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Taoufik Ben Brik
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Marie-George Buffet affirme sa solidarité avec le journaliste tunisien Taoufik Ben Brik
Tunisie: Ben Ali tance ses ministres sur l’obligation de communiquer
Ben Ali appelle au « respect de l’opinion contraire et de la critique constructive »
Tunisie: obsèques de Hédi Annabi, chef de la mission de l’ONU à Haïti
Hédi Annabi, ou l’idéal onusien
Immigration – Des “boat people” en Corse
De notre correspondant en Corse, Romain Rice, le jeudi 21 janvier 2010 à 04:00 C’est une première : 124 « boat people » ont été découverts vendredi matin sur une plage de Corse-du-Sud. Selon l’un d’eux, le groupe serait parti de Tunisie en bateau. Les visages sont creusés, mais ils paraissent en bonne santé. En revanche, leurs yeux, embués de larmes et de sourires mêlés, qui pourra les oublier ? L’odyssée de 124 boat people disant venir du Proche-Orient ou du Maghreb vient à peine de se terminer. Après qu’ils ont été découverts vendredi matin non loin de Bonifacio (Corse-du-Sud), les réfugiés ont été rassemblés dans un gymnase où services de secours, associations et médecins ont été mobilisés. En tout, 57 hommes, 29 femmes et 38 enfants. « On a pu les réchauffer, leur fournir des rations alimentaires et leur donner à boire », explique Jean-Jacques Casalot du Centre opérationnel départemental d’incendie et de secours (Codis). Dans ce bâtiment moderne, des tables ont été dressées avec nourriture, jouets, vêtements et autres cigarettes. Les réfugiés ont reçu des mains du personnel de la mairie et du Secours catholique des couvertures et des vêtements, mais aussi des berceaux en attendant que des lits soient acheminés de la base aérienne de Solenzara. Par la suite, le gymnase a été fermé pour que les « naufragés », assis sur les gradins, puissent être entendus par les représentants des pouvoirs publics, assistés d’une interprète. Leurs premiers pas en France, le dernier geste d’une certaine vie et le premier d’une autre, dont ils ne savent rien mais qu’ils ont tant désirée. Traces de campement Certains, dans un anglais approximatif, ont dit être kurdes de Syrie, d’autres ont déclaré venir de Tunisie ou du Proche-Orient. Le préfet de Corse-du-Sud, Stéphane Bouillon a tenu sur place à préciser qu’« il n’y a pas d’embarcation sur cette plage, donc on suppose que c’est un bateau passeur qui les amenés ». Le groupe a été découvert au petit matin sur la plage de Paragnano, au sein d’une réserve naturelle située entre Bonifacio et Pianottoli-Caldarello, à l’extrême sud de la Corse, non loin de la Sardaigne. Quelques-unes de ces personnes avaient auparavant été repérées par des gendarmes sur le bord d’une route. Des traces de campement avaient été découvertes sur la plage : restes de nourriture, feu de camp, sacs en plastique. Selon la préfecture, l’isolement des lieux peut expliquer que le groupe, s’il est bien arrivé avant jeudi, n’ait été découvert que vendredi. Le maire de Bonifacio, Jean-Charles Orsucci s’est cependant montré « sceptique ». « Certains disent être là depuis mercredi, mais je n’en suis pas convaincu », a-t-il expliqué relevant que les agents du parc marin ont l’habitude de sillonner la zone : « Un groupe aussi important ne serait pas passé inaperçu. » Bateau suspect De son côté, Eric Besson, le ministre de l’Immigration, a indiqué vendredi qu’un bateau susceptible d’avoir débarqué les 124 réfugiés était identifié et devrait être rapidement contrôlé par les douanes italiennes. Le ministre a par ailleurs révélé qu’une information judiciaire avait été ouverte par le parquet d’Ajaccio pour « entrée et séjour d’étrangers en situation irrégulière en bande organisée ». Interrogé sur leur devenir, M. Besson a indiqué que la situation serait examinée « au cas par cas », refusant de parler d’une éventuelle reconduite aux frontières. « La priorité est de vérifier qu’il n’y a pas d’autres personnes en péril », a affirmé le ministre avant d’indiquer que des moyens aériens et nautiques avaient été mobilisés pour les recherches : deux avions Falcon 50, quatre hélicoptères et deux vedettes. Un patrouilleur aviso équipé d’un radar a aussi appareillé de Toulon pour se joindre au dispositif. Patrouilles maritimes Après avoir exclu le risque que la Corse devienne une destination des candidats à l’immigration comme l’île italienne de Lampedusa, M. Besson a annoncé qu’il allait proposer à la présidence espagnole de l’Union européenne (UE) d’organiser un sommet de crise sur l’immigration clandestine. Cette rencontre réunirait l’ensemble des ministres chargés de l’Immigration des pays méditerranéens membres de l’UE, ainsi que ceux du Royaume-Uni et de l’Allemagne. A cette occasion, le ministre français de l’Immigration proposera, a-t-il dit, la généralisation des patrouilles maritimes conjointes et le déploiement immédiat de renforts opérationnels européens sous l’égide de l’agence européenne de surveillance des frontières (Frontex).
Courtesy Manuel Délano, El País 27.12.09, Madrid. Traduit de l’espagnol par Abdelatif Ben Salem.
Un magistrat chilien mène actuellement l’enquête pour prouver que l’ancien président du Chili Eduardo Frei Montalva, principale figure de l’opposition à l’ex- dictateur Augusto Pinochet en 1982, a été assassiné par injection de trois doses de moutarde d’acide sulfurique mélangées à un médicament prohibé. Un assassinat que la police politique de Pinochet a voulu faire passer pour une mort naturelle.
« Sortez-moi immédiatement d’ici ! », avait griffonné avec des lettres tremblantes et presque illisibles sur un bout de papier conservé par son petit-fils, l’ex-président du Chili (1964 à 1970) Eduardo Frei Montalva, alors qu’il était hospitalisé à la clinique Santa María, l’une des plus célèbres du Chili. Il était conscient des menaces qui pesaient sur lui, il pressentait nettement comment les services de sécurité resserraient lentement l’étau autour de sa personne. En novembre 1981 il subit une intervention pour hernie et c’est à la suite de complications qu’il a dû être hospitalisé à nouveau dans cette clinique au mois de décembre d’où, suite à un « choc sceptique », il ne sortira plus vivant. C’est là-bas qu’il fut opéré, il mourut en janvier 1982, quelques jours seulement après avoir tracé ses quelques lignes.
Presque vingt-huit ans après la disparition de Frei, le juge Alejandro Madrid est arrivé à la conclusion qui a fait trembler le pays et que des nombreux Chiliens soupçonnaient mais ne pouvaient admettre : il qualifia la mort d’Eduardo Frei d’homicide volontaire. Dans ses conclusions, le juge a révélé que l’ancien président, figure principale de l’opposition à l’ancien dictateur Augusto Pinochet en 1982, fut maintenu sous haute surveillance par les services de sécurité, avant d’être empoisonné par l’injection intraveineuse d’au moins trois doses de moutarde d’acide sulfurique et de thallium métallique, ainsi que par l’administration d’un médicament prohibé appelé « Transfer Factor » destiné a affaiblir les défenses immunitaires. Peu après son décès, on procéda à la destruction des preuves pour tenter de maquiller le crime et le faire passer pour une mort naturelle.
Six années d’investigations exclusivement consacrées à cette affaire ont été nécessaires pour permettre à ce magistrat de tirer ses conclusions et d’acquérir la solide conviction à propos du caractère criminel de la mort de Frei. Il s’agit probablement de l’enquête la plus complète jamais réalisée à propos d’une affaire de violation de droits de l’homme. Elle donna lieu à la constitution d’un dossier de 9.000 pages d’accusations, réparti en vingt-sept tomes de procédures, en plus de deux cahiers gardés secrets, retraçant les détails des milliers de requêtes, d’interrogatoires, d’examens complémentaires et d’expertises menées jusqu’au bout.
In fine, le juge Madrid a instruit le procès des six co-inculpés impliqués dans l’assassinat de Frei – trois en tant qu’auteurs, un seul en tant que complice et deux en tant que coupables de dissimulation du crime – quatre ont fait appel. Mais alors que le tribunal cherchait la parade pour rejeter le recours introduit par l’avocat d’un des accusés pour le tirer d’affaire, une erreur judiciaire contraint ce juge d’abandonner la partie et céder la place à un nouveau magistrat nommé par le parquet. La bataille judiciaire s’annonçait difficile et menaçait de renvoyer sine die l’exécution des peines prononcées, toutefois l’avocat de la partie civile Álvaro Varela insista sur la confirmation par la Cour, de la matérialité des faits, en l’espèce l’ « homicide », et recommanda de redoubler d’efforts pour identifier les coupables et déterminer leur degré d’implication dans ce crime.
Maitre Varela distingue trois étapes dans la planification et l’exécution du meurtre. La première a consisté dans le placement de la victime sous haute surveillance et à collecter les renseignements sur sa vie ; la seconde dans l’empoisonnement, et la troisième dans l’occultation des preuves physiques permettant de révéler ce qui s’est réellement arrivé à l’ancien président. Tout au long des six procès, le juge Madrid n’eut de cesse de concentrer toute son attention sur la première et sur la troisième étape. Il menait parallèlement de front d’autres enquêtes sur des affaires similaires.
Pinochet a déclaré un jour « qu’au Chili pas une feuille ne frémisse sans que je le sache ». Le dictateur recevait quotidiennement des rapports circonstanciés sur les faits et sur les gestes de Frei, un des fondateurs de la Démocratie chrétienne (DC). Les services de sécurité du régime sont parvenus à « retourner » le chauffeur personnel de Frei, Luis Becerra, et en faire un indicateur contre un appointement mensuel. Ils l’ont implanté au cœur même de l’entourage intime du l’ex-président. Installation de systèmes d’écoute, interception des communications téléphoniques et filatures policières jusque dans ces déplacements à l’étranger, étaient le lot quotidien de l’ancien président. « Becerra, soulignait Maître Varela, déambulait chez les Frei comme s’il était un membre de la famille ».
Patricio Silva, le praticien ayant supervisé la seconde intervention chirurgicale, était l’ex-sous-secrétaire à la santé dans le gouvernement Frei. C’est ce militaire – mis à la retraite en 1985 avec le grade de colonel – qui à remis à son commandant en chef un rapport détaillé sur cette intervention : « Quand nous remplissons des missions extra-institutionnelles, comme, par exemple, opérer un ancien Président de la république, nous autres militaires, sommes tenus de rédiger des comptes rendus à nos supérieurs hiérarchiques de la Centrale des Renseignements (…) Mon canal habituel est le palais de la Présidence», assurait Silva au cours d’un entretien. Auditionné par le magistrat comme auteur du crime, même si la Cour d’Appel a donné plus tard une suite favorable à son recours de contestation juridictionnelle (en vertu de la procédure dite d’Amparo ou protection de personne, proche de l’habeas corpus, institution destinée à mettre en cause la constitutionnalité d’une sentence, impliquant dans ce cas précis le respect des droits de l’homme (N.d.T), Silva semble avoir été mêlé à d’autres assassinats d’opposants politiques, en lien avec ses activités à l’Hôpital militaire.
Frei était un caillou dans les bottes de la junte militaire chilienne. L’ancien Président a pris en effet la tête de la première manifestation de masse contre Pinochet qui appela à voter « NON » à la constitution, approuvée par référendum illégal le 11 septembre 1980, sur fond de destruction des registres électoraux et de suspension des garanties démocratiques. Cette constitution est toujours en vigueur aujourd’hui malgré l’introduction de plusieurs reformes. Par son acte d’opposition au plébiscite validant ce texte contraire à la volonté populaire et par ses critiques mordantes contre les violations des droits de l’homme, Frei s’est rapproché graduellement des positions défendues à l’époque par une gauche chilienne en plein mouvement de rénovation. Le clivage politique entre la démocratie chrétienne, principal parti d’opposition au gouvernement socialiste de Salvador Allende, renversé par la junte militaire en 1973, et la gauche se réduisait significativement. Le président Frei tentait également de jeter les ponts à la constitution d’un rassemblement avec le monde syndical. Il se présentait aussi comme l’allié des américains.
Frei était le leader rêvé que l’opposition recherchait pour conduire la transition du pays vers la démocratie. Mais pour la junte militaire au pouvoir, la question était de savoir comment abattre cet opposant devenu aussi influent. Au cours des audiences, le juge Madrid, a soutenu la thèse de l’empoisonnement comme étant la plus cohérente, puisqu’elle permet de « donner une version médicale fiable et vraisemblable au décès (de Frei) ». L’attentat à la voiture piégée, comme celle qui a coûté la vie à l’ancien chef d’état-major de l’armée chilienne, le général Carlos Prats, et celle contre l’ancien ministre Orlando Letellier, ou l’assassinat par balle qui a grièvement blessé l’ancien vice-président Bernardo Leighton « ont provoqué une telle commotion au Chili et dans le monde, qu’il devenait pratiquement impossible de monter à nouveau des telles opérations contre la personne de l’ancien mandataire », soulignait le juge.
Un ex-agent de la Direction des Renseignements Nationaux (DINA), la police politique de la junte militaire, le citoyen nord-américain Michael Townley, a déclaré à la barre, raconte Varela, qu’au sein des services des renseignements militaires, on est arrivé à la conclusion qu’il faudrait employer d’autres moyens si on veut éviter au gouvernement d’avoir à faire face aux ennuis des complications internationales. Cet ex-agent vit actuellement aux Etats-Unis, sous le régime de protection des témoins, après avoir confessé l’assassinat de Letellier et de son assistant, ordonné par la DINA à Washington en 1976.
L’occasion s’est présentée au régime de Pinochet, le jour où Eduardo Frei, qui ne bénéficiait à l’époque d’aucune escorte ou protection policière, a pris la décision de se faire opérer à la clinique Santa María de Santiago. Peu de temps avant son admission, la clinique procéda au recrutement d’un groupe de médecins militaires à la retraite. Parmi ces praticiens, trois au moins sont des agents des services de renseignement de la junte. C’est l’un d’eux, Juan Carlos Valdivia, qui s’introduisit dans la chambre de Frei, sans laisser de trace de son passage sur la fiche du patient, le jour où l’ex-président Frei a perdu du sang à cause d’une erreur dans la pose d’une sonde nasogastrique. Inculpé par le juge, il s’est avéré que Valdivia avait déjà exercé ses talents d’empoisonneur dans une autre clinique contrôlée par les services de répression de la dictature, où fut exécuté par injection de gaz sarin le brigadier Manuel Leyton, ex-agent de La DINA.
Immédiatement après la mort de l’ancien Président, on attaqua la troisième phase du plan : le maquillage du crime. D’après le magistrat, moins d’une heure après le décès de Frei, deux médecins, Helmar Rosenberg et Sergio González, flanqués par des agents de sécurité, débarquèrent d’une autre clinique et procédèrent, sans la permission de la famille, à l’autopsie du cadavre. Les résultats furent gardés secrets pendant vingt ans. L’opération fut illégale de bout en bout, elle fut pratiqué sur le cadavre de Frei sur son lit de mort et non dans un endroit prévu spécialement pour ce type d’acte relevant de la médecine légale : le corps d’Eduardo Frei fut accroché pour l’éviscérer totalement et les organes n’ont pas été conservés.
Les soupçons portant sur l’intervention d’une personne extérieure à la clinique, sont restés latents dans l’esprit de certains membres de la famille Frei et de quelques autres personnes. Mais il n’y a jamais eu de preuves jusqu’au jour où le juge Madrid ordonna l’exhumation des restes de Frei dont l’examen a révélé la présence des traces de moutarde d’acide sulfurique et de thallium métallique.
Dans cette affaire, plusieurs pistes menaient directement au chimiste de la DINA, Eugenio Berríos, exfiltré à l’étranger par Pinochet au retour de la démocratie, mais kidnappé et supprimé plus tard en 1995 par les renseignements chiliens en Uruguay avec la complicité des services secrets de ce pays : il en savait trop. Berríos qui émigra de la droite ultra à l’appareil répressif de la junte dictatoriale, a mené des recherches en toxicologie sur les substances chimiques, les poisons, et les matières à haute toxicité au sein de la DINA. Il monta son premier laboratoire de recherche clandestin au domicile de Townley sis dans le quartier chic de Lo Curro, là-même où fut assassiné le haut fonctionnaire espagnol de l’Onu, Carmelo Soria. Après avoir essayé le gaz Sarin, Berríos est passé à l’expérimentation d’autres toxines dont il testa l’effet sur les détenus d’une prison.
L’un des détenus rescapés des tests pratiqués par Berríos, Ricardo Aguilera, âgé de 28 ans à l’époque, raconte qu’après les nausées, les vomissements, les diarrhées, surviennent un grand affaiblissement et des troubles de la vision : il voyait double ou ne pouvait distinguer que des ombres. Ces sept compagnons de cellule eurent les mêmes symptômes. C’était au mois de décembre 1981, autrement dit, un mois avant la mort d’Eduardo Frei. Aguilera et deux autres détenus politiques partageaient la cellule avec quatre prisonniers de droit commun dans un quartier de haute sécurité à la prison de Santiago. Ils venaient d’être transférés d’une caserne de police où ils étaient torturés pendant une dizaine de jours, et comme il l’a su plus tard, c’est-à-dire après que la justice ait ordonné l’ouverture de l’enquête, il fut victime d’une nouvelle technique de suppression physique d’opposants mise en œuvre par la dictature, qui voulait lancer en direction de ceux qui lui résistaient une mise en garde sans équivoque : même en prison vous ne serez plus en sécurité !
Aguilera attribuait son empoisonnement à un plat de nouilles à la sauce amené de l’extérieur de la prison dans lequel on injecta une dose toxine. « J’ai perdu totalement le contrôle de mes muscles, mais pas la connaissance. C’était comme une immense fatigue. Je ne pouvais plus bouger. S’ils me mettaient au lit dans une position, je gardais la même position sans pouvoir bouger d’un millimètre. Mais j’étais malgré cela conscient de tous ce qui se passait autour de moi ». J’ai même entendu un médecin dire à voix basse « Celui-là ne passera pas la nuit ! ». « J’étais comme un mort vivant » poursuivit Aguilera, technicien en installation de Gaz.
Tandis que Víctor Corvalán, l’un des détenus de droit commun, mourait asphyxié au milieu d’horribles convulsions, les autres détenus empoisonnés furent transférés à l’hôpital de la Gendarmerie. Là-bas les médecins ont dit que si c’était du « pajaro verde/oiseau vert » (alcool obtenu par distillation des fruits d’un arbre appelé Faux-vernis du Japon), nous aurions été dans un état de grande excitation et non avachis come nous l’étions. Un médecin de la Croix Rouge Internationale évoqua la piste de botulisme, se rappelle Aguilera. Ils commencèrent à ce moment à avoir de la fièvre, et nécessitant une assistance respiratoire, ils furent transportés d’urgence à la Posta Central où Héctor Pacheco, un détenu commun, succomba à une crise due à une insuffisance cardiaque.
L’antidote de la toxine secrétée par le bacille botulique fut amené de l’extérieur, six détenus ont eu la vie sauve. Comme le juge Madrid l’a pu vérifier par la suite au cours de son enquête, la toxine fut introduite au pays sous la forme d’une bactérie nommée clostridium botulinum, par colis létal expédié par valise diplomatique depuis le Brésil, à l’adresse de l’Institut National de Bactériologie, que le directeur, Joaquín Larraín a remis en main propre au colonel Eduardo Arriagada directeur du Laboratoire de Guerre Bactériologique rattaché à la Direction des Renseignements des Armées (DINE) et dont l’existence est protégée par le secret défense.
Interrogé par le juge Madrid pendant plus de trois heures, Aguilera fit part de sa profonde conviction que la toxine qui l’a empoisonnée fut introduite dans la nourriture qu’il a partagée avec les prisonniers de droit commun. « Il s’agit du crime parfait car susceptible de demeurer dans l’impunité totale. Il est très difficile d’enquêter dessus encore moins d’en fournir des preuves ». Le dossier médical indique qu’il s’agissait d’un décès dû à une insuffisance respiratoire.
L’armée chilienne a mené des expériences sur les substances toxiques dans le but d’« éliminer tous ceux qui présentaient à l’époque une menace réelle contre la junte au pouvoir » assure Varela. Il rappelle « qu’en l’espace probablement d’une minute, on envisagea l’emploi de tels moyens comme armes dans l’éventualité d’une attaque extérieure ou de défense ou en cas de déflagration mondiale ». Car dans leurs scénarii belliqueux, les Renseignements militaires chiliens estimaient comme probable l’hypothèse d’un conflit armé contre l’Argentine, qui a d’ailleurs bel et bien failli éclater en 1978. Mais comme il n’y a rien eu « on détourna l’usage des armes chimiques contre les opposants », prétendait Varela, l’avocat qui se spécialisa dans les affaires liées aux droits de l’homme dés l’instauration de la dictature.
Il est évident que celui qui apparaît comme le principal instigateur intellectuel de ces crimes est Augusto Pinochet, disparu il ya trois ans. Un faisceau de preuves concorde en effet pour le confondre. Cependant les arrêts d’accusations ne s’appuient que sur des simples présomptions. Mais la famille Frei garde malgré tout l’espoir qu’un jour les investigations leur donneront raison. Varela attribue la lenteur de l’enquête au fait que, comme dans des nombreuses autres affaires d’assassinats non élucidés commis par la dictature de Pinochet, les coupables présumés demeurent indéfectiblement liés par un pacte de silence.
« Pour nous l’une des plus grandes difficultés a été l’absence de toute collaboration des protagonistes avec l’accusation », ajoute Varela. « L’exception à la règle fut la révélation que nous avons recueillis sous le serment du secret professionnel dans le sens qu’une autopsie avait été pratiquée » celle, en l’espèce, sur le cadavre du l’ex-président E. Frei). Sans cette confidence, nous n’aurions probablement jamais appris quoi que ce soit à ce jour sur l’activité exercée par les médecins poursuivis par la justice », a conclu l’avocat qui représente les intérêts de la famille.
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NOTE DE LECTURE SUR LE LIVRE D’ENTRETIENS DE Moncef MARZOUKI AVEC Vincent GEISSER
DICTATEURS EN SURSIS
Une voie démocratique pour le monde arabe
Préface de Noël Mamère (« Dictatures, mode d’emploi »)
Introduction de V. GEISSER (« La dictature mise à nu »)
Les éditions de l’Atelier, Paris, 2009, 191 pages (format moyen)
Houcine BARDI
Parmi les trois livres parus en 2009 sur la Tunisie, « Dictateurs en sursis » est, sans doute, celui qui a suscité le moins d’intérêt chez le public et les commentateurs. Pourtant, sans être un « Pourparlers » (Gilles Deleuze, Les Editions de Minuit, 1990), ce livre de presque 200 pages offre, à la différence des deux autres (« La régente de Carthage » et « Le jour où j’ai réalisé que la Tunisie n’est plus un pays démocratique »), et sans commune mesure avec eux, un point de vue analytique et un argumentaire politique qui ne manque ni d’originalité ni d’intérêt. C’est une contribution réflexive utile à la compréhension des rouages de domination et de répression en Tunisie. On y trouve clairement exposées et discutées, d’un certain point de vue critique, les grandes problématiques politiques de la Tunisie d’aujourd’hui : la nature du régime politique ; les oppositions ; l’islamisme ; la société civile ; les droits de l’homme et leurs défenseurs ; la socio-économie de la répression…
Ayant comme interlocuteur un grand connaisseur de l’échiquier politique tunisien (V. GEISSER) qui a su poser les questions qu’il fallait, l’auteur (s’exprimant dans un style tranchant au verbe acéré, teinté, par moments, d’amusements et de drôleries) a pu déployer, avec rigueur son argumentaire concernant quasiment tous les aspects de la société tunisienne : politique, sociologique, économique, historique, anthropologique, voire même psychologique.
Le livre est subdivisé en 7 chapitres enrichis de 4 annexes, et d’une bibliographie sélective venant s’ajouter aux références regroupées en notes de fin de chapitres.
Chapitre 1 : Vivre sous la dictature : surveiller, réprimer, humilier
Chapitre 2 : Le développement perverti : l’économie contre la société
Chapitre 3 : L’islamisme : l’alibi de la dictature
Chapitre 4 : Droits de l’homme business : la dérive marchande des ONG
Chapitre 5 : De l’opposition magique à la résistance civique
Chapitre 6 : La dictature arabe : une fatalité ou une fin programmée ?
Chapitre 7 : Les Arabes, l’Europe et le Monde : le complexe du pompier pyromane
Le livre traite essentiellement de la Tunisie en évoquant de temps à autre quelques exemples comparatifs puisés dans diverses expériences arabes. D’où notre première critique. En effet, le contenu (de l’ouvrage) n’a pas tenu la promesse annoncée dans le titre, en ce sens où les autres expériences arabes ne sont évoquées sommairement qu’à titre comparatif/subsidiaire avec le cas Tunisien. Le souci d’élargissement de l’analyse à l’ensemble du monde arabe est, certes, louable, mais il est, néanmoins, resté en deçà de l’attente que suscitent —chez le lecteur— le titre et son sous-titre…
« Dictateurs en sursis » pourrait être considéré comme un condensé des positions politiques du Dr MARZOUKI et de son parti (le Congrès Pour la République, parti d’opposition non reconnu) concernant les grandes questions relatives au changement démocratique en Tunisie.
D’emblée nous mettrons à l’actif de l’auteur cette qualité singulière par laquelle il se distingue nettement, parmi les autres leaders de l’opposition, à savoir la production intellectuelle foisonnante. En effet, outre ses écrits journalistiques qui paraissent régulièrement dans la presse notamment arabe et dans son Blog, Si MONCEF est sans conteste —avec Rached GHANNOUCHI peut être— le seul leader politique tunisien (arabe aussi sans doute) à « produire » des livres consacrés aux grandes problématiques relatives au « vrai changement démocratiques »…
1) LA DICTATURE : RESISTANCE OU ACCOUTUMANCE ?
La nature dictatoriale du régime est clairement posée dès les premières pages du livre. Le quadrillage policier de l’ensemble de la société est décrit dans ses moindres détails : « il faut non seulement avoir peur de la police, mais il faut aussi montrer les signes visibles de sa crainte permanente de l’ordre sécuritaire » (P. 31) ; la surveillance (trop rapprochée pour les activistes « afin de les faire craquer »),la répression et l’humiliation constituent le lot quotidien de « toute la population tunisienne » et pas seulement des opposants ou/et défenseurs des droits humains. La torture physique tout autant que psychologique, est une caractéristique fondamentale de l’ordre répressif qui prévaut en Tunisie. L’éducation par la peur des plus jeunes et l’exercice d’une « pornographie d’État » à l’encontre des résistants civils, tout autant que le bannissement des opposants du monde du travail (l’auteur s’attarde sur son expérience personnelle), sont décrits avec force détails et non sans ironie cinglante… Et le médecin MARZOUKI d’employer cette belle formule qui résume son diagnostic général de la Tunisie d’aujourd’hui « la dictature est une maison close posée sur des piliers vermoulus plantés dans la fange» (P. 35)
Outre l’analyse du mode de fonctionnement du système dictatorial tunisien (fondé sur la peur et la terreur quotidiennes), l’auteur réfute la prédisposition (à la manière de la « Servitude volontaire » de La Boétie »), que certains prêtent au peuple tunisien, de s’accoutumer avec la dictature. Le « Homo arabicus dictator » est une ineptie (le terme est récurrent chez M. MARZOUKI qui l’utilise pour vilipender les raccourcis réducteurs et « cavaliers »…) battue en brèche par une longue histoire de résistance face à tous les despotismes qui se sont succédés dans le monde arabe… L’auteur met toute son énergie à combattre cette thèse qui « relève de simplifications outrancières ». Il donne l’exemple de la « résistance passive des familles » face à « l’occupant intérieur », qui devrait, via la généralisation de la « résistance civile » préparer l’avènement de « la seconde indépendance »…
Il nous paraît, cependant, que le Dr MARZOUKI exagère l’importance de cette forme de « résistance » des familles, dans la mesure où celles-ci cherchent plutôt à s’accommoder avec l’ordre qui lui est imposé, beaucoup plus qu’elles ne manifestent (ne serait-ce que passivement) son rejet. En dehors de l’exemple, unique et exceptionnel en son genre, des familles du Bassin Minier qui, soit dit en passant, n’a été, hélas, que superficiellement abordé par l’auteur à la page 123, on ne voit vraiment pas de « résistance » des familles face à la dictature. L’héritage culturel (arabo-musulman) de soumission quasiment aveugle à l’autorité est certes évoquée, mais pour en minimiser l’importance… Et s’il est vrai que « les tyrans arabes n’ont jamais vécu en paix » (p. 28), il n’en demeure pas moins vrai qu’ils n’ont été que rarement sérieusement inquiétés ! Établir un parallélisme (antagonique) entre les forces tyranniques et les forces de résistance tout le long de l’histoire arabe est démentis par cette même Histoire. La longévité des régimes despotiques modernes (de première comme « de deuxième génération ») milite plutôt en faveur de l’exceptionnalité du phénomène de résistance en comparaison avec « le principe » de la soumission… D’où l’importance, pour nous, d’inclure dans les futurs programmes d’enseignement, et d’inscrire en caractères ineffaçables aux frontons de nos écoles, le droit de résistance à l’oppression…
Le Dr MARZOUKI est incontestablement l’homme politique tunisien (doublé du penseur arabe) qui a le plus loin poussé la critique radicale des régimes dictatoriaux arabes. Pour lui, la phase actuelle (qui dure depuis l’avènement de la décolonisation) est rien moins qu’une « occupation interne » face à laquelle on doit opposer une « résistance civile », laquelle débouchera, une fois généralisée, sur « la seconde indépendance ».
La notion d’« irréformabilité » des dictatures (dans le même sens où le colonialisme était irréformable) constitue la base sur laquelle l’auteur assoit sa conviction. Force est de reconnaître qu’il s’agit-là d’une logique implacable qui découle à la fois de l’expérience personnelle de l’ancien Président « désabusé » de la LTDH, et de l’observation objective du « malheur arabe » toujours persistant (Samir KASSIR : Considérations sur le malheur arabe, Paris, Actes Sud, 2004). Et de même que la résistance armée a eu raison de l’occupant étranger, la « résistance civile » creusera la tombe de « l’occupant interne » qu’est la dictature.
La thèse est apparemment « alléchante » d’un point de vue logique « pur » (théorique). Mais, poussée jusqu’au bout, elle ne peut, cependant que conduire vers une impasse. Elle ne peut que déboucher sur une aporie de l’action ! Car une fois le constat fait (dictatures irréformables) de quoi disposons-nous,ici et maintenant, en tant que démocrates pour accomplir le passage à la « seconde indépendance » ? La situation du « Congrès Pour la République » (CPR), totalement marginalisé, dépourvu de base sociale, bref « inopérant » sur la scène politique tunisienne… ne résume-t-elle pas la « voie sans issue » à laquelle conduit un pareil « extrémisme rationaliste » ?
Prôner la rupture radicale avec tout ce qui se rapporte à l’Etat (qui a TOUT absorbé, rappelons-le !), en l’absence de rapports de force favorables au changement, revient à se couper de la réalité tout court. Laquelle est, certes, d’une médiocrité affligeante, désolante et désespérante, mais c’est tout de même La seule Réalité vraie avec laquelle il nous faut « composer » et contre laquelle nous devons agir… avec « les moyens du bord », en attendant l’invention de nouveaux procédés plus efficaces et mieux adaptés…
Si MONCEF semble d’ailleurs en convenir, car à la question qui lui fut posée par son interlocuteur : « Que faire ? », comme dirait l’autre, sa réponse s’est limitée (du point de vue de l’AGIR militant) à évoquer la « pétition » adressée directement aux policiers pour les inciter à la désobéissance « civile » (… restée sans effets) ; « nous avons choisi de rompre le tabou et d’inciter la police à résister à la dictature. Il faut intensifier l’utilisation des nouvelles technologies, sur lesquels les régimes auront difficilement prise : l’Internet, le téléphone portable, les chaînes satellitaires, etc. Nous devons absolument recourir à ses moyens d’information pour pousser les gens à s’organiser davantage et à créer des solidarités horizontales, à coordonner leurs protestations, à faire face aux farces électorales par des grèves et des manifestations dans tout le pays… » (p. 130-131)
Sans minimiser l’importance des « formes de résistance » (en particulier virtuelles) évoquées ci-haut (lesquelles existent et ne cessent de prendre de l’ampleur), il convient d’en souligner l’insuffisance (combien de foyer tunisien, en fait, dispose d’un ordinateur et d’un accès à Internet ? !), et l’absence de « contradiction » d’avec les méthodes dites classiques : réunions « publiques », coordinations inter-associatives, concertations et convergences inter-partis, conférences de presse, publication des journaux d’opposition, recensement et dénonciations des atteintes systématiques aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales, etc. Là où il y a complémentarité, l’auteur semble n’y voir que « dépassement »…
Ceci nous conduit à évoquer la thèse de l’auteur concernant « l’opposition magique »
2) LES OPPOSITIONS TUNISIENNES
Fidèle à son radicalisme, le Dr MARZOUKI renvoie dos à dos l’opposition islamiste et l’opposition démocratique « légaliste », qu’il qualifie de « magique » « car elle repose sur une forme d’illusion permanente » ; « ils (les partis de l’opposition magique) se mentent à eux-mêmes. Ils croient encore en l’existence de marges de liberté au sein du système (…) En définitive, ils refusent de voir cette réalité en face, se contentant d’exister dans de minuscules espaces concédés par les régimes. » (p. 124)
C’est là un jugement, le moins que l’on puisse dire, excessivement sévère à l’endroit des partis concernés. Mais ce n’est en réalité que l’aboutissement « conséquent » d’une logique rationaliste presque décontextualisée qui, à notre avis, se soucie beaucoup plus de demeurer « obsessionnellement » fidèle à une certaine démarche discursive, que de coller au plus près à la réalité et aux possibilités concrètes de son changement. On a pu définir la politique comme étant l’art du compromis. Celui-ci pouvant, entre autres, consister à résoudre l’antagonisme qui existerait entre, d’une part, les exigences de la rigueur et de la cohérence théorique, et, d’autre part, les nécessités de l’action politique. Il est vrai que les partis politiques dont il est question [et qui ne sont pas au nombre de deux (note n° 8 du chapitre 5), mais trois : le FDTL en ferait partie] n’ont pas réussi à trouver la meilleure adéquation entre ces deux exigences. Il n’en demeure pas moins qu’ils ont tout de même su —malgré les infinies restrictions arbitraires et le harcèlement incessant— sauvegarder une opposition certainequi se maintient via la publication des seuls journaux réellement indépendants, la dénonciation systématique de l’autoritarisme, la coordination, ne serait-ce qu’occasionnelle, de leur action oppositionnelle… Bref, ils continuent tant bien que mal à fairela mouche du coche… et, sauf à être nihiliste, ce n’est ni inutile ni inintéressant dans un climat de totale fermeture (hermétique) des espaces publics…
Notre propos n’est pas tant de défendre le bilan des Partis d’opposition (qu’on a nous même critiqué ailleurs), que de souligner la légitimité de leur « désir de survie politique » ! Car là où nous voyons « guerre d’existence », le Dr MARZOUKI voit « impuissance », impertinence, voire même inutilité. Ne dit-il pas à leur sujet que : « … s’ils ne peuvent être confondus avec les « collabos » du régime, à l’instar des opposants choyés par le Palais, ils n’en contribuent pas moins à la pérennité de la dictature et risquent d’être emportés par elle. » (p. 125)
Le franc-parler du Dr MARZOUKI, frôle ici la provocation outrageuse. Cette posture de donneur de leçons (tout le monde —dans le livre— en prend pour son grade : Partis, Pouvoir, Associations, Défenseurs des droits de l’homme, etc.) est omniprésente chez l’auteur. D’aucuns la mettrait, à tort ou à raison, sur le compte de « l’égocentrisme » exacerbé du Président du CPR. Nous y voyons, quant à nous, la manifestation d’une intransigeance (laquelle ne va pas sans un certain degré d’intolérance !) fondée sur une « personnification » (à ne pas confondre avec « personnalisation ») des enjeux de pouvoir. Expliquons-nous. Si MONCEF vit, à proprement parler, dans sa chair l’humiliation qu’inflige la dictature au peuple tunisien. Quelque part il dit que « le sentiment d’indignité est le sentiment le mieux partagé aujourd’hui dans le monde arabe… » (p. 43). La domination tyrannique (avec son lot d’offenses, de tortures et de déchéances…) est vécue sur un plan carrément PHYSIQUE. Aucune médiation ne vient s’interposer entre l’acte oppressif (symbolique fut-il) et la victime qui le subit (abolition également de la distinction entre victime directe et victime indirecte…). Aucun biais ne sépare la lutte engagée entre l’oppresseur et l’opprimé dans ce combat engagé « corps à corps ». Il s’agit presque d’une attitude « christique ». Le « fils de l’homme » incarnant la souffrance et la mortification de tout un peuple. La conséquence de tout cela en est que l’urgence devient le maitre-mot de l’action comme de la réflexion. Celui qui s’inscrit au-dedans d’elle (l’urgence) serait juste, « viable » et efficace, et celui qui se situe au dehors, s’exclut et atteste par là même de son inutilité, voire même de sa participation à la « pérennisation » de la dictature. La métaphore de l’ambulance n’est qu’un des éléments renvoyant à cette situation « urgentissime » : « Alors me direz-vous, on tire sur des ambulances. Oui, peut être. Mais il faut continuer et mieux ajuster le tir pour en finir avec leur calvaire (les dictateurs, NDL) et le notre… » (p. 141). De même «… les islamistes tunisiens sont d’une prudence et d’un flou politique qui m’indignent profondément. Après tous les dégâts que Ben Ali a causés à notre pays, j’ai du mal à saisir leur discours attentiste et misérabiliste… » (p. 87) ; il n’en est pas autrement du titre même du livre : le « sursis » évoque la fragilité extrême de la situation de celui qui en bénéficie, et la possibilité à n’importe quel moment de purger sa peine « au comptant »…
Il s’agit, en somme, d’une approche manichéenne de la politique qui ne s’encombre nullement des « aléas guerriers » (la politique étant la simple poursuite de la guerre avec d’autres moyens. V-.C. Clausewitz) : haut/bas, avancer/reculer, alliance/désalliance, victoires/défaites, « guerre » de positions [Journalistes, Magistrats, Avocats, Ligueurs], etc. Les « choses » sont, pour l’auteur, d’une clarté limpide : à l’évidence du « fait dictatorial » le pondant doit être l’urgence de « la résistance civile » ; l’urgence découle de l’évidence, et tous ceux qui « tergiversent » en poursuivant leur action « pénarde » « hors-urgence » (comme si de rien n’était) n’auraient rien compris à la donne…
Le Dr MARZOUKI dénonce, par ailleurs, ce qu’il appelle « le syndrome du plaquage » (Théories exogènes = gauches ; théories obsolètes = islamistes) (p. 69) dont seraient atteints les intellectuels arabes. Nous ne pouvions résister à la tentation de faire usage à son égard du même « syndrome ». Sauf que pour l’auteur de « Dictateurs en sursis » ledit « plaquage » concernerait la transposition mécanique de sa « conscience de l’urgence » sur l’ensemble de l’opposition et à travers elle tout le peuple tunisien (arabe). Une conscience de l’urgence (Raison pure) déconnectée des conditions de possibilité de son propre devenir (Raison pratique) !
3) LE PARADIGME DE LA « RUPTURE » : Les ONG de défense des droits de l’Homme en exemple.
La rupture est peut être le mot qui se répète le plus dans le discours politique du Dr MARZOUKI. La rupture avec l’ordre dictatorial, il va sans dire, mais aussi la rupture avec « l’opposition magique », avec « l’attentisme islamiste », avec le « syndrome du plaquage », avec le « business droit-hommien », etc. Bref, le mot d’ordre général prôné par l’auteur n’est autre que LA STRATEGIE DE RUPTURE. Le renvoi au livre de J. Vergès « De la stratégie judiciaire » (paru pour la première fois en 1968), dans lequel il développe le concept de « défense de rupture », par opposition à la « défense de complaisance », est d’ailleurs fait dès le premier chapitre (note n° 33).
Cependant, comme toutes les « trouvailles » langagières qui ont bénéficié d’un écho favorable plus ou moins durable, la « défense de rupture » a connu un emploi inflationniste (et une extension abusive) qui a souvent trahi le sens premier établit par l’éminent avocat parisien.
La défense de rupture n’est nullement celle qui « refuse purement et simplement de plaider » (p. 45), mais celle qui déplace le terrain du procès vers un référentiel politique, juridique, moral, etc. autre que celui à partir duquel les juges (le pouvoir en place / l’ordre établit) se positionnent pour juger.
Ceci étant précisé, qu’en est-il au juste de la stratégie de rupture préconisée par le Dr MARZOUKI ?
C’est une véritable révolution [qui ne dit pas son nom ; quoique dans un article récent publié sur le site Al Jazzera / Al Mâ’rifa, l’auteur s’interroge (dans une forme positive) si, dans le contexte actuel, il resterait une option autre que la révolution aux arabes …] à laquelle nous invite implicitement l’auteur : les avocats doivent arrêter « purement et simplement de plaider » ; les partis « légalistes » doivent changer radicalement de méthodes et abandonner leur posture « magique » (ce qui ne va pas sans nous rappeler A. Comte…) ; les ONG doivent « inscrire leur action dans une perspective de rupture » et se démettre de leur « hypocrisie dédaigneuse de la politique » ; les policiers doivent entrer en désobéissance, les juges, les jeunes, les familles, etc. Au final c’est l’ensemble du peuple tunisien qui est « invité » à changer de posture…
Qu’elle s’appelle « désobéissance » (Thoreau) ou « résistance » civile, insurrection ou révolte, la Révolution, en tant que renversement violent de l’ordre établit, nécessite (on le sait) la réunion de conditions objectives (contexte général favorisant le changement radical) et subjectives (organisation efficace des forces du changement conscientes de leur tache historique) qui font, de toute évidence, défaut dans la Tunisie actuelle (monde arabe…). La « déconnexion » d’avec l’ici et le maintenantapparaît, à ce niveau, dans toute sa flagrance.
Nous avons précédemment discuté les critiques émises par le Dr MARZOUKI au sujet « des oppositions » tunisiennes, nous n’y reviendrons donc pas. On examinera, cependant, l’argumentaire que développe l’auteur à propos des ONG, et plus particulièrement de la LTDH.
Un certain dépit mélangé a du ressentiment domine pratiquement tout le chapitre 4 consacré à ce que les auteurs appellent « Droits de l’homme business : la dérive marchande des ONG ». Le sujet, tout le monde en convient, est d’une délicatesse telle que l’on ne peut l’aborder sans encourir le risque de tomber dans certains travers, dont la généralisation trop hâtive est peut être le plus prévisible. Néanmoins, en tant que défenseur des droits de l’homme, je ne saurais qu’être gré à Si MONCEF d’avoir transgressé ce faux tabou que certains se refusent à briser sous prétexte du discrédit qui menacerait un pan entier d’associations censées être « à but non lucratif » !
Aussi, nous ne pouvons, a priori, que globalement partager le souci de dénonciation de la dérive « mercantile » scandaleuse que connaissent certaines ONG de défense des droits de l’Homme :
« Cependant, je suis de plus en plus dubitatif sur la façon dont nombre de militants instrumentalisent cette problématique (celle des droits de l’homme, NDLR) en la présentant comme une pratique « propre » par opposition à la pratique « sale » que serait la politique. Or, j’ai découvert que les O.N.G. du monde arabe étaient loin d’être l’univers idyllique que l’on présente souvent : c’est aussi le règne des coups bas, des intrigues, des manipulations, etc. Tout cela a contribué à désacraliser la vision angélique que je pouvais avoir des organisations des droits de l’homme. Ces pratiques, qui n’étaient pas plus nobles que celle que l’on trouvait dans les organisations partisanes, m’ont ouvert les yeux sur les réalités du fonctionnement de ces O.N.G. De plus, j’ai découvert que certains dirigeants associatifs étaient devenus de véritables professionnels droits de l’Homme. Ils en vivaient sur le plan matériel et financier. Personnellement, j’ai toujours refusé cette orientation est mis un point d’honneur à être indépendant financièrement de toute activité associative ou politique. Il existe incontestablement une bureaucratisation des droits de l’Homme en Afrique et dans le monde arabe qui contribue à décrédibiliser cette cause. J’ai vécu plusieurs expériences malheureuses en ce domaine dans le cadre du réseau que j’avais contribué à créer, le Réseau africain des droits de l’enfant, on tenait des conférences sur le travail des mineurs et les enfants de la rue qui coûtaient jusqu’à 20 000 $ et qui se déroulaient dans des hôtels confortables de Nairobi ou d’Addis-Abeba alors que des enfants faméliques et estropiés mendiaient dans les rues. Cette contradiction m’était devenu tellement insupportable que j’ai fini par me retirer définitivement du réseau que j’avais pourtant créé. Les droits de l’Homme sont malheureusement devenus pour certains un véritable marché. Par exemple, lorsque je me suis déplacé au Sénégal à l’invitation de la Ligue des droits de l’Homme locale, j’apparaissais comme un plouc face à mes hôtes si bien habillés et roulant dans des voitures que je ne conduirai jamais. Oui, je suis devenu un dissident de ma propre église. »
Nous nous permettrons, cependant, de mettre un bémol à cette appréciation, pour ce qui concerne « la professionnalisation » des défenseurs des droits de l’Homme et du phénomène de « bureaucratisation » qui s’en est suivi.
Il faut tout d’abord rappeler que le champ « droithommien » n’échappe pas au processus de « modernisation » tel que décrit par M. WEBER dans « L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme ». On est là en présence d’une sphère parmi d’autres (l’économie, le droit, l’administration, etc.) qui se trouve emportée dans le mouvement de rationalisation (spécialisation) généralisée (la Modernité en tant que doctrine, vision du monde —désenchantement— et procédure mentale).
La professionnalisation, par opposition à l’amateurisme, permet incontestablement un gain d’efficacité considérable dans la défense des droits de l’homme. Le Dr MARZOUKI serait, d’ailleurs, malvenu à soutenir le contraire, lui qui a rendu explicitement hommage (chose rare chez le Président du CPR !) à l’une des ONG internationales les plus professionnelles : Amnesty International (p.110). Les Etats en général, et les dictatures en particulier, s’ingénient à restreindre le champ des libertés, ne « ratant » aucune « occasion » pour étendre le domaine de leur contrôle liberticide [voir à titre purement indicatif : Pièces et main d’œuvre (nom que se donne un collectif d’écrivains),TERREUR ET POSSESSION. Enquête sur la police des populations à l’ère technologique, Paris, L’Echappée, 2008.]. Certaines dictatures —la tunisienne en tête— vont jusqu’à même consacrer des budgets colossaux (ponctionnés sur les deniers publics), et des effectifs parfois impressionnants, pour diffuser leur propagande et contrer le travail des ONG indépendantes. Cette dernière précision n’est pas fortuite, dans la mesure où les GONGO’S (les Organisations Non-Gouvernementales GOUVERNEMENTALES) bénéficient de moyens d’Etat (humains, financiers, médiatiques, etc.) sans commune mesure avec la « pénurie » que connaissent la plupart des vraies ONG.
Focaliser l’attention uniquement sur les dérives (réelles) de certaines ONG conduit forcément à les discréditer toutes. Il ne serait pas inintéressant, d’ailleurs, de rappeler ici qu’une des « thématiques » préférées de la presse de caniveaux (lire : les journaux semi-officiels qui puisent, exclusivement, leurs « sources d’information » auprès des ministères de l’intérieur —qu’on devrait plutôt appeler ministères de la terreur— des dictatures) est justement « l’enrichissement personnel » et « le détournement de subventions », dont sont crapuleusement accusés, de manière systématique, les défenseurs —qualifiés par les « chiens de garde » du régime, de « collabos », de « suppôts de l’étrangers », et j’en passe…— les plus gênant pour les autorités… La prudence s’impose donc, ici plus que partout ailleurs. Nous ne réprimerons, par conséquent, pas le sentiment que le Dr MARZOUKI a été un peu trop cavalier dans ses affirmations à l’emporte pièces.
Ne nous attardons pas davantage sur ce faux procès intenté par Si MONCEF aux ONG, et accordons lui le « bénéfice du dépité »… Car l’auteur a, il ne s’en cache point, des « comptes à régler » avec quelques uns de ces anciens co-ligueurs. D’aucuns diraient, non sans raison, qu’il s’agit-là d’une page fort regrettable de l’histoire de la LTDH, et que le souci sincère (si sincérité il y a ) de faire avancer la cause de la démocratie et des droits de l’Homme en Tunisie, recommandait de la tourner aussi rapidement que possible, car, depuis lors, pas mal d’eau a coulé sous les ponts… C’est donc une bataille d’arrière-garde que de s’adonner « aux petits meurtres entre (anciens) amis », et d’offrir ainsi du « pain béni » pour les dictateurs et leurs serviteurs…
Mais revenons aux critiques de « fond » liées au professionnalisme dans son rapport avec la bureaucratisation des droits de l’Homme. Ces assertions doivent être prises au sérieux car elles n’émanent pas d’un néophyte mais d’un spécialiste (théoricien/praticien). On a vu que le professionnalisme recèle une connotation éminemment péjorative chez le Dr MARZOUKI. La « bureaucratisation » l’est encore davantage. Elle est synonyme de dégénérescence, de corruption, de détournement/abus de pouvoir, etc. Une fois de plus nous nous retournons vers M. WEBER (cette fois-ci, « Le savant et le politique ») pour nuancer ce propos trop tranché. Le phénomène bureaucratique n’est pas un mal en soi, nous dit le sociologue allemand. Il est lui aussi la résultante du mouvement de spécialisation par voie de rationalisation appliqué à la gestion administrative des affaires de la Cité. Il ne se transforme en « aubaine » que lorsque « le corps de travailleurs intellectuels spécialisés » abandonne « l’honneur corporatif » pour laisser place à « l’effroyable corruption ». Aussi longtemps que l’impératif éthique est observé par les agents de l’administration le phénomène ne dégénère pas en « bureaucratisme ». Le constat est, mutatis mutandis, applicable aux ONG. Les partis politiques (l’objet d’étude dans Le savant et le politique) ont opéré, grosso modo, leur conversion moderniste —consistant dans l’exercice du « métier » de politique à titre professionnel et à plein temps— via la création du poste de « permanent ». Un schéma identique s’est réalisé dans le monde associatif. Et ce n’est guère ni surprenant ni étonnant que le monde associatif (ONG) emprunte au monde politique (les Partis) certains de ses modes organisationnels, « outils de travail », techniques d’actions, etc. Ce qui nous conduit à évoquer une troisième critique émise par le Dr MARZOUKI, à savoir que les ONG doivent rompre avec le « dédain » qu’ils éprouvent à l’endroit de la politique, pace que « Ce dont nous avons besoin, c’est d’une vraie mobilisation politique, basée sur les idéaux des droits de l’Homme, dont les O.N.G. seraient partie prenante et qui s’attaquerait aux dictatures comment l’on s’attaque à des maladies honteuses » (p. 113). Il convient de préciser que l’auteur ne demande pas aux O.N.G. de se confondre avec un quelconque parti d’opposition démocratique. Il faut lui reconnaître la revendication sans ambiguïté du principe, consubstantiel aux O.N.G., de la «double indépendance » (à l’égard du pouvoir comme de l’opposition).
La question, cependant, se pose de savoir si cette tâche de dénonciation politique incombe réellement aux O.N.G. Nous ne le pensons pas. Et ce serait trop facilement « se décharger » de la mission incombant aux partis politiques que de la faire supporter, après coup, par les associations non-gouvernementales de défense des droits de l’homme. Cet appel à la politisation des O.N.G. est démenti sur le terrain par un phénomène inverse qu’on a qualifié d’« Associativation des partis politiques ». En ce sens où les partis arabes d’opposition ont abandonné, on ne peut plus lâchement, leur essence politique (au sens noble) consistant dans l’encadrement et la mobilisation des masses dans une perspective de prise de pouvoir, en lui substituant la dénonciation par voie de communiqués et d’apparitions occasionnelles sur les écrans des télévisions satellitaires… Leur échec à remplir la mission inhérente à tout parti politique digne de ce nom, n’est que trop flagrant. En inversant l’adage latin, nous pourrions dire que celui qui ne peut pas le moins ne peut forcément pas le plus ; les O.N.G. n’assument (très partiellement) que fort difficilement leur « feuille de route » (n’oublions pas les duretés du contexte dictatorial), il leur sera davantage encore plus difficile de s’acquitter des obligations propres aux partis politiques défaillants. La « requête » de Si MONCEF est donc impertinente et, une fois de plus, totalement irréaliste !
Cela étant dit, l’auteur oublie trop rapidement le diagnostic « affligeant » qu’il applique, à titre d’exemple, à la LTDH (« trente ans après la création de la Ligue des droits de l’Homme, nous n’avons rien obtenu et, même pire, la situation des libertés individuelles et collectives a reculé… », p. 110 ; « la ligue dans sa version indépendante est morte après mon départ et celui d’autres militants et l’avènement d’une direction fantoche acquise au régime », ibidem) pour lui faire ensuite —entre autres O.N.G— supporter indûment les tâches inaccomplies des partis politiques.
4) ISLAMISME ET LAICITE (« Etats démocratiques versus Etats islamiques ? »)
L’auteur adopte, sans l’expliciter, le paradigme de la complexité (Edgar Morin) et opère, en conséquence, des distinctions méthodologiques claires entre islamisme piétiste, islamisme jihadiste, « islamisme de maison » (celui inventé par les pouvoirs en place…), et un islamisme modéré dont la composante démocratique n’est pas encore clairement prononcée. Cependant, il succombe au floue et à l’imprécision lorsqu’il est question de déterminer les origines du phénomène islamiste, la place qu’occupent les islamistes dans le monde arabe contemporain et leur poids dans le jeu politique. L’origine est parfois ramenée à l’échec de « l’autoritarisme développementiste » (nous préférons renvoyer le lecteur au livre de l’économiste tunisien Abdeljalil BEDOUI, l’État et le développement dans les pensées économiques, Tunis, Centre de Publication Universitaire, 2006.), d’autrefois l’islamisme s’origine, d’après MM, dans la tactique dictatoriale tendant à « casser » l’ascension des courants gauchistes. A aucun moment l’auteur n’explore la piste de la réaction rétrograde à une modernisation plus ou moins poussée de sociétés dans lesquelles l’islam est profondément enraciné, conjuguée avec l’écho retentissant qu’a eu la révolution iranienne sur le monde arabo-musulman.
L’islam a constitué, selon l’auteur, une soupape de sureté qui a préservé les familles de l’atomisation préméditée par les autoritarismes. Il a été (et est encore) le dernier rempart qui a permis aux familles d’opposer une « résistance passive » à l’envahissement dictatorial de la sphère familiale.
Les islamistes, on l’a vu, sont « attentistes », et cela écœure, on l’a vu aussi, l’auteur… Comme pour les co-ligueurs d’antan qui ont été plantés sur le pilori, le Dr MARZOUKI, ne pardonne pas à R. GHANNOUCHI d’avoir dit un jour « j’ai confiance en Allah et en Ben Ali » (p. 86).
Hormis la reconnaissance du droit des islamistes à exister en tant qu’acteur politique dans l’espace public (l’auteur s’en donne à cœur joie de rappeler, une fois de plus, le clivage qu’a connue la Ligue au début des années 90 au sujet de la défense des islamistes victimes de la répression sauvage que leur a infligée la dictature…), le Dr MARZOUKI fait tomber la sentence tel un couperet : « Question : Avec du recul, comment expliquez-vous cette alliance contre-nature ? Ne relève-t-elle d’une ambivalence commune à de nombreux mouvements islamistes ? N’existe-t-il pas un certain penchant islamiste à collaborer avec les régimes autoritaires ?
« Réponse : C’est un point essentiel de l’histoire politique récente du monde arabe. On a souvent perçu les islamistes comme des adversaires des régimes en place. Du moins, c’est la vision qui prévaut dans les pays occidentaux. En réalité, je crois, dans la tête des islamistes, les véritables ennemis politiques, sinon les adversaires, ont toujours été la gauche et les nationalistes Arabes. Le mouvement islamiste a davantage entretenu une haine à l’égard des gauchistes et des nationalistes, surtout des nassériens, que des régimes en place. Les islamistes ont cru qu’ils pouvaient développer leur mouvement à l’ombre des régimes autoritaires, en marginalisant la gauche et les nationalistes. Le résultat est aujourd’hui connu. »
Cette affirmation est assénée en contradiction totale avec un précédent constat, fait par l’auteur, relativement aux « rapprochements » récents entre islamistes et gauches (Déclaration de Damas, Plateforme de Rome / Position de Louisa HANOUN, Mouvement du 18 octobre pour les droits et les libertés —bizarrement occulté par le Dr MARZOUKI…). Or de deux choses l’une : ou les islamistes peuvent être un allié sûr et durable contre la dictature, dans lequel cas il faudrait les traiter comme tels, ou ils ne sont ni fiables ni durables, et il faudrait alors en tirer toutes les conséquences !
S’agissant de la Laïcité —abordée sous l’insistance malicieuse de son interlocuteur—, le Dr MARZOUKI devient subitement on ne peut plus étonnamment prudent. Il évoque (trop rapidement) les travers d’une extériorisation ostensible et « provocatrice » d’une « terminologie importée », et soutient que « Dans le monde arabe, on peut très bien défendre un projet politique qui se rapproche de l’horizon de sens de la laïcité (en italique dans le texte) sans pour autant recourir à unenotion étrangère ». Et l’auteur d’affirmer, sans rien dire davantage, « nous devons œuvre à une forme de séparation »… Nous retrouvons ici le même « apriori identitaire » (européen/arabe) dans lequel s’est déjà refugié l’auteur lorsqu’il a été question de ladimension universelle des droits de l’homme (p. 109-110).
Une issue beaucoup plus pertinente aurait été d’invoquer les expériences anglo-saxonnes pour échapper à l’emprise (réductrice) de la conception française de la Laïcité. La souplesse et la gradation qu’offre, en effet, la « sécularisation » contrastent avec ce qui pourrait être perçu, à juste titre, dans le monde arabe comme une rigidité, voire même —pour certains— un extrémisme inhérent au modèle laïc français.
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Notre intention de départ n’était nullement de nous attarder aussi longtemps sur cette note de lecture. « L’appétit » de la discussion s’est progressivement « emparée » de nous au fur et à mesure que nous progressions dans l’exposé des thématiques abordées par les auteurs. La richesse des sujets traités et la manière parfois provocatrice dont ils l’ont été, nous a fortement incité à y prendre part. C’est là un des nombreux avantages de l’ouvrage dont la lecture serait vivement recommandée à tous ceux que l’avenir d’une Tunisie libre, démocratique et progressiste intéresse.
Ci après, pour enrichir le débat, un extrait d’un projet de livre (inachevé) qu’on a écrit il y a quelques années, intitulé « À vous le pouvoir, à nous la société »…. Car le dernier thème abordé (l’islamisme dans son rapport avec la modernité et la laïcité) demeurera incomplet (et « inéquitable ») si l’on n’exposait pas les thèses islamistes (tunisiennes) y afférentes…
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A) LA MODERNITÉ
La position des islamistes à propos de la modernité a évolué d’un rejet catégorique (au motif qu’elle s’origine dans le colonialisme) à une acceptation « syncrétique » commandée par un esprit utilitariste qui ne veut y voir (non sans réserves) que l’aspect technique, technologique, scientifique, etc. (les ressorts du progrès matériel dont aurait besoin la Umma) censés êtres objectifs, c’est à dire ne véhiculant pas de valeurs éthiques, esthétiques, morales, comportementales ou civilisationnelles…
كما أن التيار الوسطي قبل بالأساليب الديمقراطية الحديثة طريقا إلى الحكم وإدارته، كما دعا إلى علاقات دولية محكومة بالتعددية والحوار وتبادل المصالح المتكافئة والتعاون الدولي على ما يحقّق منفعة الجميع، وفنّد بذلك وجود علاقة ضرورية بين الديمقراطية والعلمانية أو بين هذه الأخيرة والحداثة بمعنى الإفادة من العلوم والتقنيات المعاصرة[1]
Ce qui peut être rapproché, dans un certain sens, de ce que J. Habermas appelle « la raison cognitive instrumentale », par opposition à la « raison communicationnelle » ou substantielle (Ecole de Francfort). Ce réductionnisme est, cependant, contredit (dans le texte même ci-dessus reproduit) par l’adoption du volet politique de la modernité, à savoir l’adhésion à un ordre démocratique doté d’une représentation nationale issue d’élections libres, garantissant les droits/libertés individuelles et publiques, la libre compétition entre les partis politiques, etc.
Fût un temps, en effet, où les islamistes tunisiens refusaient jusque même l’utilisation du terme « démocratie » -qualifié d’intrus, pour ne pas dire hérésie- lui préférant « son équivalent » en droit musulman la « Choura »[2]. Aujourd’hui, dans un
mouvement d’islamocentrisme qui lui est inhérent, Ennahdha considère que l’Islam était précurseur dans l’invention du « procédé » démocratique et que, partant, rien, dans la loi islamique, ne s’oppose à son adoption. Bien au contraire il faut, comme le dit M. Ghannouchi, « faire en sorte comme si c’était notre bien propre qui nous est restitué » :
« طوّر الغربيون فكرة الديمقراطية مستفيدين من إرثنا الحضاري. وكان الأولى أن نرحب بهذا التطور ونثني على أهله خيرا كما أوصى صاحب الدعوة إزاء كل حكمةونعتبرها بضاعتنا التي ردت إلينا[3]«
Sans nous appesantir sur l’apport inestimable de la civilisation grecque antique dans tous les domaines de la vie en société[4] ; sans palabrer[5], non plus, sur les imperfections de la démocratie grecque (exclusion
des femmes, des esclaves,
des « barbares »…), il n’est pas inintéressant de relever les écueils gravissimes auxquels conduit un pareil « islamocentrisme » doublé d’un nihilisme qui refuse d’admettre (ou ne le fait que contraint… du bout des lèvres) l’apport indéniable des civilisations pré ou/et postislamiques dans l’enrichissement du patrimoine commun de l’humanité…
Les islamistes (pas seulement tunisiens) opèrent une concomitance indéfectible entre modernité et occidentalisme pour aboutir à la prééminence du principe identitaire[6].
» ليس في وجه بارز من وجوهه ربما يكون الأبرز غير امتداد المعركة المرجعية في أمتنا ولك أن تقول المعركة بين الداخل وبين الخارج بين النخبة والشعب.بين المستضعفين والمستكبرين. إنها ليست بحال معركة مع
الحداثة بما هي علوم وتقنيات وإعلاء لسلطة الشعب والقانون ولا هي معركة داخل الإسلام كما يزعم البعض بل هي معركتهم- أو الكثير منهم في الأقل- معه، إلا أنه لأسباب إستراتيجية تتعلق بأسلوب إدارة المعركة وبسبب صمود الإسلام واقتداره إلى حد بعيد ومتصاعد على رفع التحدي ورفض الرضوخ لمنطق ميزان القوة الذي يحكم العلاقات الدولية بحسب منطق المرجعية الوضعية ( فلسطين والعراق الشيشان مثالا) كاقتداره على احتواء الحداثة بدل أن تحتويه كما فعلت مع كل العقائد والمذهبيات – وهو ما يطلق عليه البعض ممانعته للحداثة، وهي ممانعة حقيقية ولكنها لا تعني الرفض وإنما التعامل من موقع الثقة بالنفس والقوامة وليس من موقع التبعية والاستخذاء والانبهار[7]
« فالحداثة في بلادنا لم يكن لها من مصدر غير تسلط القلة الحداثوية المترفة الفاسدة، الموالية لما وراء البحار والوصية على المصالح الأجنبية المسلطة على الشعب وعلى تراثه وعلى دينه وعلى ضميره« [8]
واستيعابه ضمن منظور اجتهادي واسع لمكاسب التحديث ومنها القبول بمقومات الحكم الديمقراطي ودعوته المتكررة لنخبة الحداثة سواء تلك التي في السلطة أم تلك التي في المعارضة[9].
. كما كانت تلك الاستفاقة تفاعلا من جهة أخرى مع أصداء النهضة الغربية الوافدة من الضفة الأخرى محمولة على الأساطيل تطرق بقوة أبواب دار الإسلام،[10]
La tare « indécrottable » de la modernité telle qu’elle est perçue par les islamistes concerne, derechef, les conditions historiques de son introduction dans le monde arabo-musulman. En d’autres termes la modernité sera pour l’éternité liée à la colonisation. C’est là son péché originel (incurable) : elle est entrée « par effraction » et -réactivité psycho-historique oblige- il ne peut en découler que « malheurs »…
Le deuxième niveau de la critique porte sur la faillite avérée des politiques de « modernisation » nationale partout dans le mode arabe (« la périphérie ») : échec dans la lutte contre la pauvreté, l’illettrisme, le sous-développement économique et social, l’instauration de la démocratie, la sauvegarde de l’intégrité territoriale (Palestine, Irak, etc.), la protection de l’intégrité physique et morale des citoyens, la résistance à la mondialisation ultralibérale, etc. En un mot l’impuissance allant en s’aggravant des gouvernants « modernistes » arabes à relever les défis imposés par les temps modernes…
Enfin il est reproché à la modernité initiale (en « métropole ») d’avoir été à l’origine des guerres destructrices (notamment mondiales qui ont ravagé l’Humanité), du colonialisme, de l’exploitation, de l’hyperindividualisme, de l’ultralibéralisme, du relâchement des mœurs (surtout la libéralisation sexuelle et la marchandisation des corps, en particulier celui des femmes…) et la dislocation des liens familiaux… Bref il est reproché à cette modernité originaire d’avoir instauré un ordre injuste fondé sur des rapports de domination interpersonnelles, interétatiques et anti-nature, immorales qui a causé des catastrophes répétitives tant à l’échelle humaine (sociales) qu’écologique.
Ce constat accablant n’est pas le propre de la critique islamiste de la modernité. Des penseurs, des philosophes, des mouvements contestataires (dont l’altermondialisation…), des partis, etc. l’ont fait et de manière davantage plus radicale et incomparablement plus fructueuse, bien avant « l’éveil » islamiste.
S’agissant de la faillite lamentable des régimes modernistes arabes elle appelle au moins deux remarques :
D’abord posons la seule question qui vaille : est-ce que ces régimes sont véritablement Modernes ? Est-ce qu’il sont représentatifs de ce que la modernité a de plus authentique (Lumières/raison + liberté + progrès), pour se permettre d’étendre le réquisitoire implacable prononcé à leur encontre sur les opposants démocrates qui prônent une modernisation réelle (globale) soucieuse de se démarquer tant des « usurpateurs » que de l’idéologie moderniste trempée dans le positivisme et le scientisme. Il arrive d’ailleurs à M. Ghannouchi (dans ce qu’il écrit) de tenir compte (quoique timidement) de cette nuance[11].
Lorsqu’on sait par ailleurs que notre interlocuteur privilégié est professeur de philosophie et qu’il
n’est pas sans ignorer ce que le mot « modernité » veut exactement dire, on ne peut s’empêcher d’émettre des doutes sur ses intentions réelles quant à son recours aux généralisations abusives et autres jugements à l’emporte-pièce…
Qu’entend-t-on au juste par Modernité ?
La modernité plante ses racines idéelles dans les Lumières telles que définies par E. Kant en tant que « sortie de l’homme hors de l’état de tutelle dont il est lui même responsable. L’état de tutelle (étant) l’incapacité de se servir de son entendement sans la conduite d’un autre »[12]
Cet affranchissement de l’entendement humain des forces paralysantes (aussi bien terrestres que métaphysiques) qui le maintenait sous tutelle a progressivement conduit à ce que M. Weber appelle le « désenchantement du Monde », ou « le rejet de tous les moyens magiques d’atteindre au salut comme autant de superstitions et de sacrilèges »[13]
C’est à dire, grosso mode, l’évacuation de l’irrationnel dans la perception du monde vécu et, conséquemment, l’aboutissement à une organisation séparée des différentes sphères économique, politique, administrative, juridique, artistiques, sur la base de la spécialisation méthodique rationnelle.
Viennent ensuite par couches imbriquées -dans le désordre- les modernisations politique (le constitutionnalisme, la séparation des pouvoirs -au sujet de laquelle les islamistes demeurent sceptiques-, la distinction entre société et Etat, le parlementarisme, la démocratie représentative, le multipartisme, la société civile, etc.), sociale (les protections sociales de la maternité, de l’enfance, des handicapés, des chômeurs, des malades, des vieux… ainsi que toutes les aides et Caisses étatiques propres à chaque secteur ou tranche de la population ; les syndicats ; les juridictions spécialisées – telles que les Tribunaux des affaires de la sécurité sociales, etc.), économique (la valorisation du travail ; la production rationnelle de la richesse, des biens et des services à un moindre coût, automatisation, division du travail, etc.), administrative (notamment la bureaucratie), éducationnelle, juridique/judiciaire, etc.
Le tout étant fondé sur la raison raisonnée (non dépourvue d’éthique : sens de la mesure pour toute chose) dans le cadre d’un Etat de droit démocratique. C’est à dire un Etat dans lequel le pouvoir politique est institutionnalisé, où les relations aussi bien entre particuliers qu’entre gouvernants et gouvernés sont régis par des règles juridiques impersonnelles légitimement édictées par un pouvoir issu d’élections libres et contradictoires entre les différentes forces politiques [14]
Il s’agit donc d’une modernité -revisitée- apurée de toute déification de la Raison, du tout puissant Sujet et de l’idéologie du Progrès.
On pourrait s’attarder longuement sur cette notion clé qu’est la modernité ressourcée et débarrassée de ce qui l’a fait se retourner contre l’humanitude de l’homme (le phénomène de réification…)[15],
mais l’espace restreint que l’on s’est assigné pour ces « libres-propos » ne le permet pas. Nous retiendrons en tout état de cause ceci que le « procès » fait par l’islamisme (entre autres Ennahdha) à la modernité concerne plutôt l’idéologie moderniste et son succédané local l’ersatz de « modernité » qui est en réalité une anti-modernité. Il est par ailleurs malhonnête (scientifiquement et moralement) de confondre délibérément entre ceux qui n’ont retenu de la modernité que la sophistication des moyens de contrôle et de répression, « le surveiller et punir », d’avec ceux qui en sont victimes et dont le seul tort serait de continuer à croire en la possibilité d’implémentation, en Tunisie, des aspects universalisables/irréductibles de la modernité occidentale.
B) LA LAÏCITÉ
C’est sans doute La question qui fâche. Les positions des islamistes et des laïcs à son sujet sont opposées à un point tel qu’à prime abord l’on serait légitimement tenté de « jeter l’éponge » et d’admettre l’impossibilité d’un consensus y relatif. L’optimisme doit pourtant l’emporter et on ne désespèrera pas de la capacité inventive des modérés des deux bords pour trouver un modus vivendi, une coexistence sui generis pacifique et tolérante entre les sphères religieuses et politiques.
Hâtons-nous de préciser d’ores et déjà que la laïcité dont il s’agit n’est nullement une laïcité combattante, hostile ou méprisante (encore moins éradicatrice…). C’est une sécularisation apaisée, pacificatrice et qui n’est en aucun cas une transposition mécanique de ce qu’a connu l’Europe, en particulier à travers le modèle français.
Mais qu’est-ce tout d’abord que la laïcité ?
Etymologiquement le mot laïcité vient du latin laïcus qui, lui même est dérivé du grec laïkos et qui veut dire « du peuple »[16], par opposition à tout ce qui est clérical.
L’acception française de la laïcité telle qu’elle a pris corps à travers les applications de la loi du 9 décembre 1905[17] portant séparation des Eglises et de l’Etat, est celle « de la neutralité religieuse de l’Etat »[18], laquelle neutralité
« implique le découplage de l’appartenance religieuse de l’appartenance politique, la dissociation entre citoyenneté et confessionnalité. Ni l’Etat ni la société ne doivent prendre en compte les convictions religieuses des individus pour déterminer la mesure de leurs droits et de leurs libertés »[19]
Il convient, par ailleurs, de rappeler qu’en France deux conceptions relatives à la laïcité se sont toujours affrontées: une laïcité/neutralité (ou d’abstention) et une laïcité militante (ou de confrontation).
Ceci étant posé, on comprend, dès lors, aisément, la farouche et virulente opposition islamiste (dont Ennahdha) à la laïcité. En effet, celle-ci suppose -et c’est là son essence- le fameux « découplage » entre les deux sphères religieuse et politique. Chose qui ne plait guère aux nahdhistes dont la profession de foi « stipule » exactement l’inverse, à savoir l’imbrication inextricable des deux facettes de l’Islam : Religion/Etat
On comprend également la véhémence des propos tenus à chaque fois par M. Ghannouchi à l’endroit des laïcs :
« مقابل تفاقم ظواهر الشيخوخة والفساد في مذاهب العلمنة ومؤسساته »
في الذكرى الثالثة والعشرين للإعلان عن حركة الاتجاه الإسلامي: الشيخ راشد الغنوشي
وأمام الانهيارات المتوالية للمشروع العلماني القائم على فكرة استقلال العقل الإنساني واقتداره على تنظيم الحياة في كل المجالات بما يحقق سعادة البشر وتقدمهم بمعزل عن الله سبحانه ورسله وكتبه وشرائعه، ورغم الكسب الحاصل، فإن الحصيلة كارثية، على أكثر من مستوى إنساني،
وأمام ما منيت به امتدادات المشروع العلماني، مشروع موت الإنسان كما سماه المفكر التونسي محسن الميلي، في بلاد العرب والمسلمين من فشل ذريع على كل المستويات فيما وعدت من تقدم وازدهار وتحرير فلسطين وتوحيد للأمة واستعادة لعزتها السليبة،
هل يكون الفيتو على مشاركة الإسلاميين في طريقه إلى الزوال؟ : الشيخ راشد الغنوشي
“أما النخبة العلمانية الاستئصالية فقد أطلقت صفارات الإنذار ولم تأل جهدا في استعداء السلطة على الصحوة وعلى الحجاب واستصراخ الغرب من انبعاث الخطر الأصولي والتحذير من عودة النهضة إزاء كلّ ذلك”
الشيخ راشد الغنوشي: منذ البدء كان الدين حركة شباب
ــ وعلى صعيد التوجهات الفكرية، تنامي اتجاه انكسار المشاريع اللائكية التغريبية المتشددة مقابل تصاعد مد الصحوة الإسلامية التي عبرت عن حالة تجدد وولادة في الأمة واستعدادات واعدة بالمقاومة ضد الاحتلال الداخلي (الاستبداد) والاحتلال الخارجي (الاستعمار المباشر).
بقلم: الشيخ راشد الغنوشي بداية لانهيار النظام العربي والتجدد الشعبي
On pourrait multiplier à souhait les extraits de la même verve, mais ce n’est pas là le but recherché. M. Rached al Ghannouchi en veut aux laïcs, c’est chose on ne peut plus clairement comprise[20].
Qu’il y ait des « victoires » des courants religieux islamistes ou autres un peu partout dans le monde, cela ne supporte pas l’ombre d’un doute. Il n’y a qu’à se rappeler l’engouement subit et inattendu pour le catholicisme lors des funérailles du Pape Jean-Paul II ; l’islamisation des banlieues ; l’ascension bouddhiste en Occident ; le regain d’importance de l’Islam cultuel en Tunisie, par exemple… pour se convaincre du réel « réenchantement » du monde. Il y a également un « retour des rouges » en Amérique latine (Brésil, Venezuela, Bolivie, etc.)
Mais est-ce que ce regain d’importance de la religiosité doit être interprété en une remise en question systématique du principe de la laïcité (encore une fois, jeter le bébé avec l’eau du bain) ? On ne le pense pas. Prenons le cas de la France, par exemple, où la loi du 15 mars 2004 a interdit le port du voile islamique dans l’école publique, sous prétexte de prohiber le port de « signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse »[21]. Il
s’agit-là, sans nul doute, d’une atteinte manifeste à la liberté de conscience telle que garantie par les textes internes[22] et internationaux engageant la France[23], qui a été décrié par un grand nombre de laïcs
français et d’associations de
l’immigration[24] qui y ont vu, à juste titre, une loi de discrimination communautaire contraire au principe constitutionnel d’égalité tout autant qu’à l’esprit même de la loi de 1905.
M. Rached al Ghannouchi a eu l’occasion de s’exprimer à propos de cette loi (prohibitive) dans un texte au titre suggestif : « L’interdiction du voile par la France est en lui-même un voile »[25]
Ce qui est frappant dans ce papier c’est que son auteur « range » au magasin des accessoires son ton véhément qu’il adopte d’habitude lorsqu’il parle de la laïcité « de chez nous » (opposition et pouvoir confondus) et passe à un registre plus serein, plus calme, et partant beaucoup plus intéressant. Ecoutons-le pour en juger (c’est nous qui soulignons) :
” بينما المناهضون لهذا التوجه يدفعون بقيمة الحرية الشخصية والدينية.
مما تجدر ملاحظته في هذا الصدد أن الموقف العلماني في الأصل قد تأسس على مبدأ الانتصار للحرية الفردية ومنها حرية الضمير أمّ الحريات جميعا وذلك في مواجهة ما كانت الكنيسة تمارسه وكذا حليفها الإقطاعي، من اضطهاد سياسي وديني، الأمر الذي جعل للعلمانية مهمة تاريخية تحريرية لضمائر الأفراد ولسلطة الدولة من هيمنة رجال الدين. ولقد جاء دستور 1905 ليحسم التنازع والتداخل بين المجال العام الذي تنظمه الدولة على أساس المساواة ومنع التمييز بين المواطنين على أي أساس وبين مجالات عامة أو خاصة متروكة لحريات المواطنين ولمبادراتهم أفرادا وجماعات ومنها المجال الديني باعتباره تعبيرا حرا عن الضمير وكذلك المبادرات في سائر مجالات المجتمع المدني، وهكذا تمايز القطاعان الخاص بالدولة والخاص بالدين والمجتمع ينموان كل في سياقه … أقرّ الطرفان بحريات ثابتة للإنسان ومنها حرية الضمير الديني وأنّ لكل أهل دين أن ينظّموا شؤونهم الدينية، فليس للدولة وصاية على الدين ولا لها كنيسة رسمية[26]
Passons sous silence l’erreur consistant à confondre une simple loi (aussi importante fût-elle) avec une Constitution -après tout M. Ghannouchi n’est pas juriste… du moins au sens occidental du terme…-, et ne lui en tenons pas rigueur.
L’extrait ci-dessus reproduit est instructif dans la mesure où -une fois n’est pas coutume- il y est question des « bienfaits » de la laïcité. Car à force de récriminations et de réprobations on a failli perdre de vue l’essence libératrice de la laïcité. Et même si l’auteur ne recourt à sa digression que dans le seul but de dévoiler l’inconséquence regrettable de l’Etat français en regard du principe de la laïcité, on ne peut que l’en féliciter. La généalogie de la laïcité nous enseigne, aux dires de l’auteur, que la séparation entre les Eglises et l’Etat s’est couronnée par la victoire de la liberté individuelle (dont la liberté de conscience, « mère de toutes les libertés », nous dit M. Ghannouchi) sur l’oppression politico-religieuse qu’exerçait l’Eglise sur ses ouilles[27]. La laïcité a également mis en place, une bonne fois pour toute, le principe d’égalité entre tous
les citoyens, abstraction faite de tout critère autre que l’appartenance citoyenne elle-même.
La séparation des deux sphères (publique/privée) étatique et ecclésiastique a favorisé le développement des initiatives individuelles et collectives, y compris religieuses, dans l’espace civil. De même que la neutralité de l’Etat à l’égard du religieux a favorisé la coexistence pacifique des différentes religions ainsi que leur libre développement.
L’auteur se trompe, cependant, lorsqu’il parle d’un « accord entre les deux parties (Etat/Eglise) sur un certain nombre de libertés immuables ». La loi du 9 décembre 1905 sur la laïcité, à la différence du Concordat[28], n’est nullement « un contrat », mais un acte gouvernemental volontaire et unilatéral que le Vatican (Pie X) a, d’ailleurs, immédiatement dénoncé. Il est allé même jusqu’à rompre tout lien diplomatique avec la quatrième République[29] et à haranguer les chrétiens de
France pour qu’ils résistent à l’application de cette loi « impie ». Chose qu’ils feront lors de l’établissement de l’inventaire des biens de l’Eglise qui a été perçu par les fidèles comme une « spoliation ». Cette loi ne commencera à être acceptée qu’à partir de 1924 sous la pontificat de Pie XI.
A travers cet extrait M. Rached al Ghannouchi semble reprendre à son compte la célèbre phrase d’Aristide Briand[30] qui dit de la loi de 1905, à très fort juste titre, qu’elle est « uneloi de tolérance et
d’équité » (Discours du 7 mars 1906).
Mais ce n’est pas tout. Dans le même texte il est rappelé, toujours à raison, que la France –malgré la loi de 1905- « est demeurée un Etat chrétien à plus d’un titre »[31] ; que « en dépit du fait que l’école sert à f
aire fondre les élèves dans le
moule de la laïcité pour reproduire l’identité laïque de l’Etat et de la société, elle n’a pas entravé le libre exercice par les élèves de leur liberté de conscience »[32] ; idem en ce qui concerne « le développement d’un
enseignement religieux
appartenant aux églises à tous les échelons éducatifs, des crèches aux universités, fréquentées par à peu près trois millions d’étudiants et élèves. Mieux encore, l’Etat ne s’est pas contenté de reconnaître ce secteur éducatif catholique mais
participe activement à son financement[33]… »[34]
Il n’en n’est pas autrement de la reconnaissance des établissements privés de confession israélite[35]
L’auteur arrive, enfin, à la conclusion selon laquelle la loi de 2004 interdisant le port du voile islamique dans les écoles publiques françaises est vouée à l’échec parce qu’elle est en contradiction avec l’esprit libérateur de la loi de 1905 sur la séparation des Eglises et de l’Etat[36].
Il s’avère donc que les possibilités de liberté religieuse offertes par la laïcité française à toutes les confessions -qui sont placés en principe sur le même pied d’égalité- sont considérables[37]. L’Islam de France
souffre encore d’un certain nombre d’injustices et de discriminations (notamment en ce qui concerne les lieux de culte), mais la situation est appelée à évoluer, et l’on peut affirmer qu’en « donnant du temps au temps »[38] l’opinion publique hexagonale, et dans son
sillage la classe politique (en dehors des xénophobes, il va sans dire) finira par se réconcilier définitivement avec l’Islam modéré et l’intégrera aussi bien dans son conscient que dans son inconscient collectif.
La même liberté, si ce n’est davantage, est offerte aux musulmans dans tous les Etats de l’Union Européenne dont aucun ne pratique la confusion entre les sphères religieuse et politique. C’est dire que la pacification sociétale et la coexistence tolérante et paisible entre ressortissants d’une même nation est possible, car comme l’a si bien dit J. Locke déjà à la fin du 17ème siècle ! « Le but de la vraie religion est tout autre chose : elle n’est pas instituée pour établir une vaine pompe extérieure, ni pour mettre les gens en état de parvenir à la domination ecclésiastique, ni pour contraindre par la force ; elle nous est plutôt donnée pour nous engager à vivre selon les règles de la vertu et de la piété »[39]
Si telle est l’appréciation sereine et non dogmatique de M. Ghannouchi à propos de la laïcité française, pourquoi ciel la dénigre-t-il, ailleurs, en l’associant au totalitarisme soviétique ?
. وفي الترجمة الحضارية لهذا التصور يقدمون التجربة الغربية وبالخصوص في أشد صيغها تطرفا التجربة الماركسية أو الفرنسية في العلاقة بالدين، على أنها النموذج الذي يحتذى[40]
Si « le modèle français de la laïcité », tel qu’on vient de le voir, est « extrémiste », comme le prétend notre interlocuteur, comment se fait-il alors que les chrétiens de France, qui détiennent la majorité confessionnelle absolue dans le pays de Voltaire, ont-il pu y trouver leur compte ; que le Saint-Siège ait fini par admettre son équité et tiré avantage du système qu’elle instaure ? Comment expliquer l’existence d’une presse écrite, audio-visuelle, virtuelle (sur le Net), etc. reflétant le pluralisme religieux paisible qui a rendu possible, entre autres, les dialogues et échanges[41] interreligieux, etc. ?
Comment se fait-il que cet « extrémisme laïc » français ait pu enfreindre à la sacro-sainte règle de la neutralité de l’Etat, en favorisant de manière très napoléonienne l’organisation du culte musulman en France à travers la création du Conseil Français du Culte Musulman ?
Comment expliquer la magistrale construction jurisprudentielle du Conseil d’Etat[42] hautement protectrice du droit des jeunes filles musulmanes à porter le voile dans les écoles publiques…
Pour résumer (parce qu’il faut bien conclure ce paragraphe…) nous dirions que M. Rached al Ghannouchi est autant « indulgent » avec le modèle français de la laïcité lorsqu’il s’adresse directement aux concernés, qu’intolérant à leur égard chaque fois qu’ilépanche sa bile (et cela lui arrive très souvent) sur nos « laïcards ».
La laïcité qu’on prône pour notre pays n’est ni « singée » sur « le modèle » français ni importée d’ailleurs. C’est une sécularisation [43], « par-delà islamisme et laïcisme », qui renoue avec l’apport lumineux des
penseurs
d’Annahdha/Renaissance du 19ème siècle arabe : (entre autres) Rifââ Râfâ Attahtâoui, Khayreddine Ettounsi, Al Afghani, Al Kawakibi, Kassem Amine et Muhammed Abdû « qui a écrit à l’instar de beaucoup de réformistes musulmans, que l’Islam était la seule religion à avoir éradiqué le pouvoir religieux à la racine et instauré un pouvoir de la raison »[44], dont le projet de réforme indépassable demeure d’une actualité
poignante et n’a pas pris une seule ride !
Ecoutons, pour clore ce paragraphe, ce qu’en dit Abderrahmane Al Kawakibi dans son principal ouvrage « Les natures du despotisme », écrit vers 1899 (soit plus de 25 ans avant la parution deL’islam et les fondements du pouvoir de A. Abderraziq) : « 21. Le thème de la séparation des pouvoirs politiques, religieux et éducationnels. Qu’en est-il de la réunion de deux de ces pouvoirs oudes trois en un seul ? Il convient d’opérer une spécialisation qui confie chacune des trois fonctions politique, religieuse et éducationnelle à ceux qui en sont compétents de manière à éviter leur réunion (en une seule main) et bannir ainsi l’autoritarisme » ![45]
Ce dont on a urgemment besoin c’est d’une sécularisation qui ouvre la voie vers une authentique modernité, qui dépasse toute médiation française (ou autre) et qui puise sa raison d’être dans ses propres conditions de possibilité au cœur même de notre réalité spécifique.
[1] بقلم: الشيخ راشد الغنوشي بداية لانهيار النظام العربي والتجدد الشعبي : source www.nahdha.net
[2] A titre d’exemple le terme démocratie n’est employé à aucun moment dans l’acte fondateur du Mouvement de la Tendance Islamique (6 juin 1981)… non plus les droits de l’homme d’ailleurs !
. www.nahdha.net. من أحوال الأمة في ذكرى المولد الشريف بقلم: الشيخ راشد الغنوشي[3]
Idée déjà soutenue dans « Les libertés publiques dans l’Etat islamique » (en arabe), op. cit., p. 87-88.
[4] A titre infiniment indicatif relativement à cet apport titanesque de la civilisation grecque : Jacques Brunschwig et Geoffrey Llooyd, « Le savoir grecque : dictionnaire critique », Flammarion, 1996 ; Dictionnaire de la Grèce antique, Encyclopaedia Universalis/Albin Michel, 2000.
[5] « Alors qu’en Afrique, les élites politiques et intellectuelles ont tendance à mépriser la palabre en lui préférant un juridisme superficiel directement greffé d’Occident, les pays occidentaux tout comme les entreprises japonaises la remettent paradoxalement à l’honneur chaque fois qu’il y a un conflit à régler ou qu’il faut interpréter le droit », incipit de La palabre : une juridiction de la parole, Jean-Godefroy Bidima, Michalon (collection : le bien commun), 1997, p. 9.
[6] Dr Abdelmagid Annajjar,Le conflit identitaire en Tunisie, (en arabe) Dar al Amane linnach’r wattawzi3, Paris 1988. Cette redoutable question mérité une étude à part…
: www.nahdha.net في الذكرى الثالثة والعشرين للإعلان عن حركة الاتجاه الإسلامي : الشيخ راشد الغنوشي[7]
[8] : المركز المغاربي للبحوث والترجمة مقاربات في العلمانية والمجتمع المدني,: الشيخ راشد الغنوشي
[9] سلطة ومعارضة في تونس: نعم لإسلاميي الخارج لا لإسلاميي الداخل (حلقة2) : الشيخ راشد الغنوشي
[10] Ibidem.
[11]مقاربات في العلمانية والمجتمع المدني: المركز المغاربي للبحوث والترجمة الشيخ راشد الغنوشي
هذا التحديث المزيف الذي اكتفى من التحديث بشكلياته وأدوات عنفه وما يوفره من آليات التأطير والرصد والاتصال السريع والضرب والتفكيك،
دولة مشخصنة في رئيسها مزوقة بأصباغ الحداثة للتمويه على طبيعتها ماقبل الحداثية الناهلة من منابع الفاشية وحكم الاطلاق وأسوأ ما في تراث » سلطة ومعارضة في تونس: نعم لاسلاميي الخارج لا لإسلاميي الداخل (حلقة2) : الشيخ راشد الغنوشي : » البايات
[12] Vers la paix perpétuelle. Que signifie s’orienter dans la pensée ? Qu’est-ce que les lumières ? GF-Flammarion, p. 43 (édition de 1991)
[13] « Ainsi, dans l’histoire des religions, trouvait son point final ce vaste processus de « désenchantement » [Entzauberung] du monde qui avait débuté avec les prophéties du judaïsme ancien et qui, de concert avec la pensée scientifique grecque, rejetait tous les moyens magiques d’atteindre au salut comme autant de superstitions et de sacrilèges », L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme, Presse-Pocket (Agora) 1985, p. 117. Voir également : Sociologie des religions, Gallimard 2000, p. 332 s ; expression qui a inspiré le titre du livre, désormais classique, de M. Gauchet, Le désenchantement du monde : une histoire politique de la religion, Gallimard/Histoire, 1985. ; du même auteur, La religion dans la démocratie, parcours de la laïcité, Gallimard/Le Débat, 1998. Il convient de préciser que ce « désenchantement » ne signifie pas « l’élimination du sacré mais le remplacement d’un ascétisme hors du monde par unascétisme dans le monde qui n’aurait aucun sens s’il n’en appelait à une forme ou une autre de divin… », comme le fait remarquer avec perspicacité A. Touraine, op.cit., p. 50.
[14] Voir notre étude « L’Etat de droit entre formalisme juridique et exigence démocratique »
[15] Habermas parle de modernité inachevée (Revue Esprit…)
[16] Dictionnaire étymologique du français, Jacqueline Picoche, Le Robert.
[17] JORF, 37ème année, N° 336 – lundi 11/12/1905, p. 7205.
[18] J. RIVERO, La notion juridique de laïcité, D. 1949, Chr., 33, p. 137.
[19] R. REMOND, La laïcité et ses contraires, Pouvoirs, 1995.
[20] L’attitude dogmatique/belliqueuse des « laïcards » tunisiens y est pour beaucoup dans cette hostilité viscérale des islamistes à l’endroit de la laïcité. Attitude que l’on rencontre d’ailleurs un peu partout dans le monde arabe comme le démontre Burhan Ghalioun dans son remarquable ouvrage «Critique de la politique : ETAT ET RELIGION », (en arabe) Le Centre Culturel Arabe, Maroc/Liban, 3ème Edition 2004, notamment le chapitre 4 (p. 325 à 417). Du même auteur : « Islam et politique : la modernité trahie », La Découverte, 1997.
[21] Article 1er de la loi du 15 mars 2004, JORF du 17 mars 2004, p. 5190
[22] notamment la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 ; le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 ; la Constitution du 4 octobre 1958 ; la loi du 28 mars 1882 sur l’enseignement primaire obligatoire ; la loi du 30 octobre 1886 sur l’organisation de l’enseignement primaire et notamment son article 17 ; la loi du 9 décembre 1905 portant séparation des Eglises et de l’Etat ; ainsi que l’avis du Conseil d’Etat n° 346.893 du 27 novembre 1989 (et sa jurisprudence ultérieure…), etc.
[23] La Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ; la Convention concernant la lutte contre la discrimination dans le domaine de l’enseignement du 15 décembre 1960 ; la Convention internationale relative aux droits de l’enfant du 26 janvier 1990 ; le Pacte international relatif aux droits civils et politiques ouvert à la signature à New York le 19 décembre 1966 ; le Pacte relatif aux droits économiques, sociaux et culturels ouvert à la signature à New York le 19 décembre 1966.
[24] La Fédération des Tunisiens pour une Citoyenneté des deux Rives -FTCR (ayant droit légitime de l’Union des Travailleurs Immigrés Tunisiens – UTIT) a été précurseur à poser judicieusement la problématique du statut des musulmans dans le cadre de la République française (depuis les années 80). Cette association vieille de plus de 30 ans n’a eu de cesse, depuis plusieurs décennies, de lutter pour le droit des jeunes filles musulmanes consentantes à porter le voile, et ce par référence, notamment, aux principes d’égalité et de non-discrimination énoncés par les lois républicaines. Le dernier « Texte à l’appui », n°6 : LAÏCITE : CE VOILE QUE JE NE SAURAIS VOIRE, paru à la veille de la promulgation de la loi du 15 mars 2004, témoigne une nouvelle fois, s’il en était besoin, du ferme engagement de cette association résolument laïque en faveur de la liberté de conscience et notamment du droit au libre accès de tous, sans distinction aucune, à l’école publique….
www.nahdha.net « حظر فرنسا للحجاب حجاب : الشيخ راشد الغنوشي[25]
www.nahdha.net « حظر فرنسا للحجاب حجاب : الشيخ راشد الغنوشي[26]
[27] C’est ce que Michael Walzer appelle « L’art de la séparation du libéralisme », Pluralisme et démocratie, Editions Esprit, 1997. Notamment l’étude sur « La justice dans les instituions », dans laquelle on peut lire : « La société était appréhendée comme un tout, organique et intégré. Elle pouvait être étudiée du point de vue de la religion, de la politique, de l’économie ou de la famille, mais toutes ces notions s’interpénétraient pour constituer une réalité unique (…) S’opposant à ce monde les théoriciens libéraux ont préconisé et appliqué l’art de la séparation. Ils ont tracé des lignes délimitant des domaines spécifiques et dressé ainsi une carte sociopolitique qui nous est, aujourd’hui encore, familière. La séparation la plus célèbre est le « mur » érigé entre l’Eglise et l’Etat, mais il en est beaucoup d’autres. Le libéralisme est un monde de murs, et chacun d’eux engendre une liberté nouvelle », p. 29-30.
[28] Le Concordat a été signé entre Napoléon et le Saint Siège (Pie VII) le 10 messidor an IX (15 juillet 1801). Il a non seulement institutionnalisé le pluralisme religieux, mais également consacré la primauté du pouvoir séculier sur l’autorité religieuse. Désormais, le catholicisme n’est plus La religion officielle de la France, de même que les cultes sont libres et publics pourvu qu’ils se conforment « aux règlements de police que le gouvernement jugera nécessaires ». L’organisation des cultes sera ainsi mise en place. On rétablit, certes, l’Eglise dans « ses droits » qui lui ont été « confisqués » par les révolutionnaires… mais en restreignant l’importance primordiale qu’elle a toujours revendiquée, notamment en rendant possible l’expression des confessions minoritairesvia l’affirmation de la liberté religieuse (protestantisme d’abord et judaïsme plus tard –1807). La « France toute catholique » de Louis XIV laisse désormais place à un catholicisme « seulement » majoritaire… Voir les livres de J. Baubérot, notamment : Histoire de la laïcité française, PUF, 2000 ; Vers un nouveau pacte laïque, Seuil, 1990 ; ainsi que Jean-Paul Scot : « L’Etat chez lui, l’Eglise chez elle (comprendre la loi de 1905) », Points/Seuil (inédit), 2005 ; Pour une histoire contemporaine à la loi de 1905 : Emile Faguet, L’anticléricalisme, Société Française d’Imprimerie et de Librairie, 1905.
[29] Les Encycliques : Vehementor nos (18 février 1906) ; Gravissimo Officii (10 août 1906) ; ainsi qu’une Encyclique rédigée en français « Une fois encore » (6 janvier 1907) dans laquelle le Pape Pie X considérera que « Ce n’est pas seulement la foi chrétienne que l’on veut à tout prix déraciner du milieu des cœurs, c’est encore toute croyance élevant l’homme au dessus des horizons de ce monde, reporte surnaturellement son regard lassée vers le ciel. L’illusion en effet n’est plus possible. On a déclaré la guerre à tout ce qui est surnaturel, parce que, derrière le surnaturel, Dieu se trouve, et que ce que l’on veut rayer du cœur et de l’esprit de l’homme, c’est Dieu… », cité par J-P. Scot, op.cit, p. 296. On rencontre souvent ce même discours pathétique sous des plumes musulmanes et islamistes…
[30] Ministre de l’instruction publique (du gouvernement Waldeck-Rousseau) qui a pris le relève du petit père Combes rédacteur de la première mouture du projet de loi de 1904, et qui a magistralement manœuvré pour faire voter le texte de loi (après l’avoir débarrassé de l’extrémisme qui l’imprégnait…
ظلت فرنسا دولة مسيحية بمعان عدة[31]
ورغم أن المدرسة هي أهم بوتقة للصهر العلماني ولضمان إعادة إنتاج الهوية العلمانية للمجتمع والدولة فإن ذلك لم يمنع تلاميذ المدرسة الرسمية[32]
من ممارسة حرية ضميرهم الديني
[33] Allusion faite à la Loi FALLOUX (15 mars 1850) du nom du Comte/évêque (ministre de l’instruction publique au sein du gouvernement Odilon Barrot) qui en est l’auteur. Cette loi réinstaure le contrôle de l’école par l’Eglise, supprime la condition relative à la nécessaire obtention du « Brevet de capacité » pour l’ouverture des écoles ; elle crée d’autre part la possibilité pour les communes, les départements et l’Etat de subventionner les écoles libres (religieuses –catholiques- pour l’essentiel à l’époque) à hauteur de 10% des dépenses maximum).
[33] كما أن ذلك لم يمنع أيضا نشوء قطاع تعليمي تابع للكنائس في كل المستويات التعليمية من رياض الأطفال إلى المؤسسات الجامعية يؤمها حوالي ثلاثة ملايين طالبا وتلميذا، بل مضت الدولة إلى أكثر من الاعتراف بهذا النظام التعليمي الكنسي إلى الإسهام الفاعل في تغطية نفقات هذا التعليم
[35] كما أنه يوجد نظام تعليمي يهودي تابع للمؤسسة الدينية اليهودية
وفي الأخير نحن متأكدون أن هذه السياسة الفرنسية ــ لكونها ــ فجة وغير أخلاقية وغير علمانية تحررية ( …) فلن يكون لها من مآل غير الفشل[36]
[37] Ce qui apporte un démenti cinglant à la thèse structuraliste/vitaliste du Dr Rafik Bouchlaka telle qu’exposée dans son article « Laïcité et despotisme » (nahdha.net). Prétextant, en effet, de ce que les régimes despotiques arabes ont étatisé et la société et la religion, l’auteur en arrive à poser que la laïcité dans les pays concernés est un despotisme :
« تأميم المجال الديني ومعه الفضاء الاجتماعي بعد تفكيكه وتحويله إلى ذرات من الأفراد المتناثرين، ولذلك إذا كان هنالك من صفة جديرة بأن تحمل على مشروع العلمنة العربية والإسلامية فهي صفة الاستبداد والتسلط. فالعلمانية كما عبرت عن نفسها في الفضاء السياسي العربي والإسلامي لم تكن من طبيعة حيادية إزاء المسألة الدينية”
D’où le non-sens on ne peut plus flagrant, puisque par définition il ne peut y avoir de laïcité là où il n’y a point de séparation entre le politique et le religieux sur la base de la neutralité de l’Etat. Il semblerait que le Dr Bouchlaka ait voulu se « servir » de cette ignominie qu’est le despotisme aux seules fins de « réfuter » la validité, pourtant éprouvée, de la laïcité. Si rapport causal il devait y avoir entre les deux il serait beaucoup plus concevable de l’envisager plutôt dans le sens inverse : l’ersatz de laïcité sert de cache-sexe au despotisme… oriental. Le despotisme ne pouvait générer qu’un semblant de modernité avortée déjà depuis le tout début du XX siècle
[38] L’Islam est une religion relativement nouvelle en France et il lui faut, sans doute, un peu plus de temps pour rattraper tous les retards accusés par rapport aux autres monothéismes…
[39]Lettre sur la tolérance, Fleuron 1995, p. 24
[40] سلطة ومعارضة في تونس: نعم لإسلاميي الخارج لا لإسلاميي الداخل (حلقة2) : الشيخ راشد الغنوشي
La même idée est « martelée » dans pratiquement tous les écrits islamistes (Kardaoui, etc.) dont l’article précité du Dr Bouchlaka : « كان نشوء حركة العلمنة في العالم الإسلامي تعبيرا عن حالة تصدع وانقسام بين جيوب النخب وبين الفضاء الشعبي الواسع. فقد كان ظهور حركة العلمنة متزامنا مع نشأة خطاب رمزي وتداولي مع موجة التوسع الإمبريالي الغربي، وهو خطاب قاصر في حركته التبادلية والتواصلية على دائرة النخب الضيقة ومصادم للخطاب التداولي المحلي”
“ يسمي الكاتب الألماني جون جاتونغ هذه النخب الجديدة المرتبطة بنيويا بمراكز السيطرة الدولية بالنخب الجسرية التي أصبحت مؤتمنة على قيم الثقافة المهيمنة ومصالح قوى السيطرة الدولية أكثر من ائتمانها على القيم والمصالح المحلية لمجتمعاتها”
[41] Ou plutôt de renouer avec cet échange comme le rappelle Jack Goody dans « L’Islam en Europe : histoire, échange, conflits », La Découverte, 2004.
[42] Notamment l’avis n° 346.893, du 27 novembre 1989 sur « La laïcité de l’enseignement (Foulard islamique), Les grands avis du Conseil d’Etat, ouvrage collectif, Dalloz 1997 ; voir également « Droit et religion musulmane », Chams-eddine Hafiz et Gilles Devers, Dalloz, 2005. nous traitons de cette question ainsi que de la laïcité en général dans notre article (non encore achevé) « La réforme ratée de la loi de 1905 »
[43] « La sécularisation implique une relative et progressive perte de pertinence sociale du religieux, due principalement à un ensemble de d’évolutions sociales auxquelles la religion participe ou s’adapte. La laïcisation, elle, est avant tout l’œuvre du politique visant à réduire l’importance sociale de la religion comme institution, voire à la désinstitutionnaliser », J. Baubérot, Histoire de la laïcité française, op. cit., p. 23. (avec les renvois…) . Dans le même sens : Alain Roussillon « Ce qu’ils appellent « Liberté » : Rifââ Attahtâoui, ou l’invention (avortée) d’une modernité politique ottomane », Arabica, tome XLVII (2001), p. 143 à 185.
[44] B. Ghalioun, Islam et politique, op.cit, p. 132.
[45] Tabâî’ Al istibdâd Wa Masarâ’ Al Isti’bâd, Beyrouth, 1993, p. 139. Al Kawakibi a été assassiné (par empoisonnement) par les autorités ottomanes sclérosées qui ne pouvaient tolérer, rétrogrades et obscurantistes qu’elles étaient, son courage politique et sa liberté intellectuelle… Cette figure emblématique de l’Eveil arabo-musulman moderne n’est que très rarement cité dans la littérature politique islamiste et n’a jamais été considéré comme « martyr » !
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