6 juillet 2006

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TUNISNEWS
7 ème année, N° 2236 du 06.07.2006

 archives : www.tunisnews.net


5 ans après, rien n’a changé: la lettre ouverte du juge Mokhtar Yahyaoui LTDH SectionS de Bizerte, Jendouba et Mateur: la volonté des militants de la LTDH  brise l’encerclement policier AFP: Les eurodéputés dénoncent la censure sur l’internet Al Quds Al Arabi:  La saisie des journaux en Tunisie Reuters: Frustrated Tunisian graduates find jobs elusive Aljazeera.net: Le crime de Mahmoudiya Oumma.net :« 700 000 terroristes sous les verrous» ou lorsque « information » rime avec « démission » Cahiers de la Méditerranée:Identité Tunisienne et représentation de l’Autre à l’époque coloniale Cahiers de la Méditerranée:Les sociétés musulmanes de bienfaisance dans la Tunisie des années 1930

 

5 ans après, rien n’a changé: la lettre ouverte du juge Mokhtar Yahyaoui

 

 

vendredi 6 juillet 2001 Lettre ouverte du juge Mokhtar Yahyaoui au Président de la République tunisienne

Monsieur le président de la République, président du Conseil Supérieur de la Magistrature,

 

Je vous adresse cette lettre pour vous faire part de ma condamnation et de mon refus de la situation catastrophique à laquelle est parvenue la justice tunisienne. Les choses en sont arrivées, en effet, au point que l’autorité judiciaire et les magistrats ont été dépossédés de leurs prérogatives constitutionnelles et qu’ils ne sont plus à même d’assumer leurs responsabilités au service de la justice en tant qu’institution républicaine indépendante. C’est pourtant cette indépendance qui peut permettre aux magistrats d’apporter leur contribution à la construction de l’avenir de leur patrie et à l’accomplissement effectif du rôle qui leur est dévolu dans la protection des Droits et des Libertés.

 

Les magistrats tunisiens sont frustrés et exaspérés, à tous les niveaux, par l’obligation qui leur est faite de rendre des verdicts qui leur sont dictés par l’autorité politique et qui ne sont susceptibles de faire l’objet d’aucune prise de distances ou de critique. Cela aboutit à des jugements qui, le plus souvent, ne reflètent que l’interprétation que le pouvoir exécutif veut bien donner de la loi.

 

Soumis à un harcèlement des plus contraignants, les magistrats tunisiens n’ont plus aucune marge pour tenter de mener leur mission de façon équitable. Traités de haut, dans des conditions de peur, de suspicion et de délation, ils sont confrontés à des moyens d’intimidation et de coercition qui entravent leur volonté et les empêchent d’exprimer leurs véritables convictions. Leur dignité est quotidiennement bafouée et leur image négative au sein de l’opinion publique se confond avec la crainte, l’arbitraire et l’injustice, au point que le seul fait d’appartenir à notre corporation est dégradant aux yeux des opprimés et des gens d’honneur. La justice tunisienne est soumise à l’implacable tutelle d’une catégorie d’opportunistes et de courtisans qui sont parvenus à constituer une véritable justice parallèle qui se situe hors de toutes les normes de la légalité et qui a accaparé le Conseil National de la Magistrature et la majorité des postes sensibles dans les différents tribunaux. Ignorant le sens même des notions d’impartialité et d’objectivité, leur action nuisible a abouti à substituer à l’idée d’indépendance celle de démission [les deux termes sont phonétiquement très proches en arabe : NDLT].

 

Cela a engendré un véritable sentiment d’écœurement chez les véritables magistrats impartiaux. Empêchés de jouer le rôle auquel ils aspirent, ceux-ci ne peuvent assumer leurs responsabilités, ni mettre leurs compétences au service d’une justice sereine et de l’intérêt de leur patrie.

 

Cette catégorie de magistrats aux ordres fait commerce de son allégeance pour imposer l’esprit de dépendance et de soumission contrecarrant toute idée de changement et d’adaptation créatrice et s’identifiant avec zèle au régime politique en place. Leur objectif est de systématiser la confusion entre le régime et l’Etat en accaparant toutes les institutions. Ce comportement, qui favorise la discorde et la confrontation, constitue, en réalité, le véritable danger pour l’ordre, la sécurité et la stabilité.

 

Notre pratique quotidienne nous a permis d’apprécier la véritable réalité vécue par les magistrats et cela nous incite à passer outre l’obligation de réserve à laquelle nous nous étions tenus. Dans une situation de verrouillage de toutes les possibilités d’un dialogue un tant soit peu serein et équilibré, le silence ne peut plus être de mise et le cri de nos consciences s’impose comme une nécessité à laquelle j’ai décidé de ne pas me dérober, même si nos prisons devaient, paradoxalement, devenir l’endroit le plus propice pour retrouver la dignité, la liberté et la tranquillité de la conscience.

 

Monsieur le président, vos responsabilités constitutionnelles vous font obligation de prendre les décisions que nécessite la levée de toute tutelle sur la justice et sur toutes les institutions de l’Etat, de façon à permettre, à tous les citoyens, l’exercice effectif de toutes les libertés garanties par la Constitution. C’est à cette condition qu’il sera possible de réaliser le véritable changement auquel aspire notre peuple et que nous dicte l’intérêt de notre patrie.

 

Avec l’_expression de mes salutations.

 

Mokhtar Yahiaoui

Président de Chambre au Tribunal de Première Instance – Palais de Justice – Tunis

 

URL: http://www.reveiltunisien.org/article.php3?id_article=13

 


 

Ligue Tunisienne pour la Défense des Droits de l’Homme

Section de Bizerte         Section de Jendouba               Section de Mateur

Bizerte le 04-07-2006

LA VOLONTE DES MILITANTS DE LA LTDH  BRISE L’ENCERCLEMENT POLICIER

 

Les sections de Bizerte, Jendouba et de Mateur de la LTDH portent a la connaissance de l’opinion publique qu’elles ont tenu une réunion publique au siège de la section de Bizerte et ce en dépit de la mesure d’interdiction de toutes activités qui frappe arbitrairement toutes les sections de la ligue dotées de locaux En outre ,les trois sections organisatrices de la réunion ont reçu la visite de CHLOEE PONCHELET responsable adjointe des programmes au fond pour les droits humains mondiaux,une ONG présidé par Mme MARY ROBINSON ex-haut commissaire de l’ONU pour les droits de l’homme et qui a tisse des liens de coopération étroits avec le tissu associatif tunisien ayant eu vent de la réunion, une force imposante de la police politique menée par dénomme TAIB GNAOUI, chef du secteur de la police de Bizerte a tente de barrer l’accès au local a maître HEDI  MANAI vice président de la section Jendouba et a Mme PONCHELET cette situation a donne lieu a un accrochage physique et verbal au cours duquel maître MANAI a été légèrement moleste mais qui a pu néanmoins accéder au local  Les militants de la section ont réussi par la suite a ouvrir une brèche dans la haie policière qui bloquait l’entrée du local et par laquelle ils ont parvenus a tirer leurs hote CHLOEE PONCHELET vers l’intérieur du local Cette scène mouvementée a cause a M ALI BEN SALEM président de la section de Bizerte un malaise cardiaque pour lequel il a été transfère d’urgence a l’hôpital régional de Bizerte

Au cours de la réunion qui s’est tenue en présence de AHMED GALAI et ANOUAR KOUSSRI ,membres du comite directeur de la LTDH ,l’assistance a passe en revue l’état alarmant des droits de l’homme qui prévaut en Tunisie Ils ont note la recrudescence des arrestations qui touchent particulièrement le milieu étudiant, la mise au secret des interpellés pendant plusieurs semaines sans informer les familles  Ils ont également réitéré leurs détermination a faire face aux complots qui se trament contre la LTDH et qui visent a la mettre au pas

CHLOEE PONCHELET a exprime quant a elle, la solidarité du fond pour les droits humains mondiaux avec la LTDH dans ses luttes pour la défense et la promotion des droits de l’homme, précisant que la coopération entre son organisation et la ligue a été entravée par le pouvoir tunisien A la fin elle a tenu a saluer les militants présent pour le courage dont ils ont fait preuve et leurs volonté a poursuivre le combat pour le triomphe et la consécration des droits de l’homme∙

 

ALI BEN SALEM                                HEDI MANAI                                   MOHAMED SALAH NAHDI

Président de la section                           vice président de la section                président de la section

De Bizerte                                               de Jendouba                                      de Mateur

 

 

 


Les eurodéputés dénoncent la censure sur l’internet

 

AFP, jeudi 6 juillet 2006

 

STRASBOURG (Parlement européen) – Le Parlement européen a dénoncé jeudi les entreprises qui collaborent au système de censure organisée sur l’internet dans certains pays comme la Chine ou la Tunisie.

 

Dans une résolution, les eurodéputés épinglent les pays (Arabie Saoudite, Bélarus, Chine, Corée du Nord, Cuba, Iran, Libye, Maldives, Birmanie, Népal, Ouzbekistan, Syrie, Tunisie, Turkménistan, Vietnam) qui peuvent être « considérés comme des ennemis de la liberté d’_expression en ligne« .

 

Ils constatent que « des entreprises comme Yahoo, Google ou Microsoft sont d’accord pour censurer leurs services en suivant des instructions données par le gouvernement chinois et que d’autres entreprises, comme Secure Computing et Fortinet, fournissent aux gouvernements de Tunisie et de Birmanie les moyens de censurer l’internet« .

 

Les eurodéputés soulignent que « Cisco Systems a fourni à la police de ces pays des équipements permettant de surveiller les internautes et que Yahoo collabore depuis plusieurs années avec le système judiciaire chinois« .

 

Ils relèvent que le réseau cubain, « lourdement censuré », est opéré par l’entreprise Telecom Italia et que la filiale de France Télécom, Wanadoo, a récemment annoncé le lancement d’un service conjoint avec l’opérateur tunisien Planet Tunisie, « alors que le gouvernement tunisien a décidé de rendre inaccessibles tous les sites de l’opposition dans le pays« .

 

Le Parlement européen demande aux Etats membres de l’UE et à la Commission européenne de s’engager, dans un code de conduite, à ne « pas participer à des activités répressives » sur l’internet et de faire dépendre les programmes d’aide de l’UE sur le développement des technologies de l’information à un accès sans entrave à l’internet.


La saisie des journaux en Tunisie

 
Opinion d’Al Quds Al Arabi   Les pressions exercées par les autorités tunisiennes sur la liberté d’expression dans le pays sont connues. Une de ses principales conséquences a été le recul du niveau professionnel de la plupart des médias tunisiens écrits et audio. L’arrestation de journalistes, la saisie des journaux et la censure lourde sur les sites web sont des pratiques courantes et largement décrites dans les rapports des organisations des droits de l’Homme et des associations de défense des journalistes. Mais on dirait bien que le gouvernement tunisien n’accorde aucune importance à ce qui ce dit et à ce qui s’écrit à ce sujet.   À cause de la multiplication des saisies et des brimades, plusieurs titres de la presse arabe et mondiale ont disparu du marché tunisien. Ces médias ne pouvaient plus supporter les pertes morales et matérielles qu’ils subissaient. N’importe quelle brève évoquant une information qui déplaît au gouvernement – ou à un de ses appareils – est susceptible de causer la saisie du journal, même si l’information provient de Tunis et qu’elle a été envoyée par une agence (de presse) respectable et accréditée.   Ce journal a connu plusieurs vexations et saisies directes et indirectes qui nous ont causé plusieurs pertes. Nous avons essayé de faire parvenir nos plaintes aux responsables en usant de toutes les façons amicales, car nous tenons à notre lien avec le public et les intellectuels tunisiens. Nos efforts ont rencontré de belles promesses, mais la situation redevenait la même dès qu’on quittait le pays. La censure tunisienne utilise des méthodes incompréhensibles pour gêner le journal et l’empêcher d’arriver aux lecteurs. Parfois, il arrive que la distribution soit retardée pendant plusieurs jours. Et cela sans parler des saisies fort nombreuses et documentées.   Nous savons bien que le gouvernement tunisien a accompli plusieurs réalisations dans le domaine du développement économique, de la création d’emplois et dans l’amélioration du niveau de vie des Tunisiens. Mais quelle est la valeur de ces acquis si ce même pouvoir brime les libertés, déclare la guerre aux médias, attaque les journalistes et prive le pays de plumes et de journaux amis ?   Dans ce journal, nous avons été extrêmement patients avec les saisies et les agaceries que la censure tunisienne nous impose. Mais notre patience a des limites et nous étudions sérieusement l’éventualité de faire comme de nombreux journaux arabes et internationaux  qui ont déserté le marché tunisien. Nous sommes vraiment désolés de devoir exprimer nos souffrances de façon publique, car nous aimons la Tunisie et son peuple qui a accueilli à bras ouverts les résistants de l’OLP ainsi que des milliers de Palestiniens lors de leur exil forcé du Liban. Une position qui restera toujours un motif de fierté et de reconnaissance.   Mais il n’y a plus d’alternative. Nous, qui n’avons jamais été complaisants envers aucun gouvernement arabe, sommes fatiguées de parler poliment devant des portes closes. Notre voix s’est enrouée et nous en avons marre.   Traduit par : Taïeb Moalla, tmoalla@yahoo.com Al Quds Al Arabi, 5 juillet 2006, traduction de l’arabe
 
 


Frustrated Tunisian graduates find jobs elusive

 
REUTERS, le 6 juillet 2006 à 03h06 By Sonia Ounissi   TUNIS, July 6 (Reuters) – Browsing job ads at an employment agency, Karim Ben Mansour sees nothing that would use the skills he gained with his finance degree. « I’m really upset. This situation worries me. The future is scary, » sighed the Tunisian, one of several graduates glumly scanning notices for menial work. « Time is running out fast and I’m still stuck. I’ve knocked at every possible door to get a job but to no avail. »
It’s a story repeated throughout North Africa and the developing world. Graduates who make huge sacrifices to complete a costly education find there is no work for the skills they acquire — and sometimes no work at all. Many scrape a living from menial employment, either at home or as migrants in the rich world.
The International Organization for Migration estimates that 20,000 skilled professionals — doctors, nurses, engineers, accountants, managers and teachers — leave Africa each year, depriving the continent of expertise and talent. Remittances recorded in official figures have doubled in the past decade, reaching $232 billion in 2005, of which $167 billion went to developing countries, the World Bank says. African migrants often find their skills go unused in destination countries, because of differing education systems and licensing rules.   NOT PROMISING

In London, Rawdha Ferjani, a 27-year-old Tunisian with a degree in English literature, works as a sales assistant in a shop, and before that washed dishes in a restaurant. « The work isn’t promising, » she said. « But I earn money which wouldn’t be available in my country, where job opportunities are scarcer by the day. In time, I’m sure I’ll find a better job. »
Tunisia has worked hard to give its people jobs. Once reliant on agriculture, the country has outperformed its neighbours by developing textiles, car assembly and food processing and attracting millions of tourists to its beaches. It is also developing offshore industries such as call centres serving the French-speaking world. Investors like its political stability, its low overheads and the growing army of well-educated young people desperate for employment. It expects its economy to expand by 5.7 percent this year compared with an average of 5 percent in the previous 10 years. Observers say the Mediterranean country of 10 million people is struggling to attract foreign investment in services and information technology quickly enough to achieve the economic growth needed to satisfy demand for jobs. Graduates make up a large slice of the 80,000 young people who come on to the job market each year. « We study today to be jobless tomorrow, » said Karim, one of 40,700 graduate job seekers, up from just 6,300 a decade ago.   ENGINE OF GROWTH
The authorities say the economy needs more people with skills in information technology, widely considered to be the engine of future growth. According to official 2005 data, only 10 percent of students take IT courses, while IT graduates represent about half of all job seekers. Mohamed Elferioui, a university analyst, said: « If the government can’t absorb all the job demands, it has to reform the education system to create new skills able to satisfy the requirements of new markets, » he added. The official unemployment rate is 13.9 percent, and the authorities have said faster economic growth will help that fall to 10.3 percent by 2016.
Fekri is an example of the mismatch between demand and supply in the job market. He has tried for eight years to fulfil his dream of being a history teacher, without success. « I got my diploma in 1998 but didn’t find a job appropriate for my background, » said the 35-year-old, who wants to marry and buy a car and house. « I’m obliged to do any job just to earn pocket money. It’s a shame to get money from my parents », he said.
Help for people like Fekri may be on the way. Tunisia is aiming for annual economic growth of 6.3 percent over the next decade which is « absolutely essential to reduce the unemployment rate », says Prime Minister Mohamed Ghannouchi. The North African country wants to create 100,000 jobs a year from 2007 to 2016, in part by expanding the role of the private sector to spur growth. The government also plans to spend 70.5 million dinars ($53 million) this year on job training for graduates. However, critics fear the project could promote inappropriate career paths, for example encouraging law graduates to become farmers. Elferioui said that if the problem persisted, then working overseas was at least one way of alleviating the jobless burden. « If there isn’t enough oxygen for everyone in the same room, they have to open other windows to stay alive, » he said.

Le crime de Mahmoudiya Des soldats usaméricains ont planifié durant une semaine le viol d¹une jeune

fille iraquienne de 16 ans, Abir Al Janabi, son assassinat et celui de sa famille

 
Traduit de l¹arabe par Ahmed Manaï, membre de Tlaxcala, le réseau de traducteurs pour la diversité linguistique (www.tlaxcala.es). Cette traduction est en Copyleft : elle est libre de reproduction, à condition d¹en respecter l¹intégrité et d¹en citer les sources et les auteurs. Trois mois après les faits, un nouveau crime perpétré par des soldats usaméricains en Iraq a été révélé au grand jour. Des soldats ont violé une jeune fille iraquienne avant de l¹assassiner avec trois membres de sa famille, dont un enfant, dans une zone située à 9 Km au nord de Mahmoudiya (sud de Bagdad). Les premières investigations de l¹armée usaméricaine ont révélé la barbarie du crime, perpétré au mois de mars dernier, avec préméditation, puisque préparé durant une semaine, ce qui expose les auteurs à la peine de mort, selon un officier usaméricain. L¹agence Associated Press a indiqué le samedi 1er juillet 2006, sur la foi des déclarations d¹un responsable usaméricain proche de l¹enquête « que les soldats s¹étaient introduits dans la maison d¹une famille arabe sunnite, avaient séparé la femme de trois membres masculins de la famille, l¹ont violée puis brûlée vive à l¹aide d¹un liquide inflammable en vue de camoufler le crime, puis tué les autres membres de la famille ». Le responsable, qui a réclamé l¹anonymat, a indiqué aussi que les soldats ont étudié les victimes durant une semaine et qu¹ils avaient prémédité leur forfait ». Un autre haut responsable militaire usaméricain, qui lui aussi a réclamé l¹anonymat, a révélé que l¹une des victimes était un enfant et que l¹affaire a été éventée au cours d¹une séance de discussion de routine, indiquant qu¹un soldat avait reconnu son rôle dans les faits et qu¹il a été appréhendé. Un crime d¹opportunité

Le même responsable reconnaît que le crime semble être le fruit d¹une « certaine opportunité », puisque les soldats impliqués n¹ont pas subi l¹attaque d¹éléments armés, mais avaient tout simplement remarqué la femme, qu¹ils ont ensuite violé et assassiné, au cours de leurs précédentes patrouilles. Un soldat non impliqué dans l¹affaire a apporté son témoignage : il avait aperçu ses compagnons lors de la préparation de leur forfait, puis une fois celui-ci commis, remarqué leurs habits ensanglantés. Des responsables usaméricains ont reconnu qu¹ils étaient au courant des assassinats des membres de la famille, mais croyaient que c¹était le fait des violences interconfessionnelles. Les premières soupçons se sont orientés vers deux soldats de la 502ème Division d¹Infanterie, aperçus le 12 mars avec du sang sur leur tenue après le crime, attribué à l¹époque à des hommes armés de la région. Mais un officier de police de Mahmoudiya, le capitaine Ihsane Abderrahmane, a indiqué qu¹il avait reçu le lendemain du crime, le 13 mars, un rapport accusant les soldats usaméricains de l¹assassinat de la famille iraquienne dans la zone de Khassir Abiad, proche de Mahmoudiya. Le porte-parole des forces usaméricaines a déclaré pour sa part dans un bref communiqué diffusé le vendredi 30 juin, que le général James Thorman, le plus haut gradé militaire usaméricain dans la région de Bagdad, a demandé à la direction des enquêtes criminelles de l¹armée d¹entreprendre une enquête systématique, un jour après les révélations faites par deux soldats. La peine capitale
À propos de la peine encourue par les auteurs des faits, au cas où ils seraient confondus, l¹agence AP dit que les soldats risquent la peine de mort selon le code pénal militaire usaméricain. Les responsables militaires usaméricains déclarent que les 4 soldats impliqués dans cette affaire ont été désarmés et mis aux arrêts dans une base militaire proche de Mahmoudiya L¹armée usaméricaine a déclaré que les soldats impliqués dans ce crime, appartiennent à la 502ème Division d¹Infanterie à laquelle appartenaient les deux soldats faits prisonniers (par la Résistance, NDT) et dont les corps avaient été retrouvés le 19 juin, trois jours après leur capture. Les deux corps portaient les traces de supplices et l¹un d¹eux avait la tête coupée. Il semblerait, selon les militaires usaméricains, que cette situation avait fait naître un sentiment de culpabilité chez l¹un des soldats de cette division, ce qui l¹a poussé à révéler ce crime le 22 juin dernier. Cette affaire est la plus grave que connaissent les soldats usaméricains après celle qui a conduit 14 d¹entre eux, la semaine dernière, à être accusés de meurtres de civils iraquiens. De nombreuses autres affaires du même genre font l¹objet d¹enquêtes, tels que le meurtre de 24 civils à Haditha le 19 novembre 2005, en représailles à la mort d¹un soldat dans l¹explosion d¹un engin, le meurtre avec préméditation de trois détenus dans la province de Salaheddine, l¹assassinat d¹un soldat iraquien au cours de son interrogatoire à Al KaïmŠ Sur le plan politique, la députée iraquienne Safia Chebli, apparentée au groupe de Iyad Allaoui, a réclamé le 4 juin le questionnement du premier ministre Anouar Malki sur l¹affaire du viol de la jeune Abir, ainsi qu¹une enquête iraquienne indépendante. Le ministre de la justice quant à lui, a demandé l¹intervention du Conseil de sécurité pour lever l¹immunité des troupes usaméricaines, estimant que c¹est l¹impunité dont profitent leurs soldats face à la justice iraquienne qui les encourage à commettre de tels crimes. En voyage au Koweit, le Premier ministre a déclaré pour sa part qu¹il allait engager une enquête indépendante sur cette affaire. Le témoignage accablant d¹un voisin de la famille martyre

Le viol de nobles femmes iraquiennes par la soldatesque usaméricaine, est devenu monnaie courante dans la prison de Abou Ghraïb mais aussi dans la grande prison qu¹est devenu aujourd¹hui l¹Iraq. Le crime que nous relatons ici a dépassé par son horreur, son ignominie et sa barbarie tout ce qu¹on peut imaginer en la matière. Le correspondant de Mafkarat Al Islam dans la région de Mahmoudiya, ville sunnite au sud de Bagdad, a rapporté qu¹une force usaméricaine, composée de 10 à 15 soldats, a pénétré dans la maison de Kacem Hamza Rachid Al Janabi. Ce dernier est né en 1970, travaille comme gardien au dépôt de pommes de terre appartenant à l¹État et y réside avec son épouse et ses quatre enfants : les deux filles, Abir (la brise), née en 1991, et Hédil, née en 1999 et les deux garçons : Mohamed (1998) et Ahmed (1996). Les soldats usaméricains commencèrent par arrêter le mari Kacem, son épouse, Fakhria Taha Mohsen et leurs deux filles Abir et Hédil, les deux garçons étant encore à l¹école. Il était 14 heures. Ils conduisirent les parents et la petite Hédil dans une même pièce et les exécutèrent à bout portant. Le père a reçu 4 balles dans la tête, la mère 5 balles dans le ventre et le bas-ventre et Hédil a été atteinte à la tête et à l¹épaule. Puis ils conduisent Abir dans la pièce voisine, la déshabillent dans un coin et la violent à 10, à tour de rôle. Dès qu¹ils accomplissent leur forfait, ils la frappent avec un objet tranchant sur la tête, selon le rapport d¹autopsie, puis mettent un coussin sur son visage pour l¹étouffer et y mettent le feu. Le voisin de la famille martyre ajoute : « Une heure après les coups de feu, j¹ai aperçu de la fumée qui s¹échappait de la maison et j¹ai vu les soldats partir précipitamment pour encercler la zone avec des éléments de la Garde nationale fantoche. Ils nous informent que des terroristes d¹Al Qaïda se sont introduits dans la maison et ont tué toute la famille. Ils nous empêchent de pénétrer dans la maison. J¹ai informé l¹un des gardes que j¹étais un voisin et qu¹il me fallait voir les membres de la famille pour informer El Hadj Aboul Kacem le patriarche, du sort de son fils et de sa famille. C¹est ainsi que l¹on me laissa pénétrer à la maison. En rentrant, j¹ai trouvé le père, sa femme et leur fille Hédil, sans vie, baignant dans leur sang, sans aucune réaction quand j¹ai touché les corps. Le sang continuait à couler et sortait de la pièce. Puis je suis rentré dans la deuxième pièce où se trouvait Abir. Le feu continuait à se dégager de ses cheveux, de sa bouche et de sa poitrine. Elle était dans un état indescriptible : ses habits étaient retroussés vers le haut et son soutien-gorge déchiré. Le sang continuait à couler d¹entre ses jambes bien qu¹elle fût morte depuis plus d¹un quart d¹heure et malgré le feu dans la pièce. J¹ai compris qu¹ils l¹avaient violée : elle était couchée sur le visage, son arrière-train soulevé, les pieds et les mains liés. Je n¹ai pu me retenir et j¹ai pleuré. J¹ai vite éteint le feu qui avait consumé une partie de sa tête, son visage, ses seins et ses cheveux et je l¹ai couverte d¹un bout de drap. J¹ai réfléchi un peu à la situation et je me suis dit que si je parlais et protestais, ils allaient m¹arrêter. J¹ai donc gardé le silence et je suis sorti de la maison sans rien dire pour pouvoir témoigner en temps utile. Au bout de trois heures les soldats d¹occupation ont encerclé la maison et ont répandu la rumeur que la famille avait été assassinée par des terroristes parce qu¹elle était chiite. Personne n¹a évidemment cru à ce bobard parce que tout le monde se connaît et que la famille était bien connue de tous comme une famille des meilleurs sunnites. Face à cette situation, les forces d¹occupation ont procédé juste après la prière du Maghreb au transfert des quatre corps des victimes à la base militaire usaméricaine, puis le lendemain à l¹hôpital de Mahmoudiya, en donnant à son administration leur première version des faits. Le même jour, en compagnie des proches de la famille, nous avons pris les corps des suppliciés à l¹hôpital et avions procédé à leur inhumation par la grâce d¹Allah. »  
Briser le silence
Le témoin ajoute : « Nous avons décidé de ne pas nous taire et avons demandé aux moujahidine de la région de réagir en urgence. C¹est ainsi qu¹ils ont monté une trentaine d¹opérations contre les forces d¹occupation en deux jours, faisant plus de quarante morts parmi les soldats usaméricains. Mais cela ne suffisait pas à nous calmer et nous nous sommes adressés aux médias, en commençant par la chaîne Al Arabiya, qui est puissante en Iraq. Personne ne nous a cru, estimant qu¹ils tiraient leurs informations des communiqués officiels usaméricains et ne pouvaient s¹engager dans une affaire qui les dépasse. C¹est le correspondant officiel de Al Arabiya en Iraq, Ahmed Assalah en personne qui nous l¹a dit. Nous nous sommes adressés à des journaux de Bagdad qui nous ont éconduits, parce que nous étions sunnites comme les victimes innocentes de ce drame. Les combattants nous ont conseillé la patience en nous promettant que le sang et l¹honneur de Abir et de sa famille seraient vengés comme ils le méritaient. »  
Craintes fondées
Le voisin continue son récit : « Le 9 mars 2006, la mère d¹Abir est venue me demander si je pouvais héberger sa fille avec les miennes parce qu¹elle craignait pour elle. Cela ne m¹a pas étonné et j¹ai évidemment accepté. Les soldats de l¹occupation, disait-elle, lui jetaient des mauvais regards quand elle sortait pour conduire les vaches au pré et qu¹elle passait par un contrôle usaméricain situé à 15 mètres de la maison paternelle. Mais dans mon for intérieur, j¹ai pensé que les craintes de la mère étaient mal fondées, la fille étant chétive et avait à peine 16 ans. Je n¹ai jamais pensé que les criminels exécuteraient leur crime en pleine journée. ». Le témoin ajoute : « Les forces d¹occupation sont venues vendredi dernier – un jour avant que le correspondant de Mafkarat Al Islam se rende sur les lieux du crime – et ont ordonné aux habitants d¹exhumer le corps d¹Abir pour des analyses. Ils m¹ont demandé aussi de rester à leur disposition en tant que témoin, ce que je ferai et je suis prêt à aller n¹importe où pour faire éclater la vérité. Rappelons que Mafkarat Al Islam a été la première agence d¹information à révéler ce nouveau crime des forces d¹occupation. http://www.aljazeera.net/NR/exeres/BB37E442-B9AC-46D5-95A1-96558E97E2D5.htm/ http://www.islamonline.net/Arabic/news/2006-07/01/09.shtml/

« 700 000 TERRORISTES SOUS LES VERROUS » ou lorsque « information » rime avec « démission »

 
par François Burgat Le bureau du premier ministre (Dominique de Villepin ?) canonné depuis un hélicoptère. Le ministre de l’intérieur, (Nicolas Sarkozy ?) jeté dans un fourgon cellulaire comme un vulgaire malfrat, un sac poubelle sur la tête ? Trente députés (UMP ? Socialistes ?), élus municipaux et autres ministres tout aussi promptement menottés et cagoulés sans autre forme de procès ?   En pleine canicule, soixante dix pour cent des habitants (de la France ?) privés d’électricité, et donc non seulement de lumière ou de réfrigération mais également d’eau ? Les ponts bombardés et le pays coupé en petits morceaux ? Les chasseurs qui passent régulièrement le mur du son pour briser les vitres et terrifier petits et grands ? Les observateurs étrangers et les ONG tenus à l’écart ? Le pays exsangue (salaires puis alimentation en vivres coupés) transformé en un terrifiant ghetto ?   Ouf, ce n’est pas chez nous ! Non ce n’est pas la France que son voisin surpuissant (qui, bien plus que la paix, veut, encore et encore, des hectares de terre) est en train de martyriser pour se venger d’avoir perdu son monopole absolu de faire des prisonniers.   Ce n’est pas en France que l’on recherche un « jeune » soldat de l’armée qui canonne sans trêve (7000 obus en quelques semaines) depuis ses frontières maritimes et terrestres, le territoire qu’elle a eu « le courage », comme on dit sur France Culture, de quitter, il y a quelques mois, au milieu des larmes de ses frères les colons.   Ouf, nous pourrons suivre en paix France Portugal !   Les rédacteurs en chef de la presse écrite et audio visuelle du pays « des Lumières » et « des Droits de l’homme » – moins lucides encore qu’une partie au moins de la presse israélienne – pourront continuer à nourrir notre passion pour une équipe (« black beur blanc », la preuve qu’on les aime quand ils marquent des buts !) et en même temps, notre soumission pitoyable à la sinistre loi du plus fort. De titre euphémisant « Hamas Israel : l’épreuve de force ? » « Israel fait montre de fermeté ») en silence même pas honteux, le crime que commettent quotidiennement les media de l’hexagone contre la déontologie de l’information de guerre couvre le crime contre l’humanité qui se profile en Palestine. Dormons Français ! La police de nos amis est « ferme » : à Gaza, 700 000 habitants- terroristes sont désormais sous les verrous.   (*) Politologue, (auteur de L’Islamisme à l’heure d’Al-Qaïda, La Découverte, 2005) Auteur de : L’Islamisme à l’heure d’Al-Qaida (cliquez ici pour vous procurer ce livre sur Amazon), La Découverte 2005   (Source : le site www.oumma.net , le mardi 4 juillet 2006)

Identité Tunisienne et représentation de l’Autre à l’époque coloniale

 
Abdesslem Ben Hamida – Université de Tunis I   Résumé Au lendemain de la Première Guerre Mondiale débute en Tunisie un processus d’identification amorcé avec l’époque coloniale. Deux variantes de la représentation de l’Autre se dégagent dans deux ouvrages représentatifs de deux sensibilités du nationalisme tunisien. Le processus d’identification est étudié à travers trois facettes de l’identité : un retour au passé, une altérité de déférence puis de combat, une projection dans l’avenir de la Tunisie.     Table des matières I – UN CONTEXTE PROPICE A UNE RESTRUCTURATION IDENTITAIRE : 1920-1927 II – LE RETOUR AU PASSE SUR SOI III – Représentation de l’Autre et de soi à l’époque coloniale  IV – LA PROJECTION VERS L’AVENIR   Cette communication se propose de suivre les débuts d’un processus d’identification amorcé avec l’époque coloniale et, plus précisément au lendemain de la Première guerre mondiale en Tunisie, pour tenter de dégager deux variantes de la représentation de l’Autre à travers deux ouvrages représentatifs de deux sensibilités du nationalisme tunisien, que nous allons retrouver durant toute la période coloniale.   Il s’agit d’abord du manifeste du premier parti de type moderne du pays à savoir le Parti Libéral Constitutionnel ou Destour publié à Paris en 1920 sous le titre de « La Tunisie martyre : ses revendications »1  aux Editions Jouve; puis du livre de Tahar Haddad qui relate les péripéties de la première expérience syndicale tunisienne de 1924-1925 à savoir la Confédération Générale Tunisienne du Travail (C.G.T.T.) à laquelle il a participé. Ce livre est paru à Tunis en arabe en 1927 et il est intitulé « Les travailleurs tunisiens et l’émergence du mouvement syndical »2 .   Pour étudier le processus d’identification, nous avons distingué trois aspects qui nous semblent correspondre à trois facettes de l’identité, intimement liés à savoir : un retour au passé, sur soi ; puis l’identité instaure une altérité ; ce qui suppose l’élaboration d’une stratégie de défense, mais aussi de combat. Quant au troisième aspect il est déterminé par les deux précédents, puisque l’identité est aussi une projection vers l’avenir, qui transparaît à partir de la lecture du passé qui la sous-tend, ainsi qu’à travers les solidarités dont elle se réclame.   C’est pourquoi nous avons opté pour un plan en quatre parties. La première nous permettra de présenter le contexte dans lequel s’insèrent ces deux ouvrages. Les trois autres parties seront consacrées à la représentation qu’on s’y fait de soi et de l’Autre au passé, puis à l’époque coloniale, et enfin des projections vers l’avenir que ces ouvrages comportent.       I – UN CONTEXTE PROPICE A UNE RESTRUCTURATION IDENTITAIRE : 1920-1927     Au lendemain de la Première guerre mondiale, le contexte aussi bien sur le plan national qu’international est largement favorable à une restructuration sur le plan identitaire. En effet, l’appartenance à la communauté musulmane, « la Umma », qui a prévalu jusque-là, passe par une grave crise. La chute de l’empire ottoman, l’arrivée au pouvoir en Turquie de Mustapha Kemal Ataturk et l’abolition du califat entraînent la disparition de cadres et de symboles de cette communauté, à laquelle les habitants du pays se référaient. Le processus historique de l’unification nationale, qui se renforce depuis, amène à mettre au premier plan des références, l’opposition commune à la colonisation française et la communauté d’intérêts qui en résulte.   Quant à la crise que traverse le Moyen-Orient arabe, qui passe sous domination anglo-française au lendemain de la Première guerre, elle limite l’attrait du nationalisme arabe ou tout au moins des attentes de soutien à recueillir de la solidarité arabe, qui n’est pas pour autant niée. La restructuration identitaire se fait en fonction d’une « nation », dans le sens moderne, en partie du fait du renforcement de l’influence européenne, comme c’est le cas en Egypte où, le parti « Wafd » né en 1919 semble vouloir en être l’incarnation.   En Tunisie, le mouvement « évolutionniste » né au début du XXème siècle, victime de la répression en 1911-1912, se transforme à la faveur de la guerre pour donner lieu au premier parti de type moderne à savoir le Parti Libéral Constitutionnel plus connu sous l’appellation de Destour (mot arabe qui signifie constitution). Le principal animateur de ce parti est Abdelaziz Thaalbi et il se rend à Paris en 1919 où il publie en 1920 avec l’aide d’un docteur en droit tunisien Ahmed Saqqa un manifeste sous le titre de « La Tunisie martyre : ses revendications », dans lequel on a souvent vu l’expression d’une volonté collective d’existence. Les revendications sont exprimées au nom de la collectivité tunisienne tout entière, qu’on présente comme étant victime de la colonisation française.   Quant aux salariés tunisiens, dont le nombre est alors encore très limité, ils sont peu concernés par l’apparition de ce premier parti dont la base est constituée essentiellement de notables issus des catégories sociales relativement aisées et originaires pour la plupart d’entre eux du Nord de la Tunisie.   Le noyau de prolétariat naissant est parcouru de clivages d’autant plus nombreux que ses composantes appartiennent à des communautés variées sur le plan ethnique et que le poids des solidarités d’origine se fait ressentir. Certes, l’insertion de la solidarité syndicale qui a précédé la guerre mondiale a permis de diffuser des valeurs et des convictions internationalistes, il n’en reste pas moins que, dans cette société coloniale les clivages sociaux reproduisent trop souvent les différences nationales ou ethniques. Ce qui ne permet pas de contrecarrer l’extension du nationalisme naissant.   En haut de la hiérarchie on trouve les salariés français, dont le nombre est restreint puisqu’ils sont minoritaires même au sein de la colonie européenne. Ils monopolisent les postes importants surtout dans la fonction publique, qui est fermée aux autres Européens et où ils viennent d’obtenir en 1919 un supplément de salaire, « le tiers colonial”.  Ils constituent dans les différentes entreprises une sorte « d’aristocratie du travail », soit l’essentiel de l’encadrement. Les autres Européens, parmi lesquels les Italiens sont largement majoritaires, occupent une position intermédiaire dans une hiérarchie du travail, dont la base est formée par les autochtones.   Sur le plan syndical, les Français fournissent aussi l’essentiel de l’encadrement de l’Union Départementale de la centrale française, implantée dans le pays, dès la première décennie du XXème siècle, à savoir la C.G.T. Cette dernière a incontestablement joué un rôle majeur dans la formation d’une élite indigène, dont quelques militants se sont initiés au combat ouvrier aux côtés d’activistes internationalistes, notamment d’anarchistes italiens, qui se sont illustrés dans les premiers grandes grèves du début du siècle.   Dans ce contexte, si le choix de La C.G.T. implique le souci de se détacher de toutes formes de solidarités particularistes, dont le nationalisme, pour mettre au premier plan la position dans le système capitaliste, celui de former une organisation tunisienne spécifique suppose la volonté de valoriser l’appartenance à une entité particulière, qui plonge ses racines dans une longue histoire. En somme, il s’agit de choisir l’option identitaire à privilégier. Ce qui favorise la rencontre avec l’identité nationale, dont les syndicalistes vont épouser une variante qui nous semble se démarquer parfois de celle des fondateurs du Destour.   II – LE RETOUR AU PASSE SUR SOI  Dans la Tunisie Martyre, on commence par comparer l’organisation des pouvoirs publics qui prévaut à l’époque coloniale à celle qui a précédé l’installation du Protectorat. C’est la seconde qui dispose des faveurs des auteurs.   Ainsi, on commence par affirmer que : « le droit public musulman auquel la Tunisie est soumise en tant qu’Etat islamique, distingue les trois pouvoirs : législatif, exécutif et judiciaire. »3 Puis, on précise que « le peuple, soutenu par l’Europe, et en collaboration avec le Bey, procéda à la fixation des droits et des devoirs respectifs du prince et de la nation. Ce fut l’oeuvre du pacte fondamental de 1857 et de la Constitution de 1861. »4 Et on en déduit que « l’organisation des pouvoirs publics fut réalisée par la Constitution de 1861. Le Pacte fondamental devenait en quelque sorte, une Déclaration des droits et des devoirs de l’homme et du citoyen ». 5    Quant à la question des « droits et libertés publics » il y est écrit que :     « Le droit public musulman, antérieurement au droit public européen, fonde la constitution de la société sur les principes de la liberté individuelle réglementée, du respect de la personnalité et des biens, fruit du travail. Les libertés de pensée, d’opinion, de réunions sont acquises à l’individu, avec le consentement à l’impôt comme un bien nécessaire. Nous avons rappelé l’obligation légale pour le chef de l’Etat, de provoquer la consultation populaire et de suivre l’avis de la majorité. Cela entraîne la liberté de la presse, d’association, le droit de pétition. De fait, la liberté d’opinion était complète et le bey se gardait bien d’intervenir dans l’exercice d’une liberté d’ordre public. Le droit de pétition se manifestait à tout instant ». 6    Pour ce qui est de l’enseignement, on rappelle que :   « la Tunisie était un centre de culture et de civilisation brillantes. Des quatre coins du monde musulman les voyageurs y venaient entendre un enseignement largement dispensé ». 7      On rappelle que :   « dans la décade de 1840 une école polytechnique se fondait où l’art militaire s’harmonisait avec un programme de culture générale. L’Université de Tunis fut réorganisée sur d’excellentes bases. Sa bibliothèque fut considérablement agrandie (…) L’enseignement fut entièrement remanié. La loi du 1er novembre 1842 réorganisait le fonctionnement des cours, améliorait le traitement des professeurs, exigeait d’eux l’asssuidité; elle assurait la bonne marche des études par la création d’un Conseil d’Université chargé du contrôle et de la surveillance des cours et du personnel enseignant, et du choix des candidats aux postes vacants de professeurs ».8       On valorise également le fait que :    « l’enseignement à tous les degrés était complètement gratuit. L’initiative privée assurait en grande partie cette gratuité par des fondations éparpillées sur tout le territoire et dont les revenus entretenaient des maisons d’étudiants, des boursiers scolaires, fournissaient des primes à l’enseignement, aidaient le Gouvernement à supporter les charges financières de l’Instruction publique » 9    On signale également :   « Au moment de l’occupation militaire de notre pays, une douzaine de Tunisiens boursiers de ce collège (le Collège Sadiki) préparaient à Paris, au lycée Saint-Louis, les professions libérales. Une vingtaine d’écoles (italiennes et françaises) congrégationistes offraient leur enseignement aux Tunisiens désireux de s’instruire dans les méthodes occidentales. Ainsi, l’enseignement, dans toutes les branches de l’activité intellectuelle, se développait dans le double sens national et complémentaire européen. La culture moderne faisait des progrès rapides jusqu’au sein de l’Université arabe » .10       Sur le plan économique, les auteurs de « La Tunisie martyre » partent de l’affirmation que :   « fameuse par la fertilité de son sol, pourvue d’un système d’irrigation extrêmement développé et fécondateur qui valut à ce pays essentiellement agricole le nom de grenier de Rome, la Tunisie, au carrefour des grandes voies économiques, fut constamment la proie convoitée des peuples forts »11   Puis, ils brossent un tableau de la situation économique à partir de la période 1860-1862 pour laquelle ils utilisent un ouvrage d’un témoin Bayram12 et ils affirment que :   « depuis cette époque, à l’exception de quelques années de sécheresse aggravée par une mauvaise situation des finances publiques, la Tunisie ne fit que prospérer. (…) Bref depuis 1856, il y eut une période prestigieuse d’activité et de fertilisation de la terre tunisienne (…) Cette activité créatrice et féconde se poursuivit jusqu’à l’Occupation, malgré les entraves multiples apportées par l’insuffisance de l’outillage économique ». 13     Sur le plan social, la situation de l’agriculteur et de l’ouvrier tunisien est présentée avec un peu plus de nuances. Ainsi, on reconnaît que le décret de 1874 qui régit les rapports du propriétaire foncier et du travailleur agricole comporte des insuffisances puisqu’on écrit qu’il « ne correspondit pas aux aspirations du peuple avide de justice. Il était, à un certain point de vue, très dur pour le travailleur agricole » »14     Toutefois on s’empresse d’ajouter :   « Dans son principe, le khemassat est une excellent institution sociale parce qu’elle développe la collaboration intime du travail et du capital . L’ouvrier (khammès) est l’associé du propriétaire puisqu’il est rémunéré au moyen d’un prélèvement du cinquième, du quart (dans ce cas l’ouvrier est appelé rabaâ), quelquefois de la moitié, sur le produit de l’exploitation. Le khammès consciencieux et prévoyant accède facilement à la propriété. Seule, l’anomalie du travail forcé, contraire à la dignité humaine, déshonore cette institution. 15    En somme, cet ouvrage constitue une excellente illustration du rôle d’exaltation nationale dévolu à l’Histoire dans les pays dominés. On idéalise le passé et notamment le système du pouvoir à la veille du protectorat pour bien faire ressortir « l’oppression » et « l’iniquité » qui règne depuis.   De ce point de vue la démarche suivie dans l’ouvrage du syndicaliste Haddad diffère sensiblement. Alors que les Destouriens décrivent « en rose » le passé, Haddad est particulièrement critique à l’égard de plusieurs aspects aussi bien d’ordre économique, que social et culturel de la Tunisie pré-coloniale. En effet, après avoir décrit sans complaisance la situation sociale et économique de la Tunisie pré-coloniale, en insistant sur les obstacles au développement, et sur la situation humiliante des ouvriers artisans et des Khammès, il en déduit :   « Cette situation générale a engendré un corps malade et c’était la société  tunisienne. Le colonialisme français a pu aisément transpercer ce corps et, en le soumettant aux  contraintes qui lui plaisaient, il lui édicta toutes les lois qu’il voulut. »16    La crise de l’artisanat n’est pas seulement imputée à la concurrence européenne puisqu’il écrit que :   « Les maîtres-artisans qui possédaient les capitaux ne parvinrent pas à atténuer même légèrement les effets de la concurrence des marchandises étrangères. Ils auraient pu y parvenir en rassemblant leurs petits capitaux, en formant une association entre un ou plusieurs groupements en vue de produire plus et mieux, en tenant compte des goûts toujours renouvelés dans ce pays et en se dotant des machines nécessaires. » 17     Il affirme aussi que :   « La crise éprouvée par l’artisanat, du fait du retard dans les instruments de production a également frappé l’agriculture, où des outils archaïques sont encore utilisés sur la plupart des terres qui restent aux mains des Tunisiens. »18     Qui plus est alors que dans « la Tunisie martyre » le rappel largement positif du passé de la Tunisie prédomine surtout au début, dans l’introduction de l’ouvrage du syndicaliste il y d’abord l’homme, l’apparition du capitalisme et son impact sur les sociétés humaines. La solidarité internationale du mouvement ouvrier dans la lutte contre le capital est magnifiée.   En faisant sien le combat international du travail contre le capital il s’approprie en quelque sorte une part du passé de l’Autre. L’identité nationale n’est pas exclusive et la part de l’identité ouvrière est mise en valeur. Ce qui se répercute nécessairement sur la représentation de l’Autre et de soi même à l’époque coloniale.       III – Représentation de l’Autre et de soi à l’époque coloniale     Pour se représenter à l’époque coloniale, on cherche à se « situer » par rapport à l’Autre et à sa stratégie ou plus précisément par rapport à ce que l’on suppose être celle du protagoniste. C’est pourquoi, la représentation de l’Autre est intimement liée à celle de soi-même, à son identité.   Cette démarche sert surtout à élaborer une stratégie de combat. C’est pourquoi on cherche souvent d’abord à connaître celle du protagoniste. On est donc tenté de parler de contre-stratégie. Le choix de la primauté de la nation impose aussi une stratégie particulière qui apparaît dans les « praxis » qui diffèrent sensiblement au niveau des partis politiques et des syndicats.   Dans la « Tunisie martyre, « l’Autre c’est d’abord l’artisan d’une « politique d’asservissement systématique économique, politique et intellectuel de tout un peuple sans défense » qui serait le fait du gouvernement français « avec la complicité intéressée d’une partie très importante des informateurs influents de l’opinion publique – hommes politiques, financiers, publicistes »  19   L’ennemi c’est la colonisation. Présentant ce qu’on appelle « les véritables caractères de la colonisation française en Tunisie » on écrit :   « C’est une lutte à mort, une croisade dirigée contre notre société ; c’est le brigandage organisé de nos richesses. Il n’entre dans la politique de nos maîtres absolument aucune idée d’avenir économique. Le colon arrive affamé. Il pille, vole, exploite à outrance sous la protection des lois du Protectorat, et, sa fortune faite il rentre chez lui emportant son butin. » 20        La politique coloniale est considérée comme responsable d’une mutation sociale qui aurait débouché sur :   « Une classe choyée, privilégiée, maîtresse des décisions gouvernementales et donc des destinées du pays, la caste conquérante, la race supérieure qui comprend les Français et, pour une part, les Européens en souvenir des capitulations; une autre, faible, exploitée persécutée, privée de tous les droits reconnus à l’être humain; la population vaincue, la race inférieure. » 21        Il en résulte de graves répercussions sur le  rapport avec l’Autre puisque – affirme-t-on dans la conclusion de l’ouvrage :   « Nous pensons, et tout homme raisonnable pense de même, que ce n’est pas la brutalité, la rapine et l’injustice, érigées en institutions d’Etat, que l’on fera juger de la civilisation française. A travers les tristes personnages dont notre pays est envahi, nous nous représentons le peuple français comme un peuple d’affamés de brigands, et sa civilisation, à l’image de la moralité de ses échantillons, comme un formidable mensonge pour dissimuler une mentalité abjecte de jouisseurs. (…) Lorsque enfin on prétend nous inoculer de force la culture française, notre mouvement instinctif est de la repousser avec horreur et le sentiment de la valeur de notre civilisation propre grandit et emplit nos coeurs. » 22        Quant à Tahar Haddad les répercussions négatives de la colonisation ne sont pas les seules à avoir retenu l’attention, contrairement aux auteurs de la »Tunisie Martyre ». En effet, dans sa description de la situation sociale et économique au lendemain du protectorat, il parle notamment d’une sorte de choc salutaire pour les enfants de « l’aristocratie », qu’il décrit en ces termes :       « Ils durent admettre que leurs aïeux leur avaient construit des châteaux de sable exposés au caprice des vents. Cette expérience jointe aux exemples concrets données par le colonialisme européen amena de nouveau chez les Tunisiens un mouvement d’émulation et d’imitation. Ils comprirent l’importance de la terre -qu’ils laissaient auparavant en friche – et apprirent que sa valeur économique réside dans l’abondance de sa production et non dans le seul fait de la posséder. Ils se mirent à utiliser des machines agricoles modernes, s’intéressèrent au travail de la terre et progressent ainsi graduellement. Ils se livrent aussi aujourd’hui  à une certaine concurrence dans le commerce. » 23              Ainsi, il insiste sur le caractère progressiste de la colonisation à travers surtout son rôle dans l’apparition d’un noyau de bourgeoisie agricole tunisienne, qu’il considère par surcroît comme une « preuve de dynamisme »24. Ce qui nous rappelle certaines analyses fréquemment reprises par les socialistes, à savoir que la colonisation est « productrice de richesses » et que c’est « le triomphe de la mobilité ». Il aborde à nouveau cette question quelques pages plus loin, où il note que :   « Les agriculteurs tunisiens suivirent l’exemple des colons européens qui exploitaient les terres avoisinantes et en tiraient des profits substantiels. Ils furent nombreux à se lancer dans l’achat de nouvelles machines et à cultiver leurs terres selon les méthodes modernes … » 25   Le ton utilisé dénote nettement une appréciation positive.    L’apport de la colonisation le plus apprécié par Haddad est sans conteste le syndicat, puisque son livre peut être considéré comme un véritable hymne dédié au syndicalisme. En effet, il en parle en ces termes :   « Les ouvriers européens nouvellement venus en Tunisie, avaient gardé les traditions syndicales de leur pays (…) Quant aux travailleurs tunisiens, ils ne se limitèrent pas à être de simples spectateurs : ils s’associèrent aux ouvriers européens dans leurs grèves, s’affilièrent à leurs syndicats, assistèrent à leurs réunions et écoutèrent les discours de leurs leaders (…) Ceux-ci proclamaient les principes de liberté et d’égalité entre les citoyens. Ils affirmaient que la religion des ouvriers était le travail et que l’ennemi de cette religion était le capital. Ils soutenaient que les ouvriers ne devaient pas, par conséquent, se différencier selon leurs races ou leurs religions, car ils seraient les artisans de leur désunion, ouvrant ainsi des brèches donnant l’occasion au capital de les disperser et de faire échouer leurs revendications. Cette action syndicale eut une importante influence sur les ouvriers tunisiens. Elle les conduisit à tourner le dos aux anciennes pratiques révolues, du temps où ils se contentaient de leur sort, se gardaient bien de revendiquer hautement leurs droits, mais sollicitaient humblement, chacun pour soi, la bienveillance. De ce point de vue, ils tirèrent de cette expérience un bénéfice appréciable et digne d’une grande estime. » 26       En somme, l’implantation du capitalisme à la faveur de la colonisation apparaît comme étant à l’origine d’une dynamique économique, mais aussi sociale, susceptible, grâce surtout au syndicat, de favoriser le progrès social. Non seulement l’auteur reconnaît et apprécie l’apport du syndicalisme européen, mais il souscrit aussi à ses principaux objectifs en insistant notamment sur son rôle dans la rupture avec certaines traditions aliénantes et proclame son attachement à l’identité ouvrière.  Ainsi, l’Autre ce n’est pas seulement l’exploiteur colonialiste, c’est aussi le militant avec lequel on partage un ensemble de valeurs et de principes, c’est aussi son semblable. L’identité véhiculée par l’ouvrage de Haddad comporte une large part d’universel.   Toutefois, à l’instar de « La Tunisie martyre » il ne manque pas de signaler à plusieurs reprises les graves répercussions de la colonisation sur ce rapport avec l’Autre. En effet, il attribue à M’Hamed Ali, le principal animateur de la C.G.T.T. les réflexions suivantes :   « Il faut  convaincre beaucoup de Français et d’Européens que nous méritons de vivre comme eux, car nous percevons la vie au même titre qu’eux. (…) Les Européens se méprennent sur nos véritables sentiments. Si nous leur disons : nous voulons être libres, ils comprendrons que nous ne voulons plus d’eux chez nous » 27    Nous avons l’impression que la proximité de l’Autre est mieux soulignée que dans la « Tunisie martyre ». Certes dans le manifeste du parti nationaliste on précise aussi souvent que la politique coloniale désastreuse est pratiquée  à « l’insu du peuple français », qui est présenté comme épris de justice et de liberté. Il n’en reste pas moins que c’est dans le texte de Haddad qu’on ressent le plus ce jeu de miroir qui nous fait découvrir dans l’Autre une partie de soi même. Il y a même une sorte de mise en scène de la ressemblance qui nous fait découvrir dans le passé de l’Autre une partie de notre futur.    C’est donc dans la projection vers l’avenir que les divergences entre les deux approches du nationalisme vont le mieux apparaître.    IV – LA PROJECTION VERS L’AVENIR     Elle est déterminée par les deux aspects précédents. Elle transparaît à partir de la lecture du passé qui la sous-tend, ainsi qu’à travers les solidarités dont elle se réclame. Les revendications formulées dans « La Tunisie martyre » commencent par l’affirmation formulée au nom du peuple tunisien de vouloir être comme et au niveau du peuple français, à qui l’on demande de « lui rendre le fruit des victoires que péniblement il a remportées sur le pouvoir absolu : ses libertés et son organisation constitutionnelle basée sur la responsabilité et la séparation des pouvoirs sociaux « .28    La première revendication consiste en une définition de la citoyenneté refusant toute xénophobie ou chauvinisme. En effet, on y affirme que :   « Sera considéré comme Tunisien et jouira des droits et devoirs du citoyen tunisien s’il en manifeste le désir, tout individu qui sera né ou aura résidé continuellement et volontairement pendant dix ans en territoire tunisien. » 29       Elle est suivie par la revendication des libertés individuelles, du travail, d’association, de parole, de presse, et du droit de pétition. Cette seconde revendication comporte également :    « L’inviolabilité du domicile et des biens entraînant l’abolition de l’odieuse pratique gouvernementale de la confiscation des biens.   L’égalité de tous devant la loi et devant les charges publiques, entraînant l’abolition des privilèges et immunités : chacun contribuera sans distinction de nationalité en proportion de ses facultés et de ses revenus.   Le droit pour tout Tunisien à quelque religion, à quelque race qu’il appartienne, de concourir à toutes les fonctions publiques, la capacité et le mérite seuls déterminant les droits de chacun »  30.        Certes, la sixième revendication portant sur la liberté de l’enseignement précise que l’enseignement primaire obligatoire se doit d’être en langue arabe, mais on s’empresse d’ajouter que « l’enseignement des langues étrangères sera obligatoire dans les établissements secondaires et supérieurs de l’Etat et le français aura la préférence sur les autres langues » 31     Quant à Haddad il présente les priorités en ces termes :   « Pour la Régence de Tunis, le plus nécessaire, le plus indispensable, c’est de créer des forces sociales qui s’appuieront sur de solides connaissances pour posséder des richesses. C’est sur la base de pareilles forces, essentielles, permanentes et pacifiques que pourrait s’édifier la vie libre et heureuse de demain. (…) La Tunisie, de par sa situation que nous avons décrite, a besoin de réforme sociale plus que de toute autre réforme. Toutes les couches sociales éprouvent en commun ce besoin, quels que soient leur moyen d’existence.  Oui! l’Histoire (…) nous a appris que le nationalisme, en respectant la division de la société en classes, porte en soi le germe de terribles guerres pour l’avenir. (…) Mais, est-il possible que dans un pays comme la Tunisie les classes se prennent, dès maintenant à la gorge, soi-disant pour se prémunir contre les luttes à venir, alors qu’elles sont dans la situation que nous avons décrite et que l’épée de Damoclès est suspendue au-dessus de toutes les têtes ? » 32        En somme, la solidarité nationale n’est pas exclusive, elle ne constitue pas une structure identitaire figée puisque d’autres identités sont appelées à la transformer. Pour changer l’image que se fait de soi l’Autre, il faut se régénérer mais aussi changer l’Autre. En fait on instaure un véritable jeu de miroir. Qui plus est la fascination de certaines formes de modernité que comporte l’ouvrage de Haddad et le « ressourcement  » qu’il proclame, dans le cadre de la lutte pour l’identité nécessitent une grande capacité de syncrétisme consistant notamment dans une lecture humaniste et universaliste de l’Islam où l’on cherche des valeurs similaires à celle du syndicalisme. L’Islam acquiert ainsi un rôle qui n’est pas seulement « nationalitaire  » ou de « marqueur identitaire ».    Cette approche a nécessité, comme nous l’avons précédemment noté une lecture spécifique du passé ne se contentant pas de l’idéalisation des relations et de la morale sociale antérieures, comme c’est le cas d’autres composantes du mouvement national.    Nous pouvons donc en déduire, en conclusion, que l’ouvrage de Haddad ne partage pas avec « La Tunisie martyre » le rappel largement positif du passé de la Tunisie. Il en diffère également en valorisant avec le nationalisme une identité autre que l’identité nationale. Ainsi, les différences avec l’Autre apparaissent plus dans « La Tunisie martyre » alors que la diversification des modes d’identification est plus présente chez le syndicaliste.   En assumant pleinement l’identité ouvrière, en parlant même de « famille prolétarienne » les syndicalistes nationalistes se rapprochent de l’Autre, « gomment » les différences et leur discours identitaire comporte une part d’universel plus prégnante que chez les fondateurs du Destour.   Néanmoins, dans les deux cas se dégage la définition d’un substrat comportant certaines analogies, d’un noyau dur en quelque sorte , comportant l’appartenance commune à la civilisation arabo-musulmane et bien d’autres spécificités identitaires bien que, facteur d’identification « nationalitaire » l’Islam est sollicité par les uns pour affirmer l’authenticité des Tunisiens et, insister sur la différence avec les Français, alors que le caractère universaliste de la religion  est mis au premier plan par les fondateurs du syndicalisme  tunisien.    Dans les deux cas également, quoique à des degrés divers, on envisage avec la fin de la colonisation un avenir où les images de soi et de l’Autre reproduisent nettement plus de traits similaires. De l’apaisement des tensions coloniales on attend également accorder plus d’attention à représenter ce qui rapproche plus qu’à mettre en relief les différences. Pour les syndicalistes, il s’agirait même de récupérer une part de soi que l’Autre aurait aliéné.    En s’organisant sur une base nationale, le syndicalisme tunisien apparaît déjà s’engager dans le cadre du processus historique de l’unification nationale amorcé au lendemain de la guerre et souscrit ainsi aux grandes lignes de la perception identitaire de « La Tunisie martyre ». La présence de quelques destouriens dans ses rangs, entre autres, en atteste.   Cependant, cette participation précoce du syndicalisme au mouvement de libération nationale va favoriser l’extension de sa représentation de soi et de l’Autre auprès de plusieurs composantes de la société qui vont marquer la lutte de libération nationale 33 . Ce qui va contribuer à accroître la part de l’universel dans l’identité tunisienne véhiculée par les leaders nationalistes, qui est loin d’être négligeable même dans « La Tunisie martyre » 34  .       Notes de base de page numériques:   1 – L’ouvrage  collectif attribué  à Thaalbi intitulé « La Tunisie Martyre, ses revendications » paru aux Editions Jouve à Paris en 1920, constitue le manifeste du premier parti nationaliste tunisien auquel a d’ailleurs adhéré Haddad, le Parti Tunisien fondé en 1919 qui devient en 1920 le Parti Libéral Constitutionnaliste plus connu sous le nom de Destour.  Voir à ce sujet notamment TLILI (Béchir), La Fédération Socialiste et la  « Tunisie-Martyre » (1919-1925), In Nationalismes, Socialisme et Syndicalisme dans le Maghreb des années (1919- 1934), Tome II: Nationalisme,  Socialisme,  Syndicalisme en Tunisie et en Algérie 1919-1934, Publications de l’Université de Tunis, 1984, PP. 127- 203. 2 – Ce livre dont la première édition est due à « l’Imprimerie Arabe de Tunis » a été réédité par la « Maison Tunisienne d’Edition ».  Son introduction  a été traduite au moins dès 1962 par Michel Lelong, In IBLA 1962-I pp. 31-48. Puis il a été entièrement traduit en français par Abderrazak Halioui en 1985 sous le titre  » les travailleurs tunisiens et l’émergence du mouvement syndical » et publié par la « Maison Arabe du Livre » dans sa collection Patrimoine Historique élaborée avec la Fondation nationale pour la traduction et l’établissement des textes et les études « Beit al-Hikma ». Cependant, nous avons préféré nous référer à la première édition arabe et adopter parfois notre propre traduction. 3 – 2ème édition , Dar al-Gharb al Islami, Beyrouth 1985, p. 17. 4 – Idem, p. 18. 5 – Ibidem. 6 – Idem, p.27. 7 – Idem, p.43. 8 – Idem, p.44. 9 – Idem , p.45. 10 – Idem, pp.46-47. 11 – Idem, p.77. 12 – Safouat el Itibâr bi moustaoudi  al Ansar oual Aktar, édition du Caire, 1302 hégire. 13 – Op. Cit. , p. 78. 14 – Idem, p. 120. 15 – Ibidem. 16 – P.26. 17 – P. 19. 18 – P. 20. 19 – P. 14. 20 – P. 111. 21 – P. 179. 22 – P. 187. 23 – P.15. 24 – Idem 25 – Idem. 26 – PP. 20-21. 27 – PP. 46- 47. 28 – Traduction de Halioui, Op. cit .  ,p.122. 29 – P. 193. 30 – P. 194. 31 – P. 195. 32 – P. 196. 33 – PP. 122-125. 34 – Voir à ce sujet  ma contribution intitulée:  Syndicats tunisiens et identité à l’époque coloniale : choix et combats   In Identités et colonisation , Actes du colloque  organisé à Tunis en mars 1998 par La Faculté des Sciences Humaines et Sociales de Tunis et l’Université de Duke (Caroline du Nord), Publications de la Faculté des Sciences Humaines et Sociales de Tunis, 2002, pp. 25-37.   (Source : Cahiers de la Méditerranée, Volume 66, le 21 juillet 2005) URL: http://revel.unice.fr/cmedi/document.html?id=100   (*) Publiés par le Centre de la Méditerranée Moderne et Contemporaine (CMMC), équipe de recherche de l’Université de Nice-Sophia Antipolis et fondés par le Professeur André Nouschi, les Cahiers de la méditerranée paraissent depuis 1968 avec le concours de l’Université de Nice Sophia-Antipolis et du Conseil régional Provence-Alpes-Côte d’Azur. Dans une approche résolument comparatiste et attentive aux derniers acquis de la recherche sur les sociétés, la revue édite des numéros thématiques, à raison de deux parutions annuelles.

Les sociétés musulmanes de bienfaisance dans la Tunisie des années 1930

 
Fayçal El Ghoul – Université de Tunis I     Table des matières I. La Tunisie dans les années 1930 II. Les sociétés musulmanes de bienfaisance : statuts et budget 1. Les statuts 2. Le budget III. Les domaines d’intervention des sociétés de bienfaisance et leurs principales activités IV. Les sociétés musulmanes de bienfaisance : de l’action philanthropique à l’action politique   Dans le cadre de cette rencontre sur “Migrations et solidarités en Méditerranée”,  je me propose d’évoquer les premiers résultats d’une enquête que je viens de commencer sur les sociétés de bienfaisance en Tunisie dans l’entre-deux guerres.   Ces sociétés étaient nombreuses, très nombreuses dans la Régence de Tunis. Toutes les composantes de la population avaient leurs propres associations de bienfaisance. Il y avait celles créées pour venir en aide aux plus démunis parmi les différentes colonies et minorités présentes dans le pays (française, italienne, israélite, belge, suisse, maltaise, anglaise, algérienne, etc.) et les sociétés autochtones, qui étaient de loin les plus nombreuses.   Ces sociétés poussèrent un peu partout dans les années 1930. Chaque ville et chaque village voulait et tenait à avoir sa propre association de bienfaisance. De ce fait, on ne peut les recenser. Toutefois on peut avancer un chiffre. Leur nombre tournerait autour de la centaine (80 à 100). Il faut noter que leur nombre s’était considérablement accru surtout après 1936.   Jusque-là, seules quelques sociétés avaient été créées à Tunis et dans les grandes villes du pays telle que Sousse, Sfax, Gabes, Nabeul, Béja, etc.   La première société de bienfaisance fondée dans le pays était la société française. Elle date de 1882. Elle s’était fixée les buts suivants :   “secourir, nourrir, soigner et rapatrier tous les français indigents qui avaient suivi les troupes coloniales à la recherche d’un travail, d’une terre ou autre”.   En 1893, fut fondée la société israélite de bienfaisance de Tunis, dont le siège se trouvait à la rue des Glacières, tout proche de la Hara. La première société de bienfaisance musulmane, celle de Tunis, fut créée en 1905. Prenant conscience de la valeur et de l’intérêt de pareilles organisations, l’élite tunisienne allait créer, sur le modèle de la société de bienfaisance de Tunis, des groupements à Sousse (1908), Nabeul (1910), Monastir (1912), Sfax (1972-1913), Gabès (1913), Mateur (1921), Souk El Arba (1921), Béja (1922), Ferryville (1922), Bizerte (1923), Le Kef (1923), Jerba (1934), etc.   Toutes ces sociétés étaient soumises au décret de 1888, qui régissait la vie associative. Ce cadre juridique, considéré à juste titre comme sévère, n’avait permis la création que d’environ 1500 associations. En effet, il soumettait la création d’une association à l’autorisation préalable du Gouvernement.   Les membres fondateurs devaient déclarer et déposer les statuts de leur groupement au Parquet et au Contrôle Civil. Les statuts devaient comprendre l’engagement d’interdire toute discussion politique ou religieuse au sein de l’association.   Mais avec la victoire du Front Populaire et de la promulgation du décret du 6 août 1936 sur les associations, la liberté de réunion et d’association “fut accordée sans grande réserve aux Tunisiens.” 1   La nouvelle législation, plus libérale, réduisait les formalités au simple dépôt des statuts et une déclaration au Secrétariat Général du Gouvernement ou au Contrôle Civil. Désormais, le visa des autorités compétentes ne pouvait être refusé que si le gouvernement était fondé sur une cause qui risquait de porter atteinte aux bonnes moeurs ou à l’ordre politique établi. Bref, le visa devenait la règle et le refus l’exception.2   Avec ce nouveau régime libéral, la Régence allait s’enrichir en 16 mois de plus de 300 associations :   “alors que sous l’empire des dispositions du décret du 15 septembre 1888, 1400 groupements ont été constitués au cours d’une période de cinquante ans.”  3   Cette prolifération des associations ne s’explique pas seulement par la nouvelle législation libérale. Il y avait aussi d’autres facteurs parmi lesquels on peut citer :   l’accroissement démographique,   l’effervescence nationaliste dans les années 1930-1931,   le désir d’imiter les groupements européens existant en Tunisie et en métropole,   le développement de l’esprit mutualiste, etc.4   Tout ceci nous amène à évoquer rapidement le contexte dans lequel ces associations avaient vu le jour, c’est-à-dire la Tunisie des années 1930.   I. La Tunisie dans les années 1930
La période qui s’étend de 1881 à 1930 est marquée pour la Régence de Tunis, par de profondes mutations touchant tous les domaines. Pendant ce demi-siècle de présence française, le pays fut doté d’une infrastructure ferroviaire, routière et portuaire. L’administration nouvelle était moderne et efficace. L’objectif de la colonisation était la mainmise sur les ressources du pays. Elle devait en faire une chasse gardée de la métropole. Pour ce fait, on y installa tous les services nécessaires à une économie moderne : poste, télégraphe, banques, etc. On entama l’exploitation des ressources minières et on consacra d’importants investissements dans l’agriculture coloniale qui devint une agriculture mécanisée à hauts rendements.   La transformation des structures économiques de la Régence s’était faite dans la douleur, car brutale, avec une destruction de l’économie traditionnelle (confiscation des terres appartenant aux tribus, mainmise sur les forêts et sur les terres de mainmorte). Le déplacement des tribus vivant de transhumance devenait de plus en plus difficile et les différentes tentatives de leur fixation au sol ne visait en fait, que la confiscation d’une bonne partie de leurs terres qui seront distribuées aux colons (dans le Nord, dans la région de Sfax, etc.)   Cette évolution eut des incidences sur le tissu social autochtone. Les conséquences de la Grande Guerre, les crises conjoncturelles des années vingt et surtout les effets de la crise de 1930, allaient accélérer le processus de déstructuration et de recomposition de la société tunisienne.   A titre d’exemple, la paysannerie connut la faillite sous l’effet conjugué de plusieurs mauvaises récoltes (au cours des années 1935-1936) et de l’endettement. C’est ainsi que des milliers de petits paysans furent irrémédiablement ruinés. Ils abandonnèrent la campagne pour se réfugier dans les centres urbains à la recherche de travail et de secours aléatoires. L’invasion des villes par les paysans et les nomades démunis était d’une ampleur inhabituelle. Certains parleront, plus tard d’un “nomadisme de la faim”.  5   Cet exode rural massif a été à l’origine de l’émergence, autour des grandes villes, des bidonvilles, foyers de toutes les misères.6 Il faut dire que ce phénomène est né au lendemain de l’établissement du Protectorat et la spoliation des terres. Il connaîtra une accélération après la grande Guerre (suite à la mécanisation) pour atteindre son paroxysme dans les années 1930 avec la crise mondiale.   La paupérisation et la clochardisation de pans entiers de la population tunisienne étaient visibles dans les rues des grandes villes et même dans les campagnes. Les structures d’assistance et d’accueil traditionnelles (zaouias, confréries, administration des Habous, etc) étaient débordées et s’avéraient incapables de faire face au flot sans cesse grossissant de la misère.   La famille tunisienne, de constitution patriarcale, si accueillante et qui se chargeait de ses orphelins, de ses vieux et de ses malades sans ressource baissa les bras devant les difficultés économiques.   La dégradation de la situation économique et sociale allait susciter l’effervescence nationaliste et la conscientisation de la population autochtone. La décennie trente marque un tournant dans l’histoire de la Tunisie contemporaine.   La crise économique et les changements politiques, survenus en France et en Europe, favorisèrent la naissance d’organisations politiques, syndicales, philanthropiques, sportives, culturelles, de jeunesse, etc. Tous ces groupements, surtout politiques et syndicaux, allaient déployer un effort de propagande multiforme : campagnes de presse, meetings, déplacements à l’intérieur du pays, diffusion de la presse nationaliste et même d’une littérature clandestine, etc.   La jeunesse cultivée et diplômée de la Grande Mosquée Ezzitouna ou des universités françaises exprima son désir d’émancipation en contestant et en brisant les anciens cadres respectueux de l’ordre politique et social établis.   A partir de ce moment, cette jeunesse allait jouer un rôle de premier plan sur la scène politique, sociale, culturelle, etc. Elle créa de nombreux groupements d’obédience nationaliste, surtout néo-destouriens.   Cette “soif associative” 7 inquiétait, à juste titre, les autorités coloniales car porteuse d’idées nouvelles mêlant et confondant le politique, le social, le culturel, le religieux, etc.   II. Les sociétés musulmanes de bienfaisance : statuts et budget
 
1. Les statuts Ces statuts étaient à peu près les mêmes pour toutes les sociétés de bienfaisance. Ceux de la société musulmane de bienfaisance de Tunis, datant de 1905, furent copiés par celles apparues dans les diverses villes de province. Ces statuts fixent généralement le ou les domaines d’activités, les buts et l’origine du financement. De nombreux articles sont réservés à la composition de la société et à son organisation (adhésion, cotisations, élection du bureau, fonctionnement du conseil d’administration, etc.)   La plupart de ces sociétés avaient une “individualité restreinte et une capacité limitée”   à la perception des cotisations et des subventions versées par l’État ou les collectivités locales. Elles ne pouvaient acquérir d’immeubles que par décret beylical.8   La société musulmane de bienfaisance de Tunis sollicita, dès la fin de l’année de 1919, l’attribution de la personnalité civile en vue de recevoir un don d’immeuble. Cette demande n’eut de réponse favorable qu’en juin 19299. Le Directeur Général de l’Intérieur souligna à cette occasion la nécessité et l’intérêt de “limiter, dans le décret à intervenir, les possibilités d’acquisition de cette société.”   Les décrets de 1888 et de 1936 imposaient l’inscription dans les statuts des diverses associations de l’interdiction formelle des discussions politiques et religieuses. Mais la législation libérale de 1936 permettait aux sociétaires d’apporter des modifications aux statuts de leurs groupements.10   2. Le budget Toutes les associations de bienfaisance disposaient d’un budget plus ou moins important. Elles obtenaient des subventions annuelles allouées par l’Assistance Publique, les collectivités locales, l’oeuvre de l’Enfance, la Région, etc. Mais la participation financière la plus importante était celle de l’Assistance. Elle n’augmentera que légèrement, après les terribles ravages causés par la crise des années 1930 et la succession de mauvaises récoltes.   A titre d’exemple, la société de Tunis reçut une subvention de 350 000 francs en 1936, 329 00 francs en 1937 et 357 000 francs en 1938. Son homologue française était beaucoup plus choyée avec 428 720 francs en 1937 et 447 284 francs en 1938.11 A ces sommes, il faut ajouter des subventions complémentaires et exceptionnelles, prélevées sur le budget de l’État.   Des rapports de l’Assistance Publique nous informent sur le budget de ces associations philanthropiques et sur la participation des différentes institutions à leur financement. A titre d’exemple, la société musulmane de bienfaisance de Bizerte disposait d’un budget de 70 000 francs (pour 1937) dont 31 000 provenant des subventions directes (Assistance Publique 7500 francs, Municipalité 5000 francs, Comité de Solidarité 21 500 francs). Celle de Sfax, la plus active après celle de Tunis, disposait, pour 1937 d’un budget de 500 000 francs). Celle de Sfax, la plus active après celle de Tunis, disposait, pour 1937, d’un budget de 500 000 francs. 263 500 francs provenant des subventions allouées par l’Assistance Publique (227 500 francs), Municipalité (26 000 francs), la Région (10 000 francs).12   Ces différentes oeuvres de charité tiraient donc la plus grande partie de leurs ressources de subventions diverses, distribuées par les différents organismes gouvernementaux ou par des institutions régionales et locales. Comme ces sommes étaient insuffisantes, les dirigeants de ces sociétés cherchaient à augmenter leurs recettes. Pour y parvenir ils cherchaient à faire rentrer les cotisations, organisaient des loteries, des fêtes, des soirées artistiques et des spectacles divers, placés sous le patronage de personnalités politiques comme le Bey, le Premier Ministre, le Président Général, etc.13   Les dirigeants de ces groupements recouraient à d’autres moyens pour augmenter leurs revenus d’autant plus qu’ils traversaient une période difficile au cours des années 1930. Ils faisaient appel aux généreux donateurs et organisaient des collectes de fonds à travers tout le pays. C’est ainsi qu’au début de 1937, le président de la société musulmane de bienfaisance de la capitale organisa une souscription à l’échelle de toute la Régence. Il envoya à cet effet,  aux cadis du Sud, des billets à placer au profit de cette institutions, le prix du billet étant de 50 centimes.14   Des quêtes en nature étaient organisées à l’occasion des moissons ou de la cueillette des olives. Le 29 juillet 1939, le président de la société de Tunis sollicita, auprès du Directeur du service économique, une autorisation pour les membres de son bureau de “recevoir des généreux donateurs des dons de blé, orge et fèves” dans les diverses régions productrices de ces denrées de première nécessité, c’est-à-dire la vallée de la Médjerda, les régions du Kef, de Bizerte, etc.15   En décembre de la même année, une pareille demande fut adressée au même responsable pour obtenir des permis de circuler pour quatre responsables de son groupement, pour collecter des dons en nature (de l’huile d’olive) dans les contrôles  civils de Grombalia, Sousse, Sfax et Gafsa.16   Ces diverses demandes agaçaient les autorités coloniales qui rechignaient à accorder de pareilles autorisations. Il faut dire que la méfiance régnait. Tous les prétextes étaient saisis pour refuser l’octroi de ces permis.   Le directeur de la Séret écrit à ce sujet :   “(…) il y a dans les villes de la Régence d’autres sociétés musulmanes de bienfaisance auxquelles il me parait mal venu d’enlever les ressources à provenir des quêtes ou souscriptions locales”.17   Enfin, certains responsables d’associations, souvent en manque d’argent, cherchaient à partager avec l’administration des Habous, les revenus et le budget dont elle disposait. Ils évoquaient la lourdeur des charges et le trop grand nombre de pauvres à soulager.   Le président de la société sfaxienne proposa même :    “que la presque totalité des sommes dont disposait les Habous devaient être versées à sa caisse”.18   Très inventifs, les membres du bureau de la société tunisoise, imaginèrent un système original. Ils installèrent dans toutes les boutiques des caisses fermées, dans lesquelles devaient être glissée, à la fin de la journée, la somme modique de 10 centimes. Par ce moyen, on recueillait jusqu’à 30 000 francs par mois.19   On chercha enfin à suivre l’exemple de la communauté juive qui prélevait une petite somme sur les recettes des bouchers, pour alimenter les caisses de ses associations charitables. En juillet 1934, le président de la société de bienfaisance de la ville de Béja demanda l’autorisation pour prélever au profit de sa caisse, 0 franc 10 par kilogramme de viande vendue. La réponse fut un non catégorique et la proposition jugée “non conforme à l’évolution normale des institutions d’assistance”.20   III. Les domaines d’intervention des sociétés de bienfaisance et leurs principales activités
Ces sociétés jouaient un rôle important dans le soulagement de la misère, surtout en milieu urbain. Toutes les villes de la Régence et plus particulièrement la capitale étaient hantées par des hordes de pauvres, de mendiants et de marginaux. Le phénomène était tellement répandu dans les années 1930 que les institutions traditionnelles d’assistance (zaouias, confrérie, Jamia des Habous, charité privée et publique, etc.) avouèrent leur incapacité à y faire face. Ceci détermina les sociétés musulmanes de bienfaisance à intervenir et avoir une politique d’assistance multiforme.21   La première forme d’intervention consistait en une distribution de secours en nature. On distribuait, aux plus démunis parmi les infirmes, les personnes âgées, les veuves chargées d’enfants, etc., de la semoule, du pain, de l’huile, de la viande et diverses denrées de première nécessité.   Ces distributions n’étaient pas régulières. Elles avaient lieu à l’occasion des fêtes religieuses et lorsque le besoin se faisait sentir. En même temps, de nombreuses sociétés géraient des cuisines et des soupes populaires (Il y avait aussi des cuisines et des soupes populaires israélites).   Une note du 25 novembre 1921, adressée au Secrétaire Général du Gouvernement, nous apprend qu’en janvier 1915, les premières “cuisines populaires indigènes”  furent instituées. Placées sous la direction du Cheickh el Médina (le maire), elles étaient financées par des dons et des subventions allouées par le Gouvernement, l’administration des Habous et la Municipalité. Les familles nécessiteuses et les apprentis des souks étaient servis.   Avec le retour de la paix et la reprise économique, un seul centre, celui de Sidi Boukhris, demeura en activité et on envisagea même sa fermeture et son remplacement par un nouveau mode de distribution de repas aux seules personnes incapables de subvenir à leurs besoins.22 Ces restaurants populaires périclitèrent donc et finirent par disparaître au milieu des années 1920.   C’est avec la crise des années 1930 que le comité directeur de la société musulmane de bienfaisance de Tunis décida la création “des cuisines populaires, au profit des élèves indigents qui poursuivent leurs études dans la capitale”. Le local fut choisi dans la ville arabe, du côté de Bab Bénat, et l’ouverture programmée pour le 1er Décembre 1931. Ce centre devait assurer deux repas par jour pour la somme modique de 1 franc par repas.23 Il pouvait accueillir jusqu’à 400 élèves, dont la majorité suivait des cours à la grande mosquée Ezzitouna.24   Avec la détérioration de la situation sociale et à la suite de nombreuses critiques et objections, les cuisines populaires furent ouvertes à tous les pauvres “sans distinction de race ou de religion”.25   Pour renforcer cette action philanthropique et devant le succès des cuisines populaires, la société fut chargée de gérer “les soupes populaires”. Il en existait quatre à Tunis, Bab Souika, Bab El Khadra, Place aux chevaux et Place des Tourteaux. Chaque centre distribuait 200 repas par jour. Le Secrétariat Général du Gouvernement participait aux frais, en remboursant à la société 0 franc 70 par repas servi.26   Devant le succès de cette opération et pour faire participer le plus grand nombre de Tunisois à cette oeuvre, une nouvelle cuisine fut fondée. C’était une cuisine qui fonctionnait au moyen de timbres ou de tickets. Les agents de la société se chargeaient de vendre des carnets de timbres aux gens aisés ou à ceux qui le désiraient (boutiquiers, commerçants, particuliers, etc.) Des timbres étaient remis aux mendiants en lieu et place de l’argent. Le système connut, à en croire le rapport du médecin inspecteur de l’Assistance Publique, un vif succès puisque “la cuisine par les timbres” permettait à 420 mendiants de manger à leur faim.”27   L’intervention de ces oeuvres ne se limitait pas à cela. Elles assuraient le gîte aux vieillards, aux voyageurs démunis, aux orphelins, etc. La société musulmane de bienfaisance de Sfax qui assurait l’hébergement des nécessiteux, obtint de la municipalité les fonds nécessaires (25 000 francs) pour agrandir et réhabiliter l’asile des vieillards musulmans.   Pour pallier l’insuffisance des structures hospitalières et lutter contre les divers fléaux dévastateurs (typhus, trachome, tuberculose, etc.), les sociétés s’attachèrent à apporter, aux plus pauvres, une assistance médicale. On faisait appel à des médecins musulmans et juifs, tous dévoués, ainsi qu’à des médecins de l’hôpital Sadiki.   L’assistance médicale, instituée à Tunis au début des années 1920 par la société musulmane de bienfaisance, consistait en trois consultations gratuites par semaine. Cette assistance était ouverte à tous les pauvres de la capitale, sans distinction de nationalité ou de religion.28 Mais la forme la plus courante de l’assistance était celle qui se faisait à domicile. Le rapport du médecin inspecteur de l’Assistance Publique (1937), nous apprend que la société de Tunis n’avait plus de consultation extérieure. Elle se contentait de fournir, aux indigents malades, les soins médicaux ainsi que des secours en nature et en espèces.   Les femmes en couches étaient assistées à domicile. Le manque de moyens expliquerait le recours à “des matrones non diplômées”. La chose est déplorée par le médecin inspecteur de l’Assistance qui écrit à ce propos :   “Il semble qu’au moment où nous essayons d’inculquer les principes d’hygiène à la population et de la faire bénéficier des progrès de la médecine, cette société se devrait de nous aider dans cette oeuvre, en évitant de confier à des personnes, contre l’ignorance desquelles nous luttons, le soin d’assister et de conseiller les mères.”   Les sociétés musulmanes de bienfaisance rendaient d’autres services parmi lesquels on peut citer : la circoncision des enfants appartenant à des familles pauvres (à la veille de l’Aïd Esseghir  et plus exactement le 26 du mois de Ramadan au soir, appelée Nuit du Destin ), l’aide à la recherche d’un emploi pour les chômeurs, l’aide au retour pour les provinciaux désirant rentrer chez eux, prise en charge de jeunes délinquants mis en apprentissage, etc.29   Ces associations ne se contentaient pas seulement de soulager la misère et de soutenir les plus déshérités. Elles cherchèrent à lutter contre l’ignorance en organisant des cours d’alphabétisation pour les adultes (cours du soir). Les enfants pauvres étaient accueillis dans une école franco-arabe “El Arfania”. Cette école comptait, en 1925, environ 330 élèves préparant le certificat de fin d’études primaires. Les plus méritants poursuivront leurs études, aux frais de la société, dans les collèges et lycées de la capitale.30   Avec la société de Tunis, celle de Sfax semble être parmi les plus actives de la Régence. En effet, dès sa création elle chercha à enrayer et même à éradiquer la mendicité de la ville. C’est ainsi qu’elle accepta, à la suite de la publication d’un arrêté municipal interdisant la mendicité de la ville31, de “prendre en charge tous les pauvres de la ville et de ses environs, ce qui n’est pas sans gréver lourdement son budget.”    Le Contrôleur Civil de Sfax se félicite de cette action et reconnaît :    “aucun organisme ne se trouve mieux placé que la société de bienfaisance de Sfax en mesure d’assister judicieusement les pauvres de la ville32.   Pour mener à bien cette tâche, il fallait lui augmenter les subventions versées par les différents organismes gouvernementaux et plus particulièrement l’Assistance Publique. Elle sollicita aussi l’appui financier de la jamia des Habous. Le Résident Général lui refusa toute aide supplémentaire et proposa aux dirigeants de faire “appel à des quêtes autorisées et à la contribution personnelle des indigènes fortunés de la ville de Sfax.”   L’activité débordante de cette société dérangeait et irritait les autorités coloniales centrales. Elle ne pouvait admettre qu’une institution “confessionnelle et de charité privée, dépourvue de personnalité civile comme de responsabilité de gestion” collabore et partage avec la municipalité les charges d’assistance communale.”33   Les sociétés musulmanes de bienfaisance cherchèrent, à travers ces diverses interventions, à développer et à consolider la solidarité entre les différentes catégories de la société tunisienne. Par des actions multiformes, elles essayèrent de répondre à l’angoisse, à la détresse et au désespoir de milliers de déracinés et de gens perdus qui n’avaient plus d’attaches et d’appuis (exode rural, détribalisation, disparition des pratiques et solidarité traditionnelle, etc)   Ces institutions cherchèrent aussi à répondre au sentiment d’instabilité et à prendre en charge les diverses pratiques de solidarités communautaires en perte de vitesse. Elles se voulaient des structures de remplacement. Leur objectif étant le suivant : cimenter la société tunisienne pour mieux la conserver et la régénérer.   Devenues trop nombreuses et envahissantes par leurs activités philanthropiques, éducationnelles, religieuses voire même politiques, elles dérangeaient de plus en plus les autorités françaises34. De ce fait, elles furent soumises à une étroite surveillance pour débusquer toute velléité politique de leurs membres.   IV. Les sociétés musulmanes de bienfaisance : de l’action philanthropique à l’action politique
Les autorités locales (caïds, contrôleurs civils et police) se chargeaient de suivre les élections, la constitution des comités et des bureaux de direction et de contrôler l’activité de ces associations philanthropiques.   Jusqu’au début des années 1920, les quelques sociétés musulmanes de bienfaisance qui existaient, s’intéressaient peu à la politique et vivaient à l’écart de l’action nationaliste35. L’État qui les subventionnait par le biais de ses diverses institutions, avait sur elles un moyen de pression très considérable.   Le 27 février 1926, “La Tunisie Française”, journal représentant le point de vue des colons, lança le premier cri d’alarme. Dans un article intitulé “Destour et bienfaisance”,  on dénonça les pratiques des dirigeants de la société de Tunis qui consistaient à faire participer aux élections du nouveau bureau, des éléments “ayant des sentiments destouriens”.    L’attention de l’opinion et des autorités est attirée :    “sur les inconvénients que présente pour les malheureux cette immixtion de la politique dans la bienfaisance. Lorsqu’il y a quelque temps, la société a fait circuler des listes de souscription, tous les Français ont versé leur obole.”36   Quelques jours plus tard, ce fut au tour du Contrôleur Civil de Bizerte d’alerter le Résident Général, Lucien Saint, sur le rôle joué par les Destouriens dans le renouvellement du bureau de la société de la ville de Ferryville.   Ce parti aurait :    “accaparé toute la direction et a chassé les anciens membres de sorte que cette institution charitable servira d’instrument de propagande anti-française et permettra sous le pavillon de la bienfaisance, d’organiser des réunions qui auront un caractère politique et qui pourront sévir en coupant les vivres à ce groupement, comme on l’avait fait avec celui de Mateur et muter les deux responsables de cette   “intrigue”37   Dans les années 1930 et avec les progrès de l’action nationaliste, les “dérapages” et les “préoccupations politiques” des dirigeants de ces groupements reviennent assez fréquemment dans la correspondance administrative et de police. Parmi  les sociétés les plus mutines, il y avait celles de Béja et de Bizerte.   La société de bienfaisance de Béja souffrait, au début des années 1930, d’un manque de vitalité. Les Destouriens décidèrent de s’en emparer à l’occasion du renouvellement de son bureau directeur, en juin 1934. Ils appuyèrent la liste proche des milieux nationalistes38. La présidence fut confiée au docteur Mohamed Laraabi “candidat appuyé par le Destour au Grand Conseil”. Le Contrôleur Civil déplore que :“les Béjaois se sont curieusement abstenus d’assister à la réunion”,  et se propose de reprendre les choses en main avec “l’appui des personnalités musulmanes loyalistes.”39   La société bizertine, animée par des Destouriens, était soumise à une surveillance étroite. En octobre 1934, le président de l’association Mohamed Salah Dridi (notaire et directeur d’une école coranique) est accusé d’avoir pris part, le 22 septembre de la même année, à la manifestation destourienne (il aurait refusé d’ouvrir son étude). Le Contrôleur Civil proposa aux autorités  une sanction exemplaire : l’obliger à choisir entre les deux fonctions et lui infliger une suspension d’un mois. On apprend aussi que le vice président n’était autre que le docteur Habib Thameur, président de la section destourienne locale, exilé dans l’extrême sud du pays !   Pour mettre fin aux agissements de ce comité, on proposa à Peyrouton, le Résident Général :    “de suspendre jusqu’à nouvel ordre le paiement de la subvention que le Gouvernement alloue à la société, qui constitue sa principale source.”40   En juillet 1936, l’affaire de cette société réapparaît dans la correspondance du Contrôleur Civil. Il s’en plaint en ces termes :   “ ses principaux membres sont d’anciens destouriens qui ont repris leur activité, entre autre Mohamed Habib Bougatfa, qui fut interdit dans le sud, et Guesmi, expulsé en Algérie ainsi que Tijani Bougatfa, frère du premier”.   Tous sont accusés de se servir “des moyens et des fonds de la société de bienfaisance pour accroître leur influence dans les milieux tunisiens”.41   Il est clair que les nationalistes cherchèrent à tirer profit de ces associations pour encadrer les bénéficiaires de leurs actions philanthropiques et pour étendre leur influence sur toutes les organisations et groupements musulmans. Ils profitèrent de la nouvelle législation pour pousser à la formation du plus grand nombre d’associations qui deviendraient des antennes nationalistes42.   Au cours de l’automne 1936, une large part de l’action nationaliste (surtout du Néo-Destour) était consacrée à la création et à l’organisation de groupements et de sociétés locales sous ses auspices, afin, écrit le chef nationaliste Tahar Sfar,“de grouper le peuple entier sous son étendard”.   Le 17 septembre 1936, Salah Ben Youssef, Secrétaire Général Adjoint du Néo-Destour, chargé de la propagande, écrivait ceci :   “Il importe que toutes les organisations qui sont créées à Tunis et plus particulièrement à l’intérieur de la Régence soient mises en contact avec les sections de notre parti. Des facilités leur seront accordées toutes les fois qu’il s’agira de donner des manifestations politiques et religieuses plus d’ampleur et de portée. Il faut que toutes les associations soient intégrées dans notre parti et que celui-ci devienne peu à peu le parti de toute la nation et l’émanation de ses désirs et de ses volontés”43   Au terme de ce modeste travail sur les sociétés musulmanes de bienfaisance, on peut dire que les années 1930 constituèrent un tournant décisif dans l’histoire de la Tunisie contemporaine. Outre les bouleversements économiques, sociaux, politiques et culturels, cette période a été marquée par l’apparition de nouvelles formes de solidarité suite  :   à l’irruption de la modernité   au développement de l’économie capitaliste   à la poussée démographique   à l’urbanisation accélérée   à la conscientisation et à la politisation de l’opinion publique, etc.   Tout ceci a accéléré la rupture avec le passé, c’est-à-dire avec les diverses formes de solidarités patriarcale et communautaire. Désormais la solidarité allait changer de forme avec l’émergence d’une société civile, la constitution de partis politiques, de syndicats et d’associations diverses dont celles chargées de la charité.   Ces groupements cherchèrent, par une intervention multiforme, à reconstituer un tissu social en lambeaux. Les dirigeants de ces sociétés, à l’instar de leurs homologues français et israélites, voulaient montrer leur capacité à faire face aux retombées de la crise mondiale, en apportant à leurs coreligionnaires une aide matérielle et morale tout en forgeant leur conscience d’appartenance à un groupe distinct des autres.   L’élite tunisienne se sentait en quelque sorte responsable, du fait d’une sensibilité accrue à l’inégalité et à la misère. Elle se considérait comme investie d’une mission, d’un devoir envers les plus démunis. Ce devoir social allait désormais s’inscrire dans un cadre plus général, celui de l’émancipation de la société de la domination étrangère.   Notes de base de page numériques: 1 – ISHMN. (Institut Supérieur de l’Histoire du Mouvement National), Fonds de la Résidence, carton 1723, dossier 1, bob. 110. Note sur “les associations indigènes de Tunisie” adressée au chef de la Section d’Etat du Secrétariat Général du Gouvernement tunisien en date du 28/11/1936 2 – Pour plus de détails voir Archives Nationales de Tunisie, série E, carton 509, dossier 1/2, pièce 146. 3 – Cf. Ibid., pièce 3. Note au Directeur de la Sûreté Publique au Secrétaire Général du Gouvernement, en date du 6/1/1938. 4 – Voir à ce propos Ibid. et ISHMN., Fonds de la Résidence, carton 1723, dossier 1, bob., 110. Note sur “Les associations…” 5 – Cf. Mustapha Kraïem, Le mouvement social en Tunisie dans les années trente, Tunis. Voir aussi du même auteur, Le mouvement associatif en Tunisie dans les années trente, Revue tunisienne des Sciences Sociales, Tunis, 1988. 6 – La population des bidonvilles de Tunis (Mellasine, Jebel Lahmar, Jebel Jelloud, La Manouba, La Marsa, etc.) était hétéroclite. Elle était formée de paysans, de nomades, de petits artisans ruinés ayant quité la Médina, etc. 7 – Cf. M. Kraïem, Le mouvement…, voir aussi le travail de Ridha El Ghoul, Les sociétés de bienfaisance en Tunisie avant l’indépendance. Les structures et les sociétés de bienfaisance en Tunisie avant l’indépendance. Les structures et les fonctions, Certificat d’aptitude à la recherche (département de sociologie), Faculté des sciences Humaines et Sociales de Tunis, 1993, (en arabe). 8 – Archives Nationales, série E, carton 509, dossier 1/2, pièce 66. (6/6/1933) 9 – Ibid., dossier 80, pièces 111 (22/12/1919) et 119 (1/6/1929) 10 – Ibid., dossier 51, pièces 65 (22/10/1936) et 69 (20/1/1937) 11 -Idem, carton 545, dossier 1, pièce 31. Voir aussi carton 544, pièce 41. En 1936, la population de la Régence comptait 2 335 623 Musulmans, 59 485 Israélites et 108 068 Français. Il est clair que la répartition des subventions et des aides ne correspondait en rien au nombre de personnes à secourir et que les Français et les Israélites étaient avantagés par les autorités coloniales. 12 – Idem., carton 545, dossier 1, pièce 37 (12/2/1938). Rapport du docteur Le Faucher, médecin-inspecteur. 13 – Le 13 octobre 1924, la société musulmane de bienfaisance du Kef, organisa une grande soirée artistique, précédée de manifestions sportives dont “le produit a dépassé toutes les prévisions”. Les recettes s’élevèrent à plus de 5 000 francs. Voir à ce sujet ISHMN., Fonds de la Résidence, carton 2224 (I), dossier 3, bob. 463. 14 – Archives Nationales, série E, carton 509, dossier 80, pièce 132. Note du 11/2/1937. 15 – Ibid., pièce 182, Lettre du 29/7/1939. 16 – Idem, pièce 189 (20/12/1939) 17 – Idem., pièce 137, lettre au Secrétaire Général du Gouvernement (2/8/1937) 18 -Idem, dossier 49, pièce 13 (12/12/1930). En 1937, la société de M’saken, alors en formation, prévoyait dans ses statuts (art.3), l’utilisation du produit “des biens habous à son profit”. Cf. Ibid., dossier, pièce 37. Note pour le Secrétaire Général du Gouvernement (18/12/1938). 19 – Ibid., carton 509, dossier 80, pièce 131. Lettre anonyme adressée au Résident Général du Gouvernement (18/12/1938). 20 – Idem., dossier 127, pièce 42. Le Délégué à la Résidence Générale au Contrôler Civil de Béja (18/7/1934) 21 – L’article III des statuts de la socitété musulmane de bienfaisance de Sfax (datant de 1913), précise que le “but de la société est de venir en aide aux musulmans pauvres et d’améliorer leur état matériellement et moralement dans la mesure de ses moyens financiers.” Cf., Ibid., dossier 49, pièce 26. 22 – Idem., dossier 79, pièce 13. Note du 25/11/1921 23 – Idem., dossier 80, pièce 121 (novembre 1931) 24 – Idem., pièce 122 (9/11/1931) 25 – Ibid., dossier 1, pièce 28,. Rapport du docteur Dupoux (1937) 26 – Idem 27 – Idem. En 1937, la société de Sousse subventionnait les soupes populaires à hauteur de 12 000 francs. Celle de Sfax servait 250 repas sur place et 125 à emporter. Ibid., carton 545, dossier 1, pièce 37. rapport du docteur Le Faucher (12/2/1938) 28 – ISHMN., Fonds de la Résidence, carton 2224 (I), dossier 3, bob., 463. Extraits de la “Dépêche Tunisienne” du 21/3/1925. 29 – Archives Nationales, série E, carton 545, dossier 1, pièce 28. Rapport du docteur Dupoux (1937). 30 – ISHMN., Ibid. En 1937, la société de Bizerte consacrait la somme de 21 500 francs à l’entretien de 100 élèves pauvres. Ils fréquentaient des écoles coraniques, des collèges ou des écoles professionnelles. Cf. Archives Nationales, Ibid. dossier 1, pièce 37. Rapport du docteur Le Faucher (12/2/1938). En 1937, le médecin inspecteur Dupoux, recommanda dans son rapport annuel, la réduction des frais généraux de la société de Tunis “qui, en ce qui concerne le personnel enseignant, ne peut entrer dans le cadre d’une oeuvre charitable. Au moment où les musulmans miséreux sont légion, la société de bienfaisance musulmane a mieux à faire que d’employer la moitié de son budget à une oeuvre qui doit normalement revenir à la Direction de l’enseignement.” Déjà en 1926, un rapport dénonçait cette société qui “consacre la plus grande partie de ses ressources au fonctionnement d’une école qui ne comprend pas moins de 350 élèves et comporte un personnel de 8 maîtres dont 6 d’arabes et 2 de français. Cf. ISHMN., Fonds de la Résidence, carton 1886, dossier 4, fol. 1054 (6/1/1926) 31 – Archives Nationales, Ibid., dossier 49, pièce 3. Le caïd de Sfax au premier Ministre (4/9/1912) 32 – Ibid., pièce 18. Le Contrôleur Civil de Sfax au Résident Général (30/1/1932) 33 – Idem, voir pièce 31. Note à M. le Délégué à l’Administration tunisienne (25/12/1935) 34 – Ibid., dossier 1/2, pièce 8. Le Secrétaire Général du Gouvernement au Directeur de l’Intérieur (8/8/1934). Voir aussi la pièce 9. Réponse du Directeur Général de l’Intérieur (25/8/1934). 35 – En octobre 1912, le caid de Bizerte fait part à ses supérieurs de la déception des dirigeants de la société de bienfaisance de la ville après la paix italo-turque. Ces dirigeants “répandaient le bruit que cette paix aurait été imposée à la Turquie par les Puissances et surtout par la France.” Cf. Ibid., dossier 51, pièce 19 (29/10/1912) 36 – ISHMN., Cf. carton 2224 (I), dossier 3, bob. 463. Extraits de la “Dépêche Tunisienne” du 27/2/1926. 37 – Ibid., le Contrôleur Civil au Résident Général (2/6/1934) 38 – Cette réunion se tint le 1er juin 1934 à la zaouia Baba Ali, en présence de 60 personnes dont plusieurs “sont des Destouriens.” Cf. à ce propos Archives Nationales, série E, carton 509, dossier 127, pièce 8. Rapport du commissaire de police Romani (2/6/1934) 39 – Ibid., pièce 7. Le Contrôleur Civil au Résident Général. (2/6/1934). En 1936, on apprend que Mohamed Laraabi a été écarté de la présidence suite à sa nomination en tant que médecin contractuel dans la ville de Mahrès. Cf. à ce sujet, Ibid., pièce 20. Du même au même (8/1/1936). 40 – Idem, dossier 51, pièce 20 (18/10/1934). Voir aussi pièce 23 (25/1/1935). 41 – Idem, pièce 60. Correspondance adressée au Résident Général par le Contrôleur Civil (16/7/1936). 42 – Déjà à la fin de 1935, un rapport sur les associations indigènes soulignait que la plupart d’entres elles étaient destouriennes ou néo-destouriennes et “l’on peut ajouter, écrit l’auteur du rapport, que tout indigène hostile ou simplement indifférent au mouvement nationaliste aurait une situation assez difficile à l’intérieur de ces groupements.  /  “Sur ce plan comme sur beaucoup d’autres, le nationalisme tunisien sous des formes diverses (Destour et Néo-Destour) tend à réaliser un bloc compact de l’unanimité des volontés indigènes”. Cf. ISHMN., Fonds de la Résidence, carton 2476, bob.656. Rapport sur les associations indigènes adressé à M. Saumagne, chef de la Section d’Etat (24/11/1935) 43 – Ibid.   (Source : Cahiers de la Méditerranée, Volume 66, le 21 juillet 2005) URL: http://revel.unice.fr/cmedi/document.html?id=11   (*) Publiés par le Centre de la Méditerranée Moderne et Contemporaine (CMMC), équipe de recherche de l’Université de Nice-Sophia Antipolis et fondés par le Professeur André Nouschi, les Cahiers de la méditerranée paraissent depuis 1968 avec le concours de l’Université de Nice Sophia-Antipolis et du Conseil régional Provence-Alpes-Côte d’Azur. Dans une approche résolument comparatiste et attentive aux derniers acquis de la recherche sur les sociétés, la revue édite des numéros thématiques, à raison de deux parutions annuelles.

 


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