25 octobre 2010

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TUNISNEWS
10 Úme année,N° 3807 du 25.10.2010
archives : www.tunisnews.net 


Lettre de Pierre Laurent, SecrĂ©taire national du PCF, Ă  l’ambassadeur de Tunisie en France

Kalima: Classement mondial RSF : La Tunisie perd 10 points et poursuit sa chute

Kalima: Le Coordonnateur de la caravane humanitaire pour Gaza arrëté en Tunisie

Kalima: HRW exige des autorités Tunisiennes le respect des droits syndicaux

Slim Bagga: Tunisie – Une banque en voie de disparition

Taoufik Ben Brik: Portrait de Slim Boukhdhir, par Taoufik Ben Brik

Réalités: Interview de Tahar Belkhodja (deuxiÚme partie)


Lettre de Pierre Laurent, SecrĂ©taire national du PCF, Ă  l’ambassadeur de Tunisie en France.


Pierre Laurent
Secrétaire national
Conseiller rĂ©gional de l’Ile de France
 
                                                                            Monsieur Mohamed Raouf Najar
                                                                            Ambassadeur
                                                                            Ambassade de Tunisie
                                                                            25, rue Barbet de Jouy
                                                                            75007 Paris
 
                                                                          Paris, le 19 octobre 2010
 
 
Monsieur l’Ambassadeur,
Je tiens Ă  attirer votre attention sur la situation de M. El Fahem Boukadous, journaliste condamnĂ© Ă  4 ans de prison pour avoir relatĂ© le mouvement social de Gafsa. En mauvaise santĂ©, il est aujourd’hui en grĂšve de la faim pour protester contre la dĂ©gradation de ses conditions carcĂ©rales et sa mise en isolement.
 
Le Parti communiste français renouvelle la demande de libĂ©ration d’El Fahem Boukadous et de tous les prisonniers suite aux Ă©vĂ©nements de Gafsa.
 
Je souhaite Ă©galement soulever le cas de M. Hamma Hammami, directeur du journal « Al Badil » et porte-parole du Parti communiste des Ouvriers de Tunisie. Depuis des annĂ©es, il fait l’objet de poursuites rĂ©pĂ©tĂ©es, d’emprisonnements, de mauvais traitements de la part des autoritĂ©s tunisiennes. Il est aujourd’hui privĂ© de ses droits Ă©lĂ©mentaires. AprĂšs l’avoir contraint Ă  suspendre son journal, toute activitĂ© politique publique lui est interdite par le gouvernement tunisien. Rien ne justifie un tel traitement.
 
En quoi avoir une opinion politique différente de celle du pouvoir serait-il devenu un crime en Tunisie?
 
Les autoritĂ©s tunisiennes doivent mettre un terme Ă  cet acharnement. M. Hamma Hammami doit pouvoir vivre libre, exercer ses droits de citoyen et sa capacitĂ© d’action publique, civile et familiale.
 
La dĂ©lĂ©gation de dĂ©putĂ©s et responsables communistes en Tunisie -conduite par Mme Marie-George Buffet en juillet dernier- et les multiples rencontres qu’elle a pu avoir, ont confirmĂ© nos graves prĂ©occupations quant Ă  la situation de militants sociaux et politiques, en regard du respect de leurs droits et des rĂšgles qui s’attachent Ă  un Etat de droit.
 
Je vous demande donc d’intervenir auprĂšs du gouvernement tunisien pour transmettre notre sĂ©rieuse inquiĂ©tude devant cette dĂ©gradation, et notre dĂ©termination Ă  exiger l’arrĂȘt de toute rĂ©pression frappant les dĂ©mocrates et les progressistes tunisiens.
 
Je vous prie d’agrĂ©er, Monsieur l’Ambassadeur, l’expression de mes salutations distinguĂ©es.  
                                                                       Pierre Laurent
 
Parti communiste français :2, place du Colonel-Fabien 75167 Paris Cedex 19
TĂ©l :0140401212 – Fax: O140401356 – E-mail: pcf@pcf.fr – Web : www.pcf.fr
 

Classement mondial RSF : La Tunisie perd 10 points et poursuit sa chute


Proposé par redaction le Vendredi 22 octobre 2010
Reporters sans frontiÚres vient de publier son 9e classement mondial des pays au regard de leur respect de la liberté de la presse pour 2010.
Pas de surprise pour la Tunisie qui poursuit sa chute dans le classement elle passe d 154e en 2009 Ă  164e .
Pour cause : « la politique de rĂ©pression systĂ©matique mise en place par les autoritĂ©s de Tunis Ă  l’égard de toute personne qui exprime une idĂ©e contraire Ă  celle du rĂ©gime.
L’adoption de l’amendement de l’article 61bis du code pĂ©nal est particuliĂšrement inquiĂ©tante dans la mesure oĂč elle conduit Ă  criminaliser tout contact avec des organisations Ă©trangĂšres qui, Ă  terme, nuiraient aux intĂ©rĂȘts Ă©conomiques de la Tunisie » souligne le rapport .
Le Maroc est 135e et recule de 8 places, tandis que l’AlgĂ©rie 133e, remonte lĂ©gĂšrement au classement du fait de la baisse des procĂšs intentĂ©s aux journalistes, sans toutefois abandonner sa politique de main mise sur les journaux.
Les scandinaves restent les pays en tĂȘte de peloton, mais c’est l’Europe du Sud qui est en net recul, il s’agit notamment de la France et de l’Italie «  oĂč incidents et faits marquants ont jalonnĂ© l’annĂ©e en cours, confirmant leur incapacitĂ© Ă  renverser la tendance : violation de la protection des sources, concentration des mĂ©dias, mĂ©pris et mĂȘme impatience du pouvoir politique envers les journalistes et leur travail, convocations de journalistes devant la justice. » indique enfin le rapport.
 
(Source: Le site de “Radio Kalima” le 22 octobre 2010)

Le Coordonnateur de la caravane humanitaire pour Gaza arrëté en Tunisie


Proposé par redaction le Vendredi 22 octobre 2010
M. Mohammed Al-Haddad, le coordonnateur de la caravane humanitaire pour Gaza a Ă©tĂ© arrĂȘtĂ© par la police dans le sud de la Tunisie Ă  Ben Guerdane ; les autoritĂ©s lui ont demandĂ© Ă  Al haddad, un britannique d’origine libyenne de changer l’itinĂ©raire du convoi et d’éviter la ville frontaliĂšre de Ben Guerdane sur sa route pour la Libye afin et d’emprunter un chemin hors des villes afin d’éviter les rassemblements populaires sur sa route , comme cela a Ă©tĂ© le cas au Maroc et en AlgĂ©rie.
Face Ă  son refus de changer l’itinĂ©raire, les autoritĂ©s l’ont interpellĂ© dans les locaux de la police a dĂ©clarĂ© M. Zouari Mohamed, le coordinateur tunisien de ce convoi formĂ© ComposĂ©e d’un convoi de 29 camions transportant 69 citoyens Britanniques transportant de l’aide humanitaire, avec Ă  sa tĂȘte le Parlementaire George Galloway, La caravane s’active Ă  acheminer, par voie terrestre, ces aides humanitaires consistant en des produits alimentaires, des mĂ©dicaments et des fournitures scolaires vers la bande de Gaza soumise Ă  un blocus depuis juin 2007.
Finalement, la caravane a pu quitter la Tunisie le 21 octobre vers la Libye.
Rappelons que les autoritĂ©s algĂ©riennes ont dĂ©cidĂ© d’ouvrir exceptionnellement la frontiĂšre algĂ©rienne avec le Maroc fermĂ©e depuis maintenant 15 annĂ©es, pour permettre le passage sans encombre de ce convoi humanitaire.
Il est Ă  noter que le convoi mentionnĂ©s acheminement de l’aide humanitaire pour la population de Gaza se composait essentiellement de fournitures mĂ©dicales, a Ă©tĂ© lancĂ© le 10 Octobre Ă  partir de Londres et est entrĂ© sur le territoire tunisien le mardi 19 Octobre aprĂšs avoir traversĂ© la France, l’Espagne, le Maroc, l’AlgĂ©rie.
 
(Source: Le site de “Radio Kalima” le 22 octobre 2010)


HRW exige des autorités Tunisiennes le respect des droits syndicaux


Proposé par redaction le Vendredi 22 octobre 2010

Dans une confĂ©rence de presse tenue Ă  Tunis le 22 octobre, l’ONG de droits humains Human rights Watch a rendu public un rapport intitulĂ© : « Le prix de l’indĂ©pendance : les syndicats professionnels et Ă©tudiants sont rĂ©duits au silence en Tunisie ».
Le rapport y dĂ©nonce un « systĂšme de contrĂŽle strict que les autoritĂ©s tunisiennes opĂšrent sur les syndicats et syndicalistes et souligne notamment la situation critique dans laquelle se trouvent les syndicats d’ouvriers, d’Ă©tudiants et de journalistes qui ont critiquĂ© les politiques gouvernementales. »
« Aucun pan de la sociĂ©tĂ© civile en Tunisie n’est Ă©pargnĂ© par la mainmise du gouvernement, pas mĂȘme les syndicats ouvriers, dans la mesure oĂč il s’agirait d’organisations critiquant le gouvernement », a indiquĂ© Sarah Leah Whitson, directrice de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord de Human Rights Watch.
« En employant des mĂ©thodes allant des machinations bureaucratiques Ă  l’agression physique, le gouvernement tunisien tient de nombreux syndicats du pays sous sa coupe. » prĂ©cise-t-elle.
Selon le rapport « Le gouvernement a refusĂ© de reconnaĂźtre des syndicats qui ont pourtant suivi la procĂ©dure d’inscription requise en vue de l’obtention d’un statut lĂ©gal. D’autre part, il a empĂȘchĂ© leurs membres de se rĂ©unir et d’organiser des rencontres ; et il a arrĂȘtĂ© et dĂ©tenu arbitrairement des syndicalistes parmi lesquels certains ont affirmĂ© avoir Ă©tĂ© torturĂ©s par les forces de sĂ©curitĂ©.
Le gouvernement et ses alliés ont également intimidé des journalistes et orchestré le remplacement de la direction du syndicat des journalistes indépendants par un comité se composant exclusivement de sympathisants du gouvernement. »
HRW recommande en conclusion de : « amender toutes les lois et rĂšglementations tunisiennes pertinentes, y compris le Code du travail, pour se conformer aux exigences du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, du Pacte international relatif aux droits Ă©conomiques, sociaux et politiques et de l’Organisation internationale du travail; diligenter de façon prompte et impartiale des enquĂȘtes sur toutes les allĂ©gations de torture ou de mauvais traitement sur des syndicalistes par des agents de sĂ©curitĂ© ou des reprĂ©sentants des forces publiques.
Rappelons que HRW avait Ă©tĂ© empĂȘchĂ©e de tenir une confĂ©rence le 24 mars 2010 pour prĂ©senter son rapport « Une prison plus vaste : RĂ©pression des anciens prisonniers politiques en Tunisie », et qu’elle continue de refuser d’autoriser l’ONG Ă  visiter les prisons tunisiennes, malgrĂ© les promesses formulĂ©es publiquement en Mars 2008 lors de la prĂ©sentation de son rapport pĂ©riodique devant le ComitĂ© des droits de l’homme de l’ONU.

 
(Source: Le site de “Radio Kalima” le 22 octobre 2010)
Lien: http://www.kalima-tunisie.info/fr/modules.php?name=News&file=article&sid=284


Violation des droits de l’homme : La Tunisie Ă©pinglĂ©e par Human rights watch


Le gouvernement tunisien est de nouveau sur la sellette. Il est accusé par Human rights watch (Hrw) de violations des libertés syndicales. Les syndicats des journalistes et des étudiants ont déjà fait les frais de cette répression aveugle contre la liberté syndicale.
 
Le gouvernement tunisien est encore au banc des accusĂ©s. Des reprĂ©sentants de l’Ong amĂ©ricaine de dĂ©fense des droits de la personne, Human rights watch (Hrw) ont dĂ©noncĂ© la semaine derniĂšre la rĂ©pression aveugle Ă  laquelle se livrent les autoritĂ©s tunisiennes contre la sociĂ©tĂ© civile tout en exhortant le rĂ©gime du prĂ©sident Ben Ali Ă  respecter la libertĂ© d’expression des citoyens. La rĂ©vĂ©lation a Ă©tĂ© faite la semaine derniĂšre, Ă  Tunis, par Rasha Moumneh, responsable du dĂ©partement Moyen-Orient Afrique du Nord Ă  Hrw lors de la cĂ©rĂ©monie de prĂ©sentation du rapport de son organisation, axĂ© sur la situation des droits de l’homme dans cette zone gĂ©ographique et intitulĂ© : ‘Le prix de l’indĂ©pendance : les syndicats de travailleurs et d’étudiants rĂ©duits au silence en Tunisie’, selon canadian press. 
 
Pour Rasha Moumneh, le gouvernement tunisien doit Ă  tout prix garantir la libertĂ© d’expression Ă  toutes les opinions y compris celles de l’opposition. Cela, constitue, selon lui, un impĂ©ratif et une nĂ©cessitĂ© auxquels les autoritĂ©s de Tunis ne peuvent, sous aucun prĂ©texte, se soustraire. ‘L’expĂ©rience actuelle est plus positive aprĂšs les mauvaises relations qui ont prĂ©cĂ©dĂ©. C’est un premier pas qui prĂ©figure un nouveau dĂ©part. Nous sommes pour un dialogue franc et transparent avec le gouvernement tunisien’, a dĂ©clarĂ© Moumneh dans son discours tout en rĂ©affirmant l’engagement de son organisation Ă  Ɠuvrer Ă  une meilleure comprĂ©hension avec le gouvernement tunisien. Ceci, pour Ă©viter de nouvelles frictions entre le rĂ©gime du prĂ©sident Ben Ali et les organisations de dĂ©fense des droits de l’homme dont Human rights watch. 
 
L’Ong amĂ©ricaine de dĂ©fense des droits de l’homme invite, Ă  travers ce rapport de 62 pages, les autoritĂ©s tunisiennes Ă  mettre un terme ‘aux restrictions arbitraires des libertĂ©s syndicales’ et dĂ©nonce ‘le refus de reconnaĂźtre les syndicats indĂ©pendants’, d’aprĂšs notre source. Elle cite, entre autres cas de violations des libertĂ©s syndicales, l’immixtion intempestive du gouvernement dans les affaires internes des associations et mouvements des travailleurs, avec notamment l’éviction ‘orchestrĂ©e’ de l’ancien bureau du Syndicat national des journalistes tunisiens (Snjt), suite Ă  la publication d’un rapport critique sur l’absence de libertĂ© dans les mĂ©dias tunisiens. AprĂšs cet incident, le bureau du Snjt avait Ă©tĂ© remplacĂ© par une autre structure composĂ©e, pour l’essentiel, de personnes proches du rĂ©gime, indique la mĂȘme source. 
 
Les journalistes ne sont pas, cependant, les seuls Ă  faire les frais des persĂ©cutions, des arrestations arbitraires et des tortures tous azimuts dont les syndicats tunisiens sont victimes. Le rapport cite le cas de l’Union gĂ©nĂ©rale des Ă©tudiants tunisiens (Uget) qui fut naguĂšre la cible des autoritĂ©s dans leur croisade contre les libertĂ©s syndicales. ‘Le gouvernement montre sa dĂ©termination Ă  Ă©touffer les mouvements de protestation partout oĂč ils apparaissent’, a dĂ©clarĂ© en substance Sarah Whitson. Et comme on pouvait si attendre, la rĂ©action du gouvernement n’a pas tardĂ©. Il rejette en bloc ces accusations qu’il qualifie de ‘non fondĂ©es’. MalgrĂ© tout, Human rights watch ne veut pas s’arrĂȘter en si bon chemin. Elle a entrepris des dĂ©marches auprĂšs des autoritĂ©s tunisiennes pour obtenir l’autorisation de visiter les prisons. ‘Les discussions sont lentes, mais nous allons les poursuivre. C’est une question de temps’, a-t-elle ainsi prĂ©cisĂ© en rĂ©ponse Ă  une question posĂ©e par un confrĂšre. 
 
M. A. DIALLO
 
(Source: “Walfadjri” (Quotidien – Senegal) le 25 octobre 2010)

TUNISIE: UNE BANQUE EN VOIE DE DISPARITION


Depuis plus de 20 ans, sur ordre de Carthage, un Fonds national de SolidaritĂ© appelĂ© le Fonds 26-26, du nom du compte courant postal a Ă©tĂ© créé. Et une JournĂ©e du racket, le 8 dĂ©cembre, a Ă©tĂ© dĂ©crĂ©tĂ©e afin que tous les salariĂ©s versent ( le plus souvent malgrĂ© eux) l’Ă©quivalent d’une journĂ©e de travail par solidaritĂ© aux plus dĂ©munis. DĂ©viĂ© de sa vocation, Ă©chappant Ă  toute comptabilitĂ© transparente, gĂ©rĂ© directement par le Palais, ce Fonds Ă©tait devenu trĂšs critiquĂ©. Si bien que les gros contribuables avaient trouvĂ© l’astuce de verser trop d’argent Ă  ce Fonds pour Ă©chapper aux Impots et plaire Ă  la PrĂ©sidence. D’un autre cĂŽtĂ©, celui qui n’accepte pas d’y apporter son obole, voit le fisc dĂ©barquer dans son entreprise. Les audacieux fonctionnaires rĂ©fractaires sont, pour leur part, fichĂ©s et sanctionnĂ©s dans leur promotion.
Pour attĂ©nuer ces critiques, Carthage a alors dĂ©cidĂ© de crĂ©er une Banque, appelĂ©e la Banque de SolidaritĂ©, ayant vocation d’accorder des micro-crĂ©dits pour des Tunisiens voulant crĂ©er des PME. 1000 dinars par ci, 2000 par lĂ  Ă  des femmes et des hommes dĂ©shĂ©ritĂ©s que la propagande expose Ă  la TĂ©lĂ© pour venir y chanter leur gratitude Ă  l’Ă©gard du “Lider Minimo” Ben Ali.
C’est cette banque qui va disparaĂźtre dans les jours qui viennent car ses caisses sont vides, pour ĂȘtre absorbĂ©e par une grande banque de la Place, la SociĂ©tĂ© tunisienne de Banques (STB), elle-mĂȘme en difficultĂ© pour causes de dettes irrĂ©couvrables. Et pour cause: des milliards de crĂ©dit sans assurance de remboursement ont Ă©tĂ© accordĂ©s Ă  la mafia et ses acolytes.
Cette disparition fait aussi bien l’affaire du pieux gominĂ© Sakhr Materi, gendre de Zinochet et de Leila De Pompagaddour-Trabelsi qui a mis la main sur cette banque et qui entend monopoliser les oeuvres de bienfaisance et sociales, Ă  travers l’Association Ezzeitouna et sa propre banque du mĂȘme nom.
Des langues commencent dĂ©jĂ  Ă  se dĂ©lier pour signaler “qu’aprĂšs 20 ans de racket d’Etat, est venu le temps de la dĂ©tention par une seule famille proche du clan du mal, des oeuvres dites sociales et des micro-crĂ©dits bancaires…”
Et lorsque notre Tartuffe national s’y met dans les oeuvres sociales, veuves et orphelins peuvent dormir sur leurs deux oreilles. Avec Sakhr et belle-maman Leila, c’est plein soleil!
 
Slim BAGGA
 

Portrait de Slim Boukhdhir, par Taoufik Ben Brik


“Je suis un Ă©tranger dans un pays inconnu”
Bob Dylan
 
Slim Boukhdhir, dans la Tunisie de Ben Ali, est-il simplement journaliste ? Un homme qui s’informe et qui informe ? Dans un pays oĂč le mĂ©tier de journaliste s’est Ă©teint avec l’avĂšnement du 7 novembre, Ă©crire, dire est une folie. Slim est le fou de Tunis. Pourquoi se rĂ©fugie-t-il dans sa misĂ©rable folie ? Les autres se sont assagis et font d’autres mĂ©tiers : Ă©piciers, contrebandiers, barmans. Lui, perdure. Non pas parce qu’il ne sait rien faire d’autre, mais parce que c’est sa raison d’ĂȘtre. Comme un oiseau qui vole, un poisson qui nage, une terre qui tourne. Peut-on le sommer d’arrĂȘter de tourniquer ? Un monogame qui meurt Ă  la mort de sa compagne. Et, dans un pays oĂč il n’y a de rĂ©sistance qu’à travers l’écrit (pĂ©titions, manifestations, prises de position), Slim est Ă  la tĂȘte des dix tĂȘtes brulĂ©es et enfoirĂ©es, les plus casse-cou, la chair Ă  canon. Que font les partis d’opposition et les boĂźtes de dĂ©fense des droits de l’homme Ă  part pondre dans la douleur des protestations modĂ©rĂ©es, timides et insipides ? Les meetings, la rue ne sont pas de leur ressort. Ils ont la hantise d’ĂȘtre sans adresse. Sans appartenance. Ils se sentent quelconque. “Allah Ghalleb”, dira ma mĂšre.
 
Et avec tout cela, ils ont le culot de dĂ©cider du calendrier de nos petites causes urgentes et les moins urgentes. Qu’est-ce qui est dĂ©fendable et qui ne l’est pas ? bien sĂ»r, il y a les super militants et les sous-militants. La racaille, la tourbe, les oubliĂ©s de dieu. Aujourd’hui, il faut tout classer et mettre en sourdine et ne s’occuper que du dossier assommant de la Ligue et son embourbement dans les sables mouvants des tractations. Hier, c’était comment rendre visible l’hĂ©tĂ©roclite collectif du 18 octobre. Demain c’est l’article 61 bis et comment le vendre Ă  Bruxelles (sic). AprĂšs-demain c’est le procĂšs du tortionnaire de Jendouba. (Le tien, il peut attendre. Pas la peine d’en faire un plat. Ce n’est pas crucial, ce n’est pas productif). Et, gare Ă  celui qui sort du rang et fait Zorro tout seul. On crie au sabotage. Au “brouillage” des ondes. Se dĂ©fendre soi-mĂȘme ou dĂ©fendre un autre macchabĂ© sans la permission des apĂŽtres du microcosme est passible de l’unique peine qu’ils ne cessent de brandir : “rabi iiniq Ű±ŰšÙŠ يŰčينك !” Que Dieu te vienne en aide ! A la trappe claudo. Ben Ali est partout. Nous sommes ses sosies. Parfait.
 
J’ouvre une parenthĂšse ici : pourquoi ces chapelles de l’opposition et ces associations de copinage dites de la sociĂ©tĂ© civile -qui crient Ă  longueur de journĂ©e leur impuissance- ne mettent-elles pas la clef sous la porte et basta? Elles nous Ă©pargneraient ainsi nos attentes et celles de Godot. Comme ça, on n’est plus sur des charbons ardents. (Pour dĂ©goter une lettre de protestation, il faut leur danser la danse du ventre). Et, surtout, dans mon cas, je ne serai plus obligĂ© de les dĂ©fendre Ă  tort et Ă  travers. (Les rĂŽles sont inversĂ©s, zut !). Ainsi, ç’en est fini de la dictature molle. Point d’alibi. Le paysage sera net et propre. Un sahara tropico-politique. Y’en a marre de ces touffes d’alfa laides comme des verrues sur le nez.
 
Slim, lui, va plus loin avec ses brulots qui font mouche. Ça ne rate jamais. Lorsque les barons du microcosme se sont barricadĂ©s derriĂšre leur combat d’arriĂšre garde, lui s’est aventurĂ© derriĂšre les lignes ennemies : l’argent mal acquis de la famille rĂ©gnante.
 
Ni la prison, ni les kidnappings, ni les passages Ă  tabac n’ont pu le lobotomiser. Seul un meurtre peut ramener ce troubadour Ă  la raison. Il vit et fait vivre Ă  sa femme et ses enfants la pauvretĂ© noire et totale. Il est sans journal, sans salaire, sans internet, sans correspondance, sans passeport. Un bidoun. Un sans-toit. Le SDF, le sans –famille du journalisme tunisien.
 
NĂ© le 5 novembre 1971. Il paraĂźt plus vieux que le vieux du palais de Carthage. En tout cas plus dĂ©muni et mal dans sa peau. LaurĂ©at d’une tonne de prix malheureusement symboliques. Prix CNLT, prix Ben Chikhou pour avoir Ă©tĂ© embastillĂ© en 2007. Epoux de Dalenda et pĂšre de deux enfants, un garçon de 8 ans, Rached, et une fille, Karama, ĂągĂ©e de 4 ans. Il est natif de la petite bourgade, Boukhdhir, aux alentours de Sfax. Co-fondateur du syndicat des journalistes mort-nĂ© et membre d’un amoncellement d’association hors-la loi. Il fut le correspondant d’El Arabia et d’El Kods El Arabi. Interdit d’écriture en Tunisie, depuis son remerciement en 2006 du quotidien Echourouq. En 2001 et 2004, il a Ă©tĂ© respectivement mis Ă  la porte de Dar Essabah et d’Akhbar Al Joumhouriya. Il est considĂ©rĂ© comme le champion des grĂ©vistes de la faim Ă  Tunis, capitale des affamĂ©s. Vous en conviendrez, ce n’est pas avec une telle course de vie qu’on peut cerner le personnage.
 
On dira qu’il ne faut pas juger les gens sur leurs mines, mais en ce qui me concerne, j’estime que la mine est prĂ©cisĂ©ment faite pour ça. “Si vous voulez connaitre ma vie, dit Slim, pas la peine de regarder ma figure, ni mes mains, suffit de jeter un coup d’Ɠil dans mon clapet et voir mes dents et vous verrez, si toutefois vous en ĂȘtes capables, combien de siĂšcles je suis lĂ  Ă  crier mon infortune. Elles ressemblent Ă  ces colonnes antiques de Carthage. En fait, je suis lĂ  et las, bien avant la premiĂšre guerre punique”. “Ces dents ont tout supportĂ© : depuis l’instauration du parti unique par Bourguiba jusqu’à l’hĂ©gĂ©monie des Services de Renseignement sous Ben Ali : Elles ont mordu la famine et des grĂšves de la faim. Elles sont entrĂ©es dans les postes de police, les tribunaux, les prisons. Elles se sont heurtĂ©es aux matraques des B.O.P, ont dĂ©ambulĂ© dans les salles de rĂ©daction de journaux de caniveau, ont fait la queue pour un mandat trimestriel de RSF
”
 
Slim est classĂ© X. Hard. Damnable. Pas seulement par les Services SpĂ©ciaux. Les autres, c’est-Ă -dire nous, les bouches en culs de poules, les soi-disant Mounadhilins s’esclaffent : “ça ne fait pas sĂ©rieux !” Pour les BCBG Slim est un romanichel. Ils le confondent Ă  coup sĂ»r avec moi, Ben Brik, ce reptile qui colle Ă  la terre. A la fois singe bondissant, bouc puant et lĂ©zard rampant. Gluant, dĂ©goulinant de pus et recouvert de gale. Je possĂšde une queue de cochon, paraĂźt-il. Ils m’ont dĂ©moli le bastos, les snobinards, ces sans-noblesses, ces embourgeoisĂ©s de mes deux. MĂȘme pas des bourges, des vrais. Pauvres bougres. Mais Slim ne semble pas troublĂ© et, en tout cas, il ne laisse pas le regard de ces aristochats entraver sa mission : foutre la mer
 partout et fuir dans la nuit. Pour moi, il est l’image mĂȘme du philosophe-mendiant qu’on rencontre dans l’ancienne et l’actuelle Babel. Un Gandhi farouche. Il est ce journaliste, personnage campĂ© par l’immense Salah Kabil, dans le Moineau de Youssef Chahine. Face Ă  la censure des ventrus, Salah a lancĂ© “si je ne peux pas Ă©crire dans les journaux, j’écrirai sur les murs. Si je ne peux pas Ă©crire sur les murs, j’écrirai sur le sol. Si je ne peux pas Ă©crire sur le sol, j’écrirai sur la mer. Si je ne peux pas Ă©crire sur la mer j’écrirai sur le ciel, le vent, les arbres, le feu
” MĂȘme un tank ne peut stopper la charge des lettres de l’alphabet. Surtout pas celle du “ya”, la lettre du “jar” qui traine toutes les rĂ©putations -jusque lĂ  intactes- dans la boue. “Vous avez dĂ©clenchĂ© par mĂ©garde des reprĂ©sailles. Je dĂ©terre ma plume de guerre, je bariole mes phrases et je n’épargne personne : amis, ennemis et soi-mĂȘme. Une guerre sans merci. D’usure. Jusqu’à l’épuisement. Que tombent les tĂȘtes et ma tĂȘte. Vous me cherchez, me voilĂ  ! Montrez-moi si vous ĂȘtes de taille pour croiser le fer avec moi. Courage, approchez, n’ayez pas peur, les mauviettes, je ne vous ferai rien, promis, je vous crĂšverai seulement les yeux, je vous boucherai les narines, je vous scalperai. Je reviens de loin, trĂšs loin, d’une balade au bout de l’enfer. Vous ne sentez pas l’odeur du brulĂ©-vif ? J’ai pactisĂ© avec Lucifer et tous les MĂ©phistophĂ©lĂšs des profondeurs des tĂ©nĂšbres. Sur les hauts des hurle-vents. Arthaud et son théùtre de la cruautĂ©. Inconsolable, plus jamais gai”, dit l’ombre de mon ombre.
 
Slim est trop gentleman. Trop jovial. Trop dĂ©sordonnĂ©. Vraiment pas leur genre. Pas Ă©litiste pour un sou. GĂ©nĂ©reux, Ă©galitaire. MĂ©prisant les concepts petits bourgeois de beautĂ©, de charme, d’ascension sociale. Je le vois caresser l’idĂ©e d’ĂȘtre berger. Le berger est une sorte de Kat cĂ©rĂ©bral que Slim aimait Ă  mĂąchonner. Berger. OĂč. Dans un douar Ă  Sfax ? Ou de Sousse. Ou de Bizerte, il ne va pas faire le difficile. Un modeste berger anonyme, n’importe oĂč, loin de la ville. N’importe oĂč hors de Tunis pour Ă©lever les moutons. Les moutons ne font du mal Ă  personne. Ils broutent, bĂȘlent et rapportent de quoi garnir l’assiette de sa marmaille gloutonne. N’importe quel boulot. Le plus subalterne, laveur de carreaux, Ă©boueur, balayeur, manƓuvre : on aurait qu’à le faire, faire son boulot sans plus et on n’aurait pas besoin de passer des examens de baccalaurĂ©at, pas besoin de lire Mahmoud El MessaĂądi ou de farfouiller dans la pĂ©riode difficile de HĂ©di Nouira qui a permis Ă  tant d’escrocs de se frayer un chemin jusqu’au sommet. Pas besoin d’entendre parler de chiffres de production cabriolant et de leur progression phĂ©nomĂ©nale, au-delĂ  mĂȘme des prĂ©visions du plan.
 
Il serait vraiment agrĂ©able d’ĂȘtre berger songe Slim. Un travail sain, en plein air, des choses Ă  voir. C’était l’humilitĂ© mĂȘme de ce rĂȘve, sa frugalitĂ© qui le rendait si attrayant : il semble du coup plus aisĂ©ment rĂ©alisable. Ce n’est pas comme si Slim avait importunĂ© la Providence pour ĂȘtre milliardaire ou pour qu’on lui offre la prĂ©sidence de la Tunisie. Tirez-moi de lĂ . Tirez-moi de lĂ , je n’en veux pas plus. Sans mĂȘme parler du climat politique inclĂ©ment et de la merde omniprĂ©sente dans la vie quotidienne, le seul fait de vivre Ă  Tunis surveillĂ© et pourchassĂ©, Ă©tait trop absurde, impossible Ă  digĂ©rer. Installer sa famille, loin dans le bled, est une prioritĂ©, un scoop pour lui. Trois mois durant, il se dĂ©mĂšne comme un diable pour leur offrir cette Ă©vasion. Pourquoi la vie devrait-elle se rĂ©sumer Ă  se lever si souvent dans le froid et le noir pour faire des choses qu’on n’aime pas ? A part Ă©crire, bien sĂ»r. Il fait ça en dormant comme dans la vallĂ©e des fainĂ©ants, loin de la brutalitĂ© des surmenĂ©s.
 
Face Ă  la Dakhilia, un haut bĂątiment oĂč niche la maison des journalistes. ChĂŽmeurs et gens de robe, rustres endimanchĂ©s (dans les habits qu’ils ne portaient qu’à la mosquĂ©e, dans les enterrements ou pour les fĂȘtes de circoncision), nĂ©gociants et Altesses (uniquement de l’espĂšce des pingres, il est vrai), flics et dĂ©lateurs, tous avaient franchi ses portes.
 
Ça ne rate jamais. En guise de salutation, Slim se lance, avant mĂȘme d’ĂȘtre Ă©mĂ©chĂ©, dans une ardente dĂ©nonciation du rĂ©pugnant systĂšme qui l’a condamnĂ© Ă  l’errance. C’est toujours, un moment de superbe morceau d’éloquence. Il l’avait lu quelque part, il rĂ©citait sans doute un communiquĂ© de l’Association LibertĂ© et EquitĂ©, dont il est le seul membre laĂŻc.
 
Slim, ne rencontre jamais un de ces journalistes infiltrĂ©s qui lui paye “une tournĂ©e”, sans le gratifier d’un vers d’Abou Nawas ; Ă  charge, pour le mouchard de donner la rĂ©plique avec le vers suivant, sous peine de se faire insulter sans dĂ©lai. Sa sĂ©vĂ©ritĂ© n’est pas sans mĂ©lange. Des pois-chiches sont promis Ă  quiconque rĂ©ussirait Ă  le prendre en dĂ©faut sur un poĂšme d’Ouled Ahmed, poĂšte de l’amour et du vin. Pour parler comme Ouled Ahmed, ce poĂ©te maudit, Ă  qui Ben Ali voue un sentiment mitigĂ© : tu ne veux pas ma queue ?
 
D’accord la Tunisie n’est pas tout Ă  fait un pays, mais ce n’est pas la Lybie ou Djibouti. L’épouvante de Slim semble sincĂšre, lorsqu’une nuit, en sueur, sortant d’un cauchemar, il dĂ©couvre, au saut du lit un Ben Ali colossal, lui susurrer : « Ecris! Ecris ! Ecris au nom d’Allah !». Ça a de quoi, effectivement dĂ©ranger un homme dĂ©jĂ  dĂ©rangĂ©. Sans Ben Ali qu’adviendra-t-il de la p’tite Tunisie ? Une dĂ©mocratie sans aventure, sans adrĂ©naline, sans blasphĂšme. Vive Ben Ali.
 
Taoufik Ben Brik
 
(Source: “Nouvelobs.com” le 25 octobre 2010)
Lien: http://tempsreel.nouvelobs.com/actualite/opinion/20101025.OBS1794/tribune-portrait-de-slim-boukhdhir-par-taoufik-ben-brik.html

Interview de Tahar Belkhodja (deuxiĂšme partie)

     


L’ancien ministre de l’IntĂ©rieur et de l’information de Bourguiba, Tahar Belkhodja qui vient de rééditer son livre “Les trois dĂ©cennies Bourguiba” revient dans cette deuxiĂšme partie de la grande interview qu’il nous a accordĂ©e aux relations de la Tunisie parfois tumultueuses avec ses deux voisins la Libye et l’AlgĂ©rie et sur l’échec de la premiĂšre tentative de dĂ©mocratisation du rĂ©gime lors du congrĂšs du parti au pouvoir Ă  Monastir en 1971.
Bonne lecture.
 
I – L’échec de la dĂ©mocratisation
AprĂšs l’épisode des annĂ©es soixante, pourquoi n’aviez-vous pas rejoint le groupe des libĂ©raux, alors que vous partagiez globalement leurs analyses ? Etait-ce pour des raisons politiques ou rĂ©gionalistes ?
Ahmed Mestiri avait dĂ©missionnĂ© du gouvernement en 1968, mais il est restĂ© quand mĂȘme dans le parti. En 1970, et aprĂšs le limogeage de Ben Salah c’est Mestiri qui avait rĂ©ussi Ă  obtenir que le parti tienne un congrĂšs. Ahmed Mestiri Ă©tait aurĂ©olĂ© du fait qu’il avait pris publiquement position contre les dĂ©rives des annĂ©es soixante. En face de lui il y avait les perdants, le gouvernement et moi-mĂȘme compris. AprĂšs plus de six mois passĂ©s Ă  l’étranger, Bourguiba fut de retour le 1er juin 1970. Mestiri et ses amis lui imposĂšrent pratiquement le congrĂšs de 1971.
Lors de la commission supĂ©rieure du Parti tenu en 1970 pour tirer les enseignements de l’éhec de la politique socialiste, Mestiri a Ă©tĂ© Ă  l’origine d’un manifeste ultra libĂ©ral qui a Ă©tĂ© envoyĂ© Ă  1000 cellules de parti. Ce manifeste demandait aux militants destouriens ce qu’ils pensaient du systĂšme. Il les interrogeait sur ce qu’il fallait changer, et cela allait du systĂšme prĂ©sidentiel jusqu’au mode Ă©lectoral, en passant par les libertĂ©s dĂ©mocratiques
 Ce manifeste a créé une euphorie dans le pays.
Les gens se sont terriblement défoulés aussi bien contre les tenants du socialisme que pour le changement radical dans tous les domaines.
Le changement Ă©tait trop brutal. On avait libĂ©rĂ© la parole des citoyens et des militants, mais on ne leur avait pas suggĂ©rĂ© des solutions concrĂštes. On a jetĂ© une pierre dans la mare, et on s’est dĂ©lectĂ© de voir ses circonvolutions, alors qu’on aurait dĂ», Ă  ce moment lĂ , proposer une sortie de crise pour nos concitoyens. Le rĂ©gime Ă©tait complĂštement effritĂ©, et mis Ă  bas. Le pays a perdu une vĂ©ritable occasion pour amorcer un changement salutaire.
 
Pourquoi n’aviez-vous pas soutenu Mestiri alors ?
Lors du CongrĂšs de 1971, Ahmed Mestiri avait une mouvance qui lui Ă©tait fidĂšle. Je ne pouvais pas ĂȘtre Ă  la fois avec Mestiri et Bourguiba. J’avais choisi d’ĂȘtre avec Bourguiba tout en Ă©tant liĂ© d’amitiĂ© avec Mestiri, mais ma fidĂ©litĂ© politique Ă©tait sans ambiguitĂ© pour Bourguiba.
Le CongrĂšs de Monastir de 1971 Ă©tait verrouillĂ© et dominĂ© par la tendance Mestiri. A mon avis, on avait voulu aller trĂšs vite. L’ambiance du congrĂšs Ă©tait Ă©lectrique. Il y avait d’un cĂŽtĂ© ceux qui voulaient un changement radical, et de l’autre ceux qui ne voulaient changer rien du tout. A la fin des travaux du congrĂšs, les amis de Mestiri avaient tentĂ© un coup de force en imposant l’élection du bureau politique par le comitĂ© central, c’était une erreur politique.
 
Pourquoi était-ce une erreur ?
Parce que cela signifiait Ă  ce moment lĂ  que le Bureau politique, une fois Ă©lu directement par le comitĂ© central, allait s’imposer au PrĂ©sident Bourguiba. Cela Ă©tait un changement radical, d’autant plus qu’on allait avoir un bureau politique qui ne partageait pas certains choix fondamentaux du PrĂ©sident. Je pense qu’il y a eu erreur des deux cĂŽtĂ©s : des amis d’Ahmed Mestiri et de ceux qui Ă©taient autour de HĂ©di Nouira alors Premier ministre. Les deux n’ont pas cherchĂ© le consensus. Si l’on avait cherchĂ© l’entente, un changement concertĂ© aurait pu voir le jour, mais imposer un bureau politique Ă©lu au PrĂ©sident, cela ne pouvait pas passer. C’était une grande occasion ratĂ©e pour amener un changement en douceur du systĂšme.
 
PrĂšs de quarante ans aprĂšs ces Ă©vĂšnements, pensez-vous que le parti Ă©tait prĂȘt Ă  changer, ou que c’était perdu d’avance ?
Je veux clarifier une chose : il ne faut pas parler du parti, mais des dirigeants du parti. Le parti n’est qu’un instrument. C’étaient les dirigeants qui ne voulaient pas changer par rapport Ă  une minoritĂ© qui avait certes le vent en poupe mais l’appareil du parti Ă©tait ailleurs.
 
II – Le problĂšme frontalier tuniso-algĂ©rien
 
Vous avez lié dans votre livre entre la Bataille de Bizerte et le problÚme frontalier tuniso-algérien. Pourquoi ?
C’est un grand problĂšme. On ne peut pas parler de la Bataille de Bizerte, sans la replacer dans son contexte. Ce fut une affaire terrible pour nous les Tunisiens et pour Bourguiba plus particuliĂšrement. Le problĂšme fondamental Ă©tait l’existence mĂȘme de la Tunisie et ses contours gĂ©ographiques.
 
C’est-à-dire

Avec l’IndĂ©pendance de la Tunisie nous avons hĂ©ritĂ© d’un problĂšme immense qui est la dĂ©limitation de nos frontiĂšres sahariennes. Bourguiba en Ă©tait conscient et voulait rĂ©gler ce litige avant l’indĂ©pendance inĂ©luctable de l’AlgĂ©rie afin de ne pas envenimer la relation des deux pays frĂšres.
Il faut se rappeler que jusqu’en 1958 la Tunisie Ă©tait certes indĂ©pendante, mais les casernes françaises Ă©taient sur tout notre territoire, sous prĂ©texte de sĂ©curiser nos frontiĂšres avec l’AlgĂ©rie.
AprĂšs la tragĂ©die de Sakiet Sidi Youssef en fĂ©vrier 1958, oĂč l’ArmĂ©e française avait bombardĂ© ce village tunisien, causant des dizaines de victimes, Bourguiba avait pris le pari d’engager un bras de fer avec la France. Il dĂ©cida d’encercler toutes les casernes de l’armĂ©e française, en dehors de Bizerte, en mars 1958. Des volontaires et des militants du parti empĂȘchaient les militaires français de quitter ou de rentrer dans les casernes. Cette stratĂ©gie a rĂ©ussi. Le 17 juin 1958 la Tunisie signait un accord d’évacuation avec la France. La France ne gardait alors que la base de Bizerte. A ce moment lĂ  Bourguiba avait en tĂȘte le problĂšme dit de la borne 233, c’est-Ă -dire de la dĂ©limitation de notre frontiĂšre saharienne avec l’AlgĂ©rie.
Il faut rappeler que Bourguiba avait dĂ©jĂ  stoppĂ© les nĂ©gociations de l’autonomie interne avec la France, parce que l’armĂ©e française lui avait interdit l’accĂšs Ă  la citĂ© de Borj El BƓuf sous prĂ©texte qu’elle Ă©tait algĂ©rienne, alors que pour Bourguiba c’était une terre tunisienne [NDLR : voir la Carte qui explique le diffĂ©rent frontalier]. AprĂšs cet accord d’évacuation, la Tunisie demandait Ă  la France avec insistance deux choses : premiĂšrement de rectifier le tracĂ© de notre frontiĂšre saharienne avec l’AlgĂ©rie.
La Tunisie avait un accord frontalier en 1910 qui lui donnait accĂšs Ă  la borne 233, mais la France, en tant que pays colonisateur de la Tunisie et de l’AlgĂ©rie, ne l’avait pas appliquĂ©. Le tracĂ© français s’arrĂȘterait Ă  la borne 220. La diffĂ©rence entre les deux tracĂ©s (voir la carte) fait 900km2.
La deuxiĂšme demande tunisienne concernait un accord sur un calendrier d’évacuation totale, c’est-Ă -dire de la Base de Bizerte.
 
Que s’est-il passĂ© Ă  Rambouillet lors de la rencontre historique Bourguiba – De Gaulle ?
En 1960, j’étais chargĂ© d’affaires Ă  notre ambassade Ă  Paris. En 1961 il y a eu cette fameuse rencontre de Rambouillet entre Bourguiba et De Gaulle.
Bourguiba Ă©tait venu Ă  cette rencontre dans un seul but : pousser la France Ă  rectifier notre frontiĂšre saharienne. Bourguiba n’avait rien dit de prĂ©cis sur le contenu de ces cinq heures d’entretien avec De Gaulle, car il avait perdu son pari. C’est De Gaulle qui vendra la mĂšche dans ses mĂ©moires en disant que l’évacuation de la Base de Bizerte n’était qu’un prĂ©texte pour parler de la frontiĂšre saharienne de la Tunisie.
Ce qui intĂ©ressait De Gaulle, Ă  ce moment lĂ , c’était de pouvoir continuer Ă  utiliser le Sahara pour les expĂ©riences nuclĂ©aires de la France et il voulait avoir, pour cela, l’assentiment des diffĂ©rents pays riverains. Bourguiba avait eu une attitude irrĂ©prochable sur ce sujet. On avait contactĂ© Farhat AbbĂšs, le chef du gouvernement provisoire algĂ©rien alors dĂ©tenu en France, pour lui exposer les dolĂ©ances tunisiennes et pour l’assurer que la Tunisie ne marchandera pas sur le dos de la souverainetĂ© de l’AlgĂ©rie indĂ©pendante. Farhat AbbĂšs nous a Ă©crit que ce problĂšme frontalier sera immĂ©diatement rĂ©glĂ© Ă  l’indĂ©pendance de l’AlgĂ©rie.
La Tunisie estimait qu’elle avait un espace saharien qui lui a Ă©tĂ© confisquĂ© par la France.
Pendant plus de quatre heures, Bourguiba avait essayĂ© Ă  Rambouillet de convaincre le gĂ©nĂ©ral De Gaulle de la nĂ©cessitĂ© de rectifier le tracĂ© de la frontiĂšre saharienne, mais en vain. Bourguiba avait encaissĂ© cet Ă©chec et ne nous a rien montrĂ©, et n’eut Ă©tĂ© les mĂ©moires de De Gaulle on n’aurait rien su de ce long tĂȘte-Ă -tĂȘte.
 
Qu’est ce qui a dĂ©clenchĂ© la bataille de Bizerte ?
AprĂšs Rambouillet, la France et les Etats Unis se sont mis d’accord pour Ă©vacuer leur bases militaires du Maroc. Ainsi ce que refusait la France Ă  Bourguiba, elle le concĂ©dait Ă  Hassen II et cela mit Bourguiba dans tous ses Ă©tats. Ensuite il y a eu les travaux d’agrandissement de la piste d’atterrissage de la Base de Bizerte. Bourguiba avait sautĂ© sur l’occasion. Les Français ne comptaient pas, donc, se retirer de Bizerte. Bourguiba pensait qu’il pouvait engager un nouveau bras de fer avec la France, Ă  propos de Bizerte, et l’acculer Ă  nĂ©gocier.
Il a voulu encercler la Base de Bizerte comme il l’avait fait pour les autres bases en 1958. Malheureusement Bourguiba a perdu son pari.
 
Vous voulez dire que Bourguiba n’avait pas prĂ©vu une possible riposte militaire française ?
Il pensait qu’il y aurait quelques escarmouches et que la France, finirait par nĂ©gocier. On n’avait jamais pensĂ©, ni Bourguiba, ni les autres dirigeants qu’il y aurait un tel carnage et que Bizerte serait bombardĂ©e par des avions de combats qui viendraient de l’AlgĂ©rie alors sous occupation française. De Gaulle avait dĂ©cidĂ© de donner “une leçon” Ă  Bourguiba et de lui faire comprendre que la France ne reculerait pas devant la pression.
 
Et aprĂšs ?
MalgrĂ© le lourd tribu payĂ© Ă  Bizerte, Bourguiba, une fois l’AlgĂ©rie indĂ©pendante, n’a jamais renoncĂ© Ă  rĂ©cupĂ©rer les territoires qu’il estimait appartenir au Sahara tunisien. A deux reprises en 1963 Ă  Addis Abeba et en 1964 au Caire, Bourguiba avait demandĂ© Ă  Ben Bella, alors PrĂ©sident de l’AlgĂ©rie indĂ©pendante, de rĂ©gler ce problĂšme des frontiĂšres sahariennes. Ben Bella avait donnĂ© son accord de principe mais rien ne fut fait.
Il y a eu ensuite la folle chevauchĂ©e des annĂ©es soixante en Tunisie et le changement Ă  la tĂȘte de l’Etat en AlgĂ©rie avec la venue de BoumediĂšne en 1965. Pendant le reste des annĂ©es soixante, le problĂšme des frontiĂšres sahariennes ne fut plus posĂ©. Et soudain en janvier 1970, alors que Bourguiba suivait des soins Ă  Paris, en quelques jours, un accord est signĂ© entre la Tunisie et l’AlgĂ©rie et qui consistait au renoncement de la Tunisie quant Ă  ses prĂ©tentions sur ces 900km2 en contre partie d’un dĂ©dommagement financier algĂ©rien.
 
Cet accord était-il signé, cÎté tunisien, sur instructions de Bourguiba ?
Cela ne pouvait pas ĂȘtre les cas. Il suffit de revoir le cours des Ă©vĂšnements de l’époque. En septembre 1969, Ben Salah est limogĂ©. Deux mois plus tard Bourguiba part pour Paris pour se reposer et se soigner, et il ne reviendra Ă  Tunis que le 1er juin 1970. C’est feu BĂ©hi Ladgham qui assurait la continuitĂ© de pouvoir en devenant Premier minsitre. En janvier 1970, une dĂ©lĂ©gation militaire tunisienne se rend Ă  Alger pour discuter des questions frontaliĂšres. Les AlgĂ©riens lui signifient qu’il n’est pas nĂ©cessaire de tenir cette rencontre, et que le problĂšme des frontiĂšres va trouver trĂšs rapidement une solution. Quelques jours aprĂšs, une dĂ©lĂ©gation algĂ©rienne conduite par Abdellaziz Bouteflika, alors ministre des Affaires Ă©trangĂšres, dĂ©barque Ă  Tunis. Le lendemain cet accord est signĂ© par Bouteflika et Bourguiba Junior, ministre tunisien des Affaires Ă©trangĂšres, en prĂ©sence de BĂ©hi Ladgham et Sadok Mokadem, PrĂ©sident du Parlement. On envoie aprĂšs un tĂ©lĂ©gramme au PrĂ©sident Bourguiba pour l’informer, mais ce dernier ne rĂ©pond pas, ce qui n’est pas habituel.
Un autre indice qui montre que Bourguiba n’était pas au courant : le courroux de Hassen II suite Ă  cette signature. Le Roi marocain avait convoquĂ© Bourguiba Junior pour lui signifier son mĂ©contentement. A sa sortie de l’audience, Bourguiba Junior n’avait pas trouvĂ© de micro pour faire une dĂ©claration,  ce qui Ă©tait inhabituel dans le protocole marocain. Si Bourguiba Ă©tait au courant il en aurait-informĂ© HassenII.
 
Comment expliquer-vous que ni BĂ©hi Ladgham, ni Bourguiba Junior n’aient cru nĂ©cessaire d’informer le prĂ©sident d’une dĂ©cision aussi cruciale ?
Je n’arrive pas à me l’expliquer.
Quelle est votre analyse ?
Je reste, jusqu’à maintenant perplexe. Cet accord signĂ© Ă  la va vite fut ratifiĂ© par le Parlement tunisien le 30 janvier 1970. A ce moment lĂ  BĂ©hi Ladgham Ă©tait aux commandes, Bourguiba Junior au ministĂšre des Affaires Ă©trangĂšres et Mohamed Masmoudi ambassadeur Ă  Paris. Le prĂ©sident Bourguiba logeait dans la rĂ©sidence de l’Ambassadeur. Masmoudi et Wassila, l’épouse de Bourguiba, Ă©taient-ils au parfum? On peut le supposer. Une chose est sĂ»re, le gouvernement tunisien Ă©tait trĂšs affaibli. Un seul dĂ©putĂ©, Ali Marzouki, avait exprimĂ© alors une relative dĂ©sapprobation de ce renoncement Ă  une partie du territoire national. Le Premier ministre, BĂ©hi Ladgham, l’avait repris assez vigoureusement en lui disant que les deux parties avaient convenu de rĂ©gler ce problĂšme depuis longtemps.
En revenant en Tunisie en juin 1970, Bourguiba, en homme d’Etat, n’avait jamais remis en cause ce traitĂ©, mais il congĂ©dia peu de temps aprĂšs ses deux principaux artisans BĂ©hi Ladgham envoyĂ© dans une mission de bons offices aprĂšs le Septembre noir en Jordanie et Bourguiba Junior.
Un autre Ă©lĂ©ment plaide en faveur de ce que j’avance. Dans une lettre manuscrite de quatre pages envoyĂ©e par Bourguiba Ă  BĂ©hi Ladgham le 4 janvier 1970, le PrĂ©sident y traite de beaucoup de dĂ©tails, mais aucun mot, et aucune instruction sur ce problĂšme des frontiĂšres, alors que la venue de la dĂ©lĂ©gation algĂ©rienne Ă  Tunis Ă©tait imminente.
 
Selon ce que vous connaissez du personnage de feu BĂ©hi Ladgham, Ă©tait-il concevable qu’il prenne pareille dĂ©cision sans se rĂ©fĂ©rer au PrĂ©sident ?
Je ne sais pas Ă  quelles pressions Ă©tait soumis le Premier ministre BĂ©hi Ladgham. Je pense qu’il n’a pas saisi toute la portĂ©e de ce traitĂ©. Il faut rappeler que M. Bouteflika Ă©tait dĂ©jĂ  venu en Tunisie en mars 1969 pour le mĂȘme objectif. En le recevant Bourguiba ne lui parla que de ses souvenirs de la lutte nationale et ne pipa pas mot sur le problĂšme frontalier.
Ce point important n’a jamais fait l’objet d’une Ă©tude historique. C’est un trou noir de l’histoire qu’il faudrait un jour Ă©lucider.
 
III – L’Union avec la Libye
 
En 1972 BoumĂ©diĂšne au Kef, avait proposĂ© Ă  Bourguiba une Union avec l’AlgĂ©rie, puis ce fut au tour de Gueddafi de le faire Ă  Djerba en 1974. Est-ce que cela signifie que nos voisins pensaient que le pouvoir Ă  Tunis Ă©tait Ă  prendre ? Ou cela participe-t-il de la dĂ©marche de certains dirigeants tunisiens de l’époque ?
Les deux Ă  la fois. En 1970 la Tunisie Ă©tait au plus bas et il y a eu cette affaire des frontiĂšres dont nous venons d’évoquer certaines circonstances. En 1969, Gueddafi accĂ©da au pouvoir en Libye et il dĂ©clara assez vite Ă  ses voisins arabes (l’Egypte et la Tunisie) son dĂ©sir d’union. Nos voisins suivaient certainement avec intĂ©rĂȘt ce qui se passait en Tunisie. HonnĂȘtement je ne pense pas qu’ils aient eu des visĂ©es hĂ©gĂ©moniques sur la Tunisie, mais ils devaient penser qu’un ensemble plus large Ă©tait intĂ©ressant. Il faut rappeler que Bourguiba lui-mĂȘme pensait qu’un ensemble tuniso-libyen ferait le poids par rapport Ă  l’AlgĂ©rie. Et n’eut Ă©tĂ© les maladresses qui ont accompagnĂ© l’affaire de Djerba on aurait pu mettre en place une dĂ©marche unitaire intĂ©ressante avec la Libye, et Bourguiba aurait marchĂ©. Il avait dĂ©jĂ  indiquĂ© cette voie dĂšs 1958.
Il faut dire que Gueddafi nous avait dĂ©jĂ  proposĂ© une union en 1971. L’AlgĂ©rie avait alors rĂ©agi et BoumediĂšne Ă©tait venu au Kef en 1972 proposer une union que Bourguiba dĂ©clinera dĂ©licatement. En fait il y avait comme une guĂ©guerre entre la Libye et l’AlgĂ©rie au sujet du rapprochement avec la Tunisie.
Je pense que Bourguiba était plutÎt favorable à une processus de rapprochement avec la Libye dans lequel les Tunisiens ne perdraient pas leur identité.
 
Dans l’affaire de Djerba notre ministre des Affaires Ă©trangĂšres M. Mohamed Masmoudi s’était-il alliĂ© aux Libyens ?
On ne peut pas parler en terme d’alliance. Revenons aux faits. Gueddafi nous avait proposĂ© une rencontre urgente Ă  Djerba. Bourguiba Ă©tait en villĂ©giature Ă  Hammamet et j’étais avec lui. Il dĂ©cida de rencontrer Gueddafi et il Ă©tait en bonne santĂ© contrairement Ă  ce que prĂ©tendaient certains. On ne savait pas, Ă  ce moment lĂ , quel Ă©tait le but de la rencontre. Etait-ce un problĂšme de sĂ©curitĂ© ? Toujours est-il que le PrĂ©sident dĂ©cida d’accepter ce rendez-vous. Il faut rappeler pour l’histoire que peu de temps auparavant lors des festivitĂ©s de la RĂ©volution Libyenne, Bourguiba avait dit Ă  Gueddafi : tu perds ton temps avec les Levantins, viens Ă  Tunis nous ferons une union. Bourguiba avait ainsi, en quelque sorte, tendu la perche mais sans penser aller vers une unitĂ© totale et immĂ©diate. Pour lui c’était une perspective politique.
A Djerba il y avait Ă  cĂŽtĂ© de Bourguiba Habib Chatti, Mohamed Sayah, moi-mĂȘme et Fitouri qui Ă©tait prĂ©sent, d’une maniĂšre accidentelle car il Ă©tait en mission dans la rĂ©gion. En tant que Ministre de l’IntĂ©rieur j’avais certains doutes quant Ă  la vĂ©ritable intention des Libyens mais je n’avais pas de certitudes. Avec Bourguiba on ne pouvait pas jouer sur les doutes et les extrapolations.
Un jour Nasser avait dit au jeune Gueddafi : si tu veux faire quelque chose avec la Tunisie prend l’avis de Masmoudi. Masmoudi, en tant que ministre des Affaires Ă©trangĂšres, se rendait souvent en Libye, ce qui Ă©tait normal. Mais je ne crois pas du tout qu’il ait complotĂ© contre son pays et son PrĂ©sident. Il Ă©tait convaincu des bienfaits de l’Union et qu’il pouvait, s’il y participait, en tirer un profit moral et politique.
Gueddafi Ă©tait venu par la route et il faut accueilli sur son trajet par une foule en dĂ©lire que scandait : “l’UnitĂ©â€.
 
C’était un slogan spontanĂ© ?
Nous savons trĂšs bien qu’il n’y avait jamais en de slogan spontanĂ© dans ce pays.
 
Qui manipulait ces gens lĂ  ?
Les gouverneurs bien sĂ»r. On leur avait dit que Gueddafi vient pour rencontrer le PrĂ©sident et qu’il vaut mieux l’accueillir avec ce slogan. Je ne crois pas qu’il y ait eu une machination quelconque. Personne ne pensait que les Ă©vĂšnements allaient prendre la tournure qu’ils aient pris.
Mais les choses Ă©taient tellement bien organisĂ©es qu’il est permis de douter sur la manipulation des uns et des autres.
J’ai contractĂ© le gouverneur de MĂ©denine et lui ai demandĂ© que lors du trajet de l’AĂ©roport au lieu de rĂ©sidence de Bourguiba qu’il n’y ait qu’un seul slogan “Bourguiba – Gueddafi” afin qu’il n’y ait aucun amalgame.
 
Pourquoi Bourguiba s’était-il empressĂ© Ă  accepter cette unitĂ© avec la Libye ?
Lors du tĂȘte Ă  tĂȘte entre les deux hommes Gueddafi avait offert la prĂ©sidence de cette “RĂ©publique arabe islamique” Ă  Bourguiba. Je pense que Bourguiba Ă©tait comblĂ© par cette offre. Il avait maintenant un grand pays sous sa prĂ©sidence. Il ne s’est pas intĂ©ressĂ© aux dĂ©tails importants de l’opĂ©ration. Je crois mĂȘme qu’il n’a pas lu la DĂ©claration.
 
lle réagi négativement ?
Non. L’annonce de l’Union Ă©tait tellement brusque que les chancelleries Ă©trangĂšres n’avaient pas trouvĂ© le temps de rĂ©agir. Elles Ă©taient dans l’expectative et observaient ce qui se passait et tentaient de rĂ©unir plus d’informations.
 
Quelle Ă©tait l’opposition qui avait dĂ©cidĂ© Bourguiba de renoncer Ă  l’UnitĂ© avec la Libye ?
C’était incontestablement celle de HĂ©di Nouira. Bourguiba Ă©tait obligĂ© de se sĂ©parer de Masmoudi. Il lui avait quand mĂȘme proposĂ© d’ĂȘtre son reprĂ©sentant personnel, ce que Masmoudi avait refusĂ©. C’était Habib Chatti qui prit sa place aux Affaires Ă©trangĂšres. Comme Ă  son habitude Bourguiba a quittĂ© la Tunisie pour Ă©viter cette pression. Il s’est rendu Ă  GenĂšve pour se reposer. Quand il fut contactĂ© par des Ă©missaires libyens, Bourguiba les assurait que ce n’était qu’une question de temps. Le PrĂ©sident n’avait jamais reniĂ© sa signature Ă  Djerba.
Il faut vous dire que moins d’un mois aprĂšs le TraitĂ© de Djerba, Nouira avait prĂ©sidĂ© le 8 fĂ©vrier 1974 la commĂ©moration des Ă©vĂšnements de Sakiet Sidi Youssef ce qui Ă©tait inhabituel. Le soir mĂȘme, il rencontra BoumediĂšne Ă  Annaba. Il me demanda de l’accompagner pour voir le lendemain Bourguiba en Suisse alors que je prĂ©sidais une rĂ©union Ă  Tataouine. On avait dĂ©jeunĂ© avec Bourguiba dans son lieu de rĂ©sidence, l’ambiance Ă©tait glaciale. Il ne nous avait mĂȘme pas demandĂ© pourquoi nous Ă©tions lĂ . Ce n’est que le lendemain matin que HĂ©di Nouira avait rendu compte au PrĂ©sident de son entretien avec BoumĂ©diĂšne. Il lui avait dit que le PrĂ©sident algĂ©rien Ă©tait du cĂŽtĂ© de la Tunisie et qu’il la soutiendrait quoiqu’il arrive.
Bourguiba avait Ă©coutĂ© et n’avait Ă©mis aucun commentaire. Je ne l’ai jamais vu de ma vie dans un tel Ă©tat de tristesse et d’abattement.
 
Pourquoi selon vous ?
Il Ă©tait abattu parce que son rĂȘve s’était brisĂ©. Je suis sĂ»r qu’au fond de lui-mĂȘme il n’était pas content de nous. Nous n’avions pas pu ĂȘtre au diapason de sa volontĂ©.
 
HĂ©di Nouira avait autant d’ascendant sur Bourguiba ?
Non. HĂ©di Nouira Ă©tait dans son rĂŽle. Bourguiba Ă©tait, je pense, surpris de notre passivitĂ©, de ce qu’il estimait certainement ĂȘtre notre faiblesse politique et de ne pas lui dire que nous le soutenions contre vents et marĂ©es, c’est pour cela qu’il a abandonnĂ© son ambition mĂȘme s’il croyait toujours, selon moi, Ă  un destin commun tuniso-libyen.
(A suivre)
La politique de Nouira, l’affrontement avec l’UGTT et le jeudi noir
 
(Source: Réalités.com le 25 octobre 2010)

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