Tunisie. Droits de l’homme. Rencontre exclusive avec le journaliste Taoufik Ben Brick.
» Je suis un
gréviste errant »
Rencontré à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, Taoufik Ben Brick s’est livré sans calculs à l’Humanité. Il évoque les raisons de son combat, sa famille, ses amis, la solidarité qui s’est manifestée en sa faveur, et bien sûr la situation en Tunisie. Jeudi, il sera à Alger, où il compte poursuivre son action avant de retourner en Tunisie. Entretien.
Taoufik Ben Brick. Depuis votre arrivée en France, nombreux sont ceux qui s’étonnent que vous ayez décidé de poursuivre votre grève de la faim…
Vous pouvez me demander pourquoi je poursuis ma grève de la faim. C’est parce que je suis un gréviste errant (rire). Si on revient à ma première déclaration – » Je suis un arc » (1) -, ce n’était ni le fait de n’avoir pas de passeport ni le fait de revendiquer le droit d’écrire dans mon pays, le droit de circuler et le droit de communiquer avec le monde extérieur qui m’ont poussé à cette extrême limite. J’ai entamé ma grève de la faim pour que cesse le harcèlement policier contre ma famille et mes amis. Le pouvoir tunisien a pris ma famille en otage. Les autorités m’ont rendu mon passeport. Je réponds : avoir un passeport est un droit. Ce type-là (le président Ben Ali – NDLR ) m’a confisqué un droit, alors que tous les droits se valent : le droit à la vie comme le droit à la libre circulation et le droit à la parole. Si on vous mutile la langue et vous ne parlez plus, et qu’après il vous recoud la langue, peut-on dès lors affirmer qu’on vous a rendu la langue ?
D’accord, mais les autorités tunisiennes ont été contraintes de vous restituer le passeport…
Taoufik Ben Brick. Rectifions la vérité : ce n’est pas le passeport qu’elles m’ont restitué, mais le droit à la libre circulation. En Tunisie, n’importe quel citoyen peut disposer d’un passeport, mais beaucoup ne peuvent l’utiliser. L’avocate Radia Nasraoui a un passeport, mais quand elle a voulu récemment sortir de Tunisie, la police l’a empêchée d’embarquer sur un vol vers Paris vendredi dernier. Il y a mille et une personnes en Tunisie qui sont ainsi empêchées de sortir. Et que dit-on chez nous ? » Tu as le passeport, mais tu n’as pas le droit de circuler. »
Donc l’arbitraire se poursuit ?
Taoufik Ben Brick. Bien sûr. Je suis à Paris, c’est bien. Mais j’ai ma famille qui est en otage en Tunisie. J’ai mon frère en prison, Jallal, qui vient d’entamer une grève de la faim sauvage, qui est malade, qui a des hémorroïdes infectées, qui a une bronchite chronique et qui a le nez cassé du fait des brutalités policières qu’il a subies…
Donc, tant que votre frère est en prison, il n’est pas question que vous arrêtiez votre grève de la faim ?
Taoufik Ben Brick. Evidemment. Mais il faut savoir que tout le monde me dit d’arrêter. Il n’est pas question que j’arrête. Tout le monde doit le savoir. Cette grève est en moi-même. Il ne peut pas y avoir quelqu’un au monde, même mon frère Jallal, qui soit en droit de me demander de l’arrêter. Il est vrai que, s’il sort de prison, j’y mettrai fin parce que je suis éreinté. Mais je ne veux plus qu’on me demande d’arrêter. Je subis une avalanche d’appels : arrêtez ! arrêtez ! Accompagnés d’une série d’argumentations… Je n’en veux plus, vous comprenez…
De la part de qui ?
Taoufik Ben Brick. De ma famille, les gens avec qui je travaille, mes amis de Tunisie, d’Algérie, d’Egypte, de France. Alors ce qui m’agace c’est quand on me dit : » tu arrêtes parce que les médias vont se retourner contre toi « . Moi je réponds ceci : je n’en ai rien à fiche de ce que penseront les médias. D’abord je ne fais pas cette action pour les médias… D’autres me disent : » arrête parce qu’il y a des gens qui doutent de ta grève « . Le fait de proférer une telle insinuation jette le doute sur mon combat, et m’incite à poursuivre.
Mais autour de votre grève de la faim, tout un mouvement de solidarité s’est développé. Ne pensez-vous pas qu’il n’est plus votre combat à vous mais qu’il est partagé par beaucoup ?
Taoufik Ben Brick. Il est vrai que j’ai vu une solidarité sans précédent autour de mon cas. Mais de là à ce que ça dépasse ma personne, c’est me faire trop d’honneur…
Cette grève a quand même pris une dimension telle qu’elle a contraint le président Ben Ali à intervenir et à reprocher à la presse locale de ne pas l’avoir traitée ?
Taoufik Ben Brick. C’est vrai. J’en tire une petite satisfaction. J’ai eu Ben Ali (rires). C’était presque un face-à-face entre lui et moi. Moi, je suis livresque. Je lis beaucoup. Le personnage de Corléone dans le Parrain – je concède que ce n’est pas le bon exemple, mais c’est pour mieux me faire comprendre – explique à son conseiller irlandais qu’un Sicilien est quelqu’un qui peut aller jusqu’à la mort pour réparer un affront. La mafia est un mot d’origine arabe – el menfi -, qui veut dire exilé. Je suis arabe, et un Arabe peut aller à la mort pour réparer un affront. Et ce type-là (Ben Ali), il ne m’a pas fait un affront ou deux, il a terrorisé mes enfants quand ses hommes de main ont fracassé la voiture de ma femme alors qu’ils étaient à l’intérieur. Ils ont tabassé presque à mort ma sour et mon beau-frère parce qu’ils sont parents avec moi. Même ma mère est harcelée, suivie dans la rue, des policiers surveillent sa maison et n’arrêtent pas de lui demander où est son f!ils. Or ils savaient où j’étais. Ils la harcelaient uniquement pour la faire souffrir.
C’est de l’intimidation ?
Taoufik Ben Brick. C’est un comportement tribal, un comportement du passé. Lorsque je t’en veux, je vais blesser ton chameau, je vais aveugler ton bourricot, tuer ton agneau. Pourquoi a-t-il mis mon frère en taule ? En fait, il veut me faire du mal à travers ma famille. Il sait les liens très forts qui existent entre moi, mes frères et mes sours. Ce sont eux qui ont géré de A à Z ma grève de la faim, ce sont eux qui me soutiennent le plus. Ce sont eux qui m’ont dit de ne pas céder, d’écrire sur sa politique.
Mais depuis que vous êtes en France, avez-vous subi des pressions pour cesser votre grève de la faim pour ne pas nuire aux relations entre Paris et Tunis ?
Taoufik Ben Brick. J’ai entendu M. Hubert Védrine dire que j’ai été invité en France pour des raisons humanitaires et que je devrais pas continuer son combat à Paris. Suis-je invité pour me taire ? S’il y a quelqu’un qui m’a invité, c’est RSF (Reporters sans frontières). Si je suis venu à Paris, c’est d’abord pour saluer mes confrères journalistes qui m’ont soutenu et qui ont déployé un bouclier médiatique pour me protéger.
Et que devient votre demande de rencontrer le président Chirac ?
Taoufik Ben Brick. Moi, je voulais le rencontrer pour lui remettre en mains propres ma lettre. J’aurais aimé le voir en face afin de lui dire : » Je suis Jean Valjean, je suis le Misérable. » Je voudrais lui dire de protéger cet héritage historique qui fait l’honneur de la France et qui a été transmis au monde entier et qu’on appelle liberté, fraternité et égalité. J’ajouterai deux autres valeurs : le courage et la générosité. Alors je me pose cette question : si Chirac soutient Ben Ali, aime-t-il vraiment la vie ?
Mais il n’y a pas que lui qui est en cause ?
Taoufik Ben Brick. J’allais y venir. Je mesure mes mots : MM. Seguin et Delanoë ont la même attitude que Jacques Chirac. Le peuple de Paris, c’est le peuple qui a fait la Commune de Paris, le peuple qui a hébergé les plus grands écrivains, les plus grands artistes de la planète, le peuple qui a donné asile aux hommes de progrès, chez qui chacun peut s’y établir, loin de son propre pays, sans ressentir la solitude et l’exil, comme les Américains Hemingway, Paul Auster, l’Egyptien Albert Kosseiry, l’Algérien Malek Haddad qui a écrit Le quai aux fleurs ne répond pas. J’aurais aimé que Malek Haddad, qui n’est plus de ce monde, puisse m’offrir une gazelle. Malek Haddad écrivait : » Je frappe à la porte mais personne ne me répond. » Alors j’irai à Alger frapper à sa porte pour qu’il me réponde et qu’il m’offre sa gazelle.
Mais Bertrand Delanoë a pris quelque peu ses distances sur ce qui se passe en Tunisie ?
Taoufik Ben Brick. Pour moi ce sont deux blanchisseurs (rires). Delanoë a passé plus de treize ans à faire du blanchissage de l’ignominie de Ben Ali. Lui et Séguin sont de vrais virtuoses. Ils ont réussi à hypnotiser les Français en présentant la Tunisie comme le pays de la » dolce vita « , le pays qui chante et danse. Or je suis sûr qu’ils ont entendu les cris de désarroi de ceux qu’on torture dans les geôles tunisiennes. Ils ont vu comment la police règne, et savent que la Tunisie est devenue un désert culturel sans cinéma, sans poésie ni théâtre, ni littérature ni roman, et ils ont fermé les yeux durant toutes ces années sur un peuple qui vit dans un gigantesque goulag.
Oui, mais ce peuple commence à s’éveiller aux libertés ?
Taoufik Ben Brick. C’est vrai. Il commence à sortir de sa léthargie malgré cet encerclement de partout. Et s’il y a une aide et une solidarité envers les Tunisiens, elles ne viendront pas de ceux qui détiennent le pouvoir en France et ailleurs en Occident, mais des peuples qui croient à la liberté. Les militants et démocrates tunisiens savent que l’Algérie est à côté et que la société civile algérienne viendra à leurs secours.
Est-ce que vous ne surestimez pas un peu trop les capacités de la société civile algérienne ?
Taoufik Ben Brick. Non. D’abord, il existe une presse en Algérie dont aucun pays arabe ne dispose. Tous ceux qui lisent les journaux algériens sont ébahis par l’existence d’une telle presse dans cette terre ardue. Un journaliste, pour moi, c’est avant tout du courage physique. Et les journalistes algériens en ont à revendre. Plus de 70 journalistes ont été assassinés en Algérie. La liberté, ils l’ont arrachée. Montrez-moi un autre pays où il y a eu autant de journalistes tombés pour la liberté d’expression ! Montrez-moi un autre exemple de pays où des journalistes travaillent avec un pistolet sur la tempe ! Là-bas, c’est chez moi. Je ferai entendre davantage ma voix avant de retourner à Tunis.
Une dernière question sur le livre que vous allez éditer en France …
Taoufik Ben Brick. Ce livre qui va sortir bientôt aux éditions La Découverte, je l’ai intitulé Une si douce dictature. J’ai aussi un livre qui se trouve à l’abri à la » Dakhilia « , ministère de l’Intérieur (rires). Ce n’est pas un livre sur la poésie. Mais un livre qui fait découvrir au lecteur les ruelles de mon labyrinthe. Surtout, on y découvre Ben Ali sous toutes les facettes. Mon premier poème s’intitule Canabaal, une conjonction entre Hannibal, le général carthaginois, et le mot cannibale. Thomas Harris a écrit sur Hannibal le cannibale. Et moi, pour terminer, je suis un fan de Ben Ali…
Un fan ?
Taoufik Ben Brick. Tous les grands cinéastes que j’aime n’ont jamais filmé ou mis des personnages qui mettent leur force au service de la bonté, mais au contraire des personnages qui ont mis leur force au service du mal, comme Dracula, comme le personnage du Silence des agneaux, et Ben Ali leur ressemble beaucoup. Je trouve qu’il leur ressemble beaucoup. Vous n’êtes pas d’accord ? Pourtant, il a dans la dernière période 35 morts sous la torture sur la conscience.
Entretien réalisé par
Hassane Zerrouky
(1) » Je suis un arc « , texte publié dans l’Humanité du 18 mars 2000.
Un tunisien déterminé
Taoufik Ben Brick était assis dans un fauteuil à côté de son lit, près de la fenêtre de sa chambre d’hôpital. Amaigri, traits fatigués, il semblait en forme. Il nous attendait. Le journaliste, écouteurs aux oreilles, savourait une cassette audio sur un baladeur, une cigarette en train de se consumer dans un petit ramequin servant de cendrier posé sur le lit. C’est un homme déterminé que l’Humanité a rencontré hier à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, et dont le mordant ne semblait guère entamé par la longue grève de la faim entamée depuis le 3 avril dernier.
Sa voix se fait lente quand il commence à parler. On sent qu’il fait d’énormes efforts pour s’exprimer. Puis, peu à peu, le ton se fait plus incisif, rageur, faisant montre d’une pugnacité qui n’a d’égale que sa détermination à poursuivre son combat contre le régime autoritaire du président Ben Ali. Surtout quand il évoque la situation de son frère en prison en Tunisie, de ses amis restés au pays et qui poursuivent la lutte pour la démocratisation de la société tunisienne. Puis le ton se fait poétique, doux, quand il compare Paris à une belle femme qui a besoin, dit-il, d’être gouvernée par » un prince, un superbe va-nu-pieds « . Sa sour, Najet, écoute et sourit quand son frère se laisse aller, livre le fond de sa pensée, sans détour, sans calcul, citant pour mieux se faire comprendre de son interlocuteur, les grands poètes du Moyen ¶ge arabe, comme El Moutanabi, celui qui défiait par la parole, en son temps les princes et les califes des cours de Damas, Bagdad et du Caire, !ou plus près de nous, le grand poète turc Nazim Hikmet, dont il cite de mémoire les vers.
Taoufik Ben Brick, qui s’apprête à publier un livre, traduit de l’arabe, intitulé Une si douce dictature, aux éditions La découverte, demande à ses amis journalistes français, qu’il salue pour leur solidarité, de n’oublier ni son frère, Jallal, qui vient d’entamer une grève de la faim sauvage dans sa prison en Tunisie et qui est en danger de mort, ni tous ceux qui mènent un combat très difficile pour le respect des droits de l’homme et les libertés.
Jeudi, il part pour Alger accompagné par Omar Belhouchet, directeur d’El Watan. Taoufik Ben Brick a promis de venir à la Fête de l’Humanité en septembre prochain pour saluer ses amis de l’Huma et les communistes français pour leur solidarité.
H. Z.
Un pays sous l’étouffoir
Reportage. Une presse aux ordres, une opposition pourchassée, une police omniprésente : la Tunisie vit à l’heure de la mainmise de l’appareil d’Etat destourien.
De notre correspondant
Un kiosque, près de la porte de France, à l’entrée de la Medina. Au rayon de la presse étrangère, quelques titres anglo-saxons, l’Equipe, unique représentant français. Trois des quotidiens nationaux sont édités en français – quatre le sont en arabe. On emporte le Temps, la Presse et le Renouveau. Premier malaise, les titres de une sont quasi identiques et tous illustrés par une photographie du président Ben Ali. Tous trois louent la politique du premier mandataire, en des termes que l’ont croyaient réservés à un passé révolu. De Ben Brick et sa grève de la faim ? rien. Les réactions qu’elle suscite dans le monde ? Absentes ou évoquée par allusion, pour qui connaît l’affaire, sous la rubrique devenue quotidienne : » Certains médias français « . Le lecteur ne connaîtra rien des » allégations montées de toutes pièces « , ni du » dénigrement opiniâtre extrêmement regrettable » qui provoquent la colère d' » ONG françaises et tunisiennes « . Et cela, tous les jours, dans les trois ti!tres.
Quand Taoufik Ben Brick est acquitté, les trois quotidiens publient le même communiqué lapidaire émanant » d’une source judiciaire à Tunis « . Rien sur les origines de la plainte, le déroulement de la procédure, la personnalité de l’accusé, son jeûne. Mais, le même jour, les trois titres donnent au lecteur le contenu du discours du président » réaffirmant son attachement à la liberté de la presse « .
Si le Renouveau est l’organe du Rassemblement constitutionnel démocratique du président, les deux autres sont » indépendants « .
» Indépendants » également les partis (MDS, PUP, PSP, RSP, UDU et Attajdid), que l’on qualifie de » reconnus « , » officiels « , » satellites » selon le point de vue ; » indépendantes » les associations, comme la centrale syndicale UGTT, l’Union nationale de la femme tunisienne ou l’UTICA patronale. Leur » liberté » vis-à-vis du pouvoir les conduit à signer invariablement, avec un touchant ensemble, les pétitions de soutien à la politique du gouvernement, et les dithyrambes adressés au général Ben Ali, arrivé au pouvoir au son cadencé des bottes, puis élu et réélu, face à des adversaires, par lui adoubés, avec des scores qu’aucun dictateur, candidat unique, n’a jamais atteint (99,96 % en octobre dernier). Zine el Abidine Ben Ali règne sur une cour à son entière dévotion. Le président, promoteur, le 7 novembre 1987, de l' »avènement d’une ère nouvelle « , comme on le lit dans les brochures officielles et les organes » indépendants « , sut s’appuyer sur l’appareil d’Etat au servic!e du parti destourien. La lutte, engagée dès les premiers mois contre l’intégrisme, allait permettre au nouveau maître de la Tunisie d’asseoir son pouvoir et de museler, dès le 2 avril 1989, date de sa première élection, toute forme d’opposition ou de simple contestation.
Ces militantes de l’Association tunisienne des femmes démocrates, légale depuis 1989, au domicile de l’une d’elles, placée sous surveillance, subissent les mêmes brimades que les organisations non reconnues : » la presse publie 1 % à peine de nos communiqués, nos téléphones et fax sont coupés » indique cette enseignante qui se souvient de la pénible affaire de la grève de la faim menée par la journaliste Sihame ben Sedrine et une de ses collègues afin de récupérer leur passeport : » La police a bloqué les accès du quartier, prétextant une fuite de gaz, investi notre local, coupé les communications, empêché les militantes de l’association qui étaient parties déjeuner de rentrer. Les deux jeunes femmes ont cessé leur action devant la promesse que le document leur serait restitué. · ce jour ce n’est pas fait. Ces gens-là, en plus de la violence, usent du mensonge et de la duplicité. »
Des exemples comme celui-ci rythment, quotidiennement, la vie des militants politiques du Forum démocratique (FDTL) et défenseurs des droits de l’homme du Conseil national des libertés (CNLT), de l’Association des jeunes avocats (AJAT), du Raid (branche tunisienne d’ATTAC), dont le président Fethi Chemkhi est actuellement détenu pour avoir diffusé le rapport du CNLT sur l’état des libertés en Tunisie.
On imagine la mobilisation que nécessite les intimidations de cette nature, les filatures de militants et de toute personne, tunisienne ou étrangère, ayant eu, avec eux, un contact, même fortuit, la surveillance des appels et des envois (un propriétaire de taxiphone a été arrêté et son matériel saisi pour manque de vigilance, un opposant ayant expédié un fax depuis sa boutique).
130 000 policiers quadrillent le pays, mal payés, souvent mal formés. Un membre du DFTL, parti non reconnu, explique les débordements de violence actuels de certaines forces de police par le fait que » depuis douze ans on les maintient sous pression, les entraînant à lutter contre un ennemi fantomatique « . Certains » se payent sur la bête « . Pour chaque contrôle, il en coûte cinq dinars (25 francs) au chauffeur de taxi ou au propriétaire de camionnette. Un ami précise : » tout le monde sait qu’on trouvera toujours chez ces derniers une ombre dans leurs affaires. Alors ils payent. Pour eux, c’est supportable ; sauf s’ils se font intercepter deux, trois fois dans la même journée « .
Une question empoisonne l’existence de nombre de Tunisiens : celle des passeports. Considéré, non comme un droit du citoyen mais comme une faveur, le document peut être confisqué à tout moment : les opposants reconnus en sont tous privés. Et, depuis 1996, un renouvellement ou une modification conduit à une attente pouvant se prolonger plusieurs mois, quand auparavant il fallait un jour. Cet artiste, confronté à l’absurdité de la chose, pense que » le pouvoir fait peser ainsi un sentiment de culpabilité constant sur les citoyens. Aucune explication n’étant donnée sur le délai d’obtention, le demandeur est maintenu sous la pression : a-t-il salué un élément subversif, a-t-il commis une infraction ? « .
Peur et présence oppressante des agents du pouvoir sont d’efficaces instruments des gouvernement autoritaires. Les forces de répression reçoivent l’appui des » cellules destouriennes » du RCD dans les universités, les entreprises, les quartiers. Les membres du parti au pouvoir imposent aux doyens des facultés les noms des candidats reçus aux examens ; dans les quartiers, ils noyautent toute vie associative.
Le gouvernement a créé des milliers d’associations qui maillent la société, canalisent les opinions. Les femmes de l’ATFD ont récemment appelé l’attention de Mary Robinson, chargée des droits de l’homme pour l’ONU, sur le fait que la Tunisie, dans les conférences internationales est représentée exclusivement par les associations officielles, créées par le régime ; il en va de même dans les pays où vivent les immigrés tunisiens (la campagne de presse dénonçant » certains médias français » a été relayée, par près de cent associations, aussi diverses que l’Union des écrivains en Europe, l’association Carthage de Bobigny, l’équipe du Phare de Zarzis, ou l’association des artistes de Montmartre).
Mais tout pouvoir ayant ses faiblesses, celui du président Ben Ali, est selon la rumeur, menacé par les bouches mêmes que sa main nourrit. Des grincements se font entendre du côté de ses pairs en uniforme. Au Forum démocratique, on craint un coup d’Etat qui pourrait porter à la tête du pays des militaires de la mouvance de Ben Ali, voire des sympathisants islamistes. Dans tous les cas, l’unique perdante serait la Tunisie.
Abdallah Chaamba
Get Your Private, Free E-mail from MSN Hotmail at http://www.hotmail.com