Des dizaines de prisonniers d’opinion en grève de la faim
Tunisie : Les portes se referment et montrent l’intolérance à la dissidence
Un ancien prisonnier politique est réincarcéré après avoir accordé des interviews à des médias
« Après avoir passé presque vingt ans en prison pour des charges douteuses, Chorou se retrouve de nouveau derrière les barreaux pour avoir exprimé ses opinions politiques dans les médias » a déclaré Sarah Leah Whitson, directrice exécutive de la division Moyen Orient et Afrique du Nord au sein de Human Rights Watch pour. « De quoi les autorités tunisiennes ont-elles peur ? »
Le 5 novembre 2008, le Président tunisien Zine el-Abidine Ben Ali a ordonné la libération des 21 membres du mouvement islamiste interdit Ennahda encore détenus, dont Chorou. Il semble que tous les prisonniers libérés ne bénéficient que d’une « libération conditionnelle », ce qui signifie qu’ils peuvent être réincarcérés sans procès pour purger la fin de leur peine, et ce pour des motifs non précisés.
Des centaines de membres d’Ennahda, dont Chorou, ont été emprisonnés après avoir été condamnés pour délits d’ordre politique lors de procès inéquitables tenus au début des années 1990.
Le 3 décembre 2008, la police a de nouveau arrêté Chorou. Ce professeur de chimie de 61 ans a accordé des interviews sur ses années d’emprisonnement et sur la situation politique en Tunisie à deux médias panarabes, le site Internet IslamOnline.net le 8 novembre et la chaîne de télévision Al-Hiwar, basée à Londres, le 1er décembre. Au cours de ces interviews, il a pressé les autorités tunisiennes de mettre fin à l’interdiction qui pèse sur le mouvement Ennahda depuis 17 ans.
Lors d’un procès d’une journée à Tunis le 13 décembre, le juge a décrété que ces interviews ont violé la loi sur les associations qui interdit le « maintien d’association non reconnue » (art.30), en l’occurrence le mouvement Ennahda, et a condamné Chorou à un an de prison. Lors du procès, Chorou a tenté d’expliquer qu’il s’exprimait en tant qu’individu et non au nom de l’association.
Chorou était le président d’Ennahda lorsque les autorités s’en sont pris au mouvement au début des années 1990, arrêtant des centaines de membres et engageant devant un tribunal militaire en 1992 des poursuites qui ont mené aux condamnations de 265 d’entre eux, dont Chorou ; ils ont été reconnus coupables de complot visant à renverser le gouvernement et instaurer une république islamique. Selon les organisations de défense des droits humains qui ont assisté au procès, dont Human Rights Watch, les procédures employées ont été inéquitables et entachées d’irrégularités.
Chorou est aujourd’hui incarcéré à la prison de Nador, la cour ayant refusé les demandes de la défense de liberté provisoire. Lorsqu’il a été libéré sous condition en novembre 2008, Chorou purgeait une peine de 30 ans, sa peine de prison à vie prononcée en 1992 par la cour militaire ayant été réduite. Il vit à Mornag, près de Tunis.
Peu de temps après que Ben Ali devienne président en 1987, Ennahda a cherché à être légalement reconnu comme parti politique. Les autorités ont refusé la demande mais ont toléré le parti pour une courte période avant de se lancer dans la répression du mouvement en 1990 avant de l’interdire l’année suivante.
La direction en exil d’Ennahda a systématiquement condamné la violence et s’est engagé à n’utiliser que des moyens démocratiques et non-violents pour mettre en place un Etat islamique démocratique et tolérant. Elle dément catégoriquement le complot de coup d’Etat pour lequel ses leaders ont été condamnés en 1992. Le gouvernement affirme cependant qu’ Ennahda est un groupe extrémiste prêt à recourir à la violence pour instaurer une théocratie répressive.
Le droit organique tunisien sur les partis politiques interdit (dans son art.3) les partis dont « les principes, activités et programmes sont fondamentalement basés sur unereligion ». Or une telle répression envers les associations viole les obligations de la Tunisie de garantir le droit à la libre association, en tant qu’Etat partie au Pacte international relatif aux droits civils et politiques et ne répondant à aucun des critères d’exception prévu par le droit international.
Le gouvernement tunisien n’a jamais justifié de façon convaincante l’interdiction imposée à Ennahda, qui a publiquement renoncé à l’usage de la violence depuis au moins le début des années 1990. Les tribunaux ont emprisonné des centaines de Tunisiens depuis les années 1990 sur la seule faute d’appartenir à Ennahda, ou de « maintenir » cette association. La loi utilisée pour poursuivre Chorou prévoit que « toute personne qui participe directement ou indirectement au maintien ou à la reconstitution des associations reconnues inexistantes ou dissoutes sera punie d’un an à cinq ans de prison et d’une amende de mille à dix mille dinars, ou l’une des deux peines.»
Dans son interview avec IslamOnline.net (en arabe sur le site http://www.islamonline.net/servlet/Satellite?c=ArticleA_C&cid=1225698001718&pagename=Zone-Arabic-Daawa%2FDWALayout), Chorou avait déclaré :
« La libération conditionnelle par le président Ben Ali des prisonniers de Ennahda en novembre est une étape vers l’amélioration des relations entre Ennahda et l’Etat. Nous espérons que cela aboutira à la reconnaissance pour le mouvement du droit d’agir politiquement dans un cadre légal… Maintenant que les derniers leaders de Ennahda ont été libérés, nous espérons que le mouvement va recouvrer ses forces passées . Pour cela, nous devons surmonter les obstacles devant nous et commencer à reconstruire, en espérant pouvoir restaurer le soutien populaire dont nous bénéficions jadis… Toute initiative de réconciliation se base sur l’effectivité et la sincérité d’une telle ouverture par l’Etat… Cependant je ne pense pas que les demandes politiques du mouvement, qui peuvent se résumer à être autorisé pour pratiquer ouvertement le jeu des partis politiques dans le but de réformes et de changement, soient ouvertes à la négociation ou à l’abandon. Pendant mon temps en prison, Ennahda a décidé que le but de son travail politique serait d’atteindre une réconciliation nationale complète qui inclurait toute la population, pour restaurer l’équilibre politique et empêcher que seul un parti décide du sort du pays de manière monopolistique. »
« Sadok Chorou est derrière les barreaux à cause d’une loi injuste criminalisant l’adhésion à des associations, appliquée de manière injuste par le gouvernement tunisien pour écraser toute voix dissidente » a déclaré Sarah Leah Whitson. « Les procureurs doivent abandonner leurs poursuites à son encontre et lui rendre sa liberté. »
(Source: « Human Rights Watch » Le 13 mars 2009)
Des journalistes empêchés d’assister à une table ronde organisée par Amnesty International à Tunis
12.03.09
Plusieurs journalistes ont été interdits par la police d’assister à une table ronde organisée par Amnesty International ce 11 mars 2009, à l’occasion de la sortie du rapport de l’organisation sur les droits de l’homme au Moyen-Orient et en Afrique du Nord.
Une vingtaine de journalistes et de défenseurs des droits de l’homme étaient invités à cet événement pour échanger sur la situation des défenseurs des droits de l’homme en Tunisie. Or seule la moitié des invités a pu entrer dans les locaux de l’ONG, rue Oum Kalsoum à Tunis. « Une vingtaine de policiers en civil nous ont empêchés d’entrer », raconte Lotfi Hajji, correspondant de la chaîne Al Jazeera à Tunis. D’autres journalistes, tels que Mahmoud el-Zawadi, organisateur de cette table ronde, Lotfi Hidouri et Slim Boukhdir, ont été interdits de participer à cette rencontre, tout comme deux autres défenseurs des droits de l’homme.
A la suite de ces incidents, Amnesty International a décidé d’annuler l’événement.
(Source : le site de RSF, le 12 mars 2009)
Les Ennemis d’Internet
Le 12 mars 2009, Reporters sans frontières publie un rapport intitulé “Les Ennemis d’Internet”, dans lequel l’organisation fait état de lacensure d’Internet dans vingt-deux pays.
“Les douze “Ennemis d’Internet” (Arabie Saoudite, Birmanie, Chine, Corée du Nord, Cuba, Egypte, Iran, Ouzbékistan, Syrie, Tunisie, Turkménistan, Viêt-nam) ont tous transformé leur réseau en intranet, empêchant les internautes d’accéder aux informations jugées “indésirables”. Tous ces pays s’illustrent non seulement par leur capacité à censurer l’information en ligne, mais encore par la répression quasi systématique des internautes gênants”, a déclaré l’organisation… Voici la Partie consacrée à la Tunisie :
Nom de domaine : .tn. Population : 10 383 577. Internautes : 2 800 000. Prix moyen d’une heure de connexion dans un cybercafé : entre 50 cts et 1 euro. Salaire mensuel moyen : 310 euros. Nombre de fournisseurs d’accès privés : 5. Nombre de fournisseurs d’accès publics : 7. Nombre de blogueurs emprisonnés : 0.
En 2008, Internet a été la cible de nombreuses attaques, empêchant toute critique envers le régime empêchant la diffusion à grande échelle de toute critique. Ironie du sort, c’est le secteur des télécommunications qui est l’un des moteurs de l’économie tunisienne.
S’il existe aujourd’hui dans le pays près d’une douzaine de fournisseurs d’accès à Internet, l’opérateur Planet.tn, propriété de l’une des filles du président Ben Ali, continue de détenir la plus grosse part de marché. La politique du président Zine el-Abidine Ben Ali est toujours très stricte en matière de filtrage du Net et l’autocensure semble être la règle parmi les blogueurs de la Toile tunisienne. Instance publique de régulation, l’Agence tunisienne d’Internet (ATI), loue la bande passante aux fournisseurs d’accès du pays.
Un arsenal de consignes s’ajoute au filtrage systématique des sites d’opposition. Les cybercafés sont surveillés. Selon la loi tunisienne, leurs gérants sont responsables des activités de leurs clients et il est souvent nécessaire de présenter une pièce d’identité pour se connecter dans un café.
Il n’est pas rare non plus que leurs propriétaires demandent de ne pas naviguer sur certains sites jugés “subversifs”. Une consigne le rappelle d’ailleurs clairement sur les murs de certains cybercafés.
Le filtrage des sites Internet est une pratique répandue face à la popularité du cyberespace auprès des Tunisiens. Les 281 “Publinets” – accès publics à Internet – sont les lieux privilégiés des 18-25 ans. Les sites les plus connus en matière de défense de droits de l’homme, ainsi que les principaux proxies comme Anonymizer (http://www.anonymizer.com/) et Guardster (http://www.guardster.com/), sont inaccessibles.
Le filtrage est une pratique courante, à laquelle sont régulièrement confrontés les blogueurs tunisiens, qui ont d’ailleurs organisé la “journée contre la censure des blogs”, le 4 novembre 2008. Car le pays de Zine el-Abidine Ben Ali est l’un des plus liberticides en ce qui concerne Internet.
Les sites communautaires de partage et d’échange de données en ligne tels que Dailymotion, YouTube ou Facebook sont régulièrement bloqués en raison de la publication de contenus critiquant la politique du Président. Les e-mails de certains défenseurs des droits de l’homme sont également filtrés.
Un succès qui a son revers
La Tunisie est l’un des pays les plus connectés en Afrique du Nord. Le succès de la Toile facilite l’accès à l’information. Mais certains sites sont la cible d’attaques informatiques. Le 10 avril 2008, des vidéos publiées sur le Web ont permis de mesurer la gravité de la situation dans le bassin minier de Gafsa (sud du pays) suite à la répression exercée par les autorités lors d’une manifestation dans les villes de Redeyef et Aïn Moulares. Ces vidéos constituaient les rares sources d’information sur cet événement. Le 11 juin 2008, les blogs samsoum-us (http://samsoum-us.blogspot.com/2008/06/2eme-mortvirtuelle…), romdhane (http://romdhane.maktoobblog.com) et RoufRouf (http://roufrouf.blogspot.com) ont été rendus inaccessibles suite à leur traitement de ces manifestations. Des affrontements entre l’armée et des ouvriers qui dénonçaient le chômage et le coût de la vie avaient entrainé la mort par balles d’un manifestant.
En deux ans, le site d’information Tunisnews (https://www.tunisnews.net) a fait deux fois l’objet d’attaques informatiques et sa liste de diffusion des articles a été détruite en 2003 et 2006. Si la rédaction ignore qui est à l’origine de ces attaques, elle observe que celles-ci coïncident avec la publication d’articles crit-quant le régime de Zine el Abidine Ben Ali.
En 2008, plus d’une dizaine de sites contestataires ont été “hackés” et bloqués. En octobre 2008, le blog du journaliste tunisien Zied El-Heni http://journaliste-tunisien.blogspot.com a été bloqué suite à la publication du classement mondial de la liberté de la presse 2008 de Reporters sans frontières (http://journalistetunisien.blogspot.com/2008/10/rsf-class…), dans lequel la Tunisie figure au 143e rang sur 173. Il est cependant disponible à l’adresse suivante : http://journaliste-tunisien-2.blogspot.com/.
Le 16 juin 2008, le site d’information www.Nawaat.org a connu sa plus grave attaque informatique depuis sa création. Ses bases de données ont été effacées et sa page d’accueil modifiée. Les blogs des défenseurs des droits de l’homme Sami Ben Gharbia (http://www.kitab.nl/) et Astrubal (http://astrubal.nawaat.org/) ont également été touchés. Leurs blogs sont restés inaccessibles car leurs bases de données ont été partiellement détruites. Les sites ont été partiellement restaurés depuis.
Le site Internet du magazine Kalima (http://www.kalimatunisie.com/) est inaccessible depuis le 8 octobre 2008. Le 7 octobre, la rédaction avait publié un reportage sur des incidents violents qui se sont déroulés devant le palais de justice de Tunis, au cours desquels les forces de l’ordre ont frappé des détenus sous les yeux des magistrats. D’après la rédactrice en chef, cette attaque pourrait être un moyen de censurer cette information.
E-mails sous surveillance et connexions particulières
Tous les mois, les données personnelles des abonnés à Internet sont transmises à l’ATI, qui gère toute la messagerie électronique en Tunisie. Sur le plan légal, le code de la Poste de 1998 autorise l’interception du courrier électronique portant “atteinte à l’ordre public et à la sécurité nationale« .
Les connexions privées de certains journalistes et opposants sont coupées pour des « raisons techniques » ou alors, le débit est diminué afin d’augmenter le temps de téléchargement des pages Internet et de restreindre ainsi la consultation des sites. Ces procédés découragent petit à petit la blogosphère, qui ose moins critiquer la politique du gouvernement. Certains blogueurs abandonnent même. Mais d’après des experts en sécurité informatique, les connexions Internet seraient individualisées. Ainsi, deux internautes critiques envers le régime n’auront pas la même connexion ni le loisir de consulter les mêmes sites Internet. De plus, cette connexion ne serait pas spécifique à un poste informatique donné, mais à un compte individuel. De ce fait, la connexion d’un individu resterait la même chez lui et au bureau.
Il n’est pas donc aisé pour un défenseur des droits de l’homme de consulter sa messagerie électronique. Les e-mails provenant d’organismes de défense des droits de l’homme tels que l’Association internationale de soutien aux prisonniers politiques (AISPP), le site d’information Tunisnews ou de Reporters sans frontières sont souvent illisibles. D’après plusieurs sources, ces mails sont présents sur la boîte aux lettres électronique du destinataire, il est possible de les ouvrir, mais les messages sont vides et, une fois ouverts, ils disparaissent de la boîte. “Ça ressemble à un filtrage mal caché”, selon les avis de spécialistes de la question.
Plus d’informations :
http://www.kalimatunisie.com : site du journal en ligne Kalima, critique à l’égard du gouvernement. (français et arabe).
http://tn-blogs.com/ : agrégateur de blogs tunisiens (français et arabe).
http://tunisiawatch.rsfblog.org/ : « pour une Tunisie libre et démocratique », site censuré en Tunisie.
https://www.sesawe.net/ (anglais) : pour en savoir plus sur les “connexions individualisées”.
(Source : le blog « Tunisia Watch » d’après le rapport publié par RSF, le 12 mars 2009)
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