9 septembre 2006

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TUNISNEWS
7 ème année, N° 2301 du 09.09.2006

 archives : www.tunisnews.net


Associated Press:Un séminaire euro-méditerranéen sur l’emploi annulé à Tunis faute d’autorisation des autorités l’agence TAP (Officielle): Message de condoléances du Chef de l’Etat à la famille de Simon Malley, fondateur d’Afrique Asie  M’hamed JAIBI: UNE RENTREE MULTICOLORE  Houcine BEN ACHOUR: L’INVESTISSEMENT MERITE BIEN UNE CONSULTATION NATIONALE  l’e-mag Bakchich:La Tunisie sous la loupe de Béatrice Hibou Hatem Karoui, auteur du roman «Meurtre au Palais du Bardo» :«CERTAINS TABOUS N’ONT PLUS LIEU D’ETRE !» Balha Boujadi:DIABOLISER L’OCCIDENT CE N’EST QUE PURE LACHETE

 
 

Cliquez ici pour accéder au reportage exceptionnel de l’AISPP sur la catastrophe humanitaire des prisonniers politiques Tunisiens 


 
ANNONCE   Les émissions de la chaîne TV tunisienne « Elhiwar » sont désormais disponibles sur le site Internet : http://www.elhiwar.org/


Un séminaire euro-méditerranéen sur l’emploi annulé à Tunis faute d’autorisation des autorités

 
Associated Press, le 8 septembre 2006 à 16h26 TUNIS (AP) – Un séminaire euro-méditerranéen sur l’emploi qui devait se tenir vendredi à Tunis n’a pas été autorisé par les autorités, a-t-on appris de sources concordantes. Les autorités justifient leur position par le fait qu’elles « n’ont été ni saisies ni informées de cette activité ». PUBLICITE Organisé par la fondation allemande Fredrich Ebert avec le concours notamment de la confédération syndicale espagnole Obreras, le séminaire devait se pencher sur « l’impact du partenariat euro-méditerranéen sur l’emploi ». Après des manifestations similaires tenues à Rabat et à Amman, il constituait la dernière étape de préparation de la première conférence inter-gouvernementale sur l’emploi prévue à Berlin au premier trimestre 2007. Une cinquantaine de participants étrangers représentant des syndicats et des ONG d’Allemagne, d’Espagne, de France, de Grande-Bretagne, de Finlande, de Turquie, d’Algérie, du Maroc, d’Egypte, du Liban, de Jordanie et de Syrie et Tunisie ont fait le déplacement à Tunis pour y prendre part. Les participants palestiniens étaient cependant absents, n’ayant pas pu obtenir de visas, selon les organisateurs. Le responsable du département Maghreb à la fondation allemande, Ralf Melzer, s’est déclaré « déçu » par cette interdiction d’autant que, selon lui, le thème du séminaire « ne représente pas un sujet délicat ». Il y a « des raisons politiques » derrière cette mesure, a-t-il avancé. Réfutant la version officielle « pas convaincante », il fait valoir que des invitations ont été adressées depuis trois mois à deux ministres. Il a déploré que l’hôtel qui devait abriter les assises se soit rétracté en dernière minute. Associated Press


Message de condoléances du Chef de l’Etat à la famille de Simon Malley, fondateur d’Afrique Asie

 
CARTHAGE, 08 Août 2006 (TAP) – Le Président Zine El Abidine Ben Ali a adressé un message de condoléances à la famille de Simon Malley, fondateur de la revue « Afrique Asie » et figure emblématique du journalisme international, décédé jeudi, à Paris. Dans son message, le Chef de L’Etat rend hommage à l’oeuvre journalistique pionnière de Simon Malley et à sa contribution à l’émergence d’une conscience internationale plus affinée des causes de l’Afrique et du Monde Arabe. Simon Malley est né dans une famille modeste du Caire, en 1923. Il commence sa carrière journalistique dans les médias égyptiens, notamment dans Le « Progrès égyptien ». Peu après la fin de la Deuxième guerre mondiale, il part aux Etats-Unis en tant que journaliste. A ce titre, il couvrira la naissance de l’ONU. A partir de ce poste d’observation privilégié, il mettra sa plume et son énergie au service de la cause de la décolonisation, notamment en Afrique et dans le monde arabe, et noue des relations d’amitié durable avec la plupart des futurs dirigeants du Tiers-Monde. Après la révolution égyptienne du 23 juillet 1952, Simon Malley est chargé de représenter le quotidien « Al- Joumhouria » à New York. Simon Malley côtoie alors tous les représentants des mouvements de libération et s’engage résolument dans la défense de leurs causes. C’est à ce titre qu’il défend, avec son épouse Barbara, la cause des indépendances maghrébines. La cause palestinienne est également au centre de ses préoccupations, à une période où les médias arabes et africains accrédités aux Nations Unies étaient quasiment inexistants. C’est sans doute son expérience onusienne qui l’amène, dès 1969, à lancer un magazine international entièrement dévoué aux pays du Sud ainsi qu’aux mouvements de libération. Cette épopée éditoriale débute en 1969 avec « Africasia », qui devient, deux ans plus tard, « Afrique-Asie », et qui sera renforcé par un mensuel économique, « L’économie du Tiers-Monde », et d’une version anglaise, pour finalement aboutir, en 1989, au « Nouvel Afrique Asie ». En septembre 2005, la revue reprend son nom d’origine « Afrique-Asie ». (Source : l’agence TAP (Officielle), le 8 septembre 2006) Lien : http://www.tap.info.tn/fr/index.php?optionfiltered=com_content&task=view&id=13907&Itemid=203


UNE RENTREE MULTICOLORE

 
Par M’hamed JAIBI   Par plus d’un aspect, la rentrée qui se profile est porteuse d’espoirs et de questionnements. Connue toutes les rentrées, diriez-vous. Peut-être plus. Certes, au niveau politique, aucun rendez-vous semblable à celui des années écoutées n’est prévu. Rappelons-nous, l’an passé, le SMSI avait fait couler son pesant d’encre et suscité les convoitises jusque dans les médias où une malheureuse grève de la faim politico-politicienne avait fini par rafler la vedette.
Reste que deux congrès de partis de l’opposition sont en préparation, tous deux porteurs des germes d’une relance de l’image de leur sigle : le MDS, qui n’en finit pas de se réconcilier, et le parti Ettajdid, qui amorce la dernière ligne droite d’une «refonte» devant intégrer quelques dizaines d’indépendants dont les avocats Abdelaziz Mzoughi et Sana Ben Achour, et l’économiste de gauche Mahmoud Ben Romdhane. Plus difficiles à classer, les congrès de l’UTICA et de l’UGTT marqueront peut-être plus intensément la entrée politique.
A l’UTICA, parce que certains hommes d’affaires, comme cela s’est illustré à Sfax, souhaitent vivement voir leur organisation reprendre l’initiative et mieux clarifier les termes de la libre entreprise et de l’investissement, par des réformes courageuses touchant la fiscalité, les autorisations administratives, les formalités douanières ou encore les litiges employeurs-employés… Au sein de l’UGTT, où des groupes et clans, parfois politiquement marqués, entendent consolider leurs positions à travers la bonne vieille méthode de la surenchère, pourtant passée de mode dans nos souks et marchés.
Quand à la LTDH, qui n’a pas besoin de faire la preuve de sa qualité politique, elle reste au centre d’une riche polémique qui n’en finit pas d’inciter les profanes, ultra-majoritaires dans le pays, à se désintéresser de la chose publique. Ce qui est bien malheureux dans un pays de démocratie naissante où il s’agit de forger une opinion publique agissante. Restent les enjeux économiques et sociaux, à un moment où le pétrole escalade triomphalement le pic des 100 dollars, divisant la planète en pétro-riches et pétro-pauvres. Ce qui invite notre pays, pas vraiment «producteur», à revoir ses comptes et à redoubler d’effort dans la réflexion, la réforme et d’action.
Pas plus tard que mardi dernier, le président de la République a appelé à la mise en place d’une loi-cadre encourageant l’initiative. Prenant connaissance des indicateurs relatifs à la création d’entreprise, à la lumière des indications existantes et des mécanismes institués, le chef de l’Etat a appelé à prévoir une simplification maximum des procédures et une dynamisation conséquente de l’investissement. Pourvu que puisse se profiler à l’horizon, une sérieuse reprise des investissements, qu’ils soient locaux ou d’origine étrangère.
Cette question de la promotion de l’investissement renvoie aux incitations autant qu’à l’environnement des affaires et à la pression fiscale que supportent les entreprises, parfois les unes au détriment d’autres. Ce qui met en vedette deux projets d’actualité et une initiative. L’initiative, c’est l’amnistie fiscale décidée par le président de la République et qui, n’ayant pas été concluante dans sa première formule, vient d’être prorogée sous de meilleurs auspices. Les projets en question sont celui de la loi de finances pour 2007 et celui relatif à la refonte de notre système fiscal, qui gagnerait à être simplifié, modernisé et harmonisé. A devenir plus accessible, plus lisible, plus pratique et plus clément, de droit comme de fait. Tout en favorisant l’imposition directe des revenus effectifs au détriment de ce que certains fiscalistes appellent, à juste titre, la «destruction massive».
Deux registres complémentaires qui méritent qu’on s’y intéresse de près et qu’on y intéresse l’ensemble de l’opinion publique et des acteurs de la vie nationale, partis et syndicats en tête. Car c’est de leur bon traitement que dépendront beaucoup de choses. Dont la crédibilité et l’équité de notre système fiscal, aux niveaux aussi bien strictement économique que social.
Il s’agit, assurément, d’inspirer pleine confiance aux investisseurs tunisiens et non tunisiens, de promouvoir le projet de société avancée auquel est associé le modèle tunisien, et d’inciter les citoyens à investir avec toutes les chances d’assurer aux entreprises fondées viabilité, prospérité et longévité.   (Source : « Le journal », N °39 du 9 septembre 2006) Lien: http://www.gplcom.com/journal/fr/article.php?article=676&gpl=39


L’INVESTISSEMENT MERITE BIEN UNE CONSULTATION NATIONALE

 
Par Houcine BEN ACHOUR              Mais qu’est ce qui peut bien expliquer le fait que l’investissement privé en Tunisie n’évolue pas au rythme qui logiquement et objectivement devrait être le sien ?   M. Tawfik Baccar, Gouverneur de la Banque Centrale de Tunisie (BCT), l’a clairement signifié dans sa lettre introductive au 47ème Rapport annuel de la BCT pour l’année 2005, estimant que l’investissement se doit d’être dorénavant un facteur essentiel pour accroître le rythme de la croissance économique à un niveau qui satisfasse les objectifs du développement et de l’emploi. Or, force est de constater que, malgré l’arsenal incitatif, le cadre juridique et institutionnel stimulant et la disponibilité du secteur financier, il se trouve que l’investissement privé tunisien n’arrive pas à décoller convenablement.   Les données statistiques parlent d’elles-mêmes : alors que le taux de croissance annuel moyen du PIB à prix courant affiche 7,5% sur la période 2002-2005, celui de l’investissement privé n’enregistre qu’un taux moyen de 3,4% sur la même période, tirant de fait la croissance vers le bas. Cela est d’autant plus incompréhensible, sinon énigmatique, que l’investissement étranger marque en revanche un rythme en rapport avec la croissance économique. En 2005, l’investissement étranger a augmenté de 25,5% et de 9,4% en 2004. Les IDE (Investissements directs étrangers), hors privatisation, ont crû en moyenne annuelle de 6% environ sur la période 2002-2005, dans le sillage du taux de croissance économique.   En tout cas, le constat renforce la thèse selon laquelle les opérateurs étrangers font plus confiance à l’environnement de l’investissement et le climat d’affaires prévalant dans le pays, que leurs pairs tunisiens. Une situation qui ne risque malheureusement pas de perdurer. En effet, la balance des investissements étrangers en portefeuille indique que le montant des cessions de parts sociales par des non-résidents au niveau de la Bourse des valeurs mobilières de Tunis, a enregistré une hausse de plus de 70% en 2005, alors que les acquisitions réalisées à ce titre n’ont augmenté que de 14% environ.   Manifestement, il va bien falloir trouver des raisons à une telle situation. A l’heure où la Tunisie se penche sur la problématique des exportations –une consultation nationale est prévue pour mardi prochain après la série des consultations régionales ayant eu lieu au cours de l’été– aujourd’hui, plus que jamais, le même processus mérite d’être lancé pour l’investissement privé. Il conviendra nécessairement de débattre sans fioritures, ni tabous, ni hypocrisies ; de mettre tout à plat, et pas seulement les obstacles juridiques et autres errements bureaucratiques. La franchise est la vertu qui renforce la confiance. Et de la confiance naît l’acte d’investir. Une chose est sûre, il faut impérativement inverser cette périlleuse tendance car c’est une matrice à très gros risque.   (Source : « Le journal », N °38 du 9 septembre 2006) Lien: http://www.gplcom.com/journal/fr/


La Tunisie sous la loupe de Béatrice Hibou

 
par Maya Lenoir
« Le plus fort n’est jamais assez fort pour être toujours le maître, s’il ne transforme sa force en droit, et l’obéissance en devoir » écrivait Jean-Jacques Rousseau. Une leçon que le gouvernement tunisien applique avec dextérité, comme l’analyse Béatrice Hibou, chercheur au CNRS (Ceri-Sciences Po) dans son dernier ouvrage, La force de l’obéissance. Economie politique de la répression en Tunisie. Interview.
La force de l’obéissance… vous auriez pu aussi titrer votre livre comment les Tunisiens vivent sans moufter au cœur d’une « si douce dictature » ?
Vous aurez remarqué que je n’utilise pas le mot dictature ! J’ai justement voulu savoir comment fonctionnaient les relations de pouvoir et de domination en Tunisie avant de mettre le pays dans une case. Je me suis demandé comment la grande majorité des individus pouvaient vivre pour ainsi dire normalement dans un environnement politique disciplinaire, normalisateur et parfois coercitif. S’ils peuvent souffrir de l’absence de liberté d’_expression, du poids d’un discours unique et souvent irréaliste et parfois d’un présence policière trop massive, ils n’en apprécient pas moins la sollicitude de l’Etat et son volontarisme économique. Mais loin de moi l’idée de sous-estimer la répression et le contrôle policier. D’où le choix de débuter mon livre par l’état des lieux du harcèlement que subissent les islamistes par les autorités tunisiennes. Cependant, il est un fait que l’usage de la violence et la répression proprement dite restent concentrées à des catégories de la population assez limitées. Pourtant les pays occidentaux ne sont pas dupes, ni de cette coercition, ni de ce que vous nommez la « modernisation en trompe-l’œil » [1] que met en œuvre la Tunisie pour attirer les investisseurs étrangers. Peut-être y trouvent-ils leur compte, par exemple l’accès à une main d’œuvre bon marché ?
Non, la main d’œuvre n’est pas particulièrement bon marché en Tunisie, en termes comparatifs. Et il faut distinguer les bailleurs de fonds et les potentiels investisseurs. Pour les premiers, l’acceptation des réformes économiques, l’adoption du langage et des concepts à la mode dans le milieu de la coopération, la capacité administrative à répondre à ses demandes, un discours structuré et homogène, tout cela constitue un cadre extrêmement propice aux bailleurs de fonds. Leur travail y est facilité même s’ils peuvent, ponctuellement, critiquer l’absence de libertés publiques, la prégnance des mécanismes policiers et répressifs. Mais globalement, les modalités subtiles, économiques et sociales, de l’exercice du pouvoir et de la domination rendent d’autant plus difficiles les pressions en faveur d’une libéralisation politique que la Tunisie est un allié sûr et totalement engagé dans la « guerre contre le terrorisme », islamiste, cela va sans dire. La question de la modernisation n’est pas fondamentale pour eux ; il s’agit avant tout d’un discours. Quant aux investisseurs étrangers, ils ne sont pas si nombreux à venir, comme dans le reste de la région. Lorsqu’ils s’installent, ils sont moins attirés par le coût de la main d’oeuvre que par la proximité physique et linguistique, les facilités fiscales et douanières, l’efficacité de l’administration pour les zones off shore, les aides de l’Etat… ainsi que par l’ordre, la stabilité politique et la sécurité des personnes. Pour les uns et les autres, la modernité est appréciée de façon extrêmement formelle et opportuniste.
Pensez-vous que la stabilité politique de la Tunisie puisse être menacée par une récession économique ?
Non. À mon avis, les difficultés économiques actuelles en Tunisie sont souvent surestimées, tout comme le « miracle tunisien » l’avait été auparavant. On assiste certes à des problèmes ici et là, dans le tourisme en 2002-2003, dans le textile depuis la fin de l’accord multifibre…., mais globalement, l’économie tunisienne résiste relativement bien, principalement parce qu’elle repose sur le dynamisme de très petites entreprises tournées vers le marché local et dont le dynamisme ne doit pas tant aux politiques et interventions de l’Etat. Le Pacte de sécurité que je décris, qui entend surtout assurer l’ordre et la quiétude par des programmes sociaux, des politiques publiques, des orientations économiques, des alliances internationales… est le rouage fondamental de la stabilité politique et sociale. Or les mécanismes d’intervention du pacte s’adaptent aux conditions économiques, les subventions et le s compensations directes peuvent baisser du fait des difficultés financières, mais d’autres instruments peuvent se déployer, le crédit, les modalités, pas seulement statistiques de traitement du chômage, un ciblage des subventions, la préservation d’une bonne image garante de l’obtention de crédits extérieurs à coût faible… Par ailleurs, la stabilité politique n’est pas seulement assurée par des dispositifs économiques et sociaux ; le désir d’unité nationale joue un rôle indéniable, de même que la présence policière, l’absence de discussions et de débats, l’inexistence d’une presse digne de ce nom, le culte du consensus et de l’unanimisme.
La stabilité de la Tunisie serait-elle alors compromise par la disparition de Ben Ali, qui vient de fêter ses 70 ans ?
Non, je ne le crois pas. Le système politique tunisien ne tient pas à un seul homme, quoiqu’en laisse paraître le culte de la personnalité et l’omniprésence du Président dans le pays. J’ai précisément essayé de montrer dans mon livre que, ce qui « tenait » les gens, ce n’était pas le lien à un homme, fût-il le plus puissant, ce n’était pas non plus la peur seulement, mais un ensemble de relations de dépendances mutuelles et l’insertion des relations de pouvoir dans ces mécanismes économiques et sociaux les plus banals. Ce qui ne veut pas dire non plus que rien ne changera et il est fort possible que l’emballement policier soit freiné, que les formes les plus extrêmes et les plus violentes de la répression disparaissent ou s’amenuisent, ce qui n’est pas rien ; mais je ne crois pas aux changements majeurs en termes de modes de gouvernement.
Finalement ce système en vaut un autre : des Tunisiens satisfaits, une certaine stabilité …
C’est incontestablement un système qui fonctionne ; pour l’appréciation…. tout dépend des valeurs qui sont les vôtres, de l’importance que vous accordez au bien-être matériel, à la liberté, à la participation à la vie en société, à l’ordre et la sécurité… Mais que veut dire des Tunisiens « satisfaits » ? Et qui sont les Tunisiens ? Ceux qui sont directement engagés dans le combat politique ne le sont certainement pas, mais combien sont-ils ? La majorité des Tunisiens, ceux que j’ai essayé de comprendre, vivent sur le mode de la normalité, c’est-à-dire en cherchant non pas à contester, ni même à apprécier, mais simplement à s’adapter à des règles sinon intériorisées, du moins négociables et sur lesquelles ils peuvent jouer et par là même trouver des avantages concrets et matériels. Ils peuvent être simultanément satisfaits et insatisfaits, les hommes ne sont pas unidimensionnels… Ce qui ne veut pas dire qu’ils ne seraient pas « satisfaits » dans un autre système politique.
La Force de l’obéissance. Economie politique de la répression en Tunisie, Paris, La Découverte, 2006.
[1] « Les autorités de tutelle adopteraient de nouvelles normes et des institutions calquées sur les modèles internationaux pour, en quelque sorte « se faire bien voir », montrer que le pays s’adapte ; mais elles le feraient très progressivement, sans en adopter nécessairement l’esprit. » La force de l’obéissance, B. Hibou, Édition La Découverte, page 43.
(Source : l’e-mag Bakchich, le 7 septembre 2006) Lien : http://www.bakchich.info/article186.html


Hatem Karoui, auteur du roman «Meurtre au Palais du Bardo» :

«CERTAINS TABOUS N’ONT PLUS LIEU D’ETRE !»

 
Hatem Karoui est un écrivain tunisien qui est venu à la création littéraire assez tardivement. De formation juridique (droit public), il avait au préalable entamé une carrière dans le commerce extérieur et il avait pris dans ce contexte son bâton de pèlerin pour trouver des débouchés aux produits « carthaginois » sur le marché africain qu’il affectionnait particulièrement et qu’il avait couvert de long en large. Et lorsqu’il avait enfin échoué en Afrique du Sud, la tentation de s’y installer l’avait emporté. Il y avait alors passé trois ans au bout desquels Il était retourné au bercail avec un « tatouage » indélébile. Le pays de Mandela l’avait en effet profondément marqué car même si les élections multiraciales avaient permis de rétablir quelque peu l’Etat de Droit, l’odeur de l’injustice rôdait encore, lancinante, sur les lieux. Tout en poursuivant ses activités professionnelles il avait ressenti le besoin d’exprimer d’une manière ou d’une autre le sentiment de la marginalité et celui de la différence prononcée de statut social, et ce fut ce qui lui avait inspiré son premier roman : « Le destin tragique du juif Baittou » sorti il y a trois ans, où il avait abordé la problématique de la coexistence interraciale et interethnique dans la Tunisie précoloniale (*). Le personnage principal de roman était un juif des quartiers pauvres de Tunis qui avait été injustement condamné à la peine capitale. La quête de l’auteur y était claire : ne pas confondre entre juif, israélien ou sioniste. Ne pas faire d’amalgame et même si on était d’origine musulmane il fallait avoir le courage de procéder à une autocritique lorsqu’on était dans son tort. Le succès mitigé obtenu par son premier roman causé par le thème sensible qu’il avait choisi, loin de le décourager l’avait convaincu de la nécessité de continuer le combat contre l’injustice. Dans son nouveau roman « Meurtre au Palais du Bardo » qui est chronologiquement le continuum du premier, il nous replonge dans un épisode du Protectorat, ayant pour toile de fond une Exposition Universelle organisée en France au tout début du siècle dernier à laquelle la Régence de Tunis avait participé. La trame du récit semble assez simple : une altercation orageuse intervient entre deux intellectuels brillants, tous deux membres du mouvement « Jeune tunisien » pour des raisons sentimentales. Le conflit entre les deux hommes déborde de son cadre privé pour électriser leur environnement sociopolitique compte tenu de leur importance respective sur l’échiquier national. Le malaise déclenché se résout par la mort de l’un des deux protagonistes dans des conditions suspectes. En fait l’incident n’est pour l’auteur qu’un prétexte pour dresser un bilan de l’atmosphère politique et sociale de l’époque et pour faire un état des lieux des mentalités dans un Beylicat « protégé ». Euphémisme linguistique pour dire qu’il est colonisé, c’est-à-dire brimé et piétiné. Un jeu de rôle subtil commence alors et le paysage se remplit d’acteurs aux profils variés dont il interprète alternativement la vision du monde et les idées. Alors que la question coloniale est d’une brûlante actualité et fait l’objet d’un large débat intellectuel, ce livre catalogué à mi-chemin entre le roman et l’essai permet de sortir des sentiers battus du discours dominant. Il vient donner une légère lueur d’espoir à ce Sud bafoué qui est supposé à chaque fois que l’occasion se présente consommer la soupe insipide que l’on consent à lui servir. Le livre édité par «Maghreb Média» sera distribué auprès des libraires en octobre. Interview :    Nous constatons qu’il existe un lien entre votre premier roman et l’actuel. Cette jonction était-elle pour vous nécessaire ? En fait au tout début je ne savais pas s’il y aurait une suite à mon premier roman. Je ne savais même pas si je continuerai à écrire ou non, et je profite de l’occasion pour ouvrir une parenthèse et d’affirmer haut et fort que les écrivains tunisiens rencontrent encore de nombreuses difficultés pour produire malgré certains encouragements des pouvoirs publics. Je sais que l’écrivain en s’engageant dans l’aventure de l’écriture ne vise pas le gain matériel ou la fortune mais la poursuite de la création littéraire tient de la prouesse et en tout cas simplement du militantisme. Pour revenir à votre question je dirais que c’est en premier lieu le mûrissement de l’idée qui a permis au moment voulu de décider de poursuivre cette saga. Maintenant, il existe certainement d’autres raisons parmi lesquelles je citerai mon intérêt personnel pour la période coloniale qui ne fait pas encore de la part des écrivains l’objet d’une investigation sérieuse…   Justement, quelles sont les causes que vous attribuez à la négligence de cette période de l’histoire de la Tunisie ? Les raisons sont diverses et j’en citerai principalement certains tabous relatifs à des blessures qui tardent à cicatriser. La période coloniale a toujours été considérée comme une période sombre de l’histoire et cela vaut davantage pour l’Algérie où la mémoire collective et individuelle est encore profondément marquée par les séquelles des traumatismes résultant de la colonisation. C’est pour cette raison que j’ai jugé le moment venu d’essayer de dédramatiser le fait colonial et de l’aborder avec une certaine lucidité et un certain recul. Il est temps que l’on accepte d’ouvrir certaines parenthèses de notre vécu et surtout que les jeunes générations retrouvent le contact avec cette zone hachurée de leur passé !   Comme dans votre premier roman, vous abordez le problème de l’antisémitisme en incriminant indirectement les français de Tunisie appelés «les prépondérants  dans sa propagation. Pouvez vous nous en dire plus à ce sujet ? C’est en effet un problème épineux. L’étude de cette époque montre que les premiers colons cherchaient par tous les moyens à exploiter l’avantage juridique de l’installation du Protectorat pour contrebalancer leur infériorité numérique par rapport aux autres minorités, dont notamment les israélites, qui par l’antériorité de leur installation dans la Régence avaient acquis un avantage au plan de leur position sociale et économique. Il faut savoir que la situation des juifs était assez originale en Tunisie. Le décret Crémieux leur avait permis d’acquérir dans les colonies comme l’Algérie la nationalité française, mais c’était moins évident pour les pays sous le régime du Protectorat. Cette opportunité leur avait été ensuite officiellement offerte en Tunisie avec la politique des naturalisations dans les années 30. Ils y eurent d’ailleurs largement recours pour pouvoir s’intégrer dans la culture dominante alors que les musulmans y furent moins portés pour des raisons multiples dont le souci de conserver une identité que le système colonial avait cherché à noyer. Au début du 19ème siècle leur situation était donc moins favorable et j’avais insisté sur certains des clichés antisémites exprès pour montrer justement l’empressement des colons de faire rapidement table rase de leurs avantages acquis sur le terrain en exploitant le climat hostile aux juifs dans la Métropole. Il est établi que le climat antisémite qui existait au début du siècle en France avait été largement transposé en Tunisie. Il ne faut pas oublier que l’affaire «Dreyfus» battait alors son plein et l’impact était inévitable sur l’atmosphère locale.   Pourtant le racisme anti-arabe et anti-musulman existait aussi…. Bien sûr, et il n’en était pas moins virulent. Je l’avais relevé maintes fois surtout avec les propos pamphlétaires de Jules Ferry, alors Premier Ministre, qui était à l’origine de la décision de l’occupation de la Tunisie, mais qui avait pourtant eu l’initiative de réformer l’éducation en France (toujours la règle des eux poids, deux mesures). Il y avait évidemment des justifications économiques à la colonisation comme la ruine des viticulteurs du midi de la France et la recherche de nouvelles terres agricoles ailleurs, la perte de la guerre contre la Prusse en 1870 matérialisée par la soustraction des territoires de l’Alsace-Lorraine et le besoin de compenser cette perte par l’extension des frontières en Afrique ; mais Ferry avait aussi expressément motivé l’occupation par la nécessité pour les races supérieures de civiliser les races inférieures. Il ne fait pas de doute qu’il faisait principalement référence aux musulmans de l’Afrique du Nord. Les théories de Gobineau avaient alors déjà pris racine et trouvé des âmes charitables pour les expérimenter. D’ailleurs j’en profite pour faire remarquer qu’à mon avis il est erroné de définir l’antisémitisme comme une forme de discrimination raciale opposée uniquement aux juifs. Il ne faut pas oublier les arabes musulmans sont aussi des sémites.   En dehors de ce problème de définition, peut-on pourtant dire que la pression se soit davantage exercée sur les musulmans que sur les juifs lors de l’occupation coloniale ? Tout en différant de degré, la discrimination avait existé simultanément. Même si les juifs n’avaient pas été épargnés le décret Crémieux permettait à ceux de ces derniers vivant dans les colonies d’acquérir la nationalité française à part entière et non aux musulmans que l’on continuait à considérer comme des citoyens de seconde zone. Il y avait donc un statut juridique plus favorable dès 1870. Ce n’est qu’en 1947 après la seconde guerre mondiale que les algériens musulmans deviennent citoyens français et obtiennent le droit de vote et encore ; leur représentativité au parlement était purement formelle. D’ailleurs j’avais signalé dans le roman l’ingratitude et l’absence de reconnaissance des autorités coloniales de la contribution des soldats nord africains à l’effort de guerre de la France. Ce n’est qu’aujourd’hui où l’on commence timidement à reconnaître leur rôle. Tout ceci pour dire que finalement juifs et musulmans avaient connu à travers l’Histoire à des niveaux et des contextes divers les mêmes épreuves et les mêmes combats contre l’intolérance. Cela aurait dû les unir davantage mais malheureusement la mémoire de ceux qui président aujourd’hui aux destinées du peuple juif est trop courte.   Vous abordez aussi la naissance du féminisme en Tunisie…. Oui, j’avais tenu dans mon nouveau roman à battre en brèche l’image colportée dans les œuvres culturelles occidentales et les médias du Nord selon laquelle l’Islam allait à l’encontre de la modernité et de la liberté de la femme. Il était notamment utile d’évoquer l’esquisse du mouvement féministe qui avait commencé à poindre avec la création au début du siècle de l’Ecole de la Rue du Pacha à Tunis, ouvrant les perspectives d’acquisition de l’instruction et du savoir à la gent féminine. C’est d’ailleurs l’occasion de dire que ce mouvement était antérieur à Tahar Haddad et à Habib Bourguiba. Par exemple avant L’Union Nationale des Femmes de Tunisie créée avec l’avènement de la République existait déjà, l’Union des Femmes Musulmanes dirigée par B’chira Ben M’rad. Cette association qui était mal vue par les autorités coloniales avait balisé la voie vers l’octroi de plus de droits et de reconnaissance à la femme tunisienne. On trouve par conséquent dans le roman une référence à ce mouvement, très discret au départ mais qui s’était renforcé progressivement par la suite.   Vous survolez également la question de l’identité et vous faites état des critique exprimées par le mouvement «jeune tunisien» relatives au risque de pertes des repères identitaires par Le recours obligatoire à la langue et à la culture coloniale… Comme je viens de le mentionner le problème de l’identité était plus important pour les musulmans que pour les juifs sous l’occupation. Je rappelle que le «Sefsari» qui était le voile tunisien et musulman avait été utilisé comme une arme politique contre le danger de la dissolution de l’identité. En fait c’était l’école zeytounienne traditionaliste qui avait exprimé le plus de craintes à ce sujet, mais le mouvement « Jeune tunisien » était au contraire ouvert à la modernité, et surtout à une modernité graduelle et c’était en quoi ce mouvement était considéré comme réformiste. Les Cheikhs Salem Bouhajeb, Mohamed Kraiem, et Ahmed Chérif qui étaient pourtant Zeytouniens avaient par exemple poussé leurs pairs de la Mosquée, plus conservateurs qu’eux à accepter la création de l’Université de la Khaldounia. Le plus important était de faire en sorte que l’enseignement de la langue et de la civilisation arabes reste présent à côté de celui des langues étrangères comme le Français et les disciplines scientifiques. L’élite intellectuelle de l’époque était d’ailleurs en général parfaitement bilingue et il est malheureux que ce bilinguisme se perde aujourd’hui en Tunisie.   En filigrane de votre roman, on trouve une ligne directrice ou plutôt un cadre qui se renouvelle : les Expositions Universelles organisées par la France durant les périodes précoloniale et coloniale ainsi que la participation de la Tunisie à ces derniers. Pourquoi ce choix ? Avant que j’aie pensé à écrire ce livre, j’avais envisagé de préparer une conférence sur la participation de la Tunisie aux expositions universelles en France après avoir collecté un grand nombre d’informations sur ce thème. D’ailleurs un récent séjour professionnel au Japon à l’occasion de l’Exposition Universelle d’Aïchi, m’avait donné une certaine inspiration pour le choix de ce thème. J’avais constaté par ailleurs lors de mes diverses investigations documentaires la richesse qui émanait de la présence tunisienne à ces expositions et notamment la reproduction du Palais du Bardo qui avait servi de pavillon tunisien pour l’une d’entre elles. Par la suite l’idée d’une fiction m’était venue à l’esprit. J’étais surtout certain que les jeunes tunisiens n’en savaient rien ou si peu et j’avais voulu réhabiliter notre patrimoine en la matière. C’était donc plus imagé de reproduire cette atmosphère à travers un roman plutôt que d’en faire juste une conférence.   A travers votre roman, on constate que la participation de la Tunisie y a été toujours remarquable par son originalité… Exactement, mais je voulais préciser que par rapport à aux Expositions Universelles tenues la France cette participation avait constamment revêtu un cachet spécial. Et paradoxalement c’était d’ailleurs surtout durant la période précoloniale que la présence de la régence avait été la plus subtile. Celle de 1867, sous règne de Sadok Bey, avait été particulièrement brillante avec un Pavillon constitué par d’une réplique du Palais du Bardo comme je viens de le dire. La Tunisie qui était encore province ottomane bien que les liens avec la sublime porte commençaient à se détériorer sous l’influence des puissances occidentales voulait présenter une vitrine somptueuse répondant à la fois à l’intérêt de l’Occident pour l’Orient et au souci de la situation était prospère dans le pays bien que ce ne fut pas le cas en réalité. Une année après l’Expo le Pavillon Bardo avait été racheté par la Société Météorologique de la ville de Paris et transféré au Parc Montsouris. C’est d’ailleurs le point focal autour duquel gravite l’articulation de la fiction.   Qu’en est-il du volet architectural et du contenu des pavillons tunisiens à cette époque ? C’était des architectes français qui avaient élaboré les plans des Pavillons tunisiens. En particulier celui de 1867 avait été confectionné par Alfred Chapon, et ceux de 1889 et 1900 par Henri Jules Saladin. Ce n’était pas des architectes spécialisés dans les pavillons des Expositions Universelles. Ils travaillaient en parallèle beaucoup sur les monuments égyptiens. Le thème majeur s’inspirait initialement du caractère onirique suscité par l’Orient et son mystère, qui frappaient l’imagination de l’Occident. Par conséquent pour le bâti on avait eu largement recours aux matières premières tunisiennes (céramiques, etc..) tout en reproduisant des monuments tunisiens réputés (palais, mosquées, mausolées..). Mais à partir de début du siècle précédent, époque où se déroulait le roman les choses avaient changé. C’était la révolution industrielle en cours et on voulait montrer d’autres aspects du développement auxquels la France avait contribué dans ses colonies. C’est pourquoi le Pavillon tunisien à l’Exposition Universelle de Paris de 1900 avait mis l’accent sur le contenu diversifié de l’économie notamment au niveau du potentiel agricole et même industriel, tout en sachant que ce n’étaient pas les indigènes qui étaient les principaux bénéficiaires des réalisations décrites mais bien sûr les colons …   Vous dites cela avec une certaine amertume… Non, pas du tout. C’est une occasion pour relever l’amalgame qui existe en ce qui concerne le rôle prétendument positif que certains ont voulu donner à la colonisation. Ce qui était négatif au fond c’était que les indigènes eussent été des laissés pour compte. Kateb Yassine disait d’ailleurs que la colonisation était un butin de guerre. Rien ne nous interdit de tirer les leçons du passé. Mieux connaître comment les expositions universelles se déroulaient au point de vue technique nous permet de mieux comprendre aujourd’hui que le succès d’une Exposition Universelle appelle un travail préparatoire sérieux, un encadrement compétent et des investissements humains et matériels importants. On ne peut pas avoir l’espoir de provoquer l’admiration des visiteurs si on se contente d’expédients. Le passé éclaire donc le présent et j’avais été étonné lors de mes recherches par les trésors d’ingéniosité déployés par les pays exposants au cours des siècles derniers pour refléter à travers un microcosme représentatif une image résumant et exprimant la réalité de leur culture, personnalité et identité.   Vous semblez de manière indirecte -bien entendu- vous attaquer à la franc-Maçonnerie en la liant étroitement avec l’action coloniale. Quelle relation ? Effectivement il existe des coïncidences qui auraient pu paraître troublantes pour les non initiés entre ces deux phénomènes, mais il existe bien un lien de cause à effet entre l’accès au pouvoir de la franc-maçonnerie et la colonisation. Ce qu’il s’agit surtout de comprendre c’est que les colonies constituent pour le colonisateur un sous-produit. Les populations qui les composent sont formées d’êtres «sous développés» qu’il s’agit de civiliser. Quand on parle en métropole de courant humaniste -dans lequel s’inscrivent théoriquement les francs-Maçons- on ne considère pas que les indigènes des colonies aient le droit au chapitre. Ils constituent un champ d’expérimentation pur et simple. Il se trouve que Jules Ferry, qui était franc-Maçon avait été l’acteur principal de l’occupation coloniale de la Tunisie par la France. C’était surtout cela l’essentiel : le débat entre cléricaux et anti-cléricaux, entre dreyfusards et anti-dreyfusards ne remettait pas en cause la nécessité de la colonisation, et il s’était trouvé comme par hasard que le Résident Général Millet qui avait été le plus sensible aux mouvements de réformes en Tunisie n’était pas un franc-Maçon. Donc pour nous c’est le plus important. Avoir l’allure d’un mouvement humaniste ne nous concerne en rien si ce n’est qu’une façade hypocrite et je tenais à l’exprimer. Cela ne va pas dire pour autant qu’il n’existe pas de lien entre l’institution du Clergé et la colonisation. Pourtant Waldeck Rousseau qui était catholique avait critiqué la main mise de l’église sur l’éducation et l’accès aux postes prestigieux notamment au sein de l’armée. Il avait été l’initiateur de la loi sur les associations de 1901 qui avait permis de diminuer l’importance de l’église et qui avait préparé la loi de 1905 sur la séparation de l’église et de l’Etat. Ce qui n’avait pas empêché les francs-Maçons de proliférer notamment via la loi de 1901. C’est un dossier complexe mais comme je l’ai dit il faut le voir avec les yeux des pays colonisés et protégés : Ni l’église, ni les laïcs de l’époque n’avait pensé un seul instant à nous regarder comme des pays partenaires à part entière.   On sent que vous essayez dans votre roman de faire revivre dés événements historiques intervenus parallèlement en Tunisie et en France et évalués sous des angles différents. Etait-ce dans le souci de leur donner un nouvel éclairage ? Vous avez vu juste. Vous savez, on ne peut pas se contenter éternellement d’un seul angle d’analyse et de vue. Si vous jetez un œil sur ce qui s’écrit sur Internet vous ne trouvez que des approches favorables à la colonisation. Il ne faut pas rejeter l’apport de la colonisation en bloc. Il y a eu de bonnes choses mais le bilan est largement négatif pour les indigènes qui avaient fait de la figuration et que l’on n’avait pas jugés aptes à participer au processus de décision. J’avais tenu à rappeler ces vérités historiques alors que le spectre de la colonisation refait surface de manière inquiétante de nos jours. Il faut de plus en plus que nous essayions d’éviter «cet effet miroir». Que trouve-t-on sur Internet par exemple ? Parle-t-on assez du règne des Beys de Tunis ? Des grands intellectuels tunisiens ? Si vous actionnez les moteurs de recherche du Web, ce que vous trouvez surtout comme résultat, c’est le nom des rues…Il faut inverser cette tendance et essayer d’équilibrer et de diversifier les informations sur notre histoire notamment, en y inscrivant notre propre griffe.   Vous avez mis en exergue la période où René Millet était à la tête de la Résidence Générale. Son personnage avait l’air globalement sympathique… Oui, j’avais estimé qu’il avait eu en fin de compte un rôle plus positif que les autres Résidents Généraux durant la période du protectorat. Il semble qu’il ait eu toutefois des mots malheureux à l’encontre des intellectuels qui avaient participé au mouvement de la « Nahdha » et je ne pouvais pas éviter de le signaler non plus. Cependant les termes défavorables qu’on lui avait attribué auraient été prononcés essentiellement après la fin de son mandat ; après qu’il eut une fin de carrière en queue de poisson.. Il avait quand même été à la base de la création de la Khaldounia et sa femme Louise Millet avait été la fondatrice de l’école de la rue du Pacha.   Vous dressez aussi dans votre roman un portrait assez mitigé des Beys qui ont gouverné … L’avez-vous fait en respectant la rigueur et la véracité historiques ? En fait comme il s’agissait d’un roman, j’avais évité en quelque sorte de prendre une position tranchée sur le gouvernement des Beys en Tunisie. Ce n’était pas indispensable. Beaucoup d’historiens ont abordé ce thème dans leurs différents ouvrages, mais ce n’était pas ce qui m’intéressait le plus. A mon avis il existe toujours malgré tout un devoir d’engagement de l’écrivain, car quel qu’en soit la manière dont il dit les choses, pour l’auteur l’écriture reste une grande responsabilité. Par ailleurs dans quelle mesure on peut être rigoureux, même si c’est l’historien qui parle ? Il y a toujours une part de subjectivité inévitable dans les faits que nous énonçons et que nous commentons. Mais au fond ce qui était prioritaire pour moi c’était l’aspect narratif et littéraire et le cadre anecdotique : Par ce biais nous pouvons faire passer des messages encore plus percutants et pertinents. Comment la bourgeoisie tunisienne vivait-elle ? L’Islam était-il l’ogre que l’on était entrain de décrire aujourd’hui dans les médias ? L’œuvre de Ali Bey après le protectorat n’était pas non plus aussi insignifiante que certains pourraient le prétendre. L’un de nos plus grands lycées porte son nom. Le Musée du Bardo avait aussi été créé sous son règne et avait à un certain moment aussi porté son nom. Il avait composé avec l’administration coloniale alors que le protectorat venait juste de s’installer. Je n’ai pas manqué par ailleurs de donner des coups de canifs à Sadok Bey pour sa mauvaise gestion Mais au fond ne s’agissait pas pour moi d’un règlement de compte et de dire qui avait tort et qui avait raison. …   Dans votre nouveau roman vous avez affirmé que vous vous étiez inspiré de fais réels. Pouvez vous nous en dire davantage ? Effectivement, il s’agit d’une histoire à la base véridique mais le cadre en a été changé et différé dans le souci de protéger l’intimité des familles et la descendance des protagonistes. Mais pour l’essentiel certaines divergences soulevées étaient réelles. Un litige était intervenu à l’époque entre Mohamed El Karoui et Mohamed Senoussi qui militaient tous les deux dans le mouvement « Jeune Tunisien » dirigé par Ali Bach Hamba. Senoussi avait produit   un pamphlet élogieux sur Paris après avoir couvert au sein d’une délégation officielle la participation tunisienne à l’Exposition Universelle de Paris de 1889, qui célébrait le centenaire de la Révolution Française de 1789. Mohamed El Karoui avait réagi violemment à ce pamphlet et l’Historien tunisien Chedly Bouyahia en avait fait état dans les années 80 dans un petit livre sous forme d’enquête pour savoir ce qui avait pu justifier une telle animosité entre les deux  intellectuels. Ce qui m’avait inspiré d’en tirer un roman.   Mohamed El Karoui est votre grand père et vous dédiez votre roman à sa mémoire… Quelles sont  les références  pour en connaître plus sur sa vie et son œuvre ? Plusieurs historiens et intellectuels tunisiens lui avaient consacré des contributions et commenté sa vie et son œuvre. J’en avais cité Chedly Bouyahia (Haditha Jaouia Ala Al Istitlaâat Al Bariziâh STD 1984), mais avant lui, le Général M’hammed BelKhodja avait produit une série d’études historiques consacrées aux personnalités tunisiennes dont Mohamed El Karoui, publiées dans la revue zeytounienne entre 1936 et 1942 (Safahat Min Tarikh Tounès). Ces études avaient été instruites et présentés par deux autres éminents historiens dans un livre qui les avaient rassemblées. Il s’agit de Hamadi Sahli et de Jilani Bel Hadj Yahia. Le Cheikh Mohamed Fadhel Ben Achour en avait aussi parlé dans son étude « Tarajim El Alam ». Quelques conférences lui avaient en outre été consacrées.  J’avais d’ailleurs assisté au siège de l’Association des Anciens de Sadiki en novembre 1994 à une conférence donnée par Feu Hamadi Sahli sur Mohamed El Karoui. Beaucoup d’éléments relatifs à sa vie m’ont aidé à confectionner le Roman, dont l’Ecole Militaire du Bardo où il avait étudié,  son passage aux Archives Nationales, son commentaire du livre de Ibn Abi Dhiaf, consacré aux Beys de Tunis, sa participation à la création du journal El Hadhira et à la Medressa Khaldounia,  etc…   Pensez vous que votre livre a des chances de s’exporter dans les pays francophones ? Pourquoi pas ? Ce genre de sujet tout en se caractérisant par son université manque cruellement dans le paysage culturel dans ses composantes livresque et audiovisuelle. Au fond la toile de fond et de ce livre tourne autour de la problématique coloniale qui est d’une actualité certaine avec aujourd’hui la disparition de certains tabous relatifs à la guerre d’Algérie, la libération de la diffusion de certains films et documentaires jusqu’alors censurés, la réalisation de nouvelles œuvres cinématographiques…Tout cela témoigne d’un besoin des lecteurs et surtout les plus jeunes d’entre eux quel que soit leur pays d’appartenance de retourner aux sources et de comprendre comment l’idée coloniale a pu naître dans les pays qui leur sont proches ou lointains et germer dans la pensée des politiciens. Les lecteurs des pays francophones ne font pas exception à la règle. D’ailleurs si un livre connaît du succès il peut être traduit et ce sont surtout les idées qu’il véhicule qui sont importantes. Enfin il ne faut pas oublier que ce genre d’ouvrage est le support idéal pour le dialogue entre les civilisations dont nous avons un grand besoin aujourd’hui. En apprenant à mieux nous connaître à travers la variété de nos cultures nous arriverions à mieux communiquer et à éviter des malentendus préjudiciables à l’humanité dans son ensemble.   (*) Pour en connaître davantage sur l’ouvrage et sur l’auteur vous êtes invités à en visiter le site http://www.hatemkaroui.com/   (Source : « Le journal », N °38 du 9 septembre 2006) Lien: http://www.gplcom.com/journal/fr/article.php?article=669&gpl=39&gpl=39


DIABOLISER L’OCCIDENT CE N’EST QUE PURE LACHETE

Balha Boujadi En réponse à Mr. Nasreddine Ben Hadid Avant tout, je ne vois pas comment je vous ai manqué le respect. C’est vous qui avez parlé de déchets (Bâar), c’est vous qui avez dit de n’appartenir à aucun courant ni à aucun parti, et c’est vous qui avez dit être algérien… je ne vois pas où vous voyez le manque de respect. Alors que vous, vous avez commencé à me mitrailler dès la première phrase de votre article, profitant de mon pseudo. Je vous explique à vous et à tout le monde, mon nom BALHA est un diminutif très tunisien, quant à BOUJADI c’est de la modestie pure et simple, car je ne suis pas professionnel ni de journalisme, ni de l’écriture, ni de la politique, je suis ignorant mais je me soigne grâce à la lecture, la télévision, les journaux… ça va venir et je serai un jour comme vous, Hadid fi Hadid. Si j’ai manqué de respect à quelqu’un c’est au méprisable Douahiri et aux détestables  intégristes, si vous vous identifiez à eux, alors tant pis pour vous. Moi je n’ai plus de respect pour ces gens là car eux ils ont insulté notre intelligence et ils sont en train de semer la pagaille partout au nom de la religion musulmane, ma religion, et qu’ils ont séquestré et utilisé comme couverture de leur agissement criminel, alors qu’elle est plus sacrée et plus respectable que ça. Votre problème est cette haine que vous portez à l’Occident, alors que moi je suis incapable de haïr une personne ou une culture et beaucoup moins d’être extrémiste et fanatique au nom de ma race ou de ma nation ou de ma religion. Je préconise le dialogue et la convivialité entre les peuples. Ça parait trop littéraire mais j’y crois plus que jamais. Diaboliser l’Occident comme vous faites et font vos compères n’est que pure lâcheté, car c’est plus facile et commode de se nettoyer les mains avec les serviettes des autres pour ne pas salir les siens. Ainsi on passe le temps à pleurnicher et à accuser les américains et les européens « impérialistes » de notre situation socio-économique dégradante et dramatique au lieu d’analyser nos faiblesses et corriger nos tares. En lisant bien l’histoire nous remarquons qu’il y’avait des modes de vie et des courants qui ont poussé aux guerres religieuses ou saintes, ensuite à la colonisation des pays pauvres après la révolution industrielle, l’apparition des pouvoirs totalitaires et fascistes après la première guerre mondiale, et l’hégémonie des démocraties libérale aux temps actuels. Je ne veux pas jouer le rôle de l’avocat de l’Occident, mais on ne peut pas culpabiliser les français de 2006 de la guerre d’Algérie ni de Vietnam… C’est fini il faut vivre au présent et pour le futur, bien sûr qu’on n’oublie jamais les fautes et les erreurs du passé mais juste pour ne pas les commettre de nouveau et par respect aux mémoires des victimes. Comment vous parlez du silence de l’Occident pendant la guerre de Liban alors que si ce n’était pas la France, l’Espagne, l’Italie et la Russie elle n’aurait jamais fini ? Et comment jugez-vous le silence des arabes ? Comment diabolisez-vous l’Occident parce qu’il n’a pas soutenu Hamas et vous ne critiquez jamais les positions intransigeantes des islamistes palestiniens qui ont jugez bon de ne reconnaître aucune convention signée par le gouvernement antérieur ? C’est beau d’être à l’opposition mais quand on doit payer les salaires des fonctionnaires en monnaie israélienne et dépendant de l’aide des satanas impérialistes, ce n’est pas confortable de tout. C’est ça le problème de votre façon de penser et vos arguments à sens unique, vous ne critiquez que les autres, alors que le plus douloureux est de se critiquer soi-même. Est-ce que l’Occident est responsable de notre analphabétisme (en Mauritanie 70%, en Algérie 45%, en Tunisie 29%) après un demi siècle d’indépendance? Est-ce qu’il est responsable de la corruption, du chômage, de notre dépendance presque totale au niveau alimentaire ? Est-ce qu’il est responsable du sexisme, de la polygamie, de la discrimination de la femme, de la médiocrité culturelle, de l’anachronisme de nos systèmes éducatif ? Oui, vous pouvez trouvez milles raisons pour incriminer les autres, mais il faut aussi reconnaître que nous sommes les premiers responsables  de nos malheurs, car si je décide de m’instruire et de me cultiver, d’émanciper ma femme, de revendiquer mes droits de citoyen… aucun américain ni français ni canadien ne peut m’en empêcher. Mais, si je reste sur la colline de la lâcheté regardant ma maison qui brûle de l’intérieur et en maudissant l’Occident qui a inventé l’électricité et les courts-circuits, le feu ne s’arrêtera jamais et elle nous dévorera tous. Je vous assure Mr Ben Hadid. BALHA BOUJADI, Le 8 septembre 2006 balhaboujadi@yahoo.es

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