25 octobre 2010

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TUNISNEWS
10 ème année,N° 3807 du 25.10.2010
archives : www.tunisnews.net 


Lettre de Pierre Laurent, Secrétaire national du PCF, à l’ambassadeur de Tunisie en France

Kalima: Classement mondial RSF : La Tunisie perd 10 points et poursuit sa chute

Kalima: Le Coordonnateur de la caravane humanitaire pour Gaza arrëté en Tunisie

Kalima: HRW exige des autorités Tunisiennes le respect des droits syndicaux

Slim Bagga: Tunisie – Une banque en voie de disparition

Taoufik Ben Brik: Portrait de Slim Boukhdhir, par Taoufik Ben Brik

Réalités: Interview de Tahar Belkhodja (deuxième partie)


Lettre de Pierre Laurent, Secrétaire national du PCF, à l’ambassadeur de Tunisie en France.


Pierre Laurent
Secrétaire national
Conseiller régional de l’Ile de France
 
                                                                            Monsieur Mohamed Raouf Najar
                                                                            Ambassadeur
                                                                            Ambassade de Tunisie
                                                                            25, rue Barbet de Jouy
                                                                            75007 Paris
 
                                                                          Paris, le 19 octobre 2010
 
 
Monsieur l’Ambassadeur,
Je tiens à attirer votre attention sur la situation de M. El Fahem Boukadous, journaliste condamné à 4 ans de prison pour avoir relaté le mouvement social de Gafsa. En mauvaise santé, il est aujourd’hui en grève de la faim pour protester contre la dégradation de ses conditions carcérales et sa mise en isolement.
 
Le Parti communiste français renouvelle la demande de libération d’El Fahem Boukadous et de tous les prisonniers suite aux événements de Gafsa.
 
Je souhaite également soulever le cas de M. Hamma Hammami, directeur du journal « Al Badil » et porte-parole du Parti communiste des Ouvriers de Tunisie. Depuis des années, il fait l’objet de poursuites répétées, d’emprisonnements, de mauvais traitements de la part des autorités tunisiennes. Il est aujourd’hui privé de ses droits élémentaires. Après l’avoir contraint à suspendre son journal, toute activité politique publique lui est interdite par le gouvernement tunisien. Rien ne justifie un tel traitement.
 
En quoi avoir une opinion politique différente de celle du pouvoir serait-il devenu un crime en Tunisie?
 
Les autorités tunisiennes doivent mettre un terme à cet acharnement. M. Hamma Hammami doit pouvoir vivre libre, exercer ses droits de citoyen et sa capacité d’action publique, civile et familiale.
 
La délégation de députés et responsables communistes en Tunisie -conduite par Mme Marie-George Buffet en juillet dernier- et les multiples rencontres qu’elle a pu avoir, ont confirmé nos graves préoccupations quant à la situation de militants sociaux et politiques, en regard du respect de leurs droits et des règles qui s’attachent à un Etat de droit.
 
Je vous demande donc d’intervenir auprès du gouvernement tunisien pour transmettre notre sérieuse inquiétude devant cette dégradation, et notre détermination à exiger l’arrêt de toute répression frappant les démocrates et les progressistes tunisiens.
 
Je vous prie d’agréer, Monsieur l’Ambassadeur, l’expression de mes salutations distinguées.  
                                                                       Pierre Laurent
 
Parti communiste français :2, place du Colonel-Fabien 75167 Paris Cedex 19
Tél :0140401212 – Fax: O140401356 – E-mail: pcf@pcf.fr – Web : www.pcf.fr
 

Classement mondial RSF : La Tunisie perd 10 points et poursuit sa chute


Proposé par redaction le Vendredi 22 octobre 2010
Reporters sans frontières vient de publier son 9e classement mondial des pays au regard de leur respect de la liberté de la presse pour 2010.
Pas de surprise pour la Tunisie qui poursuit sa chute dans le classement elle passe d 154e en 2009 à 164e .
Pour cause : « la politique de répression systématique mise en place par les autorités de Tunis à l’égard de toute personne qui exprime une idée contraire à celle du régime.
L’adoption de l’amendement de l’article 61bis du code pénal est particulièrement inquiétante dans la mesure où elle conduit à criminaliser tout contact avec des organisations étrangères qui, à terme, nuiraient aux intérêts économiques de la Tunisie » souligne le rapport .
Le Maroc est 135e et recule de 8 places, tandis que l’Algérie 133e, remonte légèrement au classement du fait de la baisse des procès intentés aux journalistes, sans toutefois abandonner sa politique de main mise sur les journaux.
Les scandinaves restent les pays en tête de peloton, mais c’est l’Europe du Sud qui est en net recul, il s’agit notamment de la France et de l’Italie «  où incidents et faits marquants ont jalonné l’année en cours, confirmant leur incapacité à renverser la tendance : violation de la protection des sources, concentration des médias, mépris et même impatience du pouvoir politique envers les journalistes et leur travail, convocations de journalistes devant la justice. » indique enfin le rapport.
 
(Source: Le site de “Radio Kalima” le 22 octobre 2010)

Le Coordonnateur de la caravane humanitaire pour Gaza arrëté en Tunisie


Proposé par redaction le Vendredi 22 octobre 2010
M. Mohammed Al-Haddad, le coordonnateur de la caravane humanitaire pour Gaza a été arrêté par la police dans le sud de la Tunisie à Ben Guerdane ; les autorités lui ont demandé à Al haddad, un britannique d’origine libyenne de changer l’itinéraire du convoi et d’éviter la ville frontalière de Ben Guerdane sur sa route pour la Libye afin et d’emprunter un chemin hors des villes afin d’éviter les rassemblements populaires sur sa route , comme cela a été le cas au Maroc et en Algérie.
Face à son refus de changer l’itinéraire, les autorités l’ont interpellé dans les locaux de la police a déclaré M. Zouari Mohamed, le coordinateur tunisien de ce convoi formé Composée d’un convoi de 29 camions transportant 69 citoyens Britanniques transportant de l’aide humanitaire, avec à sa tête le Parlementaire George Galloway, La caravane s’active à acheminer, par voie terrestre, ces aides humanitaires consistant en des produits alimentaires, des médicaments et des fournitures scolaires vers la bande de Gaza soumise à un blocus depuis juin 2007.
Finalement, la caravane a pu quitter la Tunisie le 21 octobre vers la Libye.
Rappelons que les autorités algériennes ont décidé d’ouvrir exceptionnellement la frontière algérienne avec le Maroc fermée depuis maintenant 15 années, pour permettre le passage sans encombre de ce convoi humanitaire.
Il est à noter que le convoi mentionnés acheminement de l’aide humanitaire pour la population de Gaza se composait essentiellement de fournitures médicales, a été lancé le 10 Octobre à partir de Londres et est entré sur le territoire tunisien le mardi 19 Octobre après avoir traversé la France, l’Espagne, le Maroc, l’Algérie.
 
(Source: Le site de “Radio Kalima” le 22 octobre 2010)


HRW exige des autorités Tunisiennes le respect des droits syndicaux


Proposé par redaction le Vendredi 22 octobre 2010

Dans une conférence de presse tenue à Tunis le 22 octobre, l’ONG de droits humains Human rights Watch a rendu public un rapport intitulé : « Le prix de l’indépendance : les syndicats professionnels et étudiants sont réduits au silence en Tunisie ».
Le rapport y dénonce un « système de contrôle strict que les autorités tunisiennes opèrent sur les syndicats et syndicalistes et souligne notamment la situation critique dans laquelle se trouvent les syndicats d’ouvriers, d’étudiants et de journalistes qui ont critiqué les politiques gouvernementales. »
« Aucun pan de la société civile en Tunisie n’est épargné par la mainmise du gouvernement, pas même les syndicats ouvriers, dans la mesure où il s’agirait d’organisations critiquant le gouvernement », a indiqué Sarah Leah Whitson, directrice de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord de Human Rights Watch.
« En employant des méthodes allant des machinations bureaucratiques à l’agression physique, le gouvernement tunisien tient de nombreux syndicats du pays sous sa coupe. » précise-t-elle.
Selon le rapport « Le gouvernement a refusé de reconnaître des syndicats qui ont pourtant suivi la procédure d’inscription requise en vue de l’obtention d’un statut légal. D’autre part, il a empêché leurs membres de se réunir et d’organiser des rencontres ; et il a arrêté et détenu arbitrairement des syndicalistes parmi lesquels certains ont affirmé avoir été torturés par les forces de sécurité.
Le gouvernement et ses alliés ont également intimidé des journalistes et orchestré le remplacement de la direction du syndicat des journalistes indépendants par un comité se composant exclusivement de sympathisants du gouvernement. »
HRW recommande en conclusion de : « amender toutes les lois et règlementations tunisiennes pertinentes, y compris le Code du travail, pour se conformer aux exigences du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et politiques et de l’Organisation internationale du travail; diligenter de façon prompte et impartiale des enquêtes sur toutes les allégations de torture ou de mauvais traitement sur des syndicalistes par des agents de sécurité ou des représentants des forces publiques.
Rappelons que HRW avait été empêchée de tenir une conférence le 24 mars 2010 pour présenter son rapport « Une prison plus vaste : Répression des anciens prisonniers politiques en Tunisie », et qu’elle continue de refuser d’autoriser l’ONG à visiter les prisons tunisiennes, malgré les promesses formulées publiquement en Mars 2008 lors de la présentation de son rapport périodique devant le Comité des droits de l’homme de l’ONU.

 
(Source: Le site de “Radio Kalima” le 22 octobre 2010)
Lien: http://www.kalima-tunisie.info/fr/modules.php?name=News&file=article&sid=284


Violation des droits de l’homme : La Tunisie épinglée par Human rights watch


Le gouvernement tunisien est de nouveau sur la sellette. Il est accusé par Human rights watch (Hrw) de violations des libertés syndicales. Les syndicats des journalistes et des étudiants ont déjà fait les frais de cette répression aveugle contre la liberté syndicale.
 
Le gouvernement tunisien est encore au banc des accusés. Des représentants de l’Ong américaine de défense des droits de la personne, Human rights watch (Hrw) ont dénoncé la semaine dernière la répression aveugle à laquelle se livrent les autorités tunisiennes contre la société civile tout en exhortant le régime du président Ben Ali à respecter la liberté d’expression des citoyens. La révélation a été faite la semaine dernière, à Tunis, par Rasha Moumneh, responsable du département Moyen-Orient Afrique du Nord à Hrw lors de la cérémonie de présentation du rapport de son organisation, axé sur la situation des droits de l’homme dans cette zone géographique et intitulé : ‘Le prix de l’indépendance : les syndicats de travailleurs et d’étudiants réduits au silence en Tunisie’, selon canadian press. 
 
Pour Rasha Moumneh, le gouvernement tunisien doit à tout prix garantir la liberté d’expression à toutes les opinions y compris celles de l’opposition. Cela, constitue, selon lui, un impératif et une nécessité auxquels les autorités de Tunis ne peuvent, sous aucun prétexte, se soustraire. ‘L’expérience actuelle est plus positive après les mauvaises relations qui ont précédé. C’est un premier pas qui préfigure un nouveau départ. Nous sommes pour un dialogue franc et transparent avec le gouvernement tunisien’, a déclaré Moumneh dans son discours tout en réaffirmant l’engagement de son organisation à œuvrer à une meilleure compréhension avec le gouvernement tunisien. Ceci, pour éviter de nouvelles frictions entre le régime du président Ben Ali et les organisations de défense des droits de l’homme dont Human rights watch. 
 
L’Ong américaine de défense des droits de l’homme invite, à travers ce rapport de 62 pages, les autorités tunisiennes à mettre un terme ‘aux restrictions arbitraires des libertés syndicales’ et dénonce ‘le refus de reconnaître les syndicats indépendants’, d’après notre source. Elle cite, entre autres cas de violations des libertés syndicales, l’immixtion intempestive du gouvernement dans les affaires internes des associations et mouvements des travailleurs, avec notamment l’éviction ‘orchestrée’ de l’ancien bureau du Syndicat national des journalistes tunisiens (Snjt), suite à la publication d’un rapport critique sur l’absence de liberté dans les médias tunisiens. Après cet incident, le bureau du Snjt avait été remplacé par une autre structure composée, pour l’essentiel, de personnes proches du régime, indique la même source. 
 
Les journalistes ne sont pas, cependant, les seuls à faire les frais des persécutions, des arrestations arbitraires et des tortures tous azimuts dont les syndicats tunisiens sont victimes. Le rapport cite le cas de l’Union générale des étudiants tunisiens (Uget) qui fut naguère la cible des autorités dans leur croisade contre les libertés syndicales. ‘Le gouvernement montre sa détermination à étouffer les mouvements de protestation partout où ils apparaissent’, a déclaré en substance Sarah Whitson. Et comme on pouvait si attendre, la réaction du gouvernement n’a pas tardé. Il rejette en bloc ces accusations qu’il qualifie de ‘non fondées’. Malgré tout, Human rights watch ne veut pas s’arrêter en si bon chemin. Elle a entrepris des démarches auprès des autorités tunisiennes pour obtenir l’autorisation de visiter les prisons. ‘Les discussions sont lentes, mais nous allons les poursuivre. C’est une question de temps’, a-t-elle ainsi précisé en réponse à une question posée par un confrère. 
 
M. A. DIALLO
 
(Source: “Walfadjri” (Quotidien – Senegal) le 25 octobre 2010)

TUNISIE: UNE BANQUE EN VOIE DE DISPARITION


Depuis plus de 20 ans, sur ordre de Carthage, un Fonds national de Solidarité appelé le Fonds 26-26, du nom du compte courant postal a été créé. Et une Journée du racket, le 8 décembre, a été décrétée afin que tous les salariés versent ( le plus souvent malgré eux) l’équivalent d’une journée de travail par solidarité aux plus démunis. Dévié de sa vocation, échappant à toute comptabilité transparente, géré directement par le Palais, ce Fonds était devenu très critiqué. Si bien que les gros contribuables avaient trouvé l’astuce de verser trop d’argent à ce Fonds pour échapper aux Impots et plaire à la Présidence. D’un autre côté, celui qui n’accepte pas d’y apporter son obole, voit le fisc débarquer dans son entreprise. Les audacieux fonctionnaires réfractaires sont, pour leur part, fichés et sanctionnés dans leur promotion.
Pour atténuer ces critiques, Carthage a alors décidé de créer une Banque, appelée la Banque de Solidarité, ayant vocation d’accorder des micro-crédits pour des Tunisiens voulant créer des PME. 1000 dinars par ci, 2000 par là à des femmes et des hommes déshérités que la propagande expose à la Télé pour venir y chanter leur gratitude à l’égard du « Lider Minimo » Ben Ali.
C’est cette banque qui va disparaître dans les jours qui viennent car ses caisses sont vides, pour être absorbée par une grande banque de la Place, la Société tunisienne de Banques (STB), elle-même en difficulté pour causes de dettes irrécouvrables. Et pour cause: des milliards de crédit sans assurance de remboursement ont été accordés à la mafia et ses acolytes.
Cette disparition fait aussi bien l’affaire du pieux gominé Sakhr Materi, gendre de Zinochet et de Leila De Pompagaddour-Trabelsi qui a mis la main sur cette banque et qui entend monopoliser les oeuvres de bienfaisance et sociales, à travers l’Association Ezzeitouna et sa propre banque du même nom.
Des langues commencent déjà à se délier pour signaler « qu’après 20 ans de racket d’Etat, est venu le temps de la détention par une seule famille proche du clan du mal, des oeuvres dites sociales et des micro-crédits bancaires… »
Et lorsque notre Tartuffe national s’y met dans les oeuvres sociales, veuves et orphelins peuvent dormir sur leurs deux oreilles. Avec Sakhr et belle-maman Leila, c’est plein soleil!
 
Slim BAGGA
 

Portrait de Slim Boukhdhir, par Taoufik Ben Brik


« Je suis un étranger dans un pays inconnu »
Bob Dylan
 
Slim Boukhdhir, dans la Tunisie de Ben Ali, est-il simplement journaliste ? Un homme qui s’informe et qui informe ? Dans un pays où le métier de journaliste s’est éteint avec l’avènement du 7 novembre, écrire, dire est une folie. Slim est le fou de Tunis. Pourquoi se réfugie-t-il dans sa misérable folie ? Les autres se sont assagis et font d’autres métiers : épiciers, contrebandiers, barmans. Lui, perdure. Non pas parce qu’il ne sait rien faire d’autre, mais parce que c’est sa raison d’être. Comme un oiseau qui vole, un poisson qui nage, une terre qui tourne. Peut-on le sommer d’arrêter de tourniquer ? Un monogame qui meurt à la mort de sa compagne. Et, dans un pays où il n’y a de résistance qu’à travers l’écrit (pétitions, manifestations, prises de position), Slim est à la tête des dix têtes brulées et enfoirées, les plus casse-cou, la chair à canon. Que font les partis d’opposition et les boîtes de défense des droits de l’homme à part pondre dans la douleur des protestations modérées, timides et insipides ? Les meetings, la rue ne sont pas de leur ressort. Ils ont la hantise d’être sans adresse. Sans appartenance. Ils se sentent quelconque. « Allah Ghalleb », dira ma mère.
 
Et avec tout cela, ils ont le culot de décider du calendrier de nos petites causes urgentes et les moins urgentes. Qu’est-ce qui est défendable et qui ne l’est pas ? bien sûr, il y a les super militants et les sous-militants. La racaille, la tourbe, les oubliés de dieu. Aujourd’hui, il faut tout classer et mettre en sourdine et ne s’occuper que du dossier assommant de la Ligue et son embourbement dans les sables mouvants des tractations. Hier, c’était comment rendre visible l’hétéroclite collectif du 18 octobre. Demain c’est l’article 61 bis et comment le vendre à Bruxelles (sic). Après-demain c’est le procès du tortionnaire de Jendouba. (Le tien, il peut attendre. Pas la peine d’en faire un plat. Ce n’est pas crucial, ce n’est pas productif). Et, gare à celui qui sort du rang et fait Zorro tout seul. On crie au sabotage. Au « brouillage » des ondes. Se défendre soi-même ou défendre un autre macchabé sans la permission des apôtres du microcosme est passible de l’unique peine qu’ils ne cessent de brandir : « rabi iiniq ربي يعينك ! » Que Dieu te vienne en aide ! A la trappe claudo. Ben Ali est partout. Nous sommes ses sosies. Parfait.
 
J’ouvre une parenthèse ici : pourquoi ces chapelles de l’opposition et ces associations de copinage dites de la société civile -qui crient à longueur de journée leur impuissance- ne mettent-elles pas la clef sous la porte et basta? Elles nous épargneraient ainsi nos attentes et celles de Godot. Comme ça, on n’est plus sur des charbons ardents. (Pour dégoter une lettre de protestation, il faut leur danser la danse du ventre). Et, surtout, dans mon cas, je ne serai plus obligé de les défendre à tort et à travers. (Les rôles sont inversés, zut !). Ainsi, ç’en est fini de la dictature molle. Point d’alibi. Le paysage sera net et propre. Un sahara tropico-politique. Y’en a marre de ces touffes d’alfa laides comme des verrues sur le nez.
 
Slim, lui, va plus loin avec ses brulots qui font mouche. Ça ne rate jamais. Lorsque les barons du microcosme se sont barricadés derrière leur combat d’arrière garde, lui s’est aventuré derrière les lignes ennemies : l’argent mal acquis de la famille régnante.
 
Ni la prison, ni les kidnappings, ni les passages à tabac n’ont pu le lobotomiser. Seul un meurtre peut ramener ce troubadour à la raison. Il vit et fait vivre à sa femme et ses enfants la pauvreté noire et totale. Il est sans journal, sans salaire, sans internet, sans correspondance, sans passeport. Un bidoun. Un sans-toit. Le SDF, le sans –famille du journalisme tunisien.
 
Né le 5 novembre 1971. Il paraît plus vieux que le vieux du palais de Carthage. En tout cas plus démuni et mal dans sa peau. Lauréat d’une tonne de prix malheureusement symboliques. Prix CNLT, prix Ben Chikhou pour avoir été embastillé en 2007. Epoux de Dalenda et père de deux enfants, un garçon de 8 ans, Rached, et une fille, Karama, âgée de 4 ans. Il est natif de la petite bourgade, Boukhdhir, aux alentours de Sfax. Co-fondateur du syndicat des journalistes mort-né et membre d’un amoncellement d’association hors-la loi. Il fut le correspondant d’El Arabia et d’El Kods El Arabi. Interdit d’écriture en Tunisie, depuis son remerciement en 2006 du quotidien Echourouq. En 2001 et 2004, il a été respectivement mis à la porte de Dar Essabah et d’Akhbar Al Joumhouriya. Il est considéré comme le champion des grévistes de la faim à Tunis, capitale des affamés. Vous en conviendrez, ce n’est pas avec une telle course de vie qu’on peut cerner le personnage.
 
On dira qu’il ne faut pas juger les gens sur leurs mines, mais en ce qui me concerne, j’estime que la mine est précisément faite pour ça. « Si vous voulez connaitre ma vie, dit Slim, pas la peine de regarder ma figure, ni mes mains, suffit de jeter un coup d’œil dans mon clapet et voir mes dents et vous verrez, si toutefois vous en êtes capables, combien de siècles je suis là à crier mon infortune. Elles ressemblent à ces colonnes antiques de Carthage. En fait, je suis là et las, bien avant la première guerre punique ». « Ces dents ont tout supporté : depuis l’instauration du parti unique par Bourguiba jusqu’à l’hégémonie des Services de Renseignement sous Ben Ali : Elles ont mordu la famine et des grèves de la faim. Elles sont entrées dans les postes de police, les tribunaux, les prisons. Elles se sont heurtées aux matraques des B.O.P, ont déambulé dans les salles de rédaction de journaux de caniveau, ont fait la queue pour un mandat trimestriel de RSF… »
 
Slim est classé X. Hard. Damnable. Pas seulement par les Services Spéciaux. Les autres, c’est-à-dire nous, les bouches en culs de poules, les soi-disant Mounadhilins s’esclaffent : « ça ne fait pas sérieux ! » Pour les BCBG Slim est un romanichel. Ils le confondent à coup sûr avec moi, Ben Brik, ce reptile qui colle à la terre. A la fois singe bondissant, bouc puant et lézard rampant. Gluant, dégoulinant de pus et recouvert de gale. Je possède une queue de cochon, paraît-il. Ils m’ont démoli le bastos, les snobinards, ces sans-noblesses, ces embourgeoisés de mes deux. Même pas des bourges, des vrais. Pauvres bougres. Mais Slim ne semble pas troublé et, en tout cas, il ne laisse pas le regard de ces aristochats entraver sa mission : foutre la mer… partout et fuir dans la nuit. Pour moi, il est l’image même du philosophe-mendiant qu’on rencontre dans l’ancienne et l’actuelle Babel. Un Gandhi farouche. Il est ce journaliste, personnage campé par l’immense Salah Kabil, dans le Moineau de Youssef Chahine. Face à la censure des ventrus, Salah a lancé « si je ne peux pas écrire dans les journaux, j’écrirai sur les murs. Si je ne peux pas écrire sur les murs, j’écrirai sur le sol. Si je ne peux pas écrire sur le sol, j’écrirai sur la mer. Si je ne peux pas écrire sur la mer j’écrirai sur le ciel, le vent, les arbres, le feu… » Même un tank ne peut stopper la charge des lettres de l’alphabet. Surtout pas celle du « ya », la lettre du « jar » qui traine toutes les réputations -jusque là intactes- dans la boue. « Vous avez déclenché par mégarde des représailles. Je déterre ma plume de guerre, je bariole mes phrases et je n’épargne personne : amis, ennemis et soi-même. Une guerre sans merci. D’usure. Jusqu’à l’épuisement. Que tombent les têtes et ma tête. Vous me cherchez, me voilà ! Montrez-moi si vous êtes de taille pour croiser le fer avec moi. Courage, approchez, n’ayez pas peur, les mauviettes, je ne vous ferai rien, promis, je vous crèverai seulement les yeux, je vous boucherai les narines, je vous scalperai. Je reviens de loin, très loin, d’une balade au bout de l’enfer. Vous ne sentez pas l’odeur du brulé-vif ? J’ai pactisé avec Lucifer et tous les Méphistophélès des profondeurs des ténèbres. Sur les hauts des hurle-vents. Arthaud et son théâtre de la cruauté. Inconsolable, plus jamais gai », dit l’ombre de mon ombre.
 
Slim est trop gentleman. Trop jovial. Trop désordonné. Vraiment pas leur genre. Pas élitiste pour un sou. Généreux, égalitaire. Méprisant les concepts petits bourgeois de beauté, de charme, d’ascension sociale. Je le vois caresser l’idée d’être berger. Le berger est une sorte de Kat cérébral que Slim aimait à mâchonner. Berger. Où. Dans un douar à Sfax ? Ou de Sousse. Ou de Bizerte, il ne va pas faire le difficile. Un modeste berger anonyme, n’importe où, loin de la ville. N’importe où hors de Tunis pour élever les moutons. Les moutons ne font du mal à personne. Ils broutent, bêlent et rapportent de quoi garnir l’assiette de sa marmaille gloutonne. N’importe quel boulot. Le plus subalterne, laveur de carreaux, éboueur, balayeur, manœuvre : on aurait qu’à le faire, faire son boulot sans plus et on n’aurait pas besoin de passer des examens de baccalauréat, pas besoin de lire Mahmoud El Messaâdi ou de farfouiller dans la période difficile de Hédi Nouira qui a permis à tant d’escrocs de se frayer un chemin jusqu’au sommet. Pas besoin d’entendre parler de chiffres de production cabriolant et de leur progression phénoménale, au-delà même des prévisions du plan.
 
Il serait vraiment agréable d’être berger songe Slim. Un travail sain, en plein air, des choses à voir. C’était l’humilité même de ce rêve, sa frugalité qui le rendait si attrayant : il semble du coup plus aisément réalisable. Ce n’est pas comme si Slim avait importuné la Providence pour être milliardaire ou pour qu’on lui offre la présidence de la Tunisie. Tirez-moi de là. Tirez-moi de là, je n’en veux pas plus. Sans même parler du climat politique inclément et de la merde omniprésente dans la vie quotidienne, le seul fait de vivre à Tunis surveillé et pourchassé, était trop absurde, impossible à digérer. Installer sa famille, loin dans le bled, est une priorité, un scoop pour lui. Trois mois durant, il se démène comme un diable pour leur offrir cette évasion. Pourquoi la vie devrait-elle se résumer à se lever si souvent dans le froid et le noir pour faire des choses qu’on n’aime pas ? A part écrire, bien sûr. Il fait ça en dormant comme dans la vallée des fainéants, loin de la brutalité des surmenés.
 
Face à la Dakhilia, un haut bâtiment où niche la maison des journalistes. Chômeurs et gens de robe, rustres endimanchés (dans les habits qu’ils ne portaient qu’à la mosquée, dans les enterrements ou pour les fêtes de circoncision), négociants et Altesses (uniquement de l’espèce des pingres, il est vrai), flics et délateurs, tous avaient franchi ses portes.
 
Ça ne rate jamais. En guise de salutation, Slim se lance, avant même d’être éméché, dans une ardente dénonciation du répugnant système qui l’a condamné à l’errance. C’est toujours, un moment de superbe morceau d’éloquence. Il l’avait lu quelque part, il récitait sans doute un communiqué de l’Association Liberté et Equité, dont il est le seul membre laïc.
 
Slim, ne rencontre jamais un de ces journalistes infiltrés qui lui paye « une tournée », sans le gratifier d’un vers d’Abou Nawas ; à charge, pour le mouchard de donner la réplique avec le vers suivant, sous peine de se faire insulter sans délai. Sa sévérité n’est pas sans mélange. Des pois-chiches sont promis à quiconque réussirait à le prendre en défaut sur un poème d’Ouled Ahmed, poète de l’amour et du vin. Pour parler comme Ouled Ahmed, ce poéte maudit, à qui Ben Ali voue un sentiment mitigé : tu ne veux pas ma queue ?
 
D’accord la Tunisie n’est pas tout à fait un pays, mais ce n’est pas la Lybie ou Djibouti. L’épouvante de Slim semble sincère, lorsqu’une nuit, en sueur, sortant d’un cauchemar, il découvre, au saut du lit un Ben Ali colossal, lui susurrer : « Ecris! Ecris ! Ecris au nom d’Allah !». Ça a de quoi, effectivement déranger un homme déjà dérangé. Sans Ben Ali qu’adviendra-t-il de la p’tite Tunisie ? Une démocratie sans aventure, sans adrénaline, sans blasphème. Vive Ben Ali.
 
Taoufik Ben Brik
 
(Source: “Nouvelobs.com” le 25 octobre 2010)
Lien: http://tempsreel.nouvelobs.com/actualite/opinion/20101025.OBS1794/tribune-portrait-de-slim-boukhdhir-par-taoufik-ben-brik.html

Interview de Tahar Belkhodja (deuxième partie)

     


L’ancien ministre de l’Intérieur et de l’information de Bourguiba, Tahar Belkhodja qui vient de rééditer son livre “Les trois décennies Bourguiba” revient dans cette deuxième partie de la grande interview qu’il nous a accordée aux relations de la Tunisie parfois tumultueuses avec ses deux voisins la Libye et l’Algérie et sur l’échec de la première tentative de démocratisation du régime lors du congrès du parti au pouvoir à Monastir en 1971.
Bonne lecture.
 
I – L’échec de la démocratisation
Après l’épisode des années soixante, pourquoi n’aviez-vous pas rejoint le groupe des libéraux, alors que vous partagiez globalement leurs analyses ? Etait-ce pour des raisons politiques ou régionalistes ?
Ahmed Mestiri avait démissionné du gouvernement en 1968, mais il est resté quand même dans le parti. En 1970, et après le limogeage de Ben Salah c’est Mestiri qui avait réussi à obtenir que le parti tienne un congrès. Ahmed Mestiri était auréolé du fait qu’il avait pris publiquement position contre les dérives des années soixante. En face de lui il y avait les perdants, le gouvernement et moi-même compris. Après plus de six mois passés à l’étranger, Bourguiba fut de retour le 1er juin 1970. Mestiri et ses amis lui imposèrent pratiquement le congrès de 1971.
Lors de la commission supérieure du Parti tenu en 1970 pour tirer les enseignements de l’éhec de la politique socialiste, Mestiri a été à l’origine d’un manifeste ultra libéral qui a été envoyé à 1000 cellules de parti. Ce manifeste demandait aux militants destouriens ce qu’ils pensaient du système. Il les interrogeait sur ce qu’il fallait changer, et cela allait du système présidentiel jusqu’au mode électoral, en passant par les libertés démocratiques… Ce manifeste a créé une euphorie dans le pays.
Les gens se sont terriblement défoulés aussi bien contre les tenants du socialisme que pour le changement radical dans tous les domaines.
Le changement était trop brutal. On avait libéré la parole des citoyens et des militants, mais on ne leur avait pas suggéré des solutions concrètes. On a jeté une pierre dans la mare, et on s’est délecté de voir ses circonvolutions, alors qu’on aurait dû, à ce moment là, proposer une sortie de crise pour nos concitoyens. Le régime était complètement effrité, et mis à bas. Le pays a perdu une véritable occasion pour amorcer un changement salutaire.
 
Pourquoi n’aviez-vous pas soutenu Mestiri alors ?
Lors du Congrès de 1971, Ahmed Mestiri avait une mouvance qui lui était fidèle. Je ne pouvais pas être à la fois avec Mestiri et Bourguiba. J’avais choisi d’être avec Bourguiba tout en étant lié d’amitié avec Mestiri, mais ma fidélité politique était sans ambiguité pour Bourguiba.
Le Congrès de Monastir de 1971 était verrouillé et dominé par la tendance Mestiri. A mon avis, on avait voulu aller très vite. L’ambiance du congrès était électrique. Il y avait d’un côté ceux qui voulaient un changement radical, et de l’autre ceux qui ne voulaient changer rien du tout. A la fin des travaux du congrès, les amis de Mestiri avaient tenté un coup de force en imposant l’élection du bureau politique par le comité central, c’était une erreur politique.
 
Pourquoi était-ce une erreur ?
Parce que cela signifiait à ce moment là que le Bureau politique, une fois élu directement par le comité central, allait s’imposer au Président Bourguiba. Cela était un changement radical, d’autant plus qu’on allait avoir un bureau politique qui ne partageait pas certains choix fondamentaux du Président. Je pense qu’il y a eu erreur des deux côtés : des amis d’Ahmed Mestiri et de ceux qui étaient autour de Hédi Nouira alors Premier ministre. Les deux n’ont pas cherché le consensus. Si l’on avait cherché l’entente, un changement concerté aurait pu voir le jour, mais imposer un bureau politique élu au Président, cela ne pouvait pas passer. C’était une grande occasion ratée pour amener un changement en douceur du système.
 
Près de quarante ans après ces évènements, pensez-vous que le parti était prêt à changer, ou que c’était perdu d’avance ?
Je veux clarifier une chose : il ne faut pas parler du parti, mais des dirigeants du parti. Le parti n’est qu’un instrument. C’étaient les dirigeants qui ne voulaient pas changer par rapport à une minorité qui avait certes le vent en poupe mais l’appareil du parti était ailleurs.
 
II – Le problème frontalier tuniso-algérien
 
Vous avez lié dans votre livre entre la Bataille de Bizerte et le problème frontalier tuniso-algérien. Pourquoi ?
C’est un grand problème. On ne peut pas parler de la Bataille de Bizerte, sans la replacer dans son contexte. Ce fut une affaire terrible pour nous les Tunisiens et pour Bourguiba plus particulièrement. Le problème fondamental était l’existence même de la Tunisie et ses contours géographiques.
 
C’est-à-dire…
Avec l’Indépendance de la Tunisie nous avons hérité d’un problème immense qui est la délimitation de nos frontières sahariennes. Bourguiba en était conscient et voulait régler ce litige avant l’indépendance inéluctable de l’Algérie afin de ne pas envenimer la relation des deux pays frères.
Il faut se rappeler que jusqu’en 1958 la Tunisie était certes indépendante, mais les casernes françaises étaient sur tout notre territoire, sous prétexte de sécuriser nos frontières avec l’Algérie.
Après la tragédie de Sakiet Sidi Youssef en février 1958, où l’Armée française avait bombardé ce village tunisien, causant des dizaines de victimes, Bourguiba avait pris le pari d’engager un bras de fer avec la France. Il décida d’encercler toutes les casernes de l’armée française, en dehors de Bizerte, en mars 1958. Des volontaires et des militants du parti empêchaient les militaires français de quitter ou de rentrer dans les casernes. Cette stratégie a réussi. Le 17 juin 1958 la Tunisie signait un accord d’évacuation avec la France. La France ne gardait alors que la base de Bizerte. A ce moment là Bourguiba avait en tête le problème dit de la borne 233, c’est-à-dire de la délimitation de notre frontière saharienne avec l’Algérie.
Il faut rappeler que Bourguiba avait déjà stoppé les négociations de l’autonomie interne avec la France, parce que l’armée française lui avait interdit l’accès à la cité de Borj El Bœuf sous prétexte qu’elle était algérienne, alors que pour Bourguiba c’était une terre tunisienne [NDLR : voir la Carte qui explique le différent frontalier]. Après cet accord d’évacuation, la Tunisie demandait à la France avec insistance deux choses : premièrement de rectifier le tracé de notre frontière saharienne avec l’Algérie.
La Tunisie avait un accord frontalier en 1910 qui lui donnait accès à la borne 233, mais la France, en tant que pays colonisateur de la Tunisie et de l’Algérie, ne l’avait pas appliqué. Le tracé français s’arrêterait à la borne 220. La différence entre les deux tracés (voir la carte) fait 900km2.
La deuxième demande tunisienne concernait un accord sur un calendrier d’évacuation totale, c’est-à-dire de la Base de Bizerte.
 
Que s’est-il passé à Rambouillet lors de la rencontre historique Bourguiba – De Gaulle ?
En 1960, j’étais chargé d’affaires à notre ambassade à Paris. En 1961 il y a eu cette fameuse rencontre de Rambouillet entre Bourguiba et De Gaulle.
Bourguiba était venu à cette rencontre dans un seul but : pousser la France à rectifier notre frontière saharienne. Bourguiba n’avait rien dit de précis sur le contenu de ces cinq heures d’entretien avec De Gaulle, car il avait perdu son pari. C’est De Gaulle qui vendra la mèche dans ses mémoires en disant que l’évacuation de la Base de Bizerte n’était qu’un prétexte pour parler de la frontière saharienne de la Tunisie.
Ce qui intéressait De Gaulle, à ce moment là, c’était de pouvoir continuer à utiliser le Sahara pour les expériences nucléaires de la France et il voulait avoir, pour cela, l’assentiment des différents pays riverains. Bourguiba avait eu une attitude irréprochable sur ce sujet. On avait contacté Farhat Abbès, le chef du gouvernement provisoire algérien alors détenu en France, pour lui exposer les doléances tunisiennes et pour l’assurer que la Tunisie ne marchandera pas sur le dos de la souveraineté de l’Algérie indépendante. Farhat Abbès nous a écrit que ce problème frontalier sera immédiatement réglé à l’indépendance de l’Algérie.
La Tunisie estimait qu’elle avait un espace saharien qui lui a été confisqué par la France.
Pendant plus de quatre heures, Bourguiba avait essayé à Rambouillet de convaincre le général De Gaulle de la nécessité de rectifier le tracé de la frontière saharienne, mais en vain. Bourguiba avait encaissé cet échec et ne nous a rien montré, et n’eut été les mémoires de De Gaulle on n’aurait rien su de ce long tête-à-tête.
 
Qu’est ce qui a déclenché la bataille de Bizerte ?
Après Rambouillet, la France et les Etats Unis se sont mis d’accord pour évacuer leur bases militaires du Maroc. Ainsi ce que refusait la France à Bourguiba, elle le concédait à Hassen II et cela mit Bourguiba dans tous ses états. Ensuite il y a eu les travaux d’agrandissement de la piste d’atterrissage de la Base de Bizerte. Bourguiba avait sauté sur l’occasion. Les Français ne comptaient pas, donc, se retirer de Bizerte. Bourguiba pensait qu’il pouvait engager un nouveau bras de fer avec la France, à propos de Bizerte, et l’acculer à négocier.
Il a voulu encercler la Base de Bizerte comme il l’avait fait pour les autres bases en 1958. Malheureusement Bourguiba a perdu son pari.
 
Vous voulez dire que Bourguiba n’avait pas prévu une possible riposte militaire française ?
Il pensait qu’il y aurait quelques escarmouches et que la France, finirait par négocier. On n’avait jamais pensé, ni Bourguiba, ni les autres dirigeants qu’il y aurait un tel carnage et que Bizerte serait bombardée par des avions de combats qui viendraient de l’Algérie alors sous occupation française. De Gaulle avait décidé de donner “une leçon” à Bourguiba et de lui faire comprendre que la France ne reculerait pas devant la pression.
 
Et après ?
Malgré le lourd tribu payé à Bizerte, Bourguiba, une fois l’Algérie indépendante, n’a jamais renoncé à récupérer les territoires qu’il estimait appartenir au Sahara tunisien. A deux reprises en 1963 à Addis Abeba et en 1964 au Caire, Bourguiba avait demandé à Ben Bella, alors Président de l’Algérie indépendante, de régler ce problème des frontières sahariennes. Ben Bella avait donné son accord de principe mais rien ne fut fait.
Il y a eu ensuite la folle chevauchée des années soixante en Tunisie et le changement à la tête de l’Etat en Algérie avec la venue de Boumediène en 1965. Pendant le reste des années soixante, le problème des frontières sahariennes ne fut plus posé. Et soudain en janvier 1970, alors que Bourguiba suivait des soins à Paris, en quelques jours, un accord est signé entre la Tunisie et l’Algérie et qui consistait au renoncement de la Tunisie quant à ses prétentions sur ces 900km2 en contre partie d’un dédommagement financier algérien.
 
Cet accord était-il signé, côté tunisien, sur instructions de Bourguiba ?
Cela ne pouvait pas être les cas. Il suffit de revoir le cours des évènements de l’époque. En septembre 1969, Ben Salah est limogé. Deux mois plus tard Bourguiba part pour Paris pour se reposer et se soigner, et il ne reviendra à Tunis que le 1er juin 1970. C’est feu Béhi Ladgham qui assurait la continuité de pouvoir en devenant Premier minsitre. En janvier 1970, une délégation militaire tunisienne se rend à Alger pour discuter des questions frontalières. Les Algériens lui signifient qu’il n’est pas nécessaire de tenir cette rencontre, et que le problème des frontières va trouver très rapidement une solution. Quelques jours après, une délégation algérienne conduite par Abdellaziz Bouteflika, alors ministre des Affaires étrangères, débarque à Tunis. Le lendemain cet accord est signé par Bouteflika et Bourguiba Junior, ministre tunisien des Affaires étrangères, en présence de Béhi Ladgham et Sadok Mokadem, Président du Parlement. On envoie après un télégramme au Président Bourguiba pour l’informer, mais ce dernier ne répond pas, ce qui n’est pas habituel.
Un autre indice qui montre que Bourguiba n’était pas au courant : le courroux de Hassen II suite à cette signature. Le Roi marocain avait convoqué Bourguiba Junior pour lui signifier son mécontentement. A sa sortie de l’audience, Bourguiba Junior n’avait pas trouvé de micro pour faire une déclaration,  ce qui était inhabituel dans le protocole marocain. Si Bourguiba était au courant il en aurait-informé HassenII.
 
Comment expliquer-vous que ni Béhi Ladgham, ni Bourguiba Junior n’aient cru nécessaire d’informer le président d’une décision aussi cruciale ?
Je n’arrive pas à me l’expliquer.
Quelle est votre analyse ?
Je reste, jusqu’à maintenant perplexe. Cet accord signé à la va vite fut ratifié par le Parlement tunisien le 30 janvier 1970. A ce moment là Béhi Ladgham était aux commandes, Bourguiba Junior au ministère des Affaires étrangères et Mohamed Masmoudi ambassadeur à Paris. Le président Bourguiba logeait dans la résidence de l’Ambassadeur. Masmoudi et Wassila, l’épouse de Bourguiba, étaient-ils au parfum? On peut le supposer. Une chose est sûre, le gouvernement tunisien était très affaibli. Un seul député, Ali Marzouki, avait exprimé alors une relative désapprobation de ce renoncement à une partie du territoire national. Le Premier ministre, Béhi Ladgham, l’avait repris assez vigoureusement en lui disant que les deux parties avaient convenu de régler ce problème depuis longtemps.
En revenant en Tunisie en juin 1970, Bourguiba, en homme d’Etat, n’avait jamais remis en cause ce traité, mais il congédia peu de temps après ses deux principaux artisans Béhi Ladgham envoyé dans une mission de bons offices après le Septembre noir en Jordanie et Bourguiba Junior.
Un autre élément plaide en faveur de ce que j’avance. Dans une lettre manuscrite de quatre pages envoyée par Bourguiba à Béhi Ladgham le 4 janvier 1970, le Président y traite de beaucoup de détails, mais aucun mot, et aucune instruction sur ce problème des frontières, alors que la venue de la délégation algérienne à Tunis était imminente.
 
Selon ce que vous connaissez du personnage de feu Béhi Ladgham, était-il concevable qu’il prenne pareille décision sans se référer au Président ?
Je ne sais pas à quelles pressions était soumis le Premier ministre Béhi Ladgham. Je pense qu’il n’a pas saisi toute la portée de ce traité. Il faut rappeler que M. Bouteflika était déjà venu en Tunisie en mars 1969 pour le même objectif. En le recevant Bourguiba ne lui parla que de ses souvenirs de la lutte nationale et ne pipa pas mot sur le problème frontalier.
Ce point important n’a jamais fait l’objet d’une étude historique. C’est un trou noir de l’histoire qu’il faudrait un jour élucider.
 
III – L’Union avec la Libye
 
En 1972 Boumédiène au Kef, avait proposé à Bourguiba une Union avec l’Algérie, puis ce fut au tour de Gueddafi de le faire à Djerba en 1974. Est-ce que cela signifie que nos voisins pensaient que le pouvoir à Tunis était à prendre ? Ou cela participe-t-il de la démarche de certains dirigeants tunisiens de l’époque ?
Les deux à la fois. En 1970 la Tunisie était au plus bas et il y a eu cette affaire des frontières dont nous venons d’évoquer certaines circonstances. En 1969, Gueddafi accéda au pouvoir en Libye et il déclara assez vite à ses voisins arabes (l’Egypte et la Tunisie) son désir d’union. Nos voisins suivaient certainement avec intérêt ce qui se passait en Tunisie. Honnêtement je ne pense pas qu’ils aient eu des visées hégémoniques sur la Tunisie, mais ils devaient penser qu’un ensemble plus large était intéressant. Il faut rappeler que Bourguiba lui-même pensait qu’un ensemble tuniso-libyen ferait le poids par rapport à l’Algérie. Et n’eut été les maladresses qui ont accompagné l’affaire de Djerba on aurait pu mettre en place une démarche unitaire intéressante avec la Libye, et Bourguiba aurait marché. Il avait déjà indiqué cette voie dès 1958.
Il faut dire que Gueddafi nous avait déjà proposé une union en 1971. L’Algérie avait alors réagi et Boumediène était venu au Kef en 1972 proposer une union que Bourguiba déclinera délicatement. En fait il y avait comme une guéguerre entre la Libye et l’Algérie au sujet du rapprochement avec la Tunisie.
Je pense que Bourguiba était plutôt favorable à une processus de rapprochement avec la Libye dans lequel les Tunisiens ne perdraient pas leur identité.
 
Dans l’affaire de Djerba notre ministre des Affaires étrangères M. Mohamed Masmoudi s’était-il allié aux Libyens ?
On ne peut pas parler en terme d’alliance. Revenons aux faits. Gueddafi nous avait proposé une rencontre urgente à Djerba. Bourguiba était en villégiature à Hammamet et j’étais avec lui. Il décida de rencontrer Gueddafi et il était en bonne santé contrairement à ce que prétendaient certains. On ne savait pas, à ce moment là, quel était le but de la rencontre. Etait-ce un problème de sécurité ? Toujours est-il que le Président décida d’accepter ce rendez-vous. Il faut rappeler pour l’histoire que peu de temps auparavant lors des festivités de la Révolution Libyenne, Bourguiba avait dit à Gueddafi : tu perds ton temps avec les Levantins, viens à Tunis nous ferons une union. Bourguiba avait ainsi, en quelque sorte, tendu la perche mais sans penser aller vers une unité totale et immédiate. Pour lui c’était une perspective politique.
A Djerba il y avait à côté de Bourguiba Habib Chatti, Mohamed Sayah, moi-même et Fitouri qui était présent, d’une manière accidentelle car il était en mission dans la région. En tant que Ministre de l’Intérieur j’avais certains doutes quant à la véritable intention des Libyens mais je n’avais pas de certitudes. Avec Bourguiba on ne pouvait pas jouer sur les doutes et les extrapolations.
Un jour Nasser avait dit au jeune Gueddafi : si tu veux faire quelque chose avec la Tunisie prend l’avis de Masmoudi. Masmoudi, en tant que ministre des Affaires étrangères, se rendait souvent en Libye, ce qui était normal. Mais je ne crois pas du tout qu’il ait comploté contre son pays et son Président. Il était convaincu des bienfaits de l’Union et qu’il pouvait, s’il y participait, en tirer un profit moral et politique.
Gueddafi était venu par la route et il faut accueilli sur son trajet par une foule en délire que scandait : “l’Unité”.
 
C’était un slogan spontané ?
Nous savons très bien qu’il n’y avait jamais en de slogan spontané dans ce pays.
 
Qui manipulait ces gens là ?
Les gouverneurs bien sûr. On leur avait dit que Gueddafi vient pour rencontrer le Président et qu’il vaut mieux l’accueillir avec ce slogan. Je ne crois pas qu’il y ait eu une machination quelconque. Personne ne pensait que les évènements allaient prendre la tournure qu’ils aient pris.
Mais les choses étaient tellement bien organisées qu’il est permis de douter sur la manipulation des uns et des autres.
J’ai contracté le gouverneur de Médenine et lui ai demandé que lors du trajet de l’Aéroport au lieu de résidence de Bourguiba qu’il n’y ait qu’un seul slogan “Bourguiba – Gueddafi” afin qu’il n’y ait aucun amalgame.
 
Pourquoi Bourguiba s’était-il empressé à accepter cette unité avec la Libye ?
Lors du tête à tête entre les deux hommes Gueddafi avait offert la présidence de cette “République arabe islamique” à Bourguiba. Je pense que Bourguiba était comblé par cette offre. Il avait maintenant un grand pays sous sa présidence. Il ne s’est pas intéressé aux détails importants de l’opération. Je crois même qu’il n’a pas lu la Déclaration.
 
lle réagi négativement ?
Non. L’annonce de l’Union était tellement brusque que les chancelleries étrangères n’avaient pas trouvé le temps de réagir. Elles étaient dans l’expectative et observaient ce qui se passait et tentaient de réunir plus d’informations.
 
Quelle était l’opposition qui avait décidé Bourguiba de renoncer à l’Unité avec la Libye ?
C’était incontestablement celle de Hédi Nouira. Bourguiba était obligé de se séparer de Masmoudi. Il lui avait quand même proposé d’être son représentant personnel, ce que Masmoudi avait refusé. C’était Habib Chatti qui prit sa place aux Affaires étrangères. Comme à son habitude Bourguiba a quitté la Tunisie pour éviter cette pression. Il s’est rendu à Genève pour se reposer. Quand il fut contacté par des émissaires libyens, Bourguiba les assurait que ce n’était qu’une question de temps. Le Président n’avait jamais renié sa signature à Djerba.
Il faut vous dire que moins d’un mois après le Traité de Djerba, Nouira avait présidé le 8 février 1974 la commémoration des évènements de Sakiet Sidi Youssef ce qui était inhabituel. Le soir même, il rencontra Boumediène à Annaba. Il me demanda de l’accompagner pour voir le lendemain Bourguiba en Suisse alors que je présidais une réunion à Tataouine. On avait déjeuné avec Bourguiba dans son lieu de résidence, l’ambiance était glaciale. Il ne nous avait même pas demandé pourquoi nous étions là. Ce n’est que le lendemain matin que Hédi Nouira avait rendu compte au Président de son entretien avec Boumédiène. Il lui avait dit que le Président algérien était du côté de la Tunisie et qu’il la soutiendrait quoiqu’il arrive.
Bourguiba avait écouté et n’avait émis aucun commentaire. Je ne l’ai jamais vu de ma vie dans un tel état de tristesse et d’abattement.
 
Pourquoi selon vous ?
Il était abattu parce que son rêve s’était brisé. Je suis sûr qu’au fond de lui-même il n’était pas content de nous. Nous n’avions pas pu être au diapason de sa volonté.
 
Hédi Nouira avait autant d’ascendant sur Bourguiba ?
Non. Hédi Nouira était dans son rôle. Bourguiba était, je pense, surpris de notre passivité, de ce qu’il estimait certainement être notre faiblesse politique et de ne pas lui dire que nous le soutenions contre vents et marées, c’est pour cela qu’il a abandonné son ambition même s’il croyait toujours, selon moi, à un destin commun tuniso-libyen.
(A suivre)
La politique de Nouira, l’affrontement avec l’UGTT et le jeudi noir
 
(Source: Réalités.com le 25 octobre 2010)

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