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PDP Italie: Communiqué de presse
La Tribune de Genève: Abou Yaareb Marzouki «Européens, n’ayez pas peur des islamistes!»
Le Vif: Tunisie : choisir entre Etat et mosquée
Le Monde.fr: Abdelfattah Mourou, éternel second d’Ennahda, en cavalier seul
Dr Moez BEN ALI: Première Parti politique pour les binationaux
Communiqué de presse
«Européens, n’ayez pas peur des islamistes!»
Son annonce avait créé la stupeur parmi les intellectuels tunisiens. Abou Yaareb Marzouki, considéré comme un penseur à l’esprit libre et critique, professeur de philosophie mis à la retraite anticipée parce qu’il déplaisait au régime de Ben Ali, milite pour le mouvement islamiste Ennahda. Il est même tête de liste dans l’importante circonscription de Tunis 1, qui recouvre le centre de la capitale et nombre de quartiers populaires. Entretien à la veille de l’élection de l’Assemblée constituante de dimanche qui devrait consacrer le triomphe d’Ennahda.
Pourquoi avez-vous accepté de rallier Ennahda?
Primo, je précise que je suis indépendant, associé à la liste d’Ennahda, et j’entends garder mon esprit critique aussi vis-à-vis de ce mouvement. C’est une condition que j’ai posée d’emblée. J’ai aussi dit qu’Ennahda devra participer, quand il sera l’heure de le former, à un gouvernement d’union nationale. Si tel n’était pas le cas, je me désolidariserais. La Tunisie doit se reconstruire, or nous sommes dans une dynamique où les figures de l’ancien régime font tout pour tenter de conserver leurs privilèges. Ennahda est la seule formation qui peut libérer le pays et amener plus de justice sociale.
Vous auriez aussi pu militer au sein d’une formation de gauche?
Le mouvement Ennahda est le seul qui a gardé les mains propres sous l’ère Ben Ali. Le seul à avoir résisté, au prix de 30 000 prisonniers politiques. Les gens de gauche se sont tous compromis avec l’ancien régime, ils ont même été les agents de sa propagande. Surtout, Ennahda est un mouvement qui fait la jonction entre l’enracinement dans notre culture et la modernité, mais pas n’importe quelle modernité: l’authentique, celle qui valorise la fraternité, le travail, pas celle de la consommation, de la paresse et de l’exploitation de l’autre.
En Tunisie, certains craignent le double langage des islamistes. Un glissement vers l’intégrisme privant les individus de leur liberté, ça s’est déjà vu ailleurs…
Le risque du dogmatisme existe partout. C’est précisément pour cela qu’en tant que philosophe je m’essaie à jouer les pacificateurs, à rationaliser ce mouvement populaire. Ennahda a passé son temps durant cette campagne à rappeler ses bonnes intentions, basées sur le respect et la liberté de chacun. Je les crois sincères. De quel côté sont les fanatiques? La vérité est que les laïcs font actuellement tout, en Tunisie, pour éveiller à dessein le dogmatisme religieux. La diffusion, il y deux semaines, par Nessma TV du film Persepolis était une provocation délibérée. Et cela a marché: des jeunes désœuvrés ont répondu par des violences, mais on a tort d’y voir une signification politique.
Mais on voit bien que religion et politique font des étincelles…
Il ne faut pas confondre les dogmatiques avec la religion. De ce côté-ci de la Méditerranée on en a assez que l’Europe, et d’autres, nous donnent des leçons sur la manière dont nos sociétés doivent se développer. L’Europe a oublié qu’elle s’est elle-même construite au travers de la religion, de la religion au sens de «référentiel de valeurs». Pourquoi voudriez-vous que notre propre construction n’intègre pas notre religion, notre culture, l’islam?
Que proposerez-vous concrètement aux Tunisiens?
Nous avons en Tunisie 700 000 chômeurs, dont 200 000 universitaires. La priorité absolue, c’est de créer de l’emploi. A cela s’ajoute un fossé entre les régions, le Nord et le Sud, ahurissant, qu’il faut combler. Les systèmes scolaire et sanitaire sont dans un état déplorable. Nous devons aussi revoir nos rapports avec l’Europe, axés pour l’heure sur les seules valeurs de la consommation. L’Europe doit apprendre à nous faire confiance et nous aider sur une base assainie de l’échange.
Qui votera pour vous dimanche?
La circonscription de Tunis 1, ce sont 80% de gens ordinaires, au niveau de vie très modeste. Ils veulent une vraie rupture avec l’ère Ben Ali, basée sur le mensonge et la corruption. Nombre de Tunisiens, depuis la révolution, veulent croire à l’avènement d’une ère de fraternité et de justice. Ceux-là voteront pour nous.
(Source: “La Tribune De Genève” (Quotidien – Suisse) le 21 octobre 2011)
Lien: http://www.tdg.ch/europeens-ayez-peur-islamistes-2011-10-21
Tunisie : choisir entre Etat et mosquée
vendredi 21 octobre 2011 à 09h22
Le 23 octobre les tunisiens choisiront une assemblée constituante qui devra élaborer la nouvelle constitution. Des élections sous tension dans un pays qui vit l’éclosion du printemps arabe
L’éviction du dictateur Zine El Abidine Ben Ali était pour les tunisiens un plongeon vers l’inconnu. Après son départ, le 14 janvier 2011, le président du parlement Fouad Mebazaa devient le Président de la république par intérim en attendant les élections. Un mois plus tard, suite à d’incessantes manifestions, c’est au tour du premier ministre Mohamed Ghannouchi, un proche de Ben Ali, de mettre les voiles. Son successeur est Béji Caïd Essebsi, ancien ministre sous Habib Bourguida, le légendaire premier président d’une Tunisie indépendante. Essebsi doit guider la Tunisie vers de nouvelles élections démocratiques. Un chemin semé d’embûches depuis la révolte de Jasmin. Avec ces élections du 23 octobre les Tunisiens se choisissent une Assemblée constituante qui va devoir écrire la constitution de la nouvelle Tunisie.
Une police démocratique
Pour Sadok Kouki , un médecin de Sidi Bou Saïd, une ville à une vingtaine de kilomètre de la capitale, la société civile reprend petit à petit ses droits après avoir été étouffée sous Ben Ali. « On expérimente avec nos nouvelles libertés et on parle même aujourd’hui d’une police démocratique. » raconte Kouki. «Ils apprennent qu’ils sont là pour protéger les citoyens et non le régime ». Pour Lotfi M’Raihi, le président de l’Union Populaire Républicaine (UPR) un petit parti socio-libéral, le chemin vers une Tunisie démocratique se compare à un apprentissage. « Il n’existe pas de prototype, nous avançons au jour le jour. Aujourd’hui, je peux me satisfaire d’un minimum de démocratie. Demain il m’en faudra davantage. »
Les islamistes
Mais qu’en est-il des partis plus fondamentalistes comme Ennahda ou encore ses variantes plus extrémistes comme le salafiste Ettahrir (« libération ») ? Ennahda, fortement réprimé sous Ben Ali, est aujourd’hui le parti qui possède la meilleure organisation, ce qui ne manque pas d’inquiéter M’Raihi : «Si l’on ne prend uniquement en compte leurs idées, les islamistes sont minoritaires. Mais c’est une minorité très bien organisée qui votera comme un seul homme. ». Nos divisions sont leur force. Selon M’Raihi, Ennahda devrait atteindre 30% des votes. Le parti prône aussi un discours très modéré précise Koert Debeuf, qui suit pour les partis libéraux du parlement européen l’évolution des islamistes dans le monde. « Il est même surprenant de voir à quel point ils sont concernés par leur image européenne : lorsque je les ai rencontré, ils n’ont pas lâché une seule fois le mot islam ou charia dans la conversation.
Une deuxième révolution
Même si Ennahda fait un bon score, Kouki est confiant quant au fait qu’ils ne pourront pas suffisamment grappiller de pouvoir tant qu’ils n’ont pas la majorité absolue des votes. Et si jamais les islamistes prenaient le pouvoir, les tunisiens seraient prêt à se lancer dans une deuxième révolution précise-t-il. « Ennahda promet d’améliorer la condition des femmes. S’ils ne le font pas, ils iront au tapis. »
Simon Demeulemeester
(Source: Le Vif le 21 octobre 2011)
Lien:http://www.levif.be/info/tunisie-choisir-entre-etat-et-mosquee/article-1195121207522.htm
Premiers dans le monde arabe à avoir renversé leur dirigeant, les Tunisiens seront aussi les premiers, dimanche, à connaître des élections libres. A la veille d’un scrutin historique, où prime la question de l’islamisme, les jeunes qui ont fait la révolution disent leur déception.
Marie-Christine CORBIER Journaliste
Un rideau bleu au fond d’un couloir dissimule la salle de prière. Au dernier étage du bâtiment de son école de commerce, sur le campus universitaire de la Manouba, dans la banlieue de Tunis, Yosra discute avec des camarades, à côté de quelques paires de chaussures disposées devant l’entrée. « En février, après la chute de Ben Ali, nous avons obtenu cet espace, mais il est trop petit. Nous voulons une plus grande salle », explique cette jeune femme au visage entouré d’un hijab coloré bien ajusté. Yosra sait déjà qu’elle votera dimanche pour le mouvement islamiste Ennahda, à l’occasion de l’élection de l’Assemblée Nationale Constituante, le premier scrutin libre de l’après-Ben Ali. Elle veut pouvoir porter le foulard librement.« Sous Ben Ali, les policiers m’embêtaient régulièrement : ‘‘Pourquoi tu mets ça ? Enlève-le !” Aujourd’hui, c’est mieux. » Elle se dit toutefois « déçue » par un gouvernement qui,« en neuf mois, n’a rien fait ».
Islamisme et insatisfaction : le décor que plante Yosra est celui de la jeunesse qui a fait la révolution. Comment se comportera-t-elle dimanche ? Se déplacera-t-elle pour crier son ras-le-bol en votant Ennahda, que tous les sondages placent en tête ? Choisira-t-elle d’autres formations ? Ou bien s’abstiendra-t-elle dans ce paysage confus où s’affrontent 1.500 listes, 11.000 candidats et 116 partis ?
« La jeunesse est hétérogène, commente le nouveau président de l’université de la Manouba, Chokri Mabkhrout. Et, après avoir assisté à une révolution inattendue, on est aujourd’hui face à une vraie inconnue pour ces élections. Mais, quel qu’en soit le résultat, je suis convaincu que ces jeunes joueront toujours un magnifique rôle de contre-pouvoir. » Des jeunes « difficiles à cerner », confirme une professeur d’anglais à l’Ecole supérieure de commerce (ESC), Salwa Ben Turkia.
Le poids de l’islamisme
Pas mal d’inconnues donc, mais une certitude : à l’université, le débat sur l’islamisme écrase tous les autres. Tout le monde parle du saccage, le 14 octobre, par des extrémistes, du domicile du président de la chaîne privée Nessma TV à la suite de la diffusion du film « Persepolis », jugé blasphématoires, car représentant Dieu sous les traits d’un être humain, ce que l’islam proscrit. Un autre incident est sur toutes les lèvres. Il s’est produit le 6 octobre à Sousse, à 140 km de Tunis. La faculté de lettres a été envahie à la suite du refus d’inscription d’une étudiante portant le niqab, ce voile noir qui cache le corps et le visage des femmes. « Faut-il croire les islamistes lorsqu’ils se présentent en démocrates ? Faut-il prendre au mot leur chef, Rached Ghannouchi, lorsqu’il affirme qu’il a évolué, que son modèle est l’AKP turc ? », se demande l’universitaire Abdelwahab Meddeb, professeur à l’université de Paris X-Nanterre et auteur du « Printemps de Tunis » (Albin Michel). « Je voterai Ennahda parce que je crois en un islam ouvert », répond Hayfa, comme beaucoup d’autres femmes voilées rencontrées. Elle a dix-huit ans et porte le hijab, mais ne veut pas du niqab à l’université. « Je ne pense pas que ce soit l’islam ouvert auquel tu crois », la reprend Sawssen, une autre jeune femme, non voilée, elle. A quelques mètres, Emna, vingt-deux ans, est plus ferme :« Pour moi, Ennahda, c’est une prison. » Elle votera pour la liste du Congrès pour la République (CPR) de l’ancien militant des droits de l’homme Moncef Marzouki. Plus loin, au bout de l’allée centrale bordée de palmiers, trois femmes voilées discutent sous un arbre.« On n’a pas confiance dans les partis, y compris dans Ennahda, dit Rabeb. On ne sait pas s’il tiendra ses promesses. » « On craint une dérive radicale des islamistes, renchérit Dalanda. On veut pouvoir continuer à étudier ! » Narjes, une étudiante à la double nationalité tunisienne et belge originaire de Gafsa (Centre), rêve quant à elle d’une Tunisie à l’image de sa famille : « Quand nous allons à la plage, je suis en maillot tandis que ma soeur porte le voile »…
Chez les jeunes hommes aussi, les avis sont partagés sur Ennahda.« Ils veulent le pouvoir, c’est tout ! » s’emporte Seif Allah, tandis que d’autres défendent ce mouvement, le seul qu’ils connaissent vraiment. Les positions sur le port du niqab sont en revanche moins tranchées que chez les femmes, la plupart estimant qu’elles doivent être « libres » de le porter si elles le souhaitent.
La tentation de l’abstention
La tentation de l’abstention est aussi palpable. Après avoir visité 22 des 24 gouvernorats du pays avec un « bus citoyen » pour convaincre les gens d’aller voter, la secrétaire générale adjointe de l’association Touensa, Mouna Ben Halima, évoque « des jeunes déçus et désabusés de n’avoir rien vu venir de concret depuis janvier. Certains nous ont dit : ‘‘Vous nous parlez d’élections alors qu’on n’a même pas de quoi manger !” Et puis, ils se méfient des partis. Enfin, ils appartiennent à une génération qu’on n’a jamais formée à débattre. C’est dramatique ! » La décision de la blogueuse Lina Ben Mhenni, pressentie un temps pour le prix Nobel de la Paix, de ne pas aller voter « est loin d’être un cas isolé », souligne Mouna Ben Halima. A l’inverse, d’autres blogueurs se présentent sur des listes indépendantes, mais ils ont du mal à se faire connaître en dehors de la Toile.
Et puis, il y a les adeptes du vote utile… « contre Ennahda ». Dans le métro qui la ramène à Tunis, Hajer, une étudiante en français, raconte : « L’autre jour, à la fac, j’ai croisé une femme avec un niqab. Je me suis dit : mais qu’est-ce qu’elle fout là ! J’avais envie de le lui arracher. » Son amie Azza relativise : « Je n’ai vu que deux femmes portant le niqab. Et si ça se trouve, c’était la même ! » Le Forum universitaire tunisien (FUT) dénonce « les fantômes noirs à l’université ». « C’est une belle métaphore mais qui exprime une peur plus qu’une réalité, tempère Chokri Mabkhrout. Le problème est en effet très limité, il concerne peut-être une trentaine de femmes sur 350.000 étudiants. Et c’est aussi un jeu des salafistes pour tester la réaction de la société… »
Chômage et rancoeurs
Derrière « le masque de l’islam », Salwa Ben Turkia voit d’abord « des gens défavorisés qui crient leur misère ». « Plutôt que de reprocher aux plus riches d’avoir de l’argent, des voitures, etc., ils leur disent : ‘‘Vous ne pratiquez pas la religion comme il faut.” Mais au fond, ils leur en veulent pour autre chose. » Et cette enseignante s’alarme d’un écart qui se creuse entre les riches et les pauvres : « Le pouvoir d’achat est de plus en plus faible, la classe moyenne commence à disparaître, on est tous angoissés, la déception est générale… »
Le chômage nourrit les rancoeurs. La seule évocation du taux officiel de 19 % suscite la raillerie : « Vous rigolez, on est bien au-delà ! » Et la vie chère alimente le malaise. « Les prix ont tellement augmenté qu’on se dit parfois que c’était mieux avant ! » ose Rabeb, une étudiante en anglais. D’autres évoquent une justice « pas très sévère » avec les proches de Ben Ali. En cause, la libération cet été d’anciens ministres et l’impunité accordée à d’autres anciens dignitaires du régime.
Originaire de Sfax (est), Mohammed avoue rêver « parfois encore » de gagner l’autre rive de la Méditerranée.« Mais moins souvent qu’avant le 14 janvier », ajoute-t-il, très ému… Il a vingt-cinq ans, vit depuis un mois et demi à Tunis et travaille dans une boutique de chaussures. « Déçu » de l’actuel gouvernement, « inquiet » du poids des anciens RCDistes -les adhérents du parti unique sous Ben Ali -, il ira voter dimanche mais ne se décidera que dans l’isoloir. « Il y a trop de partis », commente-t-il.
Les « Marsiens »
Si, à l’université comme dans les rues de Tunis, les difficultés sont palpables, à vingt minutes de voiture du centre, au nord-est de la capitale, l’ambiance est tout autre. Direction : la Marsa. Les guides touristiques décrivent sa baie comme l’une des plus charmantes des environs de Tunis. Un officiel français qualifiait récemment ses habitants de « Marsiens », « car ils se veulent plus laïcs que les Français »… A quelques mètres de la plage, le Café du Monde de l’Hôtel Plazza Corniche accueille la jeunesse dorée. Dans un décor orné de gros palmiers dattiers, de guirlandes et de lampions en tissu, trois jeunes installés confortablement se passionnent pour le scrutin de dimanche. Le risque du vote islamiste et l’abstention les effraient. « L’essentiel, c’est d’aller voter, commence Sarah, vingt-sept ans.Enfin… pas pour Ennahda ! » Elle confie son inquiétude « énorme » face « aux barbus qui font peur », tout en précisant qu’elle vient d’une grande famille « conservatrice et très pieuse ». Et qu’elle n’a donc pas de leçon à recevoir en matière de religion. Elle dénonce « les gens qu’on paie pour aller voter ou manifester en faveur d’Ennahda ».
« Le jour de la révolution, on était tous regroupés, maintenant, on voit que ça commence à exploser, regrette son amie Syrine, longue chevelure blonde et ongles peints à l’américaine. On a vraiment peur de ce qui va se passer. On s’attend au pire. » Il faut être « optimiste », les interrompt Sadri, en appelant à voter « utile » pour que des petits partis obtiennent des sièges. Il dit représenter« la notabilité tunisienne ». Tous voteront en priorité « contre Ennahda ». Et tous se disent certains que, « quoi qu’il se passe, les Etats-Unis ne laisseront jamais Ennahda prendre le pouvoir »… Qu’ils soient pauvres ou nantis, pour l’un ou l’autre camp, les jeunes Tunisiens se retrouvent en tout cas sur une même ligne : un retour en arrière est « impossible ». Et ce, malgré les tâtonnements liés à l’apprentissage de la démocratie.
Marie-Christine Corbier, Les Echos
, ENVOYÉE SPÉCIALE À TUNIS
Abdelfattah Mourou, éternel second d’Ennahda, en cavalier seul
est l’ami de longue date, le compagnon de toujours. Celui qui depuis 1969 a été de tous les combats aux côtés de Rached Ghannouchi. Ensemble, ils ont fondé la Jamaa Islamiyya, puis le mouvement Ennahda en 1981 dont il devient secrétaire général et porte-parole. L’éternel second, populaire et rassembleur, mais souvent en rupture. Brillant orateur et grand prédicateur, qui aime à haranguer les foules en jeba, la tenue traditionnelle tunisienne, Abdelfattah Mourou fait aujourd’hui cavalier seul. “Je recommence à zéro. J’ai perdu tout ce que j’avais avec Ennahda. Un nom bien connu, populaire”, dit l’avocat qui reçoit, sans ses apparats, dans son grand cabinet au dernier étage de son immeuble aux portes de la médina de Tunis. La rupture est consommée. “Non pas avec Ghannouchi, ce n’est pas une affaire personnelle”, précise-t-il. Avec l’institution qui l’expulse au lendemain de la révolution. “Moi, je m’apprêtais à prendre des responsabilités avec mes confrères. C’était la première fois que les Islamistes pouvaient être reconnus, obtenir une autorisation légale”, explique l’homme, dont les vingt ans d’inactivité politique n’ont pas entamé la fougue. “A ce moment-là, on m’expulse parce que j’ai été un de ceux, en 1991, à avoir gelé mon appartenance en réaction à l’attaque du commissariat de Bab Souika, dans l’incendie dans lequel est mort le gardien”, s’exclame-t-il. Une posture qui, à l’époque où tous ses confrères vont en prison sauf lui, passe mal. Mais il n’en démord pas. “C’est un événement inacceptable sur le plan des principes. Je n’acceptais pas que notre mouvement puisse porter sur ses épaules la responsabilité politique de cet événement”, estime-t-il. Il dénonce le silence du mouvement, brisé seulement au printemps par le leader d’Ennahda et son secrétaire général, Hamadi Jebali. “C’est arrivé trop tard.” Ces dissensions entre le parti et celui qui n’a eu de cesse de cultiver sa différence auraient pû être surmontées. Pendant les mois qui ont suivi son exclusion, le modéré Mourou cherche sa place. Il parle de créer son propre parti mais le moment n’est pas propice, il lui manque une base. Le parti lui fait des appels du pied pour qu’il revienne dans son giron. Mais, le bureau exécutif du parti est déjà élu, cheikh Rached lui propose une place de second porte-parole. “On me réintégrait pour me mettre au placard. Je n’aurais pu faire aucune déclaration car il faut l’autorisation du mouvement pour cela”, dit-il, bien décidé à ne pas se cantonner à un rôle de seconde zone. “UN ISLAM LIGHT” En août, sa décision est prise. Il constitue avec des indépendants, dont certains dissidents de longue date d’Ennahda, la liste indépendante “L’Alliance démocratique indépendante”, présente dans 24 circonscriptions pour l’élection de l’Assemblée constituante, le 23 octobre. “La flèche”, glisse-t-il en invitation aux gens de passage dans son cabinet, en référence au logo que porte sa liste. Lui se présente dans la circonscription de Tunis 2, face aux “éléphants” des autres grands partis. Il mise sur sa grande renommée dans la capitale. “Quand je descends dans l’avenue, des attroupements se forment autour de moi. Peu de personnes peuvent se targuer de cela”, se réjouit-il. Pourtant, l’homme reste prudent. “A l’heure actuelle, impossible de dire ce qui ressortira des urnes. Il y a toujours un risque d’une grande abstention.” Ennahda a placé face à lui Soued Abderrahim, une candidate modérée, non voilée. “On a voulu me soutirer mon électorat car moi, je me présente en tant qu’Islam light. Je m’adresse à une souche de Tunisiens pas prêts à l’Islam d’Ennahda – ceux qui n’ont pas le tchador, pas la barbe, qui boivent du vin ou pas, qui n’ont jamais eu de problèmes avec l’identité arabo-islamique et n’acceptent pas la gauche, trop laïque. La majorité des Tunisiens”, explique-t-il. Face à un mouvement islamique resté trop dogmatique à son goût, il se présente comme un progressiste attaché à l’Islam. Un refus du dogmatisme qui l’amène à ne pas prôner l’application de la sharia, aujourd’hui ni jamais, assure-t-il. Habitué des périodes de disgrâce, l’homme n’exclut pas, après les élections, de rejoindre à nouveau le mouvement au sein d’un bloc islamique. Bien que la crainte existe d’être “mangé” par le grand parti. “Ça dépendra des résultats et des programmes. Si on est accepté au sein de la Constituante, on verra ce que l’on pourra faire. Ça ne suffit pas d’être islamiste”, souligne cheikh Abdallah. Pour lui, il n’y a jamais eu de divergence idéologique avec le mouvement. “Une grande majorité parmi les jeunes et la base pensent comme moi et sont prêts à me rejoindre si je créé un parti”, affirme-t-il. Mais, il a su ménager ses relations avec le parti, refusant d’intégrer à sa liste d’autres nahdistes désireux de le suivre. “Cela a été vu d’un bon oeil par Ennahda”, se targue-t-il de ce choix stratégique. “Je crois qu’il y aura, après les élections, une partie du mouvement qui dira :‘soit on l’intègre soit on scinde le mouvement en deux’.“
Certains voient en lui le candidat idéal d’Ennahda pour la présidentielle. En avril, Rached Ghannouchi, qui a déjà annoncé son retrait prochain de la direction du parti, affirmait lors d’un meeting commun : “Cheikh Abdelfattah est mon unique candidat”. “C’était par sympathie personnelle. Il voulait me ramener au mouvement”, balaie-t-il d’une phrase, quoique flatté. Mais, la présidentielle, il y pense encore à 63 ans. “C’est possible, il faut avoir un bon scrutin et de bonnes alliances.”
VOTER POURQUOI ? ET VOTER POUR QUI ?
LA REVOLUTION EN TUNISIE : PREMIER BILAN, PREMIERES LECONS
Aziz Krichen
Les élections du 23 octobre prochain vont-elles jeter les bases d’un régime républicain authentique ou déboucher sur une vulgaire mascarade ? Aller voter garde-t-il un sens ? Si oui, sur quelles listes porter ses suffrages ? Ces questions dérangeantes, la grande majorité de nos compatriotes se les pose. Elles sont le signe indiscutable que la “transition tunisienne vers la démocratie” se porte mal, sinon très mal.
Pour savoir comment nous en sommes arrivés là, il faut regarder en arrière, c’est-à-dire remonter au déclenchement du mouvement insurrectionnel en décembre 2010 et à la “fuite” de Ben Ali le 14 janvier 2011. Nous le savons désormais avec suffisamment de précisions : durant ces semaines de feu et de sang, deux séquences se sont déployées, et non pas une seule. Des séquences de nature différente et opposées entre elles. Nous avons assisté à un soulèvement du corps social, puis à un coup d’Etat interne au système.
Le soulèvement avait un caractère révolutionnaire évident. Il visait non pas le simple renversement de Ben Ali, mais celui du régime dans son ensemble (Ech-chaab yourid iskaat el-nidham !). C’est d’ailleurs pour éviter une telle issue, la chute du régime, que le coup d’Etat a été fomenté. Ses auteurs ? Le haut commandement de l’armée et certaines directions des forces de police, notamment la division antiterroriste, les uns et les autres agissant en coordination avec les services de sécurité US – tandis que les services français, toujours en retard d’un train, s’accrochaient obstinément à Ben Ali.
Ce ne sont donc pas nos “amis américains”, ni le général Rachid Ammar, qui ont favorisé ou encouragé le soulèvement – comme le soutient une théorie du complot imbécile, mais qui a la vie dure. C’est très exactement le contraire qui s’est produit. L’armée et la division antiterroriste ne sont intervenues que pour sauver les meubles. Pour barrer la route à une révolution menaçante, dévier sa trajectoire, briser son élan et enfin la dévoyer et la récupérer.
Comment ? En concédant un changement de pure forme, le remplacement de Ben Ali par un fantoche, et en confiant à un gouvernement intérimaire – dirigé par Mohamed Ghannouchi, Premier ministre sous Ben Ali, et composé pour l’essentiel de ministres issus du RCD -, la tâche d’organiser des élections présidentielles anticipées. Cela, bien entendu, dans “le respect de la constitution en vigueur” et pour “assurer la continuité des institutions de l’Etat” ! En termes explicites, l’opération revenait à sacrifier un tyran devenu trop encombrant, tout en gardant le contrôle effectif du pouvoir et en retirant l’initiative des mains inexpertes des insurgés.
Jusqu’au 14 janvier, le mouvement populaire avait été largement spontané et inorganisé. Il souffrait, en particulier, de l’absence de toute forme de coordination nationale : quand il existait, son principal encadrement provenait des structures locales ou régionales de l’UGTT. A partir de l’élimination de Ben Ali et l’installation du gouvernement provisoire, cet état de fait devenait dangereux. La spontanéité ne suffisait plus. Il fallait passer à un stade supérieur d’organisation et de savoir-faire. L’action de masse devait pouvoir s’appuyer dorénavant sur des formations politiques et sociales disposant d’une vision globale commune concernant la marche à suivre pour atteindre l’objectif de renversement du régime. Un but en faveur duquel des centaines de citoyens avaient fait le sacrifice suprême, en offrant leurs poitrines nues aux balles des forces de répression.
Surgie en Tunisie, la tempête révolutionnaire avait commencé à se propager dans les autres pays arabes, singulièrement en Egypte et en Lybie, nos voisins immédiats. Les peuples étaient maintenant entraînés sur une courbe ascendante. L’indépendance et la liberté paraissaient de nouveau accessibles. L’ambition collective semblait s’imposer d’elle-même. Mais l’efficacité exigeait, à tout le moins, la collaboration des partis et des groupes qui s’étaient réellement battus contre le régime Ben Ali. Or ces derniers – les démocrates, les progressistes, les islamistes, les marxistes, les nationalistes arabes, etc. -, qui avaient pourtant esquissé un début de rapprochement en 2006 à travers l‘Initiative du 18 Octobre, n’ont jamais été capables, après le 14 janvier, de se hisser à la hauteur de l’enjeu. On pouvait penser que la révolution les tirerait vers le haut ; ils la tirèrent vers le bas.
L’inconséquence et la lâcheté se manifestèrent très tôt, lorsque le PDP, Ettajdid et Ettakatol, ainsi que l’UGTT et des “personnalités indépendantes”, acceptèrent avec empressement de participer au premier gouvernement provisoire de Mohamed Ghannouchi. Je répète quelle était la mission confiée à ce dernier : organiser dans un délai de deux mois des présidentielles anticipées, sans toucher à la constitution de 1959. Le régime en tant que tel n’était pas remis en cause : il s’agissait uniquement de donner les pleins pouvoirs à un autre que Ben Ali, en légitimant l’inévitable dictature à venir par des élections “sincères et transparentes” organisées par le ministère de l’Intérieur qui est, chacun le sait, orfèvre en la matière.
C’était plus que de la précipitation opportuniste, plus qu’une erreur de calcul : on était en face d’une véritable forfaiture, une véritable trahison du mouvement populaire. Néanmoins, dans les semaines qui suivirent l’exfiltration de Ben Ali, le peuple et la jeunesse restaient encore suffisamment mobilisés pour ne pas se laisser tromper par des manipulations aussi grossières.Kasbah I vint à bout du premier gouvernement Ghannouchi en moins de deux semaines (15-27 janvier 2011). Kasbah II peina un peu plus longtemps, mais se solda par le départ définitif de Ghannouchi et le renversement de son deuxième gouvernement (27 janvier-27 février 2011).
Béji Caïd-Essebsi fut alors “retiré de sa boite d’archives” et chargé de former un troisième gouvernement provisoire. Au début, il n’eut pas d’autre choix que de céder aux revendications de la rue : dissolution du RCD et de la police politique ; dissolution des deux chambres du parlement ; suspension de la constitution liberticide de 1959 ; convocation d’élections pour une assemblée nationale constituante… En théorie, les principaux obstacles qui s’opposaient au changement de régime étaient levés.
Mais après avoir annoncé ces concessions majeures – ce qui donna à beaucoup de Tunisiens et à la plupart des observateurs extérieurs l’impression que le pays se dirigeait sérieusement à présent vers sa mutation démocratique -, le nouveau Premier ministre s’employa systématiquement à vider les mesures adoptées de tout effet réel. Simultanément, il manœuvra sans relâche pour reconquérir chaque centimètre de terrain perdu. Et force est de reconnaître que l’opposition, loin de lui résister ou lui compliquer la tâche, la lui facilita au contraire, par sa pusillanimité et son manque de jugement. Je n’en donnerai ici que deux illustrations, toutefois particulièrement significatives.
1 – Début mars, lorsque Caïd-Essebsi remplace Ghannouchi, la scène politique est marquée par une sorte de dualité de pouvoir. D’un côté, il y a l’équipe gouvernementale, un mélange de “techniciens” et de seconds couteaux de l’ancien régime. Ce gouvernement, qui ne possède plus la moindre assise constitutionnelle, se définit comme une instance politiquement neutre – premier mensonge – et se prétend qualifié pour expédier les affaires courantes jusqu’aux prochaines élections – deuxième mensonge.
En face, nous trouvons le CDR (Comité pour la défense de la révolution), une structure créée à la mi-février, qui regroupe la plupart des partis d’opposition ainsi que l’UGTT et les principales organisations de la société civile : avocats, magistrats, journalistes, Ligue des droits de l’homme, etc. Le Comité se présente comme le porte-parole du pays réel et réclame un droit de regard sur l’activité du gouvernement de transition.
Sur le strict plan du rapport des forces, les partis d’opposition ne pesaient pas lourd. Sous Bourguiba d’abord, sous Ben Ali ensuite, la répression les avaient littéralement décimés. La révolution avait été déclenchée sans eux, sans qu’ils y participent de manière notable, à quelques exceptions près. Dans ces conditions, ils pouvaient difficilement se faire passer pour une représentation légitime de la population. Sur le plan symbolique, en revanche, leur rassemblement au sein du CDR, l’indépendance de leurs prises de positions, tout cela avait un caractère stratégique essentiel, qu’il fallait sauvegarder coûte que coûte. La création du CDR témoignait d’une défiance justifiée à l’égard du gouvernement provisoire ; c’était le signe qu’une alternative prenait forme, qu’une relève potentielle existait, qui pouvait se confirmer dans la durée.
J’ai parlé de dualité de pouvoir. Début mars, elle n’existait qu’à l’état virtuel. Si l’opposition parvenait à préserver son autonomie politique, la dualité deviendrait effective et la menace pour le régime substantielle. Pour Caïd-Essebsi, le danger devait être circonscrit sans plus attendre. Il refuse de reconnaître le CDR, au nom précisément de la prééminence du gouvernement “légal”. En contrepartie, il se dit disposé à travailler avec tous les partis et à les considérer comme des partenaires privilégiés, dans la mesure où ils intègrent la “Haute Instance” – une véritable usine à gaz, sorte de commission d’experts chargée de préparer les textes et les procédures devant encadrer le “changement démocratique”, dont le principe avait été annoncé par Ben Ali le 13 janvier 2011, quelques heures avant son élimination.
Après des jours de discussions aussi enflammées que dérisoires, les uns après les autres, l’ensemble des partis d’opposition rentre dans les rangs. Exit le CDR, vive la Haute Instance… pour la réalisation des objectifs de la révolution ! Sauf qu’au passage, l’opposition se retrouvait pratiquement paralysée. Elle était quantitativement minoritaire, étant donné le nombre d'”indépendants” que le gouvernement avait désigné pour soi-disant parachever la représentativité de l’organisme mis en place. Et elle était dépourvue de toute capacité d’initiative, puisqu’elle évoluait désormais dans un cadre purement consultatif, dont l’agenda et le staff dirigeant étaient imposés directement par le pouvoir.
L’existence politique indépendante des partis n’avait duré que quelques semaines. Ils n’étaient plus là pour indiquer un cap, offrir une alternative, mais pour servir de caution à un régime à la dérive, pour l’aider finalement à récupérer ses forces, en se satisfaisant de menus changements de façade. La démarcation basique qu’opère toute révolution pour espérer vaincre, celle entre les amis et les ennemis – cette distinction ne pouvait plus être faite dès lors que l’opposition s’était ralliée au gouvernement en rejoignant la Grande Instance. En perdant ses ennemis, le peuple tunisien perdait du même coup ses amis. En constatant leur connivence objective, contre qui aurait-il pu porter ses coups ?
2 – La deuxième illustration à pour cadre cette même Haute Institution, mais un mois plus tard, lors du débat sur le mode de scrutin à appliquer pour l’élection de l’assemblée constituante. D’emblée, l’affaire est présentée comme essentiellement technique. Deux scénarios sont retenus : le scrutin uninominal ou le scrutin par liste. Des dizaines d’experts sont invités à donner leur point de vue sur les avantages et les inconvénients de chaque formule. Rapidement, une large majorité se dégage en faveur du scrutin par liste. Une résolution est rédigée sur cette base et adopté à la quasi unanimité. Le gouvernement l’entérine. De fait, consciemment ou inconsciemment, tout le monde s’était arrangé pour passer sous silence la signification politique réelle de chaque type de scrutin.
Sur le plan empirique, la distinction entre les deux modèles est simple à saisir. Dans le cas du scrutin par liste, l’opération de vote se déroule à l’échelle d’une région relativement vaste – le gouvernorat entier -, englobant une population de plusieurs centaines de milliers d’habitants. On ne vote pas pour élire son député, mais tous les députés de la région considérée. A l’inverse, dans le cas du scrutin uninominal, la circonscription est réduite – elle correspond au territoire de la délégation – et ne compte que quelques dizaines de milliers d’habitants. On vote pour élire un seul député, son député, celui qui vous représentera directement à la constituante.
Il ne faut pas sortir de Sciences Po pour deviner que le scrutin par liste convient davantage aux partis organisés, alors que le scrutin uninominal favorise lui plutôt les candidatures individuelles disposant d’un minimum d’ancrage et de rayonnement local. Dans les pays occidentaux, où les phénomènes de corruption et de clientélisme ne sont pas rares, le modèle uninominal a généralement mauvaise presse. Il accorde une sorte de rente de situation aux notables provinciaux, dont certains finissent par établir de véritables dynasties électives héréditaires. C’est d’ailleurs beaucoup à partir de ce genre de parallèles que la Haute Instance a justifié son choix massif en faveur du scrutin de liste.
Sauf que comparer la situation politique de la Tunisie avec celle des démocraties occidentales n’a proprement aucun sens. Les données du problème sont radicalement différentes. Après le demi-siècle de dictature que nous venons de traverser, nous sommes très loin de disposer d’un système de partis digne de ce nom. Surtout après le 14 janvier, lorsque leur nombre a explosé pour ajouter de la confusion à la confusion (on compte aujourd’hui plus de 100 partis enregistrés). Par contre, le pays a été labouré de long en large par plusieurs mois de soulèvement populaire. Durant cette période d’effervescence, par centaines, des femmes et des hommes se sont révélés, qui ont joué un rôle moteur en entraînant leurs compatriotes dans le combat. Beaucoup parmi eux ont acquis de l’expérience et une véritable autorité en animant les conseils révolutionnaires locaux. Ces leaders naturels, issus des rangs mêmes de l’insurrection, sont connus et respectés. On les rencontre dans tous les milieux sociaux, y compris les plus modestes, et dans toutes les régions, y compris celles habituellement oubliées. Le scrutin uninominal n’est sans doute pas la panacée, mais c’est celui qui était le plus à leur portée, celui qui aurait eu le plus de chances de les concerner, de les attirer, de susciter des candidatures parmi eux – des candidatures crédibles et légitimes, parce que provenant des profondeurs du pays réel.
Au total, dans cet épisode du mode de scrutin, on avait à choisir entre laisser la population sélectionner par elle-même et au plus près ses élus ou les désigner par des états-majors de partis installés dans la capitale ; on avait à choisir entre un renouvellement substantiel de la représentation nationale ou son simple élargissement par cooptation ; on avait à choisir entre construire un nouveau système politique en partant par le bas ou rafistoler l’ancien par le haut. Pour conclure : on avait à choisir entre maintenir vivant le lien entre la révolution et les élections ou couper ce lien. Le gouvernement, la Haute Instance et, avec eux, l’écrasante majorité des partis, ont tranché. Et ils ont tranché en faveur de leurs seuls intérêts d’appareils.
Comment expliquer pareil comportement de l’opposition tunisienne ? Je crois que l’on commettrait une grave erreur en analysant le phénomène uniquement à partir de considérations morales ou psychologiques (manque de jugement, trahison, opportunisme, etc.). Le mal est plus profond et ancien. Il tient à l’espèce de fossé sociologique et culturel qui sépare cette opposition – et plus généralement les élites du pays – des masses populaires. Ce fossé a été mis en lumière au cours même des mois de décembre et de janvier, lorsque tout le monde a pu constater que le soulèvement était largement spontané et inorganisé. On se souvient de ces reportages cocasses réalisés par les télévisions européennes à ce moment. Les journalistes semblaient perdus : ils cherchaient des “barbus islamistes” à la tête des manifestations et, à leur grand désarroi, n’en trouvaient pas. Ils auraient pu tout autant chercher les champions actuels du “modernisme” et de la “laïcité” : ils ne les auraient pas rencontrés non plus.
La confrontation a débuté comme un bras de fer entre le peuple et le régime, et ce n’est que lorsque Ben Ali a été “dégagé”, lorsque le chemin a été déblayé, que l’opposition a pu entrer en scène. Le jeu, qui était limité à deux acteurs, est devenu un jeu à trois. Stratégiquement, deux combinaisons étaient possibles, et seulement deux : soit l’alliance du peuple et de l’opposition contre le pouvoir ; soit l’alliance du pouvoir et de l’opposition au détriment du peuple.
Enoncé en ces termes, le constat peut paraître exagéré, voire outrancier. Mais considérons le déroulement des événements : c’est exactement ce qui s’est produit. Sous les deux premiers gouvernements provisoires (Ghannouchi I et Ghannouchi II), une partie de l’opposition a rejoint le régime, tandis que l’autre a continué à le combattre, en reprenant à son compte les revendications populaires. Depuis le troisième gouvernement intérimaire (Caïd-Essebsi), après la dissolution du CDR et l’adhésion à la Grande Instance, le ralliement n’a pas été partiel, mais général. L’ensemble de l’opposition s’est mis à jouer selon les règles définies par le régime.
Cette soumission aux conditions posées par le pouvoir a eu de lourdes conséquences négatives, non seulement pour la mobilisation populaire, mais aussi pour l’évolution des pratiques partisanes. Après avoir intégré la Haute Instance (mars) et adopté le mode de scrutin par liste (avril), les partis ne se sont plus préoccupés que de leur participation aux élections et du nombre de sièges qu’ils pouvaient en retirer. Obnubilés désormais par cet unique enjeu, ils se sont comportés comme si la campagne portait sur des législatives normales et non pas sur une échéance exceptionnelle, l’élection d’une assemblée constituante. Ils ont oublié que celle-ci avait pour objet central de définir un contrat social, commun à tous les Tunisiens et les liant pour plusieurs générations. Bref, ils ont perdu de vue que leur mission essentielle était une mission d’unité politique, de cohésion sociale et de reconnaissance mutuelle. Au lieu de quoi, ils sont littéralement partis en guerre les uns contre les autres. Ils se sont acharnés à se démarquer, à se distinguer, à se différencier, à se séparer, à se dénigrer les uns des autres, chacun ciblant une clientèle électorale particulière, chacun défendant sa petite boutique, chacun cherchant à l’agrandir, par tous les moyens, y compris les moins honorables.
Au sein de la Haute Instance, les partis d’opposition n’ont donc pas aplani leurs divergences, ils ont au contraire aggravé leurs divisions, donnant ainsi au régime la possibilité d’utiliser l’opposition contre elle-même, une technique qu’il maîtrise depuis toujours. Même l’épouvantail du danger salafiste, que Ben Ali a instrumenté pendant 20 ans et que l’on croyait disparu avec sa chute, a refait surface et repris du service. Et l’on a vu se durcir comme jamais auparavant le clivage autodestructeur entre “islamistes” et “laïques”. Lorsque la tension retombait quelque peu, une quelconque provocation policière remettait le feu aux poudres et le manège repartait pour un tour. On en a eu un nombre incalculable d’exemples.
L’exacerbation des rivalités au sein de l’opposition n’a pas servi que le pouvoir, elle a aussi grandement facilité le travail de noyautage et de verrouillage des agents d’influence étrangers. Pour garantir leurs chances de réussite lors des prochaines élections, plusieurs partis se sont sentis tenus de montrer patte blanche aux “parrains” habituels de la Tunisie, notamment la France et les Etats-Unis. Jamais les contacts n’ont été aussi fréquents que ces derniers mois. Ce qui n’a pas été sans infléchir sérieusement les choix d’orientation de nombreux partis, spécialement en matière d’économie, de sécurité et de politique internationale. Alors qu’il fallait se battre pour rétablir la souveraineté du pays après l’élimination de Ben Ali, des dirigeants d’opposition n’ont pas hésité à l’aliéner davantage, dans le but d’en tirer profit pour leurs propres couleurs.
Une dérive du même genre a été observée sur le plan financier. L’argent est le nerf de la guerre. Comme ils étaient partis en guerre contre leurs concurrents, de nombreux partis, sans moyens au départ, se sont lancés dans des campagnes débridées de collecte de fonds, sans trop se soucier de leur provenance. Le total des sommes ainsi injectés dans le circuit politique est hallucinant, il s’élève à plusieurs milliards de DT. L’origine ? Les monarchies pétrolières et l’Europe pour l’extérieur, des affairistes compromis avec le clan Ben Ali pour l’intérieur – sans doute une manière d’effacer l’ardoise. Plusieurs scandales ont éclaté à ce propos, qui ont surtout éclaboussé le PDP et Ennahdha. La corruption était la marque de fabrique du RCD. Le RCD a été dissous, mais il a fait des émules.
Obnubilés par leurs querelles intestines, obsédés par les efforts que chacun devait déployer pour remplir les caisses et recruter des troupes, les partis n’avaient plus beaucoup de temps à consacrer à contrer le gouvernement. Celui-ci en a naturellement profité pour reprendre progressivement le contrôle de la situation. La récupération s’est faite par paliers, mais de manière continue et, il faut le reconnaître, sans rencontrer trop de résistances. Entre mars et juin 2011, les principaux lieux de pouvoir – les ministères de l’Intérieur et de la Justice, les médias de masse, l’UGTT, les banques, le patronat, etc. – étaient débarrassés de leurs velléités d’autonomie ou de transparence et fermement mises au pas. Pendant que les partis croyaient qu’ils cogéraient la transition de la dictature à la démocratie, Caïd-Essebsi et son équipe ont travaillé sans répit à ramener les choses à l’état où elles se trouvaient avant le 14 janvier.
Parallèlement, la mobilisation populaire s’est essoufflée, avant de retomber, comme une construction dont les fondations se dérobent. Evidemment, l’agitation sociale n’a pas été stoppée – comment aurait-elle pu l’être, d’ailleurs, avec l’explosion du chômage et la flambée des prix des biens de première nécessité ? -, mais elle est restée éparpillée, ponctuelle, et n’a plus jamais revêtu une dimension nationale. Avec la démobilisation est venue la démoralisation, qui s’est traduite par une espèce de rejet, de dégoût universel à l’égard des partis et de la politique. Le retrait de la population s’est manifesté de manière frappante en juillet et en août, lors de l’ouverture des inscriptions sur les nouvelles listes d’électeurs. Il a fallu ajouter plusieurs semaines aux délais légaux pour approcher péniblement les 50% du corps électoral. Concernant spécifiquement la tranche des 18-20 ans, celle qui a été le fer de lance de la révolution, le taux d’inscription ne dépassait pas les 20% !
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C’est dans ce contexte général que les Tunisiens sont appelés, ce dimanche 23 octobre, à élire leurs représentants à l’assemblée constituante. L’analyse dressée ici n’est pas optimiste ; elle n’est pas non plus pessimiste ; elle est simplement objective. Ben Ali a été chassé du pouvoir, mais son régime, un moment ébranlé, est toujours debout, malgré plus de neuf mois de “transition démocratique”. Très vraisemblablement, le changement effectif ne sera pas non plus réalisé avec les élections de dimanche prochain. La Tunisie est – et restera – un pays surendetté et dépendant. Elle est – et restera – insérée de manière organique dans le système de domination occidental. Elle ne s’est pas écartée – et ne s’écartera pas – des choix économiques désastreux qui lui sont imposés depuis des décennies. Immanquablement, ces choix continueront à creuser des inégalités insupportables entre les groupes sociaux et les régions. Ils continueront de marginaliser la jeunesse, en particulier les jeunes diplômés. Ils augmenteront toujours plus le rôle destructeur de l’affairisme et de la corruption.
Oui, je le crains, sur tous ces sujets, rien d’important ne changera après le 23 octobre. Que faire alors par rapport aux élections ? S’en détourner ? S’en laver les mains ? Désespérer de son pays et de ses compatriotes ? L’engagement politique exige la lucidité. Mais la lucidité n’est pas synonyme d’abandon ni de démission. Dans un processus révolutionnaire, la victoire ou l’échec sont des notions relatives. Parce que la révolution est un processus, c’est-à-dire une transformation graduelle inscrite dans la durée. Les succès ou les revers doivent être rapportés à une chaîne de moments successifs, bornée aux deux extrémités par un point de départ et un point d’arrivée. Une même chose peut être considérée comme une défaite, si on la mesure à son éloignement par rapport au but vers lequel on tend ; ou comme une victoire, si l’on estime qu’elle a modifié favorablement les données initiales d’un combat qui n’en est qu’à ses premières phases.
J’ai dit que le régime n’avait pas été transformé au niveau de ses structures fondamentales. C’est indéniable. Mais ce n’est qu’un aspect de la question. L’autre aspect, c’est que le soulèvement populaire l’a forcé à changer son mode de fonctionnement. C’est considérable. Depuis janvier dernier, nous avons arraché des espaces de liberté décisifs – libertés d’expression, d’organisation, de manifestation, de représentation – sur lesquels il sera extrêmement difficile de revenir. Parce que le peuple a payé ces avancées de son sang et qu’il ne s’agit plus pour lui, dans ces affaires, de simples droits abstraits, inscrits dans une constitution pour faire joli et que personne ne respecte. Le 14 Janvier 2011 n’a rien à voir avec le 7 Novembre 1987, ni même avec le 20 Mars 1956. Et ses conséquences, à moyen et long terme, seront incomparables.
Une autre perspective doit être rappelée, dont le poids va être déterminant à l’avenir. La révolution déclenchée chez nous n’a pas concerné la seule Tunisie ; elle s’est tout de suite propagée parmi l’ensemble des peuples arabes. Les soulèvements de masses qui ont “dégagé” Ben Ali ont aussi “dégagé” Moubarak, puis Gueddafi. Ils vont bientôt “dégager” Saleh et peut-être ensuite Assad. Dans d’autres pays – Iraq, Jordanie, Bahreïn, Arabie saoudite, Oman, Maroc -, malgré la répression, l’agitation reste présente, à l’affût, attendant l’occasion propice pour lancer de nouveaux assauts. Les résultats concrets déjà obtenus ne sont peut-être pas à la hauteur des espérances. Mais les Arabes partaient avec un gros handicap. Ils ont été étouffés par un demi-siècle de tyrannies et d’agressions extérieures. Ils commencent aujourd’hui à secouer le joug ; demain, ils le briseront.
Cela signifie que nous entrons dans une nouvelle époque, à l’échelle de la région et sans doute aussi à l’échelle mondiale. Dans les 10-15 ans qui viennent, les évolutions en cours ne vont pas se ralentir, mais s’accélérer. La vieille exhortation romantique lancée par Guevara depuis la Bolivie ( “Créer deux ou trois Vietnam !”) est en train de se réaliser. Non par des groupes armés, mais par des peuples pacifiques. Non en Amérique latine, mais dans le monde arabe, à cheval entre l’Afrique et l’Asie. Les forces de l’Empire sont confrontées à plusieurs zones de résistance populaire de façon simultanée. Rapidement, elles ne sauront plus où donner de la tête, d’autant que le système économique et financier qui les soutient n’en finit pas de s’écrouler depuis 2008. Le combat en Tunisie n’est pas isolé. Il est porté par un vaste déploiement de l’histoire, qui redistribue les cartes et multiplie les opportunités.
Mais revenons à des préoccupations plus immédiates. Si l’on essaie d’identifier la principale difficulté rencontrée par la révolution tunisienne depuis décembre 2010, on dira qu’elle se situe dans une forme de contradiction, de décalage, entre ce que l’on pourrait appeler son moteur objectif (le peuple, qui voulait renverser le régime) et ce que l’on pourrait appeler son moteur subjectif (l’élite intellectuelle et politique, les partis d’opposition, qui n’ont pas voulu ou pas su se mettre au service de cette demande de révolution). Etant donné les particularités de la pyramide démographique, on pourrait ajouter que le décalage entre l’objectif et le subjectif est aussi un décalage entre les générations. La révolution a surtout été voulu par les jeunes ; elle a été dévoyée surtout par les plus âgés.
Cette situation n’a rien d’exceptionnel. C’est même une règle constante en sociologie. Certes, les élites aiment toujours se faire passer pour le secteur le plus éclairé de la population, et donc comme son avant-garde naturelle. En vérité, elles n’en sont que l’expression moyenne, la sophistication verbale en plus. En outre, elles font le plus souvent partie des milieux économiquement privilégiés – des privilèges qui se consolident avec l’âge, avec l’avancement dans la carrière et les promotions. En général, et contrairement à l’image qu’elles veulent donner d’elles, les élites sont foncièrement conservatrices : quand bien même elles le critiqueraient sur tel ou tel aspect, elles sont viscéralement attachées au maintien de l’ordre existant.
La situation ne change à ce niveau que lorsque le corps social commence à être remué par des secousses qui annoncent l’arrivée de la tourmente révolutionnaire. Il peut alors s’opérer une sorte de scission, de polarisation des élites. A ce moment-là, selon des rythmes et des procédures variés, on peut assister à la naissance d’élites intellectuelles et politiques capables de se vouer au peuple et à la révolution. En Tunisie, pour les militants du vrai changement, pour les vrais combattants de l’indépendance et de la liberté, c’est le travail qui les attend. C’est la tâche stratégique de l’étape qui commence : avec la jeunesse qui s’est levée en décembre et janvier, aider à la cristallisation d’une nouvelle culture et d’une nouvelle élite nationale. Cela, dans tous les domaines de la vie collective – la politique et la pensée, l’art et la littérature, la vie associative et l’action syndicale -, en dépassant les clivages idéologiques de convenance, en particulier celui opposant les “modernistes” aux “islamistes”, parce que leurs présupposés respectifs sont superficiels et unilatéraux et que leurs disputes ne servent qu’à diviser la population et à la retourner contre elle-même.
Pour l’heure, le problème le plus urgent est celui des élections. J’ai porté un jugement sévère à l’égard des partis qui vont solliciter nos suffrages. Le jugement est fondé dans la mesure où il est global. Si l’on passe au cas par cas, le tableau est beaucoup plus complexe. Par bien des aspects, les partis sont responsables de la crise actuelle, mais ils ne sont pas tous coupables, et quand ils le sont, ils ne le sont pas dans les mêmes proportions. (Je ne parle que des partis dont l’existence est antérieure au 14 janvier. A 90%, les autres, les nouvelles formations, on peut imaginer qu’elles vont disparaître après le scrutin, aussi bizarrement qu’elles sont apparues.) Quand on regarde les choses de près, on constate d’ailleurs que la situation d’aucun parti n’est définitivement fixée. Si les directions sont restées généralement entre les mêmes mains, les effectifs ont énormément bougé. Il y a eu une sorte de turn-over incessant à peu près partout, des arrivées massives et des départs conséquents. Dans certains cas, le ratio ancien adhérent/nouvel adhérent a dépassé les 100. Les organisations sont donc plongées depuis janvier dans un véritable maelstrom, qui modifie tout, aussi bien leur base sociale que leur orientation politique. Le travail de décomposition-recomposition auquel j’ai fait allusion est à l’œuvre dans toutes les structures et il faudra certainement attendre plusieurs mois encore pour que les choses commencent à se décanter.
Il faut pourtant se déterminer et choisir, à l’intérieur de cet environnement passablement mouvant et incertain. Des centaines de listes sont en compétition, surtout des listes partisanes, mais aussi beaucoup de listes indépendantes. Dans le tas, il y a un grand nombre de candidats intègres et dévoués. Voter pour eux en conscience – et barrer la route aux partis qui se contenteront d’un simple ravalement de façade de l’ancien système – est un devoir civique élémentaire. Même si l’on est convaincu d’avance que l’opération électorale ne sera pas aussi “sincère et transparente” qu’on nous l’annonce.
A titre personnel, j’ai décidé de voter en faveur des listes du Congrès pour la république. (Cette dernière année, je n’ai pas toujours été d’accord avec les prises de position politiques du CPR. Mais le mieux est l’ennemi du bien. Dans les circonstances actuelles, les divergences secondaires ne doivent pas entrer en ligne de compte.) Les raisons d’un tel choix sont nombreuses. Je les énumère par souci de clarté.
–En douze ans d’existence, le CPR n’a jamais pactisé avec le régime Ben Ali, contrairement à la plupart des autres formations de l’opposition ;
–Il ne s’est pas compromis non plus avec les gouvernements Ghannouchi I et II ;
–Il n’a pas été impliqué dans des affaires de financement occulte ;
–Sa ligne générale est cohérente : démocratie, souveraineté, refus du néolibéralisme, fédéralisme arabe, sécularisme, reconnaissance de l’islam comme facteur culturel constitutif de notre identité nationale.
L’ancrage idéologique du CPR me convient et je crois qu’il est conforme aux grandes aspirations du pays. Il me laisse espérer que ce parti pourrait devenir, demain, avec d’autres, l’un des points d’appui à partir desquels il serait possible de mieux préparer les prochaines batailles. Le 14 Janvier a ouvert une porte et laissé entrevoir l’avenir. Le vrai combat commence maintenant.
Aziz Krichen
Première Parti politique pour les binationaux