Amnesty International: Il est temps pour les partis politiques tunisiens de tenir leurs promesses de réforme
AP: Tunisie: une avocate dénonce des cas de torture
EL Watan: Système de corruption du clan Ben Ali. Les tunisiens veulent la vérité
Printemps des peuples: Tunisie : Les Tunisiens fiers de leur révolution et inquiets de leur avenir
Jeune Afrique: Nadia el-Fani : « La bataille de la laïcité mérite d’être menée »
Kapitalis: La transition en Tunisie ne sera pas «made in America»
Il est temps pour les partis politiques tunisiens de tenir leurs promesses de réforme
Time for Tunisian political parties to deliver reform
Tunisie: une avocate dénonce des cas de torture
La corruption, «sport national» en Tunisie?
«L’ancien président et son clan ne sont pas uniquement à l’origine de la corruption», déclarait Hédi Sellami, directeur général deTunisie Câbles, lors de la table ronde organisée le 23 septembre 2011 par le Centre tunisien de gouvernance d’entreprise (CTGE) et intitulée «Le secteur privé et lutte contre la corruption en Tunisie».
Le sujet central de cette réunion, qui s’est tenue au siège de l’Institut arabe des chefs d’entreprise (Iace):la corruption, donc, et plus particulièrement la petite corruption, celle qui contamine tous les secteurs de la société tunisienne, rapporte Business News.
Un véritable «sport national» bien connu des Tunisiens, dont 35% estiment, selon une enquête menée par l’Iace, que le favoritisme dans la micro-économie… est«acceptable».
Un phénomène qui, d’après les experts, semble fondamentalement inscrit dans les mentalités. Même si 86% des Tunisiens considèrent la corruption comme un problème socioéconomique très grave —suivi par la violation des droits de l’homme (84%) et le chômage (74.2%)— 54% des interrogés affirment être passifs face à un acte de corruption:
«La corruption c’est un peu comme la drogue, on peut la limiter, jamais on pourra l’éradiquer, pourquoi ne pas la légaliser?», s’amusait Hédi Sellami.
Depuis la révolution tunisienne de janvier 2011,11% estiment que ce fléau s’est aggravé. Dans l’échelle des secteurs les plus gangrénés, les sondés ont mis en tête la police (71,9%), viennent ensuite les partis politiques (70%), la douane (57,2%) et le gouvernement de transition (56,8%). Le système juridique représenté par les avocats occupe la 5e place, et les juges la 6e place du classement.
Concernant l’actuel gouvernement transitoire, 56,7% des répondants pensent qu’il ne dispose pas d’une véritable politique de lutte anticorruption. Pour les Tunisiens, l’armée serait le secteur le moins touché (8,9%).
Par ailleurs —phénomène bien connu des Tunisiens— les taxis viennent d’être pointés du doigtspar les observateurs internationaux et notamment le Moniteur du commerce international (Lemoci):
«Les taxis, tous de couleur jaune sont bon marché et ont des compteurs. Le problème est que souvent les chauffeurs n’acceptent pas de les utiliser avec des étrangers à qui sont demandées des sommes forfaitaires un peu plus élevées que le tarif normal du compteur».
Comme mesure d’éradication de la corruption, un modèle de conduite devrait être publié à l’occasion des Journées annuelles de l’entreprise de l’Iace, qui se dérouleront les 8 et 9 décembre 2011.
Source: “Slate Afrique” Le 27-09-2011
Lien: http://www.slateafrique.com/46131/tunisie-corruption-transition-democratie-police-politique-economie
Système de corruption du clan Ben Ali. Les tunisiens veulent la vérité
Par Liès Sahar
Les images du trésor découvert dans le palais des Ben Ali et retransmises par la télévision tunisienne, juste après la révolution du 14 janvier, ont marqué les mémoires.
Depuis, si l’opinion internationale suit avec attention la préparation des élections de l’Assemblée constituante qui auront lieu le 23 octobre prochain, l’opinion nationale, elle, se focalise surtout sur un autre phénomène, nouveau en Tunisie : la lutte contre la corruption. Il ne se passe pas un jour sans que la presse quotidienne, à Tunis, fasse état d’un contrôle judiciaire touchant un ancien responsable.La dernière information en date est celle relative à l’emprisonnement de Ridha Grira, ancien ministre de la Défense sous le régime de Ben Ali. Le juge d’instruction au tribunal de première instance de Tunis a indiqué qu’«un mandat de dépôt a été lancé contre l’ancien ministre sous l’ancien régime, Ridha Grira, selon une source informée. M. Grira est impliqué dans des affaires foncières durant la période où il a occupé les fonctions de ministre des Domaines de l’Etat et des Affaires foncières.»
C’est en ces termes laconiques que sont annoncées dans la presse les affaires judiciaires qui touchent les anciens du régime tombé après la révolution du 14 janvier. Selon une enquête sur l’indice de perception de la corruption par les citoyens, réalisée par le centre tunisien de gouvernance de l’Institut arabe des chefs d’entreprise (IACE) et rendue publique fin septembre, la corruption constitue un problème socio-économique très grave et la préoccupation n°1 pour 86% des personnes qui ont participé à l’enquête. Selon cette enquête, qui se réfère «aux taux d’enquêtés correspondant au niveau de gravité le plus élevé, les problèmes de la société sont perçus par les citoyens d’une manière distincte. Pour 92,1% des répondants, l’insécurité représente un problème très grave». «Ceci découle du fait que durant ces derniers mois, la Tunisie a connu des moments très difficiles caractérisés par des vols de biens publics, des incendies, des braquages, etc.», selon les promoteurs de l’enquête.
«La corruption, avec 86%, est considérée comme le deuxième problème socio-économique, suivie de la violation des droits de l’homme (84%) ; à la quatrième place on trouve le chômage (74,2%) et en dernier lieu l’inflation (68,2%), qui est considérée par les Tunisiens interrogés comme le problème relativement le moins grave au cours de cette période». Selon les résultats de l’enquête, cette fin septembre est très chargée en matière d’activités traitant de la corruption. C’est ainsi que du 22 au 24 septembre, la ville de Hammamet a abrité une conférence internationale sur le thème «Corruption et malversations : que faire ?», une rencontre qualifiée d’historique puisque c’est la première du genre en Tunisie. Ces thèmes apparaissent comme révolutionnaires dans ce domaine, avec comme axes de débat «La révélation de la vérité», «La réalisation de la justice», «La mise en place des mécanismes pour la prévention de la corruption», «La révision des législations», «L’association de la société civile» et «Le recouvrement des biens expatriés».
Organisée par la commission nationale d’investigation sur la corruption et la malversation (CNICM), mise en place après la révolution du 14 janvier avec le concours de l’Organisation de coopération et du développement économiques (OCDE) représentée par son secrétaire général adjoint, Richard Boucher, du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), de la Banque africaine de développement (BAD) et de la Délégation de l’Union européenne, cette rencontre a vu la participation du président de la République par intérim, Fouad Mbazaâ. La proposition faite dans son discours constitue déjà le premier chantier de la future Assemblée nationale constituante.
Le président par intérim a émis le vœu de voir «l’Assemblée nationale constituante, qui sera élue le 23 octobre prochain, inscrire parmi ses priorités la question de la lutte contre la corruption et la malversation et instaurer les fondements de la bonne gouvernance, outre la réforme de la magistrature dans le cadre du processus d’édification de la Tunisie nouvelle». Lors de l’ouverture des travaux de la conférence, le président de la Commission nationale d’investigation sur les affaires de corruption et de malversation, Abdelfattah Omar, n’y est pas été par quatre chemins en déclarant que «La Tunisie a connu un véritable système de corruption et de malversation aux éléments interconnectés, qui avait porté atteinte à plusieurs secteurs et institutions de l’Etat ainsi qu’à la société tunisienne et qui avait à sa tête notamment le président déchu et ses proches».
Le gouvernement veut récupérer l’argent volé par les Ben Ali
Pour récupérer l’argent et les biens volés par le clan Ben Ali, une première action du gouvernement a été annoncée il y a quelques jours par le ministère des Finances et elle concerne les sociétés et les avoirs de la famille du président déchu et de ses proches. Les dossiers de 41 entreprises ont été présentés à la Commission nationale pour la gestion des biens confisqués et l’Etat aurait déjà entamé la désignation des administrateurs pour gérer ces entreprises. Il y a une dizaine de jours, le gouvernement tunisien a entamé aussi des pourparlers avec l’Union européenne pour récupérer l’argent volé par Ben Ali et ses proches. Lors d’une visite effectuée en Tunisie, le représentant spécial de l’UE pour la région du sud de la Méditerranée, Bernardino Leon, a fait part de «l’intention de l’UE de créer une unité de coordination à Bruxelles pour faciliter la restitution par les banques européennes de l’argent pillé par Ben Ali et ses proches».
Comme il a fait part, selon un communiqué, au ministre tunisien de la Justice, Lazhar Karoui Chebbi, de la détermination de l’UE à œuvrer de concert avec le gouvernement tunisien pour la restitution de cet argent. Le ministre tunisien a sollicité directement «l’appui de l’UE aux efforts du gouvernement tunisien afin de l’aider à récupérer les avoirs pillés par le président déchu et ses proches». Auparavant le gouvernement tunisien avait envoyé plusieurs délégations judiciaires aux Etats européens pour faciliter la restitution de l’argent volé, surtout que la Tunisie vit une crise et qu’elle doit faire face à des échéances de remboursement de sa dette extérieure.
Source: ”EL Watan” Le 27-09-2011
Lien: http://www.elwatan.com/reportage/les-tunisiens-veulent-la-verite-27-09-2011-141221_117.php
Sophie Bessis : «En Tunisie, rien ne sera plus comme avant»
le 27.09.11 | 01h00
Sophie Bessis est directrice de recherche à l’Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS) à Paris. Historienne, elle a enseigné pendant de longues années l’économie politique au département des sciences politiques de l’université de la Sorbonne. Elle a occupé le poste de rédactrice en chef de l’hebdomadaire Jeune Afrique. Elle est aussi secrétaire générale adjointe de la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH), laquelle fédération est dirigée par Souhayr Belhassen, une autre Tunisienne. Au colloque d’El Watan, elle a abordé le thème des enjeux de la transition en Tunisie.
-Vous avez dit, dans votre intervention, que le danger de la restauration de l’autoritarisme est toujours présent en Tunisie. Pourquoi ?
Je crois que ce qui se passe en Tunisie – comme dans plusieurs pays arabes aujourd’hui, on peut rapprocher cela de l’Egypte – c’est que nous sommes au début d’un processus de démocratisation. En Tunisie, nous sommes entrés dans une autre période. Rien ne sera plus jamais comme avant. Une dictature a été mise dehors. La Tunisie a mis fin à un système vieux d’un demi-siècle, même davantage. Cela dit, un processus de démocratisation ne se fait pas du jour au lendemain. Il n’est pas évident que ce processus se termine avec l’adoption de la prochaine Constitution. Cela veut dire que peut-être – je souhaite évidement le contraire – que la Tunisie connaîtra des reculs ou des régressions temporaires.
Un processus de démocratisation n’est pas linéaire. Il y a aujourd’hui, dans ce pays, certaines forces – aidées par un environnement régional qui n’est pas forcément favorable au processus de démocratisation en Tunisie – qui pourraient créer le désordre. Imaginons un scénario – qui n’est pas certain – d’un désordre qui dure dans le temps. A toute période de chaos succède malheureusement une dictature. Napoléon Bonaparte a succédé à la terreur. Je ne pense pas que nous prenions ce chemin, en Tunisie. Mais je ne suis pas sûre non plus que ce processus de démocratisation soit un long fleuve tranquille.
-Vous avez évoqué «les queues de comète de l’ancien régime». Que peuvent-elles, ces queues mouvantes ?
A ce niveau-là, des questions se posent. Ces derniers mois, la Tunisie a connu beaucoup d’agitation dans les villes de l’intérieur et des grèves dont certaines étaient légitimes, d’autres moins. On a bien vu que certains acteurs de ces désordres étaient manipulés. L’actuel Premier ministre de transition, Bedji Kaid Essebsi, l’a dit dans ses discours. Une question se pose : qui manipule ces acteurs ? Qui tire profit de la stratégie du chaos ?
-Le Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD), parti de Zine Al Abidine Ben Ali depuis son arrivée au pouvoir en novembre 1987, dissous par la justice en mars 2011, peut-il revenir sous une autre forme ?
Il est évident que le RCD ne reviendra jamais sous la forme qu’il avait sous le règne de Ben Ali. Cela dit, le RCD avait une base sociale d’autant qu’il était l’héritier du parti du néo-doustour qu’avait créé Lahbib Bourguiba en 1934. Le parti qui avait mené la lutte pour l’indépendance du pays et qui avait été hégémonique non pas depuis 23 ans mais pendant plus de cinquante ans. Des acteurs politiques vont recomposer et reconfigurer ce parti et essayer de «recapter» cette base sociale sous des formes politiques différentes. Cela a d’ailleurs commencé par la création de nouveaux partis issus de l’ancien RCD.
-Pourquoi les islamistes, qui n’étaient pas apparents dans le processus de révolution, paraissent-ils aujourd’hui comme des acteurs majeurs dans celui de la transition ?
Il y a plusieurs raisons à cela. Première raison : la capacité extraordinaire d’organisation d’Ennahda. Ce parti a été légalisé dès le début de la première période du processus de transition. C’est un parti qui devait avoir sa place dans l’échiquier politique. Deuxième raison : Ennahda bénéficie de fonds importants de l’intérieur et de l’extérieur. Il a des moyens, des militants et… des ambiguïtés. Le discours officiel d’Ennahda est de s’inscrire dans le processus de transition démocratique. Cela dit, et on peut le lui reprocher, ce mouvement ne dénonce pas les dérives d’une partie de sa base radicale comme Hizb Ettahrir, par exemple. Ennhada reste aussi ambigu sur certains sujets comme celui du statut de la femme (…).
La Tunisie reste toujours à l’avant-garde pour le statut de la femme. Ennahda dit qu’il ne remettra pas en cause le code du statut personnel, c’est-à-dire qu’il ne touchera pas à la législation actuelle qui garantit des droits aux Tunisiennes. Maintenant, certains dirigeants d’Ennahda, comme Rached Ghannouchi, disent qu’ils respecteront ce code en attendant que la Tunisie soit prête pour autre chose. On ne sait pas de quoi il s’agit…
-Pourquoi le débat sur l’identité est-il revenu au devant de la scène ces derniers temps alors qu’il était inexistant au début de la transition ?
C’est une vraie question. Ce débat n’est pas fondamental pour la société tunisienne ; il l’est pour une partie des élites politiques qui, à mon avis, sont frappées d’obsolescence par rapport aux problèmes et aux préoccupations de la société. Une partie de cette «classe» ou «catégorie» (je ne sais pas comment l’appeler) des élites est encore travaillée par la problématique du nationalisme arabe. Une problématique obsolète, dans la Tunisie d’aujourd’hui.
Fayçal Métaoui
Tunisie : Les Tunisiens fiers de leur révolution et inquiets de leur avenir
« Maarhaba fi Tounés athawra » (bienvenue à la Tunisie de la révolution), c’est par cette formule, appuyée d’un large sourire que Raouf, un jeune de quarante ans, à l’allure bonhomme, nous accueille, en ce mardi 22 septembre au hall d’attente de l’aéroport de Carthage. « Révolution » : un mot à la mode, un mot aux résonances magiques que notre hôte du jour met presque un point d’honneur à répéter avec fierté, comme un soldat de retour d’une homérique bataille qui afficherait les insignes de la Légion d’honneur. Il fait beau à Tunis. Il y fait surtout bon vivre, depuis que le régime Ben Ali et Trabelsi est tombé. « Mahlaha Tounés, bla Ben Ali oua rabaïn loussos » (qu’elle est délicieuse la Tunisie sans Ben Ali et les 40 voleurs !), lit-on sur un graffiti tagué en gros caractères sur un mur de la rue de France à quelques pas de la célèbre Bab El-Bahr, version locale de l’Arc de Triomphe parisien. Environ minuit, Tunis ne dort pas encore. Tunis respire la liberté. Tunis fait la fête. Les rues sont animées. La circulation est dense. Avenue Habib-Bourguiba, un groupe de jeunes visiblement un peu « allumés » se délectaient à grands éclats de voix à se raconter les frasques du couple présidentiel déchu. « Les Tunisiens sont plus expansifs, plus ouverts et surtout moins méfiants. Ils ont d’une certaine façon retrouvé l’usage de la parole », admet Adnan Hafnaoui, un célèbre blogueur de la place de Tunis qui revendique aujourd’hui la paternité de la formule « la révolution du Jasmin ». Il a choisi cette plante emblématique du pays comme une allégorie de la révolution, à l’instar des œillets pour la révolution du Portugal en avril 1974 contre le dictateur Salazar. « Les Tunisiens sont plus sereins », convient pour sa part madame Essid, magistrate à la Cour des comptes de Tunis. En un mot, « les Tunisiens sont sur un nuage », pour emprunter la formule de la consœur Sophia Hamani qui fait partie de la structure en charge de la sauvegarde de la révolution. Le revers de la révolution Mais cette euphorie collective a son revers de médaille : le relâchement de l’autorité qui se manifeste à plusieurs niveaux. Pour quelqu’un qui a connu la Tunisie avant la révolution et maintenant, la comparaison est facile à faire. « Je suis sortie avec mes copines au centre-ville mardi soir, on a dû vite rentrer à l’hôtel », raconte Assia, une Algérienne qui travaille pour une ONG internationale. Il est vrai qu’à l’époque de Ben Ali, un regard malveillant sur un touriste pouvait conduire son auteur en prison. Au pays de Ben Ali, le touriste était roi. « Avant, je conduisais sans problème, mais depuis quelque temps, les conducteurs, notamment les jeunes, ne respectent plus les feux de signalisation », déplore de son côté Hanane, militante d’une association qui pointe ainsi « l’incivisme » qui commence à s’installer. La propreté de la ville de Tunis, avec des ruelles jadis lavées chaque matin à grande eau, n’est plus de mise. Des poubelles aux pieds de certains immeubles, au niveau du grand boulevard Mohammed V, sont en attente du passage des camions du service de la voirie. Mais il y a pire : la violence. « Il y a des braquages en plein jour », rapporte un chauffeur de taxi qui fait part de la difficulté à exercer son métier, la nuit surtout où les agressions sont un des sujets traités dans la presse tunisoise. « J’ai vécu huit ans en Italie, après je suis rentré pour travailler en Tunisie, mais croyez-moi, la démocratie et la liberté ne sont pas faites pour les Arabes », juge un autre chauffeur de taxi qui, le temps d’une course sur la très célèbre avenue Habib-Bourguiba à l’hôtel Golden Tulipe dans la proche banlieue, a eu tout le loisir de déverser sa bile sur la situation actuelle. Mieux, il n’a aucun état d’âme à regretter l’ancien régime et sa « discipline » spartiate. « Ce type de raisonnement que vous avez entendu chez le citoyen lambda est simpliste et vise à torpiller la révolution », avertit encore le blogueur Adnan Hafnaoui qui accuse des responsables de la police encore fidèles à Ben Ali d’être responsables de cette situation. Plusieurs journalistes et représentants d’associations rencontrés à Tunis confirment ces accusations. « Ce sont les proches du système qui répandent ce type d’analyses pour faire croire que c’était mieux avant », prévient encore un militant des droits de l’homme qui a eu longtemps maille à partir avec la police politique dirigée par Ahmed Bennour, de triste réputation. Le pic de l’insécurité est sans doute atteint par le meurtre de six personnes à Sfax, il y a quelques jours. Ce meurtre, dont les auteurs courent toujours, a jeté l’effroi parmi la population sfaxienne. La presse tunisienne, qui connaît actuellement une verve toute nouvelle, ne trouve pas toujours grâce aux yeux des citoyens qui l’accusent de participer à la confusion. « Les journalistes ont l’habitude d’écrire sous la dictée ; aujourd’hui qu’il y a la liberté de la presse, ils écrivent n’importe quoi, ils ne se rendent pas compte de leur responsabilité dans cette conjoncture particulière que traverse le pays », estime un universitaire qui en appelle à « la responsabilité et à la lucidité » des journalistes. La corporation des journalistes, qui vit la révolution à son niveau, est consciente de cet état de fait. Jeudi, l’association des journalistes tunisiens, en collaboration avec une ONG bruxelloise, a organisé une journée d’étude sur « le rôle de la presse dans la phase de transition ». Au-delà des uns et des autres, un consensus s’est dégagé en faveur d' »une charte pour mettre de l’ordre » dans la profession « avant le 23 octobre », date de l’élection de l’Assemblée constituante qui dotera le pays de sa future Constitution. Le déferlement des libyens Comme si les Tunisiens n’en ont pas assez avec les dommages collatéraux de leur révolution, voilà que « les frères libyens » viennent apporter leur grain de sel. Ils sont plus d’un million à avoir fui la guerre en Libye. Le chiffre est impressionnant. C’est le Premier ministre Beji Caïd Essebsi qui l’a révélé lors de la rencontre de Gammarth sur le modèle social tunisien. Ce modèle social en a pris un coup du fait de cet exode massif de Libyens qui ont traversé la frontière avec des mallettes de dollars. « Je ne peux pas acheter les fournitures scolaires à mes enfants, les prix ont triplé à cause des Libyens », s’est emporté un taxieur. Un autre citoyen, rencontré au hasard d’une discussion, accuse les Libyens de tout acheter. « On ne trouve plus d’eau minérale, » enrage-t-il. L’immobilier connaît également une envolée. Les dollars libyens, s’ils font le miel des grands hôteliers, des commerçants et des promoteurs immobiliers, n’arrangent certainement pas les affaires du Tunisien lambda qui voit son pouvoir d’achat, déjà fragile, être grignoté. Et cela n’est pas sans créer un sentiment de profonde animosité vis-à-vis des Libyens à qui on reproche aussi leur « arrogance » toute « kadhafienne ». La présence massive de Libyens en Tunisie dégénère parfois hélas en violence. Témoin, le cas de cette jeune Tunisienne du quartier chic d’El-Menzah. Son drame est dans toutes les bouches. Après avoir été violée par un groupe, pris du « syndrome DSK », elle a été balancée de la fenêtre d’un appartement du cinquième étage. 23 octobre : la journée du Destin Les Tunisiens espèrent dépasser rapidement la situation de confusion actuelle. Une date est cochée sur le calendrier. Dimanche 23 octobre, le peuple tunisien a rendez-vous avec les urnes. Comment se présente la carte politique à un mois de ce rendez-vous avec l’histoire ? Il y a une explosion exponentielle des partis politiques. Ils sont déjà plus de 100 partis politiques, selon des informations informelles. Une situation qui n’est pas sans rappeler celle que nous avions vécue en Algérie, après la révolution d’Octobre 1988. « On s’est libéré du dictateur, mais le système reste, » estime Sophia Hamani qui souhaite que « les élections réussissent à doter le pays d’une constitution ». Mme Hédia Ben Azoun, magistrate à la Cour des comptes lui fait écho en espérant que « les élections se déroulent dans la sérénité ». La sérénité prend tout son sens dans ce contexte pré-électoral car des partis, des représentants d’association, des journalistes qui sont les fers de lance de la révolution, redoutent un coup fourré de l’ancien régime pour torpiller le processus électoral. Dans la mosaïque de partis qui animent aujourd’hui la scène, beaucoup sont soupçonnés d’être des ersatz de l’ex-RCD. C’est quasiment un truisme d’entendre des Tunisiens dire que « derrière beaucoup de partis, il y a les anciens hommes d’affaires alliés au régime déchu. Ils cherchent à revenir à travers ces partis en les finançant ». Mais c’est l’énigme Nahda qui suscite des inquiétudes légitimes. Surtout chez les organisations féminines. Ce parti est crédité, selon un dernier sondage de 23% des voix.Mais quelle valeur accorder à cette enquête d’opinion dans un pays où ce type d’instruments n’a jamais existé. Le parti de Ghenouchi est accusé d’avoir un discours à deux vitesses. « À destination de l’étranger et de l’opinion, il multiplie les assurances en s’engageant à respecter le statut de la femme, les valeurs démocratiques, mais avec sa base il tient un discours rétrograde en prônant un retour à un islam rigoriste et des valeurs conservatrices », explique l’universitaire Adel Khmeyés. L’autre enjeu des élections du 23 octobre, qui n’est pas des moindres est celui de la participation, dans un pays où les consultations électorales étaient des formalités. « Bien sûr qu’on votera, on s’est battu pour cela », insiste Lotfi qui parle au nom des ses camarades étudiants rencontrés à l’université centrale de Tunis. Ils attendent de la prochaine assemblée qu' »elle donne du travail aux jeunes diplômés, qu’elle fasse un partage plus équitable des fruits de la croissance ». Et si dans les rues de Tunis, l’ambiance électorale ne bat pas encore son plein, tout le monde souhaite la tenue de cette élection « pour parachever la révolution ».Rendez-vous est pris pour dimanche 23 octobre, « le jour du Destin », selon le mot du blogueur Adnane Hasnaoui.
La laïcité, enjeu dans la Tunisie de l’après-révolution
Le documentaire sur la société tunisienne après la révolution, Laïcité, inch’Allah !, vient de sortir dans les salles en France. La réalisatrice Nadia El-Fani, qui défend la séparation entre l’Etat et la religion, répond aux questions du quotidien algérois El-Watan.
Laïcité, inch’Allah !,c’est un projet de société ? C’est ce que je développe dans le film. Quel projet nous avons pour la Tunisie et comment continuer à vouloir que la Tunisie reste dans la modernité et refuser la régression. Parce que, pour moi, si les islamistes gagnent du terrain, ce sera le début de la régression. Est-ce que la société tunisienne, et pas seulement les cercles citadins, est réceptive à ce projet et est-elle prête à se battre pour le réaliser ? Ce qui est un peu différent pour la société tunisienne par rapport aux deux autres grands pays maghrébins, le Maroc et l’Algérie, c’est l’existence d’une importante classe moyenne qui est habituée aux pratiques laïques dans son quotidien et dans l’histoire de la Tunisie, puisque Bourguiba [président de 1957 à 1987] avait instauré des pratiques laïques. Je le rappelle un peu dans le film, Bourguiba avait empêché que pendant le ramadan soient aménagés des horaires spéciaux, il avait même exhorté le peuple – dans un discours de 1961 – à ne pas faire le ramadan en disant que le plus grand des djihads, c’était le djihad du développement, et qu’économiquement le ramadan coûtait cher au pays à cause de la baisse de productivité qu’il entraîne. Mais qu’aujourd’hui, comme on le voit dans votre film, les « dé-jeûneurs » soient dans l’obligation de se cacher, est-ce que ce n’est pas un recul par rapport à cette position de Bourguiba ? Bien sûr. Ben Ali est à l’origine de ce recul. Dès qu’il est arrivé au pouvoir [en 1987], la première décision qu’il a prise a été la diffusion de l’appel à la prière à la télévision. C’était le début des concessions aux islamistes. Non seulement il a voulu autoriser Ennahda [parti politique islamiste tunisien], avant de l’interdire par la suite et de réprimer très durement ses membres, mais il a aussi tenté de s’allier aux islamistes. Il faut rappeler aux Tunisiens que Ben Ali a instrumentalisé la religion pour mieux donner des gages aux islamistes. La laïcité est devenue une priorité… Je pense que c’est un véritable enjeu de société, parce que, si ça ne l’était pas, je ne vois pas comment expliquer la virulence et la violence des attaques islamistes à l’égard de mon film. Pour les islamistes, c’est une menace, et, pour nous, ce serait entrer définitivement dans la modernité et de plain-pied dans le troisième millénaire. Nous sommes entrés dans la modernité en faisant la première révolution du monde arabe du troisième millénaire, maintenant il faut qu’on continue sur cette voie. Si on veut achever le travail qui a été accompli le 14 janvier, il faut voter pour une Assemblée constituante en faveur de la laïcité, soit de la séparation de la religion et de l’Etat. N’y a-t-il pas là aussi un travail d’explication et de clarification à faire autour du concept de laïcité ? On a été pris de vitesse par les islamistes, qui ont réussi, aidés par leurs chaînes satellitaires, à faire croire au peuple tunisien comme aux autres peuples arabes que la laïcité imposerait l’athéisme. Aujourd’hui, les progressistes ont du mal à contrer cette idée reçue. Que disent les Tunisiens attachés à la laïcité aux islamistes qui disent que « le Coran est notre Constitution » ?