7 janvier 2008

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TUNISNEWS
8 ème année, N°  2784 du 07.01.2008

 archives : www.tunisnews.net


AISPP: Un petit pas dans la bonne direction ! AFP: Tunisie: 2 clandestins noyés, 3 disparus, au large de Sfax (presse) Le Quotidien d’Oran: Des véhicules volés en Tunisie acheminés en Algérie

AFP: 30% d’analphabètes dans le monde arabe Khelil Ezzaouia:  2008 , Année charnière vers… ? Mustapha Benjaâfar: La voie de la réforme est un impératif national!! Larbi Chouikha: J’ai un vœu pour 2008 !

Déclaration du Conseil national de l’ATF : Jusqu’où peut aller l’instrumentalisation de l’Islam ? Gonzalo Alvarez Chillida: La gauche européenne est-elle antisémite ? (Traduit de l’espagnol par Abdelatif Ben Salem)


Liberté pour tous les prisonniers politiques

Liberté pour Abdallah Zouari, le journaliste exilé dans son propre pays

Association Internationale de Soutien aux prisonniers politiques

43 rue Eldjazira, tunis

e-mail : aispptunisie@yahoo.fr

 

Tunis, le 6 janvier 2008

 

Infos en continu

Un petit pas dans la bonne direction !

 

 L’association a appris que le quatrième juge d’instruction du Tribunal de Première Instance de Tunis avait remis en liberté hier un groupe de détenus dans l’affaire n°10232. Ils ont quitté la prison de Mornaguia aujourd’hui dimanche 6 décembre à l’aube. Il s’agit de Mohammed Gtoufi, Belhassen Ben Chedly, Lassaad Mermech, Larbi Zaïbi, Ahmed Ndhif, Tahar Hached, Slim Jem’aa et Yassine Bellili, déférés avec Tarek Herzi (en fuite), accusés d’appel à commettre des crimes terroristes, d’adhésion à une organisation et une entente en rapport avec les crimes de terrorisme et d’adhésion à une organisation ayant fait du terrorisme un moyen de réaliser ses desseins, d’adhésion sur le territoire de la République à une organisation terroriste, d’utilisation du territoire de la République pour mandater des personnes dans le but de commettre une action terroriste sur le territoire de la République et en dehors du territoire, la mise à disposition d’un local de réunion pour les membres d’une organisation ayant un rapport avec les crimes de terrorisme, de cotisation et de collecte de fonds dans le but de financer des personnes en rapport avec les crimes de terrorisme, d’utilisation d’un nom pour identifier les membres de l’organisation […]

Pour la commission de suivi des procès

Le secrétaire général de l’association

Maître Semir Dilou

(traduction ni revue ni corrigée par les auteurs de la version en arabe, LT)


 

Tunisie: 2 clandestins noyés, 3 disparus, au large de Sfax (presse)

 

AFP, le 7 janvier 2008 à 14h31

TUNIS, 7 jan 2008 (AFP) – Deux ressortissants tunisiens sont morts noyés et trois autres sont portés disparus après le naufrage d’une embarcation de clandestins au large de Sfax (270 km au sud de

Tunis), a rapporté lundi l’hebdomadaire tunisien Assabah-Ousbouiî.

Un sixième clandestin a été secouru par des pêcheurs après s’être accroché à un phare pendant plus de dix heures, a ajouté le journal.

 Selon Assabah-Ousbouiî, le naufrage remonte au 26 décembre. Les autorités tunisiennes, contactées lundi, n’ont pas communiqué sur cet évènement.

 Les deux corps qui flottaient à la surface de l’eau ont été découverts par des pêcheurs deux jours après le drame, selon Assabah-Ousbouiî.

 Des unités des garde-côtes tunisiens poursuivaient les recherches pour retrouver les disparus, selon le journal qui a révélé l’identité des clandestins et publié les photos de quatre d’entre eux.

 Ces candidats à l’émigration clandestine, âgés de 19 à 28 ans, tentaient de rallier le sud de l’Italie à bord d’un bateau de pêche parti d’un port près de Sfax. L’embarcation a chaviré en raison des

mauvaises conditions climatiques.

 Le littoral méditerranéen des pays du Maghreb sert de point de départ aux clandestins cherchant à gagner le sud de l’Europe, souvent via les îles du sud de l’Italie.


Des véhicules volés en Tunisie acheminés en Algérie

par H. Barti

 

Les autorités judiciaires tunisiennes ont admis, vendredi, l’existence d’un trafic de voitures volées en Tunisie mais nié catégoriquement l’existence, évoquée par la presse tunisienne, d’un vaste réseau transfrontalier opérant au profit de contrebandiers et de groupes terroristes activant dans le sud de l’Algérie. Un démenti qui intervient au lendemain de la publication jeudi par le journal tunisien Echourouq, d’une information faisant état de l’acheminement à partir du sol tunisien vers l’Algérie et la Libye de voitures volées de type 4X4 par un réseau de contrebande aux ramifications internationales.

 

«Les enquêtes menées par les services de police et les instances judiciaires concernent des cas individuels habituels et il n’existe pas de liens prouvés entre le vol ou la contrebande de voitures (en Tunisie) avec des activités terroristes à l’étranger», ont indiqué à l’AFP des sources judiciaires. Cette source démentait ainsi l’existence d’un réseau trans-maghrébin spécialisé dans le trafic de voitures volées, essentiellement des pick-up de type Mitsubishi, mais aussi des 4X4 de luxe et des voitures de fabrication allemande écoulés vers des repaires de gangs criminels et de terroristes dans le sud désertique de l’Algérie et de la Libye. Echourouq cite une affaire qui a été instruite dernièrement par le Tribunal de première instance de Tunis, dans laquelle sont mis en cause plusieurs individus dont une femme. Cette dernière précise la même source, est utilisée comme appât pour attirer ses victimes, des propriétaires de voitures de luxe de type 4X4 vers des endroits isolés de la banlieue de la capitale Tunis, avant que des complices n’interviennent, usant souvent de moyens violents pour dépouiller l’automobiliste de son véhicule. Une arnaque classique, qui repose selon le journal sur l’apport de réseaux de personnes habitant les zones frontalières qui jouent le rôle d’intermédiaires avec des agents véreux de la douane pour faciliter l’acheminement de ces véhicules volés vers l’Algérie et la Libye.

 

Le journal mentionnait aussi dans sa même édition de jeudi, des ramifications en Europe (France, Italie, Portugal). La bande, qui aurait bénéficié de complicités à l’intérieur de services de la douane et de la sécurité tunisiens, selon Echourouq, a acheminé en 2007 plus 150 véhicules Mitsubishi et autres types de voitures tout-terrain adaptés au relief saharien. Les véhicules, volés, détournés ou loués avec de faux papiers d’identité, sont conduits avec de fausses plaques minéralogiques vers les «zones de trafic en tout genre et d’activités terroristes», selon Echourouq.

 

Certaines compagnies d’assurance ont noté «une augmentation importante de vols de pick-up et voitures 4X4» et des pertes de plusieurs millions de dinars tunisiens. La source judiciaire tunisienne a démenti ces affirmations et assuré que «les vols de voitures signalés n’ont connu aucune augmentation notable ces derniers mois». Les pick-up Mitsubishi assemblés en Tunisie coûtent près de 45.000 dinars tunisiens, soit près de 25.000 euros l’unité et sont revendus en Algérie pour moins de 4.000 euros (400.000 dinars algériens), selon Echourouq.

 

(Source : « Le Quotidien d’Oran »  (Quotidien – Algérie) le 7 janvier 2008)

Lien : http://www.lequotidien-oran.com/index.php?news=5096895


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30% d’analphabètes dans le monde arabe

 

L’Organisation arabe pour l’éducation appelle les dirigeants à combattre ce fléau. L’avenir des sociétés arabes en dépend.

 

L’analphabétisme concerne 75 millions de personnes dans les 15-45 ans, dont près de la moitié (46,5%) sont des femmes. (afp)
Le monde arabe compte près de 100 millions d’analphabètes pour une population de 335 millions d’habitants. Ces chiffres proviennent de l’Organisation arabe pour l’éducation, la culture et les sciences (Alecso), qui dépend de la Ligue arabe. Ce phénomène touche 99,5 millions de personnes parmi les plus de 15 ans, soit 29,7% de l’ensemble de la population des 21 pays arabes, s’est alarmée l’Alecso. Ce fléau concerne 75 millions de personnes dans la catégorie des personnes âgées entre 15 et 45 ans, dont près de la moitié (46,5%) sont des femmes, a ajouté l’Alecso à l’occasion de « Journée arabe de lutte contre l’analphabétisme ». L’organisation presse les gouvernements et les ONG arabes à inscrire la lutte contre ce fléau « au premier rangs de leurs priorités » et affirme le caractère « indispensable » d’une généralisation de l’enseignement primaire. Avec AFP
(Source: L’ essentiel 07.01.08; 19:23)


 

2008 : ANNEE CHARNIERE VERS… ?

Dr Khelil EZZAOUIA

 

L’année 2007 s’achève par deux événements qui touchent essentiellement les jeunes.

D’une part la grève de la faim des trois enseignants contractuels qui ont été injustement remerciés malgré des notes pédagogiques satisfaisantes. D’autre part le procès des jeunes accusés d’être impliqués dans les événements de Slimane de décembre 2006 et janvier 2007.

Le déroulement de ce procès a été entaché de nombreuses irrégularités bâtonnier et l’ensemble des avocats et des accusés à quitter la salle d’audience. Le verdict a été extrêmement sévère avec notamment deux condamnations à mort. Le juge a systématiquement refusé de noter ou de laisser les accusés et les avocats parler de la torture subie d’une manière quasi systématique.

L’impression qui se dégage de ce procès est que l’état a voulu bâcler l’affaire rapidement sans permettre à l’opinion publique de connaître la réalité des faits et qu’elle est la nature et les objectifs du groupe à l’origine de cette action armée contre l’état.

Pourquoi ces jeunes qui n’ont pour la plupart pas vécu sous l’ancien régime décident de prendre les armes contre un régime qui se déclare fervent défenseur de la jeunesse.

Ces jeunes « enfants légitimes » de 20 ans d’absence de réelle démocratie, de liberté d’opinion, d’élections libres et transparentes n’ont trouvé de refuge que dans une idéologie passéiste mais porteuse de chimères tel que l’ont été les maoïstes des années 60-70.

Lutter contre le terrorisme a été l’argument majeur pour justifier l’éradication du mouvement Ennahdha au début des années 90.

Actuellement la mouvance islamiste s’est nettement radicalisée

aussi bien dans son discours que dans ses méthodes d’action et les nahdhaouis apparaissent comme des enfants de coeur devant la déferlante salafiste jihadiste.

La rupture actuelle entre la jeunesse et le régime est patente. Les jeunes sont tiraillés entre l’immigration légale ou clandestine, l’aventure jihadiste en Tunisie ou ailleurs et enfin le chômage qui

alimente soit la délinquance soit les deux premières filières. Ceux qui y échappent et arrivent à trouver un travail restent aigris par un pouvoir d’achat de plus en plus érodé (même les classes moyennes comme les médecins lorgnent vers l’outre mer).

La responsabilité du pouvoir est lourde d’autant plus que nous allons vers des élections de 2009 dont les résultats sont déjà annoncés notamment pour les présidentielles.

L’échec de cette échéance marquera certainement un tournant dans le pays comme l’a été la falsification du scrutin de 1981 ouvrant la voie vers la déliquescence du pouvoir, la perte de sa crédibilité et peut être l’aventure…

Le mouvement démocratique se doit de débattre avec tout le sérieux et la profondeur que nécessite la situation. L’échéance de 2009 doit être conçue comme une vraie bataille politique pour laquelle la population se sentira engagée afin de mettre fin à un parlement de décor, une opposition administrative ou d’alibi et de prévoir un processus d’alternance au sommet pouvant redonner l’espoir au pays, à sa jeunesse et barrer véritablement la route à l’extrémisme.

Il s’agit d’une bataille démocratique qui doit dépasser les clivages idéologiques, organisationnels et de leadership.

L’année 2008 parait être la charnière entre les événements de Slimane et les élections de 2009 d’autant plus que sur le plan économique l’ouverture totale des frontières mettra en péril nos entreprises avec leur lot de licenciements et de chômage.

Le pouvoir doit se ressaisir en permettant une réelle ouverture par la liberté d’expression, d’association, par une refonte du système judiciaire basée sur son indépendance mais est-il en mesure ou disposé à le faire ? L’attitude vis-à-vis de la Ligue des droits de l’homme en sera l’indicateur.

Le mouvement démocratique large doit relever le défi et se rassembler pour être capable de créer les conditions du réveil de la société pouvant changer le rapport de force

 

(Source : Edito de « Mouwatinoun »N° 43, – organe du Forum Démocratique pour le Travail et les Libertés –  daté le 2 janvier 2008)

Lien : http://www.fdtl.org/IMG/pdf/mouwatinoun_43.pdf


Mustapha Benjaâfar: La voie de la réforme est un impératif national!!

Mustapha Benjaâfar :

 

Le bilan de l’année 2007 ne pousse guère à l’optimisme en matière de développement politique. Commencé par des affrontements sanglants entre un groupe armé et les forces de sécurité, qui ont fait « officiellement » 14 morts dont deux victimes parmi les forces de l’ordre,. l’année se termine par le procès engagé, dans des conditions unanimement contestées, contre ce groupe étiqueté «  Groupe de Soliman ». Elle  se termine aussi avec l’épilogue d’une grève de la faim de prés de quarante jours menée par trois enseignants ^pour avoir été limogés en raison de leurs engagements syndicaux. 

  Ces faits sont symboliques de cette année 2007 dominée par une multitude de procès organisés dans le cadre de la Loi antiterroriste et par une série de grèves de la faim qui ont définitivement consacré ce moyen extrême dans l’arsenal des luttes pour recouvrir des droits les plus élémentaires. Ces faits reflètent en fait l’état de verrouillage du système politique qui n’a épargné aucune des composantes  indépendantes du paysage politique, syndical et associatif avec pour conséquence de pousser  des individus, voire des responsables vers des solutions extrêmes, au péril de leur santé sinon de leur vie. Dans ce sombre tableau, la levée du blocus autour du siège de la ligue Tunisienne des Droits de l’Homme, peut apparaître comme un frémissement contre le courant dominant. Mais il est encore trop tôt pour dire si c’est le début d’une décrispation ou une parenthèse qui sera bientôt fermée… En tous cas, n’insultons pas l’avenir et continuons d’espérer et d’agir pour que 2008 soit l’année de l’ouverture.

   L’ouverture est indubitablement liée à quelques mesures sans cesse revendiquées par l’ensemble des forces démocratiques indépendantes du pouvoir. Amnistie générale, libération de l’espace médiatique et du champ public, neutralité de l’administration, sont les seules mesures susceptibles d’assainir le climat général du pays et de transformer le pluralisme de façade en vrai pluralisme, condition sine qua non « d’une vie politique évoluée ». Mais elles dépendent, en premier lieu, de la volonté. des tenants du pouvoir

 Le bilan à l’échelle de notre parti est à l’image de l’ensemble, car c’est l’absence de cette volonté d’ouverture qui explique pourquoi la voix du FDTL, pourtant légalisé en octobre 2002, est, depuis plus de cinq ans, absente des médias audio visuels nationaux ; pourquoi notre journal « Mouatinoun »rencontre tant d’obstacles dans sa distribution, pourquoi ne bénéficie t il pas de soutien financier public et de publicité, à l’instar des périodiques des autres partis, pourquoi nos réunions se tiennent elles sous haute surveillance. Tout se passe comme s’il y avait une volonté d’étouffer une voix , qui dérange car peu portée à la complaisance

Et pourtant, les solutions revendiquées ne mettent en danger ni la stabilité ni la sécurité du pays. L’une comme l’autre sortiront renforcées par le respect de l’Etat de droit et des droits de l’homme, par la participation citoyenne la plus large à la vie publique et la responsabilisation qui en résulte. Car c’est la cohésion nationale qui est le seul garant de la stabilité

 2008 est l’année des défis. Elle sera difficile pour de larges secteurs de la population menacés dans leur pouvoir d’achat, pour les centaines de milliers de chômeurs actuels et à venir et, d’une façon plus générale pour notre économie et nos entrepreneurs qui, à partir du 1er janvier,. seront directement confrontés aux contraintes de l’intégration de la Tunisie à la Zone de Libre Echange avec les pays de l’Union européenne. Pour faire face, il est dérisoire de jongler avec les chiffres et de vanter les « performances » choisies contre la réalité durement vécue par les citoyens. Parmi les dossiers urgents, deux ont, à mes yeux une importance capitale : notre système éducatif qui se dégrade à vue d’œil et le chômage qui ne peut que s’aggraver en dehors d’une véritable révision de nos choix économiques. La voie de la réforme est un impératif car  l’intérêt national en dépend La repousser, pour « gagner du temps » ou préserver quelques intérêts, ne fera que rendre les solutions encore plus difficiles pour le pays et les futures générations.

 

 (Source : « Mouwatinoun »N° 43, – organe du Forum Démocratique pour le Travail et les Libertés –  daté le 2 janvier 2008)


 

 

J’ai un vœu pour 2008 !

 Larbi Chouikha

 

En ce début d’année, que peut-on encore formuler comme souhaits et vœux nouveaux si ce n’est réitérer encore ceux formulés précédemment ! Il serait fastidieux de les énumérer tous et surtout, d’exprimer le ressentiment qu’ils ont créés en nous en constatant que les années se succèdent, se ressemblent, s’accumulent, et avec elles, les mêmes espoirs et désespoirs, les mêmes illusions et désillusions, les mêmes frustrations et amertume. Sans vouloir sombrer dans un pessimisme inextricable, convenons que le bilan général de notre statut de citoyen est loin d’être reluisant. Bien au contraire, quand on compare notre condition avec celle qui prévalait dans les années 1980, on constate une nette régression dont les conséquences sont plus qu’inquiétantes et pour preuve, les procès « anti terrorisme » dans lesquels sont impliqués de nombreux jeunes, pour la plupart, des étudiants. Mais comment sommes-nous arrivés à cette situation de désolation ?

 

Tout d’abord, interrogeons-nous sur les raisons de l’immobilité – forcée – de la Ligue Tunisienne des Droits de l’homme et de toutes ses structures régionales qui persiste depuis quatre ans ? Mais à qui profite un tel gâchis sinon qu’il envenime davantage les rapports gouvernants et gouvernés et engendre même un climat délétère parmi les militants de cette Ligue ? Mais qui sont les responsables de cette crise larvée ? Qu’ont-ils récolté comme bénéfices et aux dépens de quoi ? Jadis, cette Ligue constituait à la fois notre école d’initiation au débat contradictoire et aux valeurs universelles de droits de l’homme et de démocratie et notre boussole pour détecter les menaces qui pesaient sur nos droits et nos acquis modernes et progressistes. Aujourd’hui, la paralysie dans laquelle elle se trouve – malgré elle -, ouvre la porte à toutes sortes de dérapages autoritaires, à des fuites en avant aux conséquences incommensurables. D’un côté, les excès du pouvoir ne peuvent plus être circonscrits et dénoncés comme autrefois, mais de plus, le débat d’idée qui constituait le point fort de son action, se trouve aujourd’hui, appauvri, affadi, étiolé. Mais le plus inquiétant pour nous tous – confondus – c’est le désarroi profond dans lequel se trouve notre jeunesse avec toutes les conséquences qui peuvent en résulter. Il y a déjà les conditions économiques et sociales précaires qui assombrissent leurs perspectives professionnelles et qui alimentent en grande partie leur malaise, d’autant plus, qu’aujourd’hui, la mondialisation rampante qui se généralise un peu partout les incite à se tourner davantage vers l’étranger pour réaliser leurs aspirations, s’épanouir et assouvir leurs besoins A cela, s’ajoute un autre fait qui nous interpelle tous, c’est que le socle sur lequel nous avons bâti nos aspirations à une vie démocratique et avons commencé à enraciner une culture des droits de l’homme dans la société ne constitue plus pour la plupart d’entre eux des références indécrottables. Il est vrai par ailleurs que l’inexistence de structures d’accueil et de cadre de débats, réellement représentatifs pour eux, crédibles et totalement autonomes du pouvoir, rend difficile, voire impossible, tout effort tendant à cerner leurs attentes et leurs besoins et à essayer d’agir en conséquence ! Mais dans le même temps, dans un espace aussi verrouillé comme le nôtre où les grands médias, radios, télévisions, baignent dans la monotonie des débats dits contradictoires mais toujours consensuels, où la société civile – autonome – et l’opposition – indépendante – se trouvent réduites comme une peau de chagrin, où l’intelligence et la critique audacieuse deviennent suspectes, où les syndicats ont du mal à faire entendre les revendications de leurs syndiqués, alors, que reste t-il pour nos jeunes sinon la fuite hors des frontières ou le confinement dans des idéologies rétrogrades aux risques démesurés ? 

 

Encore une fois, cette attitude altière du pouvoir à vouloir tout régenter, tout récupérer, tout accaparer, tout surveiller, tout quadriller,… engendre une fracture indélébile dans la société entre ceux qui daignent s’aligner sur ses choix et qui s’offrent en retour tous les prébendes de l’Etat et ceux qui s’y refusent et qui deviennent du coup les pestiférés, les laissés pour compte. De cette situation tragi-dramatique découlent de nombreuses conséquences : Elles divisent les individus, organisations, partis politiques entre ceux, considérés comme « bons », et par voie de conséquence, aptes à bénéficier de tous les avantages et des gratifications accordés en échange, en opposition aux « réfractaires » jugés trop critiques, et ce faisant, condamnés au confinement malgré leurs qualités indéniables, voire leur rayonnement international. Elles stimulent la surenchère, la couardise, l’indigence d’esprit, la flagornerie, au détriment de l’intelligence, de l’audace, de la compétence, de l’altruisme. Et dans ce même sillage, une telle situation barre toute possibilité d’apprécier dans la transparence mais aussi de juger les échecs des décisions prises,  parfois, aux effets ravageurs inestimables. La raison c’est que cette « qualité » d’apprécier et de juger reste du seul et unique ressort des décideurs puisqu’ils se sont érigés à la fois en juges et parties ! Mais en cas d’une accumulation d’échecs cuisants, d’une catastrophe nationale à l’instar de ce que nous avons connus par le passé, c’est le pays tout entier qui en pâtira !

 

La Tunisie est une patrie indivise qui appartient à tous ses citoyens sans exception aucune et nul ne peut se l’approprier ni décider seul de son sort. A partir de cette affirmation, renversons donc les rôles en revendiquant pleinement l’exercice effectif de notre citoyenneté et en formulant – ensemble – un souhait que nous exprimerons tout haut pour l’année 2008 : que de plus en plus de voix libres, audacieuses, réfractaires, fleurissent et fleurissent encore et encore pendant cette année. Que les langues se délient, que la parole se libère, que l’audace et la perspicacité des analyses investissent l’espace public. Que nous osions nous attaquer – ensemble – aux tabous érigés comme des interdits infranchissables. Que nous arrivions pendant cette année à faire reculer la peur et la frilosité, à secouer l’indifférence et le silence, à combattre l’égoïsme et l’individualisme ! Ce vœu sera-t-il exaucé ?

 

 (Source : « Mouwatinoun »N° 43, – organe du Forum Démocratique pour le Travail et les Libertés –  daté le 2 janvier 2008)

 


 

Madame, Monsieur, chers (es) amis (es)

 

Vous trouverez ci-joint,  la déclaration du Conseil national de l’ATF du 11 juin 2007.  « Jusqu’où peut aller l’instrumentalisation de l’islam ? » dont nous vous avions adressé copie en juin dernier. Nous sommes heureux  de constater que d’autres militantes et militants et d’autres associations s’intéressent aussi à cette thématique de l’instrumentalisation de l’islam. Certains partenaires nous ont déjà exprimé leur intérêt pour une réflexion collective et des actions communes.

Afin de développer ensemble la réflexion,  engager des actions communes et construire des stratégies de lutte, nous vous invitons, si vous partagez ces priorités,  à prendre contact avec nous.  Nous sommes disponibles et attentifs à  toutes vos propositions  dans ce cadre.

En vous souhaitant bonne réception, veuillez agréer chers (es) amis (es), nos salutations amicales.

Le Délégué Général de l’ATF

Mohamed-Lakhdar ELLALA  

 

Déclaration du Conseil national de l’ATF :

Jusqu’où peut aller l’instrumentalisation de l’Islam ?

 

«La méchanceté est l’esprit de la critique, et la critique est à l’origine du progrès et des lumières de la civilisation» Thomas Mann, 1875-1955

 

Jamais l’Islam n’a bénéficié dans l’histoire contemporaine d’une présence aussi forte dans l’actualité. A aucune autre époque il n’a eu autant de présence comme sujet de polémique.

 

Comme toute religion, L’Islam,  est instrumentalisé : soit pour arbitrer les débats de sociétés soit  pour légitimer et alimenter les conflits internationaux (par les fanatiques pro et/ou anti-Islam). Cependant, dans les sociétés arabo-musulmanes, l’Islam est devenu depuis quelques décennies un important support idéologique aux doctrinaires du retour à la «pureté morale» qui cherchent à imposer aux musulmans un nouveau type de rapports entre eux et avec le reste des peuples du monde et à réglementer leurs vies privées allant jusqu’à l’édiction de  normes qu’ils veulent universelles (telle que la norme vestimentaire pour les femmes).

 

A l’image de l’ambiguïté de son message,  l’Islam, présenté comme la religion des plus démunis et des plus faibles, sert paradoxalement de paravent aux lois les plus liberticides et les plus inhumaines, au nom d’une morale rétrograde.

 Les  «instrumentalisateurs »  de l’Islam ont profité de la versatilité du champ d’interprétation du Coran pour présenter sa doctrine, selon leurs besoins,  aussi bien comme une idéologie de libération des dictatures et des puissances colonisatrices que comme un dogme qui impose aux peuples l’ordre moral et la soumission inconditionnelle aux théocrates islamistes.

 

À la lecture des différentes interprétations historiques de l’Islam, force est de constater qu’il a toujours été soumis à des lectures très contradictoires et très controversées. Cependant, « la fin des idéologies » a exposé l’Islam à une instrumentalisation accentuée et sans précédent par, d’un coté, les fanatiques de la domination du monde et de l’anéantissement de toute résistance et, de l’autre coté, les chantres de la terreur et du terrorisme, tous deux habités par deux visions fortement antagonistes et dangereuses. Le premier camp considère que l’Islam incarne la source essentielle de tous les maux et malheurs de l’Humanité, tandis que le deuxième le présente comme la seule et unique solution aux problèmes du monde contemporain.

Ce positionnement de l’Islam au cœur des conflits d’ambitions barbares est ainsi en train d’installer durablement une bipolarité de lectures extrêmement contradictoires et dangereuses et risque de façonner pour une longue période la géopolitique mondiale et de briser durablement la cohésion sociale au sein des pays multiculturels.

 

Dans les pays arabes et islamiques les indicateurs de la montée de l’Islam politique sont frappants. Ces pays sont dirigés dans leurs majorités par des régimes forts qui tirent principalement leur légitimité du maintien de la « stabilité » locale et jouissent du soutien des grandes puissances au prix d’une soumission aux règles d’une mondialisation dévastatrice et unipolaire. Dans l’ensemble de ces pays, sans faire, désormais d’exception, la présence de l’Islam ne se limite plus, à la sphère du spirituel. Le fondamentalisme tente de régir progressivement toutes les sphères publiques et privées.

Avec l’échec des projets nationalistes et socialisants de la région et le refuge progressif de larges couches sociales dans les idées inspirées par la religion, l’Islam devient, comme il ne l’a jamais été auparavant, la référence. Les jeunes, particulièrement, sont de plus en plus séduits par le modèle conservateur régi par « La charia » d’autant que celle-ci est brillamment véhiculée par les médias Arabes les plus puissants et qui apparaissent les plus « audacieux ». Il en résulte que ce sont les Islamistes, (avec leurs différentes variantes locales), qui se présentent actuellement comme les forces alternatives les plus sérieuses à tous les régimes arabes et islamiques en place. L’absence des libertés dans la quasi-totalité des pays Arabes et Islamiques, les pratiques autoritaires et la mal gouvernance des régimes dits « laïques » n’ont fait qu’accentuer l’islamisation de la rue.

 

Dans ces pays, les modernistes qu’ils soient libéraux ou de gauche sont vulnérables et  deviennent de plus en plus inaudibles. Ces modernistes, qui voient leur nombre se rétrécir jour après jour, souffrent de handicaps communs liés à leur environnement social et politique marqué par  l’absence d’espaces de libertés, cadre vital à tout débat rationnel de société mais sont  aussi handicapés par leurs contraintes spécifiques: Les libéraux, considérés comme des pro-occidentaux, sont accusés de cautionner la domination coloniale de l’occident, quant aux forces de gauche, qui vivent un effritement dramatique, elles se trouvent paralysées par une profonde crise d’idéal. Faute de pouvoir peser sur les questions sociales et de pouvoir mobiliser pour lutter contre la précarité et les injustices, elles apparaissent comme des « Laïcards » dont les échos se limitent à quelques cercles d’élites.

 Le projet de société proposé par les Islamistes trouve ainsi plus que jamais un champ propice à son expansion d’autant qu’il se nourrit d’un contexte régional et international favorable.

En effet, le comportement d’Israël en Palestine et le rôle que jouent les États Unis dans la région, particulièrement en Irak, en organisant le pillage de la région et neutralisant touts les régimes arabes ont favorisé l’émergence de nouveaux  groupes  Jihadistes qui ont pris la charge de la résistance comme principal tremplin pour propager les idées les plus rétrogrades et les plus obscurantistes à une jeunesse déboussolée de Marrakech au Bahreïn.

 

Le contexte international et régional n’a pas influé que sur les masses, aveuglées par l’injustice du système et les actes « héroïques » des forces islamistes, il a aussi affecté certaines élites et remis en cause les identités des forces politiques. La bataille que mènent le « Hamas » en Palestine et le « Hezbollah » au Liban (mouvements portant des projets de sociétés clairement rétrograde) pour résister à l’occupant, Israël, n’a laissé aucune formation politique (toutes couleurs confondues) indifférente.

C’est  dans ce contexte, que certaines formations politiques de gauche ou libérales n’ont pas trouvé d’inconvénient à tisser des alliances avec les Islamistes pour faire face aux dictatures en abandonnant les projets de société modernes et de progrès, jadis défendus comme projets alternatifs aux régimes en place (par exemple le cas de plusieurs forces politiques de gauche en Tunisie).

 

En Europe, bien que la polémique autour de l’Islam prenne une dimension différente, l’enjeu n’est pas de moindre importance. D’un coté les organisations islamistes prennent appui sur  la quête identitaire  et sur la misère d’une immigration maltraitée pour endoctriner la jeunesse et exercer un contrôle social sur « la communauté musulmane ». De l’autre coté, les Faucons, version Française, les assimilationnistes et l’extrême droite s’appuient sur des médias  complaisants pour mener une campagne en profondeur et liquider une expression sociale et politique émergeante en France qui devient, bien que laïque, trop gênante.

 Entre ces deux forces, l’immigration Maghrébine devient un terrain d’affrontement et un enjeu ce qui risque de la faire basculer dans le communautarisme et l’exposer à d’avantage d’exclusion, de marginalisation et d’atteinte à ses droits.

 

En France comme dans les autres pays d’Europe, la place de l’Islam et des Musulmans est de plus en plus évoquée dans les médias. Des faits divers des journaux télévisés aux tribunes politiques et intellectuelles en passant par les variétés, Islam et Musulmans ne cessent d’être sujets de polémiques.

Cependant, ces sujets ne sont traités dans les médias, ni  comme thèmes de débats  pour faire connaître ou  pour valoriser la présence d’une population de confession musulmane, relativement importante dans l’hexagone, ni pour dénoncer les conditions dégradées dans lesquelles bon nombre de musulmans exercent leurs cultes (mosquées, carrés des cimetières etc.…). C’est plutôt la « barbarie » de ces Musulmans de France trouvant son origine dans « la haine et la violence qui habitent le Livre dans lequel tout musulman est éduqué, le Coran » qui ne cesse d’être invoquée pour expliquer les actes de violence de certains jeunes « d’origine Maghrébine » ou le discours de tel ou tel fondamentaliste illuminé.

Figés malgré eux dans la « communauté musulmane en France », tous les citoyens originaires des pays musulmans seraient désormais victimes du même regard. Fanatique, prêcheur, fidèle, pratiquant et simple croyant sont de plus en plus traités en blocs dans certains médias sur la base de généralités et des raccourcis simplistes. Les laïcs, les agnostiques et, les athés, sont  quasiment sommés de se justifier et de faire leurs preuves à chaque occasion.

C’est en traitant la question de la progression de l’Islam politique, question non seulement légitime mais nécessaire, que beaucoup de médias ont choisi de mettre toutes leurs tribunes au service de certains intellectuels hyper médiatisés et qualifiés de « nouveaux réactionnaires » en France. Ces « intellectuels » qualifiés, à juste titre, de « Néo conservateurs Français »  n’hésitent pas à « expliquer » le « décalage entre les valeurs des musulmans en France avec celles de la république » sont connus par leurs analyses inscrites tantôt à Gauche tantôt ultra-libérales mais surtout habités par les idées d’extrême droite prêchant la guerre des civilisations. Dans des débats et émissions télévisés, ces champions de la haine anti-musulmane ont glissé consciemment de la lutte contre l’intégrisme à la propagande anti-Islam et à la banalisation des thèses islamophobes.  Ils mènent ainsi une campagne dont le caractère idéologique est indéniable. La défense de la liberté d’expression, cause à laquelle tout défenseur de la modernité et du progrès doit être attaché, est utilisée par eux comme paravent pour accentuer la stigmatisation et instaurer un climat d’incompréhension entre les composantes du peuple de France.

Ainsi, l’ampleur et le caractère multiforme de l’instrumentalisation de l’Islam à des fins idéologiques, dans la région arabe, en Europe et à l’échelle internationale nous interpellent et légitiment notre inquiétude sur ses conséquences d’un tel phénomène, dans l’avenir, sur la place de l’immigration issue des pays musulmans en Europe, sur  les sociétés arabes et sur l’avenir du rapport Orient-Occident et Nord-Sud.

Les musulmans laïcs sont encore qualifiés par plusieurs analyses sociologiques de « Majorité silencieuses ». Cependant, force est de constater que faute d’une dynamique forte de résistance contre le fléau de l’instrumentalisation de l’Islam et contre l’enfermement indentitaro-communautaure, les Musulmans laïques, ne seront plus majoritaire à moyen voire à court terme. C’est en combattant à la fois l’instrumentalisation de la religion musulmane et les multiples discriminations que subissent les musulmans que l’on peut favoriser et renforcer l’enracinement des valeurs de laïcité et de respect chez les citoyens musulmans en France. C’est aussi en adoptant une démarche pédagogique  pour convaincre  face à l’impact de l’actualité internationale, et pour faire face aux thèses véhiculées par les « barbus »  qui proposent une alternative rétrograde et puritaine à l’arrogance de l’occident dominateur que nous pouvons renforcer cette dynamique de résistance.  

C’est pour toutes ces raisons que l’ATF, -association laïque, attachée aux valeurs de progrès et de démocratie qui fondent son action pour l’égalité des droits et l’égal accès aux droits,  pour l’égalité hommes/femmes,  pour le respect des droits de l’homme, de la dignité humaine,  contre tous les racismes, l’islamophobie et l’antisémitisme partout dans le monde, contre les exclusions et le repli identitaire tant en France que dans les pays arabo-musulmans-,  propose de lancer avec ses partenaires associatifs et intellectuels une dynamique de réflexion  et d’action dont l’objectif fondamental est de renforcer la résistance contre les adeptes, de tous bords,  de la guerre des civilisations.

A cet effet, nous proposons d’engager  ensemble un processus de réflexion et d’actions qui,   porté par un engagement intellectuel et militant clair autour de valeurs partagées, doit s’inscrire dans la durée, nous  permettre approfondir le débat sur l’Islam en nous en donnant les moyens  en associant des intellectuels, des chercheurs, des politiques et des associations partenaires et de formuler,  à terme des perspectives.  

Le Conseil National de l’ATF

Paris, le 11 juin 2007

 


Important essai en réponse aux accusations de Pierre A.Taguieff qui paraîtra dans quelques jours dans La Revue d’Etudes Palestiniennes

 

La gauche européenne est-elle antisémite ?

Gonzalo Alvarez Chillida

 

A propos de l’ouvrage de Pierre-André Taguieff, La Nouvelle Judéophobie

 

G. A. Chillida est docteur en histoire contemporaine de l’université autonome de Madrid, professeur d’histoire à la faculté de sciences politiques de l’université Complutence, Madrid, professeur à l’UNED (Université nationale d’éducation à distance). Il est l’auteur de L’Antisémitisme en Espagne. L’image du juif. 1852-2002, et de L’Antisémitisme en Espagne, série de conférences publiées en  coordination avec Ricardo Izquierdo Benito. Cet essai a paru pour la première fois dans la revue Illes i Imperis, n° 9, décembre 2006, p. 185-195.

 

Traduit de l’espagnol par Abdelatif Ben Salem.

 

Toutes les citations du livre de Taguieff sont tirées de la nouvelle édition 2007 de l’ouvrage, Paris, éd. Mille et Une Nuits & Fondation du 2 mars.

 Dans sa double tradition chrétienne et raciste (cette dernière plus ouvertement antisémite), l’antisémitisme occidental contemporain a connu un net développement à partir des dernières décennies du XIXe siècle pour culminer avec l’extermination des juifs perpétrée par l’Etat national-socialiste au cours de la Deuxième Guerre mondiale. Après la libération d’Auschwitz et la défaite du fascisme, la vague d’antisémitisme connut une période d’accalmie. Par la suite, elle enregistra un net recul, subséquent à la révision théologique de la doctrine chrétienne à propos du déicide entreprise par l’Eglise catholique à partir du Concile Vatican II.

Ce type d’antisémitisme, que nous pouvons qualifier de « classique », n’a pas complètement disparu pour autant, il continue d’être actif de nos jours chez des groupes fascistes et néo-nazis, ainsi que chez des intégristes et des fondamentalistes catholiques, protestants ou orthodoxes. Il semble même qu’il resurgit au sein des couches populaires de certains pays européens, très significativement dans ceux qui faisaient partie de l’ancien bloc soviétique. La littérature produite par ce courant idéologique connaît un certain regain avec l’apparition et la diffusion de nouveaux thèmes comme la négation de l’Holocauste, le retour en force de la thèse de l’infiltration, et de la vieille théorie du complot juif mondial ourdi au cœur de l’Eglise catholique (précisément au cours des années du Concile) et, plus tard, de la théorie du contrôle secret par les juifs du processus de la mondialisation. Ces antisémites concentrent leurs attaques spécialement contre l’Etat d’Israël. Israël, pour eux, n’est plus l’Etat né en 1948, mais le judaïsme éternel montrant à nouveau sa face criminelle. « Juif » et « sioniste » sont à leurs yeux synonymes. Ils considèrent, par exemple, David Ricardo, Disraeli et Karl Marx (1) comme sionistes. La montée en puissance de l’extrême droite européenne s’accompagna récemment, dans certains pays européens, d’inscriptions menaçantes sur les murs des grandes villes, d’attaques contre les synagogues et de profanations de cimetières juifs.

Cependant, ce n’est pas sur ce type d’antijudaïsme que P.-A. Taguieff porte son attention dans son essai La Nouvelle Judéophobie, ouvrage probablement le plus significatif de la campagne actuelle de dénonciation d’un prétendu nouvel antisémitisme qui serait à l’œuvre dans la gauche européenne, thèse qui a suscité la polémique et fait couler beaucoup d’encre en Espagne à l’occasion de la guerre au sud du Liban (guerre des trente-trois jours)

 Taguieff est l’un des principaux spécialistes de l’antisémitisme contemporain. Il est, entre autres, l’auteur d’essais remarquables sur le phénomène du racisme (2). La thèse qu’il défend est que la judéophobie trouve son fondement dans l’assimilation de « tous les juifs » au sionisme, le sionisme étant un colonialisme, un impérialisme et un racisme, ce qui signifie que la judéophobie puise dans l’antisémitisme classique, aussi bien la conception du judaïsme comme incarnation du mal absolu que l’idée de la conspiration universelle et la volonté de dominer le monde. La propagande de l’extrême droite (néofascistes, nationalistes xénophobes, chrétiens traditionalistes ou intégristes), participe de cette nouvelle judéophobie, mais également l’islamisme (les divers courants de l’islamisme ou du « radicalisme islamique », le monde arabe tout entier (les régimes dictatoriaux ou réactionnaires-ploutocratiques), et pour une large part « les milieux dits “progressistes”, des communistes aux gauchistes » (p. 15 et 39).

 Judéophobie « progressiste »

Edgar Morin a exprimé sa défiance à l’égard du qualificatif « antisémite » accolé à la gauche (El País, 9-3-2004. Cf. original publié par le quotidien Le Monde). Il fait une nette distinction entre antijudaïsme (rejet des juifs en tant que juifs), antisionisme (rejet du nationalisme juif et du droit du peuple juif à disposer d’un Etat qui lui soit propre), et « anti-israélisme » (entendu comme critique de l’attitude du pouvoir israélien envers les Palestiniens ainsi que son refus de mettre en application les résolutions votées par les Nations unies), qui ne sous-tend pas la négation ou la non-reconnaissance à Israël du droit d’exister dans des frontières internationales sûres et reconnues. Morin reconnaît que, dans des cas précis, l’anti-israélisme dérape en antijudaïsme, parce que « Israël est en partie un Etat juif » et parce que sa politique est défendue « par la plupart des juifs de la diaspora ». Ce qui peut se traduire par une réactivation, dans la mentalité populaire, de l’image classique profondément enracinée dans « le subconscient français », de la figure du juif perçu comme « un être inquiétant, malfaisant et redoutable ». Je suis, pour ma part, d’accord avec Morin, surtout quand son analyse rejoint celle de Taguieff à propos du glissement de l’anti-israélisme vers l’antijudaïsme, un glissement à l’œuvre dans de larges couches populaires arabes, où circulent les vieux thèmes de l’antisémitisme occidental sur le juif « comploteur-né » mû par l’ambition de dominer le monde, ainsi que les vieux textes fondamentaux tels que Les Protocoles des Sages de Sion. Quoi qu’il en soit, Taguieff comme Morin sont d’accord pour signaler que la pierre angulaire de cette nouvelle judéophobie islamiste est bel et bien Israël. Comme Morin, j’ai plutôt tendance à adopter vis-à-vis de Taguieff une attitude prudente quand ce dernier défend, par exemple, la thèse selon laquelle l’anti-israélisme de la gauche européenne a dérapé en antisémitisme – alors que celui-ci ne concerne en réalité que quelques groupes très minoritaires.

Dans son ouvrage, Taguieff nous met en garde contre la menace que représente l’islamisme de conquête. Le terrorisme islamiste, nous dit-il, ne cherche pas seulement à expulser les juifs d’Israël, mais à islamiser le monde entier en triomphant des Etats-Unis et de l’Occident croisé. Pour ne pas tomber dans les généralisations, Taguieff distingue entre « islam » et « islamisme », il précise que le Coran rend illicite la propagation de la foi par la contrainte, tout en reconnaissant l’existence d’un islam laïciste centré sur le salut des fidèles. Taguieff pointe également la montée de la judéophobie au sein des minorités immigrées d’origine arabe, gagnées de plus en plus à la cause islamiste et responsables d’une recrudescence spectaculaire d’incidents antijuifs en France : agressions, menaces, incendies de synagogues et centres communautaires juifs (actuellement en net recul, ce qui n’empêche pas la communauté juive d’adopter des mesures de protection draconiennes). Il dénonce pêle-mêle la passivité de la société française, des médias, et en particulier des milieux gauchistes face à cette escalade de la violence.

Même si ce ne sont pas les preuves qui manquent à l’appui de cette dénonciation, je n’en pense pas moins que la vision que Taguieff donne de la gauche est quelque peu exagérée et caricaturale. Il qualifie d’antijudaïsme ce qui n’est autre qu’une critique de la politique israélienne d’occupation et de colonisation de la terre palestinienne (anti-israélisme). Dans ses accusations dénuées de tout fondement, Taguieff ira jusqu’à diaboliser cette gauche, en écrivant, par exemple, que son objectif (la gauche) est la destruction d’Israël, coupable selon elle de « la plupart des malheurs frappant aujourd’hui l’humanité ». Ou que le contenu de l’« antisionisme » islamiste, tout comme celui « des milieux qui s’imaginent encore “progressistes” […] est une judéophobie d’extermination ».

Selon Taguieff, cet antijudaïsme extrême de la gauche européenne (il précise à plusieurs reprises qu’il ne concerne pas toute la gauche) associe dans sa haine d’Israël les Etats-Unis et l’Occident tout entier, présentés comme l’« incarnation du mal », coupables de leurs passés respectifs (d’où l’injonction de repentance et l’exigence « de réparations financières pour l’esclavagisme et le colonialisme, voire pour “génocide” des Africains ». Malgré l’instrumentalisation de cette idée aux fins de discréditer le monde progressiste, Taguieff n’hésite pas, en d’autres occasions, à soutenir qu’« il convient de refuser une certaine forme, disons impériale, d’occidentalisation du monde » (l’expression est de Serge Latouche), ou de dénoncer la situation faite aux « marginaux » (voire aux immigrés), « plongés dans la détresse des mécanismes destructurateurs de la mondialisation économico-financière ». Rappelons que dans son essai Le Racisme (1997), il a confirmé l’origine occidentale de ce phénomène, en rattachant la persécution des juifs et des conversos en Espagne à partir du XVIe siècle à l’expansion coloniale et à l’esclavage des Africains (3).

Non content de diaboliser la gauche occidentale (dont la majeure partie est, selon moi, critique envers la seule politique israélienne), Taguieff fait l’impasse sur les deux points essentiels qui font la différence entre le discours de la gauche et celui de l’antisémitisme classique. Alors que, pour ce dernier, le monde est dominé par Israël (en l’occurrence par les juifs), où les Etats-Unis tiennent le rôle de la marionnette, pour les vieux antisionistes de la période de la guerre froide, c’est plutôt Israël qui occupe la fonction de laquais ou de porte-avions de l’impérialisme nord-américain au Moyen-Orient (4). Taguieff affirme par ailleurs que ladite gauche diabolise l’Etat d’Israël en l’assimilant à l’Etat hitlérien, et Sharon, en le comparant à Adolf Hitler. Certes, on a parfois comparé explicitement l’occupation des territoires palestiniens au génocide nazi – comme l’a fait José Saramago, suscitant un esclandre au cours d’une visite en Israël et en Palestine au début de la seconde Intifada. Reste que cette comparaison est rarement faite. Ce qu’il fallait souligner, c’est le fait que les anciennes victimes se sont converties en bourreaux et non en exterminateurs systématiques. Toute comparaison avec le nazisme sous-tend toujours une volonté explicite de condamnation radicale utilisée fréquemment dans des contextes très divers. Ce n’est pas en vain que, dans les sociétés démocratiques actuelles, le nazisme est considéré comme le paradigme du mal absolu (on se souvient, par exemple, qu’on qualifiait couramment l’ETA – ainsi que le nationalisme basque, qu’il soit radical ou modéré – de nazi, ou qu’on taxait encore récemment la Generalitat (gouvernement autonome constitué par l’Alliance tripartite en Catalogne) de coalition national-socialiste.

 Voici comment Juan Gelman, poète argentin d’origine juive, expliquait ce qu’il entendait par « politique génocidaire de l’Etat d’Israël » : « Comment est-il possible que les fils, les petits-fils et les arrière-petits-fils de ceux qui comme ma mère, ses frères, son père rabbin, qui endurèrent l’encerclement tsariste des ghettos, et plus tard, comme mes cousins, l’enfermement dans des camps de concentration, soient devenus les assiégeants d’un peuple tout entier ? […] Et ces descendants de la persécution créent maintenant des ghettos pour les Palestiniens, dynamitent leurs maisons, les encerclent pour les affamer […] exproprient leurs terres en appliquant la loi de la jungle, et font usage de la force brute ? […] Nous autres juifs, fûmes de tout temps persécutés, jamais persécuteurs, discriminés, jamais discriminateurs […] L’Etat d’Israël n’a rien à voir avec la tradition juive, une des plus démocratiques du monde » (ABC, 22 avril 2001).

Allant même jusqu’à employer de la manière la plus radicale possible le terme « génocide » à propos duquel j’ai des réserves, Gelman dénonce les descendants des victimes, devenus, au nom des ces mêmes anciennes victimes, des nouveaux bourreaux et non des exterminateurs.

Si des excès comme ceux de Saramago, qui a invoqué Auschwitz pour condamner Israël, me paraissent inadmissibles, la fausse équation satanisatrice (anti-israélisme = antijudaïsme = « judéophobie d’extermination ») établie par ceux qui, comme Taguieff, utilisent l’Holocauste pour justifier la condamnation de l’anti-israélisme progressiste, ne me paraît pas moins excessive.

La différence fondamentale entre le discours anti-israélien et le discours antisémite d’extrême droite repose sur le fait que ce dernier, loin de dénoncer les persécutions historiques antijuives et l’Holocauste, les justifie par la négation de la Shoah. Drôles d’antisémites que ces « nouveaux judéophobes de gauche » qui utilisent comme unité de mesure du mal les persécutions séculaires mêmes des juifs !

Le conflit israélo-palestinien

Le conflit qui oppose Israéliens et Palestiniens est sans doute au cœur de la nouvelle judéophobie dénoncée par Taguieff. Il s’agit d’un conflit qui soulève les passions, et pas seulement entre les belligérants. Les alignements inconditionnels sont monnaie courante. Certains ne voient dans ce conflit que l’occupation, la colonisation des territoires palestiniens, la brutalité des actions répressives et les destructions menées par les troupes israéliennes ; ils font l’impasse sur les attentats-suicides commis par les Palestiniens contre des civils israéliens de tous âges et de toutes conditions. D’autres ne voient que l’aspect terroriste et répugnent à dénoncer les expropriations sans fin des terres, le détournement des eaux, l’isolement des villes et des villages par des routes réservées exclusivement aux colons, les couvre-feu, le mur de séparation, les démolitions de maisons et le nombre élevé de morts et de blessés, également de tous âges et de toutes conditions, que entraîne la répression israélienne. La Nouvelle Judéophobie est aligné sur cette deuxième posture.

Taguieff se présente dès le début de son livre comme partisan « d’une solution négociée au conflit israélo-palestinien […] fondée sur le principe de la coexistence de deux Etats indépendants, un israélien et un palestinien, susceptibles de se confédérer à l’avenir […] Le retour d’Israël aux frontières de 1967, la fin de l’occupation de la Cisjordanie et de la bande de Gaza et le démantèlement des colonies juives ». Même s’il assortit sa position de nombreux préalables : « la reconnaissance par les Palestiniens du droit d’Israël à l’existence, la fin du terrorisme anti-israélien et (donc) la désislamisation du mouvement national palestinien ». Il ajoute que cet ensemble de propositions – également défendues par les milieux « “pacifistes” trotsko-communistes – prend (pourquoi pas !) son vrai sens dans un contexte où le chef suprême de l’islamo-terrorisme [Oussama Ben Laden] manifeste (après le 11-septembre) des exigences du même ordre, quelles que puissent être ses raisons profondes » (p. 219). Toutefois Taguieff omet de nous expliquer pourquoi il défend la création d’un Etat palestinien. Cette création viendrait-elle réparer quelque injustice ou oppression ? Il ne dit pratiquement rien à ce propos. Il fait allusion, seulement une fois, aux « souffrances de la majeure partie du peuple palestinien » (p. 31). Il ajoute néanmoins : « ce qui rend impossible la reconnaissance réciproque des deux peuples et donc tout accord politique sans arrière-pensée, c’est, avant tout, l’installation des Palestiniens dans la posture commode de l’opprimé et de la victime » (p. 105). Ce que nous ne comprenons pas très bien : si on suit la pensée de Taguieff, soit les Palestiniens se sont tout simplement grimés en victimes sans vraiment l’être, soit ils endurent une oppression réelle mais qui, inexplicablement, leur procure un infini confort.

Au lieu d’évoquer « les souffrances » des Palestiniens, Taguieff préfère focaliser sur les justifications des assassinats ciblés perpétrés par l’armée israélienne contre les activistes palestiniens : « Lorsqu’un responsable islamiste, planificateur et organisateur des actions meurtrières, est éliminé en tant que tel… » Au-delà de l’omission des victimes « collatérales » que ce type d’actions provoque habituellement, la conception que Taguieff se fait de l’Etat de droit nous pose un sérieux problème. Evoquant la tragédie tristement célèbre du massacre de Sabra et Chatila, il disculpe Sharon (même s’il reproche, dans une note de bas de page, aux responsables militaires israéliens en charge de la surveillance du camp d’avoir laissé faire les miliciens libanais) en donnant de cet événement une explication qui sonne comme une sinistre justification : « A Sabra et Chatila, ce sont des chrétiens libanais qui, en réaction aux multiples exactions des Palestiniens sur leur sol, se sont vengés sauvagement » (p. 95). Qu’aurait pensé Taguieff si, dans un texte sur les attentats-suicides, on avait substitué « libanais » à « palestiniens » et « Palestiniens » à « Israéliens » ? Les images d’un enfant palestinien (Muhammad al-Dûrra) assassiné par l’armée israélienne, diffusées en boucle par les télévisions au début de la seconde Intifada, conduisent Taguieff à écrire que, à travers cette séquence, est massivement diffusée l’image de l’armée israélienne « tueuse d’enfants innocents », réactivant ainsi la légende du juif coupable du « meurtre rituel » pour faire oublier les massacres perpétrés par les feddayins et les kamikazes palestiniens contre les civils israéliens. Combien est lamentable le fait de se servir de certains crimes pour en occulter d’autres !

Tout comme la gauche anti-israélienne, les Arabes et les Palestiniens, plus visés que d’autres, sont accusés par Taguieff de vouloir la destruction d’Israël. Certes, ce fut longtemps la position officielle de l’OLP et de la Ligue arabe. Mais depuis les années quatre-vingt, l’une et l’autre ont fini par accepter l’existence de l’Etat d’Israël dans ses frontières de 1967, et même par proposer l’établissement de relations diplomatiques dans le cadre des résolutions votées par les Nations unies. De tout cela, il n’est point question dans l’ouvrage de Taguieff.

La question des réfugiés est sans doute plus complexe. Leurs droits sont reconnus par l’ONU, mais la stabilité d’Israël, dont la nécessité est aussi reconnue par l’ONU, pourrait être menacée dans l’hypothèse d’un retour massif des Palestiniens sur leurs terres. Taguieff rejette sans autre forme de procès le « droit au retour pour les Palestiniens, [qui implique] à terme la disparition par immersion de la nation israélienne. Solution du problème israélo-palestinien par euthanasie des Israéliens » (p. 167-168). Taguieff devrait mieux expliquer pourquoi les Palestiniens n’ont pas le droit « de retourner dans leur pays », alors que les juifs d’Ukraine, d’Argentine ou d’Australie ont le droit de s’y installer. Quelles différences y a-t-il entre ceux-ci et ceux-là qui puissent justifier des droits si inégaux ?

Dans ses attaques contre les anti-israéliens progressistes, Taguieff écrit en substance que l’autre façon de démoniser Israël, c’est de le comparer au régime de l’apartheid sud-africain (« Si en effet l’Etat d’Israël est bien un Etat “raciste”, ayant institutionnalisé la “ségrégation” et l’“apartheid”, il faut d’urgence le détruire, comme a été aboli le système d’apartheid en Afrique du sud (mai 1994) »). Je ne suis pas loin de penser que ce type de raisonnement illustre à la perfection les postulats gratuits de Taguieff, surtout quand nous savons que les racistes blancs sud-africains justifiaient le maintien de l’ordre ségrégationniste par la crainte de se voir éliminés par les Noirs à la première occasion. Certes, les deux parties n’étaient pas exemptes de haine. Toutefois il a été prouvé que ce que les ennemis de l’apartheid cherchaient à éliminer, c’est l’apartheid lui-même et non ceux qui en bénéficiaient. De la même manière, ce que les progressistes anti-israéliens (au sens que Morin accorde à ce qualificatif) ont en réalité comme objectif, c’est la fin de l’occupation et de la colonisation israélienne des territoires occupés et non la destruction de l’Etat d’Israël, encore moins l’« extermination » de sa population, comme Taguieff veut nous le faire croire. 

Judéophobie juive et critique d’Israël

Taguieff fait la distinction entre la légitime critique de la politique israélienne – lorsqu’elle est rationnellement argumentée – et le « rejet inconditionnel d’Israël fondé sur son irrationnelle satanisation » (p. 166). Mais en quoi consiste au juste cette critique rationnelle ? Jugeons-en à partir de quelques exemples :

Avec l’occupation et la colonisation des territoires en 1967, Amos Kenan a affirmé qu’un « Israël colonialiste » était né (Haaretz, 18-4-1972). Amira Haas a écrit pour sa part, au début de la deuxième Intifada, qu’Israël avait réussi « en l’espace de dix ans à multiplier par deux le nombre de colons, à accroître le nombre des colonies, à poursuivre sa politique discriminatoire de rationnement de l’eau potable pour trois millions de Palestiniens, à entraver le développement palestinien dans presque toute la Cisjordanie et à confiner toute une nation à l’intérieur d’un territoire exiguë, l’enfermant dans une prison d’autoroutes strictement réservées aux juifs. L’objectif poursuivit derrière la planification de chaque route devient on ne peut plus évident : garantir, pendant les jours de circulation restreinte à l’intérieur des territoires occupés, à 200 000 juifs, l’absolue liberté de circuler, pendant qu’environ trois millions de Palestiniens sont séquestrés dans leurs bantoustans, jusqu’à ce qu’ils se soumettent complètement au dictat israélien » (Haaretz, 18-10-2000).

Le prestigieux historien Zeev Sternhell a, lui aussi, parlé d’un « Israël colonial » dont les dirigeants « sont absorbés […] par des tâches de police coloniale, rappelant les opérations montées contre les townships sud-africains par la police blanche à l’époque de l’apartheid » (Haaretz, 7-3-2002).

Dans son commentaire sur la politique d’Ariel Sharon, l’historien Shlomo Ben-Ami, ancien ministre travailliste des Affaires étrangères dans le gouvernement Barak, écrit : « La dignité du peuple palestinien doit également être une exigence vitale pour les Israéliens. Il n’y a pas de solution dans la répression ou dans l’emprisonnement de tout un peuple. L’heure est venue de mettre fin à cette sinistre comptabilité de vengeance et de sang. » Il ajoute que « l’atteinte à la dignité de l’homme palestinien par l’armée israélienne est l’un des chapitres les plus tristes de notre histoire récente. Le terrorisme suicidaire palestinien est une aberration morale, en plus d’être contreproductif pour la cause palestinienne elle-même (5) ».

Ces critiques ont été formulées avec une force et une détermination qu’on a du mal à trouver dans les pages de la presse progressiste européenne. Je pense que leurs auteurs, israéliens, sionistes ardents pour la plupart, font preuve d’une sensibilité qui les range dans le camp de leurs adversaires, sans qu’ils perdent pour autant un seul atome de leur inébranlable volonté de défendre les droits reconnus à Israël.

Il est plus difficile de trouver dans les pages de la presse progressiste occidentale semblables critiques de la situation faite par l’Etat hébreu à la minorité arabe. Voici ce que Ben-Ami pense à ce propos : « Tous les citoyens, chrétiens, musulmans ou juifs, doivent bénéficier d’un accès égal aux institutions, aux fonctions politiques, aux opportunités économiques, aux formations pédagogiques […] Actuellement, en ce jour même, les 20 % d’Arabes qui vivent dans ce pays se trouvent à des années lumière de la satisfaction de ces droits. » « Pour l’heure, ajoute-t-il, les citoyens arabes ne sont pas dans une situation d’égalité authentique, ni dans l’exercice de leurs droits, ni dans l’accès à l’emploi, ni dans le développement de leurs villages, ni dans l’accès aux institutions publiques (6). »

Bien évidemment, aucun auteur parmi ceux que je viens de citer, y compris parmi les progressistes européens, n’a tenté de justifier – Taguieff veut nous persuader du contraire – le terrorisme palestinien par leurs critiques acerbes de la politique israélienne, à l’exception de certains extrémistes dont l’impact sur l’opinion reste sans doute très faible. Taguieff affirme que les progressistes rejettent totalement Israël quand ils avancent « l’argument implicite fondamental : Si Israël n’existait pas, la paix et la justice régneraient au Proche-Orient » (p. 167). Je pense que le véritable argument de la gauche est le suivant : Si Israël décolonise les territoires occupés et signe des accords de paix avec les Arabes, les graves problèmes que connaît le Moyen-Orient seront plus faciles à résoudre et le terrorisme islamiste bénéficiera de moins d’appui populaire. Ben-Ami ne pensait pas différemment quand il appelait à « la nécessaire mobilisation des énergies internationales pour résoudre les conflits qui servent de bouillon de culture au phénomène terroriste » et en ajoutant qu’il « espère que le 11-Septembre renforcera la détermination et la conviction de la communauté internationale, que seul un effort international est à même de résoudre la tragédie israélo-palestinienne (7) ».

Des Israéliens, ainsi que certains juifs de la diaspora, ont poussé leurs critiques tellement loin qu’ils en sont venus à questionner l’origine même de l’Etat d’Israël, non qu’ils le rejettent, mais parce qu’ils ressentaient le devoir de dénoncer l’injustice commise par cet Etat contre les Palestiniens, injustice qu’ils souhaitaient voir réparée. Primo Lévi considère que le plus grand problème du sionisme est que « ce territoire n’était pas vide ». C’était au cours d’une conférence donnée à New York devant un public juif. Sa déclaration avait provoqué un grand tumulte dans la salle : « Quand j’ai commencé à expliquer que du point de vue historique je considérais Israël comme une erreur, un grognement sourd traversa l’assistance, et le modérateur dut  suspendre séance tenante la conférence. » Pendant la guerre de 1948, le philosophe Martin Buber, essayant de comprendre la peur des Arabes face à la présence des juifs en Palestine, était parvenu à la conclusion que la raison résidait dans le fait que ces derniers s’étaient établis « sans l’accord des habitants du pays ». Le général Moshé Dayan, quant à lui, a abordé le problème au cours des funérailles d’un jeune kibboutzim assassiné en 1956 par des Arabes : « Pourquoi devrions-nous nous plaindre de la haine féroce qu’ils nous vouent ? Ne sont-ils pas entassés depuis bientôt huit ans dans des camps de réfugiés à Gaza, n’avons-nous pas, sous leurs yeux, fait de la terre et des villages dans lesquels eux-mêmes et leurs ancêtres avaient vécu, nos propres foyers (8) ». Dans un commentaire sur la lettre que George W. Bush adressa à Ariel Sharon pour appuyer son plan de retrait unilatéral de la bande de Gaza, Schlomo Ben-Ami avait également posé ce problème fondamental : « La lettre de Bush et la Déclaration historique de Balfour en 1917 ont en commun ce point vital : elles constituent toutes les deux un échange épistolaire entre une puissance occidentale et les sionistes, dans une totale ignorance des perspectives et des aspirations des Arabes » (El País, 7-5-2004). Ce que Schlomo Ben-Ami et Martin Buber recherchaient évidemment, c’était une nouvelle lecture de l’histoire d’Israël qui permettrait de réparer l’injustice commise envers le peuple palestinien par la création de l’Etat d’Israël.

Les auteurs des textes cités sont tous des juifs israéliens, à l’exception de Primo Lévi. Aurions-nous omis de préciser leurs noms, ils auraient tous été taxés d’antisémitisme. Chaque fois que les critiques proviennent des rangs juifs, Taguieff et les avocats inconditionnels d’Israël les ramènent à cet argument unique : « l’hypothèse peut être avancée que la vieille haine de soi est en train de se transformer chez certains juifs “de gauche” (mais surtout d’extrême gauche, dont le prédécesseur est Karl Marx) en haine de l’Etat, et plus particulièrement en haine de l’Etat juif, qui a précisément mis fin à la haine de soi » (p. 42, note 52).

La Haine de soi (traduit en français par Le Refus d’être juif) est le titre que Theodor Lessing (assassiné en 1933 par les nazis) a donné en 1930 à un ouvrage contenant la biographie de six personnages d’origine juive, qui haïssent leur origine. Parmi eux, un certain Arthur Trebitsch, journaliste juif viennois converti au christianisme, qui haïssait à tel point sa judéité qu’il considérait que tout juif est criminel par excellence et que la judéité est inextirpable. Il demandait par conséquent aux Allemands, chrétiens et « aryens », d’en finir sans pitié avec les juifs, même « si avec les Justes, cent Injustes doivent périr », à commencer par lui-même (9). Ces personnages d’origine juive, mais férocement antijuifs, pullulent dans ce roman. La plupart d’entre eux ne se haïssaient pas eux-mêmes, puisqu’ils ne se considéraient pas comme juifs. Ils se sont mis à se haïr avec la propagation des idées racistes, quand ils parurent au grand jour en tant que convertis, comme Trebitsch, qui haïssait tous les juifs sans distinction et considérait que le baptême ne l’avait pas tout à fait guéri de sa condition existentielle de juif. Mais il s’agit-là d’un cas extrême, car une chose est de haïr son peuple parce qu’on le considère comme criminel, et une autre est de critiquer ou de rejeter la religion ou le nationalisme propre à ce peuple. Pour un Irlandais, critiquer ou rejeter le catholicisme ou le nationalisme de son pays a peu à voir avec un quelconque sentiment de haine de soi.

Parmi les juifs qui seraient frappés par le syndrome de la « haine juive de soi », Taguieff distingue « les nouveaux historiens » dont la tâche, écrit-il, se bornait « en grande partie à la recherche d’une confirmation, par recours à des nouvelles archives, des thèses palestiniennes sur l’histoire d’Israël ». Il discrédite ce groupe de chercheurs en affirmant qu’il n’existe que par ses engagements pro-palestiniens « au moins autant que par ses activités historiographiques » (p. 99, note 156). Il l’accuse d’être situé à l’extrême gauche, ses animateurs peuvent être considérés comme des communistes militants, souvent d’« inspiration trotskiste ». Taguieff cite à l’appui Ilan Pappé, membre de Hadash (Front pour la paix et l’égalité) : « C’est d’eux [les intellectuels palestiniens] que j’ai appris la version palestinienne des événements de 48. Après j’ai cherché les preuves de leurs griefs dans les archives » (p. 99).

Or une question se pose. Pourquoi l’activité d’un historien serait-elle disqualifiée dès lors que sa recherche s’attacherait à vérifier le degré de justesse de la vision de ceux qui appartiennent au camp opposé ? Taguieff ne souffle mot sur les documents d’archive israéliens dont ces historiens se sont servis comme matériaux de base pour l’argumentaire de leurs thèses. Il se contente de les discréditer, étant pour lui coupables d’avoir voulu examiner la véracité de la version palestinienne des faits, ou en raison uniquement de leur prétendu communisme. La vérité serait-elle une vertu intrinsèque des Israéliens et l’erreur, une tare palestinienne ? Taguieff serait bien inspiré de relire les réflexions qu’il développa lui-même dans Le Racisme. Je ne connais pas la trajectoire politique et personnelle des nouveaux historiens. Tout ce que je sais, c’est que ni Avi Shlaim ni Ilan Papé ne se considèrent comme communistes. Beni Morris, lui, est un ardent défenseur du sionisme antipalestinien le plus virulent, ce qui ne l’empêche pas d’affirmer que des nouveaux documents d’archive prouvent que les troupes juives ont reçu en 1948 l’ordre explicite de « nettoyer » de ses Palestiniens les territoires nouvellement conquis par l’Etat naissant d’Israël. Ces ordres ont été à l’origine de massacres bien plus systématiques que ce qu’il a bien voulu nous révéler dans son ouvrage. Beni Morris justifie ces tueries en reprochant à Ben Gourion de n’avoir pas su finir correctement le travail : « Il y a des circonstances historiques qui justifient le nettoyage ethnique […] La nécessité d’instaurer cet Etat sur cette terre doit prévaloir sur l’injustice commise en déracinant les Palestiniens à la leur » (Haaretz, 9-1-2004) (10).

 

 

Menace islamiste et violence antisémite

 

Taguieff cherche dans son essai à nous faire prendre conscience de la menace que l’islamisme radical et terroriste fait peser sur nous, ce qui me paraît fort justifié. Toutefois, il met à profit cet objectif pour clouer au pilori la gauche dite judéophobe et l’accuser d’être son « compagnon de route […] et ses légitimateurs auxiliaires », étant donné qu’elle considère que ce radicalisme est le produit dérivé de la politique expansionniste israélienne, et d’une façon générale de l’impérialisme nord-américain et occidental, et parce qu’elle condamne le combat antiterroriste. Taguieff caricature à nouveau les arguments de la gauche occidentale en les réduisant à des positions qui, en réalité, ne sont tenues que par certains groupes radicaux et minoritaires. Il est possible de rejeter sans ambiguïté le radicalisme islamiste, en tout point éloigné de la tradition intellectuelle progressiste, et de dénoncer en même temps les injustices et les causes des conflits dont il se nourrit, sans que cela puisse faire supposer le moindre soutien à sa cause. Taguieff ne reconnaît-il pas lui-même qu’« à travers la cause palestinienne, se construit une forme d’opposition ou de résistance globale de l’islam à l’Occident », citant à ce propos l’exemple d’un jeune homme de nationalité tunisienne, vivant en France depuis quatorze ans, qui a découvert l’islam après l’invasion israélienne du Liban (p. 65). Comme l’a dit Jean Daniel : « La paix au Proche-Orient ne fera pas disparaître l’islamisme intégriste, elle offrira aux musulmans plus de possibilités pour le combattre avec efficacité » (El País, 19-3-2004).

« Depuis les dernières trois décennies du XXe siècle, écrit Taguieff, la détestation croissante de la figure mythique “juifs-israéliens-sionistessuit les voies de l’expansion de l’islam, la haine antijuive s’étend tandis que se normalise quelque chose comme une nouvelle fascination de l’islam, d’extension planétaire » (p. 146). Je ne vois pas du tout où se trouve cette « nouvelle fascination intellectuelle de l’islam » de la gauche européenne dont il parlait (p. 147), à part dans quelques cas qui se comptent sur les doigts d’une seule main, comme celui de Roger Garaudy qui, en se convertissant à l’islam, abandonna les postulats philosophiques du marxisme.

Quoique je sois clairement critique envers son essai, Taguieff défend deux idées avec lesquelles je suis d’accord. Je crois en effet très fréquente l’identification du juif générique avec Israël, qui ne tient pas compte du fait que les juifs, à l’extérieur comme à l’intérieur de cet Etat, expriment des positions idéologiques très divergentes, à plus forte raison à propos du conflit avec les Palestiniens. Je suis également d’accord avec l’auteur, non seulement quand il dénonce la campagne de violence antisémite visant la communauté juive en France et dans d’autres pays (menaces, agressions, incendies…), majoritairement le fait de jeunes radicaux d’origine arabe, mais aussi quand il déplore la passivité des secteurs progressistes, et de la société française dans son ensemble, face à cette violence (p. 208 et suiv.). La crainte de tomber dans des excès xénophobes envers les minorités arabes ou de faire le jeu de l’ultranationalisme lepéniste et de l’extrême droite européenne, ne peut justifier en aucune manière cette passivité. L’agression des juifs n’est ni mieux ni pire quand elle est commise par un groupe néonazi ou par des islamistes radicaux, dussent-ils venir des cités pauvres ou des quartiers dits « sensibles ».

Parallèlement aux sentiments antijuifs, un sentiment anti-arabe, anti-islamique et islamophobe, prenant appui sur l’équation Arabe/musulman = terroriste islamiste, redouble de vigueur. Les réactions xénophobes face aux flux migratoires musulman et les tragédies comme celles de New York, Madrid, Londres, exacerbent ces sentiments de rejet que les groupuscules d’extrême droite n’hésitent pas à exploiter. Taguieff passe rapidement sur le racisme anti-maghrébin : « la vérité historique et sociologique est tout autre : il n’y a pas eu de succession, il y a coexistence entre la xénophobie anti-maghrébine – visant certaines catégories d’immigrés et leurs enfants, leurs petits enfants, etc. – et la judéophobie en tant qu’attitude et comportement » (p. 216) – c’est avec quoi je suis d’accord. Comme dans le cas de l’Espagne, où judéophobie et arabophobie trouvent leur origine séculaire commune dans le casticisme (pureté et orgueil de ce qui est purement chrétien espagnol) profondément enraciné dans les mentalités populaires ibériques. Toutefois c’est l’arabophobie qui est responsable des actes racistes les plus violents, dont les plus célèbres sont les événements survenus à El Ejido en hiver 2000. Une enquête Gallup de mai 2004, commandée par l’Institut Elcano, montrait que, pour les Espagnols, Israël est le pays qui a la plus mauvaise image. Des cinq pays qui viennent tout juste après, quatre sont arabes. L’islam est en tête liste des religions stigmatisées, et la majorité de la population espagnole considèrent les musulmans comme des gens autoritaires et violents.

Au cours de ces dernières années et contrairement à la France ou à d’autres pays européens, on n’a pas enregistré en Espagne d’actes antisémites violents d’importance, ce qui est dû probablement à la petite taille de la communauté juive. Cela n’a pas empêché pour autant la littérature antisémite radicale d’être diffusée par de petites maisons d’édition appartenant à la droite extrême (intégristes, néonazis et autres). En même temps, des livres comme L’Espagne face à l’islam de César Vidal qui satanise les musulmans et prône leur extermination à l’arme nucléaire (il conseille plus exactement l’utilisation de l’arme atomique pour anéantir les groupes terroristes islamistes), sont tirés à des milliers d’exemplaires et rencontrent un large écho dans les médias de droite (11).

 

Le conflit israélo-palestinien se trouve au cœur de la nouvelle judéophobie dénoncée par Taguieff. Cela constitue déjà une différence importante avec l’antisémitisme classique de l’extrême droite européenne, plus ancien. Mais le phénomène de dérapage vers l’atisémitisme n’est pas à l’œuvre dans la gauche occidentale, à l’exception des groupes extrémistes minoritaires de droite qui cherchent à gagner la sympathie des minorités musulmanes vivant dans leurs pays. Ce conflit a contribué à réactualiser en effet les stéréotypes antijuifs séculiers sur la place publique.

En généralisant les alignements automatiques sur l’un ou l’autre camp, le conflit israélo-palestinien continue de susciter des passions. La barbarie des uns occulte et justifie même la barbarie des autres. Mais ça, ce n’est pas l’antisémitisme. Taguieff tombe dans la posture partiale en confondant les critiques de l’occupation et de la colonisation israélienne avec l’existence d’un « antisémitisme éliminationniste » (p. 38 et note 43). Et toutes les fois que ces mêmes critiques émergent des rangs juifs ou israéliens, il brandit l’argument de la « haine juive de soi ». Personnellement, je pense que nous devons dénoncer la violence et la brutalité dans les deux camps. Mais contrairement à Taguieff, j’ai de l’admiration pour ces Israéliens et pour ces juifs qui, loin de souffrir du syndrome de la « haine juive de soi », et sans renoncer à leur identité et à leur patrie, font des efforts pour se mettre aux côtés de l’Autre, car c’est l’unique voie pour construire la paix et la justice.

—G. A. C.

 

NOTES

 

1. Leo Ferraro, El ultimo protocolo. Las claves secretas del dominio sionista mundial: Vasallo de Mumbert, 1986, p. 7.

2. Pierre-André Taguieff est directeur et auteur principal de Protocoles des Sages de Sion. Faux et usage d’un faux, Paris, Berg International, 1999. Il est également l’auteur de L’Antisémitisme de plume, 1940-1944, Paris, Berg International ; La Force du préjugé. Essai sur le racisme et ses doubles, Paris, La Découverte, 1987 et Le Racisme, Paris, Flammarion, 1997.

3. P.-A. Taguieff, Le Racisme, p. 32-43.

4. In Gonzalo Álvarez Chillida, El Antisemitismo en España, Madrid: Marcial Pons, 2002, p. 446-470, où je fais le commentaire des contenus de six ouvrages espagnols antisionistes de gauche parus pendant la guerre froide.

5. Les citations de Kenan, Hass et Sternhell sont tirées de Ilusiones de Oriente Medio, Madrid, Popular, 2003, p.165, 321, 327. Shlomo Ben-Ami, ¿ Cual es el futuro de Israel ?, Madrid: Ediciones B., 2002, p. 451-466. Edition originale : Shlomo Ben-Ami, Quel avenir pour Israël ? Entretiens avec Yves Charles Zarka, Jeffrey Andrew Barash et Elhanan Yakira, préface de Yves Charles Zarka, Paris, PUF, 2001.

6. Sh. Ben-Ami, ibid.

7. Ibid., p. 476.

8. Primo Lévi, Entrevistas y conversaciones, Barcelona: Península, 1998, p. 63. La citation de Buber est extraite de l’article de Daniel Romero, El País, 28-12-2003. Celle de Dayan, in Avi Shlaïm, El muro de hierro, Granada : Almed, 2003, p. 150.

9. Gustavo Daniel Perednik, La judeofobia, Barcelona: Flor del viento, 2001, p. 145-147.

10. Cité par Henry Siegman, in « Israel : “The Threat from Within” », New York review of Books, 26-2-2004, p. 15-17.

11. César Vidal, España frente al islam, Madrid: La Esfera de los Libros, 2004, p. 436-437.

 


 

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