20 novembre 2010

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TUNISNEWS 
  10 ème année, N° 3833 du 20.11.2010
 archives : www.tunisnews.net 


Assabilonline: Ali Afif Isbaï, l’histoire d’une lutte, de souffrances et de privations

Kalima: L’étudiant Jamil Abdelli est détenu par la sécurité d’Etat

Kalima: TMG-IFEX:5 ans après le SMSI,la liberté d’expression continue dêtre criminalisée

Kalima: D’anciens hauts responsables boycottent les festivités de l’Aïd à Monastir

AFP: Libye: un ingénieur torturé et décédé, preuve du manque de justice
Magharebia: Les femmes musulmanes s’unissent contre les violences sexuelles

Prof. Taoufik BACHROUCH: Démocratie et Ijtihad 3


Ali Afif Isbaï, l’histoire d’une lutte, de souffrances et de privations


 

Assabilonline, Tunisie

vidéo :http://www.youtube.com/watch?v=id7_57RxfqU&feature=player_embedded )

Un cheikh de quatre vingt ans

Privé de l’accomplissement du pèlerinage

Privé de passeport

Privé de rencontre avec son fils à l’étranger depuis 21 ans

Il a étudié à l’université Zitouna et était membre du comité central de la Voix de l’Etudiant Zitounien qui appelait à développer les programmes de l’enseignement zitounien et à l’adapter aux exigences de l’époque puis a terminé ses études à la faculté de Charia et des origines de la religion où il obtenu la licence en 1970. Il a enseigné dans l’île de Jerba pendant un an puis s’est rendu en Libye pour enseigner pendant cinq ans. Lors de son retour il a été désigné professeur au lycée secondaire de Gabès ; il y a enseigné pendant un an et a dû interrompre l’enseignement trois ans pour des raisons de santé.

« En 1984, un événement grave s’est produit devant chez moi, qui a été à l’origine du renforcement du contrôle sur moi, c’est la mort en martyre de l’étudiant Othman Ben Mahmoud, à la suite d’une poursuite de la Sûreté et d’un tir de coup de feu » , « en 1987, mon fils Temmam a été arrêté alors qu’il était étudiant en troisième année, en raison de son activité au sein de l’Union Générale Tunisienne des Etudiants, puis j’ai été arrêté et j’ai passé plusieurs mois en prison »

L’ex prisonnier politique Ali Isbaï a été arrêté une seconde fois en 1990 et il a passé six ans et demi en prison. Il avait été condamné à cinq ans de contrôle administratif : « j’ai dû signer quotidiennement au poste de police et pendant un an et demi environ au poste de la garde nationale et de la police. Pendant cette période mon domicile faisait l’objet de descentes tard dans la nuit. On m’emmenait pour m’interroger pendant une heure ou une heure et demi et quelquefois deux heures. A la fin du contrôle administratif en 2003, j’ai demandé à pouvoir m’acquitter du pèlerinage et à avoir mon passeport, mais je n’ai reçu aucune réponse »

Le cheikh Isbaï a présenté chaque année dune demande pour se rendre au pèlerinage. La sixième fois avant sa demande, le pèlerinage a été supprimé en Tunisie, à savoir l’année passée, et ce pour la première fois dans l’histoire du pays au prétexte de la grippe porcine.

Isbaï n’a pas obtenu son passeport, il a présenté une demande en 2008 et a déposé les documents requis, ainsi qu’un timbre fiscal de 60 dinars […) il a présenté une autre demande en 2010 et a payé le montant du timbre et les documents pour s’acquitter du pèlerinage de 2010, mais une fois de plus l’occasion de faire le pèlerinage a été manquée [. ;;] « J’ai 79 ans, je vais sur 80 ans et je ne me suis jamais acquitté de l’obligation du pèlerinage avant […] j‘en ressens une immense douleur. D’autre part mon fils Temmam qui a quitté la Tunisie en 1990 en raison des filatures policières dues à son militantisme estudiantin et son appartenance au mouvement islamique, je ne l’ai pas revu. Aujourd’hui il vit en Suède. […] A l’occasion de l’Aïd, j’adresse une invocation à mon fils que je n’ai pas revu depuis 21 ans. J’adresse le même salut aux frères exilés, interdits de retour dans leurs pays et de résidence dans leurs familles  […]
Tunis, Abdessalam Toukabri

(Traduction d’extraits ni revue ni corrigée par les auteurs de la version en arabe, LT)


L’étudiant Jamil Abdelli est détenu par la sécurité d’Etat


Proposé par redaction le Vendredi 19 novembre 2010

Le susbstitut du procureur de la République de Gafsa à indiqué le matin du 19, aux proches de Jamil Abdelli, enlevé le samedi 13 novembre par les agents de la brigade de sécurité de l’Etat, que l’étudiant originaire de Ben Aoun se trouve dans les locaux du ministère de l’Intérieur à Tunis, pour des suspiscions de crimes en relation avec la loi de lutte contre le terrorisme.

 On était sans nouvelles de cet étudiant en deuxième année de génie civil à l’institut supérieur de technologie de Gafsa, enlevé devant des camarades près de son domicile où ils ont saisi son ordinateur, avant de l’emmener vers une destination inconnue.

Les avocats, qui ont assisté la famille dans ses recherches, considèrent que ces pratiques sont assimilables à un enlèvement, vu qu’elle sont soustraites au contrôle de l’autorité judiciaire et que le délai légal de garde à vue a été dépassé.

Les organisations de droits humains ont exprimé de sérieuses craintes que le jeune Abdelli n’ait pas pu être présenté à la justice à cause de la torture dont la brigade de sécurité de l’Etat fait usage systématiquement, une pratique favorisée par l’opacité des interrogatoires.   

(Source :Le site de radio  “Kalima” le 19-11-2010)
Lien :http://www.kalima-tunisie.info/fr/modules.php?name=News&file=article&sid=326

 

TMG-IFEX:5 ans après le SMSI,la liberté d’expression continue dêtre criminalisée


Proposé par redaction le Jeudi 18 novembre 2010


Le Groupe d’observation de la Tunisie de IFEX a publié le 18 novembre une déclaration qui fait le point sur l’état de la liberté d’expression en Tunisie cinq ans après la tenue du Sommet mondial sur la société de l’information (SMSI) organisé par les Nations Unies sur la présomption que la libre expression progresserait dans le pays.

Le groupe constate que la Tunisie « demeure l’un des pays les plus répressifs pour les journalistes indépendants, les blogueurs et les défenseurs des droits de la personne. L’accès à l’Internet est lourdement censuré, les sites web indépendants sont bloqués ou piratés, et les courriels et appels téléphoniques sont interceptés. »

 Au lieu de cela, l’assaut contre la liberté d’expression continue de s’intensifier.
 Trois journalistes ont été incarcérés en moins de dix mois.

 Zouhaier Makhlouf,Taoufik Ben Brik et Fahem Boukaddous qui purge actuellement une peine de quatre ans d’emprisonnement.

 Le président du TMG de l’IFEX, Rohan Jayasekera, a déclaré à ce propos “Nous sommes profondément troublés par le recours toujours aussi intense aux mesures administratives et aux tribunaux pour étouffer la liberté d’expression, et par l’affirmation dénuée de tout fondement proférée le 7 novembre par le Président Ben Ali selon laquelle aucun Tunisien n’a jamais été harcelé ni emprisonné à cause de ses opinions critiques” .

 Les membres du TMG de l’IFEX ont effectué une mission en Tunisie en avril et en mai, et ont rapporté que les journalistes et les juges indépendants étaient persécutés et que les demandes d’autorisation de journaux indépendants ou de fréquences radio indépendantes étaient ignorées.
 Alors que le gouvernement a autorisé depuis 2003 le lancement de cinq stations de radio privées – appartenant toutes à des parents du Président Ben Ali, ou à des proches.

 Les journalistes sont traînés devant les tribunaux de façon répétée, comme dans le cas de Mouldi Zouabi, de la station Radio Kalima, littéralement en état de siège, ou harcelés comme Ben Brik et Lotfi Hajji.

 La guerre contre la liberté d’expression s’est intensifiée avec l’adoption à la mi-juin d’un amendement de l’Article 61bis du Code pénal, qui punit tout citoyen tunisien qui établit des “contacts avec des agents d’une puissance étrangère ou d’une organisation étrangère dans le but de l’inciter à nuire aux intérêts vitaux” de la Tunisie et à sa “sécurité économique” L’adoption de cette loi est survenu après qu’un groupe de défenseurs tunisiens eut rencontré de hauts responsables de l’Union européenne au sujet du “statut avancé” que sollicite le gouvernement.

 (Source :Le site de radio  “Kalima” le 18-11-2010)
Lien :http://www.kalima-tunisie.info/fr/modules.php?name=News&file=article&sid=325
 


D’anciens hauts responsables boycottent les festivités de l’Aïd à Monastir


Proposé par redaction le Jeudi 18 novembre 2010
Un certain nombre d’anciens responsables de l’Etat ont refusé de présenter leurs voeux au gouverneur de Monastir à l’occasion de l’Aïd al-Adha durant la cérémonie qui se tient traditionnellement à cette occasion.

Ce boycott serait motivé, selon les sources de Kalima, par les agissements débridés du fils du gouverneur, Haythem Jbeniani, qui s’approprierait de façon peu catholique des biens fonciers et immobiliers, en usant de la fonction officielle de son père.
 Rappelons que plusieurs anciens hauts responsables (dont Ahmed Kellala, Abdallah Bachir et Moncef El Herguli) abvaient saisi le président de la république de ces pratiques répétées lésant des personnes et abusant des biens publics.

 (Source :Le site de radio  “Kalima” le 18-11-2010)
Lien: http://www.kalima-tunisie.info/fr/modules.php?name=News&file=article&sid=324
 


Libye: un ingénieur torturé et décédé, preuve du manque de justice


AFP – le 19 novembre 2010, 18h42

Trois ONG ont dénoncé vendredi le recours à la torture en Libye où la justice est, selon elles, “sous le contrôle de l’executif”, comme l’illustre la mort d’un ingénieur de 30 ans décédé peu après sa mise en détention à la suite de sévices.

Trois ONG ont dénoncé vendredi le recours à la torture en Libye où la justice est, selon elles, “sous le contrôle de l’executif”, comme l’illustre la mort d’un ingénieur de 30 ans décédé peu après sa mise en détention à la suite de sévices.
Emprisonné en 2006, Ismail Al-Khazmi, est décédé quelques jours après son incarcération, ont expliqué les organisations non gouvernementales Trial, Human Rights Watch et Alkarama dans un communiqué.
“Ce cas illustre pièces à l’appui que la torture est utilisée jusqu’à ce que mort s’ensuive et qu’il existe un mécanisme d’impunité institutionnalisé”, a déclaré à l’AFP Philip Grant, porte-parole de Trial, une ONG spécialisée dans la traque des responsables de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité.
Il a souligné avoir obtenu plusieurs documents officiels, dont le rapport d’autopsie, démontrant que la torture a bien eu lieu et que les autorités politiques ont refusé que l’enquête se fasse.
“En Libye, le pouvoir judiciaire est sous contrôle de l’exécutif”, a déploré M. Grant.
En 2008, le cas de cet ingénieur avait été présenté par les ONG au nom de la famille de la victime devant le Comité des droits de l’Homme de l’ONU à Genève, qui doit, selon M. Grant, publier ses conclusions et recommandations en 2011.
En outre, les ONG ont demandé à plusieurs rapporteurs spéciaux de l’ONU sur les droits de l’Homme d’interpeller la Libye et d’obtenir des éclaircissements sur cette violation des droits de l’Homme, a précisé le responsable de Trial.
Il a également indiqué que “tout laissait à penser qu’Ismail Al-Khazmi avait été détenu pour des raisons politiques”.

 

Les femmes musulmanes s’unissent contre les violences sexuelles


19/11/2010

Une grande campagne en direction de l’opinion publique a récemment attiré l’attention de la communauté internationale sur les questions assez méconnues du harcèlement sexuel et des violences envers les femmes dans les pays musulmans.

Par Jamel Arfaoui pour Magharebia à Tunis — 19/11/10

Des dizaines d’associations féminines d’Afrique, d’Europe, du Moyen Orient et d’Asie ont joint leurs forces la semaine dernière dans le cadre d’une immense campagne orchestrée par la Coalition pour les droits sexuels et corporels dans les sociétés musulmanes (Coalition for Sexual and Bodily Rights – CSBR). 
Dans le cadre de cette manifestation “Un jour, un combat” organisée simultanément en plusieurs endroits, mercredi 9 novembre, des manifestations publiques, des projections de films, des spectacles de théâtre et des ateliers ont été organisés au Bangladesh, en Egypte, au Ghana, en Indonésie, en Iran, au Liban, en Malaisie, au Pakistan, en Palestine, au Soudan, en Turquie et en Tunisie. 

Cette initiative mondiale visait à attirer l’attention des sociétés musulmanes sur les abus sexuels, les mutilations génitales, les meurtres pour l’honneur, la lapidation ou la flagellation des femmes, et le “droit à l’intégrité corporelle et sexuelle de toutes les personnes”, a indiqué le CSBR. 

Cette journée a été une déclaration d’action contre “toutes les forces réactionnaires qui cherchent à contrôler, disposer et prendre possession du corps des femmes”, a expliqué Sanaa Benachour, présidente de l’Association des femmes démocrates de Tunisie, lors d’un forum organisé à Tunis pour marquer cet évènement. 

“Nous voulons prendre certaines mesures pour venir à bout de l’hypocrisie sociale, de l’oppression culturelle et de la coercition politique, et pour nous permettre d’ouvrir un débat sérieux sur les droits sexuels et physiques”, a-t-elle ajouté. 

Les droits corporels prévoient la protection contre le harcèlement sexuel. Cette question revêt une importance particulière en Tunisie, le seul pays du Maghreb à participer à cette campagne internationale. 

Le harcèlement et les abus sexuels restent parmi les délits les moins signalés et les moins efficacement traités en Tunisie, a expliqué Me Faouzi ben Mrad, avocat, aux participants de ce forum. 

“Le Code pénal doit être revu. Il souffre de plusieurs lacunes, notamment dans la mesure où la législation tunisienne n’utilise pas le terme “violence sexuelle”, mais parle plutôt de délits de viol, de prostitution publique ou d’obscénité”, a ajouté Me ben Mrad. 

Bien que la peine pour viol soit la prison à vie en Tunisie, le pays est encore en retard par rapport à l’Algérie et au Maroc en matière de harcèlement, a-t-il précisé. 

“La victime ne peut porter plainte directement auprès du tribunal ; elle doit le faire par le biais du procureur de la République, qui décide si le cas doit ou non être déféré au juge. Mais même dans ce cas, la victime peut être légalement poursuivie si l’accusé est acquitté”, a-t-il précisé. 
Les femmes tunisiennes se plaignent d’avoir à endurer de fréquentes violations sur leur lieu de travail ou dans la rue. 

“Je souffre de harcèlement tous les jours, mais je ne peux porter plainte parce que je ne peux fournir les preuves nécessaires, ce qui pourrait me placer en situation d’accusée”, a déclaré Sarah, une enseignante. 

Pour sa part, la coordinatrice du Comité national des femmes travailleuses Najoua Makhlouf a apporté des témoignages de femmes au travail sujettes à des abus, expliquant que “elles sont issues de milieux modestes et ont besoin de ces emplois en usine, et se retrouvent parfois obligées de céder aux avances de leurs supérieurs par crainte de perdre leurs moyens de subsistance”. 

L’année dernière, avec l’aide de comités pour les droits des femmes, une femme salariée dans un hôpital privé a osé intenter un procès pour harcèlement sexuel contre le propriétaire de cet hôpital. Le tribunal lui a rendu justice et lui a accordé 80 000 dinars d’indemnisation. Le propriétaire a dû fermer son établissement, mais la victime a décidé de ne pas porter plainte au civil contre lui. 

Bochra Bel Haj Hmida, avocate et ancienne présidente de l’Association tunisienne des femmes démocrates, a souligné la nécessité de lois assurant un suivi psychologique et social pour les femmes et les enfants victimes de violences sexuelles. 

Elle a présenté le cas d’une jeune fille qui avait été séduite par son compagnon, puis agressée sexuellement par un groupe d’hommes jeunes. Le tribunal avait décidé que la victime de ce viol s’était livrée à la prostitution et l’avait condamnée à une peine de prison. 

“Nous ne devrions pas nous contenter de punir le coupable, il faut mettre en place une procédure de suivi des victimes”, a-t-elle conclu.

Démocratie et Ijtihad 3


Prof. Taoufik BACHROUCH
 
   Bien que la laïcité soit proclamée à cor et à cri, bien que la Faculté de théologie de la Zitouna fût jetée aux orties, et bien qu’une nouvelle mouture de l’enseignement religieux ait vu le jour en lieu et place, il ne reste pas moins que jusqu’à ce jour, l’Islam n’a pas été chez nous l’objet d’une discipline académique qui soit vouée à l’étude critique et comparée des religions. La question se pose de savoir si nos études religieuses, telles qu’elles ont cours aujourd’hui, et portant sur les faits religieux, ont dépassé le stade dogmatique pour s’ouvrir à un enseignement positif des religions, libre de sa problématique et franc de ses outils de travail. Que de tentatives infructueuses ! On a reproché à M. Arkoun le français d’avoir eu une conception trop anthropologique de la religion musulmane, et à Shahrour le syrien de ne pas avoir su se dégager d’une lecture linguistique du Coran. Lorsque Gamal al-Banna l’égyptien conditionne l’Ijtihad à la raison, aux valeurs dominantes que le Coran recèle, à la sunna et aux coutumes, il n’innove pas quant au fond et sa prétention ne tient pas ses promesses d’un dépassement qualitatif. La modernité intellectuelle se trouve en situation d’échec. Le problème est que nous ne disposons pas encore et toujours d’un enseignement religieux indépendant de l’Etat (comme l’avait été la Zitouna), d’un enseignement qui soit franchement libre et critique face à la théologie musulmane, mais respectueux quand même de la chose révélée. Le transfert de compétence de la théologie aux disciplines historiques en ce qui concerne le discours universitaire sur la religion ne s’est pas encore réalisé, chez nous, malgré les rares tentatives individuelles, mais timorées, qu’il nous a été donné de connaître.  Nos laïcs n’on pas produit un véritable substitut laïque aux disciplines théologiques, telles qu’elles sont encore pratiquées dans l’enseignement supérieur tunisien. Ils n’ont pas donné un sens nouveau au fait religieux. Ils dupliquent des mots d’ordre étrangers. La laïcité tunisienne qui veille à ne pas transgresser la religion, comme dans l’ordre juridique, reste quand même une laïcité sous influence. L’Islam est décentralisation et pluralisme, pour que tout le monde trouve son compte. Un pluralisme politique sans pluralisme religieux est impensable. Serions nous plus démocratiques qu’Israël qui pratique le pluralisme religieux en autonomie ?

  Si des Musulmans s’émeuvent au point de verser dans l’action directe, c’est que la question religieuse a été bafouée quelque part, aussi bien par les politiciens que par les théoriciens du sérail, puisque la laïcité n’a pas donné un sens nouveau au fait religieux, comme elle est en devoir de le faire, face à des personnes en quête de Salut, ce à quoi ils ont droit. 

 Si l’Etat ne doit pas être régi par un personnel religieux, en revanche, il sied de ne pas mettre la vie publique uniquement sous la coupe des laïcs. Si l’Islam est rangé dans la sphère privée, pourquoi l’Etat le prend-il en charge et en tient-il compte dans la marche de l’Etat ? Il déclare s’interdire de s’ingérer dans les affaires religieuses, ce qui n’est pas du goût des ultras parmi les laïcs du cru. Et quoiqu’il fasse pour paraître bienveillant à l’endroit de la religion, un péché originel lui colle à la peau. Si la laïcité incarne l’esprit démocratique du peuple tunisien en acte, alors nous sommes loin et de l’une et de l’autre. La laïcité n’organise pas encore le lien social comme la religion peut le faire, et ne peut consoler les laissés pour compte au même titre. Elle ne prend pas encore la diversité de manière juste et satisfaisante. Nul n’a le droit d’imposer ses choix. Pas même l’Etat et encore moins les tenants de la religion : les affaires de conscience ne sont pas de leur ressort exclusif. Or l’Etat n’est-il pas un ordonnateur du culte ?

  L’Ijtihad a été la bouteille à l’encre pendant longtemps et il reste encore des Orientalistes pour nous y convier avec condescendance, alors que la manière dont il a été posé a conduit à l’échec de la modernité intellectuelle, celle dont nous pâtissons aujourd’hui. Comment être laïc sans tomber dans la transgression, et sans imposer la laïcité impérativement à ceux qui n’en veulent pas, en vouant l’Etat à l’accomplissement de cette tâche, telle est la bonne question. Nos laïcs ne placent pas en fait la liberté de conscience au premier plan de leurs préoccupations ; ils n’ont d’autre souci, en leur qualité de caisses de résonances, que de mettre les appareils d’Etat au service de la lutte contre la véritable liberté de conscience, celle qui ne s’accommode pas de la main mise du pouvoir sur le personnel religieux et de mots d’ordre venus de tous ceux qui en occident nous veulent du bien. Un Ministère des Affaires religieuses n’a pas de raison d’être dans une perspective véritablement laïque, alors que, si le culte musulman est étroitement contrôlé de l’intérieur, le culte chrétien, concordataire, relève du Vatican et les rabbins juifs sont autonomes religieusement parlant. Qu’est ce qui fait que le mouvement associatif est refusé aux Musulmans de libre obédience, alors que l’Archidiocèse de Tunis (0,2 % de la population sont des chrétiennes, 33 religieux et 168 religieuses, sans compter les prêtres, qu’ils soient bien les bienvenus dans le pays) dispose d’une bibliothèque diocésaine de 30.000 titres au moins (avant l’incendie coupable), d’un service social caritatif protégé par le modus vivendi de 1964 et pouvant accueillir éventuellement des Musulmans en difficulté aussi. L’Etat a-t-il bronché face à la campagne d’évangélisation en cours, que d’aucuns perçoivent comme subversive ? Ce n’est plus son affaire apparemment. Mais si le moindre rigoriste bouge le petit doigt, il est soupçonné des desseins les plus sombres. Là, il a vocation à respecter la liberté de conscience, conformément à un Islam normalisé par des agents défroqués, les « désenturbanés » de service. Il suffit de se poster devant l’église de la rue Mongi Slim ou celle de la place Thameur pour s’en rendre compte. J’y étais invité à passer mon chemin par des agents de sécurité en civil plutôt agressifs. Alors si la laïcité est synonyme de liberté religieuse, qu’elle le soit pour tout le monde et au même titre, c’est le propre de l’égalité. En France 90% des écoles privées sont catholiques, alors que chez nous, il n’existe aucune école privée qui s’affiche être musulmane, comme au temps de la colonisation (à la différence de l’école hébraïque de la rue de Palestine par exemple). Notre laïcité s’offre le luxe de ne pas séparer pour de bon le culte de l’Etat, comme en Turquie. La mise de la religion sous le boisseau de l’Etat est contre nature. Alors repensons le rôle de l’Etat en la matière pour éviter les ingérences et assurer la liberté de conscience dans les limites de la loi et de l’ordre public, cela allant de soi. Ne perdons pas de vue que la laïcité est en train de servir de catalyseur de l’Islamisme. 

   C’est le nouveau défi qui est lancé au Ijtihad dans le domaine laïc. Le refoulement du religieux est comme cette eau qui dort et il n’y a pire eau que celle qui dort. Une laïcité qui esquive les problèmes ne place pas l’avenir sous les meilleurs auspices. Notre culture ne nous incline pas à solutionner les clivages, autrement que par diktat, malheureusement. 

 Mais voilà que l’Ijtihad ne semble plus faire recette, remplacé par un autre concept, celui de maqâsid ash-Sharîa, fort à la mode ces derniers temps, à savoir les fins premières ou les intention ultimes du droit musulman, selon ses propres fondements. Or ces fondements sont eux-mêmes source de divergences juridiques, selon les écoles. Alors que reste-t-il ? Si la laïcité est d’une nécessité absolue, exigeons d’elle de la neutralité et de l’impartialité, et faisons en sorte qu’elle ne se résolve pas en principe de contrôle et de coercition. Militons pour une refondation de la laïcité sur la base de ses postulats philosophiques, mais sans offusquer le vis-à-vis qui ne pense pas comme vous et qui se prévaut d’un système de valeurs autres. A charge de réciprocité. Là pointe le pluralisme vrai. La laïcité d’exclusion devrait céder la place à une laïcité de compréhension, sans tabou et sans que surgisse une zone d’incompréhension et par suite de tensions. Et réciproquement. En un mot la laïcité doit se muer en une école de cohabitation et de liberté. Mais les esprits n’y sont pas encore et toujours préparés.

 L’Ijtihad comme effort de réinterprétation de la Révélation divise. L’Ijtihad comme effort de récriture civile et consensuelle du droit canonique suscite de vives résistances. Le problème est que l’Ijtihad peut être considéré, dans sa formulation moderne, comme un diviseur commun, parce que procédant de la malfaçon. Déterminons ce qui est négociable et ce qui ne l’est pas et agissons en conséquence. La séparation du droit de sa source religieuse, sous couleur de sécurisation, présuppose le renvoi à une norme européenne érigée en principe universel, ce que certains récusent. Alors que dans nombre d’Etats européens, l’enseignement religieux ne cesse d’être supervisé par des autorités religieuses indépendantes de l’Etat (comme en Israël aussi). Il en est de même du Culte. L’Etat d’inspiration jacobine, comme le nôtre, n’est pas neutre, mais partisan. La politique religieuse de Bourguiba constitue l’aspect le plus controversé de son œuvre.  Les laïcs comptent sur les appareils d’Etat pour faire passer leurs revendications au moyen de la violence légale, n’ayant pas de racines profondes dans la société, alors qu’ils devraient faire preuve d’impartialité et d’enracinement. Les radicaux parmi les islamistes se considèrent comme seuls au monde à détenir la vérité et en arrivent à miser sur la violence pour imposer leurs vues, munis de leurs miroirs aux alouettes. L’apaisement n’est pas pour demain. Comme l’Etat d’Israël, l’Etat tunisien peut être considéré comme un Etat séculier, tandis que les contours de ce concept restent contestables à l’endroit de l’un et de l’autre.

 Alors repensons notre laïcité et soumettons la à l’impératif du Ijtihad elle aussi. Remettons la à plat, de conserve avec une réévaluation méthodique des acquis de l’islamologie, bien que limités et discutables. C’est la gageure nouvelle de l’Ijtihad religieux, un tant soit peu moderne. L’Islam militant pourrait reprendre du poil de la bête. Il n’est pas exclu qu’il obtienne un jour sa revanche sur une laïcité paradoxale en vertu de laquelle l’Etat régente la religion et dirige les consciences par le truchement d’un maillage d’Imams prêchant pour son compte. La Tunisie pourrait être dite comme une forme de laïcité adossée à une religion et qui, contrairement à sa Constitution, place les textes juridiques au dessus des textes religieux. Le fait que la Révolution française ait été critiquée en profondeur durant ces dernières décades, cela a réagi sur les idéologies et les concepts qui en sont issues. Alors l’Ijtihad pourrait avoir beaucoup de chemin devant lui pour éclaircir les enjeux et les périls, pour identifier et hiérarchiser les problèmes, et pour analyser les perceptions passionnelles qu’ils suscitent. Il est regrettable que l’enjeu des débats manque si peu d’envergure. Le modèle français, qui nous inspire, a montré ses limites, en France d’abord, alors que dire chez nous. Mais sommes-nous intellectuellement outillés pour le faire, en tout bien tout honneur ? Nulle grande école de la pensée politique et sociale n’existe encore dans le pays. L’aspiration à l’égalité républicaine est vaine devant l’emploi. La dissolution dans l’espace public des allégeances familiales, religieuses et ethniques ou régionales se fait attendre. L’école vouée à être le creuset de l’identité républicaine se dérobe à sa véritable mission. Les normes de la démocratie post-moderne ne sont pas à l’ordre du jour pour transformer l’espace public, d’espace de soumission, en un espace de confrontation positive, alors que la domination par l’argent est en train de gangrener un semblant de démocratie qui peine à s’installer, sur fond de mondialisation, sur fond de privilèges de fait, et qui élargit le champ des exclusions, des frustrations et du chômage. Face au néo-libéralisme d’aujourd’hui, l’Ijtihad peut avoir son mot à dire, quand la mondialisation prospère sur la marchandisation et que les nouvelles « Lumières » ne nous viennent plus de Paris, mais des pays émergents. Si tout reste à refaire, alors quel gâchis rétrospectif. Un Islam qui nous réhabilite à la manière iranienne, scientifiquement parlant, voila ce dont nous avons besoin, un Islam qui nous fasse entrer dans la course des étoiles, pour nous faire oublier nos babillages dérisoires sur le port du voile. Notre laïcité est comme un navire sans boussole, tout comme notre islamité. Suis-je autorisé sans risque de conspirer à instaurer un cours public à mon domicile ou sur la place publique, comme mes prédécesseurs de la Zitouna avaient la faculté de le faire, en ces temps là,  pour échapper à un système qui les étouffait .

 
(Source: “Mouwatinoun” organe du FDTL nr 18 novembre 2010)

 

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