16 octobre 2009

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TUNISNEWS

9 ème année, N° 3433 du 16.10.2009

 archives : www.tunisnews.net  


Communique’ commun des ONG tuninsienne

ifg.org  :IFJ Condemns Assault on Union Activist in Tunisia

Media part:Sihem Bensédrine, Taoufik Ben Brik, deux voix d’opposants au régime tunisien

Nouvel Observateur:La Tunisie s’en va en friche, Ben Ali s’en fiche

Nouvel Observateur:PRESIDENTIELLE EN TUNISIE : « Affreux, sales et méchants »

Afrik.com:Tunisie : la menace vient du ciel

 


Communiqué Commun (1) (Traduit de l’Arabe par Hend Harouni le 15 Octobre 2009)  


Tunis, le 10 Octobre  2009 L’arrestation du Militant des Droits de l’Homme, M. Abdelkarim Harouni, Secrétaire Général de l’Organisation des Droits de l’Homme « Liberté et Equité » le lundi 05 Octobre 2009  au soir  devant son lieu de travail et lui intimant  l’ordre de n’ exercer aucune activité politique ou des Droits de l’Homme et de  n’effectuer aucune déclaration aux  médias, après une série d’harcèlements et de pressions exercées sur lui directement (telles que poursuite ,  surveillance, contrôle et siège) et indirectement en faisant pression sur le propriétaire du logement qu’il a loué pour le faire sortir de la maison  est considéré comme un nouvel épisode parmi d’autres de la série du siège étant en général relatifs à l’action des Droits de l’Homme et plus particulièrement à l’activité de l’Organisation de «Liberté et Equité ». L’emplacement d’un produit explosif (selon la confirmation d’un Expert) dans le réservoir du  carburant de la voiture du Militant Me Abderraouf Ayadi, Membre du Bureau Exécutif de l’Organisation « Liberté et l’équité » (chargé du dossier de l’indépendance de la justice et de la défense) est un autre épisode qui s’ajoute à la série du siège et un nouveau degré de traitement des Activistes dans le domaine des Droits de l’Homme  allant jusqu’à mettre leur vie en danger et même à la liquidation physique. Face à cette situation critique, voire  dangereuse, les associations  et  organisations des Droits de l’Homme: 1) condamnent fermement les graves agressions  aux  droits de citoyenneté, y compris le droit à la vie et au logement sécurisé subies par les deux Militants  Me  Abderraouf  Ayadi et M. Abdelkarim  Harouni  et demandent qu’il soit immédiatement mis fin à ces agressions et que les participants à ce crime soient poursuivis ainsi que tous ceux qui sont derrière, quelque soit leur nature. 2) expriment leur solidarité avec les deux Militants des Droits de l’Homme et appellent  toutes les consciences libres dans le monde pour les défendre et leur assurer leur droit légitime et non négociable à la liberté d’activité  des Droits de l’Homme et tient les autorités responsables de tout ce qui pourrait menacer la sûreté, la sécurité et la dignité de tous les Militants des Droits de l’Homme. Signataires : Liberté et Equité Association Internationale de Soutien  aux  Prisonniers Politiques Conseil National pour Les Libertés En Tunisie Association Tunisienne  contre la Torture Amicale Nationale des Anciens RésistantsObservatoire Tunisien des Droits et des Libertés SyndicalesObservatoire pour la Liberté de Presse, d’Edition  et deCréation
 


 
16 October 2009

IFJ Condemns Assault on Union Activist in Tunisia


The International Federation of Journalists (IFJ) today condemned attacks and harassment of Tunisian journalists after a series of incidents which suggest deliberate targeting of activists for independent journalism. In particular, the IFJ condemned the beating up of Zied El Heni, journalist for the dailyAssahafa, that took place yesterday in Tunis. His blog, Tunisian journalist, was also shutdown for the 22nd time by the authorities. El Heni is a board member of the Tunisian Journalists Syndicate (SNJT) which has been the subject of an internal crisis over the summer that saw the organization of a rival leadership at a hotly disputed extraordinary congress. In a related incident, Hanane Belaifa, journalist at Radio-Jeunes was barred from access to the station. Belaifa is a prominent syndicate activist who had helped organize demonstrations for the regularization of employment contracts at the state radio and outspoken supporter of the ousted SNJT board. The SNJT says she is being targeted for her union work « The attack on El Heni is an intolerable attack on a prominent journalist and leading advocate for independent journalism, » said Aidan White, IFJ General Secretary. « The simultaneous closure of his blog is clear evidence of political pressure and suggests that this unknown assailant was not acting alone. » El Heni recently took part in an IFJ regional meeting in Amman where the SNJT protested at the campaign to change the leadership following the publication of a press freedom report critical of the government and by their refusal to endorse sitting President Ben Ali in national elections due to take place on 25 October. On his return from Amman, El Heni was strip searched at Tunis airport and all his documents, including IFJ publications, were seized. Other independent journalists have come under pressure for their union activism, including some working for the newspapers Assabah, and Al Khabir, according to the SNJT. For more information contact the IFJ at +32 2 235 2207 The IFJ represents over 600,000 journalists in 123 countries worldwide http://www.ifj.org/en/articles/ifj-condemns-assault-on-union-activist-in-tunisia
 

Sihem Bensédrine, Taoufik Ben Brik, deux voix d’opposants au régime tunisien


15 Octobre 2009 Par Taoufik Ben Brik Taoufik Ben Brik, journaliste imprécateur et premier opposant au président tunisien Ben Ali, a rencontré Sihem Bensédrine, première opposante au même président et porte-parole du Conseil national pour les libertés. Tous deux évoquent les élections du 25 octobre en Tunisie, où Ben Ali postule à un cinquième mandat présidentiel. Scrutin qu’il est déjà certain d’emporter. Un entretien exclusif. «Sihem Bensédrine est l’opposante la plus redoutée de Ben Ali, parce qu’elle braque sans cesse sa torche sur sa belle gueule. Elle est déjà élue Dame de cœur des Tunisiens. Personne d’autre ne peut se prévaloir d’être une légende», écrit Taoufik Ben Brik. Du coup, le journaliste l’a interviewée et a réalisé cet entretien pour Mediapart (par ailleurs inaccessible en Tunisie).   Taoufik Ben Brik.- D’après les officines du régime, les femmes votent massivement pour Ben Ali ? On dit qu’elles lui doivent leur épanouissement actuel ? Sihem Bensédrine.- Qu’il y ait des femmes qui soutiennent Ben Ali, j’en conviens. Que représentent-t-elles ? En l’absence de tout instrument de mesure qui permet de l’évaluer, personne ne peut le dire avec certitude. Ben Ali a brisé tous les miroirs et verrouillé les médias capables de renvoyer une image fiable du pays. Une chose est sûre, de nombreuses femmes sont fatiguées d’être utilisées comme faire valoir servant à cautionner un régime en déficit de légitimité. Quant à voter, je crois que le terme est impropre. Il s’agit plutôt d’acclamations orchestrées par des apparatchiks rodés dans l’art d’actionner l’applaudimètre et l’agitation propagandiste. Parler d’épanouissement est incongru, c’est ce qui manque le plus aux citoyens tunisiens aujourd’hui.   Quelle est la position du CNLT concernant les présidentielles de 2009 ? Le Conseil national des libertés en Tunisie (CNLT) est une ONG de droits humains qui se bat également pour les réformes politiques en Tunisie propres à favoriser le respect des droits fondamentaux garantis par les instruments internationaux et offrir un cadre de citoyenneté effective pour les Tunisiens.  Le CNLT se positionne donc sur le champ institutionnel davantage que sur le champ politique à proprement parler. D’ores et déjà, on peut dire que les conditions légales et politiques de ces élections ne permettent pas une compétition sincère et loyale conforme aux standards internationaux d’élections libres et démocratiques. Il suffit de noter qu’il n’existe aucun corps indépendant chargé de superviser les élections.   C’est une compétition sans arbitre. C’est le ministère de l’Intérieur qui est le grand démiurge de tout le processus électoral- de l’inscription sur les listes jusqu’au dépouillement en passant par le découpage des circonscriptions. Il utilise pour cela l’appareil du parti au pouvoir, le RCD, pour mettre en œuvre cette opération plus proche d’un festival politique que d’un scrutin électoral. Ce scrutin revient à un simple jeu d’écriture où les plus « gentils » seront récompensés indépendamment du déroulement pratique du processus qui s’annonce déjà comme une mascarade électorale, rien qu’à voir la pré-campagne où Ben Ali est félicité par les 9300 et quelques poussières d’associations sensées « représenter » la société civile et acclamé comme un vainqueur d’une compétition qui n’a pas encore eu lieu.   Dans quel contexte se déroulent les présidentielles de 2009 ? C’est un contexte de verrouillage total des médias, d’interdit qui frappe les activités des associations indépendantes, de putsch contre le bureau légitime du syndicat des journalistes et d’interdiction de toute activité partisane opposante sur la scène publique. Les partis sont confinés dans leurs locaux sous bonne surveillance policière. La société tunisienne étouffe sous les bottes d’un dictateur qui a réduit les institutions de l’Etat à un appareil policier. Le terme élection est un euphémisme qui perd toute signification dans un tel contexte. Maniyaka [une partie de plaisir extorquée] est plus adéquat, quoi que c’est vulgaire dans la bouche d’une femme mais ça fait mouche.   A qui profite le maintien de Ben Ali ? La longévité de son régime, Ben Ali la doit aux démocraties occidentales (américaines et européennes) et particulièrement à la France et à l’Allemagne qui ont toujours assuré ce régime dictatorial d’un soutien inconditionnel et sacrifié les aspirations des Tunisiens à la démocratie et à une alternance pacifique. Ce régime est un vrai modèle d’autoritarisme à visage démocratique, une sorte de « dictature fréquentable » qui permet de sauvegarder les intérêts occidentaux dans notre région tout en ayant l’air de prôner les valeurs démocratiques universelles. Il profite bien évidemment au clan au pouvoir qui est en train de piller les ressources de notre pays. Plus du tiers du patrimoine public est passé entre les mains de la famille de Ben Ali et de ses proches en moins de 15 ans. Vous comprendrez qu’ils ne sont pas du tout intéressés à une quelconque alternance démocratique!   Comment en sommes nous arrivés là ? « Chwaya mil hinna, chawya min rtoubet lidin », je suis persuadée que si Ben Ali avait trouvé une société debout face à lui lors de sa prise du pouvoir, il n’aurait pas réussi à installer cette dictature. C’est « la trahison des clercs » comme le dit si bien l’historien Mohamed Talbi. L’élite tunisienne (avec sa classe politique et ses intellectuels) a trahi la Tunisie et les Tunisiens. Ils ont tous été « tentés » par le pouvoir que Ben Ali faisait miroiter sous leurs regards cupides. Il faut lui reconnaître d’avoir réussi à « démocratiser les ambitions ». les charges ministérielles n’ont jamais été autant à la portée des médiocres que durant son règne. Les moins médiocres espéraient tous bas un « portefeuille » que Ben Ali savait habilement agiter devant toutes les ambitions insatisfaites.   Vous ne voyez pas que la société tunisienne est de plus en plus rétrograde ? Les femmes portent plus le hijeb. Les hommes sont plus barbus. Est-ce l’effet des chaînes satellitaires Khalijis ? Je ne suis pas sûre que le mot rétrograde convienne pour qualifier la société tunisienne. C’est malgré tout une société évoluée et ouverte. Mais je pense qu’il y a un vent conservateur qui est en train de souffler, attisé par certains centres du pouvoir et notamment les services spéciaux qui contrôlent certains journaux « people ». Ces derniers distillent un discours misogyne, emprunt d’une « religiosité » bigote qui réduit la vie à une liste d’interdits et ramènent tous les travers de la société à « la libération de la femme. » Le retour au religieux est un phénomène mondial qui ne concerne pas seulement l’Islam. Toutes les religions connaissent ce regain d’intérêt face à la globalisation qui fait perdre aux gens leurs repères.   L’islamisation de la société tunisienne est un fait réel, mais je ne suis pas sûre qu’il y ait un quelconque lien avec l’Islam politique. L’impact des chaînes satellitaires est indéniable, mais l’absence de débat dans le champ public y est pour beaucoup. Le verrouillage médiatique et l’interdit qui frappe tout débat en Tunisie depuis l’arrivée au pouvoir de Ben Ali a créé un vide qui explique que de nombreux Tunisiens se tournent vers ces chaînes, comme un exutoire à leurs besoin d’échange d’idées.   Vous ne voyez pas qu’il y a une hargne inexpliquée chez l’homme tunisien à l’encontre de la femme. Il lui reproche tout : le chômage, la répression sauf peut être sa propre castration ? La Tunisienne c’est la Mexicaine de la Californie maghrébine. C’est effectivement ce à quoi je faisais allusion lorsque je parlais de cette rhétorique misogyne développée par les organes officieux du pouvoir. Si vous faites une analyse de contenu de ces feuilles de choux financées par les officines du ministère de l’Intérieur et l’ATCE, comme Al Hadeth, Likoll Ennass,El Moulahedh, Assarih ou Achourouk et j’en passe, vous allez retrouver ce discours récurrent sur la femme responsable de tous les maux de la société. Ce sont ces mêmes journaux qui sont régulièrement déchaînés contre les défenseurs de droits humains et les journalistes indépendants usant de calomnies et de vulgaires insultes.   Ces derniers temps ils s’en sont pris à Al Jazeera en des termes indécents, parce qu’elle a offert un temps d’antenne à des opposants interdits dans les medias publics tunisiens. Ce qui est paradoxal, c’est que c’est la même ATCE qui développe un discours « féministe d’Etat » à l’attention des partenaires occidentaux et des institutions internationales.   Comment s’en sortir ? Je n’ai pas de solution miracle. Les dégâts sont si importants et touchent toutes les sphères de la société sans exception. Il nous faudra des générations pour revenir à notre civilité antérieure et restaurer nos acquis dilapidés. Mais la solution passe nécessairement par l’éradication de ce régime pourri et la mise en place d’alternatives civiles et démocratiques. Toutes les forces du pays doivent s’impliquer, y compris la sphère de l’entreprise économique. Les opposants politiques devraient prendre leurs responsabilités et cesser de rêver d’un strapontin dans ce régime dictatorial ou de s’autoproclamer « sauveur » du pays. La solution est collective. C’est la question.   Y a-t-il une femme que vous auriez aimé élire, à part vous bien sûr ? Oui, plusieurs. Les compétences féminines ne manquent pas. Les Naziha Rjiba ( Oum Ziad), Khédija Cherif ou Sana Ben Achour (actuelle et l’ancienne présidente de l’association tunisienne des femmes démocrates (atfd)) et d’autres encore font honneur à ce pays. Je serais fière d’être un jour gouvernée par l’une de ces femmes d’envergure. Avec elles au moins, je sais que l’ego ne mettra en aucune façon en échec l’intérêt national.   Propos recueillis par Taoufik Ben Brik   (Source: Media part le 15 octobre 2009)  http://www.mediapart.fr/club/blog/taoufik-ben-brik/151009/sihem-bensedrine-taoufik-ben-brik-deux-voix-d-opposants-au-regime-  

La Tunisie s’en va en friche, Ben Ali s’en fiche


Le ciel ne s’était pas encore éveillé, ni la terre, seul, sur un toit, un coq tendait la gorge vers le soleil et lui disait d’apparaître. La nuit avait trop duré. Ben Ali s’en va en campagne. Ce jour…On ne voit que des gens ordinaires ici. Dans les rues, sous les ficus dégarnis de l’avenue Habib Bourguiba. C’est évidemment pour Ben Ali qu’ils sont là. Des bouffées de vents venus du lac Gambetta soulèvent l’air empoussiéré des chantiers en démolition. Place d’Afrique, les autocars n’arrêtent pas de déverser leur lot de sarfagas, les applaudisseurs. Ils viennent des faubourgs alentours, avec des instructions précises : « jetez vos soutiens-gorge, vos bambins en confettis » et aussi, « s’évanouir à son passage ». Les sarfagas s’alignent sur deux rangs. D’un côté les horloges, de l’autre les pendules. Chacun a sa musique. Elles donnent une impression presque importune. Et puis elles se mettent à sonner. L’une après l’autre, quelques-unes mêlent leurs tintements. Il est moins pénible de voir une pendule muette. Sur le trottoir d’à côté, à l’écart, des hommes s’exercent au tsarfig. Le rythme est fluide, et bien qu’ils soient une multitude, on ne décèle aucune dissonance. Tac-Tac-Tac-Taccc…, presque au ralenti chacun lance un bras en avant et l’autre plié au coude, les deux mains tendues… Tous les gentils petits fonctionnaires, leurs gentilles épouses et leur marmaille en tenue d’aïd, attendent Ben Ali au détour. Un accueil à tout casser. La boukha coule à flots et on sort le rouge qui bouge et laisse le cœur mabroug de derrière les fagots. Gardes du palais, police montée, motorizi, meharis, zarda, fantasia. Et en avant la mazurka ! Cuir et cuivre. Des combats de bélier, du foot et du baroud. Des carcasses de mouton et de qsoô de couscous jonchent la route. Des gargoulettes de legmi couchées et des oueds de sang sur le perron. Pour la baraka. Des méga posters couleurs et papier glacé. Il y parait en burnous. Sans doute pour mieux coller à la légende. « Ben Ali, l’enfant du bled. » Et les haut-parleurs ? « Le chef…le chef…le chef…wassâa, la décapotable approche ! » Et la salve : birouh, bidam, Ben Ali ya fhal, par mon âme, par mon sang, Ben Ali l’étalon ! Une sombre excitation t’envahit à mesure qu’on scande. Tous suivant la volonté du sens du vent. Le vent des enfants qui ont découvert en grandissant qu’ils avaient parcouru d’étranges distances, sans filiation. Des enfants de sperme de chien qui n’auraient pas du naître et se rendent compte qu’ils sont nés quand même. Et voilà que ces bâtards se courbent devant les vents de l’ironie macabre, de l’attirance pour la routine, de la fidélité à la rancune idiote. Pour comprendre, je le crains fort, il faut être un peu de chez nous, ou en tout cas y avoir séjourné quarante et un jours. Le soir, au cœur de Tunis ville, lorsque le jour s’est tu, les rues pleines d’ordures et d’ombres proposent de la bière et des prostituées. Le ciel s’étend comme un drap sale, les façades sont tachées par le smog des bus et les mendiants tremblent de froid et de faim sous un lampadaire de pacotille. Chez Frichtou, un bar clandestin, les bavardages vont bon train. On sert de la Celtia, du Mornag, et de la boukha…Sur l’avenue Bourguiba, les gargotes attirent ceux qui fuient femmes et enfants, avec leur jus de carottes et leur sandwich à la harissa. La nuit est tombée sans une étoile dans le ciel. Le vent décoiffe les cheveux et gifle la peau avec cruauté. Les rugissements des bus se sont arrêtés. Les vendeurs à la sauvette se sont retirés avec leur fourbi pour regagner leurs pénates à El Kabaria ou Melassine. C’est l’heure où les zabratas se donnent un rendez-vous près de la place du théâtre municipal, au bar restaurant Tonton Ville. Des hommes engoncés dans des complets usés et sombres se déplacent avec prudence sur le trottoir de la rue Ibn Khaldoun. On dirait des chiens. Ils avancent le dos voûté, se cachant le visage dans leur barbe pouilleuse. Lorsqu’ils atteignent la porte du Tonton Ville, ils entrent furtivement. Il est tard. A l’intérieur du bar, des prostituées font du tapage en défilant sur un podium imaginaire. Aucun des clients ne se décide à mettre la main au portefeuille et elles finissent par s’en aller, l’air maladif et le regard cruel et triste. Sur la table du milieu, il y a un soupçon de vie. Quatre hommes remplissent un Promo Sport. « Deux tournées, Ange ! « Les traits empreints de lassitude, ils fument et boivent du mauvais alcool. « Je n’ai personne qui crie, je viens ici et je picole « dit un type au visage tailladé de coups de couteau, une vraie carte géographique. « Pour parler, ça, on parle de tout et de n’importe quoi. Le Ben Ali ? Je m’en tape complètement », lance un compère dans un ricanement sinistre. Un pédéraste salue avec affectation : « salam ». Il s’assied à l’une des tables, près des toilettes, et demande qu’on lui offre un verre. « Ici, on voit toujours les mêmes gueules », dit un chômeur, micheton, originaire du Kef et parieur de tiercé. Plus tard, l’avenue Bourguiba ondule doucement sous les ombres qui la parcourent. Sur la place de Barcelone, on entend encore le bruit des bus qui viennent du Sud. Un homme maigre à capuche accueille les clients du Rzouga, un bar clandestin et déglingué, où on joue au noufi, baccara local. Une grosse dame avec des « tips » dorés dans les cheveux distribue les cartes. Il y a sept tables réservées aux joueurs qui, tout en tentant leur chance, murmure et tripotent les cuisses de leurs gonzesses : leurs p’tits lots. En face du commissariat, le septième, on écoute une musique de taulard : «Ou gloulou l’ommi ma tibkichi yaa el minfi» Au cinquième étage d’un immeuble, ni laid ni beau, une ampoule jaune devient le phare qui guide l’ivresse des noctambules solitaires. Un maquereau à la voix bienveillante et aimable apprend à des vampires qu’il existe un endroit pour boire du sang et converser à ces heures tardives : « Allez au Taous ». Il souffle ici, à cet endroit, quelque chose qui ressemble au souffre, où les âmes s’enflamment. C’est la vingt-cinquième heure. Sur le trottoir de la rue de Rome, un chien galeux mord des sacs-poubelles. Adossés au mur du gouvernorat, trois ivrognes se partagent une bouteille de Sidi Said sous des méga-posters couleurs et papier glacé de Ben Ali. On rit aux larmes. Taoufik Ben Brik (Source: le site du « Nouvel Observateur » (France), le 16 octobre 2009) Lien http://enattendantlareelectiondebenali.blogs.nouvelobs.com/archive/2009/10/16/la-tunisie-s-en-va-en-friche-ben-ali-s-en-fiche.html

PRESIDENTIELLE EN TUNISIE  « Affreux, sales et méchants »


Taoufik Ben Brik La résistance, ça se fait avec du courage physique et des idées. Des idées, il y en a eu. Du courage pas beaucoup. Qu’est ce qu’il arrive? Il arrive qu’ils sont rejetés de l’espace médiatique. Personne ne parle, n’écrit sur la p’tite Tunisie. Pour exister, il faut avoir une Menace de la Taille de Ben Laden. Pour être visible, il faut détruire des bâtiments et chevaucher un missile kubrickien. Le désenchantement a volé leur colère. Ils sont ramollis à l’extrême. On ne sait pas qui leur a joué un sale tour ? Bush ? Ben Laden ? Avec des acolytes de tel acabit, le mieux est de se retirer en douce, sur la pointe des pieds, la queue entre les pattes. Ils ont changé les règles, déplacé le terrain, mélangé les cartes. Ils ont crée un jeu, où d’entrée, tu es plumé. C’est un autre stade. Un autre ring. Une autre piste. Toute une vie pissée dans le sable. Tunis est restée toute entière aux mains de Ben Ali. Nous avons essuyé un échec lamentable. Voilà ce qui se passe quand on fait les choses à moitié. On a perdu la bataille avant de l’avoir menée. On a perdu quand les Kapos des 7 familles qui pillent le pays se sont aperçu qu’il était plus avantageux d’épouser les filles de bonnes familles que de les violer. Ce qui les intéresse chez les bourgeoises, ce ne sont pas leurs bonnes manières mais leurs capacités à transformer le pouvoir en argent. C’est ça ce qu’ils apprennent des gamins de riches. On n’a pas vu arriver à Tunis, le gratin qui s’est rallié à Ben Ali à zéro heure. On n’a pas vu arriver les banquiers aux cheveux grisonnants accompagnés de leur femme à la porte de Carthage, des hommes d’affaires avisés faire des courbettes au nouveau seigneur, des industriels, des marchands, des avocats, des hommes politiques. Des journalistes vendus, cupides et lâches. Des cocottes. Des dames honnêtes. Leurs tendres filles mêlées à de pâles débauchées. De jeunes pédérastes, et des grippes sous, des poètes et des usuriers, des gendarmes et des actrices de théâtres municipaux. On n’a pas vu cette foule, se glissant par toutes les fissures du palais de Carthage. Résister ? Une résistance d’avant même l’idée de résister, une résistance de la source, une résistance où l’on trouvera ensuite les raisons de résister. Une résistance comme existence. Une résistance à la destruction. Une façon de dire, vous ne m’aurez pas vivant. La résistance, ça se fait avec du courage physique et des idées. Des idées, il y en a eu. Du courage pas beaucoup. La résistance ne se fait pas avec des médecins, des avocats, des chiffes molles. Elle se fait avec des paysans analphabètes, des ouvriers crasseux, des photographes ambulants, des voleurs de bicyclettes. La résistance. Pas la peine. Des individualités fortes, des lobbyistes chevronnés ont fait du tintamarre. C’est tout. Ont-ils fait bouger les choses ? Du tout. Du tapage nocturne. Lorsqu’en mai 2000, le pays est devenu une image planétaire et que Ben Ali a détrôné tous les dictateurs, on a dansé le tango toute la nuit à Rio. Normal qu’on perde pied. Comment une petite troupe d’un pays aussi important que le Tchad a-t-il donné de la voix aussi habitée que celle du sous commandant Marcos ou Edward SaÏd ? Qu’on insulte Radhia Nasraoui et on a droit à une dépêche à l’AFP, qu’on coupe la ligne téléphonique de Moncef Marzouki et le Monde titre : le 872 377 ne répond plus, un évènement qui côtoie le siège de Ramallah ou la chute de Bagdad. De quoi sommes-nous capables ? De nuisance. Basta. Amener Ben Ali à négocier et à concéder une infime partie de son pouvoir n’est pas à notre portée. Pas même un strapontin. Le microcosme réunissait un mélange assez réussi de technocrates arrivés, de demoiselles cultivées, de jeunes intellectuels parlant le français, d’avocats fortunés, d’industriels prospères, d’actrices sur le retour. S’y mêlaient quelques tendres fils de familles de l’ancien régime. Pour couronner le tout un paquet de profiteurs : experts dans le jonglage financier et autres escroqueries. Sans compter quelques journalistes et écrivains du dimanche. Une société trop mélangée pour la sentir sûre d’elle-même. A la fois flasque et couarde. En voyant ces gens, on se disait, qu’à cette société, il manque, pour se sentir à l’aise, des femmes de taulards, des syndicalistes gauchistes, des contrebandiers et tout plein de prostituées. Ils te font penser à un chien perdu qu’on ramène à la maison, un sac d’os et des dents jaunâtres. Un animal pathétique et en fin de compte dangereux, en quête d’un foyer accueillant mais dont la faim est si grande qu’aucune manifestation d’amour ou de générosité ne pourra la combler. Le chien se contentera de manger et de manger encore; il ne sera jamais apprivoisé. (Source: le site du « Nouvel Observateur » (France), le 15 octobre 2009) Lien : http://tempsreel.nouvelobs.com/actualites/opinions/tribunes/20091014.OBS4551/affreux_sales_et_mechants.html

Tunisie : la menace vient du ciel Le contrôle des médias par le Président-candidat Ben Ali contourné avec les télévisions satellitaires


Il est peu de dire que la liberté d’expression est limitée en Tunisie. Le Président Ben Ali, candidat à sa propre succession le 25 octobre, occupe l’ensemble de l’espace public. L’agence de presse officielle dicte pour ce faire aux médias ce qu’ils doivent rapporter. Mais l’arrivée de médias satellitaires basés à l’étranger laisse désormais aux citoyens la possibilité de disposer d’une version alternative. Jeudi 15 octobre 2009, par Denis Carlier Le Président tunisien Zine el-Abidine Ben Ali a fait, en septembre, la sortie des mosquées. La radio religieuse Zitouna, dont son gendre Sidi El Materi est propriétaire, a en effet distribué à la sortie de la prière des sacs en plastique portant la mention « Ben Ali 2009 ». Cet exemple est choisi dans un rapport par la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH) pour illustrer l’omniprésence du chef de l’Etat dans l’espace public. Suite à un appel du Président Ben Ali il y a presque trois ans, des milliers d’associations professionnelles ou caritatives ont été mobilisées en permanence pour défendre son œuvre de réforme. Enfin, on ne compte plus dans les rues de Tunisie les affiches et banderoles à la gloire du président. Leur installation a eu lieu bien avant le 11 octobre, premier des treize jours de campagne officielle avant l’élection du 25 octobre. La presse n’est pas en reste : malgré les deux cents journaux répertoriés, seuls trois titres, édités par des partis d’opposition, osent une critique frontale du pouvoir. Reporters sans frontières (RSF) dénonce les pressions exercées par le régime sur les marchands de journaux pour éviter qu’ils ne les distribuent. Le Forum démocratique pour le travail et les libertés (FDTL), parti de Mustapha Ben Jaafar, a ainsi dû réduire drastiquement le nombre d’exemplaires imprimés de son journal Mouwatinoun (« Citoyens »), vendu désormais principalement par les militants eux-mêmes. Les journaux Essabah et Le Temps, qui s’autorisaient parfois quelques libertés par rapport à la ligne officielle, ont été rachetés par Sidi El Materi, déplore la FIDH. Ne reste, dans la presse sous influence, que Réalités pour « s’essaye[r] à une timide liberté de ton ». L’accès aux sites Internet et blogs dont le contenu déplaît au pouvoir, à l’image d’Afrik.com, sont par ailleurs systématiquement censurés. Les blogueurs tunisiens ont par ailleurs inventé le personnage fictif de « Ammar 404 », en référence à l’« erreur 404 » indiquant sur Internet une adresse introuvable. Egalement surnommé « Mkass » (« ciseaux »), il représente à leurs yeux la censure exercée par l’Agence tunisienne d’Internet (ATI). Le mur de la désinformation se fissure La chaîne de télévision Hannibal TV et la station de radio Mosaïque FM ont marginalisé depuis quelques années les médias officiels, selon RSF. On y a aborde des sujets ayant trait à l’identité, la sexualité, le chômage, l’émigration, le népotisme dans les affaires, etc. Mais demeure un grand interdit : les dossiers politiques de fond. Les bulletins d’information restent par ailleurs alignés sur l’agence officielle, Tunis Afrique Presse. Les chaînes satellitaires ont par contre causé un véritable bouleversement en mettant fin au traitement unilatéral de l’information. La FIDH relève que la chaîne qatarie Al Jazira, qui reçoit régulièrement des opposants au régime, est l’objet de nombreuses campagnes de dénigrement. Ces attaques sont particulièrement fortes depuis juillet, après la couverture d’une conférence sur le droit au retour des Tunisiens exilés. France 24 et la BBC invitent également occasionnellement des opposants à s’exprimer sur leurs antennes. (Source: Afrik.com le 15 octobre 2009)

 

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