Vérité-Action 58ème anniversaire de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme
Etat des droits de l’homme et des libertés en Tunisie : Prise de position
Décembre 2006 http://www.verite-action.org/pdf/prise_de_position_2006.pdf INTRODUCTION Le 10 décembre de chaque année est célébré la journée internationale pour la Déclaration des droits de l’homme. Une occasion pour chaque pays de faire ses comptes et pour la société mondiale de faire son bilan général dans la sauvegarde de ces droits et leur adaptation à la richesse démographique, historique et culturelle de la planète. Pourtant il y’a des pays, comme la Tunisie, où cette commémoration ne signifie rien d’autre que la recherche à perfectionner le système de la mise sous tutelle de la société. Signataire de nombreux instruments internationaux de protection des droits de l’Homme, dont la Déclaration universelle des droits de l’Homme et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, la Tunisie viole de manière délibérée et systématique les devoirs qui lui incombent en vertu de ces instruments. Dans le cadre de sa commémoration annuelle de cet événement, et sous le thème « Agir pour la sauvegarde des libertés en Tunisie », Vérité-Action présente à l’opinion publique nationale et internationale le présent bilan sur la situation générale des droits de l’homme et des libertés en Tunisie. Le présent bilan suivra le cheminement suivant : 1. L’impasse politique et institutionnelle. 2. La violation systématique des droits de l’homme 2.1 La torture. 2.2 La situation dans les prisons. 2.3 La lutte contre le terrorisme comme meilleur alibi à la dictature. 3. Les attaques aux libertés individuelles. 4. Les entraves aux libertés publiques. 5. Le Bilan économique et social. 6. Perspectives. 7. Recommandations. I. L’impasse politique et institutionnelle. Un demi siècle après la promulgation de la Constitution tunisienne, les tunisiens vivent toujours dans l’espoir de voir émerger un jour une réelle démocratie et la société civile tunisienne, pourtant riche de sa longue expérience, lutte toujours pour son «seuil minimal d’existence» sous une dictature qui ne semble pas s’infléchir. Cette raison nous impose de traiter l’impasse politique et institutionnelle comme l’aspect le plus prédominant du paysage tunisien vu que c’est cette impasse qui conditionne, depuis des décennies, les autres aspects du bilan du système politique tunisien en matière des droits de l’homme et des libertés à la fois individuelles et publiques. Sur le plan institutionnel et juridique, les amendements à répétition de la Constitution depuis l’avènement de Ben Ali en 1987 n’ont rien changé aux piliers de l’Etat : le parti unique et la prédominance institutionnelle du tout sécuritaire avec l’impunité et de la corruption comme parties intégrantes. Un petit rappel historique n’est pas sans utilité. Poussé à mettre en œuvre ses promesses non tenues concernant l’annulation de la présidence à vie et la promotion d’un vrai système d’alternance, le président tunisien a longtemps promis de procéder à une « révolution » constitutionnelle. C’est ainsi que le peuple, interdit de tout débat contradictoire, a été invité à voter une réforme constitutionnelle de grande envergure en mai 2002. Loin du discours flatteur, cette pseudo-réforme constitutionnelle de mai 2002 n’a fait qu’instaurer une présidence à vie camouflée, et qu’aggraver les déséquilibres entre les institutions en défaveur du parlement qui s’est vu doubler par une chambre dite de Conseillers (dont la composition est largement contrôlée par le président et son parti), perdant ainsi largement son mot à dire en matière internationale et en matière financière. Lors de ce référendum du 26 mai 2002, et ne pouvant rompre avec ses méthodes habituelles, le régime tunisien n’a pu faire baisser le taux des votants pour le «oui » en dessous des 99,53%. Un résultat qui a semé énormément de doutes et de soupçons puisque selon les déclarations officielles uniquement 0,48% des électeurs ont voté pour le non, soit sur les 3.644.845 votants, 3.462.177 ont voté favorablement sur une réforme ambiguë et précipitée. Comment peut-on croire que le peuple tunisien a voté avec «une écrasante majorité » pour la présidence à vie et l’impunité à vie et que seulement 0.48%, soit 16642 citoyens seulement, ont trouvé cette réforme inadmissible ! Cela malgré un boycott et un absentéisme largement relaté par les médias et les observateurs. Le référendum du 26 mai qui a constitutionnalisé l’impunité au plus haut niveau (l’article 41) dans la hiérarchie du pouvoir laisse cette question la plus urgente et la plus grave. Avec une présidence à vie, une concentration inédite des pouvoirs dans les mains du président et une impunité relevée au rang constitutionnel (du jamais vu), les événements qui ont suivi cette votation ont confirmé qu’elle n’était qu’un pas vers l’instauration d’une nouvelle présidence à vie prenant la forme d’une monarchie déguisée. Pire encore. Depuis un certain temps, les préparatifs pour une nouvelle candidature de Ben Ali pour les présidentielles de 2009 battent leur plein. Après les parlementaires, la puissante organisation patronale tunisienne a exhorté le président Zine El Abidine Ben Ali à se représenter aux élections de 2009 pour un cinquième mandat de cinq ans[1] . Le président tunisien lui-même ne semble pas cacher ses ambitions d’autant qu’il ne cesse de se référer à l’échéance de 2009 dans ses discours à répétition. Ce qui est amusant dans cette pré-campagne électorale, c’est qu’elle coïncide avec la recrudescence des rumeurs concernant l’état de santé du président et ses absences répétées de la scène médiatique, chose inhabituelle en Tunisie. Dans une vraie démocratie, l’information sur la santé d’un président est un droit des citoyens. En Tunisie, l’état de santé du président est un tabou car celui-ci incarne «la perfection». Et malgré les nombreux appels de différentes personnalités opposantes pour plus de transparence à ce sujet, ni l’Etat ni son chef ne réagissent à ses appels qui restent sans réponse. Aucune information n’est donnée sur la réalité de sa maladie ni sa progression. Le peuple ignore tout sur les perspectives politiques du pays et vit dans l’attente et l’angoisse. Dans l’intervalle, on ne peut parler d’une vraie dynamique politique en Tunisie car le paysage est toujours statique : un seul parti au pouvoir qui monopolise tout notamment le pouvoir et les médias. De l’autre côté de l’échiquier, des partis d’oppositions « décor » ou marginalisés et quelques autres forces politiques non reconnus et toujours persécutées. II. Bilan des droits de l’homme : 2.1 La torture On ne peut commenter le bilan des droits de l’homme en Tunisie sans commencer par le phénomène de la torture. Bien que le gouvernement tunisien était parmi les premiers signataires de la Convention des Nations Unies contre la Torture et les traitements inhumains et dégradants (le 26 août 1987 avec entrée en vigueur le 23 septembre 1988), la torture était, et l’est toujours, une réalité présente et institutionnalisée en Tunisie. De sources concordantes, la torture reste une pratique systématique dans les différents corps de la sécurité intérieure notamment. Elle touche les citoyens de manière large de la simple arrestation pour contrôle d’identité aux interrogatoires musclés des opposants. Après la vague de répression sanglante, au début des années 90, contre les membres et les sympathisants du mouvement « ENNAHDHA » non reconnu causant des dizaines de cas de décès pendant la garde à vue ou en prison et quelques disparitions toujours non élucidées, la torture est restée monnaie courante dans le comportement quotidien des différents corps de sécurité. Les pratiques très diversifiées (arrestations illégales, détentions prolongées, torture physique systématique, pressions sans limites sur les familles et les proches atteignant l’atteinte à l’honneur et à l’intégrité sexuelle, l’isolement, etc.) convergent toutes vers le même but, à savoir de dissuader les citoyens de tout engagement politique ou associatif qui sert à déjouer la démagogie du « paradis » tunisien en matière des libertés et des droits de l’homme. Le prétexte de la lutte contre le terrorisme, marqué notamment par l’adoption en décembre 2003 d’une loi extrêmement répressive dite de lutte contre le terrorisme, a relancé les pratiques les plus abominables et a renforcé l’impunité des agents de l’Etat désormais chargés de protéger la souveraineté du pays contre un danger qu’on a tout intérêt à lui donner une ampleur extrême pour pérenniser « l’état de siège » informel qui règne dans le pays. Cette pratique systématique de la torture, clairement définie comme un moyen d’action privilégiée de l’Etat, est renforcée par l’ampleur que prend l’impunité dans la stratégie de l’Etat. L’impunité, qui peut être définie comme une exemption de poursuite, de punition ou de pénalité pour les fonctionnaires de l’Etat, a atteint, dès 1987, des sommets inédits. Les autorités ne lésinent pas sur les moyens pour protéger les auteurs des atrocités même à l’étranger (Abdallah KALLAL, ancien ministre de l’intérieur des années 90 ou Khaled BEN SAID, ancien diplomate tunisien à Strasbourg). C’est d’ailleurs pour servir cette impunité que les autorités tunisiennes refusent toujours de signer le protocole additionnel à la Convention contre la torture car celui-ci instaure des mécanismes de contrôle et de poursuite qui permettront de mettre à nu le vrai bilan du régime dans ce domaine. Ce constat n’a rien d’étonnant si on se rappelle que l’impunité est consacrée dans la Charte fondamentale de l’Etat. C’est ainsi que l’article 41 paragraphe 2 nouveau de la constitution tunisienne nous dit que ; « Le président de la république jouit d’une immunité de juridiction durant l’exercice de ses fonctions. Il en bénéficie de cette immunité à la fin de son mandat pour les faits accomplis à l’occasion de l’exercice de ses fonctions ». La torture et l’impunité se répandent également en raison de l’absence de voies judiciaires effectives pour protester contre ce phénomène. Toutes les plaintes finissent par être classées, ignorées ou simplement rejetées. Les seuls cas où l’Etat tunisien prétend avoir agi portent sur des simples accusations d’abus de pouvoir et de violences et voies de faits et ne concernent aussi que des affaires de droit commun. Jusqu’à présent, aucune information n’a été rendue publique concernant les dizaines de cas de torture provoquant la mort ou ceux plus nombreux concernant des préjudices physiques et moraux causés aux victimes. C’est d’ailleurs, pour ces raisons, qu’en 2003 la Commission contre la torture des Nations Unies, a accepté de donner suite à trois plaintes déposés par des victimes de torture dans les prisons tunisiennes et parrainées par Vérité-Action. Dans la bataille juridique qui a mené à cette condamnation, les autorités tunisiennes se sont efforcées d’étouffer la procédure en prétendant avoir un arsenal légal et réglementaire qui empêcherait la torture et qui punit, le cas échéant, les fonctionnaires qui seront coupables. A chaque fois qu’il était question de détail et de réponse à un cas particulier, les autorités tunisiennes ont largement échoué dans l’exercice. Vérité-Action considère que la torture et l’impunité sont des pratiques indignes qui doivent être combattues, non par la parole flatteuse et l’arsenal législatif superficiel, mais par une politique courageuse qui reconnaît la dignité du citoyen et préserve sa liberté. 2.2 La situation dans les prisons L’année 2006 a connue, au moins à deux reprises, l’élargissement de quelques dizaines de prisonniers politiques. Toutefois, cet élargissement s’inscrit dans un contexte contradictoire de poursuite de la répression (arrestations massives en parallèle dans le cadre de l’application de la loi de décembre 2003 sur la lutte contre le terrorisme). D’une part, en bonne majorité, les prisonniers élargis étaient détenus depuis 15 ans dans des conditions insupportables et sous un régime soit d’isolement total soit de traitement plus répressif par rapport aux autres prisonniers de droit commun. Il est également à relever que pour plusieurs d’entre eux, cet élargissement survenait quelques mois seulement avant la fin de leur peine. Par le passé, plusieurs ex-prisonniers politiques n’ont pas longtemps survécus après leur élargissement décidé, pour un nombre d’entre eux, pour éviter à tout prix qu’ils meurent en prison (Monsieur Lotfi IDOUDI, ……). D’autre part, et comme le souligne avec raison Amnesty International dans sa déclaration publique du 13 novembre 2006, « au moins 100 prisonniers reconnus eux aussi coupables d’appartenance à Ennahda à l’issue de procès iniques au début des années 90 n’ont pas été libérés. Ils sont toujours détenus dans différentes prisons de Tunisie. Certains d’entre eux seraient en mauvaise santé ; torturés avant leur procès puis soumis pendant des années à des conditions carcérales extrêmement pénibles entrecoupées de longues périodes à l’isolement, ils auraient besoin de soins médicaux de toute urgence. Parmi eux se trouvent Ahmed BOUAZIZI, Ridha BOUKADI et Sahbi ATIG. En outre, les autorités tunisiennes détiennent toujours, en application de la loi antiterroriste de 2003, quelque 400 personnes qui seraient soupçonnées d’avoir voulu aller se battre en Irak »[2]. De manière générale, les nouvelles des prisonniers politiques et d’opinion ne sont pas rassurantes. Les grèves de la faim se succèdent et le régime ne fait rien pour améliorer le quotidien de quelques centaines de prisonniers politiques et d’opinion dans les prisons tunisiennes. Les prisonniers sortants nous rapportent des détails horribles de leur vécu carcéral. C’est ce vécu douloureux qui explique pourquoi les prisonniers politiques tunisiens doivent se livrer à l’exercice de la mort pour que le régime entende leurs revendications. Les dernières grèves menées par MM Bouraoui Makhlouf et Abdelhamid Jelassi depuis le 5 novembre 2006 en sont la preuve directe. Au lieu d’entendre leurs cris de souffrance, les autorités pénitentiaires ont choisis de les punir. Ils ont été ainsi transférés à une autre prison : M. Makhlouf transféré à la prison de Monastir et M. Jelassi à Messadine. Leur état de santé s’est nettement détérioré suite à cette grève de la faim. Les conditions d’incarcération inhumaines amènent souvent ces prisonniers politiques à faire entendre leur voix par ce biais. Parmi les conditions dont souffrent les prisonniers nous citons : l’encombrement des cellules, le mélange des fumeurs avec les non fumeurs ce qui a engendré l’atteinte de certains prisonniers de maladies graves telles que : l’asthme, le cancer des poumons et de la gorge, la migraine. D’autres maladies sont dues aux mauvaises conditions d’hygiène, d’alimentation et de traitement, à savoir : le rhumatisme, les maladies cardiaques, rénales et oculaires, les cancers, la diabète, les fractures, etc. Les informations qui ont circulé tout récemment sur l’état de santé critique de Monsieur Aissa AMRI prouvent que le chemin à parcourir pour atteindre le seuil minimum d’une détention légale et digne est loin d’être atteint en Tunisie. De même, le droit des prisonniers à recevoir les visites de leurs avocats et de leurs familles sont mises à néant par divers procédés dilatoires (transferts successifs d’une prison à l’autre pour rendre difficile leur localisation, communication de fausses informations aux familles sur le refus de la visite par le prisonnier lui-même, etc.) Sur un autre plan, la pratique de l’isolement, un traitement cruel, inhumain et dégradant, est toujours monnaie courante. L’isolement est un crime non déclaré, une mort lente, une violation extrême des Droits de l’Homme. Le prétexte sécuritaire des autorités est inacceptable, car rien ne légitime une telle pratique. Rien ne peut expliquer que l’on interdit à un condamné de communiquer avec les autres, de lire les journaux, d’utiliser la radio ou la télévision, bref de passer de longues années dans un petit tombeau sombre, inadapté et coupé presque totalement de la vie ordinaire des gens L’isolement dans les prisons tunisiennes prend l’allure d’une peine aggravée laissée à l’arbitraire des autorités administratives et pénitentiaires et façonnée selon des considérations d’ordre politique tout en n’étant en aucun cas protégée par l’autorité judiciaire à laquelle on a soustrait cette compétence. L’isolement n’est pas conçu pour être en soi une peine, de même qu’il ne saurait être une souffrance inhérente à quelconque peine que pour une durée strictement limitée dans le temps et en respect de tous les droits qui le priment au sens de l’article 5 de l’«ensemble des principes pour la protection de toutes les personnes soumises à une quelconque détention ou emprisonnement », adopté par l’assemblée générale de l’ONU dans sa résolution 43/173 du 9 décembre 1988[3]. Malgré les assurances données par les autorités tunisiennes à ce propos, l’isolement est une pratique toujours actuelle. On peut citer, à titre d’illustration, le cas de Monsieur Khaled LAYOUNI, détenu en vertu de la loi dite anti-terroriste, et qui est dans l’isolement total depuis plus de deux mois dans la prison de Gafsa. 2.3 La lutte contre le terrorisme comme meilleur alibi à la dictature. Le terrorisme sert, en Tunisie, comme alibi pour étrangler toute opposition et toute velléité d’insoumission, quelle soit collective ou individuelle. Tout passe au deuxième plan : la corruption, la torture et l’oppression. Bref, le régime tunisien est en train de bien profiter de l’actualité internationale pour asseoir son règne dictatorial. L’actualité nous apporte chaque jour le récit des violations systématiques des droits des citoyens, des associations et des partis d’opposition. A chaque critique provenant de l’étranger, les autorités tunisiennes brandissent une « menace terroriste » potentielle pour justifier sa répression. Il faut souligner que cet alibi ne sert pas seulement à violer l’arsenal légal contre la détention arbitraire et la torture, mais à assurer une mainmise totale de l’Etat sur ses citoyens. C’est ainsi que l’Etat tunisien, dans diverses bases légales, s’est octroyé de larges prérogatives de contrôle et d’ingérence dans la vie des individus et des institutions, par la mise en place de diverses mesures de contrôle à travers : Loi sur la protection des données La loi anti-terroriste Et l’incrimination de l’activité opposante à l’étranger par le biais d’un amendement trop controversé du Code de procédure pénale tunisien. Les deux nouvelles lois adoptées respectivement, le 20 juillet 2004 pour la première, et le 10 décembre 2003 pour la deuxième, visent à surveiller et à quadriller les activités opposantes et réprimer toute voix dissidente au nom de la loi. 2.3.1 Loi sur la protection des données[4] Derrière les préambules trompeuses, les dispositions de la loi sur la protection des données ne protègent en aucune façon le citoyen face à l’administration, qui est explicitement non concernée (art 54) par la série d’interdits qui s’étalent sur 105 articles. «Les autorités publiques, collectivités locales et entreprises publiques…» ont toute latitude de disposer selon leur gré de la vie privée du citoyen»[5] Deux ans après la mise en application de cette loi, la protection des données ne semble pas « protéger » le citoyen mais menace sa vie privée. Plusieurs exemples illustrent le caractère contradictoire de ces lois avec la réalité et la pratique courante. Ainsi, aux termes de l’article 14 de la loi sur la protection des données, il est stipulé qu’il : « est interdit le traitement des données à caractère personnel qui concernent, directement ou indirectement, l’origine raciale ou génétique, les convictions religieuses, les opinions politiques, philosophiques ou syndicales, ou la santé. » . La pratique est tout à fait autre. Le Ministère de l’intérieur centralise tous les données concernant tout citoyen tunisien par l’intermédiaire des fameuses fiches appelées B2, tenus secrètement par les divers services et unités de la sécurité intérieure. Ces fiches contiennent toutes les données personnelles y compris celles interdites dans la dite loi, c’est-à-dire les convictions religieuses, les opinions politiques, philosophiques ou syndicales. La couverture s’étend à la famille et aux proches dans le cadre d’une politique de punition collective des familles des opposants. Le scandale à répétition des épreuves de la CAPES peut servir d’exemple de l’usage arbitraire des données personnelles pour des fins d’exclusion et de discrimination. C’est ainsi que le 17 juin 2006, cinq candidats au CAPES (Concours d’aptitude à la profession d’enseignant du secondaire) ont dénoncé la manipulation des résultats de ce concours national. Dans le communiqué qu’ils ont publié le 17 juin 2006, ces candidats déclarent : « Nous, anciens membres et militants de l’UGET et du mouvement étudiant, nous avons réussi les épreuves écrites du CAPES 2005/2006 ; nous avons suivi le stage de formation et passé brillamment les épreuves orales selon le témoignage des commissions qui ont supervisé ces épreuves. Nous avons été surpris de voir que nous avons été délibérément exclus des listes des admis, alors que nous devions y figurer parmi les premiers. Une fois de plus, le pouvoir a procédé à des éliminations de candidats sur des critères politiques, bafouant ainsi les principes élémentaires de citoyenneté». Un lien, à la fois direct et étroit, est ainsi établi entre les activités syndicales auxquelles se sont données ces personnes et leur élimination du concours. Le traitement des données à caractère personnel concernant des activités syndicales est bien apparent dans ce cas, ce qui viole l’article 14 de la loi sur la protection des données. Les ex-prisonniers politiques et les familles souffrent toujours de ces fiches B2 qui les suivent là où ils cherchent à suivre une formation, exercer une activité ou monter un projet économique indépendant. Cette pratique existe depuis les années 90 et reste en vigueur malgré l’entrée en vigueur de la nouvelle loi. A.S, licenciée de l’université tunisienne voulant garder l’anonymat, ayant présentée une demande de travail dans l’enseignement secondaire s’est vue refusée à deux reprises la demande sans motif valable. En 1998, lors d’un interrogatoire au ministère de l’intérieur, l’enquêteur lui révèle que son dossier de candidature à l’enseignement a été bloqué par le Ministère de l’intérieur en raison de ses anciennes activités politiques. Les opposants qui ont été interrogés et sont encore arrêtés et interrogés jusqu’à ce jour par le Ministère de l’intérieur sont soumis à ce type de vérifications se basant sur des informations et des données personnelles relevant souvent de leurs appartenances politiques, pratiques religieuses et leurs activités syndicales. Tous les services étatiques sont obligés de contribuer à cette violation systématique de la sphère privée. Quant aux particuliers, y compris les employeurs, ils y contribuent indirectement afin d’éviter les représailles. Les femmes d’opposants politiques exilées qui demandent à récupérer leurs passeports nationaux subissent de longs mois d’attente et les appartenances ainsi que les activités politiques de leurs époux sont mis en avant comme des éléments de « chantage». ********* L’autre exemple touche cette fois à la liberté d’expression. Il s’agit du problème du transfert de données à l’étranger. A teneur de l’article 86 de la loi sur la protection des données, « est interdit, dans tous les cas, de communiquer ou de transférer des données à caractère personnel vers un pays étranger lorsque ceci est susceptible de porter atteinte à la sécurité publique ou aux intérêts vitaux de la Tunisie. » Quiconque viole cet article « est puni d’un emprisonnement de deux à cinq ans et d’une amende de cinq mille dinars à cinquante mille dinars.» (art.50) La notion d’atteinte à la sécurité publique et les intérêts vitaux reste toujours ambiguë comme c’est le cas dans le code de la presse. Aucune définition n’est donnée à ces termes ce qui laisse la porte ouverte à toutes les interprétations. Qu’est-ce qui est considéré comme préjudiciable à l’intérêt du pays ? Un regard sur la pratique confirme que c’est les journalistes, les militants de droits de l’homme et les opposants en général qui sont visés par ces termes en raison de leurs activités dissidentes ou de libre expression. Tous leurs efforts pour sensibiliser l’opinion internationale sur le bilan très négatif des droits de l’homme en Tunisie, tombent sous le champ d’application de cette loi. 2.3.2 La loi anti-terrorisme Beaucoup de choses ont été dites à propos de cette loi controversée, adoptée en décembre 2003. La définition ambiguë et vague du terme terrorisme dans le droit tunisien permet au pouvoir de faire usage arbitraire de cette loi. A la lecture de ses articles, l’on constate le caractère généraliste et abstrait de ces mesures. La pratique qui a suivi la mise en application de cette loi a prouvé que l’objectif visé était et demeure le quadrillage de la société et l’exercice d’une mainmise totale de l’Etat sur ses citoyens et la promotion de l’impunité en un « privilège » sous couvert de la loi. Aujourd’hui on compte près de 400 personnes détenues en vertu des dispositions de la loi antiterroriste qui a donné lieu à une nouvelle vague de procès sommaires et inéquitables dans lesquelles prévaut le secret de l’instruction sur les droits de la défense. Il n’y a pas une semaine qui passe sans que de nouvelles condamnations soient prononcées à l’encontre de jeunes tunisiens. Les chefs d’inculpations sont souvent dépourvus de preuves matérielles concrètes. Des sources concordantes, il apparaît que les motifs réels des arrestations relèvent souvent de la pratique religieuse chez les jeunes, la navigation sur des sites interdits de caractère politique et l’appartenance à une organisation terroriste (qui peut être une simple association à but social ou de solidarité), etc. L’exercice des droits de la défense, initialement restreints, se trouve davantage entravé. La pratique de la torture dont font l’objet ces détenus dits « spéciaux », semble gagner et non perdre du terrain. Quanta aux avocats, ils éprouvent toutes les peines du monde pour pouvoir leur rendre visite en raison de leurs lieux d’incarcération lointains et la difficulté d’obtenir des autorisations de visites. Vérité-Action a pu recenser les différents types de traitements réservés à cette catégorie de détenus et qui ont été enregistrés durant l’année en cours : – La détention arbitraire dépassant les délais et les garanties prévues par la loi – La détention dans des lieux secrets et durant des semaines et des mois sans que leurs proches aient le droit de s’informer sur leur lieu de détention – Les procès inéquitables. – Les conditions d’incarcération inhumaines et précaires – La torture et les mauvais traitements laissant des séquelles graves (cas de Naoufel Sassi, Hichem Ben Said, Tarek Hammami, etc.). – Les lieux d’emprisonnements lointains et difficiles d’accès pour les proches
C.R.L.D.H. Tunisie Comité pour le Respect des Libertés et des Droits de l’Homme en Tunisie Membre du Réseau Euro-méditerranéen des Droits de l’Homme 21ter rue Voltaire – FR-75011 PARIS – Tel/Fax : 00.33.(0)1.43.72.97.34 crldht@aol.com / www.crldht.org
1996-2006 : dix ans de lutte pour les droits de l’homme et les libertés en Tunisie
Réception le vendredi 15 décembre 2006 à 18h30 [1] Et Ateliers-débats samedi 16 décembre 2006 de 14h à 19h1 Le Comité pour le respect des libertés et des droits de l’homme en Tunisie (CRLDHT) fête ses dix ans d’existence en cette fin d’année 2006. Une soirée réception sera organisée, le vendredi 15 décembre 2006, de 18h30 à 23h, à la Péniche de la Paix (quai Saint-Bernard – Jardin Tino Rossi) ; Cette soirée, comme d’ailleurs toute notre action, sera dédiée à Me Abbou et à tous les prisonniers politiques en Tunisie en présence de Mme Samia ABBOU. Un hommage sera rendu à nos amis militants disparus notamment Ahmed Othmani, Manuel Brédier, Adel Arfaoui… Deux ateliers se tiendront le samedi 16 décembre 2006, de 14h à 19h, après-midi. Au FIAP, 30 rue Cabanis 75014 Paris avec, notamment, la participation de : Aziz Krichène, sociologue. Bernard Ravenel, président de l’association France- Palestine –Solidarité, auteur de l’ouvrage «La Tunisie de Ben Ali : la société contre le régime» ; Edition l’Harmattan. Driss El Yazami, secrétaire général de la FIDH (Fédération internationale des ligues de droits de l’homme) Francis WURTZ, député européen, président du groupe Gauche unitaire européenne au Parlement Européen. Hichem ABDESSAMAD, historien. Houcine Bardi, avocat au Barreau de Paris, membre du CRLDHT Khedija CHERIF présidente de l’ATFD (association tunisienne des femmes démocrates). Khémaies Chammari, consultant international ; membre du conseil d’administration de la Fondation euro méditerranéenne de soutien aux défenseurs des droits de l’homme. Me Samir BEN AMOR membre du bureau de l’AISPP (association internationale de soutien aux prisonniers politiques). Mohamed Cherif Ferjani, professeur à l’Université Lyon II. Mokhtar TRIFI président de la LTDH (Ligue tunisienne pour la défense des droits de l’homme). Omar MESTIRI, membre du CNLT (conseil national pour les libertés en Tunisie. Radhia NASRAOUI présidente de l’ATCT (association tunisienne de lutte contre la torture).
Message de M. Yves Steiner pour Ez-Zeitouna