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Le Monde: Mustapha Ben Jaafar et Nejib Chebbi,ou l’impossible alliance
TunisieIT: Tunisie : un journaliste français accusé de colporteur de rumeurs par le PDP
Human Rights Watch: Tunisie: Le respect des droits humains doit être proclamé dans la nouvelle constitution
Le Figaro: Les Tunisiens de France se sentent oubliés
Rue89: Tunisie : pourquoi le camp progressiste arrive aux élections divisé
Mustapha Ben Jaafar et Nejib Chebbi,ou l’impossible alliance
Christophe Ayad
L’un est tout en rondeurs et en compromis, l’autre tout en angles et en ruptures. Mustapha Ben Jaafar et Nejib Chebbi ont partagé les rigueurs de la dictature de Zine El-Abidine Ben Ali, mais aujourd’hui, ils sont les meilleurs ennemis de la scène politique tunisienne. Leur rivalité, attisée par les petites phrases et les soupçons, résument les divisions des « démocrates laïques» tunisiens à la veille d’une victoire aussi historique qu’annoncée des islamistes d’Ennahda au scrutin du 23 octobre.
Mustapha Ben Jaafar, 70 ans, fondateur du Forum démocratique pour le travail et les libertés (FDTL, social-démocrate, Ettakatol en arabe), a l’allure d’un notable de province, tandis que Nejib Chebbi, 67 ans, leader du Parti démocrate progressiste (PDP, centriste), cultive l’allure d’un Zaïm (chef) arabe. Ben Jaafar le médecin et Chebbi l’avocat ont payé cher leur opposition au régime Ben Ali : le premier a été empêché d’exercer pendant huit ans, le second a passé deux ans en prison. Tous deux ont été empêchés de se présenter à la présidentielle de 2009.
Unis contre la dictature, les deux hommes n’ont cessé de s’éloigner depuis la chute du régime, le 14 janvier 2011. Très vite, M.Chebbi s’est empressé de se proclamer candidat à la présidence de la République et a participé sans états d’âme au gouvernement de Mohammed Ghannouchi,aux côtés de membres du RCD, l’ancien parti présidentiel aujourd’hui dissout.
«Soutenu par Kamel Eltaief»
« Sa stratégie consistait à imputer toutes les tares de l’ancien système à Ben Ali et à sa famille pour tourner rapidement la page et récupérer l’électorat et les réseaux RCD, résume un observateur qui connaît bien les deux hommes. Ben Jaafar veut une épuration en profondeur, un changement de système. » Soutenu par les milieux d’affaires, conseillé par Kamel Eltayef, un puissant conseiller de Ben Ali tombé en disgrâce, M.Chebbi dispose de moyens de campagne conséquents, mais a brouillé son image. La chute de M.Ghannouchi en mars, sous la pression de la rue qui voulait une rupture franche, amis à mal la stratégie de M.Chebbi. Deuxième coup dur : le report des élections de juillet à octobre, qui a permis à M.Ben Jaafar, parti tel la tortue face au lièvre Chebbi, de rattraper son retard. Les derniers sondages, publiés en septembre, donnent leurs deux formations au coude à coude, autour de 15%.
«tout sauf Ennahda»
Mais le différend le plus profond entre le PDP et Ettakatol porte sur les relations avec le parti islamiste Ennahda. M.Chebbi, qui a axé toute sa campagne sur le «tout sauf Ennahda», accuse M.Ben Jaafar d’avoir passé une alliance secrète avec les islamistes, vainqueurs annoncés du scrutin. Il n’en a pas toujours été ainsi : en 2004-2005, M.Chebbi avait flirté avec Ennahda, alors interdit, rencontrant à deux reprises son fondateur, Rached Ghannouchi, alors en exil.
Aujourd’hui, M.Ben Jaafar nie tout accord,mais partage avec Ennahda plusieurs points: un gouvernement d’union nationale pendant la durée de la Constituante et l’installation d’un régime parlementaire. M.Chebbi plaide pour un président fort, costume dans lequel il se voit volontiers. Cet ex-militant baasiste, qui craint l’isolement, appelle à une large coalition des «démocrates». En avril, persuadé d’arriver largement en tête, il n’en avait pas voulu…
(Source: “Le Monde” (Quotidien – France) le 18 octobre 2011)
Tunisie : un journaliste français accusé de colporteur de rumeurs par le PDP
jeu.20.10.11 Le journaliste du quotidien français « Le Monde, Christophe Ayed vient de lâcher une vraie bombe qui risque de faire des vagues à quelques jours des élections. Dans un article intitulé « Mustapha Ben Jaafar et Nejib Chebbi, ou l’impossible alliance » paru le 18 octobre 2011, Christophe Ayed pointe du doigt deux des grands favoris à l’élection, le PDP de Nejib Chebbi et Ettakattol du Dr Mustapha Ben Jaafar). Christophe Ayed affirme dans son article que : « Néjib Chebbi est soutenu par les milieux d’affaires et est conseillé par Kamel Letaief » et que le parti Ettakattol est soupçonné «d’alliance secrète avec les islamistes, vainqueurs annoncés du scrutin». La stratégie du PDP consistait, quand à elle, « à imputer toutes les tares de l’ancien système à Ben Ali et à sa famille pour tourner rapidement la page et récupérer l’électorat et les réseaux RCD », ajoute l’auteur de l’article. Et si le docteur Mustapha Ben Jaafar a été fidèle à son caractère attentiste, maître Néjib Chebbi n’a quant à lui pas tardé à monter au créneau en réagissant illico à ces allégations. En effet, son parti qualifie « l’article en question, orienté pour ne pas dire biaisé, comporte une série d’accusations tendancieuses et de jugements manichéens à l’encontre de Ahmed Néjib Chebbi, fondateur du Parti Démocrate Progressiste. Aucun des « éléments à charge » contenus dans cet article n’est sourcé, étayé ou appuyé par une citation ». Dans sa réaction aux propos du journaliste, le PDP ajoute que « le minimum auquel on est en droit d’attendre d’un journaliste, qui plus est d’un journaliste exerçant dans un quotidien de référence, c’est qu’il fasse preuve d’un minimum de rigueur et de neutralité. Le rôle du journaliste est de vérifier, mais certainement pas de colporter des rumeurs, des ragots, des accusations gratuites à la limite de la diffamation. Or Monsieur Ayad n’a à aucun moment cherché à entrer en contact avec M. Chebbi, avec son cabinet ou avec aucun des responsables du parti. Il a structuré l’ensemble de son article autour d’un seul et unique « témoin » anonyme, présenté comme « un observateur qui connaît bien M. Chebbi». Christophe Ayed est même accusé de se livrer à une campagne de désinformation contre le PDP qui rappelle que « Ce n’est pas la première fois que la plume de Monsieur Ayad dérape, rappelle le parti. En effet, celui-ci, alors qu’il exerçait à Libération, avait commis un article dans lequel il mentionnait l’existence de contacts téléphoniques entre M. Ahmed Néjib Chebbi et le président déchu, Zine El Abidine Ben Ali (Libération, édition datée du 21 juin 2011). L’allégation ne reposant sur aucun élément de preuve, nous avions exercé un droit de réponse, qui avait été publié quelques jours plus tard par le quotidien français (édition datée du 1er juillet, page 8). Avant cela, par courtoisie, nous avions contacté le journaliste pour recueillir sa version des faits. Il avait alors admis, concernant notre droit de réponse ».
(Source: TunisieIT.COM LE 20 OCTOBRE 2011)
Lien: http://www.tunisiait.com/article.php?article=8527
Tunisie: Le respect des droits humains doit être proclamé dans la nouvelle constitution
PARIS – Les vieux militants de France devenus vigies de la révolution en Tunisie
Les Tunisiens de France se sentent oubliés
Ouvertes durant deux mois, les inscriptions sur les listes électorales n’ont pas été un grand succès. Dans la circonscription nord, seulement 50% des électeurs potentiels se sont enregistrés, selon un chiffre communiqué parl’instance régionale indépendante des élections (IRIE). Néanmoins, Ali Ben Ameur, président de l’IRIE-nord, estime que le nombre de votants devrait être bien plus important, tous les Tunisiens pouvant venir voter sur présentation d’une carte d’identité ou d’un passeport. «Il y a eu beaucoup d’interrogations à propos du vote. Beaucoup d’incompréhensions auxquelles nous avons dû répondre par mail ou lors de réunions publiques», explique-t-il en espérant que le travail de son institution permettra d’attirer les électeurs jeudi. Nesrine, étudiante, souligne presque ironiquement que si les Tunisiens ne se sont pas inscrits en masse sur les listes, c’est qu’ils «ne sont tout simplement pas habitués à voter».
«Pas d’inconscience mais de l’incompréhension»
Si l’IRIE pense qu’ils se déplaceront en nombre, les Tunisiens de l’étranger** se sentent tout de même un peu oubliés par les partis candidats à l’élection. «On ne connaît pasleurs programmes, ils ne communiquent pas», explique Naïm, de Nice. Cet étudiant de 21 ans déplore qu’il faille avoir accès aux chaînes de télévision tunisienne pour pouvoir s’informer correctement alors que «beaucoup de Tunisiens (de France) ne maîtrisent pas bien l’arabe». Une jeune femme qui a tenu à garder l’anonymat avoue ne connaître que quelques figures politiques comme Rached Ghannouchi, leader d’Ennahdha. Elle ignorait d’ailleurs qu’elle était en droit de voter bien que non-inscrite sur les listes.
Ali Ben Ameur souligne également que beaucoup pensaient qu’il s’agissait d’«élections législatives». Une incompréhension qui vient s’ajouter aux nombreux doutes des Tunisiens. «J’ai l’impression que la Tunisie est trop jeune pour savoir ce dont elle a besoin», lâche Naïm avant d’ajouter : «Il n’y a plus de leader donc c’est le flou là-bas comme ici». Mais il tient quand même à préciser que l’élection est importante pour ses compatriotes et que «s’ils ne savent pas qui soutenir, ce n’est pas de l’inconscience mais seulement de l’incompréhension».
«Les Islamistes ne nous font pas peur»
Ils sont nombreux (48 candidats au nord, 25 au sud) à être en lice pour une place à l’Assemblée constituante mais, de l’avis général, c’est le parti Ennahdha, favori des sondages, qui est le plus présent et le mieux placé. «Ils sont dans la rue et ils communiquent beaucoup», confirme Naïm. Ali Ben Ameur révèle même que les membres d’Ennahdha seront présents sur tous les points de vote pendant les élections. «C’est de loin le parti le plus fort», conclut-il.
Un parti que craint l’Occident qui voit en lui l’incarnation d’un parti islamiste qui ferait régresser le pays. «On utilise le terme islamiste à tort et à travers, il faut faire attention à ce que l’on dit», avance Naïm, pourtant pas partisan. «Le modèle d’Ennahdha, c’est la Turquie. Un pays qui s’articule autour d’une religion, notre religion», ajoute-t-il. Les inquiétudes formulées par les autres États dont la France lui semblent injustifiées tant qu’Ennahdha n’a «rien fait de mal». Nesrine ira voter pour ce parti «par conviction religieuse» même si elle ne connaît pas forcément le programme qu’il défend. Mais quel que soit le projet du parti, Naïm rappelle non sans fierté qu’«après avoir renversé Ben Ali, ce ne sont pas des Islamistes qui pourront faire peur aux Tunisiens».
*La circonscription nord (cinq élus) s’articule autour des consulats de Paris, Strasbourg et Pantin. La circonscription sud (cinq élus) comprend ceux de Lyon, Toulouse, Grenoble, Nice et Marseille.
**Outre la France, l’Italie (3 sièges), le Canada (2 sièges), Abu Dhabi (2 sièges) et l’Allemagne (1 siège) vont voter.
(Source: Lefigaro.fr le 20 octobre 2011)
Tunisiens à Paris : « On fera la queue jusqu’à demain s’il le faut ! »
Les Tunisiens de Paris se pressaient jeudi 20 octobre pour participer aux premières élections libres dans leur pays.
La plupart votent pour la première fois
Devant les portes du consulat, au milieu de la cohue, une jeune femme voilée se prend en photo avec son téléphone portable pour immortaliser cet instant trop attendu. « On fera la queue jusqu’à demain s’il le faut ! » avertit Khadharoui Moez, un électricien arrivé en France il y a quatre ans. Aujourd’hui, il votera pour le parti islamiste Ennahda, donné favori pour ces élections, après être allé à plusieurs réunions organisées par le parti, à Montreuil notamment. La plupart votent pour la première fois. C’est le cas de Halem Kochbati. Ce jeune doctorant de 28 ans a suivi la révolution de février, depuis Paris, grâce aux réseaux sociaux. Ce vote lui permet maintenant de « participer à la construction de la nouvelle Tunisie ». Halem votera donc pour le CPR (Congrès pour la république), un parti fondé en 2001 qui demandait déjà une nouvelle constitution pour garantir les libertés fondamentales et la séparation des pouvoirs. Ce qui lui avait valu, en 2002, d’être interdit par le régime du dictateur déchu.
« Ce vote est un essai »
L’émotion est perceptible dans toutes les voix. « Je viens voter aujourd’hui car c’est un rêve qui devient réalité, jamais je n’aurais pensé que cela aurait été possible un jour » confie Salma Esseghir, une étudiante en pharmacie installée à Paris depuis sept ans. Salma donnera son bulletin de vote au PDM (Parti démocrate progressiste) car elle veut « répartir les richesses, lutter contre le chômage et protéger le droit du travail ». Samir Bouzidi, journaliste franco-tunisien de 36 ans, entend, quant à lui, honorer « la mémoire des victimes tombées pendant la révolution » et lui donner un deuxième élan. La multiplicité des candidatures – plus de 100 partis ont été agréés pour l’élection – ne l’a certes pas aidé à faire son choix. « Mais ne nous trompons pas de combat : ce vote est un essai, les élections importantes sont celles qui viendront après », dit-il en référence aux prochaines élections présidentielle et législatives. Les résultats ne seront annoncés qu’après la clôture du vote, dimanche 23 octobre, en Tunisie. « Il y aura des surprises, prévient Samir Bouzidi. Si Ennahda emportait les élections, ce ne serait pas un problème mais disons, une… contrariété. Nous respecterons le résultat du vote, car, pour une fois, le peuple aura décidé ».
Tunisie : pourquoi le camp progressiste arrive aux élections divisé
Mardi soir, France 24 annonçait la constitution d’un Front démocratique pour rassembler les forces progressistes, constitué du PDP, du Pôle démocratique moderniste (PDM) qui est lui-même est une coalition, d’Afek Tounes et du Parti du travail tunisien, face aux islamistes d’Ennahdha. Le FDTL ayant refusé l’offre.
Mercredi, Riadh Ben Fadhel, coordinateur national du PDM déclarait explicitement :
« Nous démentons l’existence d’un tel accord, de toute discussion dans les coulisses, de toute stratégie de combinazione. Mais nous maintenons la porte à ouverte à un regroupement le plus large possible dès le lendemain de l’élection, des élus partageant le même projet de société. »
L’initiative semble le fait du seul PDP et de son leader, Ahmed Nejib Chebbi, pour se positionner en chef de file du camp progressiste.
Les non-initiés aux nouvelles subtilités de la politique tunisienne seront peut-être un peu déroutés (qu’ils fassent vite un détour par ici). Cette péripétie pré-électorale illustre pourtant l’un des enjeux majeurs de cette période post-dictature : la difficulté pour les partis plus ou moins de gauche à se doter d’une stratégie commune, alors que les islamistes sont parvenus à polariser le champ politique autour d’eux.
Première force politique du pays
Le PDM s’est constitué, à partir du mois d’avril, pour rassembler les forces politiques progressistes autour d’un projet de société reposant clairement sur la séparation du politique et du religieux, afin de contrer celui des islamistes. D’accord sur le fond, le PDP et Afek Tounes ont préféré, pour diverses raisons, jouer leur propre carte. Le FDTL a opté pour une autre stratégie.
Riadh Ben Fadhel déplore cette absence d’unité :
« Il est clair si l’ensemble des partis progressistes s’étaient rassemblés, ils constitueraient aujourd’hui la première force politique du pays ».
Cette situation s’explique partiellement par la rivalités des ambitions entre les ténors de l’opposition d’hier : Ahmed Nejib Chebbi pour le PDP, Mustapha Ben Jaafar pour le FDTL, Ahmed Brahim pour Ettajdid (principale composante du PDM).
Nejib Chebbi et Ben Jaafar, notamment, nourrissent des ambitions présidentielles. Le mode de scrutin proportionnel a favorisé également les stratégies solitaires. Une liste indépendante, Doustourna, dont les idées sont proches du PDM, mais en faveur d’une laïcisation explicite de l’article 1er de la Constitution qui affirme que la « la religion de la Tunisie est l’islam, a tenté sa chance dans neuf circonscritions. Et dans certains cas, des militants du mouvement Ettajdid ont refusé de soutenir les listes du PDM et constitué des listes indépendantes.
Mais la raison essentielle n’est pas là. Elle tient à de véritables différences d’appréciation dans l’évaluation des priorités.
“Le modèle de société n’est pas l’enjeu”
A l’extrême gauche, Hamma Hamami estime qu’il faut relativiser la force d’Ennahdha :
“ La question de l’islamisme n’est pas une préoccupation pour une majorité de la population pour qui le problème principal est socio-économique d’abord, et politique ensuite.
Notre préoccupation, c’est que Ennahdha, le PDP et d’autres veulent accéder au pouvoir et succéder au RCD pour représenter la grande bourgeoisie et les intérêts étrangers, en procédant à des aménagements politiques sans rupture économique. ”
Khellil Ezzaouia, porte-parole du FDTL partage le même constat sur les priorités :
“ Le thème de l’identité sert de brouillage et occulte la persistance de l’ancien système.
La priorité, c’est la rupture avec le RCD, c’est d’éradiquer les résistances, de procéder à une épuration progressive et sans conflit en commençant par écarter les cadres irrécupérables de l’administration.
En d’autres termes, le modèle de société n’est pas l’enjeu et la stratégie de l’exclusion n’est pas la bonne. Ennahdha a sa place dans le jeu politique, il faut accepter le débat.
La surenchère identitaire va se dégonfler après les élections quand les partis islamistes et nationalistes seront ramenés à leur juste proportion. ”
Sur une question emblématique de l’option moderniste qu’est l’égalité entre hommes et femmes dans l’héritage, le FDTL estime qu’il ne faut pas brusquer une société encore attachées aux références religieuses :
“ Il faut être progressif et faire preuve de pédagogie pour ne pas réveiller la surenchère autour de la religion. Nous sommes partisans de modifier progressivement les habitudes sociales. ”
Le mouvement du 18 octobre
La difficulté à s’unir s’enracine aussi dans les différends nés au temps de la dictature : “ La crainte de l’islamisme a poussé une partie de la gauche vers Ben Ali ”, rappelle Khellil Ezzaouia. De même, les hésitations entre le 13 janvier, jour du discours dans lequel Ben Ali annonçait l’intention de ne pas se représenter, et la destitution du second gouvernement Ghannouchi encore lié au RCD, le 5 mars, ont laissé des traces.
Un événement majeur détermine les relations avec les islamistes, c’est le mouvement du 18 octobre 2005 : une grève de la faim pendant le sommet mondial de l’information à Tunis, portant une plateforme pour la démocratisation du régime portée conjointement par le CPR, le FDTL, le PDP, le PCOT et Ennahdha. Cet épisode de confrontation commune avec le régime, a créé des liens entre ces formations (à l’exception du PDP).
Plus fondamentalement, pendant les années Ben Ali, les forces progressistes se sont concentrées sur l’opposition au régime, entre marginalité et clandestinité. La fin inattendue du régime les a prises de court et leur a laissé peu de temps pour proposer un projet de société élaboré dans une relation avec la population encore impossible il y a peu.
Quel gouvernement après le 23 octobre ?
Comment ces différences de stratégie vont-elles se traduire dans la future Constituante. Ce qu’on discerne dès à présent, c’est une divergence de fond sur le type de gouvernement qu’il faudra former.
D’un côté Mustapha Ben Jaafar, pour le FDTL, envisage la formation d’un “ gouvernement d’union nationale avec comme priorité la réalisation de la sécurité et la stabilité sociale ”.
De l’autre, Riadh Ben Fadhel, pour le PDM défend une autre option :
“ Nous préconisons la formation d’un gouvernement de technocrates afin que l’Assemblée puisse se concentrer sur la rédaction de la Constitution. Nous excluons toute alliance avec un parti qui ne respecte pas la séparation du politique et du religion, et avec toute formation issue du RCD dissous. ”
Les premiers jours de la Constituante s’annoncent tendus et mouvementés.
(Source: rue89 le 20 octobre 2011)
Ennahda, la «renaissance» islamiste
Tunisie |Le mouvement Ennahda affiche partout le visage du triomphe attendu pour la première élection libre de l’histoire du pays
«Je ne suis pas vraiment pratiquant. Je bois de l’alcool. Mais c’est le seul parti en lequel j’ai confiance», se confie Jamel, 40 ans, sans emploi, dans un bar enfumé de Tunis. Jamel n’a pas vraiment le profil du «barbu». Mais dimanche, lors de l’élection de l’Assemblée constituante, première élection libre du pays, c’est la liste d’Ennahda, le parti islamiste de Rached Ghannouchi, de retour au pays après vingt-deux ans d’exil, qu’il glissera dans l’urne. Selon les sondages, entre 20 et 30% des votants en feront de même. Peut-être bien davantage. C’est d’ailleurs la seule formation qui semble se dégager des quelque 110 partis lancés dans la course.
Nombreux sont ceux qui s’en inquiètent, y voyant un péril pour la Tunisie moderne, dans un spectre d’arguments allant du prix de la bière à la défense des valeurs laïques dont est empreinte la société. Il y a quatre jours, 5000 personnes sont d’ailleurs descendues dans la rue à Tunis pour crier leur attachement à la laïcité.
Convaincu que l’islamisme, comme ailleurs, conduira à l’aliénation et, inévitablement, à l’affrontement, Bechir, professeur de philosophie à Nabeul, se lamente: «Les figures de la gauche qui auraient pu prendre le relais de la révolution paient aujourd’hui le prix de leur compromission avec Ben Ali, qui leur avait laissé des ministères – l’éducation, la police – pour mieux contrer les islamistes. Aujourd’hui, Ennahda, «Renaissance» en français, apparaît aux yeux de nombre de Tunisiens comme la seule mouvance à avoir véritablement les mains propres.»
Emergence fulgurante
Ennahda – 30 000 prisonniers politiques sous Ben Ali – a le poids des vrais résistants. Il présente son mouvement comme un brasier jamais éteint malgré l’étouffoir de l’ancien régime. La rapidité avec laquelle il émerge, avec des listes dans chacune des 27 circonscriptions, étonne toutefois. Victime d’éradication par le régime hier, le voilà omniprésent dans la campagne, au point que toutes les rumeurs circulent sur son «financement international». «Ennahda est incontestablement le mieux organisé de tous les partis», commente sous anonymat l’un des observateurs internationaux qui suivent le déroulement du scrutin. «A la campagne, contrairement à d’autres, Ennahda n’a eu aucun mal à trouver des hommes et des femmes (ndlr: le scrutin impose la parité) très bien formés pour figurer sur ses listes. Ses membres vont chercher les gens par bus entiers dans les villages pour les amener dans ses meetings.» Le parti, censuré par les grands médias, a même son propre journal.
C’est à Sidi Bouzid, 40% de sans-emploi, la ville où s’est déclenchée la révolution, qu’Ennahda avait choisi le 1er octobre de lancer sa campagne nationale. Dans un immeuble luxueux pour la région, qui héberge aussi un organe baasiste à l’effigie de Saddam Hussein et le siège du parti maghrébin, ses bureaux se distinguent des très modestes QG des autres partis. Une nuée de personnes s’y affairent: «Sidi Bouzid est bien sûr une ville symbole. Nous y avons de grands projets», affirme Beya Jawadi, avocate et tête de liste No 2 d’Ennahda dans cette circonscription. «Par un système de bonus favorisant le centre du pays, totalement oublié de Ben Ali, nous créerons toutes les infrastructures nécessaires au développement économique et social», précise le No 3, un instituteur dont les convictions l’ont contraint à vingt-quatre ans de chômage forcé.
Redistribution des terres avec mécanisation de l’agriculture, création d’usines et d’un campus universitaire en sciences, technologie, médecine et pharmacie, le parti a des idées pour tous les secteurs. Nasreddine, 38 ans, enseignant du secondaire à Sidi Bouzid, est convaincu: «Lorsqu’on respecte autant les enseignements de Dieu, on ne peut pas être mauvais. Ce sont des purs.»
Moralisation de la société et développement socio-économique pour les défavorisés sont les clés du discours d’Ennahda, qui cite souvent le modèle turc. Non, «aucune contrainte liée à la tenue vestimentaire de la femme» n’est prévue dans son programme, jure-t-il à tous ceux qui se méfient d’un double langage. Et il a trouvé des alliés inattendus. Abou Yaareb Marzouki, philosophe et figure des intellectuels tunisiens, s’est porté en tête de liste des couleurs islamistes à Tunis, dans les quartiers populaires, à la surprise générale. «Je suis indépendant, mais j’adhère au projet d’Ennahda car il est le seul à promouvoir la justice sociale et la vraie modernité authentique: celle qui valorise le travail et la fraternité, pas celle de la consommation», nous confie-t-il.
Un vrai programme
Le parti sait aussi ajuster son discours là où il le faut. Sur les côtes, où l’on semble plus réticent à voter islamiste de peur d’une désertion des touristes, Ennahda a promis le développement d’un tourisme d’affaires, notamment tourné vers le Moyen-Orient, mais aussi la fin des formules «all inclusive» dans les hôtels qui privent les petites gens des retombées du tourisme. Mourad, 25 ans, qui tient un petit commerce près de la plage de Nabeul, y est réceptif: «C’est le seul parti qui est venu nous présenter un vrai programme. Les autres savent juste brandir des dépliants publicitaires sous notre nez. Parfois même de l’argent. Mais que proposent-ils de concret? Rien.»
(Source: La Tribune de Genève le 18 octobre 2011)
Lien: http://www.tdg.ch/ennahda-renaissance-islamiste-2011-10-18