C.R.L.D.H. Tunisie
Comité pour le Respect des Libertés et des Droits de l’Homme en Tunisie
Membre du Réseau Euro méditerranéen des Droits de l’Homme
21 ter rue Voltaire – FR-75011 PARIS – Tel/Fax : 00.33. (0)1.43.72.97.34
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C.R.L.D.H. Tunisie: DES JOURS DES PLUS ORDINAIRES DANS LA TUNISIE DE BEN ALI
A l’approche des grandes vacances d’été et des départs touristiques massifs à l’étranger, Le CRLDHT lance une campagne d’information destinée au grand public français et européen, sur la réalité politique tunisienne et les graves violations des droits et des libertés les plus fondamentaux.
Conscient que l’appel au boycottage touristique nuit aux centaines de milliers de familles tunisiennes qui vivent grâce au secteur tourisitique, néanmoins, il est important que le touriste étranger qui a choisi la Tunisie pour passer ses vacances sache l’envers du décor et ce qui se cache derrière le beau soleil, les sables fins et les coins prisés du pays…. Pour ce début de campagne, le CRLDHT a décidé de relater tout simplement des faits ordinaires qui ont été enregistrés ces derniers jours dans la Tunisie de BEN ALI.
Mort suspecte :
M. Aroussi Ben Mohamed Ben Gharssallah, père du jeune Mohamed Gharssallah, de Cherarda, dans le gouvernorat de Kairouan, a contacté le 13 mai 2007 la section Kairounaise de la Ligue Tunisienne des Droits de l’Homme et notamment son président, M. Messaoud Romdhani pour témoigner et apporter des faits nouveaux qui mettent en cause le prétendu suicide de son fils Mohamed.
Les faits remontent au 14 février 2007, date du décès de la victime devant le palais présidentiel de Carthage, où, lui a-t-on dit, il s’est donné la mort en se brûlant après avoir attendu toute une journée sans parvenir à déposer une plainte écrite adressée au président de la République. Les gardes présidentiels lui ont notifié leur refus de reception de la plainte et lui ont intimé l’ordre de quitter les lieux.
Notons que la victime a tout tenté avant de monter à Carthage. En tant que jeune agriculteur, il avait l’ambition de s’engager sur les terres agricoles de son père et d’améliorer leur productivité. Pour cela, il avait besoin de crédit agricole afin d’améliorer les conditions de travail. Mais toutes les portes lui sont restées fermées, à commencer par le Ministère de l’Agriculture ou les services régionaux compétents.
Aujourd’hui, son père déclare que le cadavre de son fils porte les traces d’un coup mortel sur la tête. L’administration hospitalière a refusé de lui accorder une copie du rapport d’autopsie du médecin légiste. Il a tout essayé auprès des pouvoirs publics pour comprendre les conditions de la mort de son fils. Sans résultat.
Arrestations et détentions au secret :
Ces derniers jours, plusieurs arrestations de jeunes tunisiens ont été enregistrées dans la ville de Sejnane, à 70 Km au nord de Bizerte, accompagnées par des descentes policières musclées. Un climat de frayeur a été instauré dans toute la ville en violant l’immunité des domiciles et en procédant à des intrusions menaçantes dans tout le quartier assurant son bouclage et l’arrêt de toute circulation. S’ensuivent alors des fouilles systématiques de maisons, mises à l’occasion sens dessus dessous et des saisies de livres religieux et littéraires, en vente partout.
La police a par ailleurs procédé à l’arrestation de M. Ramzi Ben Salah Hakiri, 26 ans, l’unique soutien de sa famille depuis le décès du père. Il a été arrêté par la police de Bizerte le 20 avril 2007, emmené au poste, où mis à nu, il a été roué de coups et torturé sur tout son corps et notamment ses organes génitaux…Relâché dans la journée sans papiers d’identité ni aucun autre document, la police de Sejnane lui a ordonné de se rendre à Bizerte pour les récupérer. C’est ce qu’il a fait le 24 avril, et depuis lors, il n’est pas revenu et personne ne l’a plus revu.
M. Abdelhakim Mcharki a été arrêté le 21 avril 2007 à cinq heures du matin, alors que toute la famille dormait après avoir semé la panique au sein de toute la maison, quatre mois après son mariage.
La section de Bizerte de la LTDH a fait part également de la disparition du jeune Khaled Ben Houssine Ouerghi, 21 ans, le 03 mai dernier. Originaire de Sejnane, Khaled est un étudiant à l’Université de Mannouba. Et c’est de son établissement universitaire qu’il a disparu. Ses affaires personnelles se sont en même temps évaporées du foyer universitaire de la cité Zouhour où il réside. Le 6 mai au matin, une brigade de policiers en civil s’est rendue au domicile de la famille de l’étudiant, pour fouiller la maison et ordonner le retrait de son passeport. Depuis lors, la famille vit dans l’angoisse totale.
Le jeune Issam Azzedine Hannachi, 21 ans, a également disparu depuis le 4 mai dernier. Originaire de Sejnane, il suit une formation professionnelle à Borj Sédria quand la famille perd sa trace. Les postes de police du district de Borj Sédria et le Ministère de l’Intérieur nient le détenir (Voir les deux communiqués de la section de Bizerte de la LTDH).
Le mardi 15 mai 2007, un groupe de familles solimanaises publient une déclaration afin d’alerter l’opinion publique sur le cauchemar que vivent la ville et ses habitants depuis les derniers affrontements armés qui ont eu lieu le 03 janvier 2007 et les nombreuses arrestations enregistrées et notamment celles de Oualid Chourabi, technicien, Hassen Chourabi, étudiant en quatrième année de droit, et Abdelhamid Benaïcha, propriétaire d’une cafétéria, arrêtés le 23 avril 2007 ainsi que Mohammed Mehdi Soussi, professeur d’informatique et Chérif Saadani, ouvrier d’usine, arrêtés le 28 avril.
Tous ont été tenus au secret, violentés et torturés sans aucun motif sinon une méprisable délation faite par un père alcoolique suite à un grave différend avec son fils, Oualid Chourabi.
Agressions répétées et graves atteintes au droit à l’expression :
Le journaliste indépendant Slim Boukhdir est de nouveau agressé ce mardi 15 mai 2007 à la sortie d’un cybercafé au centre ville de Tunis par un groupe d’inconnus. Quelques jours avant, le 03 mai 2007, journée internationale de la liberté de la presse, M. Boukhdir a été agressé devant le cabinet de l’avocate Maître Radia Nasraoui à Tunis. Il a été pris à partie par des policiers en civil qui lui ont barré la route et l’ont violenté à coups de pied en le traitant de “traître” et d’”espion”.
Cette persécution s’explique par l’engagement total de ce courageux journaliste pour la cause de l’indépendance de la presse et du droit à la liberté d’expression. Il est l’un des rares journalistes et militants des droits qui continuent à se battre au quotidien pour une information fiable. Victime d’un harcèlement continu, il est surveillé de près dans ses moindres déplacements.
Ces dernières agressions surviennent à la suite de la publication d’articles écrits sur la tragédie de la Star Académie qui a causé la mort à sept personnes dans la ville de Sfax, le 30 avril 2007 et sa dénonciation quant à la négligence de l’organisateur du concert qui se trouve un membre de la famille de Leila Ben Ali, la femme du Président.
Le lendemain 16 mai, c’est le tour d’une autre journaliste, Mme Imen Madahi qui a fait partie de l’équipe télévisée de la nouvelle chaîne privée Hannibal TV depuis novembre 2004 puis licenciée dans des conditions peu recommandables.
A cette injustice, Mme Madahi est appelée à endurer une autre. Dix huit mois après son licenciement, elle est poursuivie par le patron de cette chaîne, M. Arbi Nasra, un proche de la famille du président, pour « diffamation et atteinte à son honneur ».Or personne ne peut comprendre les raisons profondes de cette manipulation judiciaire puisque cette journaliste n’a rien à voir avec l’information publiée sur le journal en ligne Kalima. C’est le journaliste et dirigeant du CNLT Lotfi Hidouri qui a publié l’article en question et exposé les conditions scandaleuses du licenciement de Mme Madahi.
La politique de la punition collective à l’encontre des familles des prisonniers politiques et d’opinion :
Madame Ftima Bouraoui, mère des frères jumeaux prisonniers politiques Oualid et Khaled Layouni, poursuit sa grève de la faim déclenchée depuis le 03 mai 2007 à son domicile situé dans la ville de Kélibia, à près de 120km de la capitale pour dénoncer le sort réservé à ses deux fils : Oualid qui a perdu ses facultés mentales suite à la torture sauvage et violences répétées qu’il a subi aux centres de détention et à la prison civile de Mornaguia et Khaled à qui on a infligé une correction exemplaire faite de coups de tout genre, de privation de nourriture, de promenade, de lit…pour faire taire sa famille qui se bat avec un courage exemplaire pour leur élargissement ( Voir les communiqués du CRLDHT du 11 avril et du 05 mai).
Depuis plus d’une semaine, son domicile est encerclé par la police du district de Kélibia et l’accès est interdit à tous, y compris à ses occupants comme sa belle fille Soumeya, épouse de Oualid qui habite sous le même toit.
Le 15 mai dernier au soir, Mme Zeïneb Chebli, présidente du comité des mères des victimes de la loi anti terroriste, et mère du prisonnier politique Khaled Arfaoui, s’est déplacée à Kélibia pour manifester son soutien à Mme Ftima et avoir de ses nouvelles. La police politique lui a interdit l’accès et ne connaissant personne, elle a dû passer toute la nuit 15 au 16 mai 2007 dehors, devant la maison. Au petit matin, elle a été contrainte à prendre un louage qui l’a ramenée vers six heures du matin à Tunis…Son avocat, Maître Mohamed Nouri, président de l’Association Internationale de Soutien aux Prisonniers Politiques (AISPP), s’est déplacé pour lui rendre visite, en vain.
Le lundi 21 mai 2007, se trouvant dans une extrême faiblesse, et refusant d’arrêter sa grève de la faim, Mme Ftima Bouraoui a dû être hospitalisée dans une clinique privée à Kélibia afin de pouvoir bénéficier d’une surveillance médicale constante.
Ce même lundi un comité national de soutien à la famille, constitué de défenseurs de droits humains et de militants politiques de différentes sensibilités a été créé. Le but de ce comité est d’œuvrer pour la libération sans délai de Oualid Layouni, afin qu’il puisse se soigner correctement, entouré des siens.
La section de Kélibia de la Ligue Tunisienne pour la Défense des Droits de l’Homme s’est mobilisée aux côtés de cette mère et lui avait envoyé un médecin pour examiner son état, après dix huit jours de grève de la faim.
Ce cas n’est qu’un exemple parmi des centaines d’autres qui vivent l’arbitraire au quotidien. Les enfants en prison, victimes de torture, de conditions humiliantes de détention et de procès iniques. La plupart d’entre eux ont été condamnés à des lourdes peines pour avoir exercé leur liberté de conscience. Les familles, quant à elles, sont en butte à tout genre de tracasseries et de brimades. Elles sont surveillées en permanence, privées de leurs moindres droits, violentées et humiliées quand elles osent lever la voix.
Le : 24/05/2005
L’Observatoire
Pour la Protection des Défenseurs des Droits de l’Homme
APPEL URGENT – L’OBSERVATOIRE
TUN 002 / 0507 / OBS 049 Entraves à la liberté de réunion / Harcèlement /
Mauvais traitements Tunisie 23 mai 2007
L’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’Homme, un programme conjoint de l’Organisation mondiale contre la torture (l’OMCT) et de la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH), vous prie d’intervenir de toute urgence sur la situation suivante en Tunisie.
Description des faits :
L’Observatoire a été informé par le Conseil national des libertés en Tunisie (CNLT) des obstacles posés par les autorités à l’encontre de la tenue d’un atelier régional de formation à Tunis, du 18 au 20 mai 2007.
Selon les informations reçues, l’atelier de formation, organisé en partenariat avec l’ONG internationale Frontline, qui portait sur la « sécurité et la confidentialité numériques » et auquel devaient participer des défenseurs tunisiens, marocains, algériens et égyptiens, aurait dû se tenir à l’hôtel Khamsa Corinthia, l’hôtel ayant confirmé la réservation deux mois auparavant. Or le 17 mai 2007, à la veille de la tenue de l’atelier, et alors que les participants étrangers étaient déjà arrivés, l’hôtel a résilié la réservation. Aucun autre hôtel n’ayant accepté d’abriter l’atelier, les organisateurs ont alors décidé de tenir la formation au local du CNLT.
Cependant, une centaine de policiers en civil des districts de Bab Souika et de Bab Bhar ont entouré le local du CNLT, bloquant, dans un premier temps, l’accès à toute personne. Les policiers ont par la suite autorisé les participants étrangers et les membres du CNLT mais ont refusé de laisser entrer, entre autres, MM. Lofti Azzouz, membre de la section tunisienne d’Amnesty International, Amor Gaidi, membre de l’Association internationale de soutien aux prisonniers politiques (AISPP), et Belgacem Abdallah, membre de l’Association de lutte contre la torture en Tunisie (ALTT). M. Houcine Ben Amor, proche collaborateur du CNLT, a également été violemment agressé.
Le 19 mai 2007, alors que l’atelier devait reprendre, un nouveau déploiement policier a de nouveau encerclé l’immeuble, interdisant a quiconque d’y entrer, dont MM. Sami Nasr et à Lofti Hidouri, membres du CNLT. En outre, les policiers les auraient menacés s’ils n’obtempéraient pas. M. Lofti Hidouri aurait également été suivi par des policiers pendant trois jours.
En outre, le 20 mai 2007, l’accès de la maison de M. Ali Ben Salem, vice-président de l’ALTT et président de la section de Bizerte de la Ligue tunisienne des droits de l’Homme (LTDH), à Bizerte, a été bloqué en raison de l’arrivée, chez lui, de chargés de mission mandatés par Frontline et Human Rights First. Le 21 mai, le local du CNLT a été bloqué pour les mêmes raisons.. A ce jour, les militants du CNLT continuent de ne pouvoir avoir accès à leur local, fortement gardé par la police.
Enfin, le 22 mai 2007, alors que les chargés de mission avaient rendez-vous avec Mme Naziha Rejiba, vice-présidente de l’Observatoire pour la défense des libertés de la presse, de l’édition et de la création (OLPEC), le domicile de cette dernière a été à son tour encerclé par des policiers en civil et en uniforme, qui ont finalement autorisé la mission à entrer dans la maison. Quant à lui, M. Lotfi Hidouri, qui devait accompagner les chargés de mission à chacun de leurs rendez-vous, a systématiquement fait l’objet de mauvais traitements et interdit d’accès.
L’Observatoire exprime sa profonde préoccupation à l’égard de ces faits, qui s’inscrivent dans le cadre plus général de représailles des défenseurs des droits de l’Homme en Tunisie (Cf. rapport annuel 2006 de l’Observatoire).
L’Observatoire rappelle de surcroît que la Tunisie est tenue de se conformer aux obligations internationales en matière de droits de l’Homme, en particulier le Pacte relatif aux droits civils et politiques auquel elle est partie, et la Déclaration sur les défenseurs des droits de l’Homme, adoptée le 9 décembre 1998 par l’Assemblée générale des Nations Unies, notamment son article 1 qui prévoit que « chacun a le droit, individuellement ou en association avec d’autres, de promouvoir la protection et la réalisation de droits de l’Homme et des libertés fondamentales au niveaux national et international » et, à cette fin, « de se réunir et de se rassembler pacifiquement » (article 5b).
Actions demandées:
Merci de bien vouloir écrire aux autorités tunisiennes en leur demandant de :
i. garantir en toutes circonstances l’intégrité physique et psychologique des membres du CNLT, ainsi que de l’ensemble des défenseurs des droits de l’Homme en Tunisie ;
ii. mettre un terme à toute forme de harcèlement à l’encontre de tous les défenseurs des droits de l’Homme en Tunisie, afin qu’ils puissent exercer leur profession et mener leur activité de défense des droits de l’Homme librement et sans entrave ;
iii. se conformer aux dispositions de la Déclaration sur les défenseurs des droits de l’Homme, adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies le 9 décembre 1998, et plus particulièrement à son article 1 qui dispose que “chacun a le droit, individuellement ou en association avec d’autres, de promouvoir la protection et la réalisation des droits de l’Homme et des libertés fondamentales aux niveaux national et international”, et son article 12.2, qui dispose que “l’Etat prend toutes les mesures nécessaires pour assurer que les autorités compétentes protègent toute personne, individuellement ou en association avec d’autres, de toute violence, menace, représailles, discrimination de facto ou de jure, pression ou autre action arbitraire dans le cadre de l’exercice légitime des droits visés dans la présente Déclaration” ;
iv. plus généralement, se conformer aux dispositions de la Déclaration universelle des droits de l’Homme et instruments régionaux et internationaux relatifs aux droits de l’Homme ratifiés par la Tunisie.
Adresses :
· M. Zine el-Abidine Ben Ali, Président de la République, Palais de Carthage, 2016 Carthage, Tunisie, Fax: +216 71 744 721 ou +216 71 731 009
· M. Mohamed Ghannouchi, Premier Ministre, Secrétariat Général du Gouvernement, Rue de la Kasbah, 1008 Tunis, Tunisie, Fax: +216 71 562 378
· M. Rafik Belhaj Kacem, Ministère de l’Intérieur et du Développement local, Avenue Habib Bourguiba, 1001 Tunis, Tunisie, Fax: ++ 216 71 340 888; Email : mint@ministeres.tn
· M. Kamel Morjane, Ministère de la Défense Nationale, Avenue Bab Mnara, La Kasbah, 1008 Tunis, Tunisie, Fax: +216 71 561 804
· M. Bechir Tekkari, Ministère de la Justice et des Droits de l’homme, 57, Boulevard Bab Benat, 1006 Tunis, Tunisie, Fax : +216 71 568 106 ; Email : mju@ministeres.tn
· Ambassadeur, S.E M. Samir Labidi, Mission permanente de la Tunisie auprès de l’Office des Nations Unies à Genève, 58 Rue Moillebeau, Case postale 272, 1211 Genève 19, Suisse, Fax : +41 22 734 06 63 ; Email : mission.tunisia@ties.itu.int
· Ambassadeur M. Mehrez Benrhouma, Ambassade de la Tunisie à Bruxelles, 278 avenue de Tervueren, 1150 Woluwe-Saint-Pierre, Belgique, Fax : + 32 2 771 94 33; Email : amb.detenusie@brutele.be
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Genève – Paris, le 23 mai 2007
Merci de bien vouloir informer l’Observatoire de toutes actions entreprises en indiquant le code de cet appel.
L’Observatoire, programme de la FIDH et de l’OMCT, a vocation à protéger les défenseurs des droits de l’Homme victimes de violations et à leur apporter une aide aussi concrète que possible.
L’Observatoire a été lauréat 1998 du prix des Droits de l’Homme de la République Française.
Pour contacter l’Observatoire, appeler La Ligne d’Urgence :
E-mail : Appeals@fidh-omct.org
Tel et fax FIDH : 33 1 43 55 20 11 / 33 1 43 55 18 80
Tel et fax OMCT : + 41 22 809 49 39 / 41 22 809 49 29
Fédération Internationale des Ligues des Droits de l’Homme
17, Passage de la Main d’Or
75 011 Paris, France
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Organisation Mondiale Contre la Torture
Case postale 21 – 8 rue du Vieux-Billard
1211 Genève 8, Suisse
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Suisse
Pas de réparation civile de la torture en Suisse pour un réfugié politique tunisien
TRIBUNAL FEDERAL. Les juges de Mon-Repos devaient trancher une question inédite. Une victime étrangère ayant subi des sévices dans son pays d’origine pouvait-elle assigner son bourreau devant les tribunaux de son pays d’accueil? «La procédure civile n’est pas une voie adéquate pour dénoncer des actes de torture.» Le juge fédéral Bernard Corboz a rallié trois de ses quatre collègues lors d’une délibération publique consacrée mardi au recours d’un réfugié politique tunisien[100]. Ce dernier, Abdennacer Naït-Liman, explorait une piste jusqu’ici inédite. Obtenir réparation pour ces coups de pied et de batte, ces nuits sans sommeil et ces autres traitements dégradants qu’il dit avoir subis dans les geôles de son pays, en assignant l’ancien ministre de l’Intérieur Abdallah Kallel et la République de Tunisie devant un tribunal de son lieu d’accueil. Une forte majorité s’est toutefois dégagée pour dire qu’il n’y avait pas de for possible pour une telle action faute de tout lien avec la Suisse. Abdennacer Naït-Liman, 50 ans, vit à Genève avec son épouse et ses quatre enfants depuis une douzaine d’années. Cet ancien militant du parti conservateur «La Renaissance» a fui son pays et obtenu l’asile. En juillet 2004, il a déposé une demande en dommages et intérêts devant le tribunal de première instance en réclamant 200000 francs à l’ancien ministre et à l’Etat tunisien[100] pour 40 jours de garde à vue durant lesquels il explique avoir été torturé. Son avocat, Me François Membrez, s’est appuyé sur la notion de «for de nécessité», prévu par la loi fédérale sur le droit international privé, qui permet d’assigner en Suisse des ressortissants domiciliés hors du pays lorsqu’une telle demande n’a visiblement aucune chance d’aboutir sur place. C’est la première fois que le for de nécessité était invoqué pour des actes de torture. Après avoir échoué devant les juridictions cantonales, Abdennacer Naït-Liman a recouru au Tribunal fédéral. «Sans grand espoir», disait-il hier à l’issue de l’audience, bien décidé à porter sa cause devant les juges de Strasbourg. Cette délibération avait pourtant bien commencé pour lui. Le juge rapporteur, Dominique Favre, a longuement développé sa proposition tendant à admettre le for de nécessité mais aussi à exclure toute immunité pour l’ancien ministre. Si la République de Tunisie peut encore bénéficier de cette protection conférée aux Etats, tel ne doit pas être le cas pour ses agents qui ont commis des crimes graves, a-t-il soutenu contre l’avis exprimé en appel par la Cour de justice genevoise. Le juge rapporteur s’est ainsi dit favorable à ce que le Tribunal fédéral, suivant la tradition particulière de la Suisse en matière de défense des droits fondamentaux, aille plus loin que la jurisprudence de Strasbourg et reconnaisse aux victimes une protection plus large dans cette lutte contre l’impunité des tortionnaires. Les autres membres de la première Cour de droit civil se sont dispensés d’examiner la question délicate de l’immunité en concluant que le recours se devait d’être rejeté en raison de l’absence de rattachement avec la Suisse. Dans sa contre-proposition, le président Bernard Corboz a estimé que le for de nécessité n’était pas réalisé et cela même en admettant qu’il était difficile d’exiger d’Abdennacer Naït-Liman qu’il introduise une procédure dans son pays d’origine. Un tel for implique aussi la condition d’un lien suffisant avec la cause. Alors que le juge rapporteur voyait l’existence de ce lien dans le statut de réfugié politique du torturé, le président de la Cour a été d’un autre avis: «Les actes dénoncés ont été commis sur un ressortissant tunisien[100], en Tunisie et par des Tunisiens[100]. La question n’est donc pas de savoir si ce lien est suffisant ou non. Le problème est qu’il n’existe pas du tout.» Dans une vision pragmatique, le juge Corboz a poursuivi en soulignant les particularités de la procédure civile. Contrairement au pénal où le juge se doit de chercher les preuves, une action civile ne pourrait aboutir ici qu’à une impasse. L’ancien ministre ayant choisi de ne pas reconnaître la compétence des autorités suisses, le juge n’aurait d’autre alternative que de constater le défaut et d’adhérer à une demande de réparation qui ne sera toutefois jamais honorée. «Cela ne fera pas avancer la lutte contre la torture dans le monde», a ajouté Bernard Corboz. Une majorité des juges a enfin estimé que l’obligation pour les Etats ayant ratifié la convention des Nations unies contre la torture de prévenir ces pratiques et d’ouvrir des voies légales à l’indemnisation des victimes ne changeait rien à l’issue de cette affaire. Il s’agit d’un engagement de chaque pays pour son propre système et non pas un appel à une sorte de justice universelle. Ces arguments n’auront pas fait plier le juge Favre. «Je persiste dans ma position car une décision d’évacuation de la réparation civile de la torture, qui aboutit à un déni de justice et porte grossièrement atteinte aux valeurs défendues par la Suisse, ne peut être prise à l’unanimité.» Ce dernier soutient qu’un réfugié politique doit pouvoir agir ici. «Cela n’a rien d’un rattachement artificiel. C’est simplement ouvrir à un lésé la possibilité de plaider devant le seul tribunal auquel il peut s’adresser.» Même si l’issue de la procédure sur le fond reste des plus incertaines, Dominique Favre pense qu’un refus d’entrer en matière aboutit à un résultat choquant. «Certes, on peut se montrer strict et crispé face à cette situation inédite. La position du «allez vous faire juger ailleurs» facilite les choses mais n’apporte aucune solution», a-t-il conclu. De quoi mettre un peu d’ambiance à Mon-Repos. (Source : « Le Temps » (Quotidien – Suisse), le 23 mai 2007)
Internet, nouveau front pour la liberté d’expression selon Amnesty
AFP, le 23 mai 2007 à 12h01 LONDRES, 23 mai 2007 (AFP) – Amnesty International présente dans son rapport 2007 Internet comme le nouveau front pour la lutte en faveur des droits de l’Homme, de nombreux Etats s’évertuant à encontrôler l’utilisation pour réduire au silence les voix d’opposition. “A l’ère de la technologie, Internet représente la nouvelle frontière dans la lutte pour le droit à la dissidence”, souligne Irène Khan, la secrétaire générale d’Amnesty. “Les autorités de certains pays (Arabie saoudite, Belarus, Chine, Egypte, Iran et Tunisie, entre autres) s’assurent la collaboration des plus grandes sociétés informatiques mondiales pour contrôler les chats, supprimer des blogs, brider les moteurs de recherche et bloquer l’accès à des sites”, constate-t-elle. “Des gens sont emprisonnés en Chine, en Egypte, en Ouzbékistan, en Syrie et au Vietnam pour avoir publié et partagé des informations en ligne”, dénonce-t-elle. En Chine, l’accès à plusieurs centaines de sites internationaux a été bloqué et des milliers de sites chinois ont été fermés, souligne Amnesty, citant en exemple l’intellectuelle tibétaine Woeser, dont le blog a été fermé à plusieurs reprises après qu’elle eut critiqué le rôle de la Chine au Tibet. Des blogueurs ont été arrêtés et condamnés à des peines de prison ou à la flagellation en Iran, où “l’accès à internet est de plus en plus strictement contrôlé”, s’indigne aussi l’association. Le Vietnam est particulièrement pointé du doigt pour avoir “cherché à renforcer (son) contrôle sur internet en adoptant une nouvelle réglementation, en chargeant les exploitants de cybercafés et les fournisseurs d’accès de surveiller les internautes et en filtrant ou bloquant l’accès à certains sites”. Amnesty met en exergue le sort de plusieurs signataires du Bloc 8406 – une pétition en ligne appelant à un changement politique pacifique au Vietnam -, qui ont été harcelés et interrogés, et dont les ordinateurs ont été confisqués. Le Bahreïn, qui a notamment interdit en octobre sept sites, la Birmanie, où le “gouvernement bloquait de nombreux sites”, ou encore la Syrie, où l’accès à plusieurs dizaines de sites consacrés à l’information aurait été empêché, sont également cités. AFP
Gunmen kill eight students in north Baghdad-police
Reuters, le 22 mai 2007 à 15h33 BAGHDAD, May 22 (Reuters) – At least eight college students were killed and another three wounded when gunmen opened fire on their minibus in northern Baghdad on Tuesday, police said.
The students were travelling to their homes in Tunis, a religiously mixed district of the Iraqi capital, when gunmen in a car sprayed their bus with bullets.
No other details were immediately available. Police also said earlier on Tuesday that at least four college students were killed and 25 wounded in a mortar attack on the Ibn al-Haitham college in nearby Adhamiya district. Adhamiya drew international attention last month when the U.S. military began building a wall to protect the Sunni Arab enclave from surrounding Shi’ite districts. Adhamiya residents complained bitterly about the controversial 5-km (3-mile) wall, saying it would isolate them from other communities and sharpen sectarian tensions. The construction of the wall came as the U.S. military deployed thousands of extra soldiers around Baghdad as part of a security crackdown aimed at dragging Iraq back from the brink of all-out civil war. REUTERS
Liban – La trêve tient au camp palestinien de Nahr al Bared
Reuters, le 23 mai 2007 à 08h47 NAHR AL BARED, Liban, 23 mai (Reuters) – Une trêve fragile tenait mercredi matin au camp de réfugiés palestiniens de Nahr al Bared, dans le nord du Liban, théâtre de trois jours d’affrontements entre l’armée libanaise et les miliciens du Fatah al Islam qui ont fait des dizaines de morts. Plusieurs milliers de réfugiés ont profité de cette accalmie pour quitter en hâte ce camp proche de Tripoli où les conditions de vie sont devenues insupportables depuis dimanche. Au moins 22 combattants du Fatal al Islam, 32 soldats et 27 civils ont péri dans les combats, les pires violences intérieures que le Liban ait subies depuis la guerre civile de 1975-90. Mais les secours n’ont pu encore pénétrer dans ce camp, où vivaient quelque 40.000 réfugiés palestiniens avant le début des violences, et il est difficile d’évaluer le nombre des victimes civiles. D’après des habitants, des cadavres gisent dans les décombres de bâtiments détruits par les bombardements de l’armée libanaise. De source militaire libanaise, on confiait mercredi que la situation était calme à Nahr al Bared. “Mais l’affaire n’est pas réglée. Cela ne sera définitivement terminée qu’avec la fin définitive de cette bande”, ajoutait ce militaire en évoquant le Fatah al Islam, que le gouvernement libanais dit manipulé par la Syrie, ce dont Damas se défend. Ce groupe militant sunnite avait fait du camp de Nahr al sa Bared sa base opérationnelle. Même si la faction est commandée par un Palestinien, les autorités libanaises ont dit avoir arrêté des membres saoudiens, algériens, tunisiens et libanais. REUTERS
Les femmes au miroir de l’orthodoxie islamique
Du bon usage du patrimoine
Mounir Hamdi « Jeter un regard égalitaire sur une relation inégalitaire : celle qui a relégué les femmes dans les sous-sols de notre histoire », écrit Latifa Lakhdar pour résumer son propos. L’ambition de son travail tient précisément dans ce programme : à la fois pédagogique et scientifique. Le pari n’est pas toujours facile à tenir. Nous souffrons trop du divorce entre l’université et la cité qui confine nos chercheurs dans leur langage de chercheurs et ouvre un boulevard à la langue de bois – officielle ou non – qui sévit dans notre société civile, pour ne pas bouder notre plaisir à la lecture d’un tel ouvrage. Sortir de l’enceinte, et du même geste faire pièce à un autre monopole : les questions religieuses seraient l’affaire des religieux et le savoir orthodoxe celui des penseurs orthodoxes. Là encore, pari tenu. En bousculant ces tabous, l’auteure qui enseigne l’histoire des idées religieuses depuis belle lurette sait de quoi elle parle et ses détracteurs potentiels ont intérêt à « se lever tôt ». Cependant, ce livre échappe aux genres : ce n’est pas à proprement parler un livre d’histoire, ni un quelconque pamphlet, et moins encore des variations militantes sur un sujet qui hante nos élites depuis les années 30. Travail « indiscipliné », il vise avant tout à faire un sort à un grand malentendu : on croyait que le fin mot de l’histoire a été dit depuis Imra’atuna. La posture dominante, disons à gauche, peut se résumer ainsi : que les penseurs islamistes et autres prédicateurs se démènent comme ils veulent : tout en nuances (reconnaissons les prudences tardives de Ghannouchi) ou avec force élucubrations (lisez Quaradhoui, bonne gens, c’est édifiant), qu’à ça ne tienne, Tahar Haddad est leur homme : il a déjà tout dit. Cette paresse qui nous tient lieu de barricade n’est plus de mise. Le livre de Latifa Lakhdhar, à la suite de rares autres, vient justement nous délier de ce complexe. Ce n’est pas uniquement un ouvrage d’histoire, disais-je, parce qu’il parle d’une permanence qui résiste à l’histoire : la minoration des femmes. Ce n’est pas un pamphlet parce qu’il discute pied à pied les invariantes du discours orthodoxe sur les femmes musulmanes des premiers siècles à nos jours. L’auteure s’attaque à forte partie : la déconstruction de trois textes majeurs de la littérature orthodoxe : « chacun à sa manière, illustre la résistance d’un temps routinier et immobile crispé sur ses dogmes : Ibn al-Jawzi s’exprimant au nom de la vérité héritée, Ibn Abi Dhiaf plaidant la mimétique de l’ancien et la pratiques des commentaires gigognes ; et Rashid Ridha se faisant l’avocat de l’identité islamique menacée ». L’originalité réside là : dans la capacité à débusquer la complicité intime entre des penseurs appartenant à des contextes historiques et à des espaces éloignés. L’austère Ibn al-Jawzi, ouvertement misogyne flanqué d’un Rashid Ridha dont on soupçonnait l’inclination réactionnaire, mais le maître du Manar et disciple de Abduh peut-il être assimilé aux vieux hanbalite qui a vécu quelques six siècles avant lui. A leurs côtés, Ibn Abi Dhyaf soi-même, figure de proue de notre Nahdha. Voisinage a priori incongru. En tout cas pour la vision évolutionniste et positiviste qui nous tenait lieu de marxisme. Au fil de la lecture, la parenté, la similitude, les résonances entre les trois fragments de discours apparaissent évidentes, illustrant la fossilisation « tout au long de onze siècles de règne de la scolastique et du dogmatisme. Siècle après siècle, l’esprit et la symbolique vive du discours coranique ont été phagocytés et recyclés dans la lourde machine et les rouages conceptuels de la Usûliyya. » La solidarité, par delà les siècles de cette idéologie qui s’insinue jusque dans les courants de la pensée « progressiste », voilà l’ennemi, semble nous dire l’auteure, et qui réduit les femmes à la condition où elles croupissent encore dans de vastes contrées de l’aire arabo-musulmane. A vrai dire, il y a plusieurs manières de lire ce livre : comme un travail de recherche qui invite à l’intelligence de phénomènes réservées habituellement aux spécialistes. Comme une synthèse utile pour nos étudiants et pour tous ceux que la culture intéresse encore… Dois-je avouer «de quelle lecture je suis coupable»: on l’aura compris, d’une lecture politique. Car la figure féminine au miroir de l’orthodoxie vit tous les jours parmi nous, dans les tréfonds de nos sociétés comme dans les structures mentales. A l’heure où on assiste à une véritable régression culturelle, à l’affleurement d’idées qu’on croyait d’un autre temps et aux renforts qu’elles aimantent du côté d’une partie de nos élites, la traduction de Imra’atu-l- Ijma‘ vient à point nommé nous rappeler à cette réalité et nous inviter à relever le défi de la confrontation des idées qui est au fondement de tout projet politique véritable. Latifa Lakhdhar, dont nous lisons régulièrement les chroniques dans Attariq al-Jadid, a l’habitude d’inviter ses lecteurs à s’intéresser aux faits religieux et culturels, anciens et nouveaux. Sa démarche compréhensive est aux antipodes d’une posture commode chez nombre de nos intellectuels qui disent préférer l’avenir et se projettent dans des lendemains qui chantent pour toute réponse au passéistes. Dessiller notre regard sur le passé est un enjeu politique majeur car « devenu l’horizon indépassable de l’intelligence, leur « passé » prend notre présent en otage ». La réflexion que nous propose Latifa est une contribution à la nécessaire résistance intellectuelle. En ces temps de médiocrité et de nostalgies douteuses, il s’agit de ne pas se rendre. (Source : La partie française de la revue « Attariq Aljadid » (mensuel – Tunis), N°60 – mai 2007) Lien : http://fr.blog.360.yahoo.com/blog-bawT19A8eqfODSt0dUg5c6DCYQU-?cq=1
Boujemaa Rmili Le pouvoir national tunisien, issu de la lutte de libération anticoloniale, a conduit une belle œuvre d’édification nationale, quand on la met dans une perspective historique. Comparé à l’ensemble des autres pays arabes et notamment à ceux qui ont promis monts et merveilles à leurs peuples, mais qui ont fini par leurs choix plus que discutables par faire sombrer leurs pays dans le chaos ou la médiocrité, la Tunisie apparaît comme une réussite insolente, avec sa stabilité politique, son équilibre social, son efficacité économique et par-dessus tout, avec une appropriation moderniste de son islam, barrant ainsi la route au conservatisme et à la réaction et permettant de réaliser un des plus beaux acquis dont les Tunisiens peuvent être farouchement fiers, celui de considérer que la femme est l’égale de l’homme en droits et en obligations. Cependant, ce même pouvoir doit reconnaître qu’il a été incapable de conduire le pays vers la démocratie. Qu’il s’est avéré que cet objectif se situe tout simplement en dehors de ses capacités. Il ne s’est jamais produit auparavant et ça ne se produira jamais, qu’un pouvoir qui s’est installé pendant un demi-siècle dans la confortable position de la gestion monopolistique de la politique, ne cédant pas le moindre espace institutionnel, pratiquant une politique d’information type Corée du Nord, posant d’incommensurables difficultés à tout citoyen exprimant ou manifestant la moindre autonomie d’appréciation ou de positionnement démocratique, encerclant toute velléité de libre association ou organisation jusqu’à l’étouffement, dégoutant les jeunes de tout esprit d’initiative citoyenne et rejetant l’ensemble du peuple dans le seul choix qui reste, celui du ‘consommateur décitoyennisé’, il est difficile donc qu’un tel pouvoir puisse engendrer la démocratie. Même les moments de très forte mobilisation sociale en faveur de la démocratie, telle que celle qui va de 1975 à 1985, n’a pu faire infléchir que très partiellement le pouvoir, qui s’empressait de réoccuper rapidement les fragments d’espace de liberté cédés auparavant. Si l’homme du 7 Novembre avait formellement reconnu l’inadéquation de la voie démocratique et pris quelques mesures de détente, le système dans son ensemble est resté identique à lui-même et a fini rapidement par revenir à son état naturel. A partir d’un tel constat, la Nation tunisienne doit de nouveau faire face à son destin, avec sérénité et apaisement, certes, mais aussi avec inquiétude et détermination. La solution de la question démocratique réside dans le fait que seule la société dans son ensemble peut aider le pouvoir à désamorcer le dispositif fortement anti-démocratique qu’il a mis en place et avec lequel il tient tout un pays en otage. Mais dans ce cadre, l’attitude vis-à-vis du pouvoir national que doit avoir l’opposition démocratique dans cette affaire d’exigence de réforme nationale, ne doit être ni d’ordre accusateur, ni diabolisant, ni revanchard. Pour l’opposition démocratique, il s’agit d’œuvrer à la formulation d’un constat consensuel national, stipulant que le pouvoir a atteint ses limites en matière de démocratie et qu’il est incapable de dégager seul une solution crédible à cette question vitale, et encore moins de la mettre en œuvre. Cette démarche exige un courage et une lucidité de niveau national. Du côté du pouvoir, il s’agira de reconnaître que le choix du parti unique, non seulement a fait son temps, mais est devenu caduque. Personne ne prendra au sérieux l’œuvre de modernisation, d’ouverture, de bonne gouvernance, et de partenariat international de la Tunisie, si nous continuons à avoir des résultats électoraux de 99%, des médias contrôlés et monopolisés à 100% et une pratique de mise à l’index systématique de toute forme de libre opinion ou d’organisation. Du côté de l’opposition démocratique, et bien que ses sentiments de frustration et d’injustice soient compréhensibles et légitimes, il faut qu’elle sache que le plus important c’est d’identifier et de faire aboutir une solution viable pour la Nation. Quarante ans d’échec de l’opposition démocratique et progressiste doivent suffire pour voir et agir autrement. La solution n’est pas dans plus de radicalité et d’intransigeance mais dans plus de compréhension et d’intelligence. Nous avons tenté tous les radicalismes possibles et imaginables mais nous n’avons pas réussi et en plus, nous ne pouvons même pas dire qu’en compensation, nous avons au moins gagné l’adhésion de la société et des jeunes. Face au couple, attitude répressive du pouvoir d’un côté et, radicalisation de la revendication démocratique de l’autre, la société a trouvé la parade, celle de se réfugier dans la position qui lui coûte le moins cher, en exprimant une sympathie à ‘bon compte’ pour la cause démocratique, évitant systématiquement de ‘se mouiller’ et se contentant de ‘compter les points’, à partir des gradins et très loin du ring. Ainsi, il s’agira de reconnaître que, d’un côté, toute initiative unilatérale de la part du pouvoir pour prétendre apporter ‘sa’ solution à la question démocratique est vouée d’avance à l’échec, parce que non crédible. Mais que, d’un autre côté, toute velléité de ‘passage en force’, de l’opposition démocratique, sans passer par un effort pédagogique et de recherche systématique de contournement des obstacles avant de décider d’y aller ‘frontalement’, un effort nécessaire pour le traitement d’une question d’ordre national, devenue d’une extrême pesanteur et d’une extrême complexité, vu les retards et les accumulations négatives, toute velléité donc de cet ordre ne sera qu’une simple répétition des anciens et nombreux scénarios de l’échec. Le pays doit trouver la voie de la négociation d’un nouvel ordre démocratique. Il faut ainsi et à tout prix éviter le ridicule d’une nème élection de type 99% pour 2009. Un accord national pour la réforme démocratique est non seulement nécessaire mais possible. Il doit être l’œuvre d’une démarche de co-responsabilité entre le pouvoir et l’opposition, pas l’opposition du beni-oui-ouisme, ni celle de la surenchère, ni encore moins celle de l’aventure et du renoncement aux acquis fondamentaux, mais d’une opposition à la fois crédible et responsable. Ettajdid peut être un candidat national de qualité pour jouer ce rôle. Les objectifs minimaux de cet accord sont clairs : amnistie générale, liberté de la presse, accès aux médias, élections libres, respect de la loi en matière de fonctionnement des partis et notamment leur droit aux réunions et au développement de leurs activités démocratiques, sans contraintes administratives pour empêcher arbitrairement le déroulement de telles manifestations. En contrepartie, l’opposition adhère à un projet national consensuel de réforme démocratique. Il est vrai qu’un tel projet a été déjà expérimenté et a échoué du seul fait du pouvoir, qui avait mis en avant une conception très particulière du consens, celle de ‘domestiquer’ l’opposition. Mais l’opposition démocratique a su développer une résistance héroïque à cette volonté de domestication et a non seulement pu survivre mais même offrir une belle image de combattivité et de vigueur lors des dernières élections, qui ont honoré la Tunisie, sans que malheureusement cela ne puisse déboucher sur la moindre avancée nationale concernant la question démocratique. Il faut espérer que le pouvoir ait tiré les enseignements qu’il faut de cette expérience, qu’il ne s’agira nullement de rééditer. Malgré les échecs passés, re-proposer la voie de la négociation nationale de la question démocratique n’est ni honteux, ni opportuniste. Au contraire, c’est la position la plus combattive, celle qui offrira de l’opposition une image de courage et responsabilité nationale. Le danger qui guette l’opposition démocratique c’est le donquichottisme et la surenchère surréaliste, qui ne renvoient à aucune vision objective des rapports de force. Reconnaître que la question démocratique, qui met en cause les fondements de la totalité du système politique en place, est une question suffisamment complexe pour lui rechercher une approche complexe et pas seulement de l’incantation ‘surplaciste’, est une attitude non seulement profondément réformiste mais même révolutionnaire, puisqu’elle ne vise pas moins que la remise en question d’un ordre en place depuis un demi-siècle, pour faire déboucher la Tunisie sur une nouvelle ère, exaltante pour son peuple et sa jeunesse. S’il y a des militants qui peuvent être froissés ou inquiets face à ce type d’approche, la considérant comme insuffisamment ‘radicale’ ou ‘inconséquente’ ou simplement ‘plus risquée’, c’est tout à fait leur droit, et leur opinion doit être considérée comme un point de vue respectable, qui insiste sur le côté ‘non prédisposition du pouvoir à lâcher quoi que ce soit en matière de démocratie’. Mais la majorité de l’opposition démocratique et progressiste devrait être capable de ‘tout tenter’, et de ne refuser d’avance aucune possibilité, pour dégager une issue, malgré les échecs du passé. Il est vrai que le danger qui guette ce type de démarche, c’est de tomber dans l’‘attentisme’. Il faut alors clamer et fort qu’il ne s’agit nullement de formuler une nouvelle offre nationale et ensuite de tout suspendre au bon vouloir du pouvoir. La proposition dont il s’agit ici, consiste à prendre l’opinion publique démocratique, nationale et internationale, à témoin. Une telle démarche ne peut se concevoir que dans le cadre d’un programme de mobilisation démocratique et progressiste, visant à montrer qu’une alternative à la situation actuelle est possible, que rien n’est fatal. Il reste évident que le risque d’échec de cette démarche existe. Mais il faut reconnaître qu’au moins trois facteurs importants lui sont favorables : l’absence de perspective politique nationale pour le pays et le besoin qui en découle de rechercher et trouver une issue, l’échec de la première expérience et les leçons qui pourraient en avoir été tirées aussi bien par le pouvoir que par l’opposition, le succès de l’Initiative Démocratique et le fait qu’elle est sur le point de déboucher sur la création d’un nouveau parti démocratique rassembleur par le biais du prochain Congrès Unificateur d’Ettajdid et, par-dessus tout, l’évolution dans le Monde et en Tunisie, qui montre tous les jours le caractère inopérant de l’immobilisme politique. Plus que l’orientation politique elle-même, la manière de la mettre en œuvre compte beaucoup. Car, qui peut affirmer que tous les acteurs qui semblent se situer entièrement du côté et autour du pouvoir et s’aligner totalement sur ses positions, le sont dans la réalité ? Les intérêts seraient-ils à ce point identiques et les visions de l’avenir à ce point conformes ? Le choix de modèle de développement basé sur la compétence, la transparence, l’équité et l’efficacité peut-il indéfiniment cohabiter avec l’archaïsme et l’anachronisme politiques ? L‘ensemble des acteurs sociaux et économiques vont-ils indéfiniment bâtir et engager l’avenir sur l’incertitude et le flou concernant l’avenir de la démocratie et celui du fonctionnement moderne des institutions ? Ainsi, bâtir un pont vers la société et particulièrement ses composantes dont l’intérêt se heurte de plus en plus aux contraintes du dispositif politique actuel doit être l’innovation majeure de la stratégie du renouveau démocratique. Même sur les questions concernant le développement économique et social, et dans la mesure, presque impossible, où on peut les isoler des questions démocratiques, il est opportun de formuler des propositions de réforme permettant de rehausser la crédibilité de l’opposition démocratique. Sur ce plan, il ne s’agira ni d’adopter la position officielle qui consiste à dire que ‘tout va bien’, ni à se lancer dans des spéculations démagogiques, faisant fi de tout cadre réel de déroulement des processus du développement. Il est possible d’apporter une contribution originale à la réflexion sur les choix du développement. Cela peut déboucher sur des initiatives politiquement porteuses de dialogue avec toutes les catégories sociales concernées par les choix de stratégies de développement. L’originalité des forces démocratiques et progressistes consistera à montrer que l’on ne peut pas opposer les objectifs d’efficacité économique, de solidarité sociale, d’équité régionale, de transparence dans les affaires, d’amélioration du niveau du service public, de bonne gouvernance et de gestion rationnelle des ressources naturelles. Qu’il est possible de faire triompher l’idée d’un ‘développement citoyen et cohérent’, dans lequel les acteurs, quelque soit leur positionnement, agissent dans un cadre concerté et cohérent, qui rétablit l’équité, développe l’esprit de responsabilité et permet d’assurer la cohérence nécessaire entre des objectifs que certains présentent souvent comme étant incompatibles. Vis-à-vis d’une opposition démocratique et progressiste, qui ne se contente pas du protestataire mais qui développe un projet de réformes crédible, la société est en état de ‘demandeur’. C’est à nous de prouver qu’il existe une ‘voie praticable’ vers une modernisation plus conséquente de la Tunisie. Ainsi, deux objectifs majeurs, attendent le prochain Congrès Unitaire d’Ettajdid. Sur le plan interne, dégager une ligne claire majoritaire et éviter les flous faussement ‘consensuels’, ‘unitaires’ ou ‘rassembleurs’, quitte à ce qu’il y ait majorité et minorité, la majorité disposant d’un mandat clair de travail et la minorité jouant son rôle naturel de critique, de vigilance et de cadrage de la ligne générale du Parti. Sur le plan extérieur de positionnement et d’action politiques en direction de la société et de l’opinion publique, il s’agit de viser un objectif ambitieux qui consiste à ‘faire bouger les lignes’ de la société tunisienne, en annonçant tout de suite la couleur, celle de s’adresser à l’ensemble des acteurs de cette société et pas seulement au ‘microcosme’, pour réaliser la seule et unique réforme attendue : la réforme démocratique, avec un esprit d’ouverture et de dialogue qui rassure et qui inspire la confiance, mais aussi avec un esprit de détermination et de fermeté sur les principes, qui crédibilise. (Source : La partie française de la revue « Attariq Aljadid » (mensuel – Tunis), N°60 – mai 2007) Lien: http://fr.blog.360.yahoo.com/blog-bawT19A8eqfODSt0dUg5c6DCYQU-?cq=1
L’islam à l’épreuve de la raison
Religion – Au sein du monde arabe, la société tunisienne expérimente un modèle exclusif d’islam modernisé. Une professeure en science coranique à l’université Ezzitouna de Tunis parle de cette démarche encore assez isolée qui rend toute sa place à la raison dans l’interprétation sociétale du Coran. Quand on veut faire un état de l’islam contemporain, il faut aller voir dans les pays musulmans eux-mêmes. Et à ce jeu-là, il faut bien avouer que l’Occident n’est souvent pas rassuré. Les pays musulmans appliquant des standards compatibles ou du moins proches de nos codes occidentaux sont rares. Ils existent pourtant, comme par exemple la Tunisie dont l’islam modernisé constitue une exception dans le monde arabe. Chose rendue possible par un pouvoir laïc fort. Mais comment concilier cela avec l’exégèse coranique? Nous avons interrogé à ce sujet Mongia Souaihi. Elle est professeure d’exégèse et de science coranique à l’université islamique Ezzitouna de Tunis et rédactrice en chef d’une revue scientifique religieuse. Nous l’avons interviewée lors d’un colloque international organisé en Tunisie autour du dialogue entre la raison et la foi en islam ainsi que dans les autres religions. Cette rencontre, à laquelle ont participé nombre de spécialistes occidentaux et arabes de l’islam, du judaïsme et du christianisme, était organisée par la «Chaire du président Ben Ali pour le dialogue des civilisations et des religions». Force est de constater que le discours controversé du pape à Ratisbonne, sur le même sujet, a permis de lancer un nécessaire et fructueux débat entre les religions monothéistes. Mongia Souaihi, est-il exact de dire que l’islam tunisien est le plus moderne du monde arabe, et même l’un des seuls qui soit très ouvert dans le monde musulman, comme je l’ai entendu dire en marge du colloque international de Tunis? J’ai visité une dizaine de pays arabes et je crois pouvoir dire que l’islam tunisien est le plus moderne surtout en ce qui concerne le statut des femmes. Et je ne dis pas cela car je suis Tunisienne. Le statut des femmes dans le code civil tunisien est-il compatible avec les standards occidentaux? Absolument. Mis à part les questions d’héritage, les droits des femmes tunisiennes sont comparables à ceux des Européennes. Il y a des musulmans qui n’ont cependant pas laissé réformer certains points touchant l’héritage car ils disent que le texte coranique est clair à ce sujet. Comment expliquez-vous que la Tunisie soit l’un des rares Etats musulmans au monde à pratiquer un islam vraiment moderne? En Egypte, même Mme Moubarak, l’épouse du tout puissant président, n’a pas réussi à vaincre la résistance des oulémas dans sa volonté de pénaliser fiscalement la polygamie. En Algérie, le code révisé de la famille maintient la femme qui se marie dans un statut de mineure avec un tuteur légal, le divorce peut être décidé unilatéralement par l’homme, etc. Pourquoi la Tunisie, qui a supprimé nombre d’anomalies dans le code du statut personnel, est-elle allée plus loin que ses voisins dans la modernisation de l’islam? Cette approche a été privilégiée depuis plus d’un siècle par l’élite intellectuelle tunisienne[100]. Fait assez rare dans le monde musulman, chez nous l’élite religieuse a aussi fait son cheminement vers la modernité. Notre pays vit une situation de proximité et d’ouverture à l’Occident depuis longtemps. De plus, beaucoup de nos intellectuels ont fait leurs études en France. Et enfin, il y a l’audace de Habib Bourguiba, le premier président de la Tunisie, qui a vraiment lutté contre l’intégrisme. En 1956, il a par exemple aboli la polygamie et ce ne fut pas facile. Il a donné des droits aux femmes, comme de se marier sans avoir besoin de l’accord de ses parents, de choisir librement son mari, de travailler, d’être enseignantes. Cependant, malgré un régime laïc, la Tunisie n’a pas lâché la religion. En 1992, l’actuel président Zine El Abidine Ben Ali a promulgué le code du statut personnel qui donne de larges droits à la femme tunisienne. Ce code établit une relation de respect mutuel entre homme et femme. Celle-ci peut par exemple garder ses enfants après un divorce et a droit à une pension alimentaire. Les religieux tunisiens ont-ils accepté la modernisation des normes légales de l’islam? Oui, il n’y a pas eu de confrontation entre les religieux et la société civile. En fait, c’est le gouvernement laïc qui fait respecter une Ijtihad (interprétation) moderne de l’islam. Comment s’y prend-il? Dans notre pays, la religion est enseignée à l’université Ezzitouna de Tunis. C’est là aussi que je suis professeure. Nous avons beaucoup travaillé sur le programme d’enseignement depuis 1991. Les étudiantes et les étudiants suivent de multiples disciplines: langues étrangères modernes et anciennes, science comparative des religions, philosophie, psychologie, sociologie, etc. Les professeurs mettent en évidence ce qui rapproche entre elles les grandes religions. On développe aussi chez les étudiants l’esprit critique. On leur explique que tout ce que disent les exégètes classiques de l’islam n’est pas sacré. Que seul le Coran est sacré mais que l’on peut mener sur ce texte une nouvelle interprétation adaptée au monde moderne, dans le domaine du statut de la femme par exemple. Les élèves qui sortent de l’université Ezzitouna deviennent professeurs de religion au lycée ou à l’université s’ils ont obtenu un doctorat. Ils peuvent être aussi employés par le Ministère des affaires religieuses comme imams dans les mosquées. Mais peut-on vraiment interpréter un texte comme le Coran qui selon l’islam a été dicté par Dieu? Bien sûr et cet effort d’interprétation rationnelle s’appelle l’Ijtihab. Les grands hommes et érudits de l’islam à travers les siècles – comme par exemple Ali ben Abi Taleb, cousin du Prophète – ont dit qu’il y avait beaucoup d’interprétations possibles du Coran, qu’il ne pouvait pas y en avoir une seule. Il y a certes des versets du Coran qui sont clairs et ne permettent qu’une seule interprétation, mais d’autres sont moins clairs. Au début de l’islam, les amis du Prophète eux-mêmes ont interprété de manière différente des versets du Coran, ainsi que les gestes et les explications du Prophète (hadith). Le modèle tunisien est-il exportable? Influence-t-il d’autres pays? En Egypte, certains intellectuels essaient de promouvoir une interprétation moins conservatrice que celle d’Al Azhar. Au Maghreb, surtout au Maroc, cet effort est porté aussi sur le code de la famille. On va y arriver, mais petit à petit, car c’est difficile. Quand j’ai écrit en 2002 sur l’internet que le port du voile n’était pas imposé par le Coran, ce fut une catastrophe. Des intégristes musulmans ont voulu ma tête et m’ont traitée d’athée. Mais après quelques mois, j’ai vu qu’un Syrien avait osé écrire que le voile n’était pas une obligation islamique. En Egypte aussi, des personnalités ont parlé. Cimetières, minarets et mixité… Mongia Souaihi, un musulman habitant en Occident doit-il se faire enterrer dans un cimetière ou un carré confessionnel distincts des tombes des chrétiens? En Turquie par exemple, j’ai vu un cimetière où les chrétiens, les juifs et les musulmans étaient enterrés dans le même espace. Si en Occident les chrétiens acceptent des carrés séparés pour les musulmans, c’est bien. Cela fera plaisir aux musulmans. Mais cela ne doit pas être une revendication si cela peut entraîner des tensions. Si un carré musulman peut être la source d’un conflit, mieux vaut ne pas le demander. Le plus important est en effet la cohabitation harmonieuse avec la population et les lois de l’Occident. Et lorsque la politique est laïque, comme en France par exemple, les musulmans doivent la respecter. Et une mosquée en Europe doit-elle être dotée d’un minaret? Les musulmans n’ont pas besoin d’un minaret dans chaque cité. Il faut respecter les spécificités du pays. En fait, le but du minaret est d’appeler à la prière. S’il n’y a pas de muezzin pour appeler à la prière, le minaret n’a pas de sens. Lorsque les musulmans ne vivent pas en terre d’islam, le plus important, selon moi, est qu’ils respectent les lois de ce pays. Car c’est en les respectant qu’ils obtiendront des droits, en tant que citoyens. En Suisse, on invoque souvent d’autres interdits de l’islam, comme la mixité dans les piscines par exemple… En Tunisie, écoles et piscines sont mixtes. D’ailleurs, même durant la période de Mahomet hommes et femmes n’étaient pas séparés par un paravent durant la prière. C’est seulement après que des exégètes ont inventé qu’il fallait absolument les séparer. A l’époque du Prophète, les femmes travaillaient avec les hommes. Elles allaient à la mosquée avec les hommes. C’est seulement au VIIIe siècle qu’on a commencé à opérer une séparation stricte et à édicter beaucoup d’interdits aux femmes. VP «L’Etat fonctionne comme paratonnerre» «Un colloque dont le ton est aussi libre que celui-ci apparaît inimaginable dans un autre pays arabe. L’islam tunisien est en effet l’un des plus modérés. Il est le résultat d’un brassage de civilisations qui a laissé une empreinte de tolérance et d’ouverture. Cela se traduit par une Constitution laïque depuis Bourguiba. L’Eglise catholique travaille depuis longtemps en Tunisie à former une élite intellectuelle ouverte à l’altérité. J’espère que le modèle tunisien puisse s’étendre par «contagion» à d’autres pays musulmans, mais ce n’est pas évident. Il est même plus probable de voir la menace du fanatisme islamique pénétrer en Tunisie depuis d’autres pays. La Tunisie en est consciente et se défend fortement contre cela. Ici l’Etat fonctionne comme un paratonnerre car il ne veut pas que le clergé dicte la religion.» VP (Source : « Le Nouvelliste » (Quotidien – Suisse), le 21 mai 2007)