26 février 2006

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TUNISNEWS
6 ème année, N° 2106 du 26.02.2006

 archives : www.tunisnews.net


Comité international de soutien aux internautes de Zarzis: Libération annoncée pour les internautes de Zarzis Fathi Jerbi: Mr Aziz Krichen le «  Collectif du 18 Octobre pour les Droits et les Libertés » vous a entendu ! O.F: Mobilisons-nous ! Jbeli: Pour honorer frère Mohamed Abbou, Il ne sera jamais oublié Le Matin  Taupe Chez Les Islamistes: Berne Confirme Le Matin : «Nos services secrets font preuve d’un amateurisme total»

 

 

Comité international de soutien aux internautes de Zarzis Présidente : Hélène Flautre, Parlementaire européen Porte Parole : Térésa Chopin, mère d’Omar Chlendi

Libération annoncée pour les internautes de Zarzis

Depuis l’annonce, ce samedi 25 février, par les agences de presse, de la libération des internautes de Zarzis, dans le cadre de la grâce présidentielle qui toucherait 1298 détenus [1], les familles de ces jeunes attendent devant les prisons du 9 avril, de Borj el Amri et de Sfax la sortie de leurs enfants.

Une attente qui a duré toute la nuit et qui risque de se prolonger aujourd’hui, à en croire les indications données aux familles. La raison alléguée serait que l’administration pénitentiaire ne travaille pas le dimanche. Est-ce à dire que les prisonniers ont quartier libre ce jour-là, que ceux qui sont chargés des « interrogatoires » prennent un jour de congé ?

Même si leur libération a été officiellement confirmée sur les listes de prisonniers graciés, nous ne nous réjouirons que lorsque Hamza MAHROUG, Ridha BEL HAJJ IBRAHIM, Omar CHLENDI, Abdelghaffar GUIZA, Aymen MCHAREK et Omar RACHED, seront sortis libres et auront retrouvé leurs familles.

Par ailleurs, si nous saluons cette victoire de tous ceux et celles qui, en Tunisie et partout dans le monde, se sont mobilisés pour libérer les « internautes » de Zarzis, nous ne pouvons manquer de souligner que la grâce touche essentiellement des prisonniers en fin de peine et que d’autres manquent cruellement à l’appel. Nous songeons particulièrement à Maître Mohamed Abou incarcéré depuis le 5 mars dernier et condamné à trois ans et demi de prison pour deux articles publiés sur internet.

Nous devons donc maintenir notre mobilisation jusqu’à la libération de Mohamed Abou et celle de tous les prisonniers d’opinion et nous associons à l’appel pour une amnistie générale en Tunisie.

Fait à Paris, le 26 février 2006

Le Comité de Soutien 26-02-2006

[1] En fait, la dépêche de l’AFP reprise sur ce site écrit « 1.298 détenus ont été élargis et 359 autres ont bénéficié de la liberté conditionnelle ». Il est plus que probable que les internautes de Zarzis fassent partie de la dernière catégorie


Mr Aziz Krichen le «  Collectif du 18 Octobre pour les Droits et les Libertés » vous a entendu !

Fathi Jerbi

 

Quatre ans plus tard, et l’article de Mr Krichen demeure aussi pertinent et riche en leçons et enseignements pour trouver une issue d’une part, à la déliquescence de la vie politique en Tunisie et tenter, d’autre part de résoudre par conséquent le marasme social et économique dans le quel s’engouffre le pays.

 

Bien que le projet qui anime les membres du « Collectif du 18 Octobre pour les Droits et les Libertés » et ceux de la première heure qui l’ont adopté, a mis du temps pour essayer de concrétiser les appels de Mr Krichen, Mr Marzouki et les autres figures emblématiques de la réelle opposition à la dictature du régime du 7 novembre 1987. Mais comme l’exprimait l’adage populaire : il n’est jamais trop tard pour bien faire les choses.

 

En voici l’article

 

« Pour sortir de la dictature »

Auteur: Aziz Krichen

Date de publication: 11.06.2002 16:19

 

 

Aziz Krichen fait partie de l’élite des années soixante dont la vie a été marquée d’un dévouement remarquable aux justes causes de la justice sociale, de la liberté et de la libération nationale. Il a été pendant des années un cadre dirigeant du groupe Perspectives. Il a connu, comme tout le monde, sa période de retraite, mais s’il exprime aujourd’hui son point de vue sur la sortie de la dictature, c’est qu’il considère comme nous tous que se taire aujourd’hui, c’est trahir son pays.

 

Nous sommes nombreux, depuis les années soixante, à avoir combattu et à continuer de nous battre pour la liberté et la démocratie. Beaucoup ont payé un lourd tribut à leur engagement : prison, torture, privation de droits, interdits professionnels, séparation familiale, marginalité, exil… Nous savions pourtant, ou nous avions fini par comprendre, que le désir d’émancipation restait une réalité minoritaire dans la société – non seulement en termes politiques, mais aussi culturels, moraux, psychologiques. Dans ces conditions, notre itinéraire historique ressemblait à une sorte de longue marche, ponctuée de flux et de reflux, sans perspective prévisible de victoire, du moins à l’échelle des générations actuelles.

Depuis 40 ans, le mouvement démocratique connaît ainsi des périodes d’essor et de recul, en raison d’un rapport de force inégal, mais sans cesse fluctuant. Aujourd’hui, les événements semblent reprendre une tournure positive. De nouveaux secteurs, de nouveaux agents commencent à rallier l’action, certains pour la première fois : des journalistes officiels, des magistrats, des syndicalistes, des dirigeants d’entreprises. Tout cela suggère un nouvel approfondissement de la lutte et fournit, par conséquent, de nouvelles raisons d’espérer. Que convient-il de faire dès lors ? Consolider ces acquis inédits ? Ensuite, comme d’habitude, préparer au mieux la prochaine étape, inévitable, de tassement ?

Je crois que les choses se présentent autrement cette fois. Le contexte actuel est marqué, en effet, par des données qui peuvent tout modifier. L’histoire avance par bonds, en opérant des ruptures qualitatives, apprenait-on dans notre jeunesse. Ma conviction est que nous nous trouvons devant un tel cas de figure. C’est la raison pour laquelle, malgré l’éloignement, j’estime de mon devoir de rendre publiques ces quelques réflexions. J’en attends un échange approfondi, une confrontation fraternelle des points de vue.

L’élément central de l’analyse se rapporte au nouveau mandat brigué par Ben Ali, pour ouvrir la voie à une présidence à vie. Cette question ne fait pas qu’introduire un facteur supplémentaire de tension, elle constitue une opportunité formidable. Elle transforme la donne politique. Pourquoi ? Parce que, pour la première fois depuis 1956, elle pose un redoutable problème de légitimité. En Tunisie, depuis longtemps, l’arbitraire est la règle des gouvernants. Ce n’est donc pas de cela qu’il s’agit. L’illégitimité va bien plus loin que l’illégalité. Elle est synonyme de scandale absolu, de cassure irréparable du contrat par lequel la population accepte de se soumettre aux autorités. Elle indique que les limites du tolérable sont franchies. En cela, elle peut susciter des réactions imprévisibles, passionnelles, une véritable fureur populaire, potentiellement mortelle pour le pouvoir en place parce qu’incontrôlable.

La mascarade de la modification constitutionnelle, qui conféra la présidence à vie à Bourguiba en 1974, était profondément choquante du point de vue de la légalité républicaine. Bourguiba, «père de la nation», «fondateur de l’Etat moderne», ne fut cependant pas perçu comme un imposteur. Si ses accommodements avec le droit ne lui valurent pas un surcroît de considération de la part des intellectuels et de la jeunesse, ils n’entamèrent pas vraiment son crédit aux yeux de la grande majorité des citoyens. Le coup de force du 7 novembre 1987 s’inscrit dans la même lignée. Il n’était pas légal, malgré tous les artifices «médicaux» dont on chercha à l’affubler. Arrachant le pays à une situation de fin de règne lourde de périls, opéré sans effusion de sang, le putsch fut généralement accueilli avec un certain soulagement, voire quelque gratitude. L’espèce de ferveur dont le Premier ministre félon bénéficia dans les mois qui suivirent la déposition le prouve abondamment.

Fruit d’une réforme constitutionnelle de convenance, le troisième mandat de 1999 créait, à cet égard, une difficulté sérieuse. L’initiative restait malgré tout justifiable. En un sens, chacun semblait admettre que Ben Ali n’était pas encore prêt. Le troisième mandat devait lui permettre de trouver un successeur, de manière à assurer une passation sans drame. Différents scénarios avaient été mis au point, y compris parmi les principales chancelleries, et des noms de dauphins éventuels commencèrent à circuler. Légalement, d’ailleurs, le mandat supplémentaire de cinq ans ne s’inscrivait pas dans une optique d’accaparement indéfini du pouvoir. C’est pour cela que la réforme en question s’était bornée à introduire un troisième mandat, et non à mettre en cause le principe de leur limitation.

Avec le quatrième mandat, l’opération change de nature. Ben Ali ne veut plus s’en aller. L’homme qui déclarait, à l’aube du 7 novembre 1987, que le peuple tunisien était «trop évolué pour tolérer une présidence à vie, fût-elle confiée à un fils illustre», lui-même, qui n’a rien d’illustre, tombe maintenant le masque et se donne à voir pour ce qu’il est réellement : un vulgaire aventurier, sans parole et sans honneur. Le seul titre de légitimité dont il pouvait se prévaloir, à l’intérieur et à l’extérieur, provenait de cette déclaration d’intention, lue à la radio quelques heures après le putsch. En la bafouant, il détruit du même coup, et à jamais, le cadre politique et moral qui validait sa présence à la tête de l’Etat. Les ressorts de la légitimité ne relèvent ni des élections ni du droit, mais d’une espèce de justice immanente. Il était juste, selon cette logique, de déposer Bourguiba et, par conséquent, juste de le remplacer. Si le renversement n’a plus de sens, alors le maintien au pouvoir de Ben Ali ne peut en avoir. Son autorité devient illicite et lui-même un usurpateur.

Ben Ali ne veut plus partir. La tragique ironie de l’affaire vient de ce qu’il ne veut plus s’en aller parce qu’il ne le peut plus. Cette impossibilité résulte du type de régime qu’il a installé. Ben Ali est pris là-dedans sans échappatoire possible. Il ne peut pas se représenter et il ne peut pas ne pas se représenter. Parce qu’il n’est pas en mesure de s’appuyer sur un vrai groupe dirigeant, disposant d’une vraie idéologie dominante. Parce que son pouvoir n’est rien d’autre que la tyrannie d’un homme et de son clan, maintenue en place depuis 14 ans par des méthodes de banditisme d’Etat. Ne serait-ce que pour des raisons de sécurité, il ne peut avoir confiance en personne pour accepter de se retirer. Je prendrai une comparaison pour fixer les idées. Les dictatures «classiques» que le dernier siècle a connues – communistes, fascistes, nationalistes – n’excluaient pas le pouvoir personnel. Mais, autour du chef, et parfois au-dessus de lui, il y avait un collectif, un groupe de dirigeants, qui veillaient à la perpétuation du système. Lorsque le «numéro 1» avait fait son temps ou que, pour tel ou tel motif, il ne faisait plus l’affaire, il était remplacé, et le groupe dirigeant se chargeait de mettre en selle le nouveau promu et d’asseoir son autorité. Ces moments de transition étaient toujours délicats et, comme tels, redoutés. Les techniques existaient, cependant, et le changement pouvait finalement s’avérer profitable. De son côté, le leader remplacé pouvait compter sur la solidarité du groupe, pour veiller à sa sauvegarde et lui assurer un train de vie digne de son rang. De temps à autre, lorsqu’un contexte particulièrement critique l’exigeait, on pouvait être tenté d’en faire un bouc émissaire et le donner en pâture pour soutenir la légitimité du remplaçant. Le métier de dictateur n’est jamais totalement sans risques. En général, toutefois, on ne cédait pas facilement pas à ce genre de tentation. Les groupes dirigeants sont tenus de veiller au sort de tous leurs membres, parce que chacun pense d’abord à ce qui pourrait lui arriver, s’il se trouvait lui-même projeté sur le devant de la scène.

On comprend mieux, sous cet éclairage, le piège dans lequel s’est enfermé Ben Ali. Depuis son accession au pouvoir, il a brisé toute autorité ne provenant pas de lui. Dans l’exécutif, au parlement, dans le parti, les syndicats, l’armée, la justice, la presse, l’administration, etc., tous les rouages sont régulièrement purgés. De sorte qu’il est littéralement entouré aujourd’hui par un néant d’hommes et d’institutions. Sans groupe dirigeant pour le soutenir, son leadership apparaît également dépourvu de toute forme d’idéologie dominante, cet ensemble de valeurs et d’éléments culturels et psychologiques qui servent à cimenter une élite au pouvoir, tout en la soudant à une fraction significative de la population. Pour couronner le tout, Ben Ali s’est de plus en plus appuyé sur son clan familial. Pour assurer son enrichissement, celui-ci a achevé d’isoler son chef de file en pillant, de façon planifiée, non seulement les ressources publiques, mais aussi les biens et la fortune des possédants non-membres du clan. Tous les moyens ont été jugés bons dans cette vaste entreprise de spoliation : l’utilisation de la force publique contre les récalcitrants comme le recours aux procédés les plus crapuleux.

Racket, violence, chantage, contrebande, commissions occultes, marchés truqués, prises de participations forcées, c’est en effet avec de telles méthodes que Ben Ali et les siens ont organisé leur main-mise sur le pays. Il n’est pas étonnant qu’ils soient aujourd’hui à ce point exécrés par la population et le régime aussi peu considéré par la communauté internationale. (Le propre frère du Président a été impliqué dans une sombre affaire de trafic de drogue en France, il y a quelques années. De retour à Tunis, il aurait été abattu, selon la rumeur publique, par un tueur venu de Sicile.) Devant pareille situation, on comprend aisément que n’importe qui, choisi par Ben Ali pour lui succéder, n’hésiterait pas un instant, une fois intronisé, à dénoncer son bienfaiteur. Pour détourner sur lui la colère populaire et tenter de bâtir, sur cet exorcisme, sa propre autorité. Quelles que soient les illusions que l’on peut garder sur la gratitude humaine, un tel dénouement est couru d’avance. Ben Ali, qui n’est pas naïf, ne peut s’y tromper*.

C’est pour cela qu’il se représente. Pour cela qu’il ne peut pas ne pas se représenter. Commandée par des impératifs de survie personnelle et non par les intérêts stratégiques d’un groupe dirigeant inexistant, cette fuite en avant n’est pas réellement soutenue dans l’appareil d’Etat – malgré les efforts maladroits de la propagande pour donner le change. On peut même ajouter que l’initiative est, sinon combattue, du moins insidieusement sabotée par différents secteurs, dont les membres doivent estimer que leurs privilèges seraient mieux défendus sans lui qu’avec lui. Certaines manifestations «démocratiques» actuelles, pour le moins inhabituelles, ne s’expliquent pas autrement. Nous entrons ainsi dans une période où l’assise du pouvoir est appelée à se réduire sans cesse.

Face à cette évolution en peau de chagrin, Ben Ali est contraint de multiplier les tentatives intempestives de remise en ordre. Ce qui a pour effet automatique d’accentuer son isolement, en donnant à ceux dont il piétine les intérêts ou le prestige social, des arguments supplémentaires pour vouloir se débarrasser de lui. On observe, notamment depuis le décès de Bourguiba en 1999, divers indices dans ce sens, en particulier dans l’armée et parmi les milieux d’affaires. Même quand il est obligé de lâcher du lest, cela se retourne également contre lui, parce que c’est perçu comme une preuve de faiblesse, qui encourage de nouvelles oppositions.

Telles sont les caractéristiques du cadre politique : un pays humilié, supportant de plus en plus mal de vivre sous le joug ; une autorité illégitime, rejetée par la population, isolée y compris parmi les possédants. Tout laisse penser que ces tendances vont aller en s’aggravant d’ici la date butoir de 2004. Dans cette optique, l’enjeu ne réside plus seulement dans le départ d’un despote doublé d’un voyou, mais, plus radicalement, dans un changement de régime, dans la sortie de la dictature.

Ben Ali donne l’impression aujourd’hui de concentrer tous les leviers de commande entre ses mains. En apparence, il est tout-puissant ; en réalité, sa position n’a jamais été aussi incertaine et précaire. Une transition politique peut être engagée sans que la totalité des conditions sociologiques et culturelles du changement aient été réunies au préalable. Il faut, pour cela, identifier le maillon faible : en le brisant, on met la chaîne entière hors d’usage. La mise en échec de Ben Ali peut provoquer l’effondrement du système totalitaire en vigueur depuis l’indépendance. Cette mise en échec peut entraîner une dynamique qui rende inconcevable le retour au passé, la domestication de la société par l’Etat, la confiscation des libertés par un parti unique, la dégénérescence de la dictature en pouvoir personnel…

L’Histoire ouvre une brèche devant les Tunisiens. Faut-il encore qu’ils sachent s’y engouffrer. Tout dépendra, en fait, de la façon dont les événements seront perçus par la population, notamment les forces politiques ; tout dépendra de leur détermination, leur capacité à surmonter la répression, leur constance et leur lucidité. Tout dépendra, en particulier, de la compréhension de la stratégie à développer : isoler au maximum Ben Ali en ne s’attaquant qu’à lui ; rassembler l’ensemble de ceux qui peuvent trouver un avantage à son départ, même s’ils ne s’accordent que sur ce point. En caricaturant, on dira qu’il faudra parvenir à réaliser l’union de tous contre un seul, la levée en masse du peuple contre le tyran prédateur. C’est la condition sine qua non de la victoire. Comme c’est la meilleure garantie de préserver la paix civile.

Considérons à présent la situation de l’opposition. En raison de la pression incessante de la violence policière, à cause aussi de l’absence de perspectives que cette violence favorise, l’opposition montre de nombreux signes de fragilité. Et, corollaire de sa faiblesse, elle est morcelée et divisée. Elle est divisée et morcelée par les classes d’âge, les origines sociales, les références culturelles et les idéologies politiques. Elle souffre notamment d’une division majeure entre démocrates laïcs et militants islamistes. Il semble évident que si les choses devaient rester en l’état, rien de décisif ne pourrait se produire. Mais elles ne peuvent pas rester en l’état. Le rassemblement de l’opposition paraît inéluctable et, avec lui, son renforcement.

Le rapprochement des laïcs et des islamistes entraînerait des transformations considérables dans la scène politique nationale. Séparés, ni l’un ni l’autre camp ne peuvent prétendre sérieusement inquiéter Ben Ali. Réunis, c’est une autre affaire : leur poids commun est largement supérieur à l’addition de leurs forces respectives. Leur unité aurait une valeur symbolique de première importance. D’une certaine manière, en reliant islam et modernité, elle scellerait la réconciliation du pays avec lui-même. Elle rouvrirait le champ des possibles. Redonnant confiance à la jeunesse, elle ferait reculer la peur et la résignation, permettant la mobilisation de la population et son entrée dans l’action.

Les conceptions et l’état d’esprit du mouvement islamiste tunisien ont beaucoup évolué depuis 10 ans. On n’y trouve plus, en particulier, de courants organisés, partisans du recours à la force. Restent de lourdes divergences en termes de projets de société. Il ne s’agit pas aujourd’hui de les gommer artificiellement ni d’essayer, pour un camp, de se subordonner l’autre. Il est simplement question d’agir de concert pour abattre la tyrannie et instaurer le pluralisme. Je sais bien que les discours ne suffisent pas en la matière. Mais je sais aussi que la vie réelle ne s’épanouit pas sans prise de risque. Quoi qu’il en soit, le travail unitaire n’interdit pas les mesures de précaution.

La lutte engendre l’unité, parce que l’efficacité en dépend. Depuis deux ans, de réels progrès ont été réalisés sur ce terrain. Il reste à passer du niveau humanitaire au domaine proprement politique. L’unité est le seul moyen de peser et d’espérer obtenir que la société se lance à son tour dans le combat. L’opposition est désormais présente sur tout le territoire national. On retrouve des adversaires au régime non seulement à Tunis et dans les grandes villes côtières, mais jusque dans les plus petites bourgades de l’intérieur. On peut donc raisonnablement estimer que, dans les prochains mois, les différents groupes et mouvements vont poursuivre leur renforcement interne, affermir leurs identités – et en même temps se rapprocher les uns des autres. En rejetant sans doute quelques outrances symétriques, qui peuvent avoir un sens quand on se situe dans le pur témoignage, mais deviennent nocives et irresponsables quand il s’agit de traduire des orientations en activité politique pratique.

D’ailleurs, le problème n’est pas tellement d’élaborer un programme commun, que de garantir le minimum indispensable de coordination et d’unité d’action. Le but est de barrer la route à Ben Ali, d’exprimer, contre lui, un rejet unanime et universel. Mais l’union par la négative ne suffit pas. Il faut donner un contenu positif à la démarche et, pour cela, proposer une alternative. Si l’on a bien intégré la nécessité d’isoler l’adversaire, on comprend le besoin de réaliser contre lui le rassemblement le plus large. Il faut opposer à une candidature solitaire et illégitime, une candidature légitime, soutenue massivement par le pays. Il s’agit, par conséquent, d’opposer à Ben Ali une seule candidature, une candidature unique non seulement de l’opposition, mais de la société tout entière.

Nous en avons plusieurs à notre disposition aujourd’hui, déclarées de façon plus ou moins explicite. Dans l’état actuel des choses, cette diversité ne présente pas de graves inconvénients. A la limite, elle revêt même un certain avantage, puisqu’elle peut permettre de fractionner les représailles. Mais à l’approche de l’échéance de 2004, le pays devra offrir un front soudé. Et il faudra bien que l’on y parvienne. La candidature alternative unique jouera un rôle capital dans la mobilisation populaire. Sa crédibilité dépendra de l’ampleur des soutiens qu’elle recueillera au-dedans et au-dehors. C’est la raison pour laquelle elle devrait provenir des rangs de l’opposition démocratique et laïque.

Les conseillers de Ben Ali voudraient faire entériner le quatrième mandat par une opération référendaire, une sorte de plébiscite fascisant. Initialement, le référendum était prévu pour le premier semestre 2003. Il semble à présent qu’on veuille en avancer la date, pour profiter sans doute de ce que la politique mondiale est focalisée sur les développements de la crise au Proche-Orient. Ce changement de calendrier doit nous pousser à accélérer nos propres préparatifs. En dehors du travail d’explication interne, pour voter massivement non au référendum, il est essentiel de déjouer la manœuvre sur le plan extérieur, spécialement aux Etats-Unis et en Europe. Il faudrait parvenir à convaincre le plus grand nombre de gouvernements de dénoncer le caractère antidémocratique du procédé et demander, à titre préventif, la présence d’observateurs durant la consultation. L’objectif, ici, n’est pas de laisser l’étranger arbitrer entre Tunisiens, mais de marquer la défiance de l’opinion publique nationale et internationale à l’égard d’une dictature qui ne vit que de fraude et de tricherie. La campagne du référendum doit servir de répétition générale à la campagne présidentielle. Plus Ben Ali sortira discrédité du premier acte, moins il aura d’arguments à faire valoir au second.

L’échéance de 2004 concerne l’élection présidentielle et les élections législatives. S’agissant des législatives, il est compréhensible que chaque courant d’opposition cherche à se compter, à renforcer son influence, à inscrire un rapport de force favorable à son projet spécifique. C’est la loi de la démocratie et il n’y a là rien de répréhensible. Il faudra cependant prévoir des candidatures d’union partout où cela sera nécessaire et, surtout, prendre les dispositions nécessaires pour être présent dans l’ensemble des circonscriptions électorales et des bureaux de vote. La présence d’observateurs et de contrôleurs étrangers devra être requise systématiquement.

Mais, encore une fois, le combat principal, c’est l’élection présidentielle, pour faire barrage à l’imposteur. Le programme alternatif pour cette consultation devrait être à la fois modéré et ferme dans son inspiration. Il devrait être modéré pour rallier tous les groupes sociaux et tous les courants politiques. Il devrait être ferme pour assurer une transition irréversible vers la démocratie : amnistie générale, liberté d’organisation et d’_expression, liberté d’opinion et de conviction religieuse, égalité des droits entre hommes et femmes, liberté d’entreprendre, droit de propriété, indépendance de la justice, neutralité de l’administration. Sur le plan extérieur, il faudrait définir une diplomatie au service du développement national, soucieuse des intérêts du monde arabe et qui ancre définitivement le pays dans le camp de la liberté, à travers un partenariat politique renforcé avec l’Union européenne – en s’inspirant, par exemple, des mesures prises par le Portugal après la révolution des Oeillets. La nouvelle équipe présidentielle devrait pouvoir assurer cette transition avec toute la vigueur nécessaire et avoir la capacité de neutraliser les obstacles qui se dresseraient sur son chemin.

Comme le pire, le meilleur n’est jamais certain. L’analyse qui précède trace une sorte de trajectoire idéale maximale. Rien, aujourd’hui, ne peut encore permettre de dire ce qui va réellement se produire. L’issue, de toute façon, dépendra des Tunisiens, de ce qu’ils feront, de ce qu’ils oseront, des risques qu’ils consentiront. Tout a un prix. Les Tunisiens obtiendront ce qu’ils accepteront de payer par leurs luttes et leurs sacrifices.

Dans la mesure où l’opposition s’unifie et parvient à entraîner la population dans le combat, nul ne peut prévoir à l’avance les péripéties de l’affrontement. Le départ de Ben Ali peut être arraché avant, pendant ou après les présidentielles. Lorsque l’on étudie les expériences analogues vécues dans d’autres pays – en Asie, en Europe de l’Est, en Amérique latine -, on constate que les scénarios de sortie de crise sont multiples. Ben Ali peut s’enfuir ; certains de ses lieutenants peuvent chercher à négocier son retrait ; l’armée ou d’autres forces de sécurité peut estimer nécessaire d’intervenir, dans une tentative de rééditer le coup de novembre 1987. Comment se comporter en pareilles circonstances ? Se satisfaire du départ du dictateur et laisser faire ceux qui le remplacent, on sait déjà que cela ne débouche sur rien de bon. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut jamais négocier. Mais simplement qu’il ne faut pas lâcher la proie pour l’ombre. Il s’agira de maintenir la pression populaire jusqu’au bout : des élections libres et la fin de notre minorité politique. Si le cap est maintenu, personne ne volera sa victoire au peuple.

Aziz Krichen


 

Pour honorer frère Mohamed Abbou, Il ne sera jamais oublié

Par : Jbeli  

 

Le vent de changement a soufflé un jour de l’année dernière début mars

Lorsque des flics en civil sont descendus dans la rue pour créer une farce

L’air imbécile jouant à cache-cache avec la foule par ordre du palace

Portent atteinte à la réputation d’un homme de principe et de grâce

 

Ils réussissent à accoster, harceler et kidnapper en voie publique

Ce jeune avocat sans soucis, combattant averti, ils sont sadiques

Lui il a présenté des plaidoyers divers contre les abus de pouvoir tragiques

Instantanément ses droits violés et révoqués mais sa parole reste magique

 

Ils l’ont sûrement tabassé avec brutalité mais ils ne toucheront jamais à sa dignité

Il ne plaint pas sa peine le cœur devant et de bonnes intentions dedans sans vanité

Ses amis et collègues apprécient ses services, admirent ses sacrifices et générosité

Il ne se mêle pas de la politique bidon surtout que son éloquence dépasse la futilité

 

Courage et persévérance sont des qualités courantes chez frère Mohamed Abbou

Reprocher à l’élite ses délits et accuser les geôliers de torture n’est jamais tabou

Réclamer justice et défendre les opprimés à priori et de ses critiques il s’en fout

Tant pis s’ils s’enragent et le menacent, il les agace alors qu’il tient tous les atouts

 

Le mot voyage vite le monde s’indigne et les agents du régime sonnent l’alarme

Les boulevards inondés leur donnent du cafard et provoquent de tristes larmes

Machination absurde préparée à la hâte fait raviver la colère et des flammes

Les barricades sont inefficaces, les partisans confrontent et affrontent les gendarmes

 

Ainsi la salle pas assagie sous la tutelle du Caïd Sassi est incontrôlable archicomble

Le tribunal irrégulier cite du jargon du palais que les experts jugent invraisemblable

Incitation à la rébellion et la publication de fausses nouvelles n’ont rien de palpable

Il introduit un fait divers imaginé de l’an 2002 jamais rapporté ou prouvé équitable

 

Écrire sur les conditions des prisons et les comparer à Abou Ghraieb, acte de bravoure?

Ça fait énerver les bureaucrates qui ripostent en prenant des décisions de vautours

Inviter l’ennemi du peuple et lui promettre des privilèges de pèlerinage au tambour

Peuple docile cible des forces de l’occupation à la gâchette facile menacé nuit et jour

 

Dalila la juriste opportuniste faisant partie du parti corps et âme dont la vocation

Est de se réveiller d’une amnésie pour évoquer et élaborer sur un conte de fiction

Elle n’a pu exhiber aucune empreinte de sa perte physique ni propre corroboration

Malheureusement la cour prend son testament pour vérité absolue sans contestation

 

Débâcle après débâcle il paie le prix avec sa santé pour le bien des futures générations

Du gâchis pour avoir révélé ce que les gens ont constaté et accepté avec consternation

Deux ans de pénitence pour violence, un et demi pour défi, démenti et prononciation

Ils peuvent le piétiner et enchaîner et il sera reçu en vrai héro le jour de sa libération.

 

(Source : Forum « Taht Essour » de nawaat.org, le 26 février 2006 à 12:54 AM)


 
 

Mobilisons-nous !

 

Contre la politique de démolition institutionnelle, sociale et économique du régime de ben ali : il est de notre devoir de nous mobiliser et faire sonner le glas à ce régime !

 

Imaginez un Tunisien de 25 ans, diplômé sans emploi, sans revenu, qui se lève tous les matins pour ruser avec la misère ; qui cherche à émigrer clandestinement ou s’enrôler dans les sectes terroristes ; imaginez que ce tunisien soit représentatif de la majorité de la population ;

 

Imaginez des enfants trop vite adultes auxquels auront manqué l’abécédaire ; imaginez que ces enfants soient de plus en plus nombreux et sillonneront de plus en plus les carrefours et les marchés ;

 

Imaginez les campagnes et villages tunisiens vidés de leurs habitants pour meubler les places , les rues ; les gares, les alentours des marchés des villes à la recherche d’une aumône ou quelque chose à voler;

 

Imaginez des moyens de production détruits par des accords d’échanges imposés à nos incuries gouvernants ou pillés par la mafia locale ;

 

Imaginez une minorité de Tunisiens consommant le gros des richesses du pays qui affichent une arrogance et une suffisance absolue ;

 

Imaginez l’indifférence d’une élite dirigeante aliénée et corrompue, et son mépris du peuple et de la culture populaire ;

 

Imaginez les villas luxueuses, les gros véhicules et autres biens somptuaires, face à l’état de pauvreté des populations qui n’ont besoin que de survivre ;

 

Imaginez une infrastructure coûteuse en impôts et en dettes extérieures qui soit inutile et de décors ou qui s’effrite en un temps record.

 

Imaginez une élite qui veut une république d’ayants droit, de passe droit qui n’appartiendrait qu’à elle seule ;

 

Imaginez des chefs d’entreprises qui se ruinent par les créances douteuses et les factures impayés que le régime de ben ali les encourage en les amnistiant. 

 

Imaginez une économie structurée qui se fait écrasée par une économie parallèle, clandestine et de contre bande.

 

Imaginez la haine qui répond à l’indifférence ; la violence et la rancœur qui frappent aux portes de l’injustice ;

 

Imaginez tout cela et d’autres drames.

Et vous vous approchez du drame d’un pays, en situation de quasi déchéance : La Tunisie

A lors il est temps que nous nous arrêtons de pleurnicher en silence sur notre sort, notre avenir, l’avenir de notre pays.

Il est temps que nous arrêtons de nous lamenter en silence de l’état d’insécurité physique, matérielle et morale, de l’augmentation de la délinquance, de la précarité, de l’injustice, de l’abus du pouvoir de la police, de l’administration, de l’absence de justice, de la désinformation, etc. 

 

Il est temps de nous mobiliser, de montrer que nous nous existons et que nous avons aussi une dignité de tunisien et tunisienne et que nous sommes pas que de simples animaux domestiqués ne sachant que bouffer (si ben ali le veut bien) et chercher notre salut ailleurs.

 

Mobilisons-nous et rejoignons-nous le comité 18 Octobre pour nos Droits et nos Libertés.

A bon entendeur salut !

 

Tunis le 26 février 2006

O.F

 


DROIT DE REPONSE

 

Hejer Charf a publié dernièrement dans un journal canadien un article intitulé « Lettres: Mon prof d’éducation islamique contre les imams de souk ».

 

Or cette dernière affirme dans son article que : « En 1993, Tariq Ramadan, l’islamiste très médiatisé, a empêché la création en Suisse de la pièce Le Fanatisme ou Mahomet le prophète écrite en 1741 par Voltaire »

 

La personne concernée, Tariq Ramadan, répond à cette fausse accusation sur son site  (URL : http://www.tariqramadan.com/article.php3?id_article=578 ) et dans un article publié récemment par « Le Monde » que nous re-publions :

 

Se prendre pour Voltaire ?

par Tariq RAMADAN

 

(L’article ci-après est paru ce jour dans Le Monde du 23 février 2006)

 

 Dans une Tribune (Le Monde du 15 février), Hervé Loichemol me met directement en cause dans une soi-disant tentative de censure de la pièce de Voltaire Le Fanatisme ou Mahomet le prophète. Depuis treize ans, M. Loichemol raconte cette contrevérité. Il y a des limites à la propagande mensongère et je tiens à préciser trois points :

  1. A cette époque, j’enseignais Voltaire – dont la pièce Mahomet – et des dizaines de lycéens pourraient en témoigner. Pas de censure ni de fatwa donc contre Voltaire qu’il faut lire, étudier et jouer. Il serait bon néanmoins de ne point retenir de son œuvre que la critique anticléricale. Des Lettres philosophiques à Micromégas ou à l’Ingénu, Voltaire s’en prenait aussi, et vertement, à l’arrogance de certains esprits si dangereusement assurés de détenir la seule « vérité rationnelle ». Il pourfendait les aveuglements des autres noyés dans leurs propres contradictions : n’est-il pas bon de rappeler ces enseignements à nos défenseurs contemporains de la grande cause de la liberté de pensée et dont le silence est assourdissant lorsqu’il faut condamner les quatorze annulations ou retraits de salles qui m’ont été signifiées en moins de deux ans en France sous la pression des RG ou de responsables de p artis ? La liberté de certains serait plus noble que celle des autres ?

  1. En ce qui concerne la pièce, le Département Culturel de la Ville de Genève s’est opposé à l’époque à sa réalisation car le budget présenté par M. Loichemol avait été considéré comme faramineux. Le Maire de Genève, M. Alain Vaissade, a ensuite ajouté que cette pièce pouvait heurter la sensibilité des musulmans. Le refus de subvention a été pris par les autorités sans avoir consulté les musulmans : M. Vaissade l’a dit sur les ondes de la Radio Suisse Romande (Forum, octobre 1993) en ajoutant qu’il ne m’avait ni vu ni parlé avant ou après avoir pris cette décision. Robert Ménard, de Reporters sans frontières, a questionné les autorités de l’époque (il est le seul en France à avoir effectué cette vérification) : la directrice des affaires culturelles d’alors, Mme Erica Deuber Ziegler, a confirmé ma version des faits (Revue Media, Mars 2005). Dans une récente émission diffusée en Suisse ( Infrarouge, 7 février 2006, à visionner sur www.tsr.ch ) M. Loichemol a d’ailleurs lui-même reconnu que je n’avais pas appelé à la censure.

  1. M. Loichemol, flairant le « coup médiatique » d’une « affaire Rushdie genevoise », avait décidé en 1993 de lancer un grand débat sur la place publique autour de la question : « Peut-on relire tout Voltaire ? ». C’est alors que je suis intervenu. M. Loichemol affirme aujourd’hui que j’appelais alors à la censure et à l’interdit (contrairement à ma position actuelle dans l’affaire des caricatures de Mahomet où, habile selon lui, j’utiliserais une « rhétorique suave » en parlant de « délicatesse » ou de « respect »). Or voici des extraits de ma lettre ouverte publiée le 10 octobre 1993 dans la Tribune de Genève : « A n’en point douter je serai avec vous, en première ligne, dans la défense de la liberté de conscience et d’__expression, mais mon quotidien m’a appris que mon ‘droit d’exprimer ‘ doit s’habiller de précaution lorsqu’il rencontre l ’intimité d’autrui, son affection ou la dimension vivante qu’il donne au sacré. Vous appelez cela ‘ censure’, j’y vois de la délicatesse. » C’est exactement la position que je tiens aujourd’hui et déjà, en 1993, je proposais à M. Loichemol d’expliquer ses intentions, par pédagogie, pour que les musulmans aient les moyens de prendre une distance critique si la pièce devait être jouée : « N’y a-t-il pas quelque sagesse à mesurer -par anticipation- les possibles dégâts, à en discuter avant de se voir forcé à condamner ce que l’on aurait pu éviter ? L’histoire récente est pleine de nos négligences. » (Voir l’intégralité ci-après).

Nos « Voltaire à géométrie variable » semblent chaque jour davantage trahir le courage de l’auteur d’un Zadig qui a tant emprunté au Coran et qui n’eut de cesse de répéter qu’il faut avoir la modestie de douter de soi et la force d’entendre autrui. Une bien belle leçon pour certains de nos relatifs intellectuels qui ont substitué à l’ancien dogme de la grâce nécessaire celui de leur foi aveugle en leur raison suffisante.

 

Ceux-là sont doublement dangereux quand ils se prennent pour Voltaire.

Lettre ouverte à M.Hervé Loichemol

(parue dans la Tribune de Genève le 07.10.1993) (Concerne « Mahomet » de Voltaire et la Communauté musulmane)

 La polémique est vive et les mots peu mesurés. Votre détermination à vouloir monter la pièce « Mahomet ou le fanatisme » a vivifié la mobilisation contre les réserves du département de la Culture de la Ville de Genève.

« Censure ! », « Atteinte à la liberté d’__expression ! ». « Infantilisation »…le vocabulaire est bien crispé.

Aussi y a-t-il quelque satisfaction à vous voir, en concertation avec Mme Erica Deuber-Pauli, mettre sur pied un débat autour de Voltaire et de ses écrits. Vous vous posez la question de savoir si l’on peut « relire tout Voltaire aujourd’hui » et il me parait que la question est d’importance. Dommage pourtant que vous n’ayez conçu le débat qu’entre gens de lettres avec, de surcroît, des intervenants qui pour la plupart vous sont acquis. Vous vous sentez attaqué dans vos convictions et vous appelez « débats» ce qui prend l’allure d’un plaidoyer. Nos blessures nous font parfois faire ces légers glissements.

Permettez-moi ici de vous dessiner les contours d’une autre blessure ; d’une blessure ouverte et que l’on peine à panser. La Communauté musulmane en Europe vit des années difficiles. La focalisation médiatique sur l’intégrisme et le fanatisme rend tout musulman suspect. La guerre de Bosnie est aussi lourde à porter que le regard des gens qui, au quotidien, vous jugent…si mal.

Ici, cher Monsieur, c’est le règne des intimités déchirées contre lesquelles vient cogner votre « droit de tout dire…de tout redire ». A n’en point douter je serai avec vous, en première ligne, dans la défense de la liberté de conscience et d’__expression, mais mon quotidien m’a appris que mon « droit d’exprimer » doit s’habiller de précaution lorsqu’il rencontre l’intimité d’autrui, son affection ou la dimension vivante qu’il donne au sacré. Vous appelez cela «censure », j’y vois de la délicatesse.

L’état de la Communauté musulmane est tel qu’elle n’a plus les moyens ni le recul nécessaire de dépasser ses amertumes : les attaques sont si blessantes qu’il lui faudrait ien de l’imagination pour supposer, au-delà de la littéralité des reproches, une intention saine et positive.

Toutes vos justifications intellectuelles et littéraires, aussi sincères soient-elles (et en soi devraient être discutées), pourraient donc d’emblée se voir évidées de leur portée : car ce qui reste c’est cette image présentant un Mahomet sanguinaire, intransigeant, jaloux, hypocrite et « fanatique », ce « faux prophète » comme l’écrira Voltaire dans sa dédicace au pape Benoît XIV. Et vous ne pourrez empêcher que cette description frappe avec violence le cœur et la conscience des musulmans qui font partie de l’Europe et pour qui Mahomet est la voie de l’horizon de leur identité et de leur sacralité. Un artiste, u n metteur en scène, peut-il à ce point négliger le caractère brutal que peut revêtir son engagement ? Aux abords des espaces intimes et sacrés, ne vaut-il pas mieux parfois s’imposer le silence.

 Il se peut que la pièce ne provoque aucune manifestation, ni aucun dérapage visible, mais soyez assuré que ses conséquences affectives seront bien réelles : ce sera une pierre de plus à cet édifice de haine et de rejet dans lequel les musulmans sentent qu’on les enferme. N’y-a-til pas quelque sagesse à mesurer -par anticipation- les possibles dégâts, à en discuter avant de se voir forcé à condamner ce que l’on aurait pu éviter ? L’histoire récente est pleine de nos négligences.

Enfin, M. Loichemol, je peux concevoir que l’art – en ce qu’il secoue le conformisme e l’ordre social – soit provocateur. Il en va de son essence. Je me garde pourtant bien de confondre la provocation avec une attitude qui, compte tenu du contexte de déchirements dans lequel elle se traduit, engage l’art dans des voies où la liberté d’__expression confinerait à s’octroyer le droit d’être « méchant ». or il y a loin de la provocation à la méchanceté : l’une est à l’esthétique, l’autre à la maladresse.

 

 

ESPIONNAGE

 

Taupe Chez Les Islamistes: Berne Confirme

 

Les services secrets suisses n’avaient guère besoin d’une nouvelle bavure. La taupe, infiltrée dans le Centre islamique de Genève (CIG), a tout balancé à Hani Ramadan et à la presse locale

 

IAN HAMEL

 

On a connu Christoph Blocher plus bavard. Interrogé vendredi après-midi à Paris par «Le Matin dimanche» sur la présence d’un mouchard, appointé par le Service d’analyse et de prévention (SAP), les services secrets intérieurs de la Confédération, au coeur du Centre islamique des Eaux-Vives à Genève, le conseiller fédéral n’a pas souhaité répondre.

 

La présence d’un «espion» chez Hani Ramadan a été révélée par la Tribune de Genève dans son édition de jeudi dernier. Le conseiller fédéral, responsable du Département de justice et police, et donc patron du SAP, aurait pu réagir en homme politique. Il a préféré refiler la patate chaude à un haut fonctionnaire, en l’occurrence à Jean-Luc Vez, le directeur de l’Office fédéral de la police, qui l’accompagnait lors de cette rencontre avec Pascal Clément, le ministre français de la Justice.

 

«La loi fédérale sur le maintien de la sûreté intérieure autorise l’acquisition d’informations par des informateurs. Nous avons strictement respecté la loi», précise Jean-Luc Vez, confirmant ainsi l’emploi d’un informateur à Genève. En effet, depuis les attentats de Londres en juillet 2005, Christoph Blocher a demandé que la douzaine de centres islamiques «les plus politisés» (sur 160) soit surveillée de près. Toutefois, Jean-Luc Vez reconnaissait en aparté que le choix de l’indicateur choisi par le SAP n’avait pas été forcément le meilleur.

 

Espionnage contre le CIG en 1965

 

Jeudi dernier, la Tribune de Genève annonçait qu’un ancien délinquant espionnait le CIG à Genève depuis 2004. Il aurait eu pour mission de tout révéler sur Hani Ramadan, le directeur du CIG, y compris «le nombre de sucres dans son café». A l’échelle européenne, cette démarche n’a rien d’extraordinaire. Depuis les attentats de 1995, les Renseignements généraux français disposent d’un indicateur dans pratiquement toutes les mosquées de l’Hexagone. Mieux, en Autriche, en Allemagne, en France et aux Pays-Bas, les fonctionnaires des services secrets peuvent utiliser des identités d’emprunt, ce qui n’est pas (encore) autorisé en Suisse.

 

En l’occurrence, la taupe du CIG (qui serait aujourd’hui réfugiée en France) n’est pas un salarié du SAP. La nouvelle a scandalisé Hani Ramadan. Déjà son père, Saïd Ramadan, avait fait l’objet d’une surveillance assidue des services suisses. En 1965, une note interne d’espions venus de Berne révélait que l’un de ses fils avait passé des vacances à Saint-Malo. «J’ai des prises de position qui ne plaisent pas à tout le monde. Mais je n’ai absolument rien à cacher: je fais ce que je dis et je dis ce que je fais», précise le frère aîné de Tariq Ramadan. En effet, dès l’entrée du CIG, le visiteur découvre des versements au profit, par exemple, de l’Association de secours palestinien

 

Fabriquer des preuves contre Ramadan?

 

Le problème, c’est que cet espionnage n’est toléré que pour les faits de terrorisme, d’espionnage ou de trafic de destruction massive. Or il n’a jamais été prouvé que Hani Ramadan, né en Suisse, muni d’un passeport suisse, puisse être un adepte du terrorisme. Certains membres des services secrets insistent sur l’absurdité de cette «planque» autour du CIG: jamais un présumé terroriste ne se rendra dans un lieu aussi surveillé que le Centre islamique de Genève!

 

Il existe une accusation beaucoup plus grave contre le SAP, et que «Le Matin» n’a pas pu se faire confirmer: l’indicateur n’aurait pas eu seulement pour mission d’espionner Hani Ramadan. Il aurait reçu aussi l’ordre d’introduire des documents compromettants pour «mouiller» Hani Ramadan. Espérons que les services secrets suisses pourront démentir.

 

(Source : « Le Matin » (Suisse) du 25 février 2006)


 

UELI LEUENBERGER Le conseiller national genevois se montre sévère. 

«Nos services secrets font preuve d’un amateurisme total»

 LUDOVIC ROCCHI

 

Encore un couac. Le couac de trop. Sans connaître les détails de l’affaire, le conseiller national genevois Ueli Leuenberger estime que «nos services secrets font preuve d’un amateurisme total. Depuis l’affaire des fiches, je croyais que leurs méthodes avaient évolué…» Avant d’intervenir devant le Parlement, le député écologiste indique récolter ses propres informations sur l’infiltration du Centre islamique de Genève.

 

Mieux que les journalistes ou les «simples» parlementaires, ce sont les membres des commissions de gestion des Chambres fédérales qui peuvent obliger les services secrets à rendre des comptes sur leurs opérations de l’ombre. Le député Jean-Paul Glasson (rad/FR) fait partie de ces privilégiés et il ne compte pas rester inactif. «Il est de notre devoir de poser des questions sur cette affaire qui me surprend, même si je suis plutôt positif à l’égard de nos services de renseignements.» «Cet épisode genevois pourrait être la goutte d’eau qui fait déborder le vase», avertit le conseiller aux Etats Michel Béguelin (PS/VD), doyen des commissions de gestion. Il ajoute «être de plus en plus méfiant à l’égard des services de renseignements».

 

Il faut dire que les espions suisses n’en sont pas à leur première mésaventure. Les jalousies entre services ont failli faire rater l’arrestation en Suisse du terroriste présumé Mohamed Achraf, recherché par l’Espagne. Et, plus récemment, les grandes oreilles des espions suisses ont intercepté un fameux fax des Affaires étrangères égyptiennes sur les prisons de la CIA. Il a fini dans un journal et il a déclenché une enquête, une de plus, des commissions de gestion. Président de leur délégation de sécurité, le sénateur Hans Hofmann (UDC/ZH) estime, lui, que «des dérapages sont possibles, mais nos services restent tout à fait professionnels». Il s’attend toutefois à devoir enquêter sur l’affaire de la taupe genevoise. 

 

(Source : « Le Matin » (Suisse) du 25 février 2006)


 

COMMENTAIRE

Les espions suisses, ces Pieds nickelés

LUDOVIC ROCCHI

 

Il y a de méchants espions qui torturent. Il y en a d’autres, les nôtres, qui gaffent. C’est moins grave, presque sympathique, franchement risible. La multiplication des gaffes peut, à la longue, devenir problématique et pour tout dire inquiétante. Or nos agents secrets les font toutes, vraiment toutes. La dernière en date vient de Genève, où a éclaté cette semaine l’affaire de la taupe du Centre islamique. Un repris de justice a été payé par le service du renseignement intérieur pour infiltrer l’antre de Hani Ramadan, enseignant genevois suspendu pour avoir défendu la lapidation des femmes infidèles.

 

Garder un oeil sur des islamistes déclarés, pourquoi pas. Tous les espions occidentaux poursuivent ce genre de mission. Mais ils ne confient certainement pas la besogne à des repris de justice tellement peu fiables qu’ils finissent par avouer à leur cible qu’ils l’espionnent et, mieux encore, par tout raconter dans les journaux. C’est pourtant ce qui s’est passé avec la taupe genevoise.

 

A Berne, on se défend en expliquant qu’il s’agissait d’un simple informateur et que la loi a été scrupuleusement respectée. Qu’importe, le résultat fleure l’amateurisme de bande dessinée, tout comme ce fax égyptien qui contenait des informations pourries. Les espions suisses se sont dépêchés de le retranscrire, et lui aussi a fini dans la presse.

 

On pourrait en citer encore d’autres. Mais surtout, à quand un sursaut politique et des têtes qui roulent? Pour toute réponse, Christoph Blocher et le Conseil fédéral proposent une nouvelle loi qui offre davantage de pouvoir d’inquisition à nos espions. Nous avons évidemment tous une folle envie de leur faire confiance.

 

(Source : « Le Matin » (Suisse) du 25 février 2006)


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