1 janvier 2006

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TUNISNEWS
6 ème année, N° 2050 du 01.02.2006

 archives : www.tunisnews.net


CIDT-Tunisie: Il y a cinq ans l’élimination d’Ali Saïdi CIDT-Tunisie: Pour la vérité sur la mort d´Ali Saidi et ses deux frères LTDH – Section de Bizerte : Arrestation de Kabil Naceri, libéré en même temps qu’une série de prisonniers politiques le 2 novembre 2002 Le Quotidien: Lutte contre l’alcool au volant  – Un partenariat tuniso-français à la rescousse ! Mohamed Talbi: La charia ou l’islam, il faut choisir Le Devoir  (Québec),  Tourisme – Sur les traces des Phéniciens La Presse :Un an après sa disparition: Feu Mahmoud Messaâdi, docteur honoris causa

 

CENTRE D’INFORMATION ET DE DOCUMENTATION SUR LA TORTURE

CIDT-TUNISIE

Association de citoyens du monde pour le droit des Tunisiens à ne pas être torturés

Membre du Réseau SOS-Torture de l’OMCT-Genève

 

Comité d’honneur :

Jacques FRANÇOIS

Mgr. Jacques GAILLOT

Dr. Hélène JAFFÉ Besançon, le 30 décembre 2002

Gilles PERRAULT

François DE VARGAS

Président :

Jean-Marc MÉTIN

Il y a cinq ans l’élimination d’Ali Saïdi,

LES TUNISIENS PEUVENT-ILS CAUTIONNER UN ASSASSINAT POLITIQUE ?

Le 30 décembre 2001, les autorités du général Ben Ali annonçaient avoir découvert le corps d’Ali Saïdi, disparu depuis une quinzaine, avoir arrêté ses assassins et détenir en moins de 24 heures les tenants et les aboutissants d’un assassinat d’une affligeante banalité. (Voir le détail sur ce lien : http://pageperso.aol.fr/BENMBAREKK/mapage/associationsbis.html)

Selon cette version officielle définitive, le haut fonctionnaire du ministère des affaires étrangères, ancien opposant notoire, aurait été attiré dans un guet-apens et supprimé uniquement pour des motifs crapuleux. Deux femmes l’auraient ainsi éliminé pour s’approprier ses biens. Elles ont déjà tout avoué au détail près…

Ali Saïdi est mort il y a quatre ans. Un journal inféodé au ministère de l’intérieur avait soutenu à l’époque que l’une d’elles (Latifa Saïdi) était cliniquement morte vers début janvier 2002, d’une « tumeur au cerveau ». Depuis, non seulement aucun décès n’avait été annoncé, mais un procès s’est tenu et s’est évidemment achevé par la condamnation des deux femmes à la perpétuité…

Entre-temps, Amor Saïdi, frère aîné d’Ali, est mort le 4 juillet 2002. Il avait un temps donné libre cours à sa colère face aux agissements du pouvoir avant de se raviser et de déclarer par téléphone à son frère Ali-Sghaier, exilé en Suisse, que « Ben Ali aimait Ali… (!) » Prospère homme d’affaire, Amor Saïdi avait eu un redressement fiscal qui se chiffrait en millions …

Quant au frère cadet Habib, détenu de droit commun, il est mort le jour de son transfert de la prison de Gafsa à celle de Sfax, en septembre 2002 : sans aucune pathologie particulière, il aurait juré haut et fort qu’il vengerait ses deux frères un jour ou l’autre… Me Maâtar décèlera plus tard plus d’une anomalie kafkaïenne dans cette affaire, tel qu’un encéphale amené à l’autopsie dans un seau séparé du corps…

Cette cascade de décès que nous avions qualifiée d’hécatombe est trop bien réglée pour être naturelle. Une malédiction semble s’être abattue sur la fratrie après que le général Ben Ali eut réuni en son palais de Carthage un Conseil du gouvernorat de Gafsa, fort bizarrement qualifié d’ « extraordinaire » (non prévu à l’avance). Devant une assemblée comme pétrifiée, Ben Ali avait loué « la fidélité » des gens de Gafsa aux « acquis du Changement… » C’était le 12 décembre 2001, jour de la disparition d’Ali Saïdi, enfant terrible dudit gouvernorat de Gafsa.

Le pouvoir s’était embourbé dans le marécage de l’élimination des frères Ali, Amor et Habib Saïdi. Lors de l’audience en appel qui s’était tenue le 28 juin 2004, un fait nouveau essentiel s’était produit : la principale accusée avait décidé de ne plus jouer le jeu tracé pour elle depuis le début de l’affaire.

Voici une brève relation de ce qui s’était passé d’après des sources proches du procès :

L’audience a débuté vers 9h30. Puis, le “juge” a demandé à l’accusée principale Hédia Saïdi-Biskri si elle avait quelque chose à ajouter par rapport à ce qu’elle avait déclaré en première instance. A sa grande surprise, l’accusée a répondu comme ceci à peu près ” Et comment que j’ai des choses à ajouter !! Bien sur que j’ai des choses à ajouter !”

Sur ce, le “magistrat”, visiblement désarçonné par un incident non prévu dans le scénario, a cherché une échappatoire dans la querelle avec les avocats du défunt chargé par son frère Ali Sghaïr, résidant en Suisse. Ainsi, il a tenté d’éloigner les avocats de l’accusée, comme pour les empêcher de l’entendre. Maîtres Maâtar et Hosni ont refusé et ont fini par se retirer de l’audience à un moment où l’accusée Hédia Saïdi clamait haut et fort ; “mê gteltich, mê gteltich !” (“Je n’ai pas tué, je n’ai pas tué !”)

Les avocats de la défense des accusées se sont retirés à leur tour en signe de soutien à leurs confrères et de protestation contre les agissements d’un “magistrat” décidément maladroit. Les avocats publieront par la suite une déclaration expliquant que les droits de la défense avaient été bafoués. En effet, non seulement « le juge » avait poursuivi l’interrogatoire des accusées, mais il s’est retiré à la fin des audiences en emmenant avec lui sa cour et le greffier du tribunal. Ainsi, lorsque les avocats sont venus chercher les PV d’audience, nul ne pouvait les leur remettre. Ils finiront par comprendre que le “magistrat” était en train de les bidouiller, avec le report du procès au mois d’octobre suivant. De fait, les avocats auront tout loisir de constater dans l’après-midi que leurs craintes étaient fondées et que les PV ont bien été trafiqués.

La condamnation définitive interviendra comme prévu quelques mois plus tard.

C’est ainsi que reviennent avec acuité les interrogations posées par Maître Abdelwahab Maâtar à l’adresse de le la cour d’appel, dont notamment :

– Comment se fait-il qu’aucun acte d’investigation n’ait été mené pour établir que le cadavre découvert fin 2002 est bien celui de Ali Saïdi ?

– Où est passé le rapport demandé au médecin légiste et dont on ne trouve aucune trace dans le dossier ? [NDLR : Nous avons le texte de ce rapport que nous avions critiqué en son temps. Le retrait de cette pièce essentielle ne peut être que symptomatique.]

– Pourquoi l’affaire a-t-elle entièrement été pilotée de Tunis, alors qu’elle était du ressort de la cour de Gafsa ? Etant entendu que des actes de falsifications par anti-datage ont été mis au jour, en vue de légitimer l’action du premier juge d’instruction. [NDLR : Celui qui avait tout bouclé en quelques jours, dans le sillage de l’intrépide enquêteur qui avait bouclé le dossier en une seule journée, tous actes confondus…]

Il s’agit en fin de compte de se demander qui a intérêt à ce que la vérité ne soit jamais faite sur cette affaire.

De son côté, la société civile tunisienne a fait preuve d’une incompréhensible et regrettable passivité dans cette affaire. Comme si tous les hommes et toutes les femmes libres de Tunisie n’étaient pas, peu ou prou, exposés au penchant pathologique vengeur du général Ben Ali, allant de l’emprisonnement au meurtre, en passant par les photomontages, les redressements fiscaux et autre chantage à la subsistance…

C’est pourquoi nous lançons un appel insistant à tous les intervenants tunisiens et internationaux pour que l’élimination de la fratrie Saïdi fasse l’objet d’un examen sérieux en vue d’élucider ce massacre, en collaboration avec l’OMCT (Cf. communiqué du 28/02/2002) et les avocats de la famille, dont Me Abdelwaheb Maâtar et Me Najib Hosni.

A cette fin, nous mettons en ligne dès aujourd’hui une pétition ouverte à toutes les personnalités et organisations de la société civile tunisienne et internationale.

Il ne faut pas que le crime paie !

Khaled BEN M’BAREK, Coordinateur

________________________________________________________________________________________________________________

Centre d’information et de documentation sur la Torture (CIDT-TUNISIE). Association Loi 1901

23, rue Brulard F25000 Besançon. FRANCE. Tél/Fax : (33 3) 81 41 33 22 . E-mail : cidtunisie@free.fr

CCP N° : 6 458 94 X DIJON

 


CENTRE D’INFORMATION ET DE DOCUMENTATION SUR LA TORTURE

CIDT-TUNISIE

Association de citoyens du monde pour le droit des Tunisiens à ne pas être torturés

Membre du Réseau SOS-Torture de l’OMCT-Genève

Comité d’honneur :

Jacques FRANÇOIS

Mgr Jacques GAILLOT

Dr Hélène JAFFÉ Besançon, le 30 décembre 2002

Gilles PERRAULT

François DE VARGAS

Président :

Jean-Marc MÉTIN

 

PETITION

POUR LA VERITE SUR LA MORT D’ALI SAÏDI ET DE SES DEUX FRERES

Le citoyen tunisien Ali Saïdi est mort en décembre 2001 dans des circonstances obscures et atroces. La gestion de l’affaire à son lancement, par la police et la « justice » est beaucoup trop impeccable pour être crédible. La médiatisation tout à fait inhabituelle et le recours aux médias officieux pour répondre aux inquiétudes exprimées à partir de l’extérieur laissent à penser que l’on ne voulait pas rechercher la vérité. Les contradictions relevées dans ces médias et les énormes coins d’ombre laissés par l’enquête officielle font craindre une volonté délibérée de tromper l’opinion sur ce qui s’est réellement passé entre le 12 et le 30 décembre 2001, comme l’avait souligné l’Organisation mondiale contre la Torture dans son communiqué du 28 février 2002.

Dans ces circonstances, la disparition coup sur coup des deux autres frères Saïdi (Amor et Habib) peut très difficilement être le fait du hasard.

Les femmes accusées d’avoir assassiné Ali Saïdi pour des raisons pécuniaires ont clamé leur innocence lors de leur procès en appel, qui avait vu les avocats des accusées faire cause commune avec ceux de la partie civile en se retirant ensemble de l’audience pour ne pas cautionner une parodie de justice qui allait aboutir à la condamnation des deux femmes à la prison à perpétuité.

L’état actuel de la question montre que le pouvoir a joué sur un isolement posthume de la victime pour espérer faire passer son élimination par les pertes et profits de l’opposition et de tous ceux qui, à tort ou à raison, suspectaient la victime de double-jeu…

Nous soussignés, estimons, avec le CIDT-TUNISIE et en accord avec le communiqué de l’OMCT, que toute la lumière doit être faite sur le décès d’Ali Saïdi et de ses deux frères. Nous appelons les organisations tunisiennes et internationales à reprendre le dossier avec les avocats concernés, notamment Me Maâtar et Me Hosni, en vue de reconsidérer les conditions dans lesquelles s’était déroulé le procès en appel des femmes accusées, qui pourraient fort bien n’être que des coupables de convenance. On pourra ainsi formuler des demandes d’information précises à l’endroit du gouvernement de Tunis. Au vu de son degré de collaboration avec les enquêtes indépendantes, on pourra décider des suites à donner à cette affaire, y compris auprès des organes des Nations Unies compétents dans ce genre d’affaires (torture, exécutions extrajudiciaires…)

L’enjeu étant non seulement d’éclairer la mort d’Ali Saïdi, mais également de faire libérer deux femmes qui, si elles sont innocentes, ne pourront jamais sortir de prison que mortes ou folles.

En conséquence, nous appelons les organisations compétentes à exercer leur mandat sur le cas Ali Saïdi, à diligenter une enquête sur son meurtre et à demander information au gouvernement tunisien sur cette affaire.

Nom & prénom

Qualité ou fonction

signature

     
     

A retourner au CIDT-TUNISIE  cidtunisie@free.fr , qui transmettra à tous les intéressés.


Ligue Tunisienne pour la Défense des Droits de l’Homme Section de Bizerte 75 avenue Ferhat Hached, 7001 Bizerte Tel : 72 435 440 Bizerte, le 30 décembre 2005 Communiqué à l’opinion publique

Arrestation de Kabil Naceri, libéré en même temps qu’une série de prisonniers politiques le 2 novembre 2002

La section de Bizerte de la LTDH informe l’opinion publique que l’ex prisonnier politique Kabil Naceri a été arrêté le 29 décembre 2005 par des agents de la brigade spéciale de Menzel Bourguiba de façon illégale.
Kabil Naceri avait été condamné à trois ans d’emprisonnement par la chambre criminelle de la Cour d’Appel de Tunis et à cinq ans de contrôle administratif (dans l’affaire connue sous le nom d’ »Ariana »). Il avait été libéré à titre conditionnel en même temps qu’une série de prisonniers politiques le 2 novembre 2005 au terme de deux ans et huit mois à peu près ; sa peine aurait dû s’achever le 27 février 2006.
Depuis sa sortie de prison, il a fait l’objet de traque et d’agressions diverses de la part des agents de la brigade spéciale. Il a dû se présenter régulièrement au poste de la sûreté sous le prétexte du contrôle administratif. Il refusait à chaque fois pour protéger sa nouvelle liberté et ses droits fondamentaux. Car le contrôle administratif suppose de résider dans un lieu connu de la Sûreté, de ne pas en changer et de ne pas quitter la circonscription du gouvernorat dont relève le lieu de résidence sans autorisation délivrée par la Sûreté.
Lors de son procès il avait déclaré avoir été soumis à la torture par les agents qui avaient mené l’enquête et avait fait l’objet de mauvais traitements après sa sortie de prison.
La section de Bizerte de la LTDH exige des autorités concernées sa libération immédiate, la fin de la traque et des violations qui ne cessent de s’abattre sur lui depuis sa sortie de prison. Elle exige que le contrôle administratif soit appliqué dans le respect de la loi et que soit ouverte une enquête et que soient poursuivis tous ceux dont il est avéré qu’ils se sont rendus coupable de torture ou de menace de torture à l’endroit de Kabil Naceri.
La section attire l’attention sur les violations répétées et la traque dont font l’objet quotidiennement les prisonniers libérés dans le cadre de la même affaire et d’autres jeunes gens libérés provisoirement et déférés pour enquête devant le Tribunal de Première Instance de Tunis en vertu de la loi antiterroriste.
Pour le comité de section Le Président de la section Ali Ben Salem
(Traduction ni revue ni corrigée par les auteurs de la version en arabe, LT)


Lutte contre l’alcool au volant

Un partenariat tuniso-français à la rescousse !

La consommation de l’alcool au volant qui continue à être la principale cause des accidents de la route en Tunisie constitue le cheval de bataille de la stratégie de sensibilisation mise en place par l’ATPR. Un projet de partenariat avec la France place le phénomène au cœur des campagnes programmées pour le futur. Tunis-Le Quotidien
Le partenariat entre l’Association Tunisienne de la Prévention Routière (ATPR) avec la Prévention Routière Française s’est concrétisé le 24 décembre dernier par l’organisation d’une campagne de sensibilisation axée sur la lutte contre la conduite en état d’ivresse et qui a eu lieu dans un restaurant très branché de la banlieue Nord de la capitale qui est très fréquenté par les jeunes surtout à l’occasion des grandes fêtes.
D’après les données disponibles relatives aux accidents de circulation enregistrés en Tunisie, la consommation de l’alcool est considérée comme l’une des principales causes d’accidents qui devance de loin l’excès de vitesse.
«Il faut traiter le problème comme il se présente et ne plus essayer de masquer la vérité», indiquent les responsables de l’ATPR qui estiment que : «parmi les raisons qui empêchent la politique mise en œuvre en Tunisie dans le domaine de la prévention routière d’aboutir à de vrais changements dans les comportements des citoyens, c’est le fait qu’il y ait encore des tabous qui handicapent le travail sur le terrain».
Le projet de partenariat avec la France comporte en fait plusieurs volets mais l’intérêt porte essentiellement sur la mise en route d’une stratégie de sensibilisation ciblant le public jeune, qui reste d’après les statistiques la catégorie de personnes les plus exposées au fléau. Raison pour laquelle les jeunes sont au cœur du public ciblé par les programmes de lutte conte la conduite en état d’ivresse.
Le partenariat entre l’ATPR et son homologue français est axé sur le développement d’un comportement plus averti à ce niveau.
Les politiques de prévention routière des pays européens considèrent en fait la population jeune, à la fois comme étant la cible et les principaux acteurs des campagnes contre l’alcool au volant.
L’ATPR qui a accueilli un groupe de jeunes français opérant dans les organismes de prévention routière en France souhaite en effet développer davantage la communication préventive destinée aux jeunes. Une population qui pourrait bien changer la situation des accidents en Tunisie si elle adopte un comportement routier plus averti grâce à des stratégies de sensibilisation adéquate.
H.G. (Source : « Le Quotidien » du 1er Janvier 2006)
 


Remarque préliminaire de la rédaction :

Nous avons reçu le 29 décembre 2005 un courrier électronique de la part de Monsieur A.B contenant le texte de l’interview « importante oubliée » (selon lui) suivante accordée par le Professeur Mohamed Talbi à JA/L’Intelligent.

Nous remercions Monsieur A.B (qui nous a fourni l’article) pour son initiative. En fait, nous ne l’avons pas « oubliée » mais nous attendions que le site

www.jeuneafrique.com soit mis à jour pour pouvoir le mettre à disposition de nos abonnés et lecteurs. Tout simplement.

Bonne lecture

Mohamed Talbi

Un musulman peut-il vivre et pratiquer sa religion dans n’importe quelle société, aussi permissive soit-elle ?

Oui, absolument, répond l’historien et penseur tunisien. Mais à une condition : l’abandon pur et simple de la Loi islamique telle qu’elle a été conçue il y a dix siècles.

La charia ou l’islam, il faut choisir

Propos recueillis à Tunis par Dominique Mataillet

« Moi Mohamed Talbi, Je peux vivre ma vie et mon éthique de musulman dans n’importe quelle société, aussi permissive soit-elle. Parce que je m’assume en conscience sans m’immiscer dans les affaires des autres. »

Ces deux phrases ne suffisent pas, évidemment, à donner toute la mesure de la pensée de cet historien tunisien de 84 ans (*). Au moins en donnent-elles le ton. À ses yeux, il n’y a rien, absolument rien d’inconciliable entre la pratique de l’islam le plus authentique et la modernité d’origine occidentale, y compris sous ses aspects les plus extravagants. À une condition : l’abandon pur et simple de la charia. Autant le message de Dieu transmis à Mohammed à travers le Coran a une portée définitive, autant le corpus de textes juridiques élaboré par des hommes dans des circonstances particulières, le monde arabe d’il y a plus de dix siècles, peut et doit être complètement remis en question. Ce que l’homme a fait, l’homme peut le défaire.

Si l’islam est clairement compatible avec la démocratie, la laïcité et bien entendu les droits de l’homme, il n’est pas pour autant une vague croyance en un Dieu tout-puissant et miséricordieux dont Mohammed serait le dernier des prophètes après ceux des juifs et des chrétiens. L’observance y tient une part essentielle, consubstantielle, notamment sous la forme de deux prescriptions fixées dès le début du Coran, dans la sourate II : la prière et la zakat, l’impôt de purification.

Comme Mohamed Talbi le rappelle dans l’un de ses derniers ouvrages, Universalité du Coran (Actes Sud, 2002), le Livre saint est un texte achevé, définitivement clos. On ne peut rien y ajouter ni en retrancher. Mais le message qu’il nous livre est infiniment ouvert à la lecture et à la méditation. Cette lecture peut être tournée soit vers le passé et les Anciens (salaf), comme le font les salafistes, soit vers l’avenir, et c’est ce que propose l’historien tunisien.

Par-delà la lettre, il cherche à placer chaque question dans le dessein global de Dieu. Il a donné à cette méthode le nom de « vecteur orienté » et prend souvent comme exemple l’esclavage. Plusieurs versets en parlent comme d’un phénomène social normal. Faudrait-il le maintenir pour rester fidèle au Coran ? Il est clair, affirme Mohamed Talbi, que la recommandation de bien traiter les esclaves et la multiplication des incitations

à les affranchir sont une étape vers l’abolition de cette pratique. Le même raisonnement peut s’appliquer à la polygamie, dont la réglementation dans le Coran était une avancée pour les femmes à l’époque du Prophète.

Si Mohamed Talbi rappelle le caractère contraignant des prescriptions de l’islam, qui est d’abord une expérience existentielle, une relation continue avec Dieu, notamment à travers la prière, il insiste tout autant sur le fait que la foi est un choix individuel et non la conséquence de l’appartenance à une communauté.

« Nulle contrainte en religion», ne cesse-t-il de clamer en citant le Coran. En cela, il se différencie fondamentalement des islamistes, dans lesquels il voit les ennemis de la liberté par excellence.

Mais il ne veut pas non plus être confondu avec ceux de ses collègues qui travaillent à la rénovation de la pensée musulmane en s’attaquant au caractère sacré du Coran. Comme on le verra dans les pages qui suivent, il ne fait guère preuve de mansuétude à l’égard de ceux qu’il appelle les « désislamisés ». •

JEUNE AFMQUE/L’INTELUGENT : Que vous inspire la poussée des Frères musulmans en Egypte?

MOHAMED TALBI: II me semble que c’est un peu dépassé d’analyser le problème religieux à partir des Frères musulmans. Si l’organisation existe toujours, elle a perdu de son influence, de sa cohésion. Elle s’est fondue dans un mouvement islamiste plus large, qui englobe tous les salafistes, tous les passéistes, tous ceux qui veulent appliquer la charia. Et où l’on retrouve les wahhabites saoudiens.

Ne peut-on rapprocher certains islamistes du Maghreb des Frères musulmans ?

En Tunisie, je ne vois pas de Frères musulmans. En Indonésie, au Pakistan, non plus. Ce sont des salafîstes. Ils ne se réclament pas de Hassan al-Banna. Ceux qui se réclament de lui sont aujourd’hui à l’état résiduel. Au fond, les Frères musulmans restent un phénomène égyptien. C’est le wahhabisme qui est en train de s’étendre. En s’assouplissant, il devient un pôle d’attraction avec une revendication commune : l’application de la charia. Tous disent : peu importe le système de gouvernement, démocratie ou dictature. Ce que nous voulons, c’est la charia.

On voit quand même des islamistes participer au jeu démocratique, comme en Algérie ou au Maroc.

Ne me parlez pas d’islamistes qui jouent le jeu démocratique ! L’islamisme et la démocratie sont totalement inconciliables. Pour l’islamiste, le législateur, c’est Dieu. Et c’est tout. Pour un démocrate, la souveraineté appartient au peuple. L’un dit : la souveraineté est transcendantale ; l’autre dit: elle est horizontale. Il y aura toujours cette pierre d’achoppement qu’est la charia. Même s’ils mettent une sourdine à l’application des houdoud, les peines mutilantes, ils n’y renoncent pas. Ou alors, qu’ils déclarent solennellement les houdoud obsolètes.

Ils peuvent par taqiyya, dissimulation tactique, temporiser. Parce que la solution existe dans la charia. Chiites, sunnites ou kharidjites se sont tous ménagé un tel refuge. Mais, sur le plan doctrinal, ils ne renoncent pas. À moins qu’ils ne changent radicalement leur système de pensée et ne déclarent que la charia est faite de la main de l’homme et qu’elle n’oblige pas, qu’il n’y a que le Coran qui oblige le musulman.

C’est votre credo ?

Oui, moi, je suis un musulman coranique. Je dis toujours : je n’adore ni Ali, ni Omar, ni aucun homme. Ce qui

ne signifie pas que je ne les admire pas sur un certain plan, mais comme on admire un homme, avec ses qualités et ses défauts. Je pourrais dire par exemple qu’Ali était un mollusque, un invertébré, alors qu’Omar était astucieux et assez manipulateur. Il a succédé à Abou Bakr par un coup de force. Sur le plan historique, il a réussi un coup formidable. Après la mort du Prophète, il a évité la dispersion des musulmans, car l’esprit tribal n’était pas mort. Les compagnons du Prophète ont agi comme des hommes politiques et utilisé tous les moyens

pour prendre le pouvoir. Ils ont violé, tué des femmes et des enfants…Comment voulez-vous que je puisse admirer aveuglément le salaf ?

Donc, les musulmans n’étaient pas meilleurs que les autres.

Ce n’est pas parce qu’on est musulman qu’on devient un saint ! On garde les mêmes instincts.

Quelle est votre définition de la Oumma?

Ni une communauté ni une nation, c’est une entité spirituelle. Pourquoi devrait-on en faire une communauté ghettoïsée? La ghettoïsation fait beaucoup de mal. C’est le Liban. On vous catalogue comme musulman, parce que votre arrière- arrière-grand-père était musulman. Il faut rénover totalement la pensée musulmane. La première chose à faire est de libérer les musulmans de la charia et de l’emprise des oulémas. Après quoi, les choses bougeront. Tous ces mouvements islamiques qui se disent démocratiques sont seulement cyniques.

Vous pensez à qui ?

Rached Ghannouchi, le Tunisien, se dit démocrate. Parce qu’il sait très bien qu’il n’a aucune chance de prendre le pouvoir par la force. Il se dit : peut-être ai-je une chance par le biais de la démocratie. Et une fois au pouvoir, il tordra le cou à la démocratie. Et instaurera un régime à la manière des talibans. Parce que le régime islamique idéal, ce n’est pas celui des Frères musulmans, mais des talibans. Ils appliquaient la charia intégralement.

Ils disaient aux femmes : vous n’avez pas le droit d’aller à l’école. La charia, c’est ça. La femme ne doit pas apprendre à lire et à écrire.

Il y a des islamistes modérés qui font le tri dans la charia et ne veulent pas aller jusque-là. Exemple, le parti membre de la majorité présidentielle en Algérie…

Oui, mais il faut toujours compter avec la dissimulation tactique. Qu’ils disent franchement : liberté absolue pour ceux qui veulent boire comme pour ceux qui ne veulent pas boire. Cela rentre dans le cadre de la foi, qui repose sur la liberté. Celui qui ne boit pas parce qu’il ne le peut pas n’a aucun mérite. Et il est quand même immoral d’obliger quelqu’un à boire en cachette. C’est toujours le même cas de figure. Ils comptaient

prendre le pouvoir par la force. Ils ont échoué. Il ne leur reste que la voie démocratique. Une fois au pouvoir, ils feront ce que fait l’Iran et surtout ce que faisaient les talibans.

Ils se montrent parfois de bons gestionnaires à la tête de municipalités.

Je ne dis pas le contraire. Parce qu’ils sont engagés idéologiquement, ils réussissent beaucoup mieux, sur le plan social, que tous les autres. Au Maghreb, il n’y a plus de parti qui soit vraiment propre. L’opportunisme règne. Fini les médecins qui travaillent pour rien, les enseignants qui encadrent gratuitement les enfants pauvres. Sauf chez les islamistes. Pour cela, chapeau !

Vous dites souvent: « On ne combat pas les idées islamistes par la seule répression. »

Combattre les islamistes par la coercition, la prison, la torture, c’est inacceptable et surtout totalement inefficace. La liberté est indivisible. J’ai beau ne pas être d’accord avec ses idées, lorsqu’on prive un islamiste de ses droits, je suis de son côté. Comme je pourrais être du côté des communistes athées. La seule chose que je défends avec véhémence, c’est la confrontation des idées et la liberté pour tout le monde. C’est à la société de choisir son devenir en connaissance de cause. Pas de mensonge, de camouflage. Voici mes idées, défendez les vôtres sans dissimulation, expliquons-nous.

Si je dois parler à un islamiste, moi qui suis musulman de foi et de pratique, mais exclusivement coranique, je lui demande : est-ce que, oui Ou non, vous pensez que la sunna a force de loi? Et que le hadith est authentique? Répondez en toute franchise. Et lorsqu’il commence à louvoyer, je lui mets un hadith sous les yeux : «Quiconque change sa religion, tuez le ! » Est-il authentique ou non? S’il me dit qu’il est authentique, il est en accord avec lui-même. Mais il n’y a aucun accord entre nous. Nous ne pouvons pas dialoguer si vous demandez

ma tête parce que vous me déclarez apostat. Mais tant que vous me dites que le hadith est authentique et oblige, je vous combats. Désignez franchement la société que vous voulez faire, celle où l’on coupe des mains parce qu’on prétend que le Coran le dit. Ma lecture du Coran me fait penser qu’il ne le dit pas. Et pour l’adultère, vous tuez ou ne tuez pas ? Dites que vous voulez d’une société où l’on lapidera, uniquement les femmes d’ailleurs, parce qu’il est impossible d’établir l’adultère pour l’homme. Les hommes ont pris leurs précautions !

Vous espérez convaincre les islamistes ?

Il faut les acculer, les obliger à se démasquer, à dire comment ils veulent organiser la société de demain. Permettez-vous à l’homme de châtier corporellement sa femme? Ou sa sœur ou toutes les « femelles » sous

sa coupe ? Il y a un verset coranique à ce sujet. Vous l’appliquez ou vous ne l’appliquez pas ?

Pensez-vous que l’islamisme a encore un avenir au Maghreb ?

Non. Si les choses se passent honnêtement, la société civile l’emportera. Au maximum, les islamistes pourront

faire des scores entre 15 % et 20 %. À condition de les démasquer. De dire aux femmes qui vont voter : voulez-vous que les hommes prennent un fouet et vous flagellent ? Sans encourir aucun châtiment ? Les islamistes disent : ah non, nous ne faisons pas ça. Je leur réponds : alors déclarez abrogé ce verset coranique. En public. Ils ne le feront jamais.

Je considère que notre avenir de musulmans dépend de notre aptitude à rénover notre pensée pour vivre notre foi en accord avec la modernité. Et je prétends que c’est possible. À une condition : l’abolition de la charia. Dieu nous met en garde contre les oulémas. Je cite un verset : « Malheur à ceux qui écrivent de leurs mains et disent : ceci vient de Dieu. »

Nous avons vécu deux siècles sans oulémas et sans hadiths. Tout cela a été construit au IIIe siècle de l’Hégire. Le recueil de Boukhari [mort vers l’an 250 de l’Hégire] est devenu le Coran des salafistes. Pendant deux siècles, donc, il n’y avait pas de charia. Elle a connu ses premiers balbutiements avec Malik ibn Anas. Et encore, Al-Muwatta,.qu’a écrit Malik, mort en 179 [795 après J.-C.], est un opuscule ne contenant que sept cents traditions environ. Et l’on est arrivé par la suite à 50 000 traditions avec Ibn Hanbal. Comment se peut-il que l’homme qui a été en contact avec les compagnons du Prophète n’a retenu que quelques centaines de hadiths, et qu’on en est arrivé par la suite à 50 000 ?

Pourquoi ces données historiques sont elles si mal connues ?

Les dictatures interdisent tout débat. Sans elles, on aurait avancé énormément.

Pourtant, on voit fleurir les livres sur la rénovation de la pensée musulmane. Comme celui de votre compatriote Abdelmajid Charfi, L’Islam entre le message et l’Histoire.

Oui, mais il n’y a pas de discussion autour de ces livres. On les sort, un point c’est tout. Prenons l’ouvrage de Charfi [édité par Albin Michel, en 2004]. La traduction, soit dit en passant, est mauvaise. Il prône un islam exclusivement identitaire. Sans conviction de foi et sans obligation cultuelle. Le Coran est un texte historique,

probablement dû à une espèce de fermentation dans la tête de Mohammed, un homme de tempérament extatique objet d’une multitude d’influences. À partir de cette fermentation, il a commencé des allocutions, qui n’ont été conservées ni dans leur intégralité ni dans leur authenticité – elles ont subi les aléas de l’Histoire -, ce qui a donné la vulgate actuelle.

Il y a deux façons de fermer la prophétie. Comme une maison. Ou bien on la ferme de l’intérieur, et on reste prisonnier de la maison : c’est ainsi que les musulmans ont compris la fermeture de la prophétie. Ou bien on ferme la maison de l’extérieur, on met la clef sous la porte et on vide la maison. L’homme est devenu majeur et libre. Il fait ce qu’il veut. Il prie comme il veut, quand il veut. Il n’est tenu par aucun culte. Ce qui reste,

c’est une éthique. C’est exactement ce que veulent faire certains gouvernements. On ferme les mosquées, on n’apprend plus le Coran. Le culte ? Aux oubliettes. Qu’est-ce qui reste ? Des gens qui disent : on a un bon vieux livre qui a été fabriqué au cours de l’Histoire, dont l’initiateur était probablement un certain Mohammed. Les orientalistes parlaient d’un épileptique, on dit aujourd’hui un extatique. Il n’y a pas grande différence. Si on appelle cela islam, je ne vois pas la différence avec l’athéisme.

Il y a toute une école qui va dans ce sens. Son siège est à la Manouba [une des universités de Tunis], et le dénominateur commun, c’est la désacralisation du Coran.

Alors, le travail d’Abdelmajid Charfi est, à vos yeux, sans intérêt.

Dans son livre, il n’y a rien de sérieux. Il fait dire à l’Histoire ce qu’elle ne dit pas. En glanant un mot par-ci un mot par-là, mais surtout en prenant le folklore pour l’Histoire. Il rapporte toutes les naïvetés, toutes les stupidités colportées par les conteurs publics. Il dit, par exemple, que les Arabes ne savaient pas ce qu’était un livre. Le mot livre dans le Coran ne signifie pas livre. Pas un livre en papier, en tout cas. Comment voulez-vous que je prenne au sérieux une ânerie de ce genre? Charfi dit encore qu’on ne sait pas comment le Prophète déclamait les fragments qu’on peut lui attribuer. Était-ce sur le ton de la menace ou de l’amadouement ? Quel était le timbre de sa voix ? Quelle était sa mimique ? Je demande : est-ce qu’il faut que Sophocle soit là pour m’indiquer comment jouer sa tragédie? Est-ce qu’il faut que Platon soit là pour me dire comment vivre sa cité idéale ? Faut-il que Kant soit là pour me dire comment lire sa Critique de la raison pure ? Charfi divague.

Parmi les autres recherches autour de la rénovation de l’islam, lesquelles, à vos yeux, vont dans le bon sens ? Que pensez-vous, par exemple, du dernier livre de Sadok Belaïd ?

II était mon élève. Je connais bien son livre [L’Islam et le droit. Une nouvelle lecture des versets prescriptifs. Centre de publication universitaire, Tunis, 2000], qui donne le point de vue du juriste. Il traite en particulier de la charia. Son livre est bon, mais on ne peut pas dire qu’il rénove la pensée musulmane. Car il ne touche pas aux questions fondamentales. Il lui manque la connaissance de toute la littérature classique sur le sujet.

Cette littérature est à la fois énorme et peu accessible. Il s’agit d’une langue technique, dont les concepts, marqués par leur temps, ne sont plus en usage, même chez les oulémas. Il n’y a rien de plus difficile que de lire, par exemple, le Kitab al-Oum de Châfiî (150-205 de l’Hégire), le fondateur de la méthodologie du droit et de la charia.

Souvent, aussi, les textes sont très mal établis. Dans un ouvrage d’exégèse fondamental comme le Tafsir de Razi, il n’y a pas une seule page qui soit sans embûche. Seul celui qui a l’habitude devine et réussit à rétablir le texte. Dans les manuscrits anciens, il y a des points diacritiques qui manquent ou qui ont été mis de travers. Lorsqu’il s’agit d’un tétragramme de consonnes, on s’y perd complètement. Parfois, c’est le copiste lui-même qui a mal lu l’original.

Malheureusement, dans notre enseignement théologique, on ne forme pas de chercheurs rompus à cette technique. Les oulémas, par ailleurs, ne connaissent que l’arabe. Ils n’ont aucun moyen de comparaison,

aucune idée de ce qu’est la science des religions ou la critique des textes. Us ne savent rien de ce qui s’écrit en Europe et remet en question tout le savoir ancien.

Vous parlez des chercheurs tunisiens ou arabes en général ?

Les chercheurs tunisiens sont infiniment mieux formés, même si l’université de la Zitouna reste très traditionnelle. Nous avions voulu la rénover. Jai moi-même présidé à la fin des années 1990 une commission, et nous avons proposé des manuels qui constituaient un progrès énorme. Ils ont été refusés, car ils heurtaient certaines manières de faire. Nous avions voulu introduire l’étude de l’hébreu, du latin. Comment voulez-vous connaître la littérature médiévale européenne si vous ignorez le latin ? Il faut parfois aller au texte.

Un exemple : le Credo de Nicée [adopté au cours du concile de 325 et dans lequel le Fils est déclaré de la même substance que le Père]. Il n’y a aucune traduction qui soit parfaitement adéquate, y compris celle qui est dans le catéchisme de l’Église catholique. Un texte aussi fondamental est très difficile à rendre en français, en allemand ou en anglais. Lorsqu’on est un spécialiste, on doit connaître la langue fondamentale de son domaine. Un spécialiste du christianisme ne peut ignorer ni le latin ni le grec. Parce que l’original du latin est grec. Le Septante, le premier texte de la Bible, a été écrit en grec. Je n’y ai pas accès, et je sens que cela me manque.

Quels penseurs actuels, en Tunisie, vous semblent néanmoins intéressants ?

Parmi les penseurs musulmans actuels figurent des zitouniens produisant des travaux classiques, qui n’innovent en rien mais sont utiles. Hmida Ennaifar, un imam connaissant bien le français, me semble un des plus intéressants. De même que Kamel Omrane, qui enseigne à la Manouba et écrit en arabe. Il y a en effet toute une génération qui lit le français, le parle, mais n’est pas à l’aise dans l’écriture de cette langue. Je peux citer aussi Amel Grami, qui elle aussi aborde les questions actuelles.

Les autres sont des islamologues. Leurs écrits, même en arabe, sont influencés par l’orientalisme. Ils en sont des continuateurs. Annie Laurent, une Française, l’a bien vu. Nous n’avons plus besoin, dit-elle, de poursuivre la polémique avec l’islam, des musulmans s’en chargent. De nombreux auteurs écrivent sur l’islam avec distanciation, en mettant en perspective un islam qu’ils ne pratiquent plus, auquel ils ne sont qu’identitairement attachés.

Mais leurs travaux ont leur utilité?

Je les lis. Mais je ne peux pas dire que je trouve plus chez Charfî ou chez Djaït que chez n’importe quel islamologue.

Hichem Djaït n’est pas un penseur musulman ?

Il le reconnaît franchement. C’est pour cela que je l’apprécie. Il a écrit un livre sur Mohammed où il dit : « Pour moi, ce n’est pas un prophète. Je l’aborde en tant qu’homme. » II admet qu’il n’est pas croyant et met entre parenthèses l’aspect métaphysique ou théologique. Il est honnête. Issu d’un milieu d’oulémas, il avoue conserver une certaine nostalgie pour la religion dans laquelle il a fait ses premiers pas. Mais, dit-il encore, il vaut mieux penser la modernité sans Dieu. Au moins, c’est clair.

Mais Djaït, pour un musulman qui a une connaissance limitée de la religion, c’est comme Drewermann pour un chrétien qui a fait un peu de catéchisme. Eugen Drewermann, qui est un psychiatre, n’est pas facile à déchiffrer. Mais il est séduisant, il dit qu’il faut tout casser. L’Église ne le considère plus comme un chrétien, mais lui se considère encore comme tel. Vous mettez un de ses ouvrages entre les mains d’un jeune chrétien : ou bien il n’y comprend rien, ou bien il abandonne sa foi.

Avec Djaït, c’est la même chose. Soit le lecteur n’y comprend pas grand-chose, soit il dit : je me convertis à un islam où il vaut mieux se débarrasser de Dieu, parce que c’est plus confortable.

À la différence de Djaït, d’autres désislamisés ne le reconnaissent pas franchement. Le meilleur exemple, en France, c’est Mohamed Arkoun. Il est chrétien avec les chrétiens, musulman avec les musulmans, juif avec les juifs. Il est tout ce qu’on veut. Avec lui, c’est le démantèlement du Coran, un livre de violence. Il ne faut pas l’enseigner, il faut le déconstruire, le supprimer, etc. Il dit : moi, je m’intéresse au fait religieux. Le Coran rentre dans le fait religieux, comme la Bible ou les upanishades indiennes.

Les désislamisés veulent créer ce qu’ils appellent un islam laïc. Un islam sans Dieu. Et cet islam est en train d’attirer beaucoup de monde, parce qu’il est commode. Il n’y a plus aucune obligation, il se réduit à une identité. Hamadi Redissi, un professeur

de droit [et auteur de L’Exception islamique, éd. du Seuil, 2004], demande : quand les musulmans vont-ils comprendre que leur Coran est apocryphe ? Lorsque j’ai écrit dans une revue tunisienne que Redissi n’est pas musulman, il a répondu qu’il est musulman à sa manière. Il ne veut pas renoncer à son identité.

Vous souhaitez faire partager vos convictions ?

Pas du tout. Je ne fais pas partager mes convictions. Je les expose comme le marchand de légumes expose ses salades. Il expose, mais ne dit jamais « Choisissez ma salade plutôt que des tomates. » D’ailleurs, je n’offre jamais un de mes ouvrages à qui que ce soit. Ce serait une manière détournée de lui dire : lisez-moi. Je

ne pratique pas le harcèlement religieux. Dieu me dit dans le Coran de témoigner (chahada), c’est tout.

Ne souhaitez-vous pas que les Tunisiens vivent dans le vrai islam?

Je ne souhaite rien du tout. Parce que souhaiter, c’est, déjà, vouloir influencer. Je témoigne, et c’est à chacun, librement, en conscience, de souhaiter ce qu’il veut être. Je n’ai même rien souhaité pour mes enfants. Ils sont loin de partager mes idées. Dieu a donné la liberté à l’homme pour qu’il soit capable de désobéir. Il faut qu’il soit capable de mentir pour qu’il y ait la vérité. Si l’homme n’était pas sciemment, intelligemment, consciemment capable de parler faux et de tromper, il ne serait pas libre. Il serait conditionné.

Pourquoi voulez-vous que je fasse ce que Dieu n’a pas fait ? Si Dieu souhaitait que tous les hommes soient musulmans, ils le seraient tous. Ou chrétiens, ou juifs, ou bouddhistes. Mais Dieu n’a rien souhaité. Dans le Coran, il ne fait même pas de miracle. Pour ne pas influencer l’homme. Rien, pas un seul miracle. Des signes seulement. Regardez les signes, dit-il, et faites ce que vous en voulez. Ou vous me trouvez, ou vous ne me trouvez pas.

Le prosélytisme doit être banni de la tête de tout musulman. Et plus encore évidemment l’assassinat pour apostasie. Il n’en est nullement question dans le Coran.

Qu’est-ce qui définit, enfin de compte, le musulman?

C’est le Coran qui le dit. Au début de la sourate II, Dieu dit : « Voici le Livre ! Nul doute à son sujet. Guidance pour ceux qui craignent Dieu. Ceux qui croient en l’Invisible. » La foi, justement, commence à partir du moment où, du visible, on fait le saut dans l’invisible. C’est un acte libre. Il n’est pas mathématiquement contraignant. Un mathématicien devant une équation n’a pas 36000 solutions, mais une seule. Il est contraint de suivre un raisonnement et pas un autre. L’homme de foi, non.

Le musulman est celui qui croit dans le Livre, qui croit dans l’invisible, qui s’acquitte de la prière, de la zakat. Laquelle n’est pas un impôt pour faire des routes, mais une imposition pour purifier les biens : je ne peux manger mon pain qu’en en donnant une part à celui qui n’en a pas.

Le musulman est aussi celui qui croit à toutes les révélations précédentes. Je crois que Dieu a parlé à l’homme à partir du moment où il est devenu homme, il y a quelques dizaines de milliers d’années. À partir du moment où

il a reçu un langage avec une grammaire et avec des mots qui lui permettent l’abstraction. Sans abstraction, point de Dieu. L’animal est incapable d’abstraction.

Et c’est lorsque l’homme a pu conceptualiser que Dieu lui a parlé. Tel Adam, l’homme auquel Dieu a parlé.

Où est la frontière entre les musulmans et ceux que vous appelez les désislamisés?

Je ne peux interdire à personne de porter le label de musulman, mais le musulman, c’est celui qui est tenu par le Coran. Je prendrai une image. L’islam est comme une tente. Avec quatre piliers et un sommet. Le sommet, c’est la chahada. La prière, la zakat, le jeûne et le pèlerinage forment le carré que couvre la tente. Ceux qui sont à l’intérieur de la tente sont musulmans.

En pratique, la. plupart des musulmans appliquent comme ils veulent la religion, font le ramadan

mais pas la prière…

Oui, mais ils restent des musulmans virtuels. Du moment qu’ils s’acquittent ne serait-ce que d’une seule prescription. Et même lorsqu’ils ne s’acquittent d’aucune prescription mais conservent l’esprit de repentir, ils font partie de la Oumma, virtuelle. Elle inclut ceux qui croient au caractère obligatoire des prescriptions, ne les rejettent pas par principe, mais se disent : je n’ai pas le temps, je n’ai pas envie, j’ai mes préoccupations, mais un jour…

À ceux dont la vie ne permet pas de respecter les prescriptions, je dis : faites comme le Prophète. Lorsqu’il était sur sa monture et que l’heure de la prière arrivait, il la faisait avec les yeux. Il récitait le Coran en remuant les paupières. Cela prend trois ou quatre minutes. Personne ne s’en aperçoit. J’ai souvent prié de cette façon en voiture ou dans l’avion.

Et cette prière est valable ?

Absolument. Prenons l’exemple du chirurgien. Il ne peut laisser un malade mourir pour aller faire sa prière. Soit il fait toutes ses prières en une fois, le soir. Ou bien, en manipulant le bistouri, il pense à Dieu, il balbutie quelques versets, il fait le geste avec les yeux.

Pour le ramadan, si je n’ai pas envie déjeuner, je peux ne pas jeûner. Et le jour où j’en ai envie, je rattrape. C’est absolument valable. Pourquoi devriez-vous crever de soif pendant l’été ? Si vous n’êtes pas convaincu, cela ne sert à rien. Jeûner sans conviction est stupide. C’est une privation pour rien. Ou bien ça vient du cœur, ou bien ce n’est pas la peine.

Vous parliez de témoignage. Qu’est-ce à dire, concrètement ?

Dieu a donné une langue, des mains, des yeux à tout le monde. Chacun témoigne à sa façon. Le chanteur témoigne en chantant et la danseuse en dansant. Et c’est très bien. Moi, je témoigne en écrivant, comme Michel Houellebecq.

Drôle d’exemple…

Il m’est très sympathique. C’est un homme franc, et j’aime la franchise.

Vous avez lu ses livres ?

Oui, j’en ai lu un. J’ai même écrit un article pour le défendre. Pourquoi chercher des noises à cet homme parce qu’il dit ce qu’il pense ? Il a dit que l’islam est la religion la plus con du monde. Pourquoi pas ?

Il peut dire cela dans un roman. Mais il l’a dit dans les médias, ce qui est autre chose.

Mais il peut dire ce qu’il veut et partout. Je peux dire que le Coran, c’est de la connerie : je ne diffame personne en particulier. Si on m’interdit de le dire, il n’y a plus de liberté. Si je ne suis pas libre de dire que c’est de la connerie, je ne suis pas libre non plus de dire que c’est la vérité. Les deux libertés sont liées.

En France, dire que l’islam est de la connerie est éminemment contestable. Sur le plan de la coexistence entre les communautés, c’est très dangereux…

C’est dangereux parce que les gens, même en France, ne sont pas encore mûrs pour accepter l’autre tel qu’il est. On peut le trouver hideux, mais il est libre d’être hideux. Une seule chose que l’homme n’est pas libre de faire, c’est attenter à l’autre.

Je prends un autre exemple : Karl Barth, ce théologien suisse qui a renouvelé la pensée protestante. Dans The Church and the Churches, publié en 1939, il écrit, en substance, que le national-socialisme est un nouvel islam. Et que Hitler est son nouveau prophète. C’est stupide. Mais je ne me sens pas pour autant offensé. Il exprime sa pensée en toute liberté. Et si on considère qu’il a offensé l’islam, il a encore offensé davantage les chrétiens en leur disant que leur Évangile, c’est de la mythologie.

L’Église n’a pas excommunié Karl Barth, elle ne l’a pas empêché d’écrire et de publier, il a seulement été interdit d’enseignement. Tout ça pour dire que la liberté, c’est notre bien le plus précieux. Ce qui fait de nous des hommes. Voilà pourquoi je hais la dictature. Même si elle ne touche pas matériellement, elle affecte ce qu’il y a de plus précieux en moi : mon esprit. Elle m’oblige à croire des âneries. Elle ânifîe tout un peuple. Y a-t-il crime plus grand ?

Que pensez-vous du Conseil français du culte musulman ?

Je pense qu’il est nécessaire. Ne serait-ce que pour exercer un certain contrôle sur les lieux de culte, qui ne doivent pas être livrés à des gens qui s’autoproclament imams et disent n’importe quoi.

Le recteur de la mosquée de Paris a passé un accord avec le recteur d’Al-Azhar pour la formation d’imams français. Est-ce une bonne chose ?

Je ne pense pas. Parce qu’Al-Azhar est une université conservatrice et va former des imams très conservateurs, à moins qu’ils ne reçoivent un complément de formation en France. II faut créer une institution française de formation d’imams, ou augmenter la capacité de celles qui existent.

L’islam est aujourd’hui une religion de France. Il faut refuser, me semble-t-il, l’islam identité. L’islam authentique est une option individuelle. Le musulman, en France, doit être français comme tous les Français.

On progresse dans cette direction…

Mais c’est la seule solution. Le communautarisme est extrêmement dangereux, parce qu’il peut devenir séparatiste. La Grande-Bretagne, qui est un royaume uni, peut s’en accommoder. Mais elle ferait mieux de ne pas encourager un communautarisme musulman. Un jour ou l’autre, cette communauté musulmane provoquera un sentiment de rejet de la part des autres. Et c’est déjà le cas depuis les attentats de Londres. En temps de crise, elle devient une cible. Les protestants français étaient une cible jusqu’au début du XIXe siècle. C’est fini depuis qu’ils ne sont plus une communauté protestante.

Il vaut mieux que la religion soit ce qu’elle est, essentiellement un chemin vers Dieu. Une voie spirituelle. Qui n’a rien à voir avec la politique, avec une communauté, une organisation régionale bu nationale. C’est une réponse à un appel de l’au-delà. Et c’est tout. La Oumma n’est pas une communauté. C’est une traduction qui fait beaucoup de mal. Je l’ai utilisée moi-même, mais en précisant qu’elle n’est pas une communauté géographique, qu’elle est une communauté de prière et non pas de pierre… Maintenant j’évite le mot. C’est une entité spirituelle.

Les islamistes qui pratiquent le terrorisme restent dans votre Oumma ?

Attention ! C’est comme un violeur français. Est-ce qu’il cesse d’être français ? Non. Mais il relève de la loi. Un musulman qui commet un attentat relève de la loi, tout simplement. Comme n’importe qui. Mais on ne peut incriminer l’islam. Dans la Oumma, on peut trouver de tout, y compris des criminels. Il y a bien des délinquants sexuels qui sont en même temps des prêtres. On ne peut pas condamner le christianisme pour autant.

A ma connaissance, ces prêtres ne sont pas excommuniés.

Évidemment qu’on ne peut pas les excommunier. On n’enlève pas sa nationalité à un violeur. Ou à quelqu’un qui a commis un crime de sang. On peut mettre en prison ceux qui sont en infraction avec la loi, mais de quel droit les priver de leur nationalité ? Et même si on déchoit quelqu’un de sa nationalité, où ira-t-il?

On peut étendre cette idée à la religion ?

C’est pareil pour la religion. Je n’ai aucun droit de rejeter quelqu’un. Il peut de lui-même se rejeter. Un Français peut dire : je prends une autre nationalité. S’il la trouve. En religion, c’est la même chose. On peut dire : moi, je ne suis plus chrétien ou juif, j’opte pour une autre confession, ou je les rejette toutes.

Que pensez-vous de Tariq Ramadan ?

Je le connais bien. Si on le marginalise, on coupe les ponts avec tout un monde salafiste qui voit l’islam comme lui. Il est Frère musulman à l’origine, mais il est en train d’évoluer. Et puis, tous ceux qui prient et vont à la mosquée font partie de ma Oumma. C’est son cas. Il n’a d’ailleurs jamais fait l’apologie du crime. Et, s’il le fait, c’est l’affaire des tribunaux.

Mais vous avez dit qu’il y a des islamistes qui avancent masqués. Qui, derrière un discours lénifiant, sont des partisans de la charia dans ce qu’elle a de plus sévère.

Ils ont le droit d’être partisans de la charia. S’ils respectent la loi, ils peuvent défendre leurs idées. On peut être un citoyen français et un fondamentaliste chrétien. Les Evangélistes ou les adeptes du New Age ont le droit d’exprimer leurs idées.

Tariq Ramadan est soupçonné d’être partisan d’un régime islamique.

Il n’a jamais été clair sur le sujet. C’est son droit, comme c’est mon droit de le mettre au pied du mur. J’ai essayé de le faire lors d’un colloque à Cologne. Mais le modérateur m’a empêché de le pousser dans ses retranchements. Quoi qu’il en soit, il a le droit de dire : je fais un parti pour que les Français revendiquent l’application de la charia en France. Comme on peut réclamer une loi autorisant le mariage homosexuel. Ou encore une loi qui autorise le mariage entre mère et fils. Pourquoi pas ? C’est une loi aberrante. Comme la Charia est une loi que la majorité considère comme aberrante. Mais s’il y a une majorité pour l’application de la charia, je n’ai qu’à me taire. La souveraineté appartient au peuple.

Mais ce qui est autorisé n’est pas imposé. Moi, Mohamed Talbi, je peux vivre dans une société où des lois autorisent la polyandrie, la polygamie, l’inceste, l’homosexualité, la pédérastie. Si rien ne m’oblige bien entendu à vivre l’application de ces lois.

Il y a là des choses qui choquent votre conscience ?

Cela choque ma conscience, et je témoigne en disant que cela n’est pas bien. Mais je ne m’immisce pas dans les affaires des autres. Un musulman est un homme qui s’assume en conscience. N’importe où. Il peut vivre dans la société la plus complexe, la plus diversifiée, la plus permissive et conserver son éthique musulmane.

La liberté est ma religion. Dieu a créé l’homme libre, avec la capacité d’être un saint. Et aussi un dépravé. Dieu a fait l’homme ainsi : pourquoi voulez-vous que je le contredise ? La vocation de l’homme est d’aller vers la sainteté. Mais je ne peux empêcher personne d’emprunter la voie de la dépravation.

Il faut donc se plier à la loi dans tous les cas…

La loi, telle qu’elle est votée par la majorité, est souveraine. Tout le monde s’y plie. Sauf dans le cas où elle heurte votre conscience. Comme Antigone, dans la tragédie de Sophocle, qui enterre son frère malgré la loi de la cité.

La loi peut permettre tout ce qu’elle veut. Le musulman, lui, doit exposer la guidance divine, mais Dieu n’impose sa guidance à personne. S’il y a toutefois une majorité qui veut respecter la guidance divine, elle devient la loi.

Y compris pour l’organisation de la société ?

Oui. Mais le Coran est une guidance et non une loi toute faite. C’est exactement un éclairage. C’est pour cette raison que j’en ai une lecture vectorielle. Je le lis dans son intentionnalité.

Comment faire connaître le manifeste de Dieu?

Par le Coran et le Coran seul. Je n’impose pas d’enseigner le Coran. Je proteste quand on entrave son enseignement. C’est très différent. En Tunisie, aujourd’hui, on procède de façon pernicieuse en interdisant l’ouverture d’écoles coraniques. De quel droit ? Pourquoi peut-on ouvrir un bar et pas une école coranique ? Pourquoi y a-t-il des écoles de danse et pas d’écoles d’enseignement du Coran ?

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(*) Jeune Afrique/l’intelligent a présenté à de nombreuses reprises la pensée et le parcours de Mohamed Talbi. Nous lui avons notamment consacré un « Pleins feux » en octobre 2000 (J.A.I. n° 2076-2077). Mohamed Talbi s’exprime par ailleurs régulièrement dans ces colonnes.

(Source : JA/L’Intelligent N° 2346-2347 du 25 décembre 2005 au 7 janvier 2006, pages 100-107)

 


  Un an après sa disparition

Feu Mahmoud Messaâdi, docteur honoris causa

Néjib GAÇA Il a vécu 93 ans mais ce fut une vie si dense qu’on peut affirmer que Mahmoud Messaâdi en a vécu plusieurs.
Il a fait des études universitaires pour faire carrière dans l’enseignement et il est arrivé à concevoir la réforme de la politique de l’éducation nationale à l’aube l’Indépendance et le canevas-noyau de l’université tunisienne après avoir été directeur de l’enseignement secondaire et inspecteur général.
En 1933, il s’est affilié au parti du Néo-Destour pour se voir confier les affaires de l’enseignement.
Au sein de l’UGTT, il fut élu président de la fédération nationale des syndicats de l’enseignement, secrétaire général adjoint de la centrale syndicale (1948-1954) et membre de la commission exécutive du secrétariat professionnel international de l’enseignement (1951-1955).
Exilé dans le Sud tunisien de décembre 1952 à mai 1953 pour son activisme politique, il a fait partie de la délégation des négociations tuniso-françaises qui ont débouché sur l’autonomie interne en 1955.
Après l’Indépendance, il fut tour à tour ministre de l’Education nationale (secrétaire d’Etat), membre du Parlement, ministre de la Culture (fondateur de la revue Al Hayat Athaqafiya en1975) et président de la Chambres des députés (1981-1986).
A côté de cette vie socio-politique foisonnante, il a pu produire six œuvres majeures en plus de son activité de rédacteur en chef et d’éditorialiste.
Le barrage (1955), Haddatha Abou Hureïra qal (1973), Mawlid Annesyane (1974), Ta’silan lil kiyan (1979), Le rythme dans la prose poétique arabe (1996) et Min ayyem Omrane (2002) furent les œuvres de Mahmoud Messaâdi réunies dans une publication d’œuvres intégrales préparées par Mahmoud Tarchouna et publiées par le ministère de la Culture en quatre tomes en 2003, sur recommandation du Président de la République.
La cérémonie de remise du doctorat honoris causa fut un événement. Cependant, le choix musical qui a ouvert la manifestation aurait dû être de la nature de l’œuvre de l’artiste à qui on rend hommage et qui se distingue par son enracinement dans cette culture arabo-musulmane spécifiquement tunisienne car très ouverte sur l’autre et sur sa vision du monde.
D’autre part, les témoignages ne se sont limités qu’à deux intervenants : MM. Mohamed Yaâlaoui et Ahmed Khaled. On aurait pu apporter un plus si les organisateurs s’étaient pris assez tôt, nous dit-on. M. Ahmed Khaled a rappelé quant à lui que des textes manquent aux œuvres complètes de Mahmoud Messaâdi dont la prose épistolaire. D’autres propositions d’hommages furent aussi présentées par M. Mohamed Yaâlaoui au sujet de personnalités comme : Tahar Ben Achour, Hassen Hosni Abdelwaheb, Salah Garmadi, Tahar Haddad et Fadhel Ben Achour.
Pour en revenir à la cérémonie, notons que la communication de Mahmoud Tarchouna intitulée : «Que restera-t-il de Messaâdi?» a dévoilé quelques aspects de l’art de notre grand auteur qui se caractérise par une originalité unique en son genre dans la littérature et la pensée arabo-islamique.
Qu’un «personnage» comme Mahmoud Messaâdi jouisse d’une double reconnaissance, celle officielle représentée par la présence du ministre de l’Enseignement supérieur et celle scientifique représentée par l’espace où fut rendu ce grand hommage à M. Messaâdi, ne peut que refléter l’intérêt de ce petit pays, grand par son histoire et son ouverture sur le monde, pour ses «symboles» de militantisme culturel et politique.
(Source : « La Presse » du 1er Janvier 2006)

Tourisme – Sur les traces des Phéniciens

Alexandre Shields (*)
À la fois témoin et actrice de l’histoire mouvementée de la mythique mer Méditerranée, la Tunisie a su amalgamer les influences culturelles de plusieurs millénaires en une symphonie de contrastes. Sur cette parcelle du continent africain, les dattiers et les oliviers du nord cèdent la place aux dunes de sable dans les contrées australes du territoire. Bref, on s’y plonge dans une diversité à la fois riche et surprenante pour un pays qui fait à peine 750 kilomètres du nord au sud et 150 kilomètres d’est en ouest.
Découvrir cette terre, c’est revenir sur les traces des marchands phéniciens mais aussi des conquérants génois, des Normands venus de Sicile et des Arabes arrivés au VIIe siècle. On y foule aussi un sol habité depuis un million d’années, un territoire qui a été province ottomane pendant trois siècles avant de passer aux mains des Français et d’acquérir son indépendance par la suite.
Un tel bagage historique, qui se manifeste dans toutes les facettes de la vie en société, demande à être apprivoisé avec lenteur. Voilà d’ailleurs ce que devrait avoir à l’esprit le voyageur qui débarque à l’aéroport de Tunis-Carthage dans la foulée des quelque six millions de touristes qui se rendent dans le pays chaque année. La capitale, Tunis, vaut amplement le détour à elle seule. Si les bâtiments modernes, les grandes avenues et les embouteillages sont plutôt rebutants, la médina (qui signifie «ville») permet de se plonger pleinement au coeur du rythme du Maghreb. À l’origine, ces cités — dont la forme est propre à la région — étaient ceinturées de remparts fortifiés et ouvertes sur l’extérieur par diverses portes, les bab.
La médina de Tunis, fondée au VIIe siècle par les Arabes, figure d’ailleurs sur la liste du patrimoine mondial de l’humanité de l’UNESCO depuis 1979. Si les remparts ont disparu, le coeur de cette vaste «ville» est toujours constitué d’un dédale de rues étroites et de ruelles enchevêtrées où le néophyte peut facilement se perdre. Il n’y a aucune circulation automobile et les bâtiments serrés les uns contre les autres font écho à la vie qui y grouille en un tohu-bohu fort sympathique. La lumière y pénètre parfois difficilement, mais les murs sont d’une blancheur qui illumine toute l’activité de ses souks, les marchés qui concentrent tout le savoir-faire des Tunisiens. Ceux-ci sont disposés en auréoles concentriques autour de la grande mosquée de Zitouna, centre religieux de la médina, qui veille sur les habitants avec son imposant minaret.
Au coeur des souks, on trouve de tout, des souvenirs futiles pour les touristes aux bijoux les plus divers en passant par l’argenterie, les épices et les cuirs. Les échoppes surchargées donnent souvent directement sur la rue et les vendeurs insistants interpellent les promeneurs directement dans leur langue, reconnaissant semble-t-il l’origine des visiteurs à leur visage. On peut toujours leur sourire en ajoutant la choukrane («non merci») ou encore plonger tête première dans le jeu du marchandage des produits, évidemment à l’ordre du jour. Le voyageur qui saura entrer dans le rythme tout en demeurant décontracté pourra aisément faire diviser le prix par trois ou quatre. Un petit conseil : parler d’autre chose et ne pas trop manifester son intérêt est très utile.
Parfois, on peut même se retrouver assis à boire un thé à la menthe en quelques minutes à peine. Si votre hôte vous le propose, il est très mal vu de refuser. En Tunisie comme d’ailleurs au Maroc, ce thé est concocté avec beaucoup de sucre, du thé vert de Chine et de la menthe fraîche. Le tout est servi dans de petits verres. Rien ne vaut cette expérience pour goûter à l’ambiance locale, peu importe la localité où on se trouve. Cette boisson peut aussi être accompagnée d’une pipée de chicha, très populaire dans le pays. Fait à noter, les Canadiens sont souvent bien accueillis. Plusieurs Tunisiens connaissent aussi le Québec et certains y ont de la famille. Même s’ils parlent très bien français — le pays est une ancienne colonie française indépendante depuis 1956 –, prendre le temps d’apprendre quelques mots fait toute la différence.
Autre incursion au coeur de l’authenticité de la vie quotidienne, les hammams, ces thermes inventés jadis par les Romains, sont populaires dans tout le pays. Ils sont le plus souvent divisés en deux parties. La première, le vestiaire, est constituée de diverses banquettes. On entre ensuite dans une enfilade de trois salles : une première plutôt tiède, une deuxième relativement chaude et une troisième très chaude où se trouvent les bassins d’eau chaude et froide. On en sort non seulement propre mais aussi allégé et tout simplement serein. Certains hammams, plusieurs fois centenaires, ont aussi un rôle social très important puisque hommes et femmes s’y rendent à des heures différentes. Ils et elles peuvent donc discuter en toute liberté.
Embrasser la mer
À quelques kilomètres de Tunis, surplombant à la fois la Méditerranée et le continent, les vestiges de la ville de Carthage sont disséminés en une myriade de sites autour d’une colline, derniers témoins de siècles de violentes conquêtes pour contrôler ce lieu de premier plan dans le contrôle du commerce. La ville a même été rasée par les Romains à la fin de la troisième guerre punique. Fondée, selon la légende, en 850 avant Jésus-Christ, Carthage a aussi régné sur la Méditerranée, notamment sous la poigne de fer d’Hannibal. Aussi, pour s’imprégner de l’héritage artistique de la période antique, on peut toujours se tourner vers le musée du Bardo, en périphérie de Tunis, qui rassemble la plus belle collection de mosaïques antiques au monde.
Afin d’embrasser le bleu magistral de la mer, le nord-est du pays est tout indiqué. Il concentre à lui seul plusieurs villes installées le long des côtes qui forment le golfe de Tunis. À Sidi-Bou-Saïd, par exemple, les rues sont parfumées par l’odeur du jasmin, la fleur emblématique du pays, qui se retrouve un peu partout sous forme de petits bouquets tressés. La végétation est aussi caractérisée par la présence de nobles chênes-lièges et de chênes verts. Un peu partout, dans cette ville à flanc de colline, des cages d’oiseaux sont accrochées, porte ouverte, en signe de porte-bonheur. La lumière de la Méditerranée mais aussi des murs blancs immaculés des habitations se marie avec le bleu des boiseries. Cette teinte bleutée, maintenant répandue dans tout le pays, est attribuable à un aristocrate européen, le baron Rudolphe d’Erlanger, qui restaura certaines anciennes maisons à Sidi-Bou-Saïd dès 1912. C’est lui qui imposa cette couleur unique pour les boiseries.
Des hauteurs de Sidi-Bou-Saïd, on peut également entrevoir les rives du cap Bon, cette péninsule où sont cultivés le blé, la vigne, l’oranger, le citronnier, le piment rouge et l’olivier. Le pays est d’ailleurs le premier exportateur mondial d’huile d’olive. Les succulentes dattes tunisiennes sont aussi très présentes dans la région. Plus d’une centaine de variétés sont produites, mais la plus charnue et la plus savoureuse est sans aucun doute la deglet nour, ou «doigt de lumière». À consommer idéalement tout juste après les récoltes du début de l’automne.
Heureux hasard, cette période de l’année est aussi le meilleur moment pour se rendre dans le pays, avec le printemps, alors que les nuits sont clémentes et que les prix sont plus intéressants. On peut alors plus aisément profiter des 1300 kilomètres de côte, dont 600 kilomètres de plage. La vie tourne toutefois au ralenti pendant le ramadan, 98 % de la population étant musulmane. L’été, la «Floride de la France» fait plutôt le plein de touristes. À la saison estivale, la chaleur est aussi relativement accablante, particulièrement à l’intérieur du pays, qui offre pourtant un choc culturel certain avec son mode de vie véritablement «rural» et traditionnel. Les rapports avec les habitants y sont d’ailleurs plus authentiques, moins axés sur une relation marchande.
En poussant vers le sud, on peut toutefois découvrir les chotts, ces immenses cuvettes d’eau salée asséchées, recouvertes de croûtes salines brillantes qui donnent aux paysages des accents lunaires. Diverses compagnies offrent d’ailleurs des tours d’une durée variant d’une journée à deux semaines pour découvrir le versant désertique, très important en Tunisie, mais aussi plusieurs sites antiques disséminés à travers le pays. Même George Lucas avait choisi d’y tourner plusieurs scènes de La Guerre des étoiles, notamment dans la ville de Tataouine, mais aussi dans les étendues salées du chott El-Djerid. Par exemple, la maison de Luke Skywalker dans l’épisode quatre de cette saga cinématographique est une maison troglodyte du sud de la Tunisie.
Les dunes de sable du Grand Erg oriental occupent l’extrême sud du pays. Des balades à dos de dromadaire y sont offertes pour s’imprégner du silence du désert. Il y a d’ailleurs un certain charme à emprunter la route ancestrale des caravanes marchandes qui ont donné naissance à ce pays niché entre l’Algérie et la Libye, rythmé tant par les flots de la Méditerranée que par le désert.
En vrac
L’incontournable grande spécialité gastronomique tunisienne, le couscous, est partagé dans un grand bol autour duquel les convives prennent place. Au dire des Tunisiens, chaque région du plus petit pays du Maghreb y incorpore sa propre combinaison d’épices. Chaque saison amène aussi son espèce de poisson que les pêcheurs de Tabarka, Nabeul, Sousse, Sfax, de l’île de Djerba et d’autres villes côtières rapportent quotidiennement. Plusieurs restaurants en proposent, servis grillés avec salade et frites.
Les transports
En ville, les courses de taxi sont plus qu’abordables, mais il faut s’assurer que le chauffeur a bien actionné le compteur pour éviter d’avoir à en négocier le prix à l’arrivée. Les réseaux d’autobus et de trains sont bien développés entre les localités, surtout le long de la côte. Pour l’intérieur, la location d’une voiture peut s’avérer judicieuse.
La situation politique
La Tunisie est dirigée depuis 18 ans par le président Zine el-Abidine ben Ali, qui règne incontestablement sur le pays. Les photos à son effigie sont omniprésentes, tout comme les banderoles soulignant ses «grandes» réalisations. Le Guide du routard 2006 résume d’ailleurs bien l’atmosphère politique qui y prévaut : «Entre répression directe, accès refusé à certains sites Internet, intimidations et autocensure des journaux, la Tunisie tient pour l’instant plus d’une vision orwellienne et sclérosée de la société que de l’image moderne et ouverte au monde qu’elle souhaiterait se donner.» La beauté des paysages et l’accueil chaleureux de la population ne doivent pas faire oublier cette facette de la société tunisienne. (*) Notre journaliste s’est rendu en Tunisie à l’invitation du Carrefour international de la presse universitaire francophone (CIPUF).
(Source : « Le Devoir » (Québec), Édition du samedi 31 décembre 2005 et du dimanche 1er janvier 2006) URL : http://www.ledevoir.com/2005/12/31/98626.html


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