Lutte contre la corruption
Med Many
A propos de l’article paru dans Tunisnews intitulé ‘’La corruption et la douane tunisienne sur Tunis7’’ , je voudrais vous signaler qu’en tant qu’expert auprès d’organisations internationales ayant travaillé sur cette question, que la lutte contre la corruption pour être réellement efficace necessite tout un ensemble de mesures.
Il ne s’agit pas seulement en effet de punir un douanier, un policier, un juge, ou tout autre fonctionnaire une fois de temps en temps. Les mesures à prendre pour lutter contre la corruption sont d’ordre général. Il s’agit d’introduire de véritables reformes du fonctionnement de l’État, allant dans le sens de ce qu’il est convenu d’appeler la Bonne gouvernance.
Les organisations internationales comme la Banque mondiale, l’OCDE, ou le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) ont toutes élaboré dans le détail des programmes de lutte contre la corruption. De nombreux pays en développement les ont adopté, guidé et assisté par le PNUD par exemple (voir son programme de lutte contre la corruption : http://www.undp.org/governance/docs/AC_PN_French.pdf ). De nombreux payses ont adopté, sauf la Tunisie, qui refuse même d’en parler au niveau des organisations internationales.
Après avoir constaté que « la corruption est essentiellement un problème de gouvernance, un constat d’échec des institutions et la marque d’un manque de capacités de gérer la société au moyen de systèmes équilibrés de freins et de contrepoids sociaux, judiciaires, politiques et économiques » ; que « Corruption = (Monopole + Discrétion) – (Redevabilité + Intégrité + Transparence -RTI), [indiquant] qu’en l’absence de RTI (provenant principalement de faiblesses de la gouvernance) la combinaison du monopole du contrôle et du pouvoir discrétionnaire aboutit à la corruption » ; et que « la corruption résulte donc essentiellement de carences de la gouvernance. » ; voici quelques mesures que recommande de prendre le PNUD pour lutter efficacement contre la corruption :
Renforcement des institutions nationales compétentes
-Renforcement des capacités des entités et institutions nationales compétentes en matière de redevabilité, transparence et intégrité (RTI)
-Attention particulière au renforcement des mesures de RTI dans les situations de post-conflit
Accroissement de la participation du public et formation de coalitions
-Association des organisations de la société civile (OSC) à la programmation et l’élaboration des politiques de RTI
Interventions avec la communauté internationale
-Coordination des initiatives anti-corruption aux niveaux nationaux et internationaux
Mise en oeuvre et suivi de la Convention des Nations Unies contre la corruption
=Conception d’approches anti-corruption :
La lutte contre la corruption et l’amélioration de la RTI sont des efforts de longue haleine, mais qui doivent aussi être entrepris au moment voulu
Une approche globale et intégrée visant à instaurer des réformes institutionnelles clés ainsi qu’un changement culturel est nécessaire.
Les réformes anti-corruption doivent modifier les valeurs et les cadres éthiques par l’éducation et par une étroite participation des jeunes pour s’implanter dans la culture sociale. L’intégration généralisée de normes de professionnalisme et d’éthique dans la fonction
Pour être efficaces, les institutions consacrées à la lutte contre la corruption doivent être investies d’un mandat et de pouvoirs clairement définis, disposer de ressources suffisantes et être indépendantes
Les interventions visant à accroître la redevabilité au niveau local [décentralisation] peuvent s’avérer efficaces en tant que points de départ pour lancer la lutte anti-corruption
Il est fondamental, pour que les programmes de réforme soient efficaces, que les dirigeants des instances gouvernementales et de la société civile, appuyés par une coalition de parties prenantes, comprenant notamment les institutions politiques, soient déterminés à agir en vue d’un accroissement de la redevabilité et de la transparence
Limitation des possibilités de corruption par la simplification des procédures et des règlements ainsi que par l’emploi des TIC pour transformer les prestations de services publics.
Réduction maximale des pouvoirs discrétionnaires des décideurs. Publier des directives claires sur l’exercice du pouvoir discrétionnaire, des manuels à l’intention du personnel, des manuels de procédures, etc.
Démythification et dépersonnalisation du gouvernement.
Promotion de la méritocratie. La rémunération des fonctionnaires à un niveau décent leur permettant de vivre est d’une importance critique pour prévenir la corruption. C’est ici que la réforme de la fonction publique et les initiatives anti-corruption convergent avec les politiques financières et économiques pour stimuler une croissance équitable. Parmi les autres mesures utiles figurent la gestion des performances, la publication des rôles et des attributions, la mise en place de mécanismes de recours efficaces en cas de décisions contestables et l’éducation des fonctionnaires pour leur faire apprécier l’importance de leurs fonctions et de leur mission. L’exécution d’une campagne visant à inspirer le respect pour l’État et ses fonctionnaires, ainsi qu’à bien faire comprendre la mission de l’administration aux administrés comme aux administrateurs et à inspirer chez ceux-ci la fierté résultant de l’accomplissement de cette mission peut contribuer à réduire la tolérance à l’égard de la corruption.
Amélioration de la gestion des finances publiques et renforcement des contrôles et de la supervision.
Établissement d’un contexte législatif favorable. Conçues avec la large participation de toutes les parties prenantes, les lois peuvent contribuer à l’instauration d’un système de valeurs propice à l’instauration d’une culture de tolérance zéro pour la corruption. Cela exige également des acteurs indépendants efficaces chargés de la supervision et de l’application des dispositions en vigueur.
Éducation de la jeune génération pour la préparer à la vie civique.
Application pratique de la redevabilité
Il faut faire preuve de vigilance dans l’application de la législation anti-corruption et dans la mise en oeuvre des mécanismes de redevabilité établis. C’est souvent un organisme indépendant de lutte contre la corruption qui est chargé d’y veiller. Quelles que soient les options retenues, la réforme des programmes et procédures publics ne saurait être menée isolément et différents types de réforme doivent être envisagé pour renforcer l’application des incitatifs anti-corruption. (La Note de pratique sur l’accès à la justice analyse ces mécanismes en détail.)
Établissement de postes d’enquêteurs, procureurs et d’arbitres qui veillent à l’application égalitaire des lois et règlements.
Renforcement des capacités et de l’intégrité de la police en tant qu’organisme responsable au premier chef des enquêtes sur les infractions.
Renforcement du système judiciaire et mesures conçues pour en assurer l’indépendance et la redevabilité.
Octroi de pouvoirs suffisants pour les enquêtes et poursuites, conformément aux normes internationales en matière de droits de l’homme.
Intégration de mécanismes transparents, qui éliminent les privilèges sans relations avec les besoins du public dont les hauts fonctionnaires bénéficient du fait de leurs fonctions, dans la réforme des mesures d’application des lois.
Établissement de mécanismes de plaintes et de procédures d’appel efficaces, soit au sein de l’administration pour les fonctionnaires, soit pour le public. La possibilité d’un système électronique permettant de porter plainte en ligne est à examiner de manière à accroître la portée de la rétro-information.
Établissement de mécanismes protégeant les dénonciateurs; encouragement de l’élaboration d’institutions, de lois et de pratiques qui permettent aux citoyens conscients de leurs responsabilités de dénoncer la corruption sans crainte de représailles, et qui donnent aux médias les moyens de jouer le rôle crucial qui est le leur pour tenir les gens et les institutions responsables de leurs actes.
Adoption de procédures permettant de sanctionner les actes de corruption commis dans le pays mais par des personnes qui échappent à la compétence de l’État, dans le cadre de la lutte contre la corruption.
Adoption de mesures efficaces de dissuasion, telles que l’imposition de sanctions civiles, l’inscription sur une liste noire d’entreprises corrompues, les accords d’extradition et autres dispositions juridiques permettant la saisie et la confiscation des bénéfices résultant de la corruption, dans le pays et hors du pays.
Renforcement de la participation du public et formation de coalitions
L’une des caractéristiques communes à tous les efforts efficaces de lutte contre la corruption, qu’il s’agisse de programmes de réformes de l’administration public, de la réorganisation du gouvernement ou du renforcement des mécanismes d’application des lois, est qu’ils bénéficient tous d’un large soutien du public et d’un appui résolu aux plus hauts niveaux des instances de direction politiques. Les campagnes anti-corruption ne peuvent réussir que si le public les soutient. La sensibilisation du public et la formation de coalitions sont des facteurs essentiels dans ce contexte. La base de départ de ces campagnes consiste en un examen public du cadre juridique et institutionnel et en une évaluation de la nature et de la portée de la corruption dans la société.
Les gens comprennent généralement la gravité du problème de la corruption; il faut seulement les convaincre de la possibilité de remédier au problème. Divers groupes de la société civile (dirigeants religieux, organisations d’affaires, associations professionnelles et groupements ad hoc) ont un rôle à jouer au niveau de l’évaluation, du suivi et de la sensibilisation du public et peuvent contribuer de la sorte à obtenir du public qu’il participe activement à la lutte contre la corruption et aux activités de supervision.
Plusieurs mesures peuvent être prises pour sensibiliser le public et mener des actions en faveur de la formation de coalitions :
Déterminer la perception du public concernant les niveaux de corruption et les points où se situe la corruption de manière à établir une situation de référence par rapport à laquelle on pourra mesurer les progrès obtenus par les réformes. (Voir aussi le UNDP Source Book on ATI, Module 4: Ways to Document Bad Practices [Guide de référence du PNUD sur la RTI, Module 4 : Façons de documenter les mauvaises pratiques].)
Établir un environnement propice à la liberté de la presse. Adopter des lois sur la liberté de l’information, abroger ou amender les lois contre la diffamation et les injures de manière à ce qu’elles ne puissent pas servir à menacer la presse, éliminer la censure de la presse et des médias, relever les normes professionnelles des journalistes, mettre un terme à la discrimination du gouvernement à l’encontre de certains médias, et faire en sorte que les employés de médias appartenant à l’État puissent se conformer aux normes professionnelles relatives à l’indépendance et à la responsabilité. (Voir aussi la Note de pratique sur l’accès à
Renforcer la capacité de la société civile à s’acquitter de fonctions de surveillance. Outre les mesures visant à assurer le bon fonctionnement des institutions gouvernementales, il faut également renforcer le rôle et les capacités de la société civile, y inclus des médias, à faire fonction d’organismes de surveillance qui doivent sensibiliser le public à la gravité du problème de la corruption. Dans les pays en développement, la lutte contre la corruption exige un public engagé et informé et un accroissement de la demande de bonne gouvernance.
Participation active du secteur privé. Étant donné le rôle croissant de ce secteur dans la fourniture de biens et de services essentiels, une amélioration de la gouvernance et de la transparence des entreprises constitue un instrument puissant de lutte contre la corruption. La bonne gouvernance au niveau des entreprises exige l’établissement d’un système dans lequel les pratiques des affaires sont définies non seulement par des règlements écrits mais aussi par des normes d’éthique des affaires et par des comportements responsables des entreprises. Le secteur bancaire peut jouer ici un rôle significatif, par des mesures instituées pour assurer une comptabilisation transparente des transactions, lutter contre le blanchiment des capitaux et faciliter la restitution aux pays en développement des fonds détournés par les dirigeants corrompus. Les codes de conduite des entreprises peuvent également avoir une influence positive, à condition de faire authentiquement partie d’une culture des entreprises et d’être appuyés par des activités de formation, de suivi et d’application. institutions nationales garantes de l’intégrité
Les pays qui prennent au sérieux la lutte contre la corruption doivent se doter d’institutions ou renforcer les institutions existantes ayant pour mandat de lutter contre la corruption et chargées de fonction spécifiques dans ce domaine et veiller à ce qu’elles disposent de ressources humaines et financières à la hauteur de leur tâche. Parmi les options à envisager figure la mise en place des organismes suivants :
Une commission indépendante de lutte contre la corruption, possédant de larges pouvoirs en matière d’enquêtes et de poursuites (et coopérant étroitement avec le système judiciaire) et investie d’un mandat d’éducation du public. Cette commission doit être véritablement indépendante des autorités au pouvoir mais régie par les règles de droit faute de quoi elle risque elle-même d’exercer une influence répressive. Pour fonctionner de manière efficace, tout organisme indépendant chargé d’enquêter sur les cas de corruption et d’engager des poursuites doit : avoir l’appui des autorités aux plus hauts niveaux du gouvernement, jouir d’une indépendance politique et opérationnelle pour pouvoir enquêter même aux plus hauts niveaux de l’État, posséder une capacité organisationnelle1 suffisante et une stratégie cohérente, disposer de ressources humaines, techniques et financières significatives et de pouvoirs adéquats pour accéder aux documents et interroger les témoins, et être dirigé par des gens capables et de la plus haute intégrité.
Comme il a déjà été noté, la création d’une commission indépendante de lutte contre la corruption n’est pas un remède infaillible qui met fin une fois pour toutes au problème de la corruption. On peut s’inquiéter de constater que la plupart des pays qui ont entrepris récemment des campagnes anti- corruption ont axé leurs efforts exclusivement sur la création ou sur le renforcement de ce type d’institution, qui fait figure de cure instantanée. Il y a en fait très peu d’exemples de commissions anti-corruption indépendantes efficaces. On cite souvent en exemple la Commission indépendante anti-corruption de Hong Kong (ICAC), le Bureau d’enquêtes sur les pratiques corrompues de Singapour (CIPB) et la Direction du Botswana sur le crime économique et la corruption (DCEC), mais ces modèles ne sont que rarement reproductibles étant donné la spécificité du contexte dans lequel ces organismes opèrent, l’histoire particulière de leur création et leur évolution.
Un vérificateur général, un médiateur et un comptable général. Les titulaires de ces fonctions doivent être nommés d’une façon qui assure l’indépendance de chaque charge et le professionnalisme de leurs prestations; les rapports émanant de ces bureaux doivent être largement publiés et le gouvernement doit agir pour appliquer leurs recommandations. Le vérificateur général et le médiateur jouent un rôle clé pour assurer la supervision de l’administration publique, ce dernier permettant à la population d’émettre des doléances et de déposer des plaintes en cas de mauvaise gestion. Le comptable général, en particulier dans les pays où cette charge jouit d’une certaine autonomie au sein du ministère des Finances, peut jouer un rôle très important au niveau de la prévention en veillant à ce que les dépenses autorisées soient pleinement justifiées et transparentes. (Voir aussi CONTACT, chapitres 3, 7 et 8 à http://www.undp.org/governance/contact_2001.htm)
Un organisme chargé de la passation des marchés publics, opérant de manière transparente, qui assure une supervision indépendante des activités de passation de marchés et de contrats de l’État et de leur exécution. (Voir aussi CONTACT, chapitre 12.)
Une commission d’administration électorale qui assure un examen indépendant et impartial des activités relatives aux élections, ne favorisant pas de parti politique ou de groupe particulier. Les pays doivent être en mesure de s’opposer à l’effet corrupteur de l’argent sur leurs processus démocratiques. La participation du public au processus de surveillance est nécessaire pour renforcer la confiance de celui-ci, tout comme est nécessaire une formation des responsables des partis politiques pour les familiariser avec le système et pour leur permettre d’exercer une surveillance professionnelle. (Pour plus de détails, se reporter à la Note de pratique sur les systèmes électoraux.)
Des mécanismes législatifs solides assurant la redevabilité des instances gouvernementales et parlementaires tels qu’un comité des comptes publics sont nécessaires pour que le public ait accès aux procédures de supervision, lesquelles doivent porter sur les entreprises d’État, les processus financiers et budgétaires, et les dépenses et les recettes publiques. (Se reporter à la Note d’orientation du PNUD sur le développement parlementaire)
Un système judiciaire qui assure la primauté du droit et qui est de ce fait un rôle puissant à jouer dans la lutte contre la corruption. (Se reporter pour plus de détails à la Note de pratique sur l’accès à la justice.)