Liberté et Equité: Communiqué AP: La peine d’un ancien détenu tunisien de Guantanamo confirmée en appel AP: Tunis appeals court upholds terror conviction against former Guantanamo detainee AP: Le tiers de la population du monde arabe analphabète, selon l’ALECSO Yadh Ben achour: Le terrorisme a-t-il un fondement culturel ?
Ahmed Ounaïes: La politique europeènne de voisinage trois ans après
Liberté pour Slim Boukhdir, la plume libre Liberté et Equité URGENCE : sauvez la vie de l’ex prisonnier politique Ahmed Bouazizi 33 rue Mokhtar Atya, 1001, Tunis Tel/fax : 71 340 860 e-mail : Liberté_équité@yahoo.fr Tunis, le 7 janvier 2008
La peine d’un ancien détenu tunisien de Guantanamo confirmée en appel
Associated Press, le 8 janvier 2008 à 18h57
TUNIS (AP) — La cour d’appel de Tunis a confirmé mardi le jugement rendu en première instance contre un ancien détenu tunisien de la prison américaine de Guantanamo, Lotfi Lagha, condamné le 24 octobre dernier à trois ans de prison ferme pour “appartenance à une association terroriste projetant des agressions contre les personnes et les biens”, a-t-on appris auprès de son avocat Me Samir Ben Amor.
Lofti Lagha avait nié appartenir à une quelconque organisation terroriste ou avoir participé à des actions militaires avec les talibans en Afghanistan contre l’Alliance du nord du commandant Massoud. Dans sa plaidoirie, son avocat avait réclamé le non-lieu en faveur de son client en se basant sur “les vices de procédure” et “l’absence de preuves étayant l’accusation”.
“Même en admettant que mon client se soit rallié aux talibans, ces derniers gouvernaient en Afghanistan à cette époque et ne pouvaienten conséquence être considérés comme une organisation terroriste”, a-t-il soutenu.
Né en 1968, Lotfi Ben Souîi Ben Khalifa Lagha, avait été rapatrié en juin dernier en même temps que son compatriote Abdallah Hajji, après une incarcération de plus de cinq ans à Guantanamo. Il avait
émigré clandestinement en 1998 en Italie où il avait exercé dans un centre culturel islamique avant de se rendre en Afghanistan. Fuyant la guerre déclenchée contre les talibans, il avait été arrêté en 2002 à la frontière pakistano-afghane, avant d’être remis aux autorités militaires américaines. A son retour en Tunisie, il avait accusé les militaires de la base de Kandahar dans le sud de l’Afghanistan de lui avoir sectionné les doigts des deux mains, à l’exception des pouces, contre son gré après l’avoir drogué.
Tunis appeals court upholds terror conviction against former Guantanamo detainee
Associated Press, le 8 janvier 2008 à 22h48
TUNIS, Tunisia (AP) _ A Tunis appeals court upheld Tuesday the terrorism conviction of a man once held in the U.S. prison at Guantanamo Bay, the man’s lawyer said.
Lotfi Lagha, a Tunisian citizen, was sentenced in late October to three years in prison on charges of associating with a criminal group with the aim of harming or causing damage in Tunisia.
The Tunis criminal court dismissed other counts against him, including allegations that he received military training in Afghanistan and that he fought with or recruited for that nation’s former Taliban regime.
Lagha has maintained his innocence, and his defense lawyer, Samir Ben Amor, argued the legal proceedings against him were flawed.
Ben Amor has claimed his client was beaten after being returned home in June from the detention center at the U.S.
Navy base in Guantanamo Bay, Cuba, where he spent more than five years. Lagha has also alleged mistreatment while in U.S. custody.
Lagha traveled to Afghanistan in early 2001 from Italy, where he had settled three years earlier as an illegal immigrant and worked at an Islamic cultural center. His lawyer has said Lagha was at Tora Bora at the height of the U.S.-led military campaign that ousted the Taliban regime.
It remained unclear why he was there. Police in neighboring Pakistan detained Lagha in early 2002 along the border with Afghanistan.
During Tuesday’s proceedings, Ben Amor said that because the Taliban was running Afghanistan when Lagha was in the country, “they could not be considered a terrorist organization.”
Therefore, “even if we assume my client went there to join the Taliban” the charges against him are inaccurate, he argued.
Meanwhile Tuesday, another Tunis court convicted two men on charges they participated in a terrorist enterprise and sentenced each to 10 years in prison, said Ben Amor, who represents them, as well.
Ahmed Souheil, 25, and Mongi Ouechtati, 22, were accused of aiding a militant group that was involved in deadly clashes with Tunisian security forces in late 2006 and early 2007.
They were thought to have provided members of the group with manure used to make explosives, Ben Amor said. Both proclaimed their innocence, insisting they acted “in good faith.”
Members of the group were arrested following an attack on the group in Soliman, 25 miles south of the capital, Tunis.
A total of 14 people _ 12 group members, a soldier and a police officer _ died in the confrontation.
Such clashes are relatively rare in Tunisia, widely considered a haven of stability in North Africa.
Two members of the group were sentenced to death and others were handed heavy prison sentences late last month.
Le tiers de la population du monde arabe analphabète, selon l’ALECSO
Associated Press, le 8 janvier 2008 à 18h36
TUNIS (AP) — L’Organisation arabe pour l’éducation, la culture et les sciences (ALECSO) a lancé mardi un signal d’alarme devant le nombre élevé d’analphabètes dans le monde arabe.
Selon l’organisation panarabe, qui se réfère aux chiffres publiés par le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), sur une population globale de quelque 335 millions d’âmes, 99,5
millions sont analphabètes, soit le tiers de la population de l’ensemble des 21 pays arabes (29,7%). Le phénomène touche les personnes de plus de 15 ans. Il affecte quelque 75 millions d’individus de la tranche d’âge de 15 à 45 ans, dont près de la moitié de femmes (46,5%).
Dans un communiqué publié à l’occasion de la journée arabe de lutte contre l’analphabétisme, l’ALECSO dont le siège se trouve à
Tunis, déplore que les nombreux efforts déployés à l’échelle du monde arabe pour venir à bout de l’analphabétisme n’aient pas donné les résultats escomptés.
Elle formule plusieurs suggestions pour remédier au fléau, notamment la généralisation de l’enseignement de base, l’adoption de législations contraignantes en matière de lutte contre l’analphabétisme, l’intensification des campagnes ayant pour but l’alphabétisation des filles et l’implication de la société civile arabe dans cette action.
Les Etats arabes ont adopté en juillet dernier un plan d’action initié par l’ALECSO dans le but de promouvoir l’éducation et préconisé une collaboration avec des organismes régionaux et Internationaux spécialisés.
Associated Press
YOUSSEF NADA EXPOSE SON CAS ET SES ARGUMENTS SUR UN SITE WEB
Nearly four years of constant legal assistance from the US and all over the world, did not help the Swiss Federal Prosecutor to justify extending the limits, not specifying any crime to the accused and keeping the file open. He was still forced to close the investigation, and declare lack of evidence, after being blamed by the Swiss High court.
Youssef Nada Case study of misusing (fighting terrorism slogans), to encircle Muslim activists.
Alleged terrorist banker
Armed with faith and courage
Fighting for his innocence
Searching for justice When Youssef Nada “75 years old” was asked what his hope is ?
His answer was: “To continue in the line to which I devoted my life. My Faith, structure, courage, skill, contacts background, and experience was and will be useful to open dialogues, extend bridges and lead to more understanding and cooperation between various countries, politicians, factions, and religious groups. Spreading love, healing rifts, and building bonds through respect and tolerance. I did it before, and I shall continue “
http://www.youssefnada.ch/index.html
Le terrorisme a-t-il un fondement culturel ?
Yadh Ben achour, professeur à l’Université de Carthage, membre de l’Institut de droit international.
Pour introduire notre propos, nous allons considérer deux séries d’images médiatiques. La première série concerne l’image de ces bronzes qui, au cours de la guerre du Vietnam, se faisaient immolés par le feu, en guise de protestation contre l’intervention américaine.. Ces images atroces ont reçu une diffusion planétaire grâce aux médias, en particulier la télévision. La deuxième série concerne l’attentat terroriste, par exemple celui du 11 septembre 2001.
Nous avons là deux types extrêmes d’exercice de la violence qui cherchent à produire le même effet: manifester le plus massivement possible la protestation, par la production du sacrifice suprême, avec l’espoir de toucher un ennemi ou un adversaire. Ces deux types d’acte, d’un point de vue extérieur, n’ont évidemment pas la même portée politique. L’un suscite l’admiration et la compassion universelle et produit un effet politique maximum, y compris à l’intérieur même du camps adverse, alors que l’autre, limite ses effets à l’intérieur du territoire moral auquel appartient le terroriste. Ailleurs, il provoque l’indignation et le dégoût.
L’acte terroriste, en effet, est un défi à des lois primordiales quasiment constitutives de la psychologie humaine. Tout d’abord, il paraît ahurissant et même aberrant, sur le plan moral. Si l’acte de tuer, même justifié par de “bonnes raisons”, est, en soi, punissable par tous les systèmes moraux et juridiques[1], mais reste quand même compréhensible, l’acte de tuer sans raison, plus exactement sans cause personnelle directe, par exemple de vengeance ou de haine à l’égard de la victime, demeure totalement injustifié, donc incompréhensible. C’est un acte sans motif, puisqu’aucune causalité particulière ne lie l’auteur à la victime. À ce titre, il devient gratuit, donc répugnant.
Sur le plan politique, l’acte terroriste ne constitue pas simplement “un défi à la pensée politique”, mais à la politique tout court. En effet, c’est un acte qui, à première vue, se retourne contre son auteur, dans la mesure où la victime qui va tomber n’est pas réellement la cible visée. Indépendamment du mauvais effet de propagande qu’il provoque contre lui-même, l’acte terroriste se trompe toujours de cible, ce qui aggrave son côté politiquement aberrant.
La question fondamentale qu’il convient de poser est la suivante : y aurait-il, derrière le geste du bonze qui s’immole par le feu et celui des kamikazes qui se sacrifient et sacrifient avec eux des victimes situées en dehors du champ causal de cet exercice de la violence, un fondement culturel, le bouddhisme d’un côté, l’islam d’un autre côté ?
Nous savons que certains facteurs sont propices à l’acte de barbarie. L’inégalité économique intolérable, la spoliation ou l’exclusion sociale, la domination politique fortifient les ressorts psychologiques de toute forme de violence, y compris le terrorisme. Les formes de ressentiment, issues de la frustration, de l’exploitation ou de l’injustice développent à leur tour l’esprit justicier et l’instinct d’agression, la haine de l’autre et l’instinct thymotique.
Notre question est de savoir si, à côté de ces facteurs, le facteur culturel pourrait entrer en ligne de compte.
I
Pris isolément, le facteur culturel ne peut rien expliquer. On ne peut en effet affirmer péremptoirement : telle religion, telle civilisation, telle culture est, en soi, productrice de terrorisme[2]. Cette thèse n’est pas soutenable, alors même que l’on sait que les événements ou les textes fondateurs ou les valeurs fondamentales de telle ou telle culture élèvent ou rabaissent à des degrés divers l’appel à la violence ou sa légitimation.
Pour nous limiter au climat monothéiste, il est évident, pour le lecteur des trois textes de l’Ancien testament, du Coran et des Evangiles, que la violence ne reçoit pas le même traitement. Elle se trouve comparativement nettement dévalorisée dans le texte évangélique. La charité, la non violence, la miséricorde y dominent. Il serait cependant erroné de prétendre, à partir de ce simple constat, que les principes du Texte vont diriger l’histoire particulière ou que l’expérience sera l’exacte réplique du texte initiateur. Dans l’histoire, le christianisme par l’intermédiaire de l’Eglise, des Etats et des peuples qui se rattachent à son aire de civilisation, a produit autant, et certains pourront dire plus, de violence et de barbarie que les autres. Il ne peut donc y avoir de terrorisme par détermination – ou par déterminisme – culturel.
Pour agir, le facteur culturel a besoin d’être “politisé”, c’est-à-dire qu’il doit s’intégrer dans un contexte particulier social et historique. Tout dépend des circonstances particulières, du contexte concret de telle ou telle société. Il n’existe ni religion, ni philosophie, ni esprit civique, ni civilisation qui, par essence, serait propice au développement du terrorisme.
Prenons comme exemple l’islam. On pourrait être tenté, étant donné la corrélation actuelle évidente entre le terrorisme, en particulier le terrorisme international, et les mouvements islamistes radicaux, d’expliquer le phénomène par référence aux traits fondamentaux de caractère religieux, moral, intellectuel, propres à la civilisation islamique. Le désir absolu de Dieu, de l’éternité de la purification morale[3], l’unicité absolue du divin dans le corpus coranique, la nature ecclésiale et “totaliste” de la communauté des croyants provoquant immanquablement la confusion des instances politiques et religieuses affirmée dès l’origine de l’islam, du temps même du Prophète, le caractère illusoire et trompeur de la cité terrestre au regard de la seule vérité de la cité céleste, la responsabilité de l’individu, en charge du lui-même et des autres, à l’égard de Dieu, la valorisation de la violence restauratrice dans le texte coranique et dans les hadith du Prophète, la familiarité du concept de “Jihad” dans la conscience politique et religieuse du musulman, l’obligation de combattre le mal et de restaurer l’ordre divin du monde toujours menacé par les nuisances humaines de toutes sortes, l’impératif de défendre l’ummah islamique, pour la gloire de Dieu, tout cela constituerait autant de représentations, de valeurs, de réflexes mentaux et psychologiques favorables à l’exercice sans limite de la violence et de la terreur. La défense de l’islam, au service de la gloire de Dieu, constituerait une fin suprême, justifiant tous les moyens.
Tous ces arguments sont en eux-mêmes corrects mais ne permettent nullement une quelconque conclusion de principe, sur le plan pratique, comme celle qui consisterait à croire que la culture islamique est une culture de violence sans bornes. A la rigueur, on serait juste en droit d’affirmer que ces convictions fondamentales, dont certaines ne sont pas d’ailleurs scripturaires mais historiques, rendent les formes extrêmes de violence possibles ou qu’elles peuvent aisément servir à les justifier après coup. Mais on ne peut aller plus loin.
Un certain nombre de constats nous empêchent d’aboutir à une telle conclusion. Tout d’abord, sur le plan scripturaire, le texte fondateur quelles que soient ses sources ou ses branches, comprend autant d’appels à l’exhortation, à la paix, à la conciliation et à la condamnation de toutes les formes de violence sans droit. Ensuite, il faut encore rappeler que le texte n’a aucune souveraineté sur le déroulement de l’histoire. L’autonomie de cette dernière est absolue. Elle évolue selon des mécanismes, des causalités et des nécessités qui lui sont propres. Enfin, les historiens peuvent démontrer que l’histoire de l’islam connut de longues et nombreuses périodes au cours de laquelle la civilisation islamique se manifesta avec éclat, par la paix, le dialogue avec les autres civilisations, l’esprit d’ouverture et de tolérance.
II
Ce sont donc, en définitive, les conditions historiques et les circonstances particulières de chaque époque qui constituent le seul critère explicatif valable. Ce sont ces circonstances qui peuvent expliquer qu’une culture deviennent agressive. Ce sont ces conditions qui favorisent l’éclosion d’une pensée politique d’incitation à la violence aveugle.
En ce qui concerne l’islam, toutes les conditions historiques actuelles se conjuguent pour faire d’une large partie de sa culture, en particulier de sa culture politique, une culture de violence et d’agression.
Parmi les éléments importants constitutifs de cette situation mentale particulière, nous pouvons tout d’abord évoquer l’immense difficulté devant laquelle se trouve la civilisation islamique d’avoir à assumer le phénomène de sa stagnation pour ne pas dire sa régression depuis le XVIe siècle, ensuite, la hantise du complot occidental contre l’islam, enfin les changements brutaux d’ordre sociologique et urbain, qui font des grandes villes du monde islamique actuel des centres de formation pour le développement d’un culturalisme conservateur délibérément anti moderniste et des nouvelles terres d’islam des espaces de diffusion de cette culture.
►Comme l’écrit Abdelwahab Meddeb, “le monde islamique n’a cessé d’être l’inconsolé de sa destitution.[4]” Pour tout observateur, il est aisé aujourd’hui de constater dans la pensée et la parole des musulmans, spécifiquement ceux de la région arabe, la présence d’une profonde nostalgie, parfois même d’un romantisme certain, tournant autour du thème des gloires du passé et de la contribution du monde musulman au développement de la civilisation mondiale, en particulier celle de l’Europe.
Le contraste entre une Europe moyenâgeuse noyée dans l’obscurantisme et la stagnation culturelle face à une civilisation islamique humaniste, brillante sur le plan du commerce, de la puissance militaire, de la science et des technologies, de la littérature et de la philosophie, constitue un sujet favori des débats sociaux et historiques. Ce contraste se révèle à travers des figures emblématiques : l’Abbasside Haroun Errachid, révélant la puissance de son empire à Charlemagne, Saladin, l’Ayyubide, enseignant aux croisés l’esprit chevaleresque, le Sultan al Kamil ou l’émir Fakhréddine convaincant l’empereur Frédéric II de la supériorité de la civilisation orientale, lui révélant même l’esprit laïc, l’Andalousie arabe, ses poètes, ses hommes de science, ses philosophes, creuset et origine, de la future renaissance européenne selon l’aveu même de Pic de la Mirandole, consigné au début de son oeuvre sur la “Dignité de l’homme“.
► Quant au dossier sur le complot occidental contre l’islam, le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il est bien fourni. Il est construit à partir de faits objectifs, dans le cycle d’une permanente hostilité entre l’islam, responsable de la division de l’unité gréco-latine du monde méditerranéen, et l’Occident chrétien. Entre l’idée d’un cycle objectif d’hostilité et celle du complot, s’interpose évidemment la subjectivité de l’interprète, mais les faits sont là. La Sainte Ligue, le démembrement de l’empire ottoman, que certains font remonter à la bataille de Lépante, le colonialisme républicain et laïciste faisant alliance avec l’église contre l’islam, comme en témoigne le congrès eucharistique de Carthage en 1925, les mandats britannique et français au Moyen-Orient, divisant artificiellement l’unité arabe au moyen orient, débouchant finalement sur la création d’un foyer national juif, puis de l’Etat d’Israël, en contradiction totale avec les principes mêmes du mandat international confié aux puissances mandataires par la S.D.N, aujourd’hui, la politique américaine inconditionnellement rangée sur les positions de l’Etat hébreu, provoquant en Irak le chaos, la destruction, la guerre civile, et des massacres incomparablement plus graves que ceux provoqués pendant tout le régime baathiste de Saddam Hussein, les politique de marginalisation, sinon d’exclusion des musulmans en Europe, le problème de l’entrée de la Turquie dans l’Union Européenne, tous ces événements, dont la liste pourrait être considérablement allongée, sont interprétés, parfois à tort, parfois avec raison, comme autant de signes irrécusables d’un immense complot de l’Occident visant à anéantir l’islam, en tant que civilisation mondiale concurrente.
Cet état d’esprit contribue fortement à la constitution d’un sentiment généralisé de victimisation tout à fait propice à l’émergence d’une psychologie politique de revanche, restitutive et réparatrice, radicalement militante. La politique occidentale ne fait rien ou fait peu de chose pour atténuer ou combattre cette thèse du complot occidentale contre l’islam. François Burgat, a pu justement noter : “… toute la contradiction vient précisément de ce que l’Occident contribue d’une main à renforcer, directement… ou indirectement… ce radicalisme qu’il prétend combattre de l’autre.[5]” Se prononçant ensuite sur le rapport de causalité entre la culture et la radicalisation du monde islamique l’auteur ajoute : “La ‘maladie’ (culturelle) apparente ‘de l’islam’ est le produit et non la cause de ce cercle vicieux très politique où est enfermé le monde musulman et dont l’Occident se préoccupe si peu de l’aider véritablement à sortir.[6]“
► Les phénomènes migratoires constituent une autre cause de développement de cette psychologie victimaire, tendanciellement portée à la violente. A l’intérieur des pays musulmans, l’exode rural perturbe gravement les fonctions civiques de la cité. La population issue de l’exode rural ne participe nullement au développement de l’esprit municipal. Elle provoque, au contraire, l’apparition d’une citoyenneté de rupture, revendicatrice et revancharde, aussi bien par rapport à l’establishment de la cité, que par rapport à l’Etat central. La surpopulation périphérique des grandes cités comme Casablanca, Alger, Tunis, Le Caire, Islamabad ou Djakarta alimente et aggrave toutes les crises: celle du logement, en premier lieu, celle du transport, celle de la santé ou du service public scolaire ou universitaire, celle du désœuvrement et du chômage. Sur son propre territoire le citoyen devient souvent un déraciné, en divorce avec son milieu. La quête d’un refuge, la recherche du sens, par delà l’Etat, deviennent, en conséquence, des questions centrales de sa vie et en particulier de sa vie politique. Le culturalisme conservateur, par sa négation de l’ensemble « Occident-Etat national-élite occidentalisée », offre à ce citoyen une réponse à première vue satisfaisante à ses problèmes vitaux. Les politiques ostensiblement culturalistes des gouvernements ne modifient que très peu les données du problème : elles sont comprises comme de simples techniques d’agrippement au pouvoir.
Les migrations transnationales aboutissent approximativement au même résultat. Sur les nouvelles terres d’Islam, en Europe, aux États-Unis, au Canada, se constituent également des minorités périphériques ethnico-religieuses caractérisées par le déracinement, l’exclusion et l’absence d’intégration réelle, la crispation autour d’une identité inventée. La quête du refuge s’exprime ici alors par le démarquage et l’hostilité latente à l’égard du milieu. Le culturalisme radical, celui d’un Sayed Kotb, d’un Mawdûdi, ou d’un Hassan al Bannah, là encore, va pouvoir offrir à la psychologie victimaire, en particulier par l’intermédiaire d’Internet, des raisons de croire ou d’espérer, de nier ou de haïr, des motifs pour agir, des utopies virtuelles, l’Ummah, la Khilafa, pour se reconnaître et se rassembler, une technique de violence, le jihad, à leurs yeux salutaire pour s’affirmer. Une culture du sacrifice, du don de soi et du martyr, impliqué par le concept de jihad lui-même va nourrir le terrorisme des « Armées de Mohamed », d’al Qa’ida, et des partis jihadistes.
III
La véritable question, par conséquent, n’est pas de savoir si telle ou telle culture est de nature à encourager ou produire le terrorisme, mais, quel type de culture, dans un contexte particulier, pourrait le favoriser.
Placée dans certaines circonstances, une culture donnée peut exacerber la haine de l’autre, à un point tel que l’acte terroriste pourrait y trouver une justification, une juste cause, du moins aux yeux de celui qui l’accomplit.
Dans de telles circonstances, la politique devient une passion pure et non plus le champ du calcul rationnel pour défendre ou sauvegarder le plus grand ou le meilleur intérêt possible, à la fois pour la gloire des gouvernants et pour la satisfaction des gouvernés. On ne raisonne plus alors en termes d’intérêts bien compris, de résultats escomptés et possibles, mais on agit pour assouvir une passion. Cette dernière est loin d’être aveugle. C’est le résultat qui le devient.
Ce type de culture est, en général, le produit d’un enfermement à la fois sur l’identité et sur le dialogue ou la reconnaissance purement intérieurs, c’est-à-dire la culture endophasique.
► La culture identitaire se forme lorsqu’une nation, un peuple, ou un groupe social donné, fixe ses horizons de pensée sur le culte exclusif de son identité. Il s’agit d’une surévaluation d’un certain nombre de facteurs composant normalement et nécessairement l’identité, tels que la langue, la religion ou l’histoire.
Vue par ses propres locuteurs, la langue devient alors le signe de l’inimitable, de l’incomparable. Cette situation est particulièrement forte dans le cas où la langue est associée à un texte sacré. Elle devient alors la langue miracle, comme pour les arabes, rehaussant leur langue, la “langue du Dhâd” au niveau du sacré. Les autres langues ne sont pas de la même veine.
Comme la langue, la religion est également fondatrice d’identité. Dans des circonstances normales, de paix et d’échange, la religion peut faire signe vers l’ouverture d’esprit, la tolérance et l’acceptation de l’autre. Dans des circonstances de tension, de frustration, d’injustice, la religion peut être réinventée au service de l’agression et de la violence restitutive ou. réparatrice.
Quant à l’histoire, elle consiste en une science entre les mains des interprètes. Ces derniers, souvent avec la plus flagrante mauvaise foi, peuvent la travestir, accentuer dans tous les sens les grands événements du destin historique, mettre l’histoire au service d’une identité agressive ou d’un nationalisme défensif.
Tous ces éléments sont indispensables à la formation et au développement de la personnalité d’une nation. Mais il suffit que les circonstances historiques qui entourent les relations avec l’autre soient gravement détériorés, pour que ce culte de soi, par la langue, la religion ou l’histoire, aille jusqu’à produire les figures extrêmes de la violence, et en particulier l’acte terroriste.
La culture identitaire peut se voir suractivée par le sentiment de la victimisatoin que nous avons précédemment évoquée. Cette dernière provient à la fois de faits historiques objectifs, mais également d’une dose certaine de jugements subjectifs qui poussent le groupe à se poser comme la cible d’une injustice, d’un complot, d’une entreprise de domination, d’exploitation ou de destruction. Telle est, aujourd’hui, la situation du monde islamique.
Ce dernier est encore sous l’emprise de nombreux complexes, celui du colonisé, celui de l’exclu, du minoritaire, de l’exploité, du vaincu et du dépossédé.
► De même, les circonstances historiques peuvent faire qu’un peuple ne parle plus qu’en langage intérieur, enfermé sur soi-même. La culture endophasique est tout le contraire de la culture moderne. Si, comme l’affirme Abdallah Laroui, l’homme moderne et celui qui “n’a pas de fond”, l’homme endophasique est celui qui ne regarde que son propre miroir, pour ne voir que sa seule image, avec son propre fonds.
La culture endophasique repose sur un certain nombre d’éléments à combinaisons variables dans le temps et l’espace. Tout d’abord, la certitude d’être dans le droit chemin, celui de la vérité, de détenir cette dernière à titre exclusif. Ensuite, l’exaltation, c’est-à-dire la soumission de la pensée à des modes passionnels de réflexion. Le mode passionnel de réflexion, par l’effet de son aveuglement donne des motifs très forts pour l’action. Le don de soi devient le sacrifice suprême. Enfin, la sacralisation et la transcendantalisation qui placent toute action, en particulier l’action politique, dans une perspective mythique, en dehors du temps terrestre. Dans cette perspective, le débat politique n’est plus un débat, mais une consécration, puisque la vie est ailleurs, que l’ici-bas n’est rien et que le paradis constitue la récompense pour les seuls justes, c’est-à-dire, en fait, ceux qui tiennent le discours.
Analysant le discours religieux contemporain, dans l’aire de civilisation islamique, Nasr Hamed Abou zeïd, dans sa « Critique du discours religieux »[7], analyse avec beaucoup de finesse les mécanismes de ce discours. Il est construit à la fois sur l’amalgame entre la pensée et la religion, sur le rattachement des phénomènes à un principe unique, sur le recours au patrimoine et à l’autorité des anciens, sur l’intolérance et l’anathème, enfin sur le rejet de l’historicité de l’existence humaine. Ses postulats reposent sur la souveraineté absolue du divin et le référentiel exclusif au Texte.
Le mode passionnel de raisonnement que nous venons d’évoquer repose uniquement sur des a priori. Il n’est pas, épistémologiquement parlant, capable d’admettre ce que Abu Zeïd appelle “historicité”, c’est-à-dire le fait que le Coran constitue un texte linguistique, que la langue nous met au cœur de la culture et que le texte, par conséquent, n’est pas détachable de son contexte culturel particulier. Il écrit à ce propos : “Les textes religieux ne sont, en dernière analyse, que des textes linguistiques, en ce sens qu’ils appartiennent à une structure culturelle déterminée, qu’ils sont produits conformément aux lois régissant la culture qui les a vu naître et dont la langue est justement le principal système sémiotique.[8]“
Conclusion.
Aucune culture, en soi, n’est productrice de violence ou de terreur. Ce sont les circonstances particulières qui expliquent qu’une certaine culture peut devenir, à un certain moment de son histoire, un élément d’explication du terrorisme.
Ce dernier, par la négativité même de son processus, par le mal et la peur qu’il engendre, participe, objectivement, au rééquilibrage des forces, et au changement de circonstances. Au minimum, il fait prendre conscience qu’une situation anormale et intolérable existe pour certains et que des remèdes de tous ordres doivent lui être trouvés. Au maximum, hypothèse possible, il peut venir à bout de ses adversaires et triompher politiquement. L’histoire lui donne alors raison.
Il n’existe pas mille moyens de lutter contre le terrorisme. Le premier, c’est la contre violence terroriste. L’actualité de notre monde, en Afghanistan, en Irak, en Palestine, nous montre que cette contre violence aussi massive soit-elle aboutit à l’impasse, qu’elle est incapable de mettre fin au terrorisme et que, en revanche, elle est susceptible de l’alimenter et de le renforcer .
Le deuxième consiste à aller vers sa source explicative, en vue d’établir plus de justice, économique, sociale, politique, culturelle, au niveau des relations internationales. Il s’agit là d’un impératif qui consiste à la fois à agir sur les causes profondes du terrorisme et, parce que la paix procède toujours et nécessairement d’une négociation, à se soumettre aux conditions et revendications du terroriste, tout simplement parce que ces dernières ne constituent pas systématiquement des aberrations. Pour lutter contre le terrorisme avec efficacité, il est nécessaire de prendre conscience que ce dernier peut avoir de bonnes raisons d’agir comme il le fait.
Le troisième, consiste à développer la contre-culture terroriste. Comme le recommande l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe : “La culture sous tous ses aspects – art, patrimoine, religion, médias, Science, enseignement, jeunesse et sport – peut jouer un grand rôle pour prévenir le développement d’une mentalité terroriste, pour dissuader les terroristes éventuels et pour les couper de tout soutien plus vaste. Son importance à cet égard est néanmoins fréquemment sous-estimée.” (Recommandation 1687.2004. précitée). Cette contre-culture terroriste peut s’accomplir par la lutte contre les préjugés de toutes sortes, le combat contre la culture identitaire et endophasique, le développement de l’esprit critique et de la relativité, l’abolition des certitudes absolutistes et absolutoires, l’encouragement de l’esprit philosophique, l’ouverture sur l’autre et la tolérance. Seule une politique culturelle ouverte, scientifique, critique, rationnelle, relativiste, peut réellement venir à bout de la culture terroriste. La lutte contre le terrorisme n’est pas une simple affaire de militaires et de policiers. C’est une très vaste entreprise intellectuelle.
[1] Sur la base du principe que nul ne peut se faire justice à soi-même.
[2] C’est la thèse adoptée par la diplomatie mondiale. Elle est, par exemple admise par la recommandation 1687 (2004), de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, entérinée par la suite par le Comité des ministres. Cette recommandation a été adoptée par l’Assemblée parlementaire, à la suite des travaux de la Commission permanente de la culture, de la science et de l’éducation (rapporteur M. Sudarenkov). Nous lisons dans cette recommandation :
“L’Assemblée est résolument opposée à toute tentative de qualifier de terroriste telle culture mondiale, nationale, régionale ou locale. En même temps, dans certaines conditions, n’importe quelle société est capable de secréter du terrorisme.
L’interprétation extrémiste de certains éléments d’une culture ou d’une religion particulière, tels le martyre héroïque, le sacrifice, l’apocalypse ou la guerre sainte, ainsi que les idéologies laïques (nationalistes et révolutionnaires) peuvent aussi être invoquées pour justifier des actes terroristes.”
[3] Coran, Sourate III, verset 169.
[4] Abdelwahab Meddeb, La maladie de l’islam, Seuil, 20002, 18.
[5] François Burgat, L’Islamisme à l(heure d’al-qaïda.La Découverte, 2005, p.199 et 200.
[6] Ibid.
[7] Nasr Hamed Abu zeïd,Critique du discours religieux, Sindbad-Actes-Sud, 1999,. Essais traduits de l’arabe par Mohamed Chairet.
[8] Op. cit, p. 63
(Source : « Mouwatinoun »N° 43, – organe du Forum Démocratique pour le Travail et les Libertés – daté le 2 janvier 2008)
LA POLITIQUE EUROPEENNE DE VOISINAGE TROIS ANS APRES
Ahmed Ounaïes – Tunis, 21 décembre 2007
Quel est l’apport de la Politique Européenne de Voisinage à notre région, et notamment à la Tunisie ? De mars 2003 à mai 2004, trois documents de la Commission Européenne ont développé la nouvelle initiative de Politique Européenne de Voisinage. Mais c’est M. Romano Prodi qui, le 31 mars 2003 à Tunis, avait le premier exposé pour nous l’esprit de cette initiative. Dans la foulée, entre décembre 2003 et juin 2004, le Conseil Européen adoptait deux autres documents essentiels : la Stratégie européenne de sécurité et le Partenariat stratégique avec la Méditerranée et le Moyen Orient. Ces engagements, coïncidant avec le grand élargissement, forment un tout. Le 9 décembre 2004, Mme Ferrero Waldner, Commissaire pour les Relations Extérieures et la Politique Européenne de Voisinage, présentait les 7 premiers Plans d’Action établis dans le cadre de la PEV, en consultation avec les pays voisins et partenaires, dont la Tunisie et le Maroc. Ce premier pas marque déjà un bon point : la diffusion publique des Plans d’Action, avec la mention des priorités retenues pour chaque pays, avait provoqué des remous chez certains gouvernements pour qui la méthode transgressait la sphère inter gouvernementale et ouvrait aux sociétés concernées, y compris chez nous en Tunisie, la possibilité de prendre connaissance des lignes d’action préconisées et de réaliser ainsi la consistance et la portée véritable de la nouvelle politique. Cette méthode a amélioré dans l’opinion publique la perception du Partenariat et favorisé ainsi l’objectif de l’appropriation. C’est un premier acquis.
Le 21 février 2005, les 7 Plans d’Action étaient approuvés par le Conseil Européen, tandis que les gouvernements des pays concernés les approuvaient tardivement, le Maroc et la Tunisie notamment en juillet 2005, les derniers parmi les sept. A la même date, l’accord d’Association avec l’Algérie n’était pas encore entré en vigueur ; ce sera en septembre 2005. Mais ce n’est pas pour cette raison que l’Algérie avait décliné la méthode des Plans d’Action et préféré s’en tenir à l’Accord d’Association.
L’intérêt de la PEV tient à son approche compréhensive ouvrant la voie, dans chaque pays, à une dynamique de mise à niveau cohérente et globale. L’impératif du développement économique est ainsi recadré dans un contexte évolutif incluant également la démocratie, l’Etat de droit et la société civile. La priorité accordée par les gouvernements des partenaires méditerranéens au seul développement économique ne saurait garantir un progrès véritable tant que prévaut le statu quo politique et tant que la société civile demeure fragile, fragmentée et étouffée. Les programmes MEDA réalisés jusque là n’avaient guère obéi à cette synergie. Les Plans d’Action sont élaborés sur la base de Rapports préalables établis pays par pays et qui font le point des progrès et des lacunes. Sur cette base, les Plans hissent de nouvelles priorités en dégageant les lignes d’action nécessaires dans chaque pays suivant son contexte spécifique. Les Rapports par pays étaient prêts, pour la majorité d’entre eux, en mai 2004 – y compris pour la Tunisie. C’est ainsi que les premiers Plans d’Action avaient pu être élaborés et présentés en décembre 2004.
La co-responsabilité dans l’élaboration du Plan d’Action ne va pas pour autant jusqu’à l’ingérence dans la décision ultime relative aux programmes d’exécution, qui incombe toujours au gouvernement concerné. Mais si, en passant du Plan d’Action à la programmation des projets, les décisions gouvernementales endossent les priorités définies, notre Partenaire européen en tiendra compte au moyen d’une large politique d’incitation et d’encouragement incluant, entre autres facteurs, le volume du financement. C’est là aussi un acquis décisif de la PEV.
Pour la Tunisie et le Maroc, sur les 79 points et 85 points des Plans d’Action respectifs couvrant la plus large gamme de secteurs, les quatre premières priorités sont :
Pour la Tunisie : 1- Consolider les institutions garantissant la démocratie et l’Etat de droit ;
2- Consolider l’indépendance et l’efficacité de la justice et améliorer les conditions pénitentiaires ; 3- Respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales conformément aux conventions internationales ; 4- Respect de la liberté d’association, d’expression et le pluralisme des médias en conformité avec le Pacte International relatif aux droits civils et politiques des Nations Unies. Pour le Maroc : 1- Consolider les instances administratives chargées de veiller au renforcement de la pratique démocratique et de l’Etat de droit ; 2- Augmenter les efforts pour faciliter l’accès à la justice ; 3- Coopération en matière de lutte contre la corruption ; 4- Assurer une protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales conformément aux normes internationales.
Rarement un partenaire extérieur a pu formuler avec cette netteté un tel faisceau de priorités relativement à nos deux pays. Rappelons que l’Algérie n’est pas épargnée sur le fond, elle a simplement refusé d’emblée de souscrire à un Plan d’Action. Pour nous, la force et la pertinence de ces priorités tiennent au fait qu’elles relayent les exigences longtemps formulées par la société civile dans nos pays. C’est un point fort de la Politique Européenne de Voisinage d’avoir fait écho à notre voix et d’avoir souligné dans un document formel et public le lien entre l’impératif du développement économique et l’exigence concomitante de la démocratie et de l’Etat de droit. Au-delà de cette percée, quels changements la PEV a-t-elle réalisé dans notre région à l’échéance de décembre 2007 ?
Pour sa part, le Maroc s’est distingué par des progrès en matière de droits de l’Homme et par une ouverture politique saluée par l’ensemble de la société civile. Il s’estime, de ce fait, habilité à demander un statut privilégié au sein du Partenariat Euro Méditerranéen.
En Tunisie, la création d’un Sous Comité des Droits de l’Homme et de la Démocratie dans le cadre Euro Tunisien est acceptée, et la première session du Sous-Comité a pu se tenir à Tunis le 12 novembre dernier, à temps avant la reprise du Comité d’Association qui a pu enfin se réunir à Bruxelles le 19 novembre. En revanche, au cours des trois dernières années, les institutions des droits de l’Homme étaient harcelées, assiégées, privées de contact avec les militants, privées de l’usage de leurs comptes et finalement réduites à l’immobilisme. Le 7 novembre 2007, le Comité contre la Torture, créé en vertu de l’Article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, adopte au cours de sa 39e session une Décision relative à une requête déposée le 2 mai 2005 par un citoyen tunisien militant des droits de l’Homme, co-fondateur en 2003 de l’Association Tunisienne de Lutte contre la Torture et âgé aujourd’hui de 73 ans. Au terme d’une procédure contradictoire où le plaignant et l’Etat tunisien, partie de la Convention, étaient représentés et avaient présenté leurs observations et déposé plusieurs Mémoires, le Comité confirme d’abord la ‘’recevabilité de la requête’’ puis il statue sur le fond en déclarant que les faits présentés par le requérant ‘’sont constitutifs de torture’’ et que la Tunisie ne s’est pas acquittée de ses obligations en vertu de 4 articles de la Convention (article 1, acte de torture constitué ; article 12, procéder immédiatement à une enquête impartiale ; article 13, assurer au requérant le droit de porter plainte devant les autorités compétentes ; article 14, le droit à réparation de la victime). La Décision retient donc (§ 17 de la Décision N° 269/2005) la ‘’violation des articles 1, 12, 13 et 14 de la Convention.’’ Le Rapport de base sur la Tunisie établi par la Commission Européenne et daté 12 mai 2004 mentionne expressément (§ 2.2) la Convention contre la torture. Le Sous Comité des Droits de l’Homme et de la Démocratie a-t-il donc, le 12 novembre dernier, versé une telle Décision dans son Agenda ?
D’autre part, la politique des médias n’a enregistré aucun progrès. L’opinion publique tunisienne était-elle informée de la session à Tunis même du Sous Comité des Droits de l’Homme et de la Démocratie ou des développements de la dernière plainte devant le Comité contre la Torture, qui s’est pourtant développée depuis le 2 mai 2005 jusqu’au 7 novembre 2007 ? Une plainte précédente, enregistrée devant le même Comité en 2001 et qui fut conclue le 14 novembre 2003 (Communication N° 187/2001), avait été passée sous silence alors que ces documents du Comité sont publics. Le Rapport de base sur la Tunisie du 12 mai 2004 relevait déjà le caractère restrictif de la législation relative aux libertés de presse et de publication et ajoutait « la censure est largement appliquée tant aux médias qu’aux journaux et périodiques étrangers. Cette situation, est-il précisé, est confirmée par les observateurs internationaux et des ONG spécialisées. » Aucun progrès à cet égard. Sur d’autres plans, nous enregistrons une redondance d’institutions et d’organes de presse – Radio, chaîne de télévision, magazines hebdomadaires en arabe et en français – mais qui ne se traduisent guère, au niveau de la société ni au niveau de l’homme tunisien, par la liberté d’expression ni par la jouissance des autres libertés rappelées dans les priorités du Plan d’Action.
Enfin, le processus de développement économique se poursuit et la politique de privatisation progresse. Les chiffres rendent compte, d’année en année, d’une participation accrue de nos partenaires européens traditionnels en matière d’échanges et d’investissements. Cependant, les pratiques de concurrence sont aliénées à un double niveau. D’une part, l’existence persistante d’un commerce parasite exonéré des taxes d’importation, que les tunisiens baptisent ‘’souk Moncef Bey’’, maintient une dualité du marché qui est loin d’illustrer ‘’dans la législation cadre en vigueur, le respect des principes de non discrimination, de transparence et d’équité des procédures’’ expressément mentionnés dans le Plan d’Action. D’autre part, nos partenaires européens savent mieux que les autres, parce qu’ils sont les plus ciblés, la pratique des partenaires parasites qui s’insèrent dans les projets d’investissement sous diverses pressions et qui, par leur sélection et leurs connexions, manifestent que le libéralisme de l’économie tunisienne est plombé par le clientélisme. De telles pratiques, si elles prévalaient dans les pays candidats à l’adhésion, les auraient d’emblée disqualifiés. Mais dans le cercle du voisinage méditerranéen, les européens s’en accommodent, y trouvent leur compte et y puisent des raisons d’accroître leur influence particulière. De ce fait, un problème de fond est posé.
Complaisance et accommodement prévalent également dans le champ méditerranéen. La Politique Européenne de Voisinage vise à ‘’renforcer la stabilité, la sécurité et le bien être pour tous et à prévenir l’émergence de nouvelles lignes de fracture.’’ Ainsi s’exprimait Mme Ferrero Waldner en décembre 2004. M. Prodi déclarait à Tunis « Nous voulons bâtir des relations véritablement spéciales avec nos voisins… Nous avons des objectifs partagés par tous, au Nord et au Sud de la Méditerranée, sur ce que nous voulons atteindre ensemble. La politique de voisinage, je dirais plus, soulignait-il, la philosophie du voisinage, doit nous permettre de mettre en œuvre ce projet commun. » Ainsi s’exprimait M. Prodi à Tunis en mars 2003. Nous avions donc des raisons d’espérer. Or, je dois ici mentionner quatre exemples où les choix politiques de nos partenaires européens au cours de cette période n’ont guère servi de tels objectifs, ni au titre du Voisinage ni au titre du Partenariat stratégique.
1- Nos partenaires européens se sont abstenus en bloc, au cours de l’année 2004, de plaider devant la Cour Internationale de Justice une quelconque position sur la légalité du mur de séparation qu’Israël édifie sur les territoires palestiniens occupés, y compris à l’intérieur et sur le pourtour de Jérusalem Est. Nous voyons mal pourquoi la tradition juridique européenne n’est pas mise au service de la paix dans son propre voisinage ;
2- Le 14 avril 2005, le Conseil d’Association UE / Israël se tient pour la première fois à Jérusalem en dérogation de la doctrine constante de l’UE qui, jusque là, avait soutenu sans faille la validité des résolutions du Conseil de Sécurité sur la question, notamment la résolution 478 qui interdit de considérer Jérusalem comme la capitale d’Israël. L’UE a-t-elle pris des garanties préalables avant d’assumer cette incroyable dérogation ? Israël ne s’est guère embarrassé de prendre Jérusalem pour base afin de torpiller le nouveau processus de paix inauguré à Annapolis les 27 et 28 novembre 2007 : le 4 décembre, sept jours après la Conférence de Paix, le gouvernement israélien lance un appel d’offres pour construire 300 logements en extension de la colonie édifiée à Jérusalem Est sur la colline d’Abou Ghouneim (rebaptisée Har Homa) ; et le 19 décembre, deux jours après la Conférence des Donateurs à Paris, Israël lance encore un plan de construction de 10.000 logements au sein même de Jérusalem Est. Quel avantage Javier Solana a-t-il tiré de l’exceptionnelle dérogation d’avril 2005 pour mettre en garde Israël dans ses discours à Annapolis et à Paris ? Son silence total sur la politique d’expansion des colonies et sur la question sensible de Jérusalem confine à l’aveuglement ; 3- Dès le déclenchement des bombardements israéliens contre le Liban le 12 juillet 2006, nos partenaires européens se sont prononcés en bloc contre un cessez-le-feu alors que l’armée libanaise ne disposait d’aucun moyen d’assurer la défense du pays, ayant été soumise à un embargo depuis plus de 20 ans. Que signifie ce choix politique sinon exposer ce partenaire à une destruction sauvage qui n’a pas manqué de se matérialiser sans trêve pendant plus d’un mois ? 4- Le 20 septembre 2007, l’Assemblée Générale de l’AIEA approuve une résolution parrainée par les pays arabes et qui fait de la région du Moyen Orient une zone exempte d’armes nucléaires. Nos partenaires européens se sont abstenus en bloc dans le vote de la résolution. Le choix des pays arabes répond pourtant à la doctrine même du Traité de Non Prolifération auquel nos partenaires européens, il y a 15 ans, pressaient tous les pays méditerranéens d’adhérer. Quand l’enjeu porte sur la Non Prolifération nucléaire, que signifie l’abstention ?
Ces exemples ne contribuent guère à améliorer la confiance ni à atténuer les tensions persistantes, sources d’instabilité et génératrices de violences de toutes natures. Ils témoignent que la Politique de Voisinage a certes des points forts, mais qu’elle recèle aussi des incohérences et des contradictions qui trahissent l’absence d’une stratégie. L’Union Européenne n’a pas formé un concept cohérent de son voisinage méditerranéen. Si le concept de l’Europe est formé et qu’il s’affirme, ce dont pour notre part nous nous félicitons en raison du nécessaire rééquilibre mondial, le concept de la Méditerranée, pour les européens, est encore confus, fragmenté et parasité par des calculs et par des principes inavouables qui expliquent les silences, les abstentions et les équivoques. C’est très justement une politique de voisinage, sans plus.
(Source : « Mouwatinoun »N° 43, – organe du Forum Démocratique pour le Travail et les Libertés – daté le 2 janvier 2008)