Le bureau de la FTCR, réuni le 07 novembre 2009, à Paris, se félicite de la libération récente des prisonniers du bassin minier de Gafsa et salue leur courage et résistance tout le long de cette épreuve difficile. La FTCR exprime à leurs familles et proches, ses sincères félicitations. Elle exige des autorités tunisiennes de les recouvrer dans leurs droits civils et politiques, de les réintégrer immédiatement dans leurs postes de travail et de répondre positivement aux revendications légitimes des populations de la région dont ils étaient les porte-paroles. La FTCR exige des mêmes autorités d’arrêter les poursuites judiciaires engagées, injustement, dans cette affaire, à l’encontre du président de leur fédération, la FTCR, Mouhieddine CHERBIB et de Fahem BOUKEDDOUS, jugés lourdement par contumace. La FTCR exprime son soutien et sa solidarité avec les familles dont les leurs ont été tués dans ces évènements sanglants : Hafnaoui MAGHZAOUI, Hichem BEN JEDDOU, Abdelhakhalek AMAIDI. Elle exige l’ouverture d’une enquête indépendante à ce propos et que soient traduits en justice les auteurs de ces crimes. Enfin la FTCR demande à toutes les forces démocratiques, à l’intérieur et à l’extérieur du pays, de maintenir leur mobilisation pour continuer, avec la même détermination, la lutte pour une amnistie générale et pour le respect des libertés de la démocratie et des droits de l’homme en Tunisie. Le bureau fédéral de la FTCR.
Tunis prend la mouche Tunis règle ses comptes avec Paris
Kouchner “déçu” par les arrestations de journalistes en Tunisie
AFP 10.11.2009 PARIS — Le ministre des Affaires étrangères Bernard Kouchner s’est dit “déçu” mardi par les arrestations de journalistes en Tunisie, les jugeant “inutiles”, alors que le président Ben Ali vient d’être largement réélu. Sur France-Inter, M. Kouchner a jugé “inutile d’arrêter les journalistes”. “J’ai été déçu mais nous avons réagi”, a-t-il dit. Il faisait notamment allusion au cas de Taoufik Ben Brik, journaliste très critique à l’encontre du régime du président Zine el Abidine Ben Ali, écroué depuis le 29 octobre dans une affaire d’agression. Cette incarcération serait liée, selon son entourage, à des articles publiés dans la presse française. “Quand on a été élu pour la cinquième fois et qu’on dirige ce pays avec habilité (…), je pense que c’est inutile”, a affirmé le ministre, insistant sur la situation économique favorable de ce pays, où le président Ben Ali a été réélu en octobre avec 89,62% des voix. La semaine dernière, la France s’était déclarée “préoccupée par les difficultés rencontrées par des journalistes et défenseurs de droits de l’Homme en Tunisie”.
Paris demande à Tunis de libérer le journaliste Taoufik Ben Brik
Sans nouvelles de Ben Brik
Ben Brik en danger de mort à Tunis
SIMULACRE ELECTORAL EN TUNISE :
PLURALISME EN TROMPE L’ŒIL ET PENSEE UNIQUE
Par Khémaïs CHAMMARI
Le 25 octobre 2009, au terme d’un processus plébiscitaire conduit à marches forcées depuis près de deux ans, mobilisant tous les moyens et le faste grandiloquent de la propagande de l’appareil de l’Etat, le Président Zine El Abidine BEN ALI a inauguré à 73 ans son 5ième – et en principe – dernier mandat présidentiel de cinq ans.
Le taux de participation à ce scrutin verrouillé – qui s’est doublé le même jour d’élections législatives une fois de plus totalement faussées – a été, du moins officiellement, et comme prévu, de l’ordre des 85% du corps électoral et le Président Ben Ali a été élu par près de 90% des suffrages censés s’être exprimés ! 89, 62% très exactement. Un score sans surprise quoique légèrement moins élevé que les quatre fois précédentes.
Face à la débauche des moyens déployés, dont le coût est évalué à l’équivalent de 15 à 17 millions de Dinars tunisiens (hors les interventions abusivement partisanes de l’Etat, ses services publics et les sociétés nationales), l’opinion, lassée par cet « over dose » de liturgie de l’Etat-RCD (du nom du vrai parti unique, le Rassemblement Constitutionnel Démocratique), a affiché un scepticisme, voire une indifférence, à tous égard révélateurs de son désintérêt pour la chose publique et pour la vie politique.
Il ne s’est agi, au demeurant, que de la consécration d’un véritable rituel d’allégeance, comme la Tunisie n’en a probablement jamais connu depuis l’indépendance en 1955. S’inscrivant dans la logique despotique de la réforme constitutionnelle imposée par le referendum du 26 mai 2002 ; ce sacre – auquel la première Dame de Tunisie a été étroitement associée – confirme que, par delà les apparences formelles d’une consultation en trompe-l’œil, le système politique de l’Etat-RCD n’a de nom dans aucun traité de droit constitutionnel.
Une réforme « sur mesure » …
A la différence, en effet, de la présidence à vie ouvertement assumée et imposée en 1975 par l’ancien Président Habib Bourguiba (1956-1987) ; la suppression de la limitation du nombre de mandats présidentiels instaurée en 2002 a livré la plus haute charge de l’Etat- selon la formule d’un politologue tunisien de renom- aux hasards de la biologie en en faisant une présidence « à espérance de vie » dans le cadre d’un système de « tyrannie formellement élective ».
En évoquant ce referendum, il n’est pas inutile de rappeler que 38 des 78 articles de la Constitution ont été amendés à cette occasion et que ce bouleversement a, entre autres dispositions, repoussé de 70 à 75 ans l’âge de l’éligibilité de la candidature à la présidence et qu’il a institué également l’irresponsabilité pénale du Chef de l’Etat. Ce dernier bénéficie, depuis, d’une immunité juridictionnelle durant l’exercice de ses fonctions mais aussi après la fin de celles-ci. C’est dire si le referendum de 2002 puis les élections de 2004 et de 2009, constituent des moments décisifs sur la voie du renforcement du despotisme et du système d’impunité qui en est l’un des principaux fondements.
Cette dérive ainsi que l’embrigadement des composantes autonomes de la société civile (journalistes, magistrats, défenseurs des DH), et les atteintes systématiques et quotidiennes aux droits de l’homme, unanimement constatées par les observateurs internationaux, sont évidemment niées par le pouvoir. Tout comme cela ne semble pas émouvoir outre mesure ses alliés inconditionnels européens et notamment ceux des Etats du pourtour de la méditerranée. Entre la référence concrète à la démocratie et l’Etat de droit et les intérêts commerciaux, le dilemme est, à leurs yeux, apparemment insurmontable.
Le contexte de ces élections a été marqué, de surcroît, par les effets, longtemps niés, de la crise économique mondiale, une corruption galopante et la montée des tensions sociales illustrée notamment par la révolte légitime des populations du bassin minier de Redeyef- Gafsa (Sud Est) fermement réprimée, ainsi que par les manœuvres en direction de l’islam politique. Après avoir diabolisé et réprimé de façon implacable le parti islamiste « En-nahdha », le pouvoir s’est engagé dans la voie d’une surenchère piétiste conservatrice. Et c’est le propre gendre du Chef de l’Etat, un jeune homme d’affaires à l’ascension financière fulgurante et à présent élu député, qui s’illustre dans cette démarche risquée. En quelques mois, il a non seulement acquis le groupe de presse Essabah, mais il a aussi lancé radio Zitouna (radio Coran), la future chaîne télévisée Zitouna, et la banque islamique Zitouna.
Pour en revenir à la dernière réforme – au demeurant inconstitutionnelle – d’avril 2008 et officiellement destinée, contre toute évidence, à élargir le champ des candidatures ; celle-ci a visé, en réalité, à éliminer tel ou tel prétendant dont l’envergure pourrait préoccuper le palais de Carthage, sans présenter pour autant un quelconque risque d’alternance. Les candidatures de M° Ahmed Nejib Chebbi (fondateur du Parti Démocratique Progressiste dirigé, à présent par Mme Maya Jribi) et le Dr Mustapha Ben Jaafar, président du Forum Démocratique pour le Travail et les Libertés (FDTL, membre de l’Internationale Socialiste), ont ainsi été, tour à tour ,écartés par une décision politique sous couvert d’un emballage juridique peu convaincant.
Restait le candidat d’At-Tajdid (ex PC) et de l’alliance initiée en 2004 dans le cadre de « l’initiative démocratique et progressiste ». Premier secrétaire de son parti, élu comme cela est exigé par un congrès « deux ans avant le dépôt de candidature », Ahmed Brahim pouvait difficilement être formellement écarté. En affirmant d’entrée de jeu, de façon ferme et sobre, qu’il n’était pas « un candidat de figuration » et qu’il comptait « mener cette compétition d’égal à égal », il a essuyé les foudres du pouvoir.
C’est donc dans des conditions de pressions et de discriminations inacceptables qu’il a été contraint de mener une campagne difficile mais digne et courageuse ( black out médiatique en dehors des passages encadrés à la radio et à la télé, saisie du journal de son parti le 10 octobre, censure tatillonne de son manifeste électoral et de ses affiches, tracasseries pour obtenir des salles de réunion…).
UNE PROCEDURE DE COOPTATION
A cette candidature, que le pouvoir a tout fait pour gêner, se sont ajoutées deux candidatures alibis ou plutôt faire-valoir. Dans ce scrutin à un seul tour, marqué par la démesure des moyens engagées par l’Etat au profit du Président sortant et par le monopole exercé sur les « médias » ; les professions de foi de ces deux candidats de l’ « opposition de connivence » (calquée sur celle des pays d’Europe de l’est d’avant la chute du mur de Berlin) apparaissent comme caricaturalement surréalistes. Menant campagne face au Président Ben Ali, ils ont estimé en effet que celui-ci est sans conteste le meilleur candidat !
Dans le même temps, l’administration et le conseil constitutionnel ont fait le ménage sans lésiner sur les moyens. Outre les listes du RCD qui rafleront la totalité des 161 sièges du scrutin majoritaire à un tour dans les 26 circonspections du pays, il est prévu pour les autres partis 53 sièges en quelque sorte de « rattrapage » à répartir entre les cinq partis de l’ « opposition de décor » ( MDS, PUP, UDU, PLS,VLP) et les trois partis légaux de l’opposition véritable ( PDP, FDTL, At-Tajdid et son allié le PTPD) . Ce mode de scrutin complémentaire, à la proportionnelle, a été conçu en 1994 pour maintenir l’hégémonie absolue du RCD tout en faisant accéder au parlement des opposants, pour l’essentiel acquis à la « majorité présidentielle », et à qui il est signifié qu’ils ne représentent que 1 à 2,5 % des suffrages ! Complexe et incompréhensible pour les électeurs, ce mode de scrutin est destiné, en réalité, à camoufler une procédure de cooptation livrée à la seule discrétion du prince. C’est ainsi que le PDP et le FDTL ont été maintenus jusqu’ici, hors de la chambre des députés. Et cela n’est pas prêt, semble t-il, de changer. Du moins pour le PDP après son retrait du 10 octobre.
Le caractère retors de ce code électoral, qui nécessite une refonte totale, est aggravé par deux autres facteurs.
Le premier est qu’il rend vaine, alors que les mécanismes de la fraude sont bien rodés par une expérience de cinq décennies, toute observation sérieuse des élections, compte tenu du nombre délibérément excessif des bureaux de vote et du refus d’accepter de véritables observateurs nationaux et internationaux. La composition de l’observatoire mis en place par le pouvoir confirme bien d’ailleurs, qu’en ce domaine, il n’y a place que pour les vassaux de stricte obédience.
Le second facteur est que ce code bloque toute possibilité de front électoral entre les partis et les indépendants et qu’il se double d’une loi sur le financement public des partis et des élections dont la finalité est louable mais dont les modalités sont délibérément perverses.
Une nouvelle occasion manquée
Il serait fastidieux de relever les dérapages systématiques et délibérés commis par l’Etat-RCD qui a fait fi de tout respect des normes légales minimales à tous les niveaux du processus électoral, de l’inscription sur les listes d’électeurs aux conditions de dépouillement du scrutin. A cela se sont ajoutées les menaces proférées la veille du scrutin par le candidat-président mettant en garde contre toute « incitation à mettre en doute les résultats ».
Après avoir écarté les candidatures de Maître Ahmed Néjib Chebbi (fondateur du Parti Démocratique Progressiste) et Dr Mustapha Ben Jaafar (Président du Forum – FDTL); l’administration et le Conseil Constitutionnel ont au préalable fait le ménage, de façon scandaleuse, au niveau des listes de l’opposition non inféodée, les écartant systématiquement des circonscriptions à forte densité démographique.
Sur la base des résultats officiels, les deux candidats -faire-valoir (Bouchiha et Ennoubli) représentants de l’opposition de décor ont été gratifiés de 5% et de 3,8% des voix alors que le candidat d’At-Tajdid et de l’Initiative Démocratique et Progressiste, l’universitaire Ahmed Brahim, n’obtenait, de façon invraisemblable et au terme d’une campagne ferme et digne mais semée d’embuches, que 1,57% des suffrages censés s’être exprimés !
Comme prévu, le RCD a raflé les 161 sièges du scrutin par circonscription majoritaire à un tour et les cinq partis de l’opposition de figuration se sont vu attribuer 51 des 53 sièges du mode de scrutin de « rattrapage » prévu par la loi électorale.
Face au rouleau compresseur du parti gouvernemental intégré à l’appareil d’Etat, le pluralisme en trompe-l’œil a donc mal masqué le renforcement des pratiques du système et de la culture du parti unique fondées sur la pensée unique.[1]
Toujours est-il que l’échéance des élections du 25 octobre a été une nouvelle occasion manquée d’amorcer une timide ouverture.
Ce simulacre électoral et ce pluralisme en trompe l’œil , dénoncés par avance par les partisans du boycott, et notamment le POCT (parti communiste des ouvriers de Tunisie), le CPR (Congrès pour la République) et les islamistes d’En-Nahdha (auxquels s’est joint le 10 octobre le PDP[2] – parti démocratique progressiste–), a été caractérisé par les atteintes systématiques à la liberté de presse et au droit à l’information comme cela a été relevé de façon méthodique par Reporters sans Frontières, le Comité de Protection des Journalistes, la FIDH et Amnesty International, ainsi que par la remarquable enquête de suivi (monitoring) de la couverture par les médias nationaux présentée par la porte parole du CNLT Sihem Ben Sedrine au nom de cinq ONG autonomes tunisiennes. Cette enquête confirme que 97% de cette couverture a concerné le Président-candidat Ben Ali et le parti gouvernemental RCD et que l’épouse du chef de l’Etat – « la régente de Carthage » – a bénéficié de 14% de la couverture médiatique de la campagne.
THE DAY AFTER…
Et l’on peut comprendre dans ces conditions – les dés étant totalement pipés- les arguments des partisans du boycott contre une consultation qui risque bien de n’être qu’un simulacre électoral qui bafoue les urnes et qui fait de « la volonté populaire » un slogan galvaudé.
Les 26 listes du PDP aux législatives ont ainsi été ramenées arbitrairement à 9 .Dans la foulée, des 22 listes du FDTL,seules 7 ont été retenues et des 26 listes d’At-Tajdid /L’ Initiative, seules 13 restent en lice ; les trois partis étant systématiquement lésés dans les circonscriptions à forte densité démographique !
En définitive et comme prévu, le RCD a raflé les 161 sièges du scrutin par circonscription majoritaire à un tour et les cinq partis de l’opposition de figuration se sont vu attribuer 51 des 53 sièges du mode de scrutin de « rattrapage » prévu par la loi électorale. Le mouvement Et-Tajdid et ses alliés de l’ « Initiative D. P. » ont obtenu deux sièges de députés alors qu’ils en occupaient trois durant la précédente législature.
L’opposition contestatrice et dissidente, confrontée à ce système où prévaut la pensée unique et un arbitraire de tous les instants dissimulé sous les oripeaux formels d’un « Etat de droit » fictif, est appelée dès à présent à envisager avec lucidité la situation d’après le 25 octobre. C’est dans la perspective de ce « day after », qu’il lui faut dépasser ses divisions artificielles et ce « tout à l’ego » qui la mine. Ce qui est à l’ordre du jour, c’est la nécessité d’amorcer sans tarder le débat sur les conditions et les modalités d’une refondation politique qui permette- outre la poursuite du combat pour les droits de l’homme ,contre la torture, « la force de l’obéissance »[3] et la peur- de donner corps et vie à l’idée d’un changement véritable. L’objectif est de redonner l’espoir à une opinion désorientée et à une jeunesse frappée de plein fouet par le chômage et angoissée par ce « no future » auquel les moulins à prières et la pensée unique de l’ « Etat- Destour » n’apportent pas de réponses satisfaisantes. KC.
[1]Cette mise au pas s’appuie sur un système policier omni présent, l’instrumentalisation de la justice et des médias aux ordres dont six titres constituent une odieuse et lâche « presse de caniveau » liée aux officines policières et assurée de son impunité. Les opposant(e)s et les animateurs(trices) du mouvement associatif autonome y sont diffamés , calomniés, intimidés et menacés. Les plaintes en justice n’aboutissent jamais ( j’en ai présenté- en vain- huit !!)
[2] An-nahdha est dirigée par Mr Rached Ghannouchi , vivant en exil à Londres, le CPR est présidée par le Dr Moncef Marzouki contraint à l’exil à Paris et le POCT a pour porte-parole Mr Hamma Hammami. Ce dernier et sa femme M° Radhia Nasraoui présidente de l’association de lutte contre la torture non reconnue) font l’objet d’un harcèlement continuel doublé de graves agressions.
[3] Beatrice Hibou, « la force de l’obéissance : Economie politique de la répression en Tunisie ». Ed. La décuverte, Paris.
Tu t’es vu en Tunisie, all inclusive ?
« Marhababikoum, bienvenue en Tunisie ! », nous lancent les employées de l’hôtel en guise d’accueil. Le bus du tour opérateur vient de nous déposer dans le hall immense du club. Des nuées de touristes nous succèdent.
Une fois sur la plage, je discute avec Malek [1] , qui vivote grâce aux vacanciers à qui il fait faire des tours de chameau. Ce jour là, c’est le premier tour des élections présidentielles. « Voter ? », ce mot semble étranger à son vocabulaire. D’ailleurs, aucune agitation ne laisse présager qu’il s’agit d’une grande journée. Seuls quelques panneaux affichent les portraits du Président actuel, Ben Ali, et de ses « concurrents », comme ils disent ici.
Président à vie
« Ah, les élections », lâche avec nonchalance Malek. A 30 ans, il reconnaît n’avoir jamais voté et n’être pas près de le faire. La résignation emboîte le pas à l’indifférence. « A quoi ça sert d’aller voter alors qu’on sait qu’il [Ben Ali NDLR] sera réélu ? » répondent quelques fois ceux qui acceptent de parler politique.
Ma curiosité interpelle mes interlocuteurs, qui craignent d’être écoutés, épiés par un indic’ et se méfient de moi : « vous êtes journaliste ? ». Un touriste ordinaire ne pourrait donc pas s’intéresser à la politique du pays qu’il visite ? Il y a des airs de monarchie chérifienne dans cette Tunisie, où l’on peut parler de tout, sauf du roi. Pardon, du Président.
C’est donc sans surprise que dimanche soir 25 octobre, j’apprends la réélection de Ben Ali, pour la cinquième fois. Ses scores paraissent tout de même en légère baisse : autour de 90% des voix.
Chacun sa démocratie
Au fond, cette mascarade dérange-t-elle les Tunisiens ? « On ne manque de rien ici » m’assure Reda , un chauffeur de taxi né en France qui a décidé de revenir couler des jours paisibles à Djerba. Ce n’est peut-être pas trop mal, peut-on légitimement penser, d’avoir un travail (même si le taux de chômage avoisine les 15%), de quoi nourrir sa famille, d’accéder à une bonne éducation, de profiter d’un système de santé pas trop inégal et ne pas être quotidiennement sous la menace terroriste ?
Au souk, je rencontre Chadeed, un commerçant dont je médite encore les propos : « les mosquées sont pleines, les cafés sont remplis, il y en a pour tout le monde et chacun fait ce qu’il veut. C’est ça la démocratie ! ». Ce serait sans compter les journalistes, les militants des droits de l’homme et les opposants qui essuient les intimidations, agressions ou même les tortures d’un régime qui a annihilé tout esprit de contestation. Pour preuve, quelques jours avant mon arrivée, une journaliste française du Monde était expulsée avant même d’avoir pu sortir de l’aéroport de Tunis. D’ailleurs, je n’ai jamais trouvé le quotidien sur l’île pendant mes vacances.
Les rues animées en ce jour de marché se parent déjà de banderoles et de drapeaux à l’effigie de Ben Ali. Elles se préparent à fêter, dimanche 7 novembre, l’anniversaire de l’accession au pouvoir du Président Ben Ali. C’était le 7 novembre 1987, et depuis 22 ans, cette date est érigée en fête nationale. Imaginez des défilés sur les Champs-Elysées le 6 mai de chaque année ?
Usine à touristes
Perplexe, je regagne mon hôtel en voyant défiler sur la route les immenses complexes. Marmara, conçu sur le modèle du Club Med, peut atteindre jusqu’à 3.500 touristes en haute saison. Plus loin, un luxueux hôtel spécialisé dans la clientèle du Golf propose des nuits à 4.000 euros avec piscine privée, Mercedes et chauffeur. Toufik, un autre chauffeur de taxi, se plaît à me raconter qu’un prince du désert est venu y pavoiser au bras d’exotiques suédoises et de thaïlandaises.
Je ne cesse de m’étonner, devant les buffets pantagruéliques, des orgies dont nous sommes capables. Les Tunisiens qui travaillent douze heures par jour à débarrasser nos tables doivent se demander si nous mourrons de faim, sur l’autre rive de la Méditerranée.
Dans ce « club » (comme c’est écrit sur la brochure en français, allemand, anglais et italien), le touriste roi ne s’ennuie jamais : séances de step et cours de danses pour les gazelles, thalasso remise en forme, pendant que les petits sont au mini club et que les sportifs du dimanche s’adonnent au tir à l’arc ou à la pétanque. Sans oublier le spectacle nocturne quotidien et la boîte de nuit de l’hôtel. Toutes ces activités sont possibles grâce aux animateurs comme Abdel qui, depuis un an, travaille six jours sur sept, de 9h à minuit passé. Le tout pour un salaire mensuel de 350 Dinars, un peu plus de 180 euros, certes supérieur au smic fixé à 250 Dinars par mois.
L’autre prix du all inclusive
C’est à ce prix que nous partons en all inclusive, à 600 euros la semaine, suis-je obligée d’admettre. Je pars expérimenter le spa de l’hôtel voisin où je fais la rencontre de Souad, une masseuse d’à peine 20 ans. Espiègle, elle me parle de son travail ininterrompu depuis deux semaines, en raison de l’affluence touristique, de sa sœur employée dans un autre hôtel et de sa famille avec laquelle elle vit.
Nous chuchotons car son supérieur fait des allers retours devant la cabine de massage pour épier nos conversations. Ces manières policières sont un sport national ici ?! La jeune fille voit passer entre ses mains des dizaines de clients tous les jours, de 9h à 19h30, qui payent 30 euros pour 1h30 de soins. Pour sa part, Souad gagne 12 dinars par jour (6 euros), desquels elle déduit le transport et son déjeuner. C’est à ce prix encore une fois que nous profitons des spa.
Partir ou ne pas partir
Je fais connaissance avec un couple de Français qui vient pour la huitième année dans cet hôtel d’où ils ne sortent presque pas. Quelle est cette étrange forme de tourisme aveugle à un pays, hermétique à une culture, indifférente à ses habitants ?
Mon séjour all inclusive dans un pays répressif a suscité pas mal de questions. Serais-je en train de cautionner une dictature déguisée ? Ais-je envie de profiter des bas salaires de Souad, Abdel ou Malek ou suis-je prête à payer plus ? Faut-il boycotter ce système ? Pas simple d’y répondre car ce type de séjour permet aux classes moyennes européennes de s’offrir de belles vacances bon marché. Finalement, Souad et les autres gagnent certainement mieux leur vie dans le tourisme que dans un autre secteur.
Une chose est sûre, mes vacances profitent à mon voyagiste. Géant du tourisme, il génère un chiffre d’affaires d’un milliard d’euros chaque année et ne se semble pas se poser pas tant de questions.
(Source: “bakchich.info” le 7 novembre 2009)
Lien: http://www.bakchich.info/Tu-t-es-vu-en-Tunisie-all,09199.html
Liberté d’expression en Tunisie : la série noire continue
Traque, harcèlement et privations pour les adversaires de Ben Ali
La TUNISIE mauve.