TUNISNEWS
7 ème année, N° 2266 du 05.08.2006
L’ACAT-France : Tebourski – Qui la France méprise-t-elle le plus ?
AFP:Rejet du troisième recours contre l’expulsion d’Adel Tebourski
Libération: Un condamné expulsable en grève de la faim :Mobilisation des associations pour Adel Tebourski.
Omar Mestiri: APEM: Un instrument de blanchiment des parlements mal élus
Taoufik ben Brik: Tunis, La septième porte Réalités: L’enseignement tunisien malade
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Cliquez ici pour accéder au reportage exceptionnel de l’AISPP sur la catastrophe humanitaire des prisonniers politiques Tunisiens
Affaire TEBOURSKI : Qui la France méprise-t-elle le plus ?
Le droit, le comité onusien contre la torture ou les droits de l’homme ? Ou les trois ?
C’est avec une profonde consternation que l’ACAT-France et la Cimade ont pris acte de la « courageuse » décision du tribunal administratif de Paris autorisant l’expulsion de Monsieur TEBOURSKI, à destination de la Tunisie, où tout laisse à croire qu’il sera torturé dès son retour.
Lundi 7 août à 14h, M. Tebourski embarquera sur Le Carthage, à Marseille.
Enorme défaite. Celle du droit, celle de la morale, celle de l’humanité. Celle du droit. Nombreuses ont été les irrégularités dans ce dossier : la présentation au consul de Tunisie fixée avant que l’OFPRA n’eût statué sur la demande d’asile ; le viol de la confidentialité de la décision de celui-ci au profit des autorités tunisiennes ; le refus illégal de s’incliner devant la décision du comité onusien contre la torture. Celle de la morale. Comment un pays qui se prétend « terre des droits de l’homme » peut-il contourner la loi et laisser sciemment un homme partir vers ses bourreaux ? Comment ? La Tunisie est-elle si chère au cœur de notre ministère de l’Intérieur ? Est-ce pour préserver les villégiatures de nos hommes politiques ? Ou les intérêts économiques français ? Celle de l’humanité. M. Tebourski a été jugé et condamné par la justice française. Il a payé sa dette à l’égard de la société. Pourquoi, alors, vouloir le faire payer encore ? Pourquoi lui promettre le pire, alors qu’aucun élément tangible ne permettait d’affirmer qu’il représentait une menace pour notre pays ! Pourquoi quand les risques sont aussi évidents, l’OFPRA nie-t-il les craintes en cas retour ? L’ACAT-France et la Cimade tiennent à remercier Me Boëzec pour son désintéressement et sa profonde humanité. Nous remercions également les nombreux partenaires qui ont soutenu cette démarche, notamment Amnesty International et enfin les média qui ont relayé cette affaire, conscients de la nécessité de ne jamais transiger avec les droits les plus élémentaires pour un être humain. Ce dont l’Etat français, lui, ne se préoccupe pas… Malgré cette triste nouvelle, nous rappelons à tous ceux qui souhaiteraient l’oublier que nos associations : – s’attacheront à dénoncer les sévices que subira M. Tebourski – s’opposeront de manière systématique à l’expulsion d’une personne vers un pays où elle risque d’être torturée ou condamnée à mort. CONTACTS Lucile HUGON – Tél. : 01 40 40 74 08 / 06 84 37 67 92 – lucile.hugon@acat.asso.fr Sophie CROZET – Tél. : 01 40 40 02 10 / 06 84 81 53 64 – sophie.crozet@acat.asso.fr ACAT – Action des chrétiens pour l’abolition de la torture 7 rue Georges Lardennois, 75019 Paris www.acat.asso.fr´
Rejet du troisième recours contre l’expulsion d’Adel Tebourski
11:54 – PARIS (AFP) Le juge des référés du tribunal administratif de Paris a rejeté samedi le troisième recours contre l’expulsion vers la Tunisie d’Adel Tebourski, condamné en 2005 pour avoir aidé les assassins du commandant Massoud. Le tribunal administratif avait déjà rejeté fin juillet deux autres recours déposés contre l’arrêté d’expulsion pris le 21 juillet par le ministre de l’Intérieur Nicolas Sarkozy contre Adel Tebourski, 42 ans, placé actuellement en centre de rétention administrative à Mesnil-Amelot (Seine-et-Marne). « Le seul espoir » contre une expulsion réside désormais dans la Commission de recours des réfugiés, saisie par Adel Tebourski après le rejet de sa demande d’asile le 28 juillet par l’OFPRA (Office français de protection des réfugiés et apatrides), a déclaré Me Boëzec. Le défenseur de M. Tebourski ainsi que plusieurs organisations de défense des droits de l’Homme comme l’Acat (Association des chrétiens contre la torture), la Cimade (Service oecuménique d’entraide) ou Amnesty International, craignent qu’il ne soit soumis à des mauvais traitements s’il est renvoyé dans son pays. Condamné en mai 2005 par le tribunal correctionnel de Paris à six ans d’emprisonnement pour avoir aidé les assassins du commandant afghan Ahmed Shah Massoud, en septembre 2001, Adel Tebourski avait été arrêté en France en novembre 2001. Bénéficiant des remises de peine prévues par la loi, il a été libéré de prison à Nantes le 21 juillet. Dès sa sortie, Adel Tebourski a été déchu de sa nationalité française, obtenue en 2000, et visé par un arrêté d’expulsion. Au cours de l’audience vendredi devant le tribunal administratif, Me Boëzec a fait état d’un « ordre d’acheminement » vers la Tunisie par bateau, prévu lundi au départ de Marseille. L’avocate du ministère de l’Intérieur a répondu qu’il s’agissait d’une « réservation » en vue de « trouver un moyen de transport susceptible de reconduire Adel Tebourski en Tunisie ». Selon Me Boëzec, la saisine de la Commission de recours des réfugiés est « suspensive » et Adel Tebourski ne devrait pas être expulsé tant que celle-ci ne s’est pas prononcée. Adel Tebourski poursuivait samedi une grève de la faim, entamée le 28 juillet à Mesnil-Amelot, a précisé son avocat.
Un condamné expulsable en grève de la faim
Mobilisation des associations pour Adel Tebourski.
Par Christophe AYAD QUOTIDIEN : avec Adel Tebourski pourrait être expulsé dès lundi vers la Tunisie. Sous la menace d’un ordre d’expulsion «en urgence absolue» pris par le ministre de l’Intérieur, Adel Tebourski, 42 ans, qui est actuellement au centre de rétention du Mesnil-Amelot (Seine-et-Marne), a demandé vendredi au tribunal administratif de Paris de suspendre son expulsion. Le tribunal a mis sa décision en délibéré. Plus inquiétant, l’avocat de Tebourski, Me Franck Boëzec, a fait état d’un «ordre d’acheminement» vers Marseille dès lundi, pour que son client prenne le bateau le Carthage pour Tunis. L’avocate du ministère de l’Intérieur a répondu que le document n’était qu’ «une réservation et en aucun cas un ordre d’acheminement». Certes, mais le résultat risque d’être le même. Me Boëzec a répété vendredi devant le tribunal les risques encourus par Adel Tebourski, à qui a été collée «l’étiquette de terroriste» : «Comment peut-on imaginer qu’il ne soit pas soumis à la question ?» Amnesty International s’est dit «gravement préoccupé par le fait que Tebourski pourrait être exposé à la torture ou à d’autres violations graves des droits humains, notamment à un procès inéquitable, s’il devait être transféré en Tunisie». L’Acat (Action des chrétiens pour l’abolition de la torture) et la Cimade (Service oecuménique d’entraide) militent pour empêcher l’expulsion de cet homme, père d’un enfant de 10 ans né en France. Tebourski avait été condamné l’an dernier à six ans de prison pour avoir porté assistance aux assassins de Massoud, en Afghanistan. Lui n’a jamais nié son amitié pour l’un des assassins mais explique ne pas avoir été au courant de ses projets. Par le jeu des remises de peine, il a été libéré de prison le 21 juillet et placé en centre de rétention après s’être vu signifier sa déchéance de la nationalité française, obtenue en 2000, et son expulsion. Tebourski est toujours en grève de la faim mais a mis fin mardi à sa grève de la soif à la suite de problèmes de santé. Samedi dernier, le comité contre la torture de l’ONU avait demandé à la France de surseoir à l’expulsion. Sans effet. Seul mince espoir : la France n’a toujours pas reçu de laissez-passer des autorités tunisiennes, indispensable en cas d’expulsion. (avec AFP) (Source: Libération le samedi 5 août 2006)
APEM: Un instrument de blanchiment des parlements mal élus
Omar Mestiri
1 août 2006 La réaction à l’emporte pièce des « députés » tunisiens, à la résolution du parlement européen adoptée le 15 juin dernier, risque de mettre à mal la cohésion affichée avec les eurodéputés, lors de la laborieuse mise en place de l’« assemblée parlementaire euro-méditerranéenne » (APEM). Ils en seraient les grands perdants, tant le profil présenté par cette instance leur convient. Elle se présente surtout comme un nouvel artifice à même de conforter la propension du partenaire tunisien à réduire le partenariat à sa dimension cosmétique. En ouverture de la conférence de Toulouse (France) sur « les relations euro-méditerranéennes » , tenue il y a une année, Josepp Borell proclamait tout son enthousiasme pour l’APEM et sa fierté à présider cette institution, la plus récente du processus de Barcelone . Quelques jours plus tard, il publiait un mémorandum assignant des objectifs très ambitieux à ce tout nouveau mandat : développer le dialogue sur les droits de l’homme avec les parlements des pays partenaires et avec les représentants de la société civile… Pourtant, le statut de l’APEM confine cet organisme dans un strict « rôle consultatif », condamné à émettre des résolutions et des recommandations « non contraignantes » . En guise de budget, on se limite à fixer une répartition des frais d’organisation des sessions – hébergement, déplacements, interprétariat – entre les institutions parlementaires dont sont issus les membres . Aucun dispositif n’est prévu pour assurer le financement de certaines activités de base, comme les missions d’enquête ou l’élaboration de rapports. A fortiori l’APEM n’envisage pas de s’impliquer dans une action de mise en conformité des systèmes électoraux des pays méditerranéens avec les normes internationales. Le bilan de l’APEM depuis sa création en 2004 et après la tenue de quatre sessions plénières, reste assez maigre, loin des ambitions fixées par Josepp Borell. Tout au plus peut-on noter dans la résolution adoptée à Rabat une timide « inquiétude » suite à l’adoption par certains Etats, au nom de la lutte contre le terrorisme, de « législations qui dérogent aux obligations internationales en matière de droits de l’homme ». Combien de ceux qui avaient vaillamment voté dans leurs parlements respectifs ces fameuses législations – qui, elles, sont effectives et ont un tout autre effet sur leurs citoyens que ces recommandations non contraignantes – ont-ils chaleureusement appuyé cette résolution et partagé l’inquiétude de leurs collègues européens ? A-t-on prévu un mécanisme de suivi ? Mais le comble de la formulation timorée – pour cet avis non contraignant – se trouve dans son invitation aux pays partenaires « à envisager la possibilité [souligné par l’auteur] d’une adhésion au Tribunal pénal international et au moratoire sur la peine de mort ». La session de Bruxelles sera, par l’effet d’une habile contre-offensive, focalisée sur l’affaire des caricatures. Un appel à revoir les législations [des pays européens ndr] dans le but de « prévenir les incidents suscités au nom de la liberté d’expression » laissera des traces d’un profond désaccord sur les fondamentaux, malgré l’adoption d’une résolution condamnant sans équivoque toute tendance « à l’incitation à la xénophobie et à la haine ». Cette réunion demeurera, surtout, marquée par un fâcheux précédent : l’interdiction faite aux membres palestiniens, nouvellement élus, d’y assister, suite au refus de la Belgique de leur délivrer des visas, en « accord avec le conseil » de l’UE. On ne trouve nulle mention d’une dénonciation officielle d’une atteinte flagrante à la souveraineté de cette institution, vouée, selon les vœux de Josepp Borell, à exercer le rôle d’un pouvoir parlementaire au sein du processus de Barcelone. Si les activités de l’APEM sont très loin de justifier les promesses avancées par ses promoteurs de donner une impulsion salutaire au processus de Barcelone, on peut par contre relever tout le bénéfice cosmétique qu’en tirent les régimes despotiques partenaires du sud de la méditerranée. Depuis le 1er avril 2006, la présidence de l’assemblée parlementaire euro-méditerranéenne est assurée par Fouad Mebazaa – président de la chambre des députés de Tunisie. C’est tout un symbole que de voir l’archétype du gestionnaire d’un parlement mal élu, appelé couramment « chambre d’enregistrement », caractéristique des systèmes totalitaires, succéder au représentant des traditions parlementaires les plus éprouvées au monde. Oubliées, les réserves des parlementaires européens sur les « élections » tunisiennes ! Intégrés dans la même institution que des parlementaires élus démocratiquement, les champions de la fraude électorale sont blanchis et désormais élevés au statut de « collègues » de vrais députés. En plus d’un demi-siècle d’existence, les « parlementaires » tunisiens n’ont jamais rejeté aucun projet gouvernemental. Pis, durant la même période le parlement n’a jamais daigné examiner un seul projet de loi présenté à l’initiative de ses membres. Ces députés aux ordres ont, en revanche, réagit épidermiquement à un texte qui manifeste ses préoccupations pour le manquement d’un pays partenaire aux engagements prévus par l’accord de Barcelone et demandant aux institutions de Bruxelles de prendre les mesures adéquates pour y remédier. « Interventionnisme », danger de « mainmise étrangère sur la Tunisie », « alignement sur les manœuvres colonialistes », « animosité envers notre pays », « liens douteux avec un petit nombre de Tunisiens qui n’ont aucun sens du patriotisme », institution dont la prise des décisions est « soumise aux jeux d’intérêts » … rien ne leur a paru excessif pour justifier l’allergie à un simple rappel des obligations prévues par l’article 2 des accords de partenariats. Il serait souhaitable que cette attitude outrancière amène les parlementaires européens, motivés par le partenariat et déterminés à y incarner les valeurs de libertés et de progrès, à reconsidérer leur caution aux artifices de l’APEM. Il est urgent qu’ils se désengagent d’un piège qui les englue. ————– 1- Organisée par le parti des socialistes européens (PSE) les 15 et 16 avril 2005, en commémoration du 10e anniversaire des accords de Barcelone. 2-Instituée le 3 décembre 2003 par décision de la Conférence ministérielle du partenariat euro-méditerranéen, réunie à Naples. 3-“Political priorities for the EP Presidency of the Euro-Mediterranean Parliamentary Assembly”, http://www.europarl.eu.int/intcoop/empa/euromedkeydocuments/default_en.htm 4-Mars 2005 – mars 2006. 5-Point 2 de l’article 3 du « règlement de l’APEM » adopté à la réunion d’Athènes du 22 mars 2004. 6-L’APEM est composée de 240 députés, selon un mode paritaire : 120 représentants des pays de l’UE (45 membres du parlement européen et 75 membres des parlements nationaux) et 120 des pays méditerranéens partenaires. 7-Résolution de l’Assemblée parlementaire euro-méditerranéenne sur l’avenir du Processus de Barcelone, adoptée le 21 novembre 2005, à Rabat (Maroc) – session extraordinaire. 8-En fait, l’affaire des caricatures à été l’occasion pour les représentants des pouvoirs despotiques pour relancer un reproche récurent adressé aux pays démocratique : leurs législations laxistes [en termes de droit d’expression, droit d’asile, droit d’association…] permettent aux « terroristes » [les réfugiés politiques] de bénéficier de sanctuaires. 9-Selon le communiqué de presse publié par la députée européenne Hélène Flautre, l’une des rares à avoir exprimé une protestation publique sur cet incident. Les délégués arabes, assez portés sur les dénonciations tonitruantes, brillèrent par une honteuse discrétion sur ce point. (Source: le numéro 44 de Kalima mis en ligne le 3 aout 2006) http://www.kalimatunisie.com
Tunis, La septième porte
Taoufik ben Brik
2 août 2006 Tunis ne m’allume pas. Elle fait des cabrioles. Elle me taquine, la coquine. Elle m’ouvre ses portes : Bab B’har (La Porte de la Mer), Bab Jedid (La Porte Neuve), Bab El Khadra (La Porte Verdoyante), Bab Manara (La Porte du Lampadaire), Bab Bnet (La Porte des Filles), Bab Jazira (la Porte de l’Ile)…Bab Assel (La Porte du Miel). Je reste sur le pas de la porte. Je crains l’enfermement. Son étreinte. Au vieillard triste et aveugle qui me pressait de lui rebâtir la ville pierre par pierre, je me suis laissé aller à lui raconter que Tunis est l’Alexandrie de Lawrence Durell. La bibliothèque qui brûle en moins… Pour le reste, se promener rue Bab El Mandeb, rue Abou El Darda et manger des tranches de pastèques et sorbets rosés, et on se croirait à Bab Souika ou Halfaouine. Mais encore ? Lorsque le soleil fait larmoyer les yeux, Tunis joue à Marmara et imite dans son coucher Istanbul, ce gigantesque Sidi Bou Saïd. Et je me laisse parler à Tunis, comme Nâzim Hikmet parla, « A Istanbul Dans une taverne du marché aux poissons Pourquoi ce tumulte, Pourquoi ces cris ? Et pour quoi les hommes Sont-ils aussi tristes gué ce poisson Qui gît là dans cette assiette ? » Tunis têtard urbain, minuscule Brazil. Tu ressembles à rien. Ou bien si. A Tampico, une ville mexicaine, que seul un poète chinois déclame. Lui qui rêve de monter sur tous les bateaux qu’il a chargés, pour aborder les jetées blanches qui brillent au soleil ; Tampico l’a retenu pieds liés. Piètre consolation que de dire : « c’est pour Tampico que je ne veux pas monter sur ces grands bateaux blancs et brillants. Et parce qu’il me faudrait, pour payer mes rêves, travailler onze heures par jour comme garçon de cabine, astiquer les bastingages de bronze poli, suer dans la vapeur des cuisines. C’est pour cela que les bateaux sont loin, et que je les vois arriver et partir de tous les ports, de tous les rêves, de toutes les nostalgies. » P’tit Tunis. Pas de plus triste mot. Une plaisanterie macabre à la mesure de l’hilarité de Malcom Lowry, le géant de Quauhnahuac. Quauhnahuac ? Le mot était comme un cœur qui se brise, une soudaine volée de cloches assourdies par grand vent, les dernières syllabes de qui se meurt de soif dans le désert. Par moment, tous les moments, sauf contre moment, Tunis a l’allure de Quauhnahuac. Une petite rue, un peu bossue au centre où l’on avait comblé l’égout à ciel ouvert, penchait fortement comme si elle eût, un jour de tremblement de terre, dérapé. Et nous avec. Saint Domingue, Bab Essid (La Porte Murée). Pas de sortie, pas d’entrée. Une bienvenue ambiguë. Une porte qui cloisonne toutes les autres ; la porte d’Alexandrie, La porte d’Istanbul, la porte de Quauhnahuac, la porte de Tampico, la porte de Kiev. Un sixième doigt comme une menace rachitique. Je me retrouve dans la ville qui « fête le bouc » comme si j’étais à Tunis. J’y suis. De plein droit dans cette ville « provinciale, isolée et léthargique de peur et de servilité, l’âme saisie de panique respectueuse envers le chef, le Généralissime, le Bienfaiteur… » Son Excellence Ben Air. Mais ce n’est pas terrible. « Tout passera. Les souffrances, les tourments, le sang, la faim et la peste. Le glaive disparaîtra, et seules les étoiles demeureront, quand il n’y aura plus de trace sur la terre de nos corps et de nos efforts. Il n’est personne au monde qui ne sache cela. » C’est la leçon de Kiev, 1918… Tunis le sait et se tait : c’est terrible. (Source: le numéro 44 de Kalima mis en ligne le 3 aout 2006) http://www.kalimatunisie.com
L’enseignement tunisien malade
Je dis bien malade au niveau de nos élèves, au niveau des livres d’enseignement qu’on change pratiquement tous les ans au gré des inspecteurs successifs, au niveau des politiques de rajouts pour chaque matière, au niveau des matières à enseigner (au nombre de douze à treize par classe) et qui finissent, vu la charge et le volume des matières, par décourager les meilleures volontés ; politique d’arabisation à outrance alors que l’école ne dispose ni de l’outil pédagogique ni de la terminologie nécessaire à la transmission de la connaissance et du savoir. Bref c’est un malaise diffus dans le monde scolaire et qui ne satisfait ni les enseignants, ni les élèves qui ont perdu leurs repères. Quant aux parents d’élèves, ils ne savent plus à quel saint se vouer et essaient de sauver les meubles, par des cours supplémentaires fastidieux et forts onéreux. En fin de compte, la question qui se pose est ce qu’on veut faire de nos enfants, des têtes biens pleines, trop pleines jusqu’à l’éclatement, ou un enseignement humain, capable de les faire progresser dans un monde où le savoir ne rime pas avec quantité, mais avec qualité et qui lui permettra un jour de trouver un soleil humain dans son université puis dans sa société en l’essorant de toutes les scories qui entravent son épanouissement, son efficacité, ses objectifs, et dire que cela dure depuis cinquante ans, depuis notre indépendance et je ne vois pas le bout du tunnel. Certes mon propos n’est pas un projet de réformes, cela serait présomptueux de ma part et une immixion dans un domaine qui relève en fin de compte d’une vision globale de la politique de l’enseignement, en identifiant les objectifs et les moyens qui doivent en assurer le succès et la pérennité. Pour modeste contribution je vais tâcher de cerner certains problèmes qui se posent à notre enseignement, d’y répondre autant que savoir que peut. Est-il pensable qu’un élève de septième de l’Ecole de base ne sache ni multiplier, ni diviser, ni soustraire, ni construire une phrase littéraire cohérente et sans fautes d’orthographe ? Est-il nécessaire à un élève de l’Ecole de base d’étudier les structures de la société saoudienne et de ses tribus ? Est-il nécessaire qu’il étudie l’économie des Etats-Unis et son potentiel industriel alors qu’il ne connaît pas le nom des principales villes de la Tunisie, ni sa configuration géographique, ni ses îles, ni ses richesses, ni sa population ? J’ai peur, emporté par mes interrogations, de me perdre dans les méandres de mes réflexions vagabondes, de m’éloigner de mon projet, de mon fil d’Ariane. Je vais donc essayer de dépoussiérer la nappe encroûtée de notre enseignement, peut-être qu’elle nous conduira à plus de clarté dans notre cheminement éducatif vers l’excellence et l’efficacité de notre éducateur. Lever l’hypothèque de l’arabisation Après l’Indépendance et par un réflexe anti-colonial légitime, les responsables de notre politique pédagogique ont opté pour un système éducatif arabisé pour retrouver et renforcer notre arabité, notre appartenance à la communauté arabo-musulmane dont nous partageons la religion, la langue et l’histoire depuis des siècles. Cette politique d’arabisation a commencé par la suppression de l’enseignement du français dans les premières années de l’enseignement primaire et l’arabisation de certaines matières math, géographie et même philosophie) en important pendant un certain temps des livres de philosophie fabriqués et imprimés en Irak et destinés aux classes terminales, et c’est en adoptant cette option que nous avons constaté un affaiblissement du niveau de notre enseignement et donc de ses résultats, et dont les effets néfastes se font ressentir jusqu’à nos jours : professeurs dont la formation en français nécessite un recyclage en arabe, terminologie inadaptée qui ne permet pas aux enseignants de transmettre aux étudiants, de façon claire et intelligible, les textes arabisés. Contradiction encore : est-il logique d’enseigner à l’école de base les mathématiques en arabe avec des symboles français, avec des A,B,C ,D, puis de leur enseigner en français la même matière à partir de la première année du secondaire avec de nouveaux livres, une nouvelle terminologie, de nouvelles méthodes. Quel gâchis, que de pertes de temps et que d’échecs en prévision. Idem pour l’enseignement de la philosophie en arabe alors que cette matière, outre sa difficulté ne dispose pas d’une bibliothèque des Platon, Aristote, Rousseau, Bergson, Hegel et des centaines d’autres penseurs qui ont contribué à l’évolution de la pensée métaphysique et qui n’ont pas été traduits en arabe, d’où un manque flagrant d’enrichissement de la pensée des élèves et de son approfondissement. Réintroduire le français à partir de la première année de base On a reconnu, dans plusieurs pays d’Europe, l’utilité pour les petits élèves de faire l’apprentissage de deux et même de trois langues en plus de la langue maternelle, car à cet âge l’enfant apprend très vite, ce qui lui permettra plus tard d’avoir plus de facilité à maîtriser les langues apprises et d’accéder à leur civilisation et à leur culture, à leurs grands écrivains, à l’univers de leur créativité artistique. Apprendre une deuxième langue voire une troisième n’est donc pas un reniement de leur propre langue mais une plus-value de leurs connaissances, un enrichissement de leurs savoirs et une plus grande facilité dans leurs contacts et leurs rapports, que ce soit au plan économique, culturel ou social avec les autres peuples qui composent les maisons de l’homme. Quant à nous, Tunisiens, qui affrontons d’autres sociétés, d’autres cultures, apprendre d’autres langues ne peut être qu’enrichissant et utile à plus d’un titre. Ce plus linguistique ne peut diminuer en rien notre arabité et l’attachement à notre culture et à notre civilisation arabo- musulmane. Par ailleurs, apprendre et maîtriser la langue française dès le plus jeune âge permettra au Tunisien, dès lors même qu’il accède à la fin de ses études à l’Université, d’assimiler plus facilement les diverses matières qui y sont enseignées car “ l’Université tunisienne est française ”. La médecine, l’ingéniorat, l’architecture, les études de gestion, l’informatique et même l’enseignement agricole et les divers cours de l’enseignement professionnel se font en français. D’ailleurs, il n’y a aucune fausse honte ni aucun complexe à considérer que le français est notre langue véhiculaire par excellence. Un véhicule quel qu’il soit ne peut en aucun cas nous priver de notre arabité, car c’est un moyen de transport pour acquérir une science. Renoncer à la méthode globale et revenir à la méthode syllabique dans l’enseignement des langues. La méthode globale d’enseignement des langues à l’Ecole de base a compliqué la scolarité de nos enfants. Elle consiste grosso modo à faire apprendre à nos élèves des phrases d’une langue donnée, quitte à ce que ces derniers différencient l’alphabet des dites phrases. Avouez que cette gymnastique n’est pas facile, ni agréable et nous nous trouvons souvent avec des retards dans la lecture ou la dictée ; retard que véhicule l’élève même dans les grandes classes. Le pays qui l’ont expérimentée y ont renoncé ; le retour à la méthode syllabique est souhaitable, cette méthode très simple permet à l’ élève de mieux maîtriser son alphabet et de composer au fur et à mesure de son avancement des mots qu’il peut transcrire et lire, puis à composer par lui-même l’apprentissage de sa rédaction, tout en assimilant les pièges de la grammaire et de la conjugaison. Les anciens ont pratiqué cette méthode qui a donné des hommes de qualité et de valeur. Réponse à des questions diverses Réduire le nombre des congès scolaires. Nous avons trop de congés scolaires qui réduisent le temps utile à la scolarité de nos enfants : vacances d’automne, d’hiver, de printemps, plus les fêtes civiles et religieuses, réduisent de façon conséquente le temps imparti à l’accomplissement des progressions ; je pense spécialement aux vacances d’automne qui peuvent être ramenées à quatre jours, et aux vacances d’hiver et de printemps qui peuvent être réduites de cinq jours, ceci sans tenir compte du mois saint de Ramadan qui, en raison des déséquilibres alimentaires et des veillées traditionnelles, qu’il détermine chez les élèves et les enseignants, peut être considéré comme un mois blanc qu’il vaudrait mieux aménager en instituant une journée scolaire de quatre heures, de 10 heures à 14 heures . Remplacer les examens trimestriels de synthèse par le système du contrôle continu, dont la moyenne des notes de l’élève déterminera leur passage dans la classe supérieure. S’astreindre jusqu’à la septième de l’école de base à n’apprendre à l’élève que la lecture, le calcul, la rédaction plus quelques notions d’éducation civique et religieuse. Il est anormal que des élèves arrivant à la septième ne maîtrisent ni la lecture ni l’écriture, ni sachent faire des opérations élémentaires de calcul : addition, soustraction, division, multiplication. Il fut un temps bienheureux où l’on trouvait imprimé, sur le dos de nos cahiers de classe ces diverses opérations si utiles dans la vie, qu’on apprenait et récitait par cœur et qui sont remplacés aujourd’hui par des héros de bandes dessinées absolument inutiles. Réhabilitr le certificat d’études primaires Au bout de sept ans d’études primaires, ce certificat très attendu par nos élèves serait la consécration et le premier couronnement de leurs efforts, de leur ténacité et de leur succès. Qui ne se rappelle la joie des élèves devant leur premier succès et la joie de leur famille dans ce couronnement qui les récompensait ? Le livre arabe est pratiquement inexistant dans la bibliothèque arabe. Il consiste le plus souvent en des contes mythiques sans aucun lien avec l’imagination du jeune, qui s’adonne à cœur joie à la Bibliothèque Verte ou Rose du livre français ou de traductions, étrangères adaptées. Ne parlons pas des classes supérieures où, à part quelques livres de Si Mahmoud Messadi ou de Taha Hassine, c’est le néant. Il serait utile de créer au sein de l’Education Nationale une section étoffée de traducteurs qualifiés qui aurait pour tâche de traduire à l’arabe les diverses grandes œuvres universelles de littérature, de philosophie et des romans qui seront utiles à la formation de l’élève. Le cas des écoles pilotes Ces écoles sont nombreuses dans notre pays et recrutent nos meilleurs élèves. L’Etat leur assure les établissements les plus performants, les meilleurs enseignants avec le gîte et le couvert et cela coûte au Trésor public des milliers de dinars par élève. Un immense investissement de l’Etat, tant humain que financier, pour le succès et la performance de ces élèves. Or que constatons-nous? Lesdits élèves sont inscrits dans les hautes écoles européennes, américaines ou canadiennes où ils représentent une élite et sont arrachés à prix d’or par les instituts de recherches et les grandes industries du monde où ils se comptent par milliers . La plupart de ces élèves ne retournent plus au pays qui les a formés, malgré tous les sacrifices consentis, et représentent une perte sèche pour notre économie et le développement du pays. M. Nicolas Sarkozy, s’exprimant à l’Assemblée Nationale française sur son projet de loi sur l’émigration, précise que cette énigration doit être choisie et non subie et qu’elle doit concerner les émigrants les plus méritants dans les divers domaines de la recherche, les sciences, les sports ou les arts pour enrichir la société française et lui apporter un plus. Le Président Lamine Gaye, dans une tribune, lui a rétorqué que la politique d’émigration adoptée par M. Sarkozy était un véritable pillage de l’encadrement des pays en développement et que la France va bénéficier sans dépenser le moindre argent d’un haut investissement auquel elle n’a pas contribué. Pour remédier tant soit peu à ce problème, je préconise d’établir, à l’entrée de toute école pilote tunisienne, un contrat contresigné par l’élève et ses parents où l’élève s’engage à la fin de ses études supérieures de passer sept ans dans une institution de l’Etat ou à défaut de le dédommager de la somme de 100.000 dollars, les parents de l’élève, l’élève lui-même et l’institution recrutante étant caution solidaire du règlement de ladite indemnité due à l’Etat tunisien. L’institution recrutante ou l’Etat recruteur seront informés, même à posteriori, de la dite clause dont ils devront supporter le principal et les dépens nonobstant toute clause contraire. Taoufik Ben Mrad
(Source: Le site de Réalités le 3 aout 2006)