance. Par conséquent, un soulèvement comme celui du bassin minier contredit le discours de tous ces partis libéraux sur les prétendus avantages de l’économie de marché. Ils se sont ainsi trouvés dans l’embarras, incapables de faire une critique profonde des choix économiques et sociaux du régime de Ben Ali. Dans le meilleur des cas, ils se bornent à une critique partielle des effets et non des causes de ces effets. Certaines forces qui prétendent être de gauche, « progressistes », continuent à observer le mouvement de loin, soit parce qu’elles n’ont rien à lui offrir en se limitant à « l’expression de leur solidarité » comme si les évènements se déroulaient dans « un pays voisin » et non dans le nôtre, soit par esprit sectaire, considérant qu’un soutien actif au mouvement profiterait à tel ou tel parti (le PCOT par exemple), soit purement et simplement parce qu’elles s’opposent au soulèvement de crainte d’altérer leurs relations avec le pouvoir et la bureaucratie syndicale et aussi parce que la « révolte du bassin minier » dément clairement leur phraséologie autour du « recul du mouvement populaire» utilisée pour justifier leur défaitisme. Quant aux islamistes, ils sont absents, ils n’arrivent pas à se remettre de la dure répression qu’ils ont subie durant ces deux dernières décennies, ils se sont limités à publier, seuls ou avec d’autres forces politiques dans le cadre du « collectif du 18 octobre pour les droits et les libertés », des communiqués de solidarité avec les habitants du bassin minier. L’aile « salafiste » (ou « jihadiste ») de ce courant, qui fait face elle aussi à une campagne de répression au nom de la « participation aux efforts internationaux pour la lutte contre le terrorisme », ne s’est pas sentie concernée par ce genre de mouvement social dont l’esprit, les revendications et les mots d’ordre sont loin d’être religieux. Enfin, quant aux véritables forces démocratiques et progressistes, y compris notre parti, le Parti communiste des ouvriers de Tunisie, elles ont pris conscience de l’extrême importance du mouvement du bassin minier. Elles lui ont apporté et lui apportent encore un soutien concret, soit directement, avec la participation de leurs militants, soit indirectement, en informant et mobilisant les travailleurs et les jeunes desautres régions afin de dénoncer la répression sauvage qui s’abat sur les masses populaires du bassin minier et appuyer leurs revendications légitimes. Néanmoins, ces forces ont buté, il faut le reconnaitre, sur les limites de leur implantation dans la région, bien qu’elles occupent une position meilleure que celle des forces libérales, réformistes ou islamistes. Et même si cette position leur a permis d’avoir, selon les villes, une influence sur le mouvement, elles n’ont pas pu ou plutôt, elles n’ont pas eu les forces nécessaires pour unifier le mouvement dans les différentes villes du bassin minier ou des autres régions. Cependant, avec le travail qu’elles font et le crédit qu’elles ont gagné auprès des masses populaires, elles sont capables d’accumuler de nouvelles forces et de vaincre leurs points faibles.
6. La trahison de la bureaucratie syndicale :
C’est peut-être la première fois que la fureur populaire se dirige ainsi contre l’Union Générale Tunisienne du Travail (UGTT) et précisément vers l’Union Régionale et les syndicats miniers. En effet, l’indignation des gens (traduite par des marches, des communiqués et des discussions) n’a pas été seulement exprimée à l’égard du régime, mais elle a touché les symboles de la corruption syndicale. Ces symboles, outre leur acceptation du résultat du concours, organisé par la CPG, leur implication dans l’esprit des hordes, des relations personnelles et de la corruption, et leur exploitation directe des ouvriers au moyen de sociétés de sous-traitance, ont une responsabilité dans la dégradation de la situation dans la région. L’UGTT et les syndicats miniers n’ont pas seulement gardé le silence, au contraire, ils ont refusé, lors du dernier conseil régional, de présenter tout simplement les contestations des habitants de la région. Bien plus, ils ont publié plus tard un communiqué (en 12 points, daté du moi de mai 2008) dans lequel ils se sont attachés aux résultats du concours en recommandant d’embaucher le plus tôt possible « les admis », défiant ainsi d’une manière claire les revendications des contestataires. L’autorité syndicale régionale, avec à sa tête Amara Abassi, a suscité l’irritation des populations et fait l’objet de leur indignation. Quant aux autres syndicats, ils ont fait preuve d’indifférence et c’est peut-être la région de Redeyef qui a une nouvelle fois fait l’exception la plus remarquable puisque les syndicalistes locaux, et le secrétaire général de l’union locale en tête, ont soutenu les contestataires et contribué activement à leur action. Quant à la centrale syndicale, elle a comme d’habitude ignoré ce qui s’était passé dans la région. Elle a, en effet, feint d’envoyer « une commission d’enquête » composée de deux membres du bureau exécutif et du secrétaire général du Syndicat général de l’enseignement de base, originaire de la région. Et, comme prévu, cette commission n’a eu aucun effet sur la réalité syndicale dans la région. En fait, Abassi a continué à bafouer les intérêts des ouvriers et à manœuvrer contre les contestataires. Mais, si on s’attendait à ce que la bureaucratie syndicale ait un comportement honteux et hostile envers les ouvriers et les déshérités du bassin minier, tout le problème est dans la passivité, sinon l’indifférence des secteurs syndicaux traditionnellement réputés par leur combativité. Beaucoup d’observateurs se sont demandés où étaient passés les secteurs de l’enseignement de base, de l’enseignement secondaire, de la santé, etc. alors que les leaders de ce remarquable mouvement contestataire appartiennent à ces secteurs et ont été victimes d’incarcérations et de tortures. Où est passé à son tour le secteur des postes? En effet, les syndicats généraux n’avaient pas publié de communiqués, ni organisé des actions de soutien. Ceux qui ont soutenu le mouvement étaient des syndicats de base, des syndicats locaux ou régionaux plutôt que des syndicats généraux qui avaient gardé le silence par crainte du Secrétaire général de l’UGTT et de ses courtisans ou par complicité avec eux.
7. L’indifférence des intellectuels
On ne peut aussi que remarquer la passivité de l’ensemble des intellectuels. Exception faite de quelques-uns qui ont été touchés par l’événement et qui l’ont abordé dans des articles, la majorité n’a pas été « ébranlée » ni inspirée par l’ampleur de l’événement. Ce qui prouve la profondeur de la crise que traversent les intellectuels et les créateurs en Tunisie. Ils ont été habités par un sentiment de désespoir et d’impuissance perdant confiance dans le peuple au point de ne plus hésiter à lui tourner le dos le taxant de « lâcheté » et « ingratitude » et à se jeter dans les bras du pouvoir ou se consacrer pleinement à leurs affaires personnelles. Quand le peuple a bougé et qu’il s’est révélé vivace, dynamique et entreprenant, ces intellectuels ne se sont pas remis de leur léthargie et quatre mois de résistance et d’affrontements sanglants n’ont pas pu agir sur leurs pensées et leurs esprits. En effet, ils n’ont même pas signé la moindre pétition pour dénoncer l’oppression et soutenir les masses populaires de Redeyef, Moularès et M’dhilla, villes rongées par le chômage, la marginalisation, la pauvreté et la faim. Ils ont peut-être besoin d’un séisme qui les ébranle pour les tirer de leur sommeil et de leur torpeur. Il importe de faire une autre remarque. Le soulèvement des villes du bassin minier a porté au devant de la scène les femmes populaires au moment ou le rôle des femmes intellectuelles issues des milieux bourgeois et petit-bourgeois connait un recul sur l’arène de la lutte politique, syndicale et des droits. Au-delà des instances traditionnelles connues, les femmes ont participé et elles continueront à participer avec efficacité aux sit-in dans les tentes, si bien que la « tente des 11 femmes » à Moularès est devenue des plus réputées. Ces femmes se sont hâtées de l’installer dès les premiers jours devant le siège social de la CPG à Moularès. Ces veuves ont pu résister plus d’un mois malgré toutes les contraintes, y compris les pressions de leurs familles. Dans cette bataille, Khira Laâmari s’est nettement distinguée en ne quittant pas le siège de la cellule destourienne du parti au pouvoir pendant plus d’un mois. Elle a insisté pour y rester malgré ses malaises chroniques et sa grossesse (9ème mois). Elle n’a quitté les lieux que vers l’hôpital où elle a accouché d’une petite fille qu’elle a appelé « Intissar » (Victoire). En parallèle, les femmes fréquentent désormais, par dizaines puis par centaines, le siège de l’union locale de l’UGTT de Redeyef, pour assister par exemple aux meetings et organiser des marches de contestation. Parmi elles, il y a celles qui sont dévoilées, celles qui portent le foulard traditionnel (bakhnoug) et celles qui sont voilées. Elles ont quitté le foyer et la cuisine pour exprimer leur souffrance ainsi que celle de leurs enfants. Ce mouvement aurait dû éveiller l’attention des femmes intellectuelles, les progressistes en particulier, pour élargir la base du mouvement féminin face à la dictature et aux courants fondamentalistes et passéistes. Mais, à l’exception d’une seule réunion organisée par l’Association Tunisienne des Femmes Démocrates trois mois après le déclenchement des événements, les intellectuelles qui se disent « féministes » sont restées inactives ; elles ont même manifesté une indifférence totale vis-à-vis de ce mouvement qui attaque en profondeur leur égoïsme petit bourgeois, leur vanité, leur indolence et leur tendance au bavardage autour de la propagation du port du voile sans agir concrètement pour affronter les problèmes réels des femmes et leur apporter l’encadrement et le soutien nécessaires.
8. Sympathie populaire, mais…
Bien que le mouvement ait maintenant atteint son quatrième mois, il ne s’est pas étendu pour revêtir un caractère national et englober les différentes classes et couches populaires victimes de la politique économique et sociale réactionnaire du régime de Ben Ali et de son entourage. Exception faite de certaines protestations locales limitées dans le temps et la fréquence, le mouvement n’a pas réussi à mobiliser les autres régions ; il n’a même pas mobilisé la région de Gafsa dans sa totalité. En effet, ceux qui se sont soulevés dans la région de Gafsa sont les chômeurs à Zanouche, les paysans pauvres mêlés aux ouvriers retraités et aux démunis en général pour revendiquer de creuser des puits permettant de surmonter les grandes difficultés météorologiques (Redeyef et M’dhilla), de régulariser la propriété foncière des terres agricoles (Redeyef) et de mettre en œuvre des pistes rurales et leur asphaltage (M’dhilla). Il est sûr que certains facteurs ont contraint le mouvement à rester local, mais on ne peut pas les limiter aux facteurs subjectifs, c’est-à-dire à la faiblesse des forces politiques de l’opposition ou à la trahison de la bureaucratie syndicale ; il faut également prendre en compte les facteurs objectifs. Le déclenchement du soulèvement du bassin minier est lié à des causes locales, c’est-à-dire les résultats du concours de recrutement organisé par la CPG et non à des causes générales touchant tout le pays, telle que la hausse du prix du pain lors de la « révolte du pain » en 1984 qui a pris une dimension nationale malgré l’absence d’encadrement politique et la complicité de la bureaucratie syndicale avec le gouvernement de l’époque. S’agissant de la révolte du pain de 1984, il faut remarquer que la jeunesse estudiantine a joué un rôle important dans la révolte du pain. En fait, sa manifestation dans les rues le 3 janvier 1984 à Tunis a eu un effet déterminant pour mobiliser les jeunes des quartiers pauvres et les entraîner dans le mouvement. Dès que l’information concernant les manifestations et les affrontements dans la capitale s’est propagée, les gens sont sortis manifester à travers toutes les régions et villes du pays, ce qui a obligé Bourguiba à revenir sur la décision concernant la hausse des prix. Cependant, bien qu’elle soit présente dans la majorité des villes, par comparaison avec le milieu des années 1980, la jeunesse estudiantine a perdu aujourd’hui le rôle qu’elle jouait pour plusieurs raisons qu’on ne peut évoquer ici. Les actions de solidarité étaient donc limitées. Il est évident que, faute de support, qu’il soit syndical (1978) ou estudiantin (1984) ou politique, il est difficile que le soulèvement du bassin minier dépasse son cadre local. Finalement, l’esprit général des masses populaires diffère aujourd’hui de celui du passé. En effet, malgré la dégradation de leurs conditions sociales et en dépit de leurs plaintes et colère, elles sont démobilisées. Ceci est la conséquence de deux décennies de répression, de peur, de frustration et de dégradation des liens de solidarité, d’autant plus que les grèves de soutien ont été légalement interdites depuis 1996 avec l’accord de la centrale syndicale. C’est aussi à cause de l’effritement des grands centres de travailleurs à la suite de la privatisation du secteur public avec ses corollaires, la compression du nombre d’ouvriers et de salariés et la précarité de l’emploi. Sans oublier le développement d’un esprit individualiste et opportuniste, dans ce climat de « libéralisation » sauvage. Mais une telle situation est susceptible d’être renversée de fond en comble avec l’aggravation des problèmes sociaux et surtout l’absence de perspectives.
9. Les perspectives du mouvement
Le soulèvement des habitants du bassin minier ne s’est pas interrompu. A chaque fois que l’autorité a cru qu’il s’était calmé, les protestations ont repris de plus belle, avec plus d’audace et de détermination. Il est fort probable que ce mouvement dure encore longtemps puisque le pouvoir n’a manifesté jusqu’à maintenant aucune disposition pour satisfaire les revendications des habitants, du moins les plus urgentes. D’autre part, ces derniers n’ont fait apparaître aucun signe de repli. En fait, de jour en jour, ils deviennent plus unis et plus forts et font varier les formes de lutte (marches, sit-in, grèves…). Mais, on s’attend aussi à ce que le mouvement/soulèvement reste local, car les facteurs qui ont fait obstacle à sa propagation, au moins, à toute la région de Gafsa, ne sont pas faciles à surmonter en une période de temps aussi limitée. Mais personne ne peut prédire l’avenir. Si le mouvement atteignait la ville de Gafsa, nous ne croyons pas que cela n’aurait aucun effet sur les autres régions du pays. Cela donnerait plutôt au mouvement d’importantes dimensions politiques. Des événements ou des explosions peuvent également se produire dans telle ou telle région d’autant plus que les conditions sociales sont susceptibles de se dégrader à cause de la hausse continuelle des prix, l’accentuation du chômage, la gravité des écarts sur les plans social et régional et l’accentuation de la corruption. De cette façon, le mouvement des habitants du bassin minier pourrait connaître de nouvelles dimensions. Néanmoins, nous ne pourrons pas désormais fonder nos jugements sur des hypothèses, nous devons plutôt prendre la réalité en considération, agir en fonction de cette réalité et rechercher des moyens susceptibles de permettre au mouvement d’atteindre les objectifs escomptés sous un tel rapport de force. De ce point de vue, nous croyons qu’il est urgent d’unifier les composantes du mouvement dans les trois villes du bassin minier et pourquoi pas former une direction commune dans les trois villes en attendant que la ville de Métlaoui se joigne au mouvement. D’autre part, la chose la plus importante pour assurer au mouvement la continuité et préserver sa pérennité, voire l’élargir, est de chercher à organiser les habitants dans des cadres appropriés et selon les possibilités soit selon les centres de travail et d’études, ou selon les quartiers. Le rôle de ces cadres consistera à désigner ou à élire les dirigeants au niveau local, à discuter des problèmes posés, à prendre position vis-à-vis des problèmes rencontrés, à mettre au point des plans d’action et à aider les citoyens et citoyennes, qui n’ont plus confiance en l’autorité, à gérer leurs affaires. Cet itinéraire démocratique est aisément applicable et c’est l’un des facteurs susceptibles de promouvoir le mouvement sur les plans politiques et organisationnels. Finalement, nous croyons qu’il est indispensable d’accorder aujourd’hui plus d’intérêt au mouvement de solidarité dans les différentes régions du pays. C’est selon ce critère qu’on peut réviser la structure du Comité national de solidarité pour qu’il soit vraiment national et qu’il englobe toutes les forces qui peuvent adhérer à la campagne de solidarité, telles que les partis, les associations, les comités syndicaux et les personnalités. En effet, ce comité a vu le jour dans un cadre relativement restreint et selon une vision limitée qui est actuellement dépassée.
Une répression sauvage [1]
Le soulèvement du bassin minier a duré plus que cinq mois. Le 6 juin 2008, le régime de Ben Ali l’a sauvagement réprimé. Des milliers d’agents des forces de l’ordre ont été lancés contre la ville de Redeyf, bastion de la résistance. Ils ont ouvert le feu sur la foule causant un mort et 26 blessés dont un qui a succombé quelques semaines après à ses blessures. Ils ont ensuite investi les quartiers populaires qu’ils ont pris maison par maison. La police fasciste de Ben Ali a défoncé les portes des maisons terrorisant, agressant et humiliant les habitants et a pillé leurs biens. Les commerces n’ont pas été épargnés, ils ont été à leur tour saccagés et pillés. Les jeunes, moteur du soulèvement, ont été pris pour cible principale, ils ont été agressés et arrêtés par dizaines. Des centaines d’entre eux ont quitté leurs maisons pour se réfugier dans les montagnes proches de la ville. Dans la nuit du 6 au 7 juin, l’armée a investi la ville et occupé ses principales rues et places décrétant le couvre-feu et imposant aux habitants de ne pas quitter leurs demeures. Elle a bloqué l’entrée sud de la ville ainsi que tous les accès aux montagnes où se sont réfugié des centaines d’activistes et de jeunes pour empêcher leurs familles de leur fournir de la nourriture et de l’eau potable. Les dirigeants du soulèvement, dont notamment Adnane Hajji, Bachir Abidi, Taïeb Ben Othmane et Adel Jayar, ainsi que des centaines d’activistes ont été arrêtés, sauvagement torturés et incarcérés. Après Redeyef, les forces de l’ordre ont attaqué la ville de Metlaoui et y ont perpétré les mêmes crimes contre les habitants. Des dizaines d’activistes et de jeunes ont été arrêtés, torturés et transférés devants le tribunal de Gafsa qui leur a infligé de lourdes peines de prison ferme allant jusqu’à 6 ans. Les dizaines de simulacres de procès qu’ont subi les activistes et les jeunes des villes du bassin minier où les droits de la défense ont été systématiquement bafoués, les peines prononcées à leur encontre basées sur des dossiers vides ou des « aveux » arrachés sous la torture et la connivence des juges avec la police politique démontre clairement que la « justice » est totalement inféodée au régime de Ben Ali et qu’elle joue un rôle principal dans la criminalisation des luttes sociales. Le 4 décembre 2008 est la date de l’ouverture du procès « des 38 » activistes et dirigeants du soulèvement de Redeyef. [1] Addendum du traducteur.
 
(Source:« Albadil Express »  La liste de diffusion du PCOT LE 12 Janvier 2009)

Tunisie : jugements iniques à Gafsa

Mardi 13 janvier, à 400 kilomètres au sud-ouest de Tunis, commence le procès en appel des leaders du mouvement social majeur qui s’est déroulé en Tunisie au premier semestre 2008 dans le bassin minier de Gafsa  (1). Sur le banc des accusés figure une trentaine d’inculpés, notamment les syndicalistes enseignants Adnane Hajji, Taieb Ben Othman et Bachir Labidi (actuellement hospitalisé suite à son incarcération et enchaîné à son lit). Tous sont poursuivis pour des chefs d’inculpation de constitution d’une entente criminelle et de participation à une rébellion…

Le procès en première instance s’était tenu à Gafsa les 4 et 11 décembre dans un non-respect déroutant des règles élémentaires du droit. Le jugement bâclé a été rendu en quelques minutes vers 23 heures sous forts cordons policiers à l’intérieur même du tribunal : des peines allant jusqu’à dix ans de prison.Les dirigeants de la plupart des organisations et partis démocratiques tunisiens, ainsi que des représentants de la communauté internationale et des syndicalistes venus spécialement du Maghreb et d’Europe, y avaient assisté dans une salle par ailleurs noire de monde… Les inculpés avaient entonné l’hymne national avant d’être molestés et ramenés dans leurs cellules. Ils sont défendus par plus d’une centaine d’avocats venus de diverses villes de Tunisie, toutes générations confondues.

D’autres échauffourées entre les policiers et le public ont eu lieu également lors du procès en première instance. Lors de ce même procès, Mohieddine Cherbib, président de l’association française Fédération des Tunisiens pour une citoyenneté des deux rives (FTCR), a été condamné à deux ans de prison pour solidarité et diffusion de l’information concernant le bassin minier, tout comme Fahem Boukaddous, correspondant de la chaîne tunisienne Al-Hiwar émettant d’Italie, et condamné, lui aussi par défaut et pour les mêmes motifs, à six ans de prison. Les procès précédents concernant les quelques deux cents personnes arrêtées du mouvement du bassin minier ont débouché le plus souvent sur des peines sévères. Toutes les entrées et sorties du bassin minier de Gafsa restent étroitement contrôlées par la police, ainsi que les populations des principales villes hier au cœur du mouvement.

Outre les organisations des droits humains et les syndicats étrangers, notamment maghrébins et européens, les groupes parlementaires européens de la Gauche unie européenne et des Verts suivent de près le dossier judiciaire de Gafsa, ainsi que le barreau de Paris, un comité nantais et une coordination française de partis de gauche, d’associations et syndicats. Depuis décembre, de multiples rassemblements organisés par les organisations territoriales de l’Union générale tunisienne du travail (UGTT) réclament la relaxe des prisonniers du bassin minier.

Les avocats persisteront ce mardi à dénoncer les vices de forme, ainsi que la torture subie depuis les arrestations, réclamant des examens médicaux. Ils exigent en outre l’accès aux procès-verbaux relatant les négociations qui ont eu lieu (avant d’avorter) entre les délégués du mouvement et diverses autorités régionales au moment des faits…

Karine Gantin

(1) Lire « Révolte du “peuple des mines” en Tunisie », Le Monde diplomatique, juillet 2008.

(Source: le site du « Monde Diplomatique », le 12 janvier 2009)

Lien:http://www.monde-diplomatique.fr/carnet/2009-01-12-Tunisie-jugements


Djerba: pas d’atteinte à la présomption d’innocence de la part de Sarkozy (cour d’assises)

AFP  12.01.09 | 15h09  La cour d’assises spéciale de Paris, qui juge trois hommes pour complicité dans l’attentat contre une synagogue de Djerba en 2002, a estimé lundi que Nicolas Sarkozy n’avait pas porté atteinte à la présomption d’innocence d’un des inculpés en le qualifiant, lors de son arrestation, de « haut responsable d’Al Qaïda ». L’avocat de l’Allemand converti à l’islam, Christian Ganczarski, avait à l’ouverture du procès le 5 janvier déposé une requête en « irrecevabilité des poursuites » contre son client. Il avait plaidé que Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, avait commenté à la tribune de l’Assemblée l’interpellation de M. Ganczarski, en juin 2003 à l’aéroport de Roissy, en annonçant « l’arrestation d’un haut responsable d’Al Qaïda, en contact avec Oussama ben Laden ». « Sa présomption d’innocence, garantie par la Constitution, ayant été violée, il n’y a pas pour vous la possibilité de garantir un procès équitable à mon client », avait déclaré Me Sébastien Bono à la cour, composée de six magistrats professionnels en plus du président Yves Jacob. A l’ouverture des débats lundi après-midi, le président Jacob a déclaré que la Cour avait estimé que les propos de M. Sarkozy « ne constituent pas une atteinte à la présomption d’innocence de nature à entâcher d’irrégularité les poursuites entamées à l’encontre de M. Ganczarski ». « La cour rejette donc cette requête comme mal fondée et dit qu’il sera passé outre au débat », a ajouté le président. La cour a également rejeté une demande de report du procès, déposée par les avocats de deux des trois accusés, qui demandaient que le troisième inculpé, le Pakistanais Khalid Cheikh Mohammed (KSM), actuellement détenu à Guantanamo, soit cité à titre de témoin. « Khalid Cheikh Mohammed ne peut être entendu en qualité de témoin car des co-accusés soumis à un même débat ne peuvent témoigner les uns contre les autres », a estimé la cour dans ses conclusions. Christian Ganczarski, Khalid Cheikh Mohammed et Walid Nawar (frère du jeune Tunisien qui s’est fait exploser dans l’attentat) sont accusés d’avoir, à des degrés divers, incité et aidé le kamikaze à commettre son acte qui a fait 21 morts dont 14 Allemands, 5 Tunisiens et 2 Français. Ils doivent répondre, dans un procès qui doit durer jusqu’au 6 février, de « complicité et tentatives d’assassinat en relation avec une entreprise terroriste » et risquent la prison à vie.

 
 

Gaza : la trahison des clercs,

 
par Mezri Haddad  
Bien plus que le spectacle tragique des enfants déchiquetés et des familles décimées, c’est le mutisme, en France, des archanges de la liberté et des droits de l’homme qui est incompréhensible et insupportable.

 

On les a vus se mobiliser pour les Tchétchènes ou pour les Bosniaques – ce qui est bien louable -, mais pourquoi se taisent-ils sur le massacre quotidien de populations civiles palestiniennes ? Pourquoi ne dénoncent-ils pas, avec la même ardeur humaniste et la même prise de conscience, les actes criminels de l’armée israélienne à Gaza ?

 

 

Les centaines morts, pour la plupart des civils, et les milliers de blessés sont-ils des êtres inférieurs ou n’appartiennent-ils pas à cette humanité si chère aux universalistes, pour que la campagne de punition collective dont ils sont victimes aujourd’hui soit traitée avec autant d’indifférence ? Et, plus graves que l’omerta, les propos scandaleux de certains pharisiens qui établissent une responsabilité symétrique des coupables et des victimes, de ceux qui tuent et de ceux qui décèdent par centaines.

Celui qui pose ces questions n’est pas un prosélyte des causes intégristes, ni un zélote de l’activisme terroriste, ni un ignoble consommateur du poison antisémite.

Contre ces trois nécroses mortelles qui rongent certains de mes coreligionnaires et qui sont si contraires à l’islam, je me suis battu en prenant des risques. Chaque fois que les circonstances l’ont exigé, je n’ai pas hésité à blâmer les miens, au nom de ce que je prenais pour des valeurs universelles, au nom d’une coexistence pacifique entre Israéliens et Palestiniens, au nom d’une fraternisation entre juifs et musulmans. J’ai dénoncé l’imposture démocratique qui a hissé le Hamas à la tête de Gaza. Je craignais pour le déjà agonisant processus de paix, je redoutais le choc des civilisations, j’appréhendais le totalitarisme théocratique que devaient subir les habitants de Gaza en les isolant du reste du monde.

Le Hamas n’a pas eu le temps de transformer Gaza en enfer. Israël et l’Egypte, avec la complicité active des Etats-Unis, ont précipité ce funeste destin. Durant deux longues années, comme les Irakiens avant la chute de Saddam Hussein, 1,5 million de Palestiniens ont été mis en quarantaine. Gaza est devenue une « prison à ciel ouvert », reconnaissait Stéphane Hessel.

Aucune chance n’a été donnée aux dirigeants du Hamas de négocier avec l' »ennemi » qui les avait jadis et naguère soutenus contre le Fatah, à l’instar de l’administration américaine dans son appui à Ben Laden contre l’URSS ! A l’époque, les stratèges d’Israël et les « terroristes » du Hamas s’entendaient si bien pour isoler Yasser Arafat, l’humilier et le dépouiller de tous les attributs du pouvoir ! Les attentats-suicides du Hamas avaient payé. Israël a ainsi renforcé la légitimité martyrologique du Hamas en brisant la légitimité historique d’Arafat, double fiasco qui a conduit à l’apothéose électorale de l’organisation islamiste. Et Israël a continué avec l’héritier sans héritage qu’est devenu Mahmoud Abbas.

L’unique compromis qu’Israël, sous l’insistance de l’Egypte, a fini par concéder, c’est la signature d’une trêve de six mois avec le Hamas, en contrepartie d’une levée bien contrôlée du blocus. Même à dose homéopathique, l’étau de ce blocus n’a jamais été desserré. Beaucoup moins pour alléger le calvaire des Gazaouis que pour entretenir leur image de protecteurs de la veuve et de l’orphelin et de résistants inflexibles à « l’entité sioniste », les maximalistes du Hamas ont fini par commettre l’irréparable : la rupture de la trêve le 18 décembre.

Est-ce une raison suffisante pour Israël de se lancer dans cette impitoyable guerre punitive à l’encontre de toute une population prise en otage par ses propres dirigeants ? On sait ce que vaut la vie d’un homme ou d’un enfant dans l’idéologie sacrificielle du Hamas. Mais comment les dirigeants israéliens peuvent-ils considérer la vie de ces enfants avec le même dédain ?

Selon Montesquieu, « le droit des gens est naturellement fondé sur ce principe que les diverses nations doivent se faire, dans la paix, le plus de bien, et, dans la guerre, le moins de mal qu’il est possible ». En temps de paix, Israël a imposé à la population de Gaza un blocus cruel et inhumain ; en temps de guerre, la puissante armée de ce pays n’hésite pas à tuer cinquante civils pour atteindre un combattant du Hamas. Autrement dit, éliminer les combattants du Hamas pour ce qu’ils font, et tuer les habitants de Gaza pour ce qu’ils sont. Est-ce cela, l’équité et la moralité ?

N’en déplaise à André Glucksmann, il y a bien eu disproportion entre l’erreur commise et le châtiment infligé. Aligner une armada militaire des plus sophistiquées et massacrer en douze jours plus de sept cents Palestiniens parce que le Hamas a lancé quelques roquettes bricolées qui ont fait quatre blessés et quelques dégâts matériels, cela s’appelle bien disproportion et démesure. L’hybris (démesure) est fille de Némésis (vengeance), et « la démesure, en mûrissant, produit le fruit de l’erreur et la moisson qui en lève n’est faite que de larmes », écrivait Eschyle.

Rien ne peut justifier un tel déchaînement qui ne laisse derrière lui que ruines, désolation, haine et candidats aux suicides. Ni les raisons bassement électoralistes en Israël ni les manoeuvres vaguement tactiques pour tester la discontinuité éventuelle ou la continuité probable de la future administration américaine dans sa gestion du conflit israélo-palestinien. Quant à la légende du petit David contre le méchant Goliath, elle est désuète et anachronique. Car même si plusieurs innocents civils ont été atteints par les abominable attentats-suicides, il y a bien longtemps que la sécurité d’Israël n’est plus menacée. Et pour cause, en termes de puissance militaire et de dissuasion nucléaire, Israël peut rayer de la carte qui il veut et quand il veut.

Ce n’est pas aimer Israël que de lui « souffleter l’imprudent patriotisme », comme disait Zola. Aimer Israël, c’est, à l’instar d’Hannah Arendt hier, de Tzvetan Todorov, de Gideon Levy et de tant d’intellectuels israéliens aujourd’hui, lui « dire la vérité, même si ça coûte. Surtout si ça coûte », comme disait Hubert Beuve-Méry, fondateur et directeur du Monde.

Aimer cet Etat né après l’innommable Holocauste, c’est le mettre en garde de l’ivresse de la puissance et de l’impunité. « Israël a toujours gagné les guerres et perdu les paix », disait l’illustre Raymond Aron. Il ne s’est pas trompé : avec celui qui lui a assuré tant de guerres, Itzhak Rabin, Israël a failli gagner la paix. On l’a assassiné et avec sa disparition, l’espoir d’une paix durable s’est évaporé. Mais tôt ou tard, lorsque les armes vont se taire et que cessera de couler le sang des Palestiniens, avec ou contre la volonté de Dieu, le destin du peuple hébreu croisera à nouveau la volonté d’un prophète.

Mezri Haddad est écrivain et philosophe tunisien.  
(Source: « Le Monde » (Quotidien – France) le 13 janvier 2009)  
 

 

Mezri Haddad sur LCI mardi 13 janvier 2009 à 17h

 
Par Sami Ben Abdallah
 
Au sujet du carnage à Gaza, et après la tribune qu’il vient de signer dans Le Monde, sur le silence des intellectuels français, le penseur  tunisien Mezri Haddad participera à un débat sur la chaîne de télévision LCI qui se déroulera de 17h à 18h (M.Mezri Haddad m’a confirmé son intervention sur LCI le mardi à 17h). Seront présents notamment Elias Sembar, ambassadeur de l’Autorité palestinienne auprès de l’UNESCO ainsi que le président du CRIF.  Il est à rappeler que lors d’une récente manifestation à Paris pour soutenir l’armée israélienne, Guysen International News  a écrit ce qui suit :   « Richard Prasquier, président du CRIF (Conseil représentatif des institutions juives de France) a rappelé le sort du jeune otage franco-israélien Guilad Shalit dont on est sans nouvelle. Il a nié la prétendue crise humanitaire dont souffriraient les Palestiniens : une centaine de camions apportent quotidiennement d’Israël une aide humanitaire dans la bande de Gaza. Réfutant le parallélisme entre l’Etat d’Israël et le mouvement islamiste Hamas, il a insisté : « Israël ne combat pas les Palestiniens, mais un groupe terroriste, le Hamas, qui les prend en otages ».
 
Il a souligné le danger pour le monde que représente le mouvement islamiste Hamas soutenu par l’Iran. Il a cité des articles de la charte du Hamas appelant à  »libérer toutes les terres ayant été conquises par l’islam : l’Espagne, le Sud de la France, l’Italie, les Balkans, l’Inde ». Israël se bat pour ces démocraties occidentales dont elle partage les valeurs. ». et d’ajouter : « les propos de Richard Prasquier, applaudi par cette foule disciplinée et calme ».(fin)
 

Le bloc-notes de Bernard-Henri Lévy – Libérer les Palestiniens du Hamas

Bernard-Henri Lévy

N’étant pas un expert militaire, je m’abstiendrai de juger si les bombardements israéliens sur Gaza auraient pu être mieux ciblés, moins intenses.

N’ayant, depuis des décennies, jamais pu me résoudre à distinguer entre bons et mauvais morts ou, comme disait Camus, entre « victimes suspectes » et « bourreaux privilégiés », je suis évidemment bouleversé, moi aussi, par les images d’enfants palestiniens tués.

Cela étant dit, et compte tenu du vent de folie qui semble, une fois de plus, comme toujours quand il s’agit d’Israël, s’emparer de certains médias, je voudrais rappeler quelques faits.

1. Aucun gouvernement au monde, aucun autre pays que cet Israël vilipendé, traîné dans la boue, diabolisé, ne tolérerait de voir des milliers d’obus tomber, pendant des années, sur ses villes : le plus remarquable dans l’affaire, le vrai sujet d’étonnement, ce n’est pas la « brutalité » d’Israël-c’est, à la lettre, sa longue retenue.

2. Le fait que les Qassam du Hamas et, maintenant, ses missiles Grad aient fait si peu de morts ne prouve pas qu’ils soient artisanaux, inoffensifs, etc., mais que les Israéliens se protègent, qu’ils vivent terrés dans les caves de leurs immeubles, aux abris : une existence de cauchemar, en sursis, au son des sirènes et des explosions-je suis allé à Sdérot, je sais .

3. Le fait que les obus israéliens fassent, à l’inverse, tant de victimes ne signifie pas, comme le braillaient les manifestants de ce week-end, qu’Israël se livre à un « massacre » délibéré, mais que les dirigeants de Gaza ont choisi l’attitude inverse et exposent leurs populations : vieille tactique du « bouclier humain » qui fait que le Hamas, comme le Hezbollah il y a deux ans, installe ses centres de commandement, ses stocks d’armes, ses bunkers, dans les sous-sols d’immeubles, d’hôpitaux, d’écoles, de mosquées-efficace mais répugnant.

4. Entre l’attitude des uns et celle des autres il y a, quoi qu’il en soit, une différence capitale et que n’ont pas le droit d’ignorer ceux qui veulent se faire une idée juste, et de la tragédie, et des moyens d’y mettre fin : les Palestiniens tirent sur des villes, autrement dit sur des civils (ce qui, en droit international, s’appelle un « crime de guerre ») ; les Israéliens ciblent des objectifs militaires et font, sans les viser, de terribles dégâts civils (ce qui, dans la langue de la guerre, porte un nom-« dommage collatéral »-qui, même s’il est hideux, renvoie à une vraie dissymétrie stratégique et morale).

5. Puisqu’il faut mettre les points sur les i, on rappellera encore un fait dont la presse française s’est étrangement peu fait l’écho et dont je ne connais pourtant aucun précédent, dans aucune autre guerre, de la part d’aucune autre armée : les unités de Tsahal ont, pendant l’offensive aérienne, systématiquement téléphoné (la presse anglo-saxonne parle de 100 000 appels) aux Gazaouis vivant aux abords d’une cible militaire pour les inviter à évacuer les lieux ; que cela ne change rien au désespoir des familles, aux vies brisées, au carnage, c’est évident ; mais que les choses se passent ainsi n’est pas, pour autant, un détail totalement privé de sens.

6. Et quant au fameux blocus intégral, enfin, imposé à un peuple affamé, manquant de tout et précipité dans une crise humanitaire sans précédent (sic), ce n’est, là non plus, factuellement pas exact : les convois humanitaires n’ont jamais cessé de passer, jusqu’au début de l’offensive terrestre, au point de passage Kerem Shalom ; pour la seule journée du 2 janvier, ce sont 90 camions de vivres et de médicaments qui ont pu, selon le New York Times , entrer dans le territoire ; et je n’évoque que pour mémoire (car cela va sans dire-encore que, à lire et écouter certains, cela aille peut-être mieux en le disant…) le fait que les hôpitaux israéliens continuent, à l’heure où j’écris, de recevoir et de soigner, tous les jours, des blessés palestiniens.

Très vite, espérons-le, les combats cesseront. Et très vite, espérons-le aussi, les commentateurs reprendront leurs esprits. Ils découvriront, ce jour-là, qu’Israël a commis bien des erreurs au fil des années (occasions manquées, long déni de la revendication nationale palestinienne, unilatéralisme), mais que les pires ennemis des Palestiniens sont ces dirigeants extrémistes qui n’ont jamais voulu de la paix, jamais voulu d’un Etat et n’ont jamais conçu d’autre état pour leur peuple que celui d’instrument et d’otage (sinistre image de Khaled Mechaal qui, le samedi 27 décembre, alors que se précisait l’imminence de la riposte israélienne tant désirée, ne savait qu’exhorter sa « nation » à « offrir le sang d’autres martyrs »-et ce depuis son confortable exil, sa planque, de Damas…).

Aujourd’hui, de deux choses l’une. Ou bien les Frères musulmans de Gaza rétablissent la trêve qu’ils ont rompue et, dans la foulée, déclarent caduque une charte fondée sur le pur refus de l’« entité sioniste » : ils rejoindront ce vaste parti du compromis qui ne cesse, Dieu soit loué, de progresser dans la région-et la paix se fera. Ou bien ils s’obstinent à ne voir dans la souffrance des leurs qu’un bon carburant pour leurs passions recuites, leur haine folle, nihiliste, sans mots-et c’est non seulement Israël, mais les Palestiniens, qu’il faudra libérer de la sombre emprise du Hamas.

(Source: « Lepoint.fr » le 8 janvier 2009)


Libérer les Palestiniens des mensonges de Bernard-Henri Lévy

par Alain Gresh

Il manquait encore sa voix dans le débat. Il vient enfin de s’exprimer dans un texte exemplaire paru dans Le Point, « Libérer les Palestiniens du Hamas ». Exemplaire ? oui, car, commecelui d’André Glucksmann, il résume tous les mensonges, toute la mauvaise foi de ceux qui pensent que, au-delà de telle ou telle erreur, la politique d’Israël doit être défendue contre ses ennemis, contre les barbares qui menacent de le submerger. Ce bloc-note mérite donc une analyse de texte détaillée (je mets en gras les citations de BHL).

« N’étant pas un expert militaire, je m’abstiendrai de juger si les bombardements israéliens sur Gaza auraient pu être mieux ciblés, moins intenses. »

Etrange argument. Il n’est pas nécessaire d’être un spécialiste militaire pour savoir si des actions violent ou nonle droit international : un philosophe pourrait faire l’affaire… Car les déclarations confirmant ce violsont multiples.

« N’ayant, depuis des décennies, jamais pu me résoudre à distinguer entre bons et mauvais morts ou, comme disait Camus, entre “victimes suspectes” et “bourreaux privilégiés”, je suis évidemment bouleversé, moi aussi, par les images d’enfants palestiniens tués. »

« Cela étant dit, et compte tenu du vent de folie qui semble, une fois de plus, comme toujours quand il s’agit d’Israël, s’emparer de certains médias, je voudrais rappeler quelques faits. »

Bien sûr, personne, ne peut accepter la mort d’un enfant, où qu’il soit, mais admirez le « cela étant dit »… qui laisse supposer que cette mort s’explique par le contexte.

« 1. Aucun gouvernement au monde, aucun autre pays que cet Israël vilipendé, traîné dans la boue, diabolisé, ne tolérerait de voir des milliers d’obus tomber, pendant des années, sur ses villes : le plus remarquable dans l’affaire, le vrai sujet d’étonnement, ce n’est pas la “brutalité” d’Israël — c’est, à la lettre, sa longue retenue. »

Il suffit de comparer le nombre de morts palestiniens et israéliens (avant les combats actuels) pour mesurer la « longue retenue ». En réalité, les bombardements sur Gaza n’ont jamais cessé, sinon pendant le cessez-le-feu signé le 19 juin 2008. Et que dire de la « longue retenue » des Palestiniens qui vivent sous occupation depuis 40 ans… Car, il faut le rappeler, l’origine de la résistance ce n’est ni le Fatah, ni l’OLP ni le Hamas, mais l’occupation, qui suscite toujours la résistance.

« 2. Le fait que les Qassam du Hamas et, maintenant, ses missiles Grad aient fait si peu de morts ne prouve pas qu’ils soient artisanaux, inoffensifs, etc., mais que les Israéliens se protègent, qu’ils vivent terrés dans les caves de leurs immeubles, aux abris : une existence de cauchemar, en sursis, au son des sirènes et des explosions — je suis allé à Sdérot, je sais. »

Bernard-Henri Lévy est allé à Sdérot (alors qu’en Géorgie, il a pu écrire des affabulations sur des lieux où il ne s’était jamais rendu), on n’en doute pas. Mais est-il jamais allé à Gaza ? A-t-il vu dans quelles conditions vivent les Palestiniens, depuis des dizaines d’années ? Interviewée par la télévision, une habitante de Gaza, à qui l’on demandait si elle rendait le Hamas responsable de ce qu’elle subissait, répondait en substance : il y avait des bombardements avant l’arrivée du Hamas et il y en aura après ; tout cela n’est que prétexte.

« 3. Le fait que les obus israéliens fassent, à l’inverse, tant de victimes ne signifie pas, comme le braillaient les manifestants de ce week-end, qu’Israël se livre à un “massacre” délibéré, mais que les dirigeants de Gaza ont choisi l’attitude inverse et exposent leurs populations : vieille tactique du “bouclier humain” qui fait que le Hamas, comme le Hezbollah il y a deux ans, installe ses centres de commandement, ses stocks d’armes, ses bunkers, dans les sous-sols d’immeubles, d’hôpitaux, d’écoles, de mosquées-efficace mais répugnant. »

Ce qui est répugnant, c’est la disproportion des forces. Comme le dit le philosophe (un vrai, celui-là) Michael Walzer, que j’aidéjà cité, « le tir au pigeon n’est pas un combat entre combattants. Lorsque le monde se trouve irrémédiablement divisé entre ceux qui lancent les bombes et ceux qui les reçoivent, la situation devient moralement problématique ».

Quant au fait que les combattants du Hamas se terrent dans les écoles ou les mosquées, il s’agit souvent de pure propagande, comme le prouve l’exemple de l’école de l’Unrwa bombardée par l’armée israélienne. Chaque fois que des observateurs neutres ont pu se rendre sur place, ils ont constaté que les allégations israéliennes étaient mensongères. On comprend que le gouvernement israélien refuse l’entrée du territoire aux journalistes étrangers.

D’autre part, rappelons que Gaza est un tout petit territoire, avec la plus forte densité de population au monde. Où sont censés s’installer les combattants ? Doivent-ils aller au-devant des troupes israéliennes pour servir de cible ? Qui pourrait reprocher aux insurgés parisiens de 1848 ou de 1870 d’avoir construit des barricades dans les rues de la capitale ? Et je rajoute, comme le fait dans un magnifique texte daté du 10 janvier, le militant pacifiste israélien Uri Avnery,« How many divisions? »

« Il y a soixante-dix ans, durant la seconde guerre mondiale, un crime haineux a été commis dans la ville de Leningrad. Durant plus d’un millier de jours, un gang d’extrémistes appelé « l’armée rouge » a tenu en otage des millions d’habitants de la ville, et provoqué des représailles de la Wehrmacht allemand en se cachant au milieu de la population. Les Allemands n’avaient pas d’autre choix que de bombarder la population et d’imposer un blocus total provoquant la mort de centaines de milliers de personnes. »

« 4. Entre l’attitude des uns et celle des autres il y a, quoi qu’il en soit, une différence capitale et que n’ont pas le droit d’ignorer ceux qui veulent se faire une idée juste, et de la tragédie, et des moyens d’y mettre fin : les Palestiniens tirent sur des villes, autrement dit sur des civils (ce qui, en droit international, s’appelle un “crime de guerre”) ; les Israéliens ciblent des objectifs militaires et font, sans les viser, de terribles dégâts civils (ce qui, dans la langue de la guerre, porte un nom — “dommage collatéral” — qui, même s’il est hideux, renvoie à une vraie dissymétrie stratégique et morale). »

Dissymétrie stratégique ? Incontestablement. Un dirigeant du FLN algérien Larbi Ben M’hidi, arrêté durant la bataille d’Alger en 1957 (puis assassiné), et à qui des journalistes français reprochaient d’avoir posé des bombes dans des cafés, répondait : « Donnez-moi vos Mystère, je vous donnerai mes bombes ». Si placer des bombes dans un café est condamnable, que faut-il dire des bombes larguées d’un avion sur des populations civiles ?

Dissymétrie morale ? Les punitions collectives infligées depuis des années à Gaza sont, selon Richard Falk, envoyé des Nations unies dans les territoires palestiniens, « un crime contre l’humanité ». Que dire alors de ce qui se passe depuis…

Parlant de ses négociations avec le gouvernement sud-africain et de ses demandes d’arrêter la violence, Nelson Mandela écrit : « Je répondais que l’Etat était responsable de la violence et que c’est toujours l’oppresseur, non l’opprimé, qui détermine la forme de la lutte. Si l’oppresseur utilise la violence, l’opprimé n’aura pas d’autre choix que de répondre par la violence. Dans notre cas, ce n’était qu’une forme de légitime défense. » (Nelson Mandela, Un long chemin vers la liberté, Livre de Poche, p. 647)

« 5. Puisqu’il faut mettre les points sur les i, on rappellera encore un fait dont la presse française s’est étrangement peu fait l’écho et dont je ne connais pourtant aucun précédent, dans aucune autre guerre, de la part d’aucune autre armée : les unités de Tsahal ont, pendant l’offensive aérienne, systématiquement téléphoné (la presse anglo-saxonne parle de 100 000 appels) aux Gazaouis vivant aux abords d’une cible militaire pour les inviter à évacuer les lieux ; que cela ne change rien au désespoir des familles, aux vies brisées, au carnage, c’est évident ; mais que les choses se passent ainsi n’est pas, pour autant, un détail totalement privé de sens. »

Ce que notre « philosophe » oublie, c’est qu’Israël, qui appelle les gens à quitter leur maison, ne les laisse pas vraiment aller ailleurs. Le Haut-commissaire pour les réfugiés remarquait que c’était le seul conflit du monde où on interdisait aux populations civiles de quitter leur territoire. Et ceux qui se réfugient dans des lieux soi-disant sûrs sont victimes des bombardements, comme les 40 civils tués dans une école de l’Unrwa. On peut noter que, selonChris Gunness, le porte-parole de l’Unrwa, l’armée israélienne a reconnu qu’aucun tir n’était venu de cette école.

Un indice, parmi tant d’autres, du comportement de l’armée israélienne est donnépar le CICR, qui fait, en général, preuve d’une grande réserve.

« Dans l’après-midi du 7 janvier, quatre ambulances du Croissant-Rouge palestinien et le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) ont réussi à obtenir pour la première fois l’accès à plusieurs maisons touchées par les bombardements israéliens dans le quartier de Zeitoun, à Gaza. »

« Le CICR avait demandé depuis le 3 janvier que les ambulances puissent accéder à ce quartier en toute sécurité, mais il n’a obtenu l’autorisation des Forces de défense israéliennes que l’après-midi du 7 janvier.Dans une des maisons, l’équipe du CICR et du Croissant-Rouge palestinien a découvert quatre petits enfants à côté de leurs mères respectives, mortes. Ils étaient trop faibles pour se lever tout seuls. Un homme a également été trouvé en vie, trop faible pour se mettre debout. Au total, au moins 12 corps gisaient sur des matelas. »

« Dans une autre maison, l’équipe de secours du CICR et du Croissant-Rouge palestinien a découvert 15 survivants de l’attaque, dont plusieurs blessés. Dans une troisième maison, l’équipe a trouvé trois autres corps. Des soldats israéliens occupant un poste militaire à 80 mètres de cette maison ont ordonné à l’équipe de secours de quitter la zone, ce qu’elle a refusé de faire. Plusieurs autres postes des Forces de défense israéliennes se trouvaient à proximité, ainsi que deux tanks. »

« “Cet incident est choquant, a déclaré Pierre Wettach, chef de la délégation du CICR pour Israël et les territoires palestiniens occupés. Les militaires israéliens devaient être au courant de la situation, mais ils n’ont pas porté secours aux blessés. Ils n’ont pas non plus fait en sorte que le CICR ou le Croissant-Rouge palestinien puissent leur venir en aide.” »

(…)

« Le CICR a été informé que davantage de blessés avaient trouvé refuge dans d’autres maisons détruites du quartier. Il demande à l’armée israélienne de lui permettre immédiatement, ainsi qu’aux ambulances du Croissant-Rouge palestinien, d’accéder en toute sécurité à ces maisons et de chercher d’autres blessés. Les autorités israéliennes n’ont toujours pas confirmé au CICR qu’elles lui autoriseraient l’accès. »

« Le CICR estime que dans le cas présent, l’armée israélienne n’a pas respecté son obligation de prendre en charge les blessés et de les évacuer, comme le prescrit le droit international humanitaire. Il juge inacceptable le retard avec lequel l’accès a été donné aux services de secours. »

On pourra aussi regarder le témoignage bouleversant d’unmédecin norvégien, Mads Gilbert, pris sous les bombes. Lire aussi le décryptage en français : « C’est une guerre totale contre la population civile palestinienne ».

« 6. Et quant au fameux blocus intégral, enfin, imposé à un peuple affamé, manquant de tout et précipité dans une crise humanitaire sans précédent (sic), ce n’est, là non plus, factuellement pas exact : les convois humanitaires n’ont jamais cessé de passer, jusqu’au début de l’offensive terrestre, au point de passage Kerem Shalom ; pour la seule journée du 2 janvier, ce sont 90 camions de vivres et de médicaments qui ont pu, selon le New York Times, entrer dans le territoire ; et je n’évoque que pour mémoire (car cela va sans dire-encore que, à lire et écouter certains, cela aille peut-être mieux en le disant…) le fait que les hôpitaux israéliens continuent, à l’heure où j’écris, de recevoir et de soigner, tous les jours, des blessés palestiniens. »

Ce qui est difficile, quand on est philosophe, c’est de se renseigner et de descendre du ciel abstrait des idées pour s’intéresser au concret. Le nombre de camions qu’il indique est absolument dérisoire quand on connaît les besoins de Gaza. Normalement, il transite 500 camions par jour pour nourrir la population ; le blocus israélien ayant commencé dès le 5 novembre (après qu’Israël eut rompu la trêve en intervenant directement à Gaza), il n’est passé que 23 camions au cours du mois de novembre. Et ce blocus s’est intensifié avant les combats : la population était affamée et les hôpitaux sous-équipés. Que quelques dizaines de camions aient pu passer après, grâce à quelques déclarations fortes des Nations unies, ne change pas la situation.

« Très vite, espérons-le, les combats cesseront. Et très vite, espérons-le aussi, les commentateurs reprendront leurs esprits. Ils découvriront, ce jour-là, qu’Israël a commis bien des erreurs au fil des années (occasions manquées, long déni de la revendication nationale palestinienne, unilatéralisme), mais que les pires ennemis des Palestiniens sont ces dirigeants extrémistes qui n’ont jamais voulu de la paix, jamais voulu d’un Etat et n’ont jamais conçu d’autre état pour leur peuple que celui d’instrument et d’otage (sinistre image de Khaled Mechaal qui, le samedi 27 décembre, alors que se précisait l’imminence de la riposte israélienne tant désirée, ne savait qu’exhorter sa “nation” à “offrir le sang d’autres martyrs” — et ce depuis son confortable exil, sa planque, de Damas…). »

Rappelons, encore une fois, que c’est l’armée israélienne qui, dans la nuit du 4 au 5 novembre, a violé le cessez-le-feu par une incursion qui a provoqué la mort de quatre Palestiniens. Et que, d’autre part, Israël n’a jamais respecté une des clauses de l’accord qui était l’ouverture des points de passage entre Israël et Gaza, contribuant ainsi à affamer la population.

Mais, surtout, qu’est-ce qui empêche la signature de la paix ? Rappelons que, pendant plusieurs années, les dirigeants israéliens ont affirmé que le seul obstacle à un accord était Yasser Arafat. Après sa mort, Mahmoud Abbas (Abou Mazen) a été élu. Il a été salué en Israël, aux Etats-Unis et en Europe comme un dirigeant modéré. Cela fait quatre ans qu’il est président, cela fait quatre ans qu’il négocie au nom de l’Autorité palestinienne avec le gouvernement israélien. Le Hamas n’était pas partie prenante de ces négociations, et pourtant elles ont échoué, parce qu’Israël refuse l’application des résolutions des Nations unies, le retrait des territoires occupés en 1967. Tous les Etats arabes ont accepté l’initiative de paix du roi Abdallah proposant l’échange de la paix contre les territoires, et Israël a encore refusé…

« Aujourd’hui, de deux choses l’une. Ou bien les Frères musulmans de Gaza rétablissent la trêve qu’ils ont rompue et, dans la foulée, déclarent caduque une charte fondée sur le pur refus de l’“entité sioniste” : ils rejoindront ce vaste parti du compromis qui ne cesse, Dieu soit loué, de progresser dans la région-et la paix se fera. Ou bien ils s’obstinent à ne voir dans la souffrance des leurs qu’un bon carburant pour leurs passions recuites, leur haine folle, nihiliste, sans mots-et c’est non seulement Israël, mais les Palestiniens, qu’il faudra libérer de la sombre emprise du Hamas. »

Comment faut-il les libérer ? Rappelons que la majorité des Palestiniens a voté pour le Hamas dans des élections libres suscitées par les Etats-Unis et l’Union européenne. Ils ont voté pour protester contre l’incurie de l’OLP et contre l’échec du processus d’Oslo que le Fatah avait prôné. Au nom de « nos valeurs », nous avons refusé le verdict des urnes… Le peuple vote mal, changeons-le. Ou plutôt, imposons-lui une bonne dictature ou une bonne occupation qui le civilisera. C’était le raisonnement des Soviétiques quand ils sont intervenus en Afghanistan en décembre 1979, et que Georges Marchais évoquait « le droit de cuissage ». Faut-il s’étonner que Philippe Val, dans son éditorial de Charlie Hebdo, « Gaza : la colombe, le faucon et le vrai con », évoque cette invasion : « Les Soviétiques eux-mêmes, en 1979, avaient senti le danger (l’islamisme), et, à tort ou à raison (sic), avaient envahi l’Afghanistan. » Voici revenu le temps du colonialisme : nous allons civiliser tous ces indigènes qui acceptent le droit de cuissage, la polygamie, le voile, etc., et les libérer de la sombre emprise des intégristes.

(Source: http://blog.mondediplo.net/ le 10 janvier 2009)


Turquie/affaire « Ergenekon »: découverte d’une nouvelle cache d’armes

 
AFP, le 12 janvier 2009 à 20h53 ISTANBUL – Des policiers turcs enquêtant sur le groupe putschiste présumé « Ergenekon » ont découvert lundi dans la périphérie d’Ankara une nouvelle cache d’armes, trois jours après l’exhumation d’un premier arsenal, ont rapporté les médias. Les agents, parmi lesquels figuraient une équipe d’artificiers, ont trouvé enterrées dans le jardin d’une maison abandonnée du village de Zir, au nord-ouest d’Ankara, 30 grenades, neuf bombes fumigènes, dix fusées éclairantes et quelque 800 cartouches, a affirmé l’agence de presse Anatolie. La chaîne de télévision CNN-Türk a diffusé des images de l’arsenal, disposé sur le sol par les policiers, sur lesquelles ont pouvait reconnaître des grenades et des boites de munitions. La police a lancé des recherches dans ce jardin sur la base d’un croquis découvert dans la maison du lieutenant-colonel Mustafa Dönmez, arrêté mercredi dans le cadre d’un vaste coup de filet au sein du réseau « Ergenekon » et placé en détention provisoire, selon CNN-Türk. Les policiers ont arrêté mercredi 33 personnes soupçonnées d’appartenir au réseau « Ergenekon », accusé d’avoir voulu déstabiliser le pays par des actions violentes pour préparer le terrain à un coup d’Etat militaire qui renverserait le gouvernement issu de la mouvance islamiste, au pouvoir depuis 2002. Dix-sept des suspects, dont quatre officiers en exercice, ont été inculpés d’appartenance à une organisation terroriste et placés en détention provisoire par un tribunal d’Istanbul, qui a relâché les seize autres gardés-à-vue, dont trois généraux à la retraite. L’un des ex-généraux, Erdal Sener, ancien conseiller juridique de l’état-major, s’est toutefois vu interdire de quitter le territoire. La police avait déjà découvert vendredi près d’Ankara, sur la base d’un croquis appartenant à un autre prévenu, une cache d’armes contenant deux lance-roquettes, 29 pistolets, 25 grenades, deux mitrailleurs et des munitions, selon Anatolie. En octobre, a débuté près d’Istanbul le procès de 86 personnes, parmi lesquelles des officiers à la retraite, des journalistes, des hommes politiques, des membres de la pègre, accusées d’appartenir au réseau. Une trentaine d’autres prévenus, dont l’ancien chef de la gendarmerie Sener Eruygur, ont été arrêtés par la suite mais n’ont pas encore été inclus dans l’acte d’accusation. La Cour de cassation a ordonné en décembre le rattachement au procès « Ergenekon » d’un attentat visant le Conseil d’Etat, au cours duquel un juge avait été tué et quatre autres blessés en février 2007. L’enquête a été vivement critiquée par l’opposition et par différentes personnalités de la société civile affirmant qu’elle était devenue un instrument du gouvernement pour faire taire l’opposition, une accusation rejetée par le gouvernement, qui a appelé au respect de l’indépendance de la justice.

 

 

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