TUNISNEWS
6 ème année, N° 2086 du 06.02.2006
AFP: TUNIS- Boycottage des produits danois en Tunisie au moyen de SMS
AFP: Le Danemark déconseille les voyages dans 14 pays musulmans AFP: L’affaire des caricatures de Mahomet (CHRONOLOGIE) Reuters: Lutte antiterroriste – Le chef du FBI au Maghreb cette semaine Reuters: FBI head visits Maghreb to cement anti-terror drive AFP: Visite au Maroc de Donald Rumsfeld à la mi-février AFP: « Héros de Tunisie », la geste des tirailleurs de l’armée française Le Temps: La mosquée Ouelhi de Djerba, saccagée Le Temps: Hamadi Redissi «Si le Hamas réussit, c’est une tragédie collective »
Le Monde: Le Danemark dépassé par une crise inédite Le Temps (Suisse) : Tariq Ramadan «Les musulmans doivent apprendre à prendre une distance intellectuelle critique»
Robert Fisk : Don’t be fooled, this isn’t an issue of Islam versus secularism
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Boycottage des produits danois en Tunisie au moyen de SMS
Le Danemark déconseille les voyages dans 14 pays musulmans
L’affaire des caricatures de Mahomet (CHRONOLOGIE)
Lutte antiterroriste – Le chef du FBI au Maghreb cette semaine
FBI head visits Maghreb to cement anti-terror drive
Visite au Maroc de Donald Rumsfeld à la mi-février
Le Canard enchaîné, 1er février 2006, p.8
Karthago chez les Pharaons
Quand le Maghreb vieillira
« Héros de Tunisie », la geste des tirailleurs de l’armée française
La mosquée Ouelhi de Djerba, saccagée
«Si le Hamas réussit, c’est une tragédie collective »
Le Danemark dépassé par une crise inédite
Olivier Truc
COPENHAGUE ENVOYÉ SPÉCIAL
Après les incendies des représentations diplomatiques danoises à Damas puis à Beyrouth, le ministre des affaires étrangères danois Per Stig Moeller a déclaré, dimanche 5 février dans l’après-midi, que la situation était « critique ». Le Danemark se retrouve confronté à une crise d’une ampleur sans précédent et qui le dépasse complètement. Dimanche, l’ambassadeur d’Iran à Copenhague a été rappelé. Il est le quatrième ambassadeur à quitter le pays. « C’est une crise qui est bien plus grande que le Danemark, a déclaré M. Moeller. Cette crise est une attaque contre la coopération entre les mondes occidentaux et musulmans. »
Tandis que les patrouilles de police sont très présentes dans les rues de la capitale danoise, les manifestations organisées samedi dans la région de Copenhague sont un signe de cette nervosité ambiante. Leur ampleur a été très limitée, une quarantaine de néo-nazis appelant le Danemark « à tenir bon ». Mais les fausses nouvelles qui les accompagnent peuvent avoir un effet dévastateur. Comme lorsque, mercredi 1er février, des rumeurs ont circulé que des Coran devaient être brûlés. Samedi, la police a formellement démenti que le moindre Coran ait été brûlé et, dimanche, Per Stig Moeller l’a encore répété, à l’adresse du monde musulman, tandis que 700 personnes manifestaient à Copenhague « pour la paix » devant les locaux du journal Jyllands-Posten, qui a publié les douze caricatures de Mahomet le 30 septembre 2005. De nombreux musulmans danois ont également condamné les incendies.
OFFENSIVE DIPLOMATIQUE
Alors que des ressortissants danois sont revenus de Syrie, d’autres ont choisi de rester sur place ou au Liban. Le gouvernement danois leur a conseillé de rester enfermés chez eux. Des milliers de touristes danois ont par ailleurs annulé leur voyage en Egypte, au Maroc et en Tunisie.
Parallèlement, le Danemark a lancé une vaste offensive diplomatique. L’Organisation de la conférence islamique vient d’accepter la proposition de M. Moeller d’organiser une rencontre en Arabie saoudite afin d’essayer d’apaiser la situation. Le chef de la diplomatie danoise a également contacté le secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan, ainsi que ses homologues égyptien, américain et britannique.
Mais la condamnation par les Etats-Unis et la Grande-Bretagne des incendies ne suffira sans doute pas à masquer l’amertume des Danois après les critiques extrêmement fermes par les mêmes responsables américains et britanniques de la publication des dessins. Pour le Danemark, qui a fondé sa politique étrangère sur une ligne atlantiste au point d’être parfois surnommé « la voix de l’Amérique », cela marque, note le quotidien Information, « la ruine » de sa politique étrangère, au moment où il aurait pu espérer récolter les fruits de sa fidélité.
(Source : Article paru dans l’édition du journal « Le Monde » (France) datée le 07.02.06)
L’intellectuel musulman Tariq Ramadan livre son analyse critique au «Temps»
«Les musulmans doivent apprendre à prendre une distance intellectuelle critique»
Propos recueillis par Stéphane Bussard
Le Genevois Tariq Ramadan, en déplacement au Maroc, s’exprime sur la vive controverse qui secoue aussi bien l’Occident que le monde arabo-musulman.
Le Temps: Que révèle cette affaire, qui a désormais une résonance mondiale?
Tariq Ramadan: Il faut d’abord savoir deux choses: l’islam interdit la représentation de Dieu et des prophètes par respect autant que pour éviter la tentation d’idolâtrer l’image. Il s’agit d’un fondement de la foi. Par ailleurs, le fait de rire ou de se moquer du fait religieux est étranger à l’univers des musulmans, et ce quelle que soit la religion.
– Les réactions musulmanes semblent néanmoins disproportionnées.
– Ces caricatures ont été perçues comme une transgression ajoutée à une insulte et une provocation. La réaction des musulmans est néanmoins excessive et disproportionnée. Ces dessins datent de trois mois et des Etats musulmans, en mal de légitimité islamique, ont voulu se présenter en champions de la cause islamique et ont attisé la flamme. Des musulmans, pratiquants ou non, excédés par l’image que l’on donne de l’islam dans les médias occidentaux, se sont laissé emporter par l’émotion. Ce n’est pas sage et cela ne fera qu’accentuer les malentendus.
– En Occident, et en Europe en particulier, ces réactions butent néanmoins sur une totale incompréhension. Comment l’expliquez-vous?
– C’est vrai, et il faut donc éviter les explications simplistes: il ne s’agit pas d’un conflit entre la liberté d’expression et le dogme religieux. Ce que certains musulmans demandent, ce n’est pas plus de censure, mais un usage plus sage de la liberté d’expression. De leur côté, ils doivent comprendre qu’il existe une tradition, de Voltaire à Hugo jusqu’aux littératures contemporaines à travers l’Occident, de se moquer du fait religieux. Ils doivent apprendre à prendre une distance intellectuelle critique et passer outre calmement tout en expliquant leur point de vue.
– Les musulmans qui ont réagi aux caricatures évoquent un manque de respect de leur foi. Qu’en est-il de leur respect à l’égard de la liberté d’expression ou des autres religions dans les pays arabo-musulmans?
– Il faut que les uns et les autres nous apprenions l’autocritique. Il est vrai qu’il existe des traitements injustes et discriminatoires dans les sociétés majoritairement musulmanes que les musulmans ne dénoncent pas assez. Ils doivent s’exprimer. Cela étant, le respect de l’autre n’est pas une affaire de réciprocité mais une question de principe: ce n’est pas parce que des dictatures ne respectent pas des minorités religieuses que les démocraties, en miroir, devraient pouvoir faire de même. Les acquis de l’Etat de droit permettent aux musulmans d’exprimer leurs sentiments en Occident, ils doivent le reconnaître et, de là où ils se trouvent, ils ont l’obligation éthique de dénoncer toutes les dérives discriminatoires qui ont cours en leur nom dans le monde musulman.
– Le droit à la liberté d’expression telle que pratiquée en Occident est donc relatif…
– Le droit à la liberté d’expression n’a jamais été absolu. Il y a des lois qui interdisent les propos racistes, par exemple. De plus, chaque société a des règles qui lui sont propres vis-à-vis du respect du religieux ou des appartenances culturelles. A l’intérieur du cadre légal, il est demandé à chacun de faire un usage raisonnable de son droit à l’expression en gardant à l’esprit les sensibilités qui composent sa société. Les sociétés européennes ont changé, la sensibilité musulmane y est présente: il ne s’agit pas d’imposer des lois, mais simplement de s’ouvrir sagement à une nouvelle sensibilité. Transformer cette affaire en un bras de fer entre les tenants du droit à tout dire et «les religieux» est stupide et dangereux.
– Quels sont vos remèdes pour prévenir ce type de crise «culturelle»?
– Que les uns et les autres prennent de la distance. Que nous comprenions que nous avons plus de choses en commun que des différences irréconciliables. La majorité d’entre nous chérit la liberté d’expression, la diversité et le dialogue: établissons ces principes en n’oubliant jamais d’être en toutes circonstances raisonnable dans l’affirmation de ce que nous sommes et de ce que nous croyons.
– Il n’en demeure pas moins que le mur d’incompréhension qui s’est érigé entre Occidentaux et musulmans semble alimenter la thèse de Huntington selon laquelle on assiste à un choc des civilisations…
– Dire et répéter cela nous conduit à donner corps à cette prophétie du malheur. Non, il ne s’agit pas de cela. Ce n’est pas la fracture entre deux univers mais deux fractures dans chacun des univers entre ceux qui cherchent à se décentrer, à écouter le point de vue de l’autre et à entrer dans un dialogue critique et constructif et ceux qui ont une approche exclusive de la vérité, qui se définissent contre l’autre et ont une vision binaire du monde.
– La polémique des caricatures va-t-elle avoir de graves conséquences sur les relations entre musulmans et Occidentaux?
– Oui, bien sûr, et tout le monde le sent. La situation nous échappe et on a l’impression que nous sommes emportés par une folie aveugle qui, à terme, fera le jeu des extrêmes. A droite, avec les discours qui présentent les musulmans comme «inintégrables» et jouent sur les peurs. De l’autre, les musulmans radicaux qui ne manqueront pas de vouloir prouver que l’Occident en a contre l’islam quand on défend le droit à présenter leur prophète avec un turban en forme de bombe. Nous n’avons donc ni le droit de nous taire en face de ces excès ni d’en rajouter en terme de provocations aussi stupides que méchantes.
– Les Etats européens semblent tous désemparés par rapport à la manière dont ils doivent appréhender l’islam. Doivent-ils se concerter davantage?
– Il est très difficile pour eux de trouver une attitude commune, les mentalités et les approches diffèrent entre la Suisse, l’Angleterre, le Danemark ou la France. On sent un malaise partout, mais on ne réglera pas cette affaire en continuant à insister sur deux entités monolithiques. Beaucoup d’Occidentaux sont mal à l’aise et sentent qu’on va inutilement trop loin. Le même sentiment traverse les musulmans: il faut que ces esprits se rencontrent.
– Le problème n’est pas qu’européen. Vous qui êtes un «passeur» entre l’islam modéré ou fondamentaliste et l’Occident, ne jugez-vous pas nécessaire un vrai débat interne à l’islam. Les catholiques, les protestants ont ce débat. Pourquoi pas l’islam?
– J’essaie de faire communiquer rationnellement et raisonnablement deux univers qui deviennent de plus en plus sourds l’un à l’autre. Par ailleurs, oui, le monde musulman doit se questionner sur ses principes et les nécessaires réformes, mais cela doit se faire de l’intérieur, de façon libre et autonome et non sous l’imposition de l’Occident, qui aimerait façonner un islam qui lui conviendrait. Il faut une réforme qui se marie à la liberté et à l’autonomie.
– Pour conclure, une caricature satirique de Jésus vous choquerait-elle?
– Choquer? Non, je m’y suis habitué mais cela ne me plaît pas. Je l’exprimerais, puis je passerais mon chemin. J’aime rire et sourire, mais pas de n’importe quoi.
(Source : « Le Temps » (Suisse), le 6 février 2006)
URL: http://www.letemps.ch/template/international.asp?page=4&article=173581