14 décembre 2011

TUNISNEWS
11 ème année, N°4185 du 14.12.2011
archives : www.tunisnews.net


AP: Moncef Marzouki s’engage à être le président de tous les Tunisiens

Xinhua: Le président français salue l’élection de Moncef Marzouki à la présidence tunisienne

Le Point: Twitter s’enflamme après l’élection de Moncef Marzouki

L`Express: Tunisie: Marzouki à Carthage un an après la révolution qui chassa Ben Ali

Rue89: Tunisie : Marzouki, de l’intransigeance à la réconciliation

Le Nouvel Observateur: Il faut parier sur la Tunisie

La Croix: Hamadi Jebali, un homme de foi aux commandes de la Tunisie


Moncef Marzouki s’engage à être le président de tous les Tunisiens


 
Créé le 13-12-2011 à 17h30 – Mis à jour à 19h02
 
TUNIS (AP) — Au lendemain de son élection par une forte majorité de l’assemblée nationale constituante (ANC) à la magistrature suprême, le nouveau président tunisien Moncef Marzouki s’est engagé mardi à être « le président de tous les Tunisiens », après avoir prêté serment la main sur le coran.
 
« Nous vivons un tournant dans l’histoire de la Tunisie », a-t-il lancé, en insistant sur l’impératif de rompre avec le système « dictatorial » précédent dont il a longuement énuméré les dépassements. Il en a dénoncé la politique oppressive, la torture, les procès politiques, l’emprisonnement de dizaines de milliers d’opposants et d’islamistes, la corruption, l’atteinte à l’identité arabo-musulmane du pays.
 
Dans sa première adresse à la nation retransmise en direct par la télévision nationale prononcée lors d’une séance extraordinaire de l’assemblée, l’ancien opposant notoire de Ben Ali s’est voulu rassurant à l’endroit de l’opposition qui a voté blanc. Celle-ci nourrissait des appréhensions face à ce qu’elle considère comme une concentration des pouvoirs aux mains du futur chef du gouvernement qui devrait être l’islamiste Hamadi Jebali, au détriment du chef de l’Etat. Elle protestait aussi contre la non délimitation de la durée du mandat de la Constituante initialement prévu pour un an.
 
L’ANC a pour mission essentielle d’élaborer une nouvelle Constitution qui doit conduire à terme à des élections générales.
 
Moncef Marzouki a assuré qu’il mènera des concertations aussi bien avec le gouvernement qu’avec l’opposition qu’il a invitée à « faire preuve de fair play et de proposer des solutions » aux problèmes qui se posent.
 
En militant ardent des droits de l’Homme, Moncef Marzouki s’est fixé pour objectif « d’asseoir les fondements d’une République civile et démocratique » qui garantit aux Tunisiens le droit à l’emploi, à l’enseignement, à la santé et « tous les droits de la femme, notamment à l’égalité » avec les hommes.
 
A l’instar du président de l’ANC, Mustapha Ben Jaâfar, il a tenu à rendre un hommage appuyé à son prédécesseur Fouad Mébazzaâ et au Premier ministre sortant Béji Caïd Essebsi pour avoir conduit le pays aux « premières élections démocratiques » en Tunisie, ainsi qu’à l’armée et au corps de la sécurité pour leur « loyauté ».
 
« Aujourd’hui, nous sommes confrontés à des défis énormes » qui nécessitent « des décisions audacieuses », a-t-il déclaré sur un ton résolu. Il a cité les « réformes urgentes » que nécessite une situation socio-économique préoccupante dont, en premier lieu, la création du plus grand nombre d’emploi possible pour atténuer l’acuité du problème du chômage qui affecte plus de 700.000 jeunes dont quelque 200.000 diplômés du supérieur.
 
Son programme prévoit également d’encourager les investissements « loin de toute exploitation », de rétablir l’équilibre entre les régions développées et celles démunies et de conforter l’identité arabo-musulmane, s’agissant notamment de « protéger les femmes voilées ».
 
Pour « réaliser les objectifs de la révolution », il a invité les Tunisiens à « faire preuve de patience » et ne pas exiger des solutions immédiates.
 
« Les Tunisiens ont prouvé au monde qu’ils étaient un peuple civilisé et qu’ils ont les compétences et les ressources de relever tous les défis », a-t-il insisté.
 
Selon lui, « le monde arabe observe l’expérience tunisienne dont le succès servira de modèle et l’échec aura des répercussions négatives ».
 
Il a terminé en s’inclinant, les larmes aux yeux, à la mémoire « des jeunes tunisiens qui sont tombés sous les balles pendant la révolution pacifique » qui a fait chuter le régime répressif de Ben Ali. « Sans le sacrifice des martyrs de la révolution, je ne serais pas là », a-t-il lâché, la gorge serrée par l’émotion.
 
Le nouveau président devait ensuite se rendre au palais de Carthage, dans la banlieue nord de Tunis, pour y prendre ses quartiers lors d’une cérémonie de passation des pouvoirs avec le président intérimaire sortant Fouad Mébazzaâ.
 
Il devait avoir dans l’après-midi des concertations avec les chefs des partis et autres personnalités politiques, en prélude à la désignation prévue mercredi du chef du gouvernement pressenti qui aura à former son cabinet avant la fin de la semaine. AP
 
 

Le président français salue l’élection de Moncef Marzouki à la présidence tunisienne


 
 
2011-12-13 20:48:52 xinhua
 
Le président français Nicolas Sarkozy a adressé ses félitations mardi à son nouveau homologue tunisien Moncef Marzouki, désigné lundi à la présidence de la Tunisie par l’Assemblée constituante du pays.
 
« Votre élection marque une étape majeure dans l’approfondissement du processus démocratique en Tunisie, après l’élection de l’Assemblée constituante le 23 octobre et l’adoption de la loi d’organisation des pouvoirs provisoires le 11 décembre », a indiqué M. Sarkozy dans sa lettre de félicitaion.
 
« Ainsi la Tunisie poursuit-elle son chemin vers l’établissement d’institutions élues qui offriront le cadre nécessaire à la préparation d’une nouvelle Constitution et à l’avènement d’une seconde République tunisienne », estime le président français, qui n’a pas oublié rappelé le lien particulier entre M. Marzouki, qui avait « tant lutté pour une Tunisie libre, respectueuse de l’Etat de droit et du suffrage universel », et la France où le nouveau chef de l’Etat tunisien avait fait ses études de médecine pendant sa jeunesse et a passé dix ans en exil.

 

Twitter s’enflamme après l’élection de Moncef Marzouki


 
C’est d’abord sur le site de microblogging que le nouveau président tunisien s’est exprimé lundi 12 décembre. Rapidement, les internautes ont réagi à son élection. Extraits.
 
Par Julie Schneider
 
« Merci beaucoup de m’avoir accorder votre confiance. Je ferai tout pour être à la hauteur. Vive la #tunisie ». C’est avec ce tweet que Moncef Marzouki, le nouveau président de la Tunisie, s’est adressé au peuple tunisien avant même d’avoir prononcé son discours d’investiture devant l’Assemblée constituante, mardi 13 décembre. Un tweet contenant une faute de français qui n’a pas échappé aux internautes. « Son premier message au peuple à travers les réseaux sociaux portrait déjà une faute de grammaire. À sa place j’aurai écris en arabe », commentait ainsi Faten, dans un message pourtant pas exempt de fautes non plus…
 
 
Âgé de 66 ans, ce Bédouin au teint basané a vécu plus du tiers de sa vie en France. D’abord, en tant qu’étudiant en médecine à Strasbourg. Puis, en tant qu’enseignant à l’université de Bobigny, poste qu’il a obtenu grâce à l’aide de Jack Lang, alors ministre de l’Éducation en 2001.
 
 
Pendant dix ans, Moncef Marzouki a connu l’exil après avoir perdu son poste d’enseignant à l’université de Sousse en 2001 en raison de ses activités militantes. Tour à tour directeur (1985), vice-président (1987) et président (1989) de la Ligue des droits de l’homme, il se présente à l’élection présidentielle de 1994 pour dénoncer « la mascarade électorale et la loi en vigueur interdisant toute candidature non validée par le régime de Ben Ali ». Emprisonné peu après cette déclaration, il est finalement libéré grâce à une intervention du président sud-africain Nelson Mandela en personne. Un combat militant qui lui vaut l’admiration de la twittosphère.
 
 
« Une belle revanche de l’histoire »
 
 
L’ancienne ministre Nicole Guedj salue l’élection de ce « fervent militant des droits de l’homme ». Hedidonk1 applaudit, lui, une « belle revanche de l’histoire ». Quant à jmf60, il s’exclame : « #Marzouki président de #Tunisie… comme si un étudiant chinois de place Tien an Men exilé devenait président de la #Chine !! » Mais Moncef Marzouki inquiète tout autant qu’il rassure. « La #Tunisie a un président qui n’a pas signé la convention des droits de l’homme ! Une nouvelle dictature est en route », craint Ooouups.
 
 
Et le mode d’élection du président de la République tunisienne fait aussi débat. Le scrutin était en effet indirect, seuls les membres de l’Assemblée constituante issue du scrutin du 23 octobre pouvaient voter. « @Moncef_Marzouki arrêtez votre démagogie et soyez humbles, vous n’avez pas été élu au suffrage universel direct », lui lance ainsi Oussahamza. « Dire que #Marzouki n’a pas été élu par le peuple est une contrevérité même aux USA le président est désigné par les grands électeurs », lui rétorque Ecritsanonymes.
 
D’autant que le résultat précis du vote suscite également de nombreux commentaires. Alors que le parti de Marzouki possède 29 sièges sur les 217 de l’Assemblée constituante, il a récolté 153 voix pour, 3 contre, 2 abstentions et 44 votes blancs, grâce à un accord de principe signé avec le mouvement islamique Ennahda et Ettakatol, parti de Mustapha Ben Jaâfa. Car, très tôt, Moncef Marzouki a pactisé avec le mouvement islamique. Déjà dans les années 2000, alors que le CPR (Congrès pour la République) venait de voir le jour, il accueillait les militants opprimés par le régime de Ben Ali.
 
 
« Tu n’as aucun pouvoir »
 
 
Mercredi 14 décembre, il devrait nommer Hamadi Jebali, secrétaire général du mouvement islamique Ennahda, à la tête du gouvernement. Et comme pour draguer cet électorat, lors de son discours d’investiture le 13 décembre, ce neurologue a abordé la question du niqab qui divise le pays, avant celle de l’emploi, à l’origine du mouvement de contestation qui a entraîné le départ de Ben Ali le 14 janvier. « A-t-il vraiment dit qu’il fallait défendre les Nikabés ? Avant même de parler des chômeurs, l’ordre ne vous choque pas ? » s’insurge Mal_A_Mon_Pays.
 
Face à un super-Premier ministre, qui concentre la majorité des pouvoirs, celui qui a troqué son épaisse monture marron pour une paire de lunettes plus fines se contentera du commandement de l’armée, du droit de grâce, ou encore de la promulgation des lois. Il conduira également les relations internationales, lui qui est plus connu pour son franc-parler que pour sa diplomatie. « J’aime tes discours et j’attends tes actions… ah désolé, j’ai oublié que tu n’as aucun pouvoir à part celui de bien parler! », s’esclaffe alors FahmiKRID.
 
 
Les pays occidentaux vont devoir composer avec un président qui leur a longtemps reproché leur passivité face aux dictatures arabes. Une stratégie qui s’est avérée payante pour cet homme qui a toujours convoité le pouvoir. Celui qui avait annoncé dès son retour en Tunisie, le 18 janvier, qu’il briguerait le poste de président, va maintenant prendre ses quartiers au palais de Carthage.
 
(Source:Le Point.fr- Publié le 13/12/2011 à 21:05 – Modifié le 13/12/2011 à 21:19)
 

Tunisie: Marzouki à Carthage un an après la révolution qui chassa Ben Ali


TUNIS – Le nouveau président tunisien Moncef Marzouki a pris ses quartiers mardi au palais présidentiel de Carthage, près d’un an jour pour jour après le début de la révolution qui chassa Zine Abidine Ben Ali du pouvoir.
La prise de fonction de M. Marzouki ouvre la voie à la formation du gouvernement d’Hamadi Jebali, le numéro deux du parti islamiste Ennahda, qu’il nommera officiellement mercredi.
Avant de s’installer à Carthage, symbole du pouvoir présidentiel, Moncef Marzouki, 66 ans, a prêté serment devant l’Assemblée constituante qui l’avait élu la veille pour un an.
L’ancien opposant de gauche et défenseur des droits de l’Homme, vêtu d’un burnous traditionnel recouvrant une veste bleue et une chemise blanche, s’est engagé, la main sur le Coran, à être le « garant des intérêts nationaux, de l’Etat de loi et des institutions ».
« Je serai fidèle aux martyrs et aux objectifs de la Révolution », a déclaré, fier et solennel, M. Marzouki qui accède à la présidence après des années d’engagement militant et de combat contre l’ancien régime.
Il a promis d’être le « président de tous les Tunisiens » et de « n’épargner aucun effort » pour améliorer la vie de ses compatriotes.
Il s’est engagé à garantir « le droit à la santé, le droit à l’éducation, le droit des femmes, de protéger le droit des travailleurs, créer des emplois et promouvoir l’investissement ».
« Notre mission est de promouvoir notre identité arabo-musulmane et d’être ouverts à l’étranger; de protéger les voilées et les filles en niqab comme les non voilées », a-t-il poursuivi, alors que l’arrivée au pouvoir des islamistes d’Ennahda a suscité des craintes chez les « modernistes ».
M. Marzouki, très ému, a ensuite rendu hommage aux « martyrs de la Révolution » qui a chassé le président Ben Ali.
« Sans leur sacrifice, je ne serais pas là à cet endroit », a-t-il dit les larmes aux yeux, avant de « prier aussi pour les peuples syrien et yéménite ».
« Le principal défi est de réaliser les objectifs de la révolution. D’autres nations nous regardent comme un laboratoire de la démocratie », a-t-il ajouté.
Il a également lancé un appel à l’opposition pour « qu’elle participe à la vie politique du pays et ne se contente pas d’un rôle d’observateur ».
M. Marzouki a été élu par l’Assemblée constituante issue du scrutin du 23 octobre, mais l’opposition a voté blanc mardi, estimant que la fonction présidentielle avait été dépouillée de tout pouvoir au profit du Premier ministre.
A l’issue de sa prestation de serment, le nouveau président a déclaré à la presse qu’Hamadi Jebali serait « chargé demain (mercredi) du poste de chef de gouvernement ».
Il s’est ensuite rendu à Carthage, où il s’est entretenu à huis clos pendant un peu plus d’une heure avec le président sortant, Fouad Mebazaa.
M. Mebazaa, 78 ans, avait pris la tête du pays juste après la chute de Ben Ali le 14 janvier, et a annoncé récemment son retrait définitif de la vie politique.
Selon une source de la présidence, les concertations politiques devraient commencer mardi après-midi pour mettre la dernière main au gouvernement.
La plupart des postes régaliens ont été attribués aux islamistes d’Ennahda. Des membres des deux partis de gauche partenaires d’Ennahda, le Congrès pour la République (CPR) et Ettakatol, devraient obtenir plusieurs portefeuilles, ainsi que des indépendants, selon des sources politiques.
Le nouvel exécutif tunisien s’installe près d’un an jour pour jour après le début du soulèvement tunisien, déclenché le 17 décembre 2010 par l’immolation d’un jeune vendeur ambulant de Sidi Bouzid, une ville déshéritée du centre de la Tunisie.
Il prend ses fonctions dans un contexte social et économique tendu en Tunisie, où la croissance devrait être nulle et le taux de chômage dépasser les 18% en 2011.
(Source: L`Express.fr le 13 decembre 2011)

Tunisie : Marzouki, de l’intransigeance à la réconciliation


 
Thierry Brésillon Journaliste
Publié le 13/12/2011 à 12h17
Le moment est historique et constitue, après les élections du 23 octobre, une rupture supplémentaire avec le régime de Ben Ali : l’homme qui, à 66 ans, vient d’être élu, lundi, à la présidence de la République tunisienne par l’Assemblée constituante tunisienne avec 153 voix sur 217, a été l’un des opposants les plus constants au régime déchu le 14 janvier. L’élection de Moncef Marzouki consacre une trajectoire personnelle qui détermine les trois traits distinctifs de son positionnement politique :  

  • le refus de toute compromission avec régime de Ben Ali ;
  • un militantisme déterminé en faveur des droits de l’homme ;
  • le refus d’ostraciser les islamistes.

Né d’un père opposant yousséfiste (traditionnaliste) à Bourguiba, mort en exil au Maroc, il a vécu son enfance dans une ville du sud, Douz. Il n’est issu d’aucun establishment, ni des villes de la côte d’où vient une partie de l’élite économique et politique tunisienne, comme ses deux prédécesseurs, ni de l’appareil sécuritaire. Médecin neurologue, formé en France dans les années 1970, il s’est engagé dès 1980 au sein de la Ligue tunisienne des droits de l’homme (LTDH) dont il a été le président en 1989 jusqu’à sa dissolution en 1992, alors que le pouvoir veut réformer le statut des associations afin d’y placer ses partisans. C’est l’époque où la répression des islamistes est à son paroxysme, avec l’accord implicite d’une partie de la gauche. Opposé à toute forme de coopération avec le pouvoir, il rompt avec la LTDH reformée en 1994 et contribue à la formation, en 1998, du Conseil national des libertés en Tunisie (CNLT). Il a été membre de la section tunisienne d’Amnesty International et de l’Organisation arabe des droits de l’homme.  

Une plateforme démocratique avec Ennahda

En 1994, il avait tenté de participer à l’élection présidentielle, avant d’être brièvement emprisonné. Puis en 2001, il forme le Congrès pour la République (le CPR), sur une plateforme démocratique, auquel se rallient quelques militants islamistes, à un moment où le mouvement Ennahda bénéficie d’un très relatif allègement de la répression. Exilé en France à partir de 2001, il est le maître d’œuvre, en juin 2003, d »une déclaration commune de l’opposition au régime, en collaboration avec Ennahda. Deux ans plus tard, les deux partis se retrouveront de nouveau côte à côte dans le mouvement du 18 octobre 2005, avec le PDP et Ettakatol.  

Discours antisystème

Son retour d’exil, dès le 18 janvier, ne soulève pas les foules, et s’il envisage dès ce moment la perspective d’une candidature à l’élection présidentielle, il ne sait pas encore que le chemin devra passer par l’élection d’une Assemblée constituante pour laquelle son parti ne semble pas en très bonne posture. Pendant des mois, son service média n’a qu’une maigre revue de presse à se mettre sous la dent. C’est pourtant le CPR, en dehors d’Ennahda (qui rassemble autour du référent religieux), qui aura le mieux capitalisé sur les aspirations révolutionnaires, notamment auprès des jeunes, séduits par son discours antisystème, sa clarté dans la volonté de rupture avec la dictature et la corruption, sa réaffirmation d’une identité arabo-musulmane militante face à la domination occidentale et sa capacité à utiliser les nouveaux médias sociaux. Classé deuxième en sièges à l’Assemblée constituante avec trente élus, le CPR a été en position de force pour obtenir la présidence de la République en échange de sa participation au gouvernement d’union nationale aux côtés d’Ennahda, alors que Mustapha Ben Jaafar (Ettakatol), aux manières plus souples que le leader du CPR, était pressenti pour le poste.  

Climat pesant

L’événement, tout historique qu’il soit, est pourtant accueilli sans enthousiasme, dans un climat assez pesant. D’abord parce que lla situation sociale, bientôt un an après le suicide de Mohamed Bouazizi, n’offre guère davantage de perspectives aux jeunes chômeurs et que la croissance économique nulle plombe la reprise économique et le moral des ménages. Le bassin minier de Gafsa est paralysé par des manifestations de chômeurs, des infrastructures comme le port de Gabès sont bloquées par des sit-in et l’UGTT, la puissante centrale syndicale, à quelques jours de son congrès, semble vouloir marquer son opposition à l’accession au pouvoir d’Ennahda, et montrer sa capacité de nuisance, alors que les dossiers de corruption de ses dirigeants pourraient arriver bientôt entre les mains de la Justice.  

Marchandages politiques

C’est dans ce contexte que l’élection de Moncef Marzouki est intervenue, au terme d’un très long processus de tractations politiques entre les trois partis de ce qu’il est désormais convenu d’appeler la troïka :  

  • Ennahdha,
  • le CPR,
  • Ettakatol (social-démocrate).

Après deux semaines de négociations informelles entre les partis à partir du 8 novembre, puis deux semaines de travail en commission à l’Assemblée, il aura encore fallu encore une semaine de débat pour voter, samedi soir, l’organisation provisoire des pouvoirs qui tiendra lieu de constitution jusqu’à l’élaboration de la Constitution définitive, et procéder finalement à l’élection du président de la République. Probablement inévitable, ce long accouchement est aussi le résultat de la volonté de ne négliger aucune étape de la refondation politique de la Tunisie. Mais il a offert le spectacle de marchandages politiques où les attributions respectives des différentes autorités se négociaient contre des places au gouvernement.  

Une présidence faible

La première version du texte qui a fuité dans la presse le 26 novembre a déclenché un véritable tollé tant il concentrait les pouvoirs entre les mains du Premier ministre, poste qui devrait échoir à Hamadi Jbali, secrétaire général d’Ennahda. Les jeunes militants du CPR ont pris leurs élus à partie. Non seulement les ministères de la Justice et l’Intérieur vont probablement échapper au CPR, mais la présidence promise à Moncef Marzouki était dépourvue de pouvoir réel, en particulier de l’autorité directe sur le ministère de l’Intérieur qu’il exigeait. En dehors des attributions classiques d’un chef d’Etat (chef suprême des armées, promulgation des lois…) et de la nommination du Mufti de la République, il n’a aucun contrôle sur l’action du gouvernement. Seules modifications obtenues lors des débats, le président de la République « fixera en concertation et en compromis avec le chef du gouvernement les contours de la politique étrangère du pays », il décidera de la même manière des nominations militaires et diplomatiques de hauts rangs. Le CPR a également obtenu qu’Ennahda et Ettakatol reviennent sur l’engagement de limiter le durée de la Constituante à un an et le mandat de la Constituante, et donc celui du chef de l’Etat, est désormais indéterminé et prendra fin une fois la nouvelle Constitution adoptée.  

« Fakham » Ghannouchi

L’activisme international de Rached Ghannouchi, auquel certains présentateurs télévisés donnent du « Fakham » (Excellence) depuis le 23 octobre, alors qu’il n’est que le président du parti Ennahda et ne dispose d’aucune fonction officielle, laisse sceptique sur la consistance du rôle du nouveau chef de l’Etat en matière diplomatique. Le leader islamiste s’est notamment rendu aux Etats-Unis début décembre à l’invitation du magazine Foreign Policy. Au cours de ce voyage, il a en particulier donné des assurances à des représentants d’organisations pro-israéliennes que la Tunisie n’inscrirait pas dans sa Constitution l’interdiction de la normalisation des relations avec Israël, alors que son parti avait milité pour que cette disposition soit inscrite dans le pacte républicain adopté par la Haute instance début juillet.  

La division de la gauche

Autre motif de morosité, la participation du CPR (et d’Ettakatol) à un gouvernement avec les islamistes consacre la division de la gauche. Le clivage semble désormais profond entre la ligne défendue par le CPR d’une coopération politique avec les islamistes, et la gauche « moderniste » qui n’a de cesse de dénoncer la trahison de partis qui ont « vendu leur âme pour des portefeuilles ministériels », au risque de cautionner l’instauration d’une « nouvelle dictature islamiste ». Moncef Marzouki cristallise sur sa personne toute la révulsion qu’inspire à la gauche laïque l’idée de coopérer avec Ennahda. Lors de la conférence de presse qu’il avait donnée le 26 octobre, le leader du CPR a pourtant assuré qu’il serait « le garant des libertés et des valeurs universelles ».  

L’homme de la troisième voie ?

Dans un l’entretien qu’il avait accordé à Rue89 le 15 février dernier, Moncef Marzouki défendait :  

« J’ai toujours considéré qu’on […] qu’on instrumentalisait cette peur de l’islamisme. Le régime justifiait la dictature par la peur de l’islamisme, et l’Occident justifiait son soutien à la dictature par la même peur. C’était un fantasme. En Tunisie, nous avons la chance d’avoir un islamisme modéré […]. »  

Et s’il se situait alors dans la gauche « démocratique et laïque », il avait, dans un ouvrage publié en 2005 (« Le Mal arabe – Entre dictatures et intégrismes : la démocratie interdite », 2005, L’Harmattan) marqué sa distance avec la notion de laïcité en ces termes :  

« A la question “Comment peut-on être laïque en terre d’islam ? ”, la réponse est qu’on ne peut pas l’être ou à la façon d’un corps étranger dans un organisme. La bonne question est plutôt : “Comment défendre en terre d’islam, non la forme, mais l’essence des valeurs défendues en France sous la bannière de la laïcité à savoir l’égalité, la liberté et la fraternité ? ” Or ces valeurs peuvent et doivent être défendues face à la montée des intégrismes sous la bannière de la démocratie, qui a le double mérite d’être plus universelle et moins chargée de connotations anti-religieuses. Toute tentative de mélanger les genres et d’assimiler la démocratie à la laïcité ne servira qu’à affaiblir le projet démocratique arabe au seul profit de l’intégrisme. »  

Désormais au sommet de l’Etat arabe le mieux engagé dans la transition démocratique, Moncef Marzouki pourra-t-il être l’agent de cette troisième voie démocratique entre dictature islamiste et régime autoritaire ? Lui qui fut l’homme de l’opposition intransigeante à Ben Ali, devra être à la fois l’homme de la rupture et de la réconciliation des Tunisiens avec leur double héritage, islamique et moderne. (Source: Rue89 le 13 decembre 2011) Lien: http://blogs.rue89.com/tunisie-libre/2011/12/13/tunisie-marzouki-de-lintransigeance-la-reconciliation-225998  


Il faut parier sur la Tunisie


 
Créé le 13-12-2011 à 17h11 – Mis à jour à 19h38
 
De nombreux correspondants, qui me prêtent une familiarité avec la question du Proche, du Moyen orient et du Maghreb, me demandent s’il est raisonnable d’espérer que l’hiver islamiste n’effacera pas, au moins en Tunisie, le printemps arabe. Je réponds sans hésiter que cet espoir est absolument fondé et que nous autres commentateurs, décrypteurs ou simplement amis de la Tunisie, nous avons le devoir de faire le même pari que le nouveau président de la République tunisienne, Moncef Marzouki. Ce pari consiste à penser que les laïques, les modernistes, les démocrates non-islamistes se sont donnés les moyens pour endiguer les dérives éventuelles du parti majoritaire Ennahda, qui va être représenté au gouvernement par le Premier ministre Hamadi Jebali.
 
On a cru un peu tôt, et de manière méprisante et ingrate, que le peuple qui a fait la révolution baissait les bras et rendait les armes devant les caprices de tel ou tel leader, d’ailleurs souvent officieux, d’un islamisme un peu moins modéré qu’il n’est convenu. C’était sous-estimer la capacité de réaction de ceux que j’appelle ici, par commodité de langage, l’ensemble des modernistes, bien que ce mot demeure assez vague. Les manifestations qui ont eu lieu et qui ont rassemblé au moins autant de citoyens laïcs opposés à la toute-puissance de la charia, ces manifestations montrent bien qu’il sera difficile de mettre à genou la moitié de la population tunisienne.
 
Une grande différence
 
Voici pour les capacités de résistance. Maintenant il est honnête d’évoquer les nouvelles orientations des islamistes. Certains d’entre eux m’ont écrit, pour me demander de quel droit je pouvais admettre qu’il y ait des partis chrétiens démocrates en Europe et pourquoi il ne pourrait pas y avoir des islamistes démocrates, et même laïcs, en Tunisie. Ma première réaction est de remarquer et d’observer qu’il y a une grande différence.
 
Les démocrates-chrétiens se disent chrétiens, ils ne se disent pas intégristes. Logiquement, pour que la comparaison de mes correspondants soit juste, il faudrait qu’Ennahda renonce au qualificatif d' »islamistes » et choisisse de s’appeler « musulmans démocrates ». Je ne crois pas que cette remarque ait déjà été faite.
 
Des formules engageantes
 
Mais je dois honnêtement dire que certains propos de monsieur Gannouchi m’ont paru non seulement habiles, ce qui ne serait pas rassurant, mais convaincants. Lorsqu’il assure que la Tunisie actuelle, dans l’état où elle se trouve, a autre chose à faire que de savoir comment les Tunisiens veulent boire ou manger, comment les femmes veulent se vêtir et comment on observe la religion ; lorsqu’il assure, en pensant aux salafistes, qu’il se méfie de ceux qui prétendent parler au nom de Dieu, de l’histoire ou du peuple, je trouve que Rachid Gannouchi a choisi des formules importantes et engageantes.
 
En tout cas, il n’y a rien à faire d’autre que de participer au redressement économique, social et politique de ce pays, puisque la vigilance est assurée par tous les modernistes. Oui, le printemps n’est pas encore terminé, et la révolution n’est pas morte.
 
Jean Daniel – Le Nouvel Observateur
 
(Source: Le Nouvel Observateur le 13 decembre 2011)
 
 

Hamadi Jebali, un homme de foi aux commandes de la Tunisie


Dès qu’il sera nommé par le président, le secrétaire général du parti islamiste Ennahda devra former un gouvernement de coalition jusqu’aux prochaines élections.

Il cultive une image de modéré.

Des nouveaux responsables tunisiens, il est celui dont le passage de l’ombre à la lumière est le plus éclatant. Hamadi Jebali, 62 ans, secrétaire général du parti islamiste Ennahda, illégal sous le régime de Zine El Abidine Ben Ali, devait être nommé premier ministre par Moncef Marzouki, le nouveau président de la République. Les jeux étaient faits depuis l’accord sur le partage du pouvoir conclu après les élections de l’Assemblée constituante, le 23 octobre, entre Ennahda (89 sièges), le Congrès pour la République (gauche nationaliste, 29 sièges) et Ettakatol (gauche, 20 sièges). Hamadi Jebali doit désormais former un gouvernement de coalition.  

La Tunisie doit « trouver sa propre voie »

Petite barbe blanche, lunettes teintées, calme olympien et sourire sur commande, le numéro deux d’Ennahda cultive une image de modéré que ternit à peine sa largetabaa, cette marque des prosternations qu’ont au front les musulmans pieux. Il revendique la proximité de son mouvement avec l’AKP, le parti islamo-conservateur au pouvoir en Turquie, tout en affirmant que la Tunisie doit « trouver sa propre voie » vers un État « civil et démocratique ». « Hamadi Jebali est incontournable, estime le politologue Slaheddine Jourchi, spécialiste des réseaux islamistes. Au sein d’Ennahda, il est l’un des rares à avoir la carrure. » Piètre orateur, il n’a pas le charisme du chef historique, Rached Ghannouchi, qui a décliné toute responsabilité nationale à son retour d’exil, en janvier dernier. Mais il a sa confiance : ils se connaissent depuis la fin des années 1970, après les études d’ingénieur en France de Hamadi Jebali. En 1981, il participe à la création du Mouvement de la tendance islamique, ancêtre du parti Ennahda (« renaissance », en arabe). À la suite de l’arrestation de Rached Ghannouchi, la même année, il dirige la confrontation avec le régime Bourguiba. « Sous son influence, le mouvement, qui prônait avant tout l’islamisation de la société, est devenu plus politique », se souvient Ajmi Lourimi.  

L’application de la charia n’est « pas à l’ordre du jour »

En 1991, il est condamné à un an de prison pour « diffamation », à la suite de la publication d’un article sur les tribunaux militaires dans le journal du parti. Il est jugé une nouvelle fois l’année suivante, dans le cadre de la vague de répression anti-islamiste lancée par Ben Ali. Il écope de seize ans de prison, dont dix à l’isolement, pour « appartenance à une organisation illégale » et « complot visant à changer la nature de l’État ». Soumaya, l’aînée de ses trois filles, se souvient des visites au parloir, sous l’œil indiscret des gardes, et de « la première rencontre directe » à la prison. Elle avait une vingtaine d’années et n’avait pas embrassé son père depuis douze ans. « Il était très présent, assure-t-elle pourtant.Il nous a appris que la liberté est celle de l’esprit et non du corps. » Hamadi Jebali est finalement gracié en février 2006. « La prison l’a rendu plus sûr de lui », dit sa fille. Dépourvu de toute expérience du pouvoir, Hamadi Jebali saura-t-il mener la délicate phase de transition ? « C’est un négociateur, assure Slaheddine Jourchi.Il sait qu’il doit composer », alors que de nouvelles élections doivent avoir lieu à l’issue des travaux de la Constituante. Le politologue souligne qu’il joue déjà un rôle de « réconciliation au sein d’Ennahda », tiraillé entre plusieurs courants plus ou moins conservateurs. Ce grand écart entre les « nahdaouis » (membres d’Ennahda) les plus radicaux et de nouveaux partenaires de gauche explique peut-être ses déclarations ambiguës. Le 13 novembre, lors d’un meeting à Sousse, il comparait la transition en Tunisie au « sixième califat ». « Des propos mal interprétés, assure Ajmi Lourimi, membre du bureau exécutif d’Ennahda. Il faisait référence aux valeurs de justice et d’équité en vigueur à cette époque. » Mais nombre de Tunisiens y ont décelé la nostalgie d’un État fondé sur la loi islamique. En février dernier, Hamadi Jebali déclarait adhérer à « l’esprit de la charia », tout en affirmant que son application en Tunisie n’était « pas à l’ordre du jour ».  

 
CAMILLE LE TALLEC, à Tunis
 
(Source: “la Croix” le 13 decembre 2011)

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