Fédération des Tunisiens pour une Citoyenneté des deux Rives: Communiqué
Luiza Toscane : Des centaines d’hommes, de femmes et d’enfants sont menacés Tunisie, Réveille-toi : Ce vendredi 2 mars congrès des maires au parc des expositions du Kram Le Temps: Les dégâts de la presse populaire
Interview exclusive avec Jean Daniel : “Pour moi, il y a ceux qui font l’histoire, ceux qui la subissent et ceux qui l’accompagnent” ! Le Temps (Suisse): Washington boude le Conseil Babelmed : Dialogue de sourds: des musulmans qu’on ne veut pas entendre
Fédération des Tunisiens pour une Citoyenneté des deux Rives Communiqué
– jeudi 8 mars 2007
–
Le Docteur Rachid Chemli, professeur à la Faculté de pharmacie de Monastir et membre dirigeant de la Ligue Tunisienne de défense des Droits de l’homme, entame sa deuxième semaine de grève de la faim de protestation à Monastir (Tunisie). – La FTCR fait part de son inquiétude quand à la santé du Dr Chemli, elle lui exprime son soutien ainsi que sa vive préoccupation quant à la continue dégradation de la situation des libertés en Tunisie. * * * La FTCR suit avec beaucoup d’inquiétude la poursuite par le Dr Rachid Chemli de sa grève de la faim commencée le 1er mars 2007. Il l’a entreprise suite à la dernière en date de la série de mesures et de traitements arbitraires dont il fait l’objet du seul fait de ses opinions politiques : L’interdiction par une intervention musclée de la police politique le 25 février dernier d’une rencontre scientifique de médecins et de pharmaciens. La FTCR tient les pouvoirs publics tunisiens pour responsables des conséquences de la grève de la faim du Dr Chemli.
La Fédération tient par ailleurs à souligner que le sort fait au Dr Chemli, le harcèlement policier qu’il subit et les difficultés faites de manière arbitraire à ses activités scientifiques ne sont qu’une des manifestations de l’évolution générale du pays. La gestion des rapports sociaux et du débat politique au seul moyen de la répression policière atteint un degré d’arbitraire et d’absurdité qui ne peut avoir pour conséquence que la généralisation du désespoir et de la violence. Ce mode d’administration devient en outre un obstacle à toute créativité, compromettant gravement les capacités de production intellectuelle et matérielle dont dépend l’avenir du pays.
La FTCR condamne fermement le harcèlement appliqué au Dr Chemli et l’assure de sa pleine solidarité. Pour la FTCR Le Président Mohieddine Cherbib
Le compte à rebours a commencé en Bosnie Des centaines d’hommes, de femmes et d’enfants sont menacés
par Luiza Toscane Quatrième partie : Manifestation à Zenica Près de trois mille personnes se sont rassemblées place Alija Izetbegovic, à Zenica, dimanche 25 février, sous le slogan « ne otimaj mi babu » (N’enlevez pas mon père), protestant contre les retraits de nationalité décidés par la commission constituée à cet effet, et dont les travaux ne sont pas achevés. Beaucoup d’hommes concernés, qui se sont vus retirer la nationalité, mais aussi ceux dont le tour pourrait bien arriver dans les jours à venir, ainsi que leurs enfants, et de nombreux habitants de la ville ont répondu à l’appel lancé par quelques organisations : la section de Zenica-Doboj de l’association Zlatni Ljiljan ( Le lys d’or), formée de vétérans de guerre [1], l’association Al Ansar, association constituée par les victimes de la loi sur la nationalité [2] et qui n’a pas obtenu de visa de la part des autorités bosniaques, et enfin l’association des aveugles et invalides de guerre de Kaknja. Au nom de la première, a longuement pris la parole le commandant Serif Patkovic, suivi en cela par les enfants des étrangers naturalisés [3]. Il s’agissait de la seconde manifestation, la première ayant eu lieu à Sarajevo le 1er octobre 2006 devant le Parlement [4]. La mobilisation s’est renforcée avec l’annonce début janvier du retrait de la nationalité pour 330 personnes [5] et l’annonce par le président de la commission que cette dernière allait continuer son travail et solliciter du Parlement de Bosnie Herzégovine une prolongation de son mandat [6], ainsi que le prévoit la loi [7]. Le mandat de la commission, dont les travaux avaient commencé le 16 février 2006, a officiellement pris fin vendredi 16 février dernier [8]. Selon Oleg Milisic, le représentant du OHR (Office of the High Representative and EU special representative) il y aurait 856 décisions prises,-il n’a pas précisé la proportion de retraits/maintien dans la nationalité-, et il resterait à la commission 465 dossiers à examiner. A cette occasion, Oleg Milisic, a dit avoir demandé au Parlement de prolonger le mandat de la Commission, à ceci près que ce dernier n’était pas encore élu. [9] Les victimes de la loi ont porté plainte devant la cour constitutionnelle, puisque la loi ne prévoit pas d’appel. A ce jour, seul Fadhil Al Hamdani, un Bosniaque d’origine irakienne, a vu la décision de retrait de sa nationalité bosniaque, prise au début des années 2000, cassée par la plus haute juridiction du pays, mais la commission de révision des naturalisations a décidé une nouvelle fois de le priver de sa nationalité bosniaque, anticonstitutionnellement, donc, et provoquant l’ire de l’association Al Ansar. En effet Fadhil Al Hamdani, aujourd’hui âgé de 46 ans, vit en Bosnie depuis 27 ans, il y a fait et terminé ses études de métallurgie dans les années 80. Militaire de carrière, il a participé à la guerre au sein de l’armée bosniaque [10]. Il est marié avec une femmes bosniaque et père de cinq enfants bosniaques. Ainsi, la mobilisation ne faiblit pas et certains manifestants envisagent d’ores et déjà de nouvelles manifestations de rue si la commission envisage de nouveaux retraits de nationalité. Aucun renvoi n’a été effectué à ce jour. Le président de la Commission, Vjekoslav Vukovic, interrogé à ce sujet, a eu beau jeu de botter en touche et de déclarer que « l’expulsion des personnes concernées n’entrait pas dans le mandat de la commission dont la mission était de rassembler la documentation et de procéder aux révisions », et qu’il s’agissait « de deux missions relevant de deux lois différentes »( [11]. L’acharnement à refouler dans l’illégalité l’association Al Ansar sous les prétextes les plus fantaisistes est un indice de plus de la volonté des autorités bosniaques de parvenir à leurs fins coûte que coûte. Or, si la mobilisation est toujours de mise, elle reste circonscrite aux intéressés. L’élargissement de la solidarité reste l’exigence de l’heure, y compris au niveau international. [1] Le Lys d’Or est la plus haute distinction dans l’Armée de Bosnie Herzégovine. [2] Cette association, présidée par Aymen Awad, regroupe les victimes de cette loi résidant dans la fédération croato-musulmane. [3] « Skup podrske », http://dzonlic.blogspot.com/ [4] « Djeca Mudzahedina u BIH : Ne dirajte nom oceve », www.24sata.hr/articles/view/34728/ [5] « Komisija za reviziju drzavljanstava BiH : Do sada oduzeto 330 drzavljanstava », www.24sata/info/2659 [6] « Komisija BiH za reviziju drzavljanstava trazila produzenje mandata », Dnevni avaz, 09/01/07 [7] Se reporter à « Le compte à rebours a commencé en Bosnie, des centaines d’hommes, de femmes et d’enfants sont menacés », deuxième partie. www.reveiltunisien.org [8] « Mandat Komisije Za reviziju drzavljanstva », Nicolas Foster, EUFOR, OHR, 13/02/07 [9] « Mandat Komisije Za reviziju drzavljanstva », Nicolas Foster, EUFOR, OHR, 13/02/07 [10] « Rasizam pod naskom terorizma », Saff, br. 62. [11] « Rasizam pod naskom terorizma », Saff, br. 62. (Source : « Tunisie, Réveille-toi », le 8 mars 2007) Lien : http://www.reveiltunisien.org/article.php3?id_article=2486
Message du forum interne du site www.reveiltunisien.org Ce vendredi 2 mars congrès des maires au parc des expositions du Kram
TUNISIE MUNICIPALITES L’ILLEGALITE TOTALE 5 mars 2007 à 00h41min Le local entre autre appartient à un saoudien et se loue 50 briques par jour, dire que la Tunisie entière ne peut construire un parc d’exposition digne du pays et qui appartiene aux tunisiens, petit à petit ce local commence à être confisqué par le gouvernement pour des rencontres politiques : Utica, SMSI, 7 novembre, élections… etc. Après la confiscation du palais des congrès sis à l’avenue med 5 à Tunis, qui n’appartient qu’au régime malgré la colossale maison du parti à côté de la grandeur de l’ONU. Mais il fallait de l’espace pour lancer cette campagne électorale de 2009 camouflée par une réunion des maires de Tunisie, la 9ème, pourquoi pas la 50ème car le bled à 50 années d’indépendance, c’est-à-dire avant 1987, il n’y avait rien et le déclenchement est là depuis neuf années : bizarre ou manipulations ? Une grande question qui se pose, le maire est un élu du peuple, et en Tunisie nous avons une dizaine de partis d’opposition ; logiquement on devait avoir après cinquante années une bonne moitié de maires dans l’opposition , ainsi que des indépendants. Or à la grande surprise de tous, la quasi totalité des maires de Tunisie plus le maire Cheikh el Medina de Tunis, poste de nomination de haut niveau et a vie, sont soumis au parti et portent une étiquette du parti au pouvoir : RCD, d’où ce bandeau tout neuf rouge et blanc qui entoure les vestes, et pour montrer au chef leurs soumissions au régime à 100%. Aucun maire en Tunisie n’est élu par le peuple, c’est triste mais une verité amère à faire gober aux tunisiens, ils sont designés par le systeme via le wali en compromis avec le comité du parti RCD, avec l’aval du comité central et de l’office politique par un détour au ministère de l’intérieur. Le pire encore est que le conseil municipal est désigné par la même junte est à 100% RCD, et en général les membres du conseil sont des illettrés et ne comprennent rien du travail et des réglements de la municipalité. Très important ceux qui rentrent au conseil sont des loups qui profitent des terrains gratuits, des autorisations et des influences de toutes sortes de la ville, généralement ce sont les mêmes qui rodent avec des bernouss entre le bureau du delegué, du wali, du comité RCD régional, qui reçoivent les ministres et tous les apparatchiks du parti et du régime qui débarquent dans leur ville, ce sont les indicateurs en même temps du parti, et les faussaires de la politique, ils cassent toute tentative démocratique, et sont présents partout et applaudissent et encouragent le système en tuant l’opposition et le syndicat. Par exemple, ceux qui sont venus avec des banderoles avec Ben Ali 2009, ce sont les manipulateurs du régime, et c’est eux en premiers qui ont détruit la Tunisie, bande de malfaiteurs. Pour le régime, la municipalité devient le moteur regional et local de la publicité et de l’écho pour vanter le chef et le parti, vive les draps bariolés, les fanions et les drapeaux, on compte sur vous les maires, le 7 novembre, pour dépenser le max d’argent dans les futilités et dans l’absurdité, des milliards jetés à la poubelle, surtout devant les yeux du peuple medusé et sucé à fond la moëlle, devant l’état delabré des routes des trottoirs, des déchets ramassés dans des tracteurs, un dépôt d’ordures fumantes, envoyant la dioxine mortelle sur la ville, devant le manque d’infrastructure quasi absente, devant les cités populaires ressemblants ou pire que les bidovilles des refugiés palestiniens au Liban, devant l’absence totale de loisirs pour les jeunes, devant la saleté des marchés, le manque d’organisation, le manque de matériel et un dispensaire creux où les malades crèvent de manque de soins, et avec tout ça les municipalités continuent à emprunter de l’argent à l’agence de crédit des collectivités, des milliards de dinars dans l’air, juste pour faire la place du 7 novembre, et le crédit est accordé les yeux fermés même sans remboursement, le but est grandiose et vaut plus que l’argent du peuple. Les municipalités ne construisent aucun logement pour le citoyen, ils disent faute d’argent, et regardez où va l’argent !!!! Les municipalités n’offrent rien pour le citoyen privé de ses droits les plus minimes, ni vacances scolaires pour les élèves, ni animations, ni transport gratuit pour les pauvres, ni aides sociales, ni soins, ni indemnités, ni aucun service, voyez les jeunes comment ils passent leurs temps dans les cafés toute la journée sous la canicule, c’est l’esprit qui trinque et la faillite de cette capacité de la jeunesse qui est perdue à vie. Dans cette ville moyenne de 20.000 habitants il y a eu un orage qui a tué 2 garcons par noyade dans un fossé non protegé : le maire non seulement n’a pas été jugé, mais à la fin de son mandat il a été promu délégué et remercié par le parti, les parents des enfants morts n’ont que dieu et la pauvreté en plus. Des centaines de milliers de villages en Tunisie, sans mairies par un réglement à la con, il faut un certain nombre d’habitants bien determiné pour autoriser une municipalité, entre temps ils ont un conseil rural de 2m carrés, fermé svp. Ces villages vivent dans des conditions lamentables de détritus, manque d’hygiène, manque d’égouts, des eaux usées, manque de tout dans cette Tunisie de la joie continue, dans cette Tunisie des hotels 5 étoiles de luxe où tout le faste existe, on se perd dans le marbre vert d’Italie quelle contradiction. Pourquoi faire cette rencontre avec les maires designés si c’est juste pour un discours, ça ne vaut pas le coup des milliards dépensés dans l’organisation, si pour leur dire que le prix de la meilleure municipalité qui a collé le plus de draps passe, tenez-vous bien, de 100.000.000 dinars à 500.000.000 dinars, on pouvait le faire à la radio ou par courrier, si pour leur dire “travaillez encore mieux que ça”, ils ne vont pas le faire puisqu’ils sont designés, nommés, soumis, ils ne bougent plus de leurs postes. Ils profitent le maximum, et remplissent les poches par toutes sortes de detournements, surtout protegés et salués par le chef et le parti. Au fait les tunisiens ont compris cette rencontre frou-frou où les banderolles dépassent le chiffre attendu rouge, violet “2009 Ben Ali”, où les cris sont entendus jusqu’à Bab el Oued, des youyous and you, des aplaudissements, une fois les ministres, une autre fois les maires, entre temps les conseillers, alors les tunisiens ne sont pas dupes c’est le début de l’intronisation de 2009 car il n’y a ni campagne électorale ni vote, puisque tout est faux et compromis, camouflé, preparé à l’avance avec une stratégie bien ficelée du parti état, mais juste pour dire aux maires “préparez-vous dès maitenant, c’est parti pour un tour,nous allons vous donner les moyens non pour améliorer la vie des citoyens ou embellir vos villes, mais vous avez compris : draps, draps, fanions, mensonges, tapages, truquages, manips, faussage, argent pour les indics, carte de votes pour les morts, liste électorale sur mesure, bougez, portez votre chef encore une fois, vous aurez le max, plus une voiture de fonction peut-être une mercedes, et ne lâchez pas le morceau”. Vous allez voir, à partir du 2 mars, des portraits géants vont parsemer les villes : Ben Ali 2009, au détriment du devoir municipal, de toute façon il n’y a jamais eu de vrai travail envers le citoyen dont tous les responsables se fichent totalement. (Source : « Tunisie, Réveille-toi », le 8 mars 2007) Lien : http://www.reveiltunisien.org/article.php3?id_article=2484
Les dégâts de la presse populaire
Par : Ridha KEFI «Une créature à moitié homme à moitié crocodile découverte dans le désert de…», «L’incroyable histoire de la femme à deux têtes», «Le visage de Saddam apparu dans le ciel, le jour de son exécution»… C’est avec des manchettes pareilles que certains journaux réalisent les plus gros tirages dans notre pays. Il s’agit de ces tabloïds populaires, qui ne reculent devant aucune entorse à la déontologie journalistique pour doper leurs ventes. Comme, par exemple, de truquer des images (la créature à moitié homme et à moitié crocodile ou la femme à deux têtes, tant qu’on y est) en utilisant des logiciels (Photoshop et autres) développés par les grands laboratoires américains, mettant ainsi la quintessence de la science informatique au service de l’ignorance la plus crasse. Comme aussi d’inventer des histoires à dormir debout, aussi invérifiables les unes que les autres, puisque ne citant aucune source pouvant être sérieusement identifiée, à propos des Saddam, Ben Laden, Nasrallah, Ahmadinejad et autres «têtes brûlées» qui font malheureusement encore vendre du papier, et pas seulement dans notre pays. Comme, last but not least, de découper – aux ciseaux – des enquêtes sociales parues dans certains journaux arabes (égyptiens ou autres, de préférence non diffusés en Tunisie) et à les republier presque telles quelles, en prenant le soin d’y changer les noms des lieux et des personnes, de manière à faire croire qu’elles ont été réalisées… chez nous. Comme quoi, il est beaucoup plus facile en Tunisie de vendre des journaux, même réalisés avec des bouts de ficelles (mensonge, bidonnage, plagiat…, et plus les ficelles sont grosses, plus elles atteignent leur but), que d’être journaliste, un vrai, qui vérifie ses informations, s’assure de la crédibilité de ses sources, évite les excès de langage et, ce faisant, respecte ses lecteurs et participe à l’élévation du niveau intellectuel – et moral – de ses compatriotes. Les lecteurs auront sans doute remarqué que nous ne parlons pas ici du traitement que notre presse réserve généralement aux problèmes politiques internes, ni de sa complaisance, réelle ou présumée, vis-à-vis du gouvernement et du parti au pouvoir, ni de la place qu’elle laisse – ou ne laisse pas – à «l’autre opinion», celle des leaders de l’opposition dite «radicale»… Nous ne parlons pas non plus des libertés (d’expression, d’organisation…), ni des droits de tel ou tel intellectuel – libéral, de gauche ou islamiste – à faire entendre sa différence ou à critiquer le gouvernement… Ces libertés et ces droits sont presque un luxe auquel on n’oserait même pas prétendre. Quoique… Nous essayons seulement d’attirer l’attention des décideurs politiques, ainsi que des rares confrères et consœurs qui se soucient encore de l’avenir de la profession, sur les ravages qu’une presse trop populaire, imprécise, vulgaire et menteuse à souhait pourrait provoquer dans l’opinion publique. Et les «vocations» qu’elle pourrait aussi susciter, parmi les jeunes et les moins jeunes, en chantant, du matin au soir, les louanges des despotes, chefs de guerre ou imams rebelles, recruteurs de terroristes. Ou, encore, en racontant des sornettes qui infantilisent le peuple et le renvoient, intellectuellement, à l’âge des cavernes d’Ali Baba. (Source : « Le Temps » (Quotidien – Tunis), le 9 mars 2007)
Dialogue de sourds: des musulmans qu’on ne veut pas entendre
Catherine Cornet La rencontre «Donner une voix aux musulmans démocrates, assurer la démocratie et la paix dans l’espace méditerranéen» organisée à Naples, les 23 et 24 février et conçue par les chercheurs Jonh L.Esposito, Fabio Petito et Armando Salvatore cherchait à construire un dialogue politique entre certains acteurs clés de la tradition démocratique islamique et des leaders et chercheurs européens; afin «d’entamer une réflexion critique des nouvelles réalités de l’islam politique et de ses différentes facettes». Elle était organisée par la Fondazione Mediterraneo, l’Université de l’Orientale de Naples et le Centre Prince Alwaleed Bin Talal pour l’entente musulmane et chrétienne. L’éditorialiste par qui le scandale arrive
Peu avant la rencontre, l’éditorialiste et vice président du quotidien Corriere della Sera, Magdi Allam, avait pris soin de lancer une campagne de dénonciation des principaux invités, plus digne de la chasse aux sorcières que du débat politique: «Que viennent faire ces personnages odieux et cette idéologie de la mort aberrante dans un séminaire universitaire à Naples?». Allam déplorait, en sus, cette confrontation, brandissant les étiquettes chères aux néo-conservateurs américains: «il est regrettable que soient invités à Naples des fascistes islamistes». Le chef du mouvement politique tunisien Al Nahda, Rached Ghannouchi, était la principale cible de la campagne et décidera finalement de ne pas se rendre au séminaire. Il répondra cependant aux allégations du journaliste à travers une lettre sur «l’Islam, les islamistes et la démocratie». «Dans les cercles hostiles à l’Islam et aux islamistes, il est fréquent d’accuser les islamistes d’être des adversaires de la démocratie, mettant en garde contre leur accès au système politique légal. L’accusation est très grave, en particulier dans un climat international hostile à l’Islam et à ses supporters, et en présence de régimes, habitués à gouverner avec le despotisme, et qui vivent avec la terreur des demandes de changements démocratiques qui pervertissent le monde». A la conférence de presse de présentation du séminaire, l’arrogance et l’ignorance journalistique atteignent leur pic. Des journalistes italiens, accusateurs, brandissent la nouvelle de la condamnation par le gouvernement égyptien d’un jeune bloggeur pour insultes à l’Islam. Ils sont pourtant face à des intellectuels musulmans de haut vol, venus déconstruire les préjugés, et ouvertement critiques à l’égard du gouvernement égyptien. Tariq Ramadan, dont la famille vit en exil depuis deux générations est-il ici pour répondre de ce gouvernement qu’il combat? Quel sens peut avoir le dialogue lorsque l’arrogance et l’ignorance refusent de rencontrer puis d’écouter l’autre? L’atelier qui partait de l’idée que «l’Europe n’a pas donné assez d’attention aux courants émergents démocratiques dans la pensée et la pratique politique islamique, c’est-à-dire, aux démocrates musulmans qui pourraient jouer un rôle important dans la démocratisation de leurs pays, à l’est et au sud de la Méditerranée», avait vu juste sur son programme. La problématique de la Conférence s’articulait autour d’une série d’interrogations centrées sur le rapport des musulmans démocrates à l’Etat et à sa gestion: «Existe-il une pensée musulmane démocratique? Comment les musulmans approchent l’idée d’état laïc? Comment envisagent-ils le rôle de l’état vis-à-vis du pluralisme religieux et culturel?». Au plan régional, les représentants musulmans étaient en outre invités à approfondir le positionnement des musulmans démocrates face aux accords internationaux dans la région, pour mieux expliquer, par exemple, «comment les musulmans démocrates perçoivent la région méditerranéenne et considèrent le partenariat euro-méditerranéen». L’analyse comparative ouvrait encore d’autres perspectives. De fait, est-il légitime de comparer les «musulmans démocrates» d’aujourd’hui dans le monde arabe avec la Démocratie chrétienne européenne, et italienne en particulier? Cette comparaison nous permet-elle de créer de nouvelles catégories de réflexion ? Cette question prend tout son sens si on l’applique à l’émergence des musulmans modérés en Turquie. Un dialogue politique manquant De fait, les partis politiques islamistes gagnent de l’influence dans de nombreux pays de la rive sud et occupent la sphère politique. En Turquie, au Maroc, mais aussi en Egypte, sans parler de la Palestine où Hamas a pleinement joué le jeu démocratique après avoir remporté les élections en janvier 2006. Pour John Esposito, professeur à Georges Town University «ces résultats importants pourraient même être relus à la hausse étant donné que la majorité de ces partis ne sont pas, en général, autorisés par les gouvernements et que les résultats électoraux ne sont pas toujours fiables». L’Europe est cependant particulièrement inerte politiquement et n’a pas encore cherché le dialogue avec ces groupes, le dernier rapport Euromesco sur le bilan des 10 ans de Barcelone était très clair sur ce point: «les musulmans démocrates sont clairement les interlocuteurs manquants de ce processus». Pour John Esposito, ce manque d’attention dérive principalement de l’ignorance: «notre point de départ est qu’il existe en Europe un déficit de connaissance toujours plus dangereux des courants politiques à vocation démocratique (..) D’où l’urgence de comprendre les positions d’intellectuel(le)s comme celles d’Ahmed Dove Hoglu, Nadia Yasmine et Heba Ezzat qui s’efforcent de redéfinir un engagement politique de l’intérieur de la tradition islamique, en partant du besoin de démocratie, de justice et des droits des citoyens». Ce besoin d’écoute de l’Europe était d’ailleurs souligné par à peu près tous les participants. Islam et démocratie Rached Ghanouchi avait tenu à souligner, dans sa contribution à la conférence, la dialectique actuelle entre les gouvernements des états arabes et l’application de la modernité et de la démocratie: «ce qui rend les gouvernements actuels (dans le monde islamique) terriblement bizarres est qu’ils se rapprochent plus des régimes féodaux de l’Europe pré-moderne et sont à des années lumières de l’exemple de la démocratie moderne, les lésions aux principes de la démocratie dérivent de leurs propositions nationalistes au détriment d’une pensée humaniste, ainsi que de la concentration de leurs intérêts et des valeurs matérielles qui sont les leurs. Ceci offre à l’Islam l’opportunité de redonner de l’équilibre au système démocratique en mettant à profit les mécanismes que la démocratie offre et qui, en réalité, ne s’oppose en rien avec l’esprit de l’Islam, au contraire!». Tariq Ramadan, fondateur du réseau des musulmans européens, travaille sur un autre front, la reconnaissance d’une identité qui existe déjà mais trouve une grande résistance à être reconnue: «les musulmans européens». Petit fils du fondateur des frères musulmans égyptiens, Hassan Al Banna, il est né et a vécu en Suisse. C’est en essayant de répondre à sa propre crise d’identité qu’il a développé une pensée islamique et européenne: «J’ai réalisé très vite qu’un des majeurs obstacles (à cette pensée) commençait par la compréhension superficielle de l’Islam. Pour rester un bon musulman en Europe, on se sent obligé d’être un musulman pakistanais ou un musulman nord africain. Ceci représentait une vraie limitation pour moi.» (Opendemocracy 14/07/04) Entre islamophobie et communautarisme, l’importance de construire un discours musulman européen s’avère aujourd’hui de plus en plus urgent. Celui-ci encourage les musulmans européens à rester à la fois fidèles et loyaux aux sociétés laïques dans lesquelles ils vivent, tout en réélaborant leur rapport à la religion. C’est précisément cette voie qui permettrait de créer un «Islam européen», comme il existe un «Islam asiatique» ou un «Islam africain», un Islam qui prenne en compte les différences culturelles. Les musulmans européens sont donc appelés à réexaminer les textes fondamentaux de l’Islam et à les interpréter dans le cadre de leur propre background culturel, qui est indéniablement influencé par les sociétés européennes. L’Islam politique est aujourd’hui perçu en Europe comme une problématique soulevée par des traditionalistes arriérés. Il est temps de réaliser, au contraire, qu’il s’agit d’un mouvement de pensée contemporain qui affronte la modernité. Stigmatiser le penseur musulman comme une graine de terroriste, parce qu’il s’oppose à l’occupation de l’Irak ou prend position sur la guerre israélo-palestinienne, est non seulement un acte de mauvaise foi mais un dangereux refus du dialogue: devons-nous seulement dialoguer avec les personnes avec qui nous sommes déjà d’accord? (Source: “Babelmed” (Le portail des cultures méditerranéennes – France), le 8 mars 2007) Lien : http://www.babelmed.net/index.php?menu=31&cont=2555&lingua=fr
Washington boude le Conseil
Stéphane Bussard Les Etats-Unis ne jugent pas crédible la nouvelle institution basée à Genève. La décision était certes attendue, mais elle est lourde de conséquences. « Eleanor Roosevelt doit se retourner dans sa tombe. » En se référant à l’épouse du président américain, qui avait présidé à ses débuts la Commission des droits de l’homme en 1946, Tom Lantos exprime sa consternation. Mardi, les Etats-Unis ont rendu publique leur décision de ne pas se porter candidats à l’élection au Conseil des droits de l’homme des Nations unies. Une élection qui aura lieu en mai prochain pour renouveler un tiers des membres. Démocrate de Californie et président de la commission des Affaires extérieures de la Chambre des représentants, Tom Lantos estime que les Etats-Unis donnent un mauvais signal à ceux qui tentent précisément de mettre à mal la démocratie. « C’est un défaitisme sans précédent » qui permet aux « juntes militaires, aux Etats à parti unique et aux dictateurs de pacotille » de garder le contrôle de la machinerie mondiale des droits de l’homme. Les raisons invoquées par Washington ? Le Conseil des droits de l’homme, qui va ouvrir sa 4e session lundi 12 mars, n’est pas crédible. Responsable de la communication à la Mission américaine de Genève, Brooks Anne Robinson s’en explique : « Le Conseil a ciblé Israël de manière partiale sans s’intéresser par exemple à d’autres situations critiques en Corée du Nord, en Birmanie ou à Cuba. Cela dit, les Etats-Unis restent très actifs pour promouvoir les droits de l’homme. » La crédibilité, c’est précisément ce dont la nouvelle institution manque. Les trois sessions spéciales qu’elle a consacrées aux territoires palestiniens et au Darfour ne resteront pas comme des modèles de fonctionnement. Les deux premières ont débouché sur des résolutions déséquilibrées votées par l’Organisation de la conférence islamique et le groupe africain se contentant de fustiger l’Etat hébreu. La troisième a certes réussi à établir une mission d’évaluation au Darfour. Mais celle-ci, présidée par Jody Williams, Prix Nobel de la paix 1997, s’est vu barrer l’accès au Darfour par les autorités soudanaises. Ce n’est pas tout. Un groupe de travail de cinq Etats (France, Argentine, Azerbaïdjan, Bangladesh et Zimbabwe) chargé d’analyser des plaintes individuelles portées devant le Conseil, selon ce que l’on appelle techniquement la procédure 1503, vient de décider de n’entreprendre aucune action par rapport à des plaintes venant d’Iran et d’Ouzbékistan. Fait extraordinaire : au sein de ce groupe de travail figure le Zimbabwe, non-membre du Conseil. Résultat : la règle de confiden tialité prévue par cette procédure n’est plus garantie et le mécanisme lui-même est en danger de mort. L’absence des Etats-Unis sera-t-elle fatale au Conseil des droits de l’homme ? « Le Conseil peut tourner sans les Américains », estime un représentant européen. Directrice du Global Advocacy à Human Rights Watch, Peggy Hicks trouve regrettable que Washington se tienne à l’écart. En étant membre, les Etats-Unis pourraient rendre le Conseil plus fort. « Cette décision reflète des considérations de politique intérieure », ajoute Peggy Hicks. Chez les républicains, un courant est très hostile au système onusien. L’administration Bush pourrait vouloir le ménager. A Genève, on avance la peur des Américains de ne pas être élus. « Le risque est là, relève Peggy Hicks. Certains observateurs pensent même que si les Etats-Unis se présentaient et qu’ils n’étaient pas élus, ce serait dévastateur pour le Conseil. » Cela provoquerait un tel scandale outre-Atlantique que Washington pourrait se désengager en partie de l’ONU. (Source : « Le Temps » (Quotidien – Suisse), le 8 mars 2007)
Interview exclusive avec Jean Daniel :
“Pour moi, il y a ceux qui font l’histoire, ceux qui la subissent et ceux qui l’accompagnent” !
Journaliste et écrivain français, Jean Daniel Bensaïd est né en 1920 à Blida (Algérie) dans une famille juive. Il partira pour Paris, où il fera carrière dans la presse sous le nom de Jean Daniel. Après avoir dirigé une revue littéraire, Caliban, parrainée par Albert Camus, il entre en 1954 dans l’équipe de l’hebdomadaire L’Express, fondé par Jean-Jacques Servan-Schreiber et Françoise Giroud. Il en sera le rédacteur en chef. Il quittera ensuite L’Express pour créer et diriger Le Nouvel Observateur, hebdomadaire engagé à gauche. Il est l’auteur d’une vingtaine d’ouvrages, dont deux romans («L’erreur» et « L’ami anglais »), deux gros volumes de mémoires (« Avec le temps » et «Soleils d’hiver ») et plusieurs essais, dont notamment «La guerre et la paix. Israël – Palestine (chroniques 1956-2003)», et «Cet étranger qui me ressemble» (entretiens avec Martine de Rabaudy), Des œuvres de Jean Daniel ont été traduites en italien, en espagnol, en grec, en chinois, en japonais, en anglais et en arabe. Il a présenté, ce mois de février 2007, son dernier ouvrage, «Avec Camus. Comment résister à l’air du temps» (Gallimard) à l’occasion du 13eme Maghreb des livres à Paris. Réalités l’a rencontré pour la première fois à la 13e édition du Maghreb des livres, lors de la signature de ce dernier ouvrage. Instant magique, et croisée des chemins, qui nous ont amenés sur les pas d’une véritable légende vivante. Affabilité et courtoisie au rendez-vous, l’éminent journaliste et écrivain, père fondateur du Nouvel Observateur, grand ami de la Tunisie, a accepté de se confier à nous. C’est dans son bureau, antre de ses plus grandes réalisations journalistiques et littéraires, peuplé de portraits des plus grands, rencontrés lors de sa carrière exemplaire, que notre regard s’est attardé sur un magnifique portrait. Celui d’un jeune homme au regard bleu profond, à la crinière abondante et à la barbe fournie : Habib Bourguiba du temps de ses années trentenaires. Une dédicace à l’ami et au confrère, Jean Daniel, qu’il a estimé et appris à aimer de son vivant. C’est avec beaucoup d’émotion et de gravité que Réalités a devisé avec Jean Daniel, sur un parcours exceptionnel, une vie touchée par la magie de rencontres humaines inoubliables. Une discussion s’est également nouée sur le journalisme et son état actuel, les élections présidentielles en France, la politique d’immigration de Sarkozy, les souvenirs tunisiens, pour finir par une petite pensée pour l’ami Camus, à qui il a dédié sa dernière réflexion. Après plus de cinquante ans de journalisme, ayant interviewé et côtoyé les plus grands (de JFK à Castro), on peut dire que vous avez donné les lettres de noblesse au journalisme intellectuel, que répondez-vous à cette question : le passage du journalisme à l’écriture, est-ce un passage logique ou une vocation ? C’est Régis Debray qui a décidé, il y a longtemps, que j’avais créé un « journalisme culturel » pareil à aucun autre. Mais cette dimension particulière de mon métier n’est pas forcément présente dans les rencontres avec les « grands hommes». En revanche, il est vrai que pour le reste, je n’aurais pas pu faire « le journalisme des autres », non seulement du fait de mon tempérament littéraire, mais parce que j’observais l’état dans lequel se trouvaient la plupart des journaux, ce qui n’a d’ailleurs pas beaucoup changé. En fait, je n’aurais pas fait de journalisme non plus s’il n’y avait pas eu mon désir de m’engager dans les luttes anti-colonialistes et d’accompagner l’émancipation des peuples colonisés. Longtemps je n’ai vu la politique et le monde qu’au travers de la décolonisation. Mais pour revenir aux rencontres avec des hommes et des femmes d’exception, il est vrai que j’ai eu le privilège de m’entretenir, et même parfois de nouer des liens avec celles et ceux qui font l’Histoire. Pas d’équivoque: je déteste le phénomène de « poepolisation» et de vedettisation. Pour moi il y a les héros qui font l’Histoire, les peuples qui la subissent et les témoins qui l’accompagnent. J’ai voulu être l’un de ces témoins. J’ajouterai à cela que je fais partie d’une génération où l’on ne séparait pas l’engagement politique, de la littérature, de la philosophie ou des sciences humaines, du journalisme. Il n’y avait pas cette obligation, qui touche aujourd’hui les jeunes gens, et qui consiste à se spécialiser pour faire ce métier. En faisant mes premières armes de journaliste sur le terrain ou à travers mes voyages itinérants, je savais qu’à tout moment je pouvais me remettre à enseigner la philosophie ou à écrire des livres. J’étais journaliste et pourtant je gardais cette liberté de penser que je pouvais faire autre chose. Au moment de la Libération, nos grands maîtres étaient les journalistes américains, mais en même temps de grands romanciers comme Hemingway, Caldwell, Steinbeck, Dos Pasos. Surtout Dos Pasos car il était très engagé politiquement, nous rêvions tous de l’imiter. C’est comme ça que dans le journalisme, j’ai eu plusieurs besoins, plusieurs exigences. D’abord le besoin de ne pas jamais m’éloigner de la culture. Pour moi, il ne me viendrait jamais à l’idée d’aller dans un pays sans connaître les écrivains du pays que je visite, car ils expriment l’âme du peuple. Pour revenir à l’univers maghrébin, j’ai toujours recherché, mais sans jamais pouvoir malheureusement lire l’arabe, la familiarité de l’univers des écrivains maghrébins. Cela m’était facile, car je suis né le même jour et la même année qu’un grand écrivain algérien, du nom de Mohamed Dib. J’étais aussi l’ami proche d’un autre grand écrivain, Kateb Yacine. Au Maroc, je fréquentais les essayistes, les penseurs de l’Islam. En Tunisie, à partir de Sidi Bou Saïd et guidé par Latifa et Jellal Ben Abdallah, j’ai pénétré dans l’univers des peintres. Il y a une belle école de peinture depuis un demi-siècle en Tunisie. Cette familiarité culturelle m’a aidé à restituer des mentalités, des comportements et des aspirations. Que pensez-vous de l’état de la presse actuelle, de l’avancée de la télévision et des médias et de l’Internet? Je ne peux que vous donner des commentaires généraux. Avec l’âge je n’ai pas tellement ressenti, au cours de ma longue carrière, des choses qui m’étaient étrangères. D’abord parce que j’avais une expérience plus grande que ceux qui la pratiquaient, sur les méthodes de l’écriture, sur la radio, y compris sur une partie de la télévision. La seule vraie rupture, cela a été avec l’Internet. C’est une question de rapport personnel avec la civilisation technologique. Est-ce que cela modifie l’état de la presse ? Alors oui, effectivement. Curieusement, l’Internet a ressuscité l’écrit, mais un écrit de base, au détriment de la langue. L’état de la presse vient simplement du fait qu’elle dépend de facteurs qui ont sans doute toujours plus ou moins existé, mais qui ont pris désormais une ampleur dévastatrice, à commencer par la publicité. Le second phénomène décisif est évidemment le règne de l’image qui a tout transformé dans la façon de voir, d’écrire et de transmettre. L’image télévisée impose un mouvement qui ne connaît pas d’arrêt. Pour retenir l’attention et, comme on dit, stimuler l’audimat, il faut être obsédé par la vitesse. La peur du zapping harcèle les producteurs et les réalisateurs. D’autant que l’on peut savoir à chaque instant si le téléspectateur zappe ou non. C’est la suppression du temps, indispensable à la réflexion. C’est un changement radical dans l’histoire de l’écriture et de l’humanité. L’écriture, c’est l’idée de prendre le temps, avec la télévision c’est le contraire. Qu’attendez-vous de la future gouvernance française ? Pour vous, Ségolène c’est la real démocratie participative ou un coup de bluff médiatique ? Et Sarkozy, faut-il le craindre ou l’espérer? Il y a quelque chose de nouveau qui vient d’arriver en France et dont on n’est pas encore conscients. Depuis Mendès-France, il n’y avait pas eu de candidats qui se liaient par des pactes. Or Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy, depuis le début de leur campagne, se référent fréquemment au terme « pacte » c’est-à-dire le contrat. La démocratie participative a de positif qu’elle dit au citoyen « je vous écoute » mais qu’en même temps « vous serez là » pour « contrôler si je tiens mes promesses ». Ce pacte est parlé mais il laisse des traces. C’est une nouveauté qui a été inaugurée par Mendès-France, quand il a promis aux Français la paix en Indochine et l’indépendance de la Tunisie, par exemple. Et qu’ensuite il a rendu compte, naturellement ; il l’a fait car il avait réussi. Mais cette idée venue des deux candidats est nouvelle et reste positive car c’est un moyen de lutter contre la dépolitisation. C’est l’un des grands dangers de la démocratie. Lorsque les régimes sont despotiques et que l’esprit d’insoumission n’est ni toléré ni efficace, cette dépolitisation tend à devenir une situation normale. On vit avec, on s’en accommode et on l’apprivoise. Mais au moins il y a une circonstance atténuante, tandis qu’en démocratie la dépolitisation, c’est le renoncement à une liberté dont la conquête a coûté si cher dans le passé et qui est constamment enviée par les victimes des régimes despotiques. Le phénomène de Ségolène Royal est qu’il a repolitisé les sceptiques et les démissionnaires. Il faut ajouter que depuis Catherine de Médicis, il n’y a jamais eu de femme à la tête de l’Etat français. S’agissant de Sarkozy, c’est un homme dont les impulsions sont imprévisibles mais dont les propos demeurent démocratiques. On peut redouter son arrivée au pouvoir tout en reconnaissant qu’il n’est absolument pas raciste. Ce qu’il a fait est souvent dans le bon sens : il a été contre la double peine, il a régularisé les sans-papiers, il a favorisé l’intégration des Musulmans de France. Bien que je regrette cette dernière initiative car on on ne définit par un citoyen par sa religion. Bien sûr, il a tenu des propos malheureux s’agissant des banlieues et il n’y est pas très populaire. Que pensez-vous de la politique d’immigration actuelle, et des projets de Sarkozy dans les domaines de la prévention de la délinquance ? L’immigration et la délinquance, il ne faut surtout pas les présenter en même temps, car sinon vous faites le jeu de Le Pen. Sarkozy n’échappe pas à ce piège lorsqu’il observe, même avec sympathie, que si l’on visite les prisons ou les hôpitaux de France, on y trouve un énorme pourcentage de Maghrébins. Cela veut dire que l’immigration va plus vite que la possibilité d’accueillir les immigrés. L’histoire de l’immigration est un phénomène planétaire, les frontières disparaissent et rien ne pourra plus jamais empêcher cette partie de l’humanité qui n’a rien de frapper à la porte de celle qui a quelque chose. Ce mouvement est inévitable et il déjoue les calculs de tous les prévisionnistes, de tous les démographes et de tous les économistes. La France se démarque des Etats-Unis et a des difficultés à imposer ses vues en Europe. Peut-elle retrouver son aura par la mise en œuvre d’une grande politique « méditerranéenne » ? Je vais être très brutal. La France seule ne peut rien faire, et les ambitions qu’on prête à la France sont bien au-dessus de ses moyens actuels. La France, par son vote récent, s’est mise en marge de l’Europe. A condition de s’entendre avec certains pays et non pas de s’attendre à une majorité totale, je crois alors qu’on peut s’attendre à un noyau dur aux décisions restreintes. Un des principaux problèmes que nous avons, car moi-même j’ai milité en ce sens avec Jacques Delors, c’est que les Méditerranéens de l’autre rive n’arrivent pas à s’entendre entre eux. Ils préfèrent avoir affaire directement avec la France ou avec l’Europe. Le nombre d’échanges entre les pays maghrébins est ridicule et honteux. Il n’y a pas de front commun malgré l’esprit de fraternité entre ces pays, songez quelle force ils pourraient constituer, si la Méditerranée musulmane de l’autre rive avait un front commun. En ce moment, la politique méditerranéenne française peine à aboutir, car malgré tous ses efforts, il n’y a pas d’interlocuteur viable. Le Moyen-Orient et le Proche-Orient sont le théâtre de combats sanglants depuis des décennies. Humiliations et attentats, répression et injustice, misère et détresse sont le lot quotidien des peuples qui y survivent. D’où peut venir le salut ? Il faudrait un miracle ! D’autant que la guerre d’Irak n’a fait que décupler les tragédies et les complexités en ressuscitant les affrontements entre Sunnites et Chiites. J’ai toujours pensé que la route de Bagdad passait par Jérusalem et que rien ne serait possible sans une paix juste et durable entre les Israéliens et les Palestiniens. A la rigueur, il y a eu plusieurs moments, durant ma longue vie, entre Israéliens et Palestiniens, où il y a eu des occasions, des lueurs d’espoir , des moments privilégiés. Jimmy Carter et Bill Clinton ont été deux grands présidents sur ce plan. Personnellement, je pense que, s’agissant de Ségolène, les deux termes qu’elle a employés sont à la fois simples et définitifs : «Justice pour les Palestiniens et sécurité pour les Israéliens ! » On vous voit comme un homme de gauche dans sa plus grande noblesse, vous voyez-vous ainsi? Avez-vous perdu certaines illusions après l’exercice du pouvoir par la gauche française ? Ce qu’il y a de plus beau dans la France, à mes yeux, c’est le fait d’être les héritiers de la grande Révolution de 1789. La Révolution française, issue des Lumières des encyclopédistes, représente un moment de bonheur civilisationnel, de renaissance de l’humanité. Bien sûr, il y a beaucoup eu d’antagonismes dans le passé, mais maintenant je peux dire que la droite républicaine, tout comme la gauche socialiste sont des héritiers de la Révolution. Désormais, chacun se sent tenu, par exemple, de dénoncer le racisme, la xénophobie et même l’intolérance. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a plus de racisme, cela veut dire que c’est devenu un concept marqué par la culpabilité. La distance entre la gauche et la droite s’est de plus en plus estompée et cela fait d’eux de vrais héritiers de 1789. En ce moment, il est évident que, s’agissant des problèmes locaux, je suis très déçu par le manque de courage des hommes d’Etat à résister contre les revendications corporatives. Il y a une dispersion des énergies, une contradiction des réalisations, une sorte de résignation des responsabilités. Les hommes d’Etat sont figés par l’impuissance devant les forces de revendication, c’est une chose très handicapante pour un pays désireux de faire des réformes. Nous avons des promesses de la part des deux candidats, mais pour quelqu’un comme moi qui est social-démocrate et Blairiste, mais Blairiste à condition de récuser la guerre en Irak, on est loin du compte. Vous avez combattu pour la libération de certains pays maghrébins ; car vous aviez une idée de l’Algérie et de la Tunisie, connaissez-vous la Tunisie d’après Bourguiba ? J’ai passé en Tunisie des heures d’une intensité dont je garde encore l’empreinte. Très tôt j’ai célébré, dans une prose qui se voulait lyrique et poétique, l’enchantement et la tendresse des paysages maritimes. J’ai été amoureux de Sidi Bou Saïd, mais aussi de Mahdia, de Gabès et de Tamerza. Et puis j’ai noué avec bien des Tunisiens des liens qui ressemblent à des racines. J’ai trouvé le pays admirable, et grâce au grand historien Paul Sebag, j’ai aimé son histoire. Et puis j’ai surtout connu deux hommes de l’époque, c’était Mendès-France et Bourguiba. Je voyais Mendès-France à Paris et puis Bourguiba m’avait en quelque sorte adopté. J’avais des rapports privilégiés avec Bourguiba, j’avais appris à l’approcher mais aussi à prendre mes distances. Par exemple, s’agissant de la question palestinienne, les deux hommes qui m’ont influencé sont Mendès-France et Bourguiba. Ils ont dit les mêmes choses au même moment, le fameux discours de Jéricho de Bourguiba était pareil à l’appel de Paris, de Mendès-France. Sur ce sujet, les deux hommes s’étaient retrouvés. Il y a eu ensuite la dimension despotique de Bourguiba, qui m’a beaucoup peiné. Il était despote par manque de confiance en son peuple, il se croyait « grand instituteur » éternel. Il refusait d’accepter que son peuple ait mûri. Quant à la Tunisie d’aujourd’hui, moi qui ai connu l’ancienne, il est vrai que je ne la connais que très peu. J’ai rencontré récemment, chez Dominique de Villepin, le Premier ministre tunisien. Et le Président Ben Ali m’a reçu deux ou trois fois avec élégance en évoquant mon aventure de Bizerte. Mais il y a des choses que je sais, même de loin, car Paris est un faubourg de la Tunisie. J’ai encouragé le combat de nombreux révolutionnaires. Quelquefois, j’ai même été leur complice. Mais quand ils obtenaient l’indépendance, je réalisais qu’ils étaient devenus des hommes de pouvoir. Souvent, je les ai sévèrement jugés. Mais j’ai lentement appris depuis qu’il faut renoncer au jugement absolutiste et lui préférer le jugement comparatif. Il y a des degrés dans la démocratie et dans le despotisme. Souvent, quand on regarde un seul pays, on est désespéré. Et puis, quand on le compare, on est rassuré. Dans le cas de la Tunisie, je ne peux faire l’impasse sur les audaces du statut de la femme et sur les avancées économiques et sociales, mais je ne me sens pas de cela pour axcuser autre chose S’agissant de Camus, l’ami auquel vous dédiez toute une réflexion, qu’est-ce qui a été à l’origine de la rupture ? Camus et moi nous nous entendions en tout, s’agissant de l’Algérie, et sur le fait que la colonisation était une sorte de barbarie, mais le trucage constant et répété des élections en Algérie qui ont empêché que des hommes comme Bourguiba puissent devenir des interlocuteurs. Camus souhaitait créer une fédération franco-algérienne avec un certain nombre d’interlocuteurs laïques. Après l’indépendance de la Tunisie et du Maroc, après la décolonisation de tous les pays arabes, je considérais que c’était au peuple algérien de décider s’il voulait s’allier à une quelconque fédération ou pas. Quand la guerre est arrivée, c’est le terrorisme et la répression qui ont fait que Camus ne pouvait pas accepter qu’au nom de l’idéal même le plus absolu, on puisse s’attaquer aux civils. Et l’on peut dire que le fait d’être obsédé par l’idée que lui, sa famille, sa mère, ses amis puissent être victimes du terrorisme, avait pris des proportions effrayantes. Et cela l’avait amené à se séparer de moi, car je disais qu’il fallait faire cette révolution, même au prix du terrorisme. Etes-vous à l’épreuve du temps, Jean Daniel ? Oui. Absolument fériel Berraies Guigny