Cas TUN 061207
Allégations de torture/ Condamnations/ Procès inique/ Conditions de détention assimilables à une forme de traitement cruel, inhumain ou dégradant/ Crainte pour la sécurité/ Impunité
Le Secrétariat international de l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT) requiert votre intervention dans la situation suivante en Tunisie.
Brève description des faits
Le Secrétariat international de l’OMCT a été informé par le Conseil National pour les Libertés en Tunisie (CNLT), organisation membre du réseau SOS-Torture de l’OMCT, de la condamnation suite à un procès entaché d’irrégularités, le 26 novembre 2007, de neuf tunisiens, déférés devant la 4e chambre criminelle du Tribunal de 1ère instance de Tunis en vertu des articles 12[1], 13[2], 15[3], 17[4], 18[5], 19[6] de la loi anti-terroriste du 10 décembre 2003[7], à des peines allant de six à douze ans d’emprisonnement, dans l’affaire 4/11432. Leurs déclarations auraient été extorquées sous la torture et les mauvais traitements.
Selon les informations reçues, MM. Zyed Fakraoui (23 ans), Ghaith Mekki (28 ans), Nizar Hasni (24 ans), Bilel Marzouki (25 ans), Wajdi Marzouki (25 ans), Azzedin Abdellaoui (30 ans), ont été condamnés à 12 ans d’emprisonnement et MM. Mounir Chraïet (26 ans), Tahar Bouzidi (25 ans) et Chouaïeb Jamni (23 ans) ont été condamnés à six ans de prison ferme. Ils ont tous fait appel du jugement.
Selon les informations reçues, ces neuf individus ont été arrêtés en avril 2005. Ils auraient déclaré avoir attendu depuis deux ans et sept mois ce moment pour s’exprimer devant la Cour et lui exposer les sévices dont ils auraient été l’objet dans les locaux du ministère de l’Intérieur et comment le juge d’instruction les aurait interrogé en « urgence » il y a deux ans à une heure tardive de la nuit (entre 21 h et 23h) et sans la présence de leurs avocats. Selon les mêmes informations reçues, le juge d’instruction les avait menacé de les renvoyer à leurs tortionnaires s’ils revenaient sur leurs déclarations signées devant la police, qu’ils n’avaient même pas lus.
Lors de l’audience du 24 novembre 2007, le Président de la Cour, M. Mehrez Hammami, aurait systématiquement refusé d’entendre les déclarations des accusés se rapportant à la torture. Il aurait également rejeté les requêtes préalables des avocats qui se rapportaient à l’usage de la torture, en exigeant que les avocats ne s’attachent qu’au fond de l’affaire et de passer outre les aveux extorqués sous la torture. La défense se serait alors retirée en signe de protestation lorsque le Président a retiré la parole à Maître Nasraoui qui insistait pour poser une question relative aux actes de torture.
Actuellement, ils seraient détenus à la nouvelle prison civile de Mornaguia, à l’exception de M. Zyed Fakraoui, détenu à la prison de Borj el amri, et M. Bibel Marzouki, détenu à la prison de Mahdia. Ces jeunes seraient soumis au régime cellulaire de l’isolement et leur droit à la promenade serait restreint. Par ailleurs, ils seraient très souvent battus et souvent interdits de visite. M. Bibel Marzouki aurait porté plainte pour violences graves contre le directeur de la prison de Mahdia et M. Zyed Fakraoui aurait fait une grève de la faim de 60 jours.
Selon les mêmes informations, une affaire similaire aurait été observée. En effet, le 17 novembre 2007, la même chambre présidée par le même juge a condamné un autre groupe de jeunes poursuivis en vertu des articles 12, 13, 15, 17, 18 et 19 de la loi anti-terroriste du 10 décembre 2003[8] dans l’affaire 11089/4. MM. Okba Nari (26 ans), Tarek Hammami (31 ans), Mohamed Zoubaier Karoui (24 ans), Aymen Ghrib ( 24 ans), Mimoun Alloucha (27 ans), Lamjed Homri (24 ans), Sabri Mejri (24 ans), Zied Benjeddou (23 ans), Mohamed Abbachi (26 ans), Meher Chemmam (24 ans) ont été condamnés à 15 ans de prison ferme. MM. Anis Krifi (27 ans), Karim Mahdaoui (23 ans), Abdelbari Ayeb (28 ans), Hichem Mennai (22 ans), Mahjoub Zeyani (26 ans), Nader Ferchichi (27 ans), Ali Saidi (27 ans), Hasni Nasri (33 ans), Abdelhamid Aroua (29 ans), Taoufik Kadri (24 ans), Tarek Boukhili (28 ans) ont été condamnés à cinq ans de prison ferme. MM. Helmi Boughanmi (24 ans), Lamjed Korghli (26 ans), Chekib Omri (32 ans), Saber Mekkaoui (24 ans), Mohamed Omri (43 ans) ont été condamnés à trois ans de prison ferme. Ils auraient tous fait appel du jugement. Actuellement, ils seraient détenus à la prison civile de Mornaguia.
Selon les informations, lors de l’audience, le Président de la Cour aurait également refusé de consigner les déclarations faites par les accusés concernant les actes de torture dont ils auraient fait l’objet ainsi que de soumettre les accusés à un examen médical. Afin de fonder son jugement, la Cour se serait exclusivement appuyée sur les déclarations enregistrées dans les procès verbaux établis par des agents de la sûreté de l’Etat agissant en tant que police judiciaire, déclarations qui auraient été extorquées sous la torture en mai et juin 2005. Par ailleurs, l’instruction judiciaire aurait également été menée à une heure tardive, sans la présence des avocats des accusés. De même, la défense aurait été privée de parole et n’aurait pu présenté ses moyens de défense. Elle aurait été contrainte de se retirer de l’audience.
Le Secrétariat international de l’OMCT exprime sa plus vive inquiétude quant à ces condamnations qui semblent avoir été prononcées sur la base de déclarations extorquées sous la torture. L’OMCT rappelle que la Tunisie est partie à la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ainsi qu’au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) qui prohibent la torture et les mauvais traitements. En lien avec leurs obligations sous ces traités, les autorités tunisiennes doivent veiller à ce que les autorités compétentes procèdent immédiatement à une enquête impartiale chaque fois qu’il y a des motifs raisonnables de croire qu’un acte de torture a été commis sur tout territoire sous sa juridiction. Par ailleurs, l’article 15 de ladite Convention stipule que «tout Etat partie veille à ce que toute déclaration dont il est établi qu’elle a été obtenue par la torture ne puisse être invoquée comme un élément de preuve dans une procédure, si ce n’est contre la personne accusée de torture pour établir qu’une déclaration a été faite». L’OMCT rappelle également les autorités judiciaires à se conformer à tous les principes internationaux reconnus en matière de procès équitable et de garantir en toutes circonstances la liberté de leurs ressortissants, en se conformant à l’article 9.1 du PIDCP qui stipule que « nul ne peut faire l’objet d’une arrestation ou d’une détention arbitraire ». L’OMCT est également vivement préoccupée par les conditions de détention de ces individus. L’OMCT prie les autorités tunisiennes de garantir en toutes circonstances leur intégrité physique et psychologique, en se conformant à l’article 10.1 du PIDCP qui dit que « toute personne privée de sa liberté est traitée avec humanité et avec le respect de la dignité inhérente à la personne humaine » et à l’Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus.
Actions requises
Merci d’écrire aux autorités de la Tunisie, afin de leur demander de:
i. Garantir, en toutes circonstances, la sécurité et l’intégrité physique et psychologique de tous les individus mentionnés ci-dessus, mettant à leur disposition des soins médicaux appropriés si nécessaire;
ii. Garantir l’accès inconditionnel à leurs avocats et à leur famille;
iii. Annuler toutes les procédures basées sur des aveux obtenus sous la torture et ordonner la libération des personnes concernées;
iv. Garantir réparation adéquate;
v. Garantir une enquête exhaustive, indépendante et impartiale sur ces évènements, en particulier sur les allégations de torture et mauvais traitements, et ce afin d’identifier les responsables, de les traduire devant un tribunal civil indépendant, compétent et impartial et d’appliquer les sanctions pénales, civiles et/ou administratives prévues par la loi;
vi. Garantir le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales à travers le pays selon les lois nationales et les instruments internationaux des droits de l’homme.
Adresses
· M. Zine el-Abidine Ben Ali, Président de la République, Palais de Carthage, 2016 Carthage, Tunisie, Fax: +216 71 744 721 ou +216 71 731 009
· M. Mohamed Ghannouchi, Premier Ministre, Secrétariat Général du Gouvernement, Rue de la Kasbah, 1008 Tunis, Tunisie, Fax: +216 71 562 378
· M. Rafik Belhaj Kacem, Ministère de l’Intérieur et du Développement local, Avenue Habib Bourguiba, 1001 Tunis, Tunisie, Fax: ++ 216 71 340 888; Email : mint@ministeres.tn
· M. Kamel Morjane, Ministère de la Défense Nationale, Avenue Bab Mnara, La Kasbah, 1008 Tunis, Tunisie, Fax: +216 71 561 804
· M. Bechir Tekkari, Ministère de la Justice et des Droits de l’homme, 57, Boulevard Bab Benat, 1006 Tunis, Tunisie, Fax : +216 71 568 106 ; Email : mju@ministeres.tn
· Ambassadeur, S.E M. Samir Labidi, Mission permanente de la Tunisie auprès de l’Office des Nations Unies à Genève, 58 Rue Moillebeau, Case postale 272, 1211 Genève 19, Suisse, Fax : +41 22 734 06 63 ; Email : mission.tunisia@ties.itu.int
· Ambassadeur M. Mehrez Benrhouma, Ambassade de la Tunisie à Bruxelles, 278 avenue de Tervueren, 1150 Woluwe-Saint-Pierre, Belgique, Fax : + 32 2 771 94 33; Email : amb.detenusie@brutele.be
Prière d’écrire également aux représentations diplomatiques de la Tunisie dans vos pays respectifs
***
Genève, le 6 décembre 2007
Veuillez nous informer de toute action entreprise en citant le code de cet appel dans votre réponse.
[1] Art. 12 de la loi 75/2003 du 10 décembre 2003: «Est puni de 5 à 12 ans d’emprisonnement et d’une amende de 5000 à 20 000 dinars quiconque, par tous moyens, appelle à commettre des infractions terroristes ou à adhérer à une organisation ou une entente en rapport avec des infractions terroristes, ou use d’un nom, d’un terme, d’un symbole ou de tout autre signe dans le but de faire l’apologie d’une organisation terroriste de l’un de ses membres ou de ses activités ».
[2] Art. 13 de la loi 75/2003 du 10 décembre 2003: «Est puni de 5 à 12 ans d’emprisonnement et d’une amende de 5000 à 50 000 dinars quiconque adhère sur le territoire de la République, à quelque titre que ce soit, à une Organisation ou entente, quelle que soit la forme ou le nombre de ses membres, qui a fait, même fortuitement ou à titre ponctuel, du terrorisme un moyen d’action pour la réalisation de ses objectifs ou reçoit un entraînement militaire sur le territoire tunisien en vue de commettre une infraction terroriste sur le territoire ou hors du territoire de la République; tout tunisien qui adhère, à quelque titre que ce soit, hors du territoire de la République, à une telle organisation ou entente ou reçoit un entraînement militaire hors du territoire de la République pour commettre une infraction terroriste sur le territoire ou hors du territoire de la République ».
[3] Art. 15 de la loi 75/2003 du 10 décembre 2003: «Est puni de 5 à 12 ans d’emprisonnement et d’une amende de 5000 à 12 000 dinars, quiconque utilise le territoire de la République pour commettre une des infractions terroristes contre un autre Etat ou ses citoyens ou pour y effectuer des actes préparatoires ».
[4] Art. 17 de la loi 75/2003 du 10 décembre 2003: «Est puni de 5 à 20 ans d’emprisonnement et d’une amende de 5000 à 50 000 dinars quiconque met des compétences ou expertises au service d’une organisation, entente ou personnes en rapport avec des infractions terroristes, leur divulgue ou fournit, directement ou indirectement, des informations en vue de les aider à commettre une infraction terroriste ».
[5] Art. 18 de la loi 75/2003 du 10 décembre 2003: «Est puni de 5 à 12 ans d’emprisonnement et d’une amende de 5000 à 20 000 dinars quiconque procure un lieu de réunion aux membres d’une organisation , entente ou personnes en rapport avec des infractions terroristes, aide à les loger ou les cacher ou favoriser leur fuite, ou leur procurer refuge, ou assurer leur impunité ou bénéficier du produit de leurs méfaits ».
[6] Art. 19 de la loi 75/2003 du 10 décembre 2003: «Est puni de 5 à 12 ans d’emprisonnement et d’une amende de 5000 à 50 000 dinars quiconque fournit ou collecte, par quelque moyen que ce soit, directement ou indirectement, des biens dont il connaît qu’ils sont destinés à financer des personnes, organisations ou activités en rapport avec des infractions terroristes, et ce indépendamment de l’origine licite ou illicite des biens fournis ou collectés ».
[7] Loi relative au soutien des efforts internationaux de lutte contre le terrorisme et à la répression du blanchiment d’argent.
[8] Voir ci-dessus Affaire 4/11432.
Un ancien de Guantanamo en butte à des brimades à la prison de Mornaguia
Monsieur Abdallah Hajji, prisonnier politique actuellement incarcéré à la prison de Mornaguia est en butte à des brimades graves infligées par l’administration de la prison précitée. Il a été mis dans une cellule exiguë en compagnie de prisonniers de droit commun qui l’agressent verbalement sur incitation de l’administration et le harcèlent en le jetant de son lit pendant son sommeil, ce qui a entraîné chez lui une insomnie chronique et une tension nerveuse permanente. Monsieur Abdallah Hajji a passé cinq années à Guantanamo puis les autorités américaines l’ont livré à leurs homologues tunisiennes qui l’ont condamné à sept ans d’emprisonnement. Liberté et Équité […] Pour le bureau exécutif de l’organisation Maître Mohammed Nouri (traduction d’extraits ni revue ni corrigée par les auteurs de la version en arabe, LT)
Agression de Mouldi Zouabi
Monsieur Mouldi Zouabi, membre du comité central du Parti démocratique progressiste a été sauvagement agressé par le chef de la brigade de l’orientation de Bousalem dans le gouvernorat de Jendouba, le dénommé Omar Labidi, et par ses adjoints Lotfi Kouki et Chaabane Azizi. Il en est résulté une fracture de la huitième côte du coté droit. Après avoir été examiné par une femme médecin des urgences de la clinique publique de Bousalem, cette dernière l’a adressé immédiatement à un médecin spécialisé en chirurgie osseuse qui lui a prescrit un repos de vingt jours. Il a porté plainte auprès du Procureur de la République de Jendouba contre ses agresseurs, agents de la police politique. Cette agression est survenue après que monsieur Mouldi Zouabi, correspondant de la chaîne tunisienne Elhiwar et représentant du journal El Maoukif à Jendouba ait photographié un incendie qui s’était déclaré dans le marché aux fripes de Bousalem hier à onze heures et demie. Les agents de la police politique l’ont délesté de son appareil photo numérique et l’ont roué de coups devant quelque deux cent personnes qui étaient présentes lors de l’incendie. Monsieur Mouldi Zouabi avait refusé de répondre aux questions du chef de la brigade de l’orientation lors de la rédaction du procès verbal considérant que la procédure d’arrestation et son interrogatoire étaient entachés de nullité et il n’a pas signé ce procès verbal. Liberté et Equité […] Pour le bureau exécutif de l’organisation Maître Mohammed Nouri (traduction d’extraits ni revue ni corrigée par les auteurs de la version en arabe, LT)
Nous avons reçu de monsieur Hamouda Larari (de Ksar Gafsa) la lettre qui suit :
Gafsa? le 20 novembre 2007 Sous couvert du bureau du droit de l’homme et des libertés de la fédération de Gafsa du Parti Démocratique progressiste A l’attention de Maître Mohammed Nouri, président de l’association Liberté et Equité, à messieurs les membres du bureau exécutif de l’organisation Salutations Je soussigné Hamouda Ben Brahim Ben Brahim Larari, détenteur de la carte nationale d’identité n°06201274 délivrée le 18.12.2001, né le 3 février 1987, demeurant à la cité Omar Ben Slimane, délégation de Ksar dans le gouvernorat de Gafsa, vous demande d’intervenir en ma faveur. Je suis en butte à des brimades et des agissements illégaux allant jusqu’à la violence physique et verbale perpétrées par des agents de la brigade des services spéciaux du district de la Sûreté nationale de Gafsa. Il s’agit des dénommés Rachid Aloui et Marouane Henchiri et j’ai porté plainte contre eux auprès du Procureur de la République près le tribunal de première instance de Gafsa le 19.11.2007 (jointe à ma requête). Ce que je subis de violations de mes droits minimums et de dépassements de leurs prérogatives pourrait se résumer à ceci : je suis assigné à résidence à mon domicile, il m’est interdit de me déplacer, à l’intérieur comme à l’extérieur du gouvernorat. On m’empêche de travailler, à cause d’interventions et de pressions sur mes employeurs. Je suis pourchassé partout où je me rends, mon logement est investi et fouillé sans mandat judiciaire ; je suis constamment convoqué au siège de la brigade des services spéciaux sans convocation officielle : je suis soumis au chantage « collaboration » avec eux ou intensification des pressions à mon encontre. Tout cela parce que je connais des amis de mon quartier qui ont été condamnés en vertu de la loi inconstitutionnelle sur le terrorisme Madame, monsieur Je souhaite que vous interveniez auprès du ministre de l’Intérieur et du ministre de la Justice et à toute instance autre qui puisse mettre un terme à ces dépassements, qu’il s’agisse de structures officielles ou indépendantes (société civile) car mon état psycho-social menace de sombrer. Madame, monsieur Dans l’attente de votre intervention, recevez l’expression de mon respect et de ma considération Signature Hamouda Larari Pour le bureau exécutif de l’organisation Monsieur Zouhaîer Makhlouf (traduction ni revue ni corrigée par les auteurs de la version en arabe, LT)
Après sa grève de la faim, Zyed Fakraoui a été transféré dans une autre prison, puni et interdit de visites
La corruption gangrène parlements et partis, police et tribunaux
Reportage
A Grenoble, « Gitans » et « Maghrébins » s’affrontent pour le marché de la drogue
Sophie Landrin et Richard Schittly
LYON CORRESPONDANTS
Un mois après le dernier, et cinquième, règlement de comptes de la guerre des gangs de Grenoble, qui a fait huit morts depuis janvier, les policiers ont opéré leur premier coup de filet. Quatre hommes ont été arrêtés, mardi 4 décembre, par la brigade de recherche et d’intervention (BRI) de Lyon, à Saint-Alban-Leysse dans le hall d’un immeuble de la banlieue de Chambéry (Savoie). Ils y disposaient d’un appartement qui leur servait de planque. Une information judiciaire a été ouverte pour « assassinats » et ils devaient être présentés, jeudi, à un juge d’instruction.
Depuis plus d’un mois, ces hommes auraient vécu de cache en cache, dans la crainte d’un guet-apens d’une bande rivale. Les enquêteurs, qui disposaient de traces génétiques, soupçonnent au moins deux d’entre eux d’avoir participé au meurtre d’Ali Kadraoui, 38 ans, abattu le 28 avril après avoir été attiré sur une route de montagne à Champagnier (Isère). Les policiers ont trouvé plusieurs trousseaux de clés dans l’appartement et continuent leurs investigations à la recherche d’armes.
Selon eux, les quatre hommes feraient partie du clan Morival. Leur chef, Christophe Morival, 35 ans, et son neveu ont été abattus le 31 octobre au coeur du quartier sensible de la Villeneuve à Grenoble, par trois hommes déguisés en policiers. Les policiers grenoblois s’apprêtaient alors à arrêter Christophe Morival, considéré comme le chef de gang du quartier Villeneuve, pour tenter de mettre un terme à la guerre qui oppose depuis le début des années 2000 deux clans, celui de Morival dit des « Gitans » et celui des « Maghrébins », pour le contrôle du marché des stupéfiants à Grenoble et dans les stations des sports d’hiver. Cette fois, les policiers ont arrêté le bras droit de Morival, Ahmed Belabbes, espérant ainsi mettre un coup de frein à la spirale des représailles.
Pour les spécialistes du dossier, si certains protagonistes peuvent être identifiés aux quartiers de Villeneuve et de Fontaine, les bandes sont trop cosmopolites pour évoquer une rivalité communautaire comme dans certaines banlieues parisiennes. « On assiste à une guerre entre deux semi-grossistes pour écouler une drogue qui se vend de moins en moins cher. Les deux bandes se disputent les marchés et les territoires », explique un enquêteur.
La spécificité des gangs grenoblois réside dans leur extrême violence. En guise d’explication, les policiers évoquent « une culture » du grand banditisme apparue à Grenoble dans l’après-guerre. Dès cette époque la ville comptait ses clans, celui des « Corses » et celui des « Italiens » qui se sont affrontés jusqu’en 1975. Plus nombreux, les Italiens sont parvenus à prendre le contrôle des bars, de la prostitution, des rackets, étendant leur territoire jusqu’à la Côte d’Azur. Mais, très vite, leur fief grenoblois a été contesté par une nouvelle bande rivale, celle des « Gitans sédentaires » issus du quartier de l’Abbaye, spécialistes des braquages de banques et de bijouteries. Une nouvelle guerre s’est alors ouverte entre Italiens grenoblois et Gitans : vingt-cinq ans de règlements de comptes sur fond de prostitution, machines à sous dans les bars et drogue. A la fin des années 1990, les Italo-Grenoblois ont été relégués sur la Côte d’Azur. Les Gitans ont imposé leur loi, temporairement, car le marché de la drogue qu’ils s’étaient appropriés faisait des « envieux ». Une autre bande a surgi, celle des « Maghrébins ».
C’est cette dernière rivalité à laquelle font face les policiers aujourd’hui. Mais avec plus de difficulté : le grand banditisme des années 1970 a changé. Les parrains qui tenaient le milieu ont quitté Grenoble, remplacés par des « caïds » des cités. Des hommes prêts à tout, disent les policiers, y compris payer de leur vie pour tenir leur territoire. L’essentiel des revenus sert à acheter leur paix, payer tel gamin pour les informer, tel autre pour les protéger.
Les policiers sont soucieux d’éviter que se renouvelle le « fiasco » de janvier : cinq personnes avaient été traduites devant la cour d’assises, soupçonnées d’avoir participées au meurtre de Lassaad Lamiri, 27 ans, un trafiquant associé à Morival, abattu début 2003. Les policiers avaient pu remonter le réseau grâce au témoignage d’un gérant de snack. Les cinq accusés étaient ressortis libres, acquittés, faute de preuve. La guerre des gangs avait repris de plus belle.
(Source : « Le Monde » (Quotidien – France), le 7 décembre 2007)