25 novembre 2011

TUNISNEWS
11 ème année, N°4166 du25.11.2011

 


AP: Manifestations violentes dans le centre-ouest de la Tunisie

Alternatives citoyennes: Maya Jribi, la mauvaise conscience du docteur Ben Jaafar

WMC: Tunisie: Les membres de la Constituante devront-ils démissionner pour occuper un poste de ministre?

Le Monde: Tunisie : la société civile est toujours là

Gnet: Tunisie/Béji Caïd Essebsi a su manier le bâton et la carotte

Jeune Afrique: Tunisie : le mystérieux monsieur Ghannouchi

Business News: Tunisie – Mehrezia Laâbidi contre les niqab et les barbes

Kapitalis: Tunisie. Yousri Triqi ou le retour de l’enfant pendu

Manifestations violentes dans le centre-ouest de la Tunisie


Publié le 24-11-11 à 18:30 Modifié à 19:01
TUNIS (AP) — Le couvre-feu a été décrété jeudi soir à Gafsa, dans le centre-ouest de la Tunisie, à la suite d’actes de vandalisme liés au recrutement dans ce bassin minier durement frappé par le chômage, tandis que le calme est revenu à Kasserine, dans la même région, après des affrontements entre manifestants et forces de sécurité.
Le couvre-feu commençait dès jeudi, de 19h locales à 6h locales (même heure à Paris; de 18H00 à 5H00 GMT), selon l’agence de presse officielle TAP.
Les incidents ont éclaté mercredi soir à l’annonce des résultats d’un concours de recrutement lancé par la Compagnie des phosphates de Gafsa (CPG), principal employeur de cette région où beaucoup vivent dans des conditions précaires.
La compagnie a justifié son choix par « des critères de recrutement basés sur ses besoins réels en ouvriers et cadres ainsi que sur le paramètre de compétence » mais des habitants des localités de M’dhilla et Om Larayès ont dénoncé ce qu’ils considèrent comme du favoritisme.
Des protestataires ont incendié des bus et voitures et ont saccagé et pillé des sites liés à la CPG, notamment un entrepôt. Ils se sont également attaqués à des postes de police et de la Garde nationale ainsi qu’au siège de la municipalité, selon la TAP.
En dépit des renforts de l’armée et de la police dépêchés sur place, les violences visant les équipements publics et les bâtiments de la CPG se sont poursuivies jeudi. L’insécurité persistante a causé la fermeture d’une unité de production de composants automobiles relevant de la société japonaise Yasaki.
Craignant une recrudescence de la violence, le gouverneur (préfet) de Gafsa, Moncef Hani, a déclaré à la TAP avoir demandé au ministère de la Formation professionnelle et de l’emploi de surseoir à l’annonce initialement prévue pour jeudi des résultats du concours de recrutement dans deux autres villes, Metaloui et Redeyef.
A Kasserine, le ministère de l’Intérieur a déclaré que le calme était revenu jeudi dans la journée. La veille au soir, des affrontements entre manifestants et forces de sécurité ont éclaté lors d’une marche initialement pacifique. Plusieurs milliers de personnes protestaient contre l’absence des « martyrs » locaux sur une liste des victimes du soulèvement populaire qui a renversé le régime Ben Ali en janvier dernier, selon la TAP.
L’Intérieur a également mentionné des troubles dans d’autres localités de la région, dont Thala et Fériana, précisant que l’armée avait tiré en l’air pour dissuader les manifestants de s’attaquer à des locaux administratifs.
A Kasserine, les heurts avec les forces de l’ordre et de l’armée nationale se sont soldés par 76 cas d’asphyxie par gaz lacrymogènes, selon une source médicale à l’hôpital régional citée par la TAP.
Des manifestants auraient essayé d’incendier la prison civile de Kasserine, de dévaliser une agence bancaire et de piller la section régionale de l’Union tunisienne de solidarité sociale (UTSS). Ils auraient aussi détruit et pillé des locaux commerciaux et brûlé des pneus. Les forces de l’ordre ont dispersé la foule en procédant à des tirs de sommation et en employant du gaz lacrymogène.
Les Kasserinois manifestaient contre « l’oubli » de leurs « martyrs » morts lors du soulèvement populaire qui a forcé le président Zine el Abidine ben Ali à s’exiler en Arabie saoudite le 14 janvier dernier, après 23 ans d’un pouvoir autoritaire.
Une liste lue au cours de la séance inaugurale de l’Assemblée constituante mardi, à « l’initiative personnelle » d’un élu, ne mentionnait en effet que « sept martyrs » sur les 23 tombés dans la région.
Lors d’interventions à la télévision depuis, le président de l’Assemblée constituante, Mustapha Ben Jaâfar, relayé par le nouveau président de la République pressenti Moncef Marzouki, ont présenté des « excuses » à la population de Kasserine, affirmant que « l’oubli n’était pas intentionnel ». Ils se sont engagés à placer « le dédommagement moral et matériel des martyrs en tête de leurs priorités ». AP

Alternatives citoyennes
Des Tunisiens, ici et ailleurs, pour rebâtir ensemble un avenir
Novembre 2011
 

Maya Jribi, la mauvaise conscience du docteur Ben Jaafar


 
Tandis que sur la place Tahrir, à grands renforts de matériel américain de maintien de l’ordre, se poursuit la révolution égyptienne inachevée, une démocratisation bien vivante se met en place en Tunisie. Les élections du 23 octobre ont été à peu près régulières et transparentes, encore que l’Instance supérieure indépendante pour les élections (ISIE) ferait bien de produire au plus vite un état de ses dépenses (pour ses propres frais de fonctionnement et ceux des listes en lice) ainsi que le détail des résultats obtenus, par bureau de vote, au lieu de donner à la Coupole une fête inappropriée (parce que ce n’est pas son rôle), tapageuse (parce qu’elle a mal tourné), mal ciblée (parce qu’elle ne détenait pas la liste vérifiée des martyrs), et surtout très coûteuse. Rien ne sert plus de chicaner même si plus tard, pour éviter une répétition des approximations et du manque de rigueur, il faudra se résoudre à une analyse plus serrée de cette campagne électorale. Le 22 novembre pourtant, sous les ors du palais du Bardo, la cérémonie d’investiture de l’Assemblée constituante de la deuxième République s’est déroulée dans un climat d’émotion et de première contestation. Bien que se perçoivent déjà les cymbales de « la Marche turque », nous n’avions d’oreille à ce moment-là que pour les accents de l’hymne national chanté en choeur par les représentants du peuple, tous Tunisiens. Sitôt cet unanimisme assourdi, la première fracture démocratique surgit : l’élection du président de l’Assemblée porta au perchoir le docteur Mustapha Ben Jaafar, soutenu par une coalition majoritairement islamiste de 145 votants, tandis que la candidate de la coalition Parti démocrate progressiste, Pôle démocrate moderniste et Afek Tounes, Maya Jribi la secrétaire générale du PDP, rassemblait sur sa candidature de témoignage une opposition, toutes tendances confondues bien au-delà de sa coalition, de 68 voix, soit à 2 voix près la formation du tiers bloquant, cette minorité de blocage nécessaire pour faire opposition à d’importantes législations. Ce fut un grand moment démocratique et un message d’espoir, balayant l’ère des béni-oui-oui et de l’unicité du pouvoir. On ne présente plus ni l’un ni l’autre des deux candidats à la présidence de l’Assemblée nationale. Ils furent compagnons de résistance, non pas dans un même parti mais dans un front d’opposition qui se soudait conjoncturellement et opportunément, par delà les divergences occasionnelles et les querelles de leadership. C’est ensemble qu’ils portèrent un même combat contre le pouvoir déchu, évoluant en camarades dans un même champ de revendications et un même univers de valeurs démocratiques, progressistes, modernistes. Maya Jribi, encore étudiante, s’insurgeait déjà contre la décadence bourguibienne puis, longtemps à l’ombre du chef charismatique de son mouvement RSP-PDP, maître Nejib Chebbi, elle se fit un nom et se construisit une notoriété de battante sur un terrain politique profondément machiste, où la violence faite aux femmes n’est ni moins humiliante, ni moins douloureuse que celle pratiquée dans la famille ou dans la rue. Jamais démentie, sa combativité l’a imposée comme une figure politique avec qui il faudra compter. La pugnacité du docteur Ben Jaafar s’est aussi affirmée sur la durée. Il fit ses premières classes de démocrate à l’intérieur du PSD de Bourguiba dont, à partir de 1972, fut contestée la solitaire omnipotence par Ahmed Mestiri, élaborateur de la première Constitution, plusieurs fois ministre et fondateur du MDS. En 1990, après bien des avanies, Ahmed Mestiri qui avait tout compris du profil de Ben Ali, se retira dans une retraite irrévocable et digne, préférant pêcher à la ligne et accrocher des vers aux hameçons plutôt que pécher en eaux troubles et s’accrocher à la vermine. Il devait passer le témoin à son dauphin, le docteur Mustapha Ben Jaafar, mais surgi de l’ombre et soutenu par le régime, un outsider Mohamed Moadda le contraint, par suite de trop de coups bas, à se replier dans une forme de dissidence. La forfaiture ne porta pas bonheur à son auteur. En revanche, le docteur Ben Jaafar fit son chemin dans l’opposition, modestement, honnêtement, avec les moyens du bord, clandestinement d’abord, puis en déposant les statuts de son Forum démocratique pour le travail et les libertés (FDTL-Ettakatol). Ce rassemblement regroupant des économistes travaillistes et même un des leaders de l’UGTT, n’a été reconnu qu’il y a trois ans. Tout au long de ces années, la résistance opiniâtre sans être jamais tonitruante du docteur Ben Jaafar ne s’est pas démentie. Il fut de tous les combats démocratiques, particulièrement auprès des ONG les plus combatives, la Ligue tunisienne des droits de l’homme, l’Association tunisienne des femmes démocrates, la section tunisienne d’Amnesty International et tous les fronts qui se formaient ici et là, ne dédaignant pas les rencontres de l’intelligentsia tunisienne rebelle, pas plus que le monde de l’art insoumis presque par définition. Non reconnu, son Forum n’a jamais bénéficié de l’argent de l’État, et son chef n’a jamais collaboré à quoi que se soit. Que dire de plus de cet honnête homme, agréable, pondéré, humain, raisonnable et rassurant, enfin qui sait aussi sourire, contrairement à son bienheureux rival à la présidence de la République, le docteur Marzouki. Cette magistrature suprême, le docteur Ben Jaafar aurait pu l’occuper en toute légitimité, en toute capacité. Homme du centre, il a réuni sur sa personne toutes celles et tous ceux qui, incommodés par les extrêmes, voyaient en lui le président d’une Tunisie équilibrée, éclairée, confortable et sereine. Qu’avait-il donc besoin de rejoindre une radicalité conservatrice qui lui ressemble si peu, comme elle est si loin des valeurs de sa base ? Cette alliance que nous qualifierons de « contre-culture » et à « contre-histoire » ne lui a permis que de briguer, avec succès, la présidence de l’Assemblée constituante. Ce 22 novembre, l’homme se penchait-il sur son passé quand, dans une émotion visible, il s’engagea à défendre l’égalité et les libertés publiques et individuelles, en toute éthique et patriotisme ? Le défi de Maya Jribi, du lieu où il aurait dû lui-même se trouver, lui était-il venu comme une mauvaise conscience pour qu’il lui cédât le micro, pour un temps à la présidence de l’Assemblée nationale, comme s’il refusait de s’approprier cette capitale autorité, comme s’il voulait la partager par delà une fausse route, avec toutes celles et ceux qui l’avaient jusqu’ici accompagné ? Une telle élégance était aussi une forme d’excuse, presque un regret. Mais la base sociale éclairée du docteur Ben Jaafar comme celles et ceux qui lui gardent leur amitié et leur confiance, veulent davantage qu’un consensus mou contredit en coulisses par une voracité à se partager à trois le gâteau. À l’homme qui jusqu’alors n’avait jamais trahi, ils demandent de renouer avec ses anciennes fidélités.  
Nadia Omrane

 


Tunisie: Les membres de la Constituante devront-ils démissionner pour occuper un poste de ministre?


L’application stricto-sensu de l’article 19 du décret-loi n° 2011-35 du 10 mai 2011, relatif à l’élection d’une Assemblée nationale constituante, interdirait à Hamadi Jebali et à tout autre membre de l’Assemblée nationale constituante d’être membres du gouvernement et donc ministres ou secrétaires d’Etat, sans parler du poste de Premier ministre.

En effet, l’article 19 dudit décret-loi n°2011-35 du 10 mai 2011, dans son premier alinéa, stipule que «Nul ne peut cumuler la qualité de membre à l’Assemblée nationale constituante et l’exercice des fonctions publiques non électives moyennant une rémunération de l’Etat (…). Or, et à ma connaissance, un poste de ministre n’est effectivement pas l’exercice d’une fonction publique non élective moyennant une rémunération de l’Etat, et serait donc non cumulable avec la qualité de membre de l’Assemblée nationale constituante.

Il en résulte que ces élus qui veulent occuper une fonction de ministre n’ont d’autres choix que de démissionner de la Constituante. Par contre, s’ils tiennent à remplir leur mission de membre de celle-ci, ce pour quoi le peuple les a élus, il leur faudrait renoncer à leurs ambitions ministérielles.

Maintenant, s’ils venaient à préférer leur poste de ministre ou de secrétaire d’Etat, l’article 23 s’appliquera et il sera remplacé par un autre membre de sa liste, le suivant. En effet, cet article stipule qu’«En cas de vacance d’un siège au sein de l’Assemblée nationale constituante, le membre en question sera remplacé par le candidat suivant dans le classement de la même liste». Ce qui reste à préciser, c’est de savoir ce qu’il adviendra si le membre qui est juste après lui sur la liste fait, lui aussi, partie de l’Assemblée nationale constituante.

Une question importante mérite réponse

Cela fait plusieurs semaines que des partis représentés à la Constituante discutent de l’attribution des portefeuilles ministériels, et plusieurs élus sont en lice, pressentis pour occuper des postes de ministres, à leur tête Hamadi Jebali d’Ennahdha qui, dès le début, a été présenté comme le futur Premier ministre du futur gouvernement. C’est normal après tout, son parti a majorité à la Constituante.

Ce texte de loi a donc été ignoré par ces partis. La question est de savoir dans quel sens a-t-il été ignoré, par méconnaissance ou volontairement? Et dans quel but ?

Le résultat est de toute façon le même car ces élus, en qui le peuple tunisien a placé sa confiance, se doivent d’être à la hauteur de cette confiance et ne pas en profiter. Ces élus, ainsi que les membres et conseillers des partis représentés, ne peuvent se permettre de tels oublis et se doivent d’être à l’affût, sinon le peuple tunisien leur rappellera que lui il l’est.

La consécration de la démocratie

L’article sus cité vient ainsi servir les intérêts de l’Etat ainsi que ceux de la démocratie. Les intérêts de l’Etat, car nul ne peut occuper deux fonctions à la fois et faire convenablement son devoir d’élu et sa mission en tant qu’employé de l’Etat, quel que soit son rang. La démocratie, car la séparation entre les pouvoirs, législatif et exécutif, sera ainsi réalisée.

En effet, la présence de ministres au sein de l’Assemblée constituante crée une confusion entre le pouvoir législatif -incarné par l’Assemblée constituante-, et le pouvoir exécutif -incarné par le gouvernement. Il y a plusieurs pays dans le monde où la démocratie est bien implantée, qui exige à ce que les élus démissionnent s’ils rentrent au gouvernement.

La séparation, une fois pour toutes, entre ces deux pouvoirs, est à la fois primordiale et symbolique en cette période de transition et d’installation de la démocratie en Tunisie. Cette période est celle de la mise en place des bases de ce que sera la future Tunisie, une Tunisie que nous voulons démocratique.

Source: “wmc” Le 24-11-2011

Lien: http://www.webmanagercenter.com/management/article-112983-tunisie-les-membres-de-la-constituante-devront-ils-demissionner-pour-occuper-un-poste-de-ministre


Tunisie : la société civile est toujours là


22 novembre

Dès 8 h 30, avant la séance inaugurale de l’Assemblée constituante, les membres de la Coalition pour l’égalité et la citoyenneté se rassemblent devant la Chambre des députés au Bardo, à Tunis. Ils veulent obtenir l’inscription dans la Constitution, « de manièreirrévocable et non sujette à interprétation, du principe de non-violence à l’égard des femmes, du principe de non-discrimination sur la base du sexe, de la couleur, de la religion ou de l’origine, du principe d’égalité, en droit et devant le droit, des hommes et des femmes ».

La vingtaine de collectifs et d’associations à l’origine de cet appel entendent ainsi rappeler aux députés du parti islamiste Ennahdha (Renaissance en arabe) et à ceux des deux partis de gauche, prêts à travailler avec lui pour doter le pays d’une nouvelle Constitution, qu’ils devront compter avec la société civile. Cette dernière n’a pas l’intention de baisser les bras sous le prétexte que les résultatsdéfinitifscommuniqués par l’Instance supérieure indépendante pour les élections (ISIE) le 14 novembre ne correspondent pas forcément à ses rêves du mois de janvier, aux premiers jours de la révolution.

http://abonnes.lemonde.fr/tunisie/article/2011/11/14/tunisie-les-resultats-definitifs-ont-ete-annonces_1603365_1466522.html

Les urnes ont parlé : tout le monde en convient après ces premières élections libres depuis l’indépendance en 1956 et l’examen méticuleux des recours déposés, qui n’entachent pas la régularité du scrutin, selon le président de l’ISIE, Kamel Jendoubi, opposant historique à Ben Ali, le président déchu. Si un membre de l’Assemblée constituante sur deux est présent surFacebook, comme l’a relevé sur sa page Cyril Grislain Karray,

http://goingnext.com/opendata/2011/10/30/membres-de-lassemblee-constituante-tunisienne-2011/

le résultat n’est pas aussi favorable pour les femmes. D’après ce tableau, 55 des 217 sièges seront occupés par des élues, soit 25, 34 %de l’hémicycle. (À titre comparatif, la participation féminine dans les Parlements nationaux en Europe varie de 46, 13 % en Suède à 8, 70 % à Malte. Elle est de 18, 89 %en France. La moyenne se situant à 23, 87 %).

En Tunisie, la loi sur la parité, voulue par les féministes et les progressistes au sein de la Haute Instance pour la réalisation des objectifs de la révolution, en avril dernier, n’imposait pas que, dans chaque parti, une tête de liste sur deux soit une femme. Ainsi le parti Ennahdha n’avait présenté qu’une femme tête de liste. Mais, paradoxe, ses bons scores ont souvent permis l’élection du deuxième candidat dans chaque circonscription, en l’occurrence une femme.

Au final, 39 députées sur les 55 élues appartiennent au parti Ennahdha. Trois au parti de centre gauche Ettakatol, dont le président est pressenti pour présider l’Assemblée constituante. Trois au Parti démocrate progressiste (PDP) dont les faibles résultats ont déçu Maya Jridi, la numéro 2 qui, au soir de la défaite de son parti, a clairement choisi de se situer dans l’opposition. Le Congrès pour la République de Moncef Marzouki, futur président de la République (gauche nationaliste) a deux élues. Et le Pôle démocratique moderniste, seul à avoir opté pour la parité au niveau des têtes de liste, n’a que deux élues, du fait de ses résultats très en deçà de ses espoirs, dus à un ancrage exclusivement citadin.

Analyser les résultatsà travers une grille de lecture géographique est indispensable.

https://www.facebook.com/photo.php?fbid=278126065560301&set=a.277636455609262.68690.192061820833393&type=1&theater

Prendre en compte la classe sociale des votants aussi. Mais ce serait dommage d’oublier la variable genre. À El Omrane supérieur, dans le grand Tunis, j’ai pu rencontrer, grâce à une organisation non gouvernementale (ONG) spécialisée dans le microcrédit, Enda inter-arabe, 19 femmes pauvres qui sortaient d’une formation de pâtissières. Sur les 19, 15 portaient le foulard. Toutes avaient voté avec bonheur et fierté. Une écrasante majorité d’entre elles pour Ennahdha. Raisons invoquées : 1) la religion et la probité ; 2) l’opposition à Ben Ali ; 3) la fidélité à un parent qui a fait de la prison. Avec une grande liberté de parole, elles ont ajouté : si Ennahdha nous déçoit, on lui dira « dégage ». Avec deux à trois enfants en moyenne, elles sont les héritières de la Tunisie de Bourguiba et le savent. Ce nombre d’enfants par femme, qui se rapproche de l’Irlande ou de la France, corrobore les analyses du sociologue Emmanuel Todd et de l’historien Benjamin Stora. La maîtrise de la fécondité étant partout un facteur d’émancipation.

Source: “Le Monde.fr” Le 24-11-2011

Lien: http://www.lemonde.fr/idees/chronique/2011/11/23/tunisie-la-societe-civile-est-toujours-la_1607398_3232.html


Tunisie/Béji Caïd Essebsi a su manier le bâton et la carotte


Les uns partent avec la satisfaction du devoir accompli, les autres s’apprêtent à leur succéder et dans leur besace plein d’idées et de projets. La démission du gouvernement de Béji Caïd Essebsi est un fait attendu, mais inédit en Tunisie. Il s’inscrit dans le droit fil de ce processus révolutionnaire qui a encore de beaux jours devant lui. Le gouvernement sortant, avec à sa tête son chef Béji Caïd Essebsi, a atteint les objectifs qu’il s’est fixé au départ, en menant le pays doucement mais sûrement vers l’échéance électorale, et en lui garantissant un déroulement réussi salué par tous, tant de l’intérieur que de l’extérieur du pays. Il va sans dire qu’au lendemain du 14 janvier, la Tunisie était quasi-ingouvernable. Autant la révolution a plongé le peuple tunisien dans une liesse indescriptible, celle de l’affranchissement et de l’émancipation, autant elle a déchaîné la furie de plusieurs strates de la société, celles que l’ancien régime leur a fait voir des vertes et des pas mûrs. La Tunisie rebelle était indomptable, ni les larmes de Mohamed Ghannouchi, et ses promesses de passer le témoin aussitôt les élections tenues (à l’époque il s’agissait d’organiser des présidentielles), ni les mesures prises par ses deux gouvernements n’ont permis d’apaiser la tension. Le peuple à mis la barre très haut, à travers les illustres sit-in Kasbah 1 et 2. Mohamed Ghannouchi a fini par jeter l’éponge le dimanche 27 février, le soir même le nom de son successeur était révélé ; il s’appelle Béji Caïd Essebsi. Cet ancien ministre de Bourguiba est apparu comme l’homme providentiel. Dès sa première apparition publique, il a su conquérir les cœurs et les esprits, et sa cote de popularité était à son faîte. Mais, cela n’a pas fait long feu. Les attentes et les revendications populaires étaient telles, que la déception était presque inévitable : manifestations, sit-in, et grèves étaient le lot quotidien dans les quatre coins de la Tunisie. Dans chacune de ses sorties, le Premier ministre démissionnaire insistait sur la difficulté de la tâche et la gravité de la situation économique, qui allait en s’empirant avec les accès d’insécurité. Plusieurs régions de la Tunisie ont été rattrapées par les démons du clanisme, et ont été le théâtre d’affrontements violents et meurtriers, d’autres ont connu des épisodes violents dont l’origine et les instigateurs restaient inconnus. La boîte de Pandore était ouverte ; après des décennies de frustrations, d’inhibitions et d’injustices, cela était tout à fait prévisible. Face à cette situation frisant, par moments, le chaos, Béji Caïd Essebsi a manié le bâton et la carotte. Son obstination et son autoritarisme ont suscité des grincements de dents et lui ont valu d’être accusé de nostalgie à l’ère despotique. Mais, l’homme n’en avait cure ; il était presque imperturbable, et n’a changé ni de méthode, ni de politique. C’était lui le chef, et il n’hésitait pas à le rappeler à ceux qui lui reprochait de monopoliser le pouvoir de décision. Sa devise semblait être : « rien ne sert de courir, il faut partir à point ». Maintenant, l’heure des bilans a sonné. D’aucuns pointeront les atermoiements et les tergiversations du gouvernement provisoire sur de nombreux dossiers, notamment celui de la justice et des blessés et martyrs de la révolution. Ces critiques sont recevables, de pareils dossiers auraient du bénéficier d’une sollicitude plus accrue. Mais, pour rendre à César, ce qui lui appartient, avouons que ce gouvernement était assailli par des urgences aussi inextricables les unes que les autres, et il est parvenu à parer au plus pressé et préserver le pays des dangers qui le guettaient. En guise d’un rapport de fin de mission, les coéquipiers de Béji Caïd Essebsi laissent à leurs successeurs des livres blancs, brossant la situation critique dans différents secteurs. Ainsi, ils se seraient acquittés de leurs responsabilités honorablement jusqu’au bout. Certes, certains d’entre eux partent avec un petit pincement au cœur, ils auraient bien aimé continuer cette aventure difficile mais exaltante, mais toutes les bonnes choses ont une fin. Place maintenant aux nouveaux venus. Sauront-ils faire mieux que leurs prédécesseurs ? Ils n’ont pas le choix, ils sont tenus de performances et d’une obligation de résultats. Les Tunisiens s’impatientent à connaitre la composition du nouveau gouvernement et essentiellement, son plan d’action. Les grandes lignes sont, d’ores et déjà, connues et touchent la justice, l’Intérieur, la lutte contre le chômage et la promotion des investissements. Reste à savoir les projets préconisés, les méthodes de leur réalisation et les objectifs tracés. Les plus avertis d’entre nous sauront à l’aune de cela jauger l’efficacité et la fiabilité du programme gouvernemental. En attendant, fions-nous à la devise du prochain gouvernement révélée par un élu à la constituante, pressenti à un ministère de souveraineté, sur un plateau télé : Ce sera « Rigueur et progressivité ».

Source : « GlobalNet » Le 24-11-2011

Tunisie : le mystérieux monsieur Ghannouchi


Idéologue et président du parti tunisien islamiste Ennahdha, large vainqueur des élections du 23 octobre, le nouvel homme fort du pays savoure sa victoire après vingt-deux ans d’exil, mais se pose avant tout en rassembleur. Portrait.

« Hé, faites la queue comme tout le monde ! » Interpellé par un électeur dans la file s’étirant devant le bureau de vote d’El-Menzah 6, un homme aux cheveux blancs, qui se dirigeait directement vers l’entrée, s’exécute et prend sagement sa place dans la queue. C’était le 23 octobre, jour du vote pour l’élection de l’Assemblée constituante. L’homme en question n’est autre que Rached Ghannouchi, 70 ans, président du parti islamiste Ennahdha,que les urnes désigneront comme le grand vainqueur du scrutin. Celui que l’on appelle le Cheikh par égard pour son savoir est désormais l’homme politique le plus influent du pays.

Rentré d’un exil de vingt-deux ans le 30 janvier,deuxsemaines aprèsla fuite de Zine el-Abidine Ben Ali, Ghannouchi savoure sa victoire. Ennahdha a obtenu 89 sièges sur 217. Ce n’est pas une majorité absolue, mais c’est suffisant pour faire d’elle la première force politique du pays. Avec le Congrès pour la République (CPR) et Ettakatol, arrivés deuxième et quatrième avec respectivement 29 et 20 sièges, elle pourrait former une majorité confortable. Ghannouchi ne brigue aucun poste officiel – celui de Premier ministre devrait revenir àHamadi Jebali, l’un de ses lieutenants – et s’apprête même à céder la présidence d’Ennahdha lors d’un congrès prévu pour la fin de l’année. Mais nul doute qu’il pèsera en coulisses de tout son poids durant la transition démocratique et la préparation de la nouvelle Constitution.

Inquiétude

L’arrivée au pouvoir du mouvement islamiste ne laisse d’inquiéter certains, en particulier les laïques, les progressistes et les féministes, pour la plupart proches du Pôle démocratique moderniste (PDM), qui n’a remporté que 5 sièges, et du Parti démocrate progressiste (PDP,de Nejib Chebbi), qui en a obtenu 16. La France, qui avait parlé de « vigilance » au lendemain de l’annonce des résultats, est revenue à plus de réalisme. Après avoir déclaré qu’il fallait « faire confiance » aux responsables d’Ennahdha et « travailler avec eux », Alain Juppé, le ministre français des Affaires étrangères, a téléphoné le 7 novembre à Ghannouchi pour lui transmettreun « message de confiancesans préjugé ni procès d’intention ». « Les États-Unis souhaitent travailler avec des personnes choisies par la majorité du peuple tunisien », a déclaré pour sa part Gordon Gray, l’ambassadeur des États-Unis à Tunis.

Pourquoi Ghannouchi est-il subitement devenu fréquentable après avoir été déclaré persona non grata par la France, les États-Unis, le Liban,l’Égypteet l’Arabie saoudite ? Certes, la révolution y est pour beaucoup. Mais il y a aussi la mue du personnage, qui a lui aussi fait « sa révolution ». Les Britanniques l’ont bien compris, accordant à Ghannouchi et à plusieurs de ses compagnons l’asile politique en 1993. Ce dernier a ainsi pu continuer à diffuser ses écrits, notamment surla réconciliation de l’islam avec la démocratie, la liberté et la modernité.

Nassérien

La métamorphose, sur le fond ou sur la forme, de Ghannouchi est le fruit d’un long cheminement. Né dans une famille pieuse de paysans modestes dans la petite ville-oasis d’El-Hamma, à 30 km à l’ouest de Gabès, il se révolte une première fois à l’âge de 10 ans, quand il voit sa mère pleurer après l’arrestation de son oncle par des soldats français. Lorsqu’il monte à Tunis pour étudier à l’université islamique de la Zitouna, son héros n’est pasHabib Bourguiba, leader de la lutte pour la libération nationale, mais plutôtGamal Abdel Nasser. Son diplôme de théologie en poche, il se rend en Égypte avec d’autres étudiants tunisiens, mais ils devront manifester devant les bureaux du raïs pour que l’administration accepte de les inscrire à l’Université du Caire. Il choisit la faculté d’agronomie, pensant se mettre ensuite au service des paysans d’El-Hamma, dont son père.

Le séjour au Caire ne dure pas longtemps : Bourguiba et Nasser s’étant brouillés, le gouvernement tunisien somme ses étudiants de rentrer, craignant que les Égyptiens ne les « embrigadent ». Le futur Cheikh a failli aller à Tirana, en Albanie, alors champion européen du maoïsme, avant de lui préférer Damas. Il entame des études de philosophie, qu’il interrompt pour faire la « bourlingue », comme il dit, en Europe, qu’il visite pour la première fois, vivant de petits boulots à chaque étape. Puis il retourne à Damas, où il décroche son diplôme de philosophie, et quitte le parti nassérien pour explorer les voies de l’islam. En 1968, un an après la guerre des Six-Jours, il est à Paris. L’islamisme marque des points contre le nationalisme arabe. Il devient secrétaire général de l’Association des étudiants musulmans et s’engage comme prêcheur dans le milieu ouvrier pour une association, Jamaat al-Tabligh. En 1969, il rentre enTunisieet rejoint un petit groupe de Tabligh, dont Abdelfattah Mourou fait partie. Il a un poste de professeur de lycée. Il fait aussi partie d’une association pour la sauvegarde du Coran.

Le petit groupe va finir par entrer en politique en créant, en 1981, le Mouvement de la tendance islamique (MTI) et présente sa demande de légalisation. En guise de réponse, les cadres du mouvement sont arrêtés, dont Ghannouchi, qui est condamné à dix ans de prison. Il en purgera trois, avant d’être relâché en 1984 à la suite des émeutes du pain qui conduisent un Bourguiba vieillissant à lâcher du lest. Ben Ali, qu’il considère comme une « mauvaise graine de Bourguiba », est déjà au gouvernement et prépare la succession… pour lui-même. Les islamistes s’activent.Ghannouchi est de nouveau arrêté en 1987 et détenu dans les caves du ministère de l’Intérieur pendant six mois avant d’être transféré dans un quartier de haute sécurité. À son procès, où il est jugé pour avoir suscité des violences, Ghannouchi parle pour l’Histoire pendant quatre heures : « Ce jugement va être rendu deux fois, lance-t-il à ses juges. Vous serez condamnés par l’Histoire et ensuite par le tribunal de Dieu. » Il s’attend à être exécuté, mais recommande aux jeunes de ne pas le venger : « Si mon sang coule, la terre va fleurir. » Il est condamné à la prison à perpétuité.

Répression

Le procès et les incidents auraient été « fabriqués » par la police de Ben Ali, désireux de se faire valoir auprès de Bourguiba afin de gagner sa confiance et de se maintenir jusqu’à ce qu’il puisse exécuter son coup d’État, qui aura lieu le 7 novembre 1987. En quête de légitimité dans la perspective de la présidentielle de 1989, le nouvel hôte du palais de Carthage tente de séduire l’opposition et les islamistes, qu’il fait libérer. Ghannouchi joue le jeu pour obtenir la légalisation du parti et rebaptise le MTI Ennahdha (« la renaissance »). Il va vite déchanter : le mouvement ne peut présenter de candidats aux législatives que sous l’étiquette « indépendants ». Ben Ali est élu président le 2 avril 1989 avec 99,27 % des voix et rafle tous les sièges au Parlement. Les islamistes sont crédités de 14 % des voix mais n’obtiennent aucun siège. Ennahdha crie à la fraude, affirmant qu’elle a recueilli 30 % des suffrages.

Ghannouchi décide de quitter clandestinement la Tunisie vial’Algériele 12 mai 1989. Il voyage en Europe, au Moyen-Orient, en Asie et aux États-Unis. Ben Ali n’épargne plus personne au sein de l’opposition, sauf ceux qui le rallient. L’opération « éradication » des islamistes, dirigée par le ministère de l’Intérieur, commence en 1991, après un attentat meurtrier contre un local du parti au pouvoir, à Tunis. En août 1992, lors d’un procès pour complot, une trentaine de dirigeants du mouvement sont condamnés à la perpétuité, dont Ghannouchi, par contumace. Ennahdha estime à un millier le nombre de ses adhérents forcés à l’exil et à 30 000 celui de ses cadres et sympathisants emprisonnés durant la répression. Un millier ont purgé jusqu’à seize années de détention et une centaine sont morts en prison, certains sous la torture. Théoricien

En exil, Ghannouchi révise sa stratégie. En prison, dans les années 1980, avec un compagnon de cellule, il avait traduit du français à l’arabe une conférence de l’universitaire réformiste algérien Malek Bennabi, Al-Dimocratiya fi-l-Islam (« Démocratie dans l’islam »). Ce sera le point de départ de sa réflexion. Ghannouchi écrit alors Al-Hurriyat al-Amma fi-d-Dawla al-Islamiya (« Les libertés publiques dans l’État musulman »), publié en 1993 et considéré comme l’un des ouvrages majeurs de la pensée politique islamique contemporaine. Selon lui, l’hostilité de certains islamistes à l’égard de la démocratie est due à leur mauvaise interprétation de la nature de l’islam.Le califat, qui était leur credo, est dépassé. Il faut désormais lutter contre les obstacles endogènes à la démocratie à travers l’éducation, la relecture de l’histoire musulmane et la réactivation de l’ijtihad (l’effort d’interprétation des textes).

« Le changement populaire et pacifique, a-t-il déclaré récemment, c’est l’alternative aux tentatives de conciliation avec des régimes corrompus et irrécupérables, l’alternative aussi à la voie putschiste qui n’apporte rien de bon, l’alternative enfinà la voie violente suivie par Al-Qaïda. Toutes ces voies ont fait faillite depuis le début du Printemps arabe. » Et d’ajouter : « Nous avons besoin d’enraciner cette voie révolutionnaire, de bâtir et d’apprendre comment construire, nous avons besoin du consensus et de l’action commune, de la coexistence entre toutes les forces politiques pour tourner la page de l’exclusion et de la violence. Nous devons fonder l’ère de la cocitoyenneté qui considère que la patrie est la propriété de ses fils et de ses filles, et nous devons apprendre aux gens à respecter le verdict des urnes. »

Source : « Jeune Afrique » Le 24-11-2011

Tunisie – Mehrezia Laâbidi contre les niqab et les barbes


La première vice-présidente de l’Assemblée constituante, récemment élue et membre du mouvement Ennahdha n’a pas fini de faire parler d’elle. Les Tn-tweeple (tunisiens sur le réseau social twitter) ont en effet ressorti des articles écrits par la nouvelle star franco-tunisienne nahdhaouie publiés en 2010 sur le site « Saphir News », au moment de la polémique sur la loi interdisant le port des niqab dans l’espace public. Mehrezia Laâbidi étonne, en effet, par ses prises de positions modernes, laïques et, pourrait-on dire, féministes, au sujet de l’islam rigoriste que ses coreligionnaires adoptent de plus en plus dans les pays occidentaux, en France notamment. Dans sa «Lettre ouverte aux sœurs qui portent le voile intégral», elle pose la question aux femmes concernées s’il est sage d’aller jusqu’à de tels extrêmes et considère que de telles pratiques ne sont pas « recommandées par l’éthique islamique authentique ». Elle estime ainsi qu’en cachant intégralement leur visage, les femmes s’isolent symboliquement de la société et cela est contraire au message de Dieu et du Prophète. Elle critique, dans ce même article, les arguments de ces femmes portant le niqab qui se disent féministes et avançant l’argument du libre choix vestimentaire. Cet argument ne tenant pas, selon elle. Elle dénonce de même les enseignements religieux littéralistes et fermés qui se répandent sur les télévisions et via internet. Mehrezia Laâbidi ajoute que le port du niqab pour les femmes ou celui des kamis ou de la barbe pour les hommes contribuent à « restreindre la vision et la lecture de l’islam à un seul et unique uniforme » et sont l’expression d’une « vision qui renonce à la raison, à la culture et à la diversité, qui a fait la richesse de l’islam ». Dans un autre article, intitulé «Quels musulmans voulons-nous être ?», publié sur le même site, l’élue d’Ennahdha n’y va pas par quatre chemins ! « Je ne crois pas me tromper si j’octroie la palme d’or de la bêtise au prétendu super musulman », affirme-t-elle en parlant toujours de ces interprétations extrémistes de l’Islam, « mes coreligionnaires ont donné des vacances ouvertes et renouvelables à leurs cerveaux », renchérit-elle, dénonçant les « consommateurs du discours religieux prêt-à-être pratiqué (…) le plus sévère possible ». Mehrezia Laâbidi dénonce ainsi le manque de réflexion religieuse de certains musulmans dont les interprétations rigoristes de l’islam lui semblent être non fondées et sont, au contraire, le signe d’une absence d’esprit critique et de connaissances théologiques. A la lumière de ces déclarations, les électeurs nahdhaouis portant le niqab, le kamis ou la barbe voudront-ils reconsidérer leur choix politique ?

Source : « Business News » Le 24-11-2011

Tunisie. Yousri Triqi ou le retour de l’enfant pendu


 

L’heure de l’arrivée de l’avion en provenance de l’Irak via la Jordanie avec, à son bord, le corps de Yosri Triqi a été annoncée sur les réseaux sociaux. Sur le tableau d’affichage de l’aéroport de Tunis Carthage, l’avion a atterri avec un peu de retard, vers 14h40.

 

Noir, c’est noir !

 

13h30, il y a foule à l’aéroport. Une foule habituelle. Mais pas la grande foule qui devrait, comme prévu, accueillir la dépouille de Yosri Triqi, exécuté le 16 novembre courant après avoir été arrêté en 2006 et torturé dans les prisons irakiennes pour avoir participé à l’explosion de Samara au nord de Baghdad. Aucun membre de la famille de Yousri Triqi n’est à l’horizon. Il n’y a eu ni la famille ni les amis, ni les défenseurs des droits de l’homme dans le hall de l’aéroport. Bizarre !

 

 

14h20, nous apprenons que la dépouille sera remise à la famille de Yousri Triqi au fret. Les quelques gens perdus comme nous se sont dépêchés sur les lieux. Le tronçon de l’avenue Yasser Arafat qui sépare l’aéroport international de celui du fret était plein à craquer. Pas une place pour pouvoir se garer ni au parking ni même sur les bas-côtés. Une caravane de voitures de police en stationnement. Des unités de sécurité font ce qu’ils peuvent pour rendre la circulation plus fluide. Dans les parages, une unité de militaire en renfort, on ne sait jamais !Puis… c’est la foule. La grande foule. Des femmes en niqab tout en noir, des barbus généralement en noir, des femmes voilées, d’autres pas. Pas loin, des policiers en civil se font très discrets. Mais montent la garde.

 

 

La prière du mort

 

 

Les barbus ont reçu l’ordre de leur imam. Ils posent leurs étendards noirs estampillés de versets de Coran à même le gazon et se mettent à prier. La prière du mort. En silence. Une fois, deux fois… plusieurs fois.

 

Entre deux prières, ils donnent de la voix ! Une voix qui donne la chair de poule. Ils scandent en chœur «Allahou Akbar», «A mort les Croisés !», «A mort les ennemis de Dieu !», «Le sang du martyr Yosri mayemchich hba !», et même un très étrange «Ya Yousri : transmets nos saluts à notre cheikh Ben Laden…».

 

Pas loin d’eux, d’autres personnes brandissent d’autres slogans. Il s’agit des familles d’autres Tunisiens détenus en Irak. «Mon fils est installé en Irak depuis 2005. Il a fondé une famille et sa situation est en règle. On l’a accusé de terrorisme et arrêté. Après avoir prouvé son innocence, il a purgé quand même une année. Quelques mois plus tard, on l’a arrêté à nouveau et jeté en prison. Ça fait près de six ans. J’ai peur qu’il finisse comme Yousri. J’espère que les autorités tunisiennes interviennent et fassent le nécessaire à temps pour rapatrier nos enfants», raconte une maman.

 

Comme cette mère meurtrie dans sa chair, plusieurs parents appellent les défenseurs des droits de l’homme et le gouvernement à faire un geste pour les enfants du pays.

 

Où est passée la famille de Yousri ? «La maman est à plaindre et ne peut faire le déplacement de Sfax. Mais le père, les frères, les oncles et les cousins sont là», nous a dit la voisine de la famille. Son teint est comme un citron pressé. Dans la foule, nous cherchons les proches de Yousri.

 

 

Une fête pour le «martyr»

 

 

Seuls les journalistes et les proches de Yosri ont eu droit de franchir la porte et de s’approcher de la piste où s’est posé l’avion. «Pour être franc, mon fils est allé en Irak pour combattre, au nom de l’islam, les Américains. Lorsqu’il est parti en Irak en 2003, je n’étais pas au courant. Mais auparavant, j’ai senti qu’il avait une idée en tête et je lui ai même confisqué son passeport. Il a réussi à le reprendre et à partir. En 2003, j’étais opposé à son projet. Mais aujourd’hui, si on me dit qu’il faut envoyer Malek (17 ans), Moez (20 ans) et Ahmed (24 ans), mes trois autres enfants, pour combattre, je ne dirais pas non», nous a lancé Fakher Triqi, père de Yousri. Et d’ajouter que lui-même serait partant pour se battre pour l’indépendance de l’Irak ou ailleurs. Et d’insister : «Les Américains ont droit à une coalition pour nous combattre. Nous aussi, nous devons avoir une structure pour nous défendre et c’est légitime», a-t-il martelé.

 

 

On ne sait pas si le père de Yosri était conscient de la gravité de ses propos, ou s’il était seulement poussé par la douleur qui lui ronge l’esprit, celle d’un père qui radote et dit n’importe quoi dans un moment de grande émotion. Et de colère. M. Triqi n’a pas oublié en passant de remercier tous les politiques qui l’ont soutenu et qui ont fait ce qu’ils pouvaient pour intervenir avant l’exécution de son fils. «Mon fils est un martyr. Sa mère est restée à Sfax pour préparer la cérémonie… Notre fils est un martyr, répète-t-il, il est mort pour défendre ses frères en Irak et il faut fêter sa mort», a-t-il dit en souriant. Un sourire étrange, où pointe une douleur lancinante.

 

 

Clignotants en détresse

 

 

Selon M. Triqi, le corps de son fils sera transporté immédiatement à l’hôpital de Sfax pour autopsie avant d’être inhumé vendredi dans sa région. «C’est pour voir s’il a été torturé avant et après son exécution ou non. Afin de présenter son dossier à la justice internationale. Mon fils n’a pas été l’auteur de l’explosion. Pour une explosion, il faut des techniciens spécialisés», dit encore M. Triqi. Selon lui aussi, le juge d’instruction au tribunal de Sfax a pris en main, mercredi, l’affaire de Yousri et va faire le nécessaire pour démontrer qu’il était «innocent».

 

15h25, se profilent une estafette blanche, un Samu suivi d’un gros camion militaire. Les véhicules ont mis les clignotants en détresse… A la sortie, les barbus prennent d’assaut le Samu qui s’est arrêté. Quelqu’un leur ordonne de se mettre à genoux. Tout le monde s’est exécuté.

 

 

Quelques uns avancent avec leurs drapeaux noirs vers le Samu, collent sur le pare-brise une affiche où ils ont griffonné un hommage au «martyr» à côté de sa photo. Puis c’est le silence qu’impose la mort. On fait sortir le cercueil. Les «Allahou akbar» fusent de partout. Une dernière prière avant de remette le cercueil dans le Samu.

 

J’ai tenté de me frayer un petit chemin pour pouvoir prendre des photos. Pas facile. Un barbu m’a crié dessus : «Hé, femme, que faites-vous parmi les hommes !». Je lui réponds que je fais mon boulot. «Boulot, vous les journalistes, tous dans le même sac. Arrêtez de vous en prendre à nous», réplique son voisin. Du coup, un autre barbu leur lance un regard perçant et me demande pardon. Les deux jeunes se sont tus. 16 heures et quelques, le Samu redémarre. Direction : Sfax. Un cortège de voitures suit au ralenti. Les feux clignotent…

 

Une histoire qui finit. Yousri sera inhumé parmi les siens. D’autres Tunisiens, en Irak, en Afghanistan et ailleurs, sont encore perdus dans les sentiers du jihad ! Et tous ces jeunes devant moi, qui semblent envier le triste sort de Yousri…

Source : « Kapitalis » Le 24-11-2011

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